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Publié par Ressi
Concordance des classifications et étude comparative du recoupement des collections : les bibliothèques de la Faculté des Sciences de l'Université de Genève
Ressi — 30 avril 2008
Résumé
Cette étude évalue la collection de monographies de la Faculté des Sciences de l'Université de Genève. Sur cette base, une étude plus approfondie peut être menée dans le but de mettre en place une politique d'acquisition et une gestion des collections communes des sept bibliothèques de la faculté. Un tableau de concordance entre les sept classifications a été établi afin d'obtenir un référentiel commun et d'étudier les sujets couverts par plusieurs bibliothèques. Des scripts Python ont été développés pour obtenir des statistiques de recoupement des collections. L'algorithme UPGMA de GNU-R a été appliqué pour créer un dendrogramme, essai original de comparaison des collections. Les résultats mettent en évidence les recoupements et redondances entre les sept collections et un manque de consistance dans leur gestion.
En parallèle aux classifications en usage dans chaque bibliothèque, une classification commune basée sur le tableau de concordance faciliterait la mise en place d'une politique documentaire globale et cohérente. Affiner cette analyse requiert une étude des collections complètes, notamment en ce qui concerne les niveaux des documents et leurs usages.
Abstract
This analysis lends an initial assessment of the monograph collection of the Faculty of Science at the University of Geneva. These results can be used as a basis for a more detailed study aiming to help the establishment of a common management of the libraries' collections in the future. In order to allow the comparative study of the subjects covered by the libraries, a table of correspondence was constructed to provide insight and a common reference point for the classifications used in the seven locations. Statistical data concerning overlaps in the different collections were gathered using Python scripts, and a dendrogram was created using the GNU-R's UPGMA algorithm. The results showed some management inadequacies including cross-checking and redundancy across the seven collections. In parallel with the currently used classifications in each library, a common classification based on the correspondence table can be implemented to facilitate the set-up of a global and coherent collection development and management policy. To take this study further, we can consider the entire collections and take into account the documents' levels and their usage.
1 Introduction
Cette étude a pour objet d’établir une concordance entre les classifications utilisées pour les monographies dans les bibliothèques de la Faculté des Sciences de l’Université de Genève, et d'étudier le recoupement documentaire d’une partie des collections de ces bibliothèques. De telles informations sont nécessaires pour débuter une étude détaillée des collections de ces bibliothèques, et finalement mettre en place une politique d’acquisition commune aux bibliothèques de la Faculté.
La Faculté des Sciences de l'Université de Genève comporte six bibliothèques, correspondant à des sections ou départements, soit les bibliothèques d’anthropologie, de mathématiques, de l’Observatoire, de physique, de Sciences II (biologie, chimie et sciences pharmaceutiques) et des Sciences de la Terre. Le Centre universitaire d’informatique (CUI) a été également intégré à cette étude car il est lié à plusieurs facultés dont celle des Sciences. Toutes ces bibliothèques sont situées à moins d’un quart d’heure de marche les unes des autres, sauf celle de l’Observatoire qui se trouve à 20 kilomètres.
En terme de collection (monographies et périodiques reliés), la bibliothèque de Sciences II est la plus importante avec 68'700 volumes, viennent ensuite les mathématiques avec 43'339 volumes, les Sciences de la Terre avec 43'000 volumes, la physique avec 34'360 volumes, l’anthropologie avec 20'600 volumes, l’Observatoire avec 20'095 volumes et le CUI avec 12'500 volumes.
Jusqu’à présent, ces sept bibliothèques fonctionnaient de manière relativement autonome. Elles sont sous la direction de leur section ou département respectif. Dans le but d’améliorer la qualité des services des différentes bibliothèques, plusieurs projets, tel un site Web commun, ont été lancés. De même, l’idée d’une politique d’acquisition commune à toutes les bibliothèques des Sciences est née.
Suite à l’arrivée d’une nouvelle Directrice de l’information scientifique à l’Université, un projet identique a été initié pour toute l’institution. Cette étude a débuté avant la création de ce poste, mais les résultats seront évidemment utiles dès le début du processus de création d’une politique d’acquisition, qu’elle soit facultaire ou institutionnelle.
2 Méthodologie
Cette étude a débuté par les visites des sept bibliothèques afin d’obtenir leurs classifications et de rencontrer leurs responsables pour avoir des renseignements supplémentaires concernant ces classifications (contexte, historique, évolution, etc.).
Un tableau de concordance a ensuite été établi entre la CDU (Classification décimale universelle) (UDC Consortium, 2004) et les classifications utilisées (voir tableau 1 pour un extrait de ce tableau). La CDU a été choisie comme référence car celle-ci est utilisée dans deux des bibliothèques concernées et possède une version récente datant de 2004 en français. Les concordances ont été définies manuellement par Aline Maurer et Cynthia Dufaux en comparant les diverses classifications à la CDU. Cela leur a été facilité par leurs connaissances en sciences, toutes deux étant de formation scientifique (respectivement biologie/botanique et sciences de la Terre).
Les classifications utilisées par les bibliothèques diffèrent dans leur degré de détails. Celle d’anthropologie est par exemple très générale, alors que celle du CUI, avec trois niveaux, est très détaillée. Le niveau hiérarchique de chaque indice CDU a été choisi au plus proche de celui de la classification locale, et est parfois plus élevé lorsque la CDU n’était pas assez détaillée. Pour la classification du CUI, tous les niveaux n’ont pas été pris en compte car ils étaient trop détaillés par rapport à la CDU.
Ce tableau a permis ensuite de déterminer les sujets communs à plusieurs bibliothèques. Seuls les indices CDU ayant un équivalent dans trois bibliothèques ou plus ont été retenus pour être étudiés, le nombre de documents concernés étant déjà conséquent.
A noter que dans le texte, le terme « domaine » est utilisé pour les thèmes représentés par deux chiffres dans la CDU, à l’exception de l’informatique (trois chiffres pour des raisons historiques). Les domaines sont par exemple les mathématiques, la physique, la biologie, etc. Le terme « sujet » désigne les subdivisions de ces domaines.
Afin de mieux comparer les sujets identiques dans plusieurs bibliothèques, une deuxième visite sur place a permis de déterminer de façon plus précise lesquels étaient traités par les documents présents dans les indices retenus.
Un programme informatique, comprenant deux scripts, a également été créé pour obtenir des statistiques concernant le nombre de documents se trouvant dans plusieurs bibliothèques, et donc les taux de recoupement entre les bibliothèques. Le premier script va chercher les notices bibliographiques dans le catalogue du Réseau des bibliothèques genevoises (Réseau des bibliothèques genevoises, 2007) pour un indice donné. La recherche est faite par classification, c’est-à-dire par un sigle décrivant la bibliothèque suivi de l’indice (ex : « ge-ussa O » pour l’indice O en anthropologie). Cette classification est saisie lors du catalogage d’un document en zone 980_2 du format MARC21. Le deuxième script compare le résultat du premier avec l’indice en question pour éliminer les notices ne correspondant pas à la recherche (erreurs et doublons). Ce script produit également un tableau avec un indice recherché par ligne, et en colonne les bibliothèques possédant les documents représentés par chaque indice.
Les résultats obtenus permettent d’analyser la cohérence de l’échantillon étudié des collections de la Faculté des Sciences, et de faire des suggestions pour la mise en place d’une future politique d’acquisition commune aux sept bibliothèques.
3 Résultats
3.1 Tableau de concordance des classifications
Le tableau 1 présente un extrait du tableau de concordance (celui-ci comportant environ 110 pages, il n’est pas inclus dans cet article mais est disponible sur demande).
Un indice CDU est attribué à chaque indice de chaque classification. Ainsi le tableau se compose, dans la colonne de gauche, des indices CDU retenus et des intitulés correspondants, puis à droite, sur deux colonnes par bibliothèque, des indices locaux et leur intitulé. Le degré de spécificité des indices CDU retenus est très variable, étant donné que les classifications étudiées ont des degrés de précision différents. Par contre, les indices généraux CDU qui n’avaient pas de correspondance, mais dans lesquels des sous-indices étaient utilisés dans le tableau, ont été rajoutés. Le tableau se compose ainsi de 1031 indices CDU, dont 151 ne correspondent pas à des indices appartenant aux autres classifications mais sont les indices généraux des indices spécifiques retenus.
Pour chaque indice CDU retenu, il est donc possible de savoir combien de bibliothèques possèdent des ouvrages y correspondant.
La figure 1 montre que 85% des indices se trouvent uniquement dans une bibliothèque. Le pourcentage d’indices présents dans deux bibliothèques ou plus peut donc paraître assez faible, pourtant le nombre de documents concernés est important étant donné l’étendue des collections, et concerne tout de même environ 150 indices et sous-indices.
Deux domaines et sujets seulement se trouvent dans six bibliothèques. Il s’agit de l’informatique et des probabilités et statistiques. Viennent ensuite les mathématiques présentes dans cinq bibliothèques.
Fig. 1 : Pourcentage des indices présents dans 1, 2, 3, 4, 5 ou 6 bibliothèques
Les domaines et sujets présents dans quatre bibliothèques sont les suivants :
- Langages de programmation
- Histoire des sciences
- Mathématique numérique, analyse numérique, programmation (informatique), science des ordinateurs
- Astronomie, astrophysique, recherche spatiale, géodésie
- Physique
- Mécanique
- Mécanique des fluides, hydraulique
- Vibration, acoustique
- Optique
- Chaleur, thermodynamique
- Electricité, magnétisme, électromagnétisme
- Chimie, sciences minéralogiques, cristallographie
- Climatologie
- Biologie
Il s’agit de domaines généraux (biologie, chimie, physique), et de sujets (mathématique numérique, mécanique, etc.) appartenant principalement à la physique.
Les domaines et sujets apparaissant dans trois bibliothèques sont essentiellement sujets concernant l’informatique, les mathématiques, la physique, la chimie et les Sciences de la Terre :
- Langages de programmation
- Intelligence artificielle
- Traitement des images
- Bibliothéconomie, lecture
- Mathématiques. Sciences naturelles
- Généralités sur les sciences pures : Philosophie. Psychologie
- Sciences environnementales. Ressources naturelles. Conservation des ressources naturelles. Protection de l'environnement
- Logique mathématique
- Algèbre
- Géométrie
- Analyse mathématique
- Théorie de l'information: aspects mathématiques
- Théorie quantique
- Langages de programmation
- Intelligence artificielle
- Traitement des images
- Bibliothéconomie, lecture
- Mathématiques. Sciences naturelles
- Généralités sur les sciences pures : Philosophie. Psychologie
- Sciences environnementales. Ressources naturelles. Conservation des ressources naturelles. Protection de l'environnement
- Logique mathématique
- Algèbre
- Géométrie
- Analyse mathématique
- Théorie de l'information: aspects mathématiques
- Théorie quantique
En général, tous les indices présents dans trois bibliothèques ou plus représentent des sujets assez vastes et généraux ou des domaines. Les indices très spécifiques n’existent souvent que dans une seule bibliothèque.
Le graphique suivant (figure 2) a été élaboré en regroupant tous les indices spécifiques sous leur indice général (comportant au maximum trois chiffres) et indique donc combien de domaines ou sujets généraux sont présents dans plusieurs bibliothèques, même si à l’intérieur de ceux-ci, les sujets plus spécifiques traités ne sont pas les mêmes. Cela permet de déterminer si les bibliothèques contiennent des ouvrages concernant les mêmes types de domaines ou sujets généraux.
Fig. 2 : Pourcentages des indices spécifiques cumulés présents dans 1, 2, 3, 4, 5, 6 ou 7 bibliothèques
64% des domaines et sujets généraux représentés par trois chiffres dans la CDU sont donc traités dans plusieurs bibliothèques. Cela signifie que leurs collections ne sont pas limitées à leurs domaines respectifs.
Le troisième graphique (figure 3) permet de relativiser le précédent. En effet, celui-ci prend en compte uniquement les indices sans chiffre après la virgule. On remarque que ces indices généraux ne sont présents que dans un moindre pourcentage par rapport au graphique précédent. Seul 43% de ces domaines et sujets généraux existent dans deux à six bibliothèques. 11% ne sont présents dans aucune bibliothèque, ce sont des indices qui ont été rajoutés pour compléter des indices spécifiques existant dans le tableau.
Finalement, ces taux de recoupement montrent que certains domaines et sujets sont redondants. Il est sûr que certaines applications d’un domaine peuvent en concerner un autre, ou qu’une science a besoin d’éléments d’une autre, ce qui implique que certains ouvrages soient classés dans une autre partie de la CDU que celle qui concerne en premier lieu la bibliothèque.
3.2 Données statistiques
Comme la recherche des données statistiques a été effectuée sur la base locale genevoise de RERO, les bibliothèques touchées sont celles de la Faculté des Sciences et toutes celles faisant parties du Réseau des bibliothèques genevoises. L'analyse porte principalement sur les sept bibliothèques étudiées, mais quelques remarques seront également faites en relations avec les autres localisations genevoises.
Le tableau obtenu à l'aide du deuxième script a été travaillé de différentes manières, notamment en additionnant les résultats de tous les indices d’une bibliothèque pour avoir une comparaison des totaux par bibliothèques, en nombre de notices et en pourcentage (tableau 2 et 3). Il a également été nécessaire de produire une matrice triangulaire contenant la moyenne des totaux par couple de bibliothèques. En effet, la comparaison d’une bibliothèque A avec une B, ou de B avec A, devrait théoriquement donner le même résultat. Mais principalement à cause de différences de cotations et du fait que notre étude ne concerne qu’une partie des collections, ce n’est pas le cas. La moyenne des deux résultats a été calculée afin de n'avoir qu'un seul chiffre par couple de bibliothèques. Il faut comprendre par différences de cotations le fait que, même si il a été décidé de faire correspondre deux indices, un même livre ne sera pas forcément coté dans la bibliothèque selon le tableau de concordance: la bibliothèque d’anthropologie mettra un livre de mathématiques dans l’indice correspondant aux mathématiques générales, alors que la bibliothèque de mathématiques mettra peut-être ce même livre dans un indice plus précis. Cela explique par exemple que le nombre de notices en commun obtenu en cherchant, dans les livres de la bibliothèque de mathématiques, ceux que possède la bibliothèque d’informatique, est égal à 145, alors que le contraire donne 62.
Seules les collections formées par les indices retenus grâce au tableau de concordance des classifications ont été étudiées et non les collections dans leur ensemble, il faut lire ces résultats en conséquence.
Dans les deux tableaux suivants, on trouve horizontalement un échantillon de notices d’une bibliothèque dans lequel on a cherché la présence des zones MARC 980_2 des bibliothèques représentées verticalement. Par exemple, 2101 documents ont été extraits pour la bibliothèque du CUI, et 62 de ces documents se trouvent également dans la bibliothèque de mathématiques (n'importe où dans la collection).
Il est important de remarquer que le nombre de notices prises en compte pour la bibliothèque des Sciences de la Terre est très faible car peu de documents possèdent une cote, ce qui rend les résultats peu comparables avec les autres bibliothèques.
Le tableau 1 présente un extrait du tableau de concordance (celui-ci comportant environ 110 pages, il n’est pas inclus dans cet article mais est disponible sur demande).
3.3 Analyse par bibliothèque
Le tableau 2 montre, pour chaque ligne, le nombre de notices de la bibliothèque en question retrouvées dans les bibliothèques en colonne. Le nombre total de notices pris en compte pour chacune des bibliothèques est en gris. Par exemple, dans les livres étudiés à la bibliothèque de mathématiques, 145 se trouvent aussi au CUI, mais ceux-ci ne sont pas forcément dans les indices étudiés au CUI.
Tableau 2 : Nombre de notices en commun entre les sept bibliothèques de la Faculté des Sciences
Sur ce tableau, les bibliothèques partageant le plus grand nombre de notices avec d’autres localisations sont les bibliothèques de physique et de mathématiques. Entre elles deux, elles possèdent plus de 200 documents en commun, et passablement avec les cinq autres (surtout la bibliothèque de l’Observatoire et du CUI). Viennent ensuite le CUI, la bibliothèque de l’Observatoire et de Sciences II. Les bibliothèques des Sciences de la Terre et d’anthropologie sont celles qui ne partagent que peu de notices : moins de 50. Sur le tableau 3, le nombre de notices est pondéré par le nombre de notices total trouvées par bibliothèque, pour donner un pourcentage de notices en commun.
Tableau 3 : Pourcentage de notices en commun entre les sept bibliothèques de la Faculté des Sciences
Ici, en lisant le tableau en colonne, on remarque que les bibliothèques de physique et de mathématiques sont celles qui possèdent le plus grand pourcentage de notices se trouvant dans les collections des indices retenus des autres bibliothèques.
Horizontalement, on voit par contre que la bibliothèque de mathématiques partage un pourcentage plutôt faible de sa collection avec les autres, physique à part. Par exemple, plus de 10% de la collection représentée par les indices retenus à l'Observatoire se trouve en mathématiques, alors que seulement 1.8% de la collection représentée par les indices retenus en mathématiques se retrouve dans la bibliothèque de l’Observatoire. Ceci est dû au nombre de livres, et au fait que ce sont essentiellement des indices généraux qui ont été retenus. D’une part, il y a relativement peu de livres qui concernent le domaine des mathématiques à l’Observatoire et ils sont classés dans des indices généraux (les indices détaillés concernent logiquement l’astronomie). En contrepartie, il y a évidemment un grand nombre de livres de mathématiques dans la bibliothèque de mathématiques et ils sont éparpillés dans des indices détaillés ne correspondant pas aux indices retenus.
Toujours horizontalement, c’est la bibliothèque de l’Observatoire qui partage le plus grand nombre de notices avec les autres bibliothèques, en particulier avec les bibliothèques de mathématiques et physique, un peu moins avec le CUI et Science II. Viennent ensuite les bibliothèques de physique, Sciences II et mathématiques avec plus de 5% de notices en commun avec une autre bibliothèque, puis les bibliothèques d’anthropologie et du CUI avec plus de 3%. La collection de la bibliothèque des Sciences de la Terre, comme mentionné ci-dessus est difficile à commenter puisque le nombre de documents étudiés est faible. On peut tout de même remarquer environ 3% de notices en commun avec les bibliothèques de l’Observatoire et de Sciences II.
3.4 Analyse par dendrogramme
A partir de la matrice triangulaire, un dendrogramme a été produit à l’aide du programme R (R-Project, 2007), suivant l’algorithme (UPGMA Christian de Duve Institute of cellular pathology, 1997 ; Wikipédia, l'encyclopédie libre, 2007).Cet algorithme produit un arbre phylogénétique (dendrogramme) à partir d’une matrice de distances. Ceci est normalement utilisé pour étudier des séquences génomiques ou l’évolution des espèces à partir de leur génome. Le résultat illustre les distances entre bibliothèques, avec les deux bibliothèques les plus proches à l’extrémité de l’arbre (la branche la plus lointaine de la racine), puis la bibliothèque la plus proche de ce couple, etc., jusqu’à la dernière bibliothèque. Ce dendrogramme est un essai d’une méthode originale de comparaison des collections et il n'est pas aisé d’en faire l’analyse.
Pour créer le dendrogramme de la figure 4, il a fallu prendre « 1-le pourcentage de notices en commun » (ramené à un nombre entre 0 et 1) du tableau 2, puis appliquer l’algorithme UPGMA. Il faut se souvenir que la matrice triangulaire à la base de ces données résulte d’un calcul de moyenne entre deux résultats. Ceci peut donc parfois tirer le pourcentage vers le haut ou vers le bas. Pour analyser ce dendrogramme, il faut prendre en compte la distance horizontale et verticale entre les bibliothèques. Les deux bibliothèques les plus proches en terme des collections étudiées sont celles de l’Observatoire et de physique (à l’extrémité du dendrogramme). Ensuite, la bibliothèque la plus proche de ce couple est celle de mathématiques, puis celle de Sciences II, etc. Il faut remarquer que chaque bibliothèque est comparée avec le groupe formé par celles qui la précèdent dans l’arbre. Du point de vue de la distance verticale, on voit que le groupe Observatoire-physique est relativement éloigné de la bibliothèque de mathématiques, qui est elle-même éloignée de celle de Sciences II. Par contre, Sciences II, le CUI, les bibliothèques des Sciences de la Terre et d’anthropologie sont relativement proches.
On peut donc distinguer trois parties dans le dendrogramme: le couple du bas (observatoire et physique), le groupe du haut (anthropologie, Sciences de la Terre, CUI et Sciences II), et la bibliothèque de mathématiques au milieu. Il faut toujours garder à l’esprit que les résultats concernant la bibliothèque des Sciences de la Terre ne sont pas représentatifs. On peut donc dire que les collections étudiées dans le premier couple sont relativement proches. La collections de la bibliothèque de mathématiques est la plus proche de ce couple, mais relativement éloignée vu la longueur de la barre verticale les séparant. La bibliothèque de Sciences II est la plus proche de ces trois mais avec une distance verticale également relativement grande. Les quatre dernières bibliothèques sont peu distantes verticalement.
Fig. 4 : Dendrogramme obtenu par l’algorithme UPGMA
Légende: ge-ussa = anthropologie, cdu-geusst = Sciences de la Terre, amc-geucui = CUI, cdu-geussc = Sciences II, ams-geussm = mathématiques, ge-usob = Observatoire, ge-ussp = physique
3.5 Comparaison avec les autres bibliothèques genevoises
L'analyse des notices en commun entre les bibliothèques de la Faculté des Sciences et les autres bibliothèques genevoises montre que les bibliothèques des Sciences économiques et sociales (SES), et de la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation (FPSE) possèdent plus de 100 notices en communs avec la bibliothèque de mathématiques.
Entre la bibliothèque d’histoire des sciences et celle de physique, il y a plus de 50 notices en commun. Cela montre à quel point la bibliothèque de physique possède une grande collection de livres sur l’histoire des sciences et de la physique.
Plus de 50 notices en commun se trouvent également:
- entre les bibliothèques d’anthropologie, de l’Observatoire et de physique et celle de SES. Il est difficile de dire quels sont les sujets couverts par ces documents, mais on peut imaginer qu’avec les bibliothèques de l’Observatoire et de physique, ça peut être des livres de statistiques et de mathématiques. Avec l’anthropologie, cela doit être un mélange de différents sujets : la sociologie et la démographie, la géographie et les statistiques, les mathématiques et l’informatique.
- entre la bibliothèque de philosophie et celles de mathématiques et physique. D'une part ces deux bibliothèques de la Faculté des Sciences possèdent un bon nombre de livres concernant la philosophie des sciences, et d’autre part, les logiques philosophique et mathématique sont liées.
- entre la bibliothèque de la Faculté de médecine (BFM) et Sciences II. Ces deux bibliothèques partagent probablement des documents de biologie, pharmacie et médecine.
4 Discussion
Il est évidemment difficile de dire que tel pourcentage de notices en commun entre deux bibliothèques est trop élevé ou pas, cela dépend du domaine, du type de bibliothèque et des usages de la bibliothèque.
La redondance des documents a des «pour» et des «contre». Les «pour» sont :
- L’accessibilité: la redondance entre bibliothèques rend les documents plus proches des usagers, d’autant plus que la grande majorité des monographies étudiées ici ne sont pas accessible en ligne à la Faculté des Sciences.
- La conservation: la redondance permet d’augmenter les chances de préservation à long terme. Ce n’est pas la mission principale des bibliothèques de la Faculté, bien que les documents anciens soient importants pour certains domaines.
- Usages simultanés: Les étudiants des différents départements ou sections de la Faculté ont une majorité de cours en commun au début de leur cursus et ont donc besoin des mêmes ouvrages.
Les «contre» sont :
- Coût élevé de la surface à Genève: plusieurs bibliothèques se trouvent dans des locaux inadaptés et manquent de place.
- Budget d’acquisition: il est en diminution systématique dans toutes les bibliothèques.
- Budget de fonctionnement: plus la collection est importante plus les coûts sont élevés.
Par ailleurs, pour pouvoir faire une bonne critique de ces résultats, il faudrait faire l’étude complète des collections, et notamment connaître le niveau des documents et leurs usages.
Le niveau des documents est intéressant car, comme le mentionne l'étude de Missingham & Walls (2003), il est justifiable que les ouvrages de référence et ceux destinés aux étudiants de premier cycle soient redondants, étant donné la nécessité d'un accès immédiat et multiple à ces documents.
Les usages et en particulier le taux de prêt permettent de savoir si une section de la collection est utile dans la bibliothèque étudiée bien que hors de son domaine. Cela permet également de se rendre compte si les usagers sont prêts à se rendre dans la bibliothèque de référence pour satisfaire leurs besoins en information.
Il faut également tenir compte l’environnement qui influence le comportement de l’usager:
- la distance entre les bibliothèques, qui peut être un obstacle au déplacement des usagers, même lorsqu’elle est faible ;
- les conditions de prêt qui limitent la disponibilité des documents (dans le temps et l’espace) ;
- etc.
4.1 Discussion de l'analyse par bibliothèque
En analysant les pourcentages globaux de notices en commun pour chaque bibliothèque, il ressort nettement que les bibliothèques se recoupant le plus sont celles de physique, mathématiques et astronomie. Cette constatation est renforcée par le dendrogramme qui rassemble ces trois bibliothèques en un cluster. Cela paraît assez logique puisque l’astronomie est apparentée à la physique, et que ces deux domaines ont pour outils principaux les mathématiques.
Le peu de notices en commun entre les bibliothèques d’anthropologie et de Sciences II (contenant les collections de biologie) est en revanche plus étonnant. Les tableaux montrent peu de recoupement et les deux bibliothèques sont éloignées dans le dendrogramme. On aurait pu imaginer plus de similitudes car la bibliothèque d’anthropologie contient une collection importante de documents sur la biologie, la génétique et l’évolution, qui sont des sujets de recherche couverts par des chercheurs du département d'anthropologie.
4.2 Discussion des résultats indice par indice
Une analyse de tous les indices présents dans trois bibliothèques ou plus a été faite à partir du tableau obtenu avec la deuxième partie du programme. Les détails ne sont pas présentés ici, mais en voici les points principaux :
- Une bibliothèque se distingue des autres : la bibliothèque de physique. Elle a souvent un taux de recoupement élevé avec les autres bibliothèques, en particulier avec celles de l’Observatoire, de mathématiques et dans une moindre mesure Sciences II.
- La bibliothèque de mathématiques ressort également du lot. Mais dans ce cas, c’est souvent les autres bibliothèques qui possèdent des livres de mathématiques, et il est donc normal que les mathématiques possèdent les ouvrages que les autres bibliothèques ont acquis dans son domaine. De plus, cette bibliothèque a un grand nombre de documents classés dans des indices qui a priori ne sont pas des mathématiques, mais il s’agit en réalité souvent d’ouvrages de mathématiques appliquées à un autre domaine et donc classés sous cet autre domaine, pour les distinguer des mathématiques non appliquées.
- La bibliothèque de Sciences II a, de manière générale et au contraire de ces deux premières bibliothèques, un taux de recoupement très faible avec les autres. Ses documents sont donc plus ciblés sur les sujets qu’elle couvre.
- Les taux de recouvrement relativement élevés qu’on peut trouver avec la bibliothèque du CUI, ne concernent pratiquement que des indices de sujets informatiques. Comme pour les mathématiques, ces taux de recoupement sont donc à attribuer aux autres bibliothèques et non à celle du CUI qui reste bien limitée à son domaine.
- Les taux de recouvrement les plus élevés qu’on trouve avec la bibliothèque de l’Observatoire sont liés aux bibliothèques de mathématiques et physique, ce qui est logique vu la proximité de ces trois sciences.
- Pour la bibliothèque des Sciences de la Terre, il est difficile de tirer des conclusions pertinentes, car peu de documents de cette bibliothèque sont dotés d’une cote.
- Les résultats pour la bibliothèque d’anthropologie sont également difficiles à commenter car les indices utilisés couvrent plusieurs sujets différents. En général, les taux de recouvrement sont assez faibles. Cependant, les visites sur place ont montré qu’il existait un nombre relativement élevé de documents traitant d’autres sujets et domaines que ceux normalement couverts par cette bibliothèque. De plus, la majorité de ces documents « hors sujet » étaient pour la plupart très anciens (vieux de plusieurs dizaines d’années), ce qui diminue encore l’intérêt de leur présence dans cette bibliothèque.
4.3 Discussion de la précision des données (approximation d'erreur)
L’imprécision de la méthode de récolte des statistiques est due à trois sources d’erreurs :
- les documents étudiés ne représentant pas la totalité de la collection des bibliothèques
- les incohérences dans les méthodes de catalogage, notamment pour les documents en plusieurs volumes
- la concordance établie entre les classifications dans cette étude, potentiellement différente des pratiques de cotation dans les bibliothèques
Etant donné l’asymétrie du tableau 2, une estimation de l’erreur a été calculée pour déterminer si les résultats sont tout de même significatifs. Pour chaque couple de bibliothèques (i, j), la formule | ni,j – nj,i | / max(ni,j , nj,i) a été appliquée (tableaux 4 et 5).
Tableau 4: Approximation d'erreur pour toutes les bibliothèques: somme totale = 9.85, moyenne = 0.47
Tableau 5: Approximation d'erreur sans la bibliothèque des Sciences de la Terre: somme totale = 4.78, moyenne = 0.32
En comparant deux bibliothèques de deux façon différentes tel que dans le tableau 2, les résultats obtenus sont relativement proches car la variation entre les deux parties du tableau de cette figure est de 32% sans tenir compte de la bibliothèque des Sciences de la Terre En général, la corrélation est bonne, ce qui montre que la méthode est assez représentative. Une mauvaise corrélation, par contre, ressort nettement chaque fois que la bibliothèque des Sciences de la Terre est concernée. Ceci était prévisible car le nombre de documents cotés et donc étudiés dans cette bibliothèque est faible et non représentatif.
4.4 Synthèse de l'analyse
Des tendances se détachent clairement de l’étude de ces statistiques et donnent une bonne idée des relations entre les échantillons des collections des sept bibliothèques étudiées. Elle souligne notamment la redondance, nécessaire ou non, de certains sujets et documents dans les diverses bibliothèques.
Selon le nombre de notices communes entre les sept bibliothèques, celles de mathématiques et physique partagent le plus de documents avec les autres localisations. Viennent ensuite les bibliothèques du CUI, de l’Observatoire et de Sciences II. En ce qui concerne le dendrogramme, l’ordre est un peu différent : les bibliothèques de l’Observatoire et de physique sont les plus proches, suivies de celles de mathématiques. Les bibliothèques du CUI et de Sciences II se rapprochent plus, elles, de l’anthropologie et des Sciences de la Terre.
L’étude des statistiques et les visites sur place ont fait ressortir certains points :
- Pour la bibliothèque de physique, le nombre de documents concernant l’histoire et la philosophie des sciences est important. De plus, le nombre de notices en commun avec certaines bibliothèques hors de la Faculté des Sciences comme celles du Musée d’histoire des sciences, de la Faculté des sciences économiques et sociales et du Département de philosophie est élevé. Il serait nécessaire de mener une réflexion sur la politique à suivre pour la gestion de cette partie de la collection.
- Pour la bibliothèque de physique en particulier, mais également pour celles de mathématiques, d’anthropologie, et dans une moindre mesure en astronomie, Sciences de la Terre et à Sciences II, les collections d’informatique contiennent beaucoup d’ouvrages sur des sujets redondants, souvent obsolètes. Sachant que la bibliothèque du CUI ne conserve en général pas les ouvrages trop anciens, les autres bibliothèques devraient d’autant plus désherber leurs collections dans ce domaine.
- Il y a beaucoup de recoupement entre les collections des bibliothèques de physique et de l’Observatoire, mais vu la distance entre les deux localisations, la proximité des domaines de recherche et le prêt exclu à l’Observatoire, ceci est en partie justifié. Il serait intéressant d’étudier l’usage des documents de ces deux bibliothèques pour savoir si ce recoupement correspond réellement à un besoin.
- Pour la bibliothèque de l’Observatoire, outre les remarques ci-dessus, on trouve un recoupement important avec la bibliothèque de mathématiques, que la distance peut à nouveau expliquer.
- La bibliothèque de mathématiques a beaucoup de recoupement avec les autres bibliothèques, mais il s’agit surtout de documents de mathématiques possédés par les autres. Par ailleurs, cette bibliothèque possède plus de 250 livres de physique et 90 livres d’histoire/philosophie des sciences. Ici aussi, l’étude de l’usage de documents pourrait apporter d’avantage d’éléments pour décider de la nécessité ou non d’un tel recoupement.
- En ce qui concerne la bibliothèque de Sciences II, la plus grande des sept, il y a peu de recoupement avec les autres bibliothèques. La seule remarque à faire concerne le domaine de la physique qui est très représenté, d’autant plus que la bibliothèque de physique se trouve à environ 200 mètres.
- La collection de la bibliothèque du CUI est ciblée car le recoupement avec les autres localisations concerne principalement des livres d’informatique. Les mathématiques y sont bien représentées, mais elles constituent un outil essentiel de l’informatique.
- Le tableau 2 montre que très peu des livres étudiés dans la bibliothèque des Sciences de la Terre se retrouvent dans les autres collections. Il y a par contre plus de livres en commun si on étudie les collections des autres bibliothèques par rapport à celle des Sciences de la Terre. Cela veut dire qu’il s’agit dans ce cas de livres catalogués mais non cotés dans cette localisation. Si tous les livres étaient cotés, plus de recoupement aurait peut-être été mis en évidence.
- Pour la bibliothèque d’anthropologie, les observations sur place ont montré la présence de beaucoup de livres hors des sujets étudiés au département. Ceci est dû à l’historique, au manque de désherbage et à l’évolution des sujets couverts par la bibliothèque. Seuls 2% des livres étudiés se retrouvent à la bibliothèque de Sciences II (comprenant la section de biologie), ce qui est très peu sachant qu’un des sujets d’étude du département d’anthropologie est la génétique des populations et l’évolution. Cela tient peut-être au fait qu’il s’agit d’un sujet très précis de la génétique.
Ces résultats mériteraient d’être complétés par d’autres études concernant les usages et des indicateurs détaillés sur les ouvrages eux-mêmes. Cependant ils posent une base utile pour une future étude complète des collections à la Faculté des Science, étape nécessaire à la mise en place d’une politique d’acquisition commune, et à une gestion des collections concertée entre les bibliothèques.
4.5 Les politiques d’acquisition à la Faculté des Sciences et à l'Université de Genève
Il n’y a pas de politique d’acquisition commune aux bibliothèques de la Faculté des Sciences, et pas non plus de politique d’acquisition formelle par bibliothèque. Chaque bibliothécaire responsable des acquisitions a bien sûr sa politique, mais elle n’est pas formalisée.
La situation de l’ensemble de l’Université de Genève ressemble à une plus large échelle à celle de la Faculté des Sciences: il n’y a pas véritablement de politique documentaire commune à l’Université. Plus précisément, concernant la politique d’acquisition, aucune charte des collections n’existe. Ce manque est sur le point d’être comblé puisqu’une directrice de l’information scientifique (fonction qui n’existait pas auparavant) vient d’être engagée au niveau de l’Université. Celle-ci a mis en place plusieurs groupes de travail, dont un est chargé des collections. Ce groupe est actuellement en train d’établir une vision à long terme des collections (10 ans), et a commencé à faire une évaluation des collections pour réunir les indicateurs nécessaires à la mise en place d’un plan de développement des collections.
Etant donné qu’une politique d’acquisition au niveau de l’Université (1) va bientôt voir le jour, celle de la Faculté des Sciences devra s’y conformer. Mais il faudra détailler celle-ci davantage pour chaque bibliothèque afin établir des plans de développement des collections ainsi que des protocoles de sélection propres à chaque domaine, et rendre ainsi la politique d’acquisition de l’Université applicable à chaque bibliothèque de la Faculté des Sciences.
Voici quelques remarques dont il serait intéressant de tenir compte au moment où la politique d’acquisition sera mise en place dans les sept bibliothèques.
Dans les bibliothèques de la Faculté des Sciences, les publics sont assez bien définis, suite à un travail de diplôme de la HEG sur les pratiques documentaires de leurs usagers (Bui et al., 2006). Par contre, les collections sont assez mal connues, totalement indépendantes les unes des autres (il n’y a pas de concertation entre les bibliothèques à ce sujet) et parfois, à cause de leur historique, surprenantes dans leur contenu. Une étude globale des sept collections paraît fondamentale si l’on désire avoir un jour un ensemble de collections cohérent, et pouvoir considérer les acquisitions en réseau ou centralisées pour la Faculté.
Ce travail s’inscrit donc dans un premier pas vers cette étude des collections. Pour cela, le tableau de concordance des classifications peut servir comme repère pour la segmentation des collections en catégories comparables d’une bibliothèque à l’autre. Même s’il semble peu probable qu’une classification unique soit utilisée dans toutes les bibliothèques pour classer les monographies, ce tableau pourrait être utilisé pour gérer de manière centrale les acquisitions, et les répartir en fonction d’une classification unique. Les sujets couverts par les bibliothèques étant pointus, ce serait, dans certains cas, une perte de précision que de vouloir tout classer selon la CDU. Par contre, une cote CDU attribuée à chaque document pourrait être utilisée pour la gestion globale des collections, et une cote selon la classification locale permettrait de le ranger en rayon.
Les résultats montrent que les collections se recoupent, tant du point de vue des sujets que des documents eux-mêmes. Il est visible que chaque collection a été gérée comme une entité indépendante, et les vestiges de l’histoire de la bibliothèque n’ont pas été remis en cause. Par exemple, quatre bibliothèques possèdent une collection non négligeable de documents sur l’histoire et la philosophie des sciences, sujets tout à fait d’actualité dans un environnement universitaire et scientifique. Mais on peut imaginer qu’il n’est pas nécessaire d’en avoir autant, éparpillés dans quatre localisations. Une bibliothèque pourrait être désignée comme référence sur le sujet, et le reste des documents non conservés pourraient être donnés à la bibliothèque d’Histoire des Sciences.
Il en est de même pour l’informatique où toutes les bibliothèques regorgent de livres sur les logiciels et langages de programmation, dont certains tout à fait obsolètes. Pour ce qui est des statistiques et probabilités, toutes les sciences utilisent ces outils. Mais on pourrait ne laisser dans chaque bibliothèque que les documents présentant les mathématiques appliquées au domaine couvert par la bibliothèque, ainsi qu’un ou deux ouvrages généraux de qualité, et rassembler l’excédant à la bibliothèque de mathématiques.
En général, définir les responsabilités des bibliothèques en matière d’achat et de conservation des différents domaines en présence paraît être la solution pour rationaliser la gestion des collections.
5 Conclusion
La redondance des sujets mise en lumière par cette étude est en partie nécessaire car elle concerne les catégories suivantes : les sujets inhérent à l’environnement scientifique (comme l’histoire ou la philosophie des sciences), les outils de base en sciences (comme les mathématiques ou l’informatique).
Diverses études se sont penchées sur la redondance de collections, notamment celle de Missingham & Walls (2003). Contrairement à celles-ci, notre étude se base sur sept bibliothèques spécialisées par domaines. De plus, nous n'avons analysé que les documents correspondant aux indices présents dans trois bibliothèques ou plus. Ainsi, notre étude concerne un sous ensemble des collections des bibliothèques de la Faculté des Sciences, choisi pour obtenir une estimation maximale de la redondance. Il est donc inapproprié de comparer nos résultats à ceux des études mentionnées précédemment. La suite logique de ce travail serait d'étudier les collections dans leur ensemble à l'aide d'un tableau d’indicateurs détaillé. Cela permettrait d'obtenir entre autres des chiffres comparables à la littérature mentionnée ci-dessus. Pour pouvoir tirer des conclusions définitives, il serait également important de prendre en compte les statistiques d'usages des collections.
Sur la base du tableau de concordance, une classification unique destinée à la gestion des collections pourrait être attribuée à chaque document, tout en gardant les classifications propres à chaque localisation pour le rangement en rayon. Cela permettrait de développer une vue d'ensemble des collections de la Faculté des Sciences et de mettre en place une gestion globale cohérente.
Si la gestion centralisée des sept bibliothèques, telle qu’envisagée à une période, semble difficile en tenant compte des remarques des chercheurs, on pourrait en revanche tout à fait imaginer une « centralisation des documents par domaines ». Selon ce modèle, chaque bibliothèque s’occuperait de ses domaines, ce qui est en partie déjà le cas du point de vue des acquisitions, mais pas de la gestion de la collection en général (désherbage par exemple). Pour les bibliothèques ayant des domaines se chevauchant, mathématiques et physique par exemple, chaque bibliothèque pourrait être désignée comme référence pour un certain nombre de sujets. Ainsi la répartition des acquisitions serait clarifiée et il serait plus facile de prendre des décisions en matière de désherbage. Six des sept bibliothèques se trouvant dans le même quartier, la contrainte de déplacement est légère, et le sentiment de réseau en serait renforcé.
Remerciements
Nous remercions Anne-Christine Robert, coordinatrice des bibliothèques de la Faculté des Sciences de l’Université de Genève, qui a commandité cette étude, et Bertrand Calenge pour la direction de ce travail dans le cadre de la formation du CESID.
Notes
(1) Le poste de Direction est vacant depuis août et les projets subiront certainement quelques retards.
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Eléments d’architecture pour une mémoire d’entreprise orientée processus métier
Ressi — 30 avril 2008
Mahmoud Brahimi, Université Lyon 3, France
Laid Bouzidi, Université Lyon 3, France
Résumé
Les entreprises disposent d’un capital de connaissances (documents, données, référentiels, messages, …) souvent mal exploité notamment durant l’exécution des processus métiers. A cela, plusieurs raisons peuvent être invoquées : des workflows peu ou pas automatisés, une exploitation très réduite de ces connaissances car seules les données sont principalement utilisées, l’absence d’architecture qui pourraient fédérer ou intégrer tous ces connaissances en vue d’une utilisation efficace. En outre, on constate que ces connaissances sont très peu reliées aux processus métier. De nombreuses tentatives ont vu le jour pour tenter de juguler ce manque de gestion de ce capital, à travers des systèmes de gestion de connaissances, de portails (intranet), ou plus largement par des mémoires d’entreprises. Toutefois de nombreuses préoccupations restent encore en suspens. Quelles sont les connaissances liées à un processus métier ? Quel est l’apport d’une mémoire d’entreprise pour l’exécution des processus métiers ? Comment considérer les liens entre les connaissances ? Quelles architectures génériques est-il possible d’envisager pour la construction des mémoires d’entreprise ? Voilà les questions auxquelles cet article tente de répondre.
Abstract
Enterprises have got a huge amount of knowledge (documents, data, emails, …) which is often bad treated particularly when a business process is executed. Several reasons motivate this fact among them: few or no automated workflow, exploitation limited of this knowledge because only data are mainly used, the lack of framework capable to federate or integrate all kind of knowledge for an efficient use. . In addition we observe that knowledge is not really linked with business processes. Several temptations were made in order to reduce this insufficiency of capital management using knowledge management systems, intranet, or more generally corporate memories. However many problems still require new solutions. What is knowledge linked to business process? Which is the contribution of corporate memories in the processes execution? How to considerer the link between knowledge? What are the generic architectures that can be envisaged for corporate memory building? These are the questions that this paper attempts to answer.
Eléments d’architecture pour une mémoire d’entreprise orientée processus métier
I. Introduction :
« La gestion des connaissances désigne la gestion de l’ensemble des savoirs et savoir-faire en action mobilisés par les acteurs de l’entreprise pour lui permettre d’atteindre ses objectifs » (Charlet et al, 1999). Plusieurs étapes ont été identifiées dans un processus de gestion de connaissances : il s’agit de l’explicitation de connaissances tacites repérées comme cruciales pour l’entreprise, du partage du capital des connaissances rendu explicite sous forme de mémoire et de l’appropriation et de l’exploitation d’une partie de ces connaissances par les acteurs de l’entreprise (Nonaka et Takeuchi, 1995). L’architecture décisionnelle autour de laquelle sont bâtis les systèmes d’aide à la décision assure le processus de transformation des données en informations à usage décisionnelle (Lebraty, 2000). Ces informations à usage décisionnel contribuent à l’amélioration des performances des savoir-faire structurés sous forme de processus métiers, et la connaissance contenue dans les ressources utilisées apporte des moyens pour l’amélioration de la prise de décisions. Cette prise de décision est fortement dépendante des informations et des connaissances qui vont servir de support à cette décision et des outils et des méthodes entrant dans l’exécution des processus. En effet, une décision est le fruit de l’utilisation d’un ensemble d’informations et de connaissances interprétées dans un contexte bien précis. Aussi, certaines catégories de processus peuvent faire appel au même ensemble d’outils et de méthodes, dont la mise en œuvre comporte de nombreux paramètres. Elles nécessitent de prendre des décisions sur le choix des outils et des méthodes dont la qualité influera fortement sur celle du processus. L’amélioration du processus va alors reposer principalement sur l’amélioration des décisions dans l’application de ces outils et méthodes. Les acteurs s’appuient pour cela sur des connaissances acquises antérieurement par d’autres et matérialisées sous forme de mémoires d’entreprise.
Pour capitaliser et rendre explicite des connaissances dans une entreprise, des méthodes issues de l’ingénierie des connaissances (tel que MASK, REX, CommonKADS, KOD, etc.) et du travail assisté par ordinateur (tel que QOC, DIPA, etc.) (Dieng-Kuntz et al, 2001) ont été élaborées. Ces méthodes permettent de définir des mémoires d’entreprise. Une mémoire d’entreprise est définie comme la « représentation persistante, explicite, désincarnée, des connaissances et des informations dans une organisation, afin de faciliter leur accès, leur partage et leur réutilisation par les membres adéquats de l’organisation, dans le cadre de leurs tâches ». Particulièrement, une mémoire métier peut être définie comme l’explicitation des connaissances produites dans et pour un métier donné. Les méthodes de capitalisation des connaissances utilisent des techniques d’ingénierie de connaissances pour extraire les connaissances, que ce soit auprès des experts ou à partir des documents, afin de les formaliser avec des modèles conceptuels, où la connaissance (dans notre cas en rapport avec les processus métiers) qui guide la résolution de problèmes est rendue explicite. Par ailleurs, (Nagendra Prasad et Plaza, 1996) définissent la mémoire d’entreprise comme « l’ensemble des données collectives et des ressources de connaissances d’une entreprise ». La gestion des connaissances selon cette approche, peut être vue comme « la gestion d’un réservoir de taille plus au moins importante rassemblant les connaissances de l’entreprise. La taille la plus petite correspondant à une mémoire individuelle, celle d’un expert d’un domaine donné, la taille la plus grande correspondant à la mémoire de l’entreprise et rassemblant à ce titre l’ensemble des connaissances sur l’organisation, les activités, les produits, etc., de l’entreprise.» (Meingan, 2002).
Selon la typologie de la mémoire d’entreprise, celle-ci peut inclure des connaissances sur les produits, les procédés de production, les clients, les stratégies de ventes, les résultats financiers, les plans et buts stratégiques, etc. Elle peut également inclure des bases de données, des documents électroniques, des rapports, des spécifications de produits et de la logique de conception. En effet, il existe une variété de typologies de mémoire d’entreprises : mémoire de projet, mémoire métier, mémoire distribuée, mémoire documentaire, mémoire à base de cas, etc. Les caractéristiques de quelques unes de ces mémoires d’entreprise sont définies dans (Gandon, 2002).
Pour atteindre les objectifs définis par la stratégique globale de l’entreprise, les acteurs disposent d’un capital de connaissances souvent très important matérialisé à travers les documents et les données mais aussi les référentiels, les messages électroniques, etc. (figure 1) mais généralement mal exploité durant l’exécution des processus métiers. A cela, plusieurs raisons peuvent être invoquées : des workflows peu ou pas automatisés, une exploitation très réduite de ces connaissances car seules les données sont principalement utilisées, l’absence d’architecture qui pourraient fédérer ou intégrer toutes ces connaissances en vue d’une utilisation efficace.
Nous proposons dans ce papier de concevoir une architecture de mémoire d’entreprise orientée processus métier permettant de mettre à la disposition des acteurs les fonctionnalités nécessaires à l’intégration de nouvelles connaissances et tenant compte de l’obligation, pour les entreprises, de disposer d’un outil fédérateur capable de s’interfacer avec le système d’information de l’entreprise et d’interroger simultanément et « intelligemment » les ressources de connaissances via une interface d’accès centralisé.
Figure 1. Synoptique général des ressources nécessaires à l’exécution d’un processus métier
II. Connaissances liées aux processus
La définition de référence des processus est aujourd’hui celle qui est donnée par la norme ISO9000 :2000. C’est « un ensemble d’activités corrélées ou interactives qui transforme des éléments d’entrée en éléments de sortie ». Cette définition est succincte, ce qui autorise une application très large. On peut donner la définition suivante dans le cadre d’un processus métier : « un processus métier est un ensemble d’activités, entreprises dans un objectif déterminé. La responsabilité d’exécution de tout ou partie des activités par un acteur correspond à un rôle. Le déroulement du processus utilise des ressources et peut être conditionné par des événements, d’origine interne ou externe. L’agencement des activités correspond à la structure du processus ».
Un processus métier organise le travail des acteurs pour répondre à des objectifs définis par la stratégie de l’organisation; l’objectif étant l’expression de la finalité du processus.
L’acteur est une personne physique, une entité organisationnelle ou une machine qui prend une part aux activités du processus. Ainsi, pour S.Alter (Information Systems : A Management perspective, 3eme éd., The Benjamin /Cummings Publishing Company, 1999), un processus est un ensemble coordonné d’activités, visant à produire un résultat pour des clients internes ou externes, et exécuté par des acteurs humains ou automates, utilisant des ressources.
L’activité est un ensemble de travaux correspondant à une unité d’évolution du système. Les activités décrivent comment l’objectif d’un processus pourra être atteint. Pour pouvoir maîtriser le déroulement d’un processus, on s’attache à faire apparaître différents états. On considère que les travaux de l’activité modifient l’état du système processus et permettent le passage d’un état stable à un autre.
L’acteur peut être interne ou externe à l’entreprise, et un processus peut ainsi être exécuté par plusieurs partenaires qui coopèrent. En général, les acteurs interviennent dans le cadre organisé du processus, c'est-à-dire que les activités ont été regroupées pour être confiées à un même acteur.
L’évaluation des processus entre généralement dans le cadre de l’évolution du système d’information de l’entreprise et permet de mesurer l’écart entre l’objectif du processus actuel, tel qu’il est perçu et vécu par les différents acteurs, et l’objectif tel qu’il découle de la stratégie de l’entreprise. L’évaluation peut être structurée en deux niveaux : dans un premier niveau, le processus existant est observé globalement par rapport à son apport au management et au fonctionnement de l’entreprise, ce qui permet entre autre d’estimer l’importance et la pérennité des connaissances mises en œuvre dans le processus existant et des savoir-faire acquis par les acteurs, et dans un deuxième niveau, le processus est analysé en détail et la mise en évidence de problèmes ou de carences prépare des améliorations, voire même des ruptures. C’est ainsi que les indicateurs de performance des processus doivent être améliorés en permanence et impliquent :
- la réduction du temps de traitement des instances de processus (efficacité) ;
- l’élimination des tâches ou activités non indispensables (contrôle, support, coordination,…) et la réduction du coût de celles que l’on conserve (efficience) ;
- l’augmentation de la satisfaction du client en améliorant la qualité des processus (l’élimination des tâches ou activités jugées non indispensables ou n’ajoutant aucune valeur ne doit en aucun cas diminuer la qualité de la relation avec le client) ;
- pouvoir répondre rapidement à des demandes de travaux inhabituelles en quantité ou en qualité et la possibilité de modifier facilement la structure et les activités du processus (flexibilité).
Cependant, les dispositions d’amélioration peuvent avoir des effets contradictoires. Ainsi, l’augmentation de la flexibilité est souvent coûteuse. Une plus grande efficacité entraîne parfois une rigidité accrue. Une focalisation sur les coûts et l’efficience peut se faire au détriment de la relation client, de l’efficacité et de la flexibilité. L’orientation du choix du vecteur d’amélioration et des actions conduisant à l’évolution du processus nécessite le ciblage sur une catégorie d’objectif considérée comme la plus importante pour l’organisation.
Le métier est l'ensemble des activités qui mobilisent des compétences et savoir-faire. Ces activités sont les unités élémentaires pour la décomposition des processus (les processus métier), et pour l’adaptation continue au changement.
II.1. Description des connaissances
La définition du processus métier telle qu’énoncée plus haut précise que l’exécution d’un processus par les acteurs de l’organisation nécessite le savoir-faire de ces derniers matérialisés sous forme de connaissances tacites ou explicites. Il nécessite aussi l’utilisation des ressources qui se résument en un ensemble de moyens, d’informations et d’outils nécessaires au déroulement des activités du processus. Ces ressources, matérialisées sous forme de documents, données du système d’information, e-mails, messages vidéo, messages audio, etc…, renferment des connaissances et des informations utiles et nécessaires pour l’exécution des processus et qu’il faudra capturer et intégrer dans des mémoires d’entreprise en utilisant les méthodes issues de l’ingénierie des connaissances. Une fois intégrées, ces informations et connaissances sont souvent diffuser via les intranets des entreprises et permettent ainsi d’être des sources importantes pour guider et orienter les acteurs de l’organisation tout au long de l’exécution du processus et améliorent, au fil du temps, les indicateurs de performance de ces derniers (figure 2).
Figure 2. Processus d’acquisition de connaissances et principaux concepts associés
II.2 Réseaux de connaissances et représentation
La perception de ce qu’est ou devrait être une représentation de connaissances s’est nettement affinée au cours des dernières années, voir synthèse dans [Davis 93]. Parmi les formalismes généraux de représentation des connaissances proposés dans la littérature :
- le formalisme des réseaux sémantiques (Quilian ,1968),
- le formalisme des frames est attribué à Marvin Minksy (Minsky, 1975),
- les logiques de description, appelées aussi logiques terminologiques ou logiques de concepts, par exemple : KLONE (Brachman, 1977), logiques de description [Bläsius 89] ;
- les graphes conceptuels, introduits par J. F. Sowa (Sowa, 1984) et muni d’une définition formelle grâce à des travaux tels que ceux de M. Chein et M-L. Mugnier [Chein 92, Mugnier 96].
Plus récemment, d’autres langages, associés à une syntaxe XML, sont apparus avec l’émergence du web sémantique [Dieng 02] : RDF, RDFS, OWL, XTM…
Il existe des liens entre les différentes sources d’information. Ces liens sont le plus souvent d’ordre sémantique. Par exemple, entre un message électronique d’un client et un référentiel client, il existe un lien permettant de dire que le message a été envoyé par un client enregistré dans le système d’information de l’entreprise dans lequel il est possible de retrouver les coordonnées détaillées du client. Les liens entre les documents et les autres sources de données est un peu plus complexe. Selon le degré de précision souhaité, les liens entre les documents et les autres sources se fera par rapport à des unités de documents les plus fines possibles (il peut s’agir du paragraphe ou de la section dans le cas d’un document de type rapport par exemple). Les liens entre les sources multimédia et les autres sources de données sont des liens qui peuvent permettre de retrouver des composants multimédias à partir d’éléments ou fragments textuels se trouvant dans des sources d’information documentaire ou de données. Ces fragments constituent alors des éléments d’indexation et de recherche. Toute source d’information peut être représentée par un graphe. C’est ainsi que :
- les données du système d’information peuvent être représentées par des graphes de dépendances fonctionnelles et/ou d’inclusion,
- les documents ou messages peuvent être représentés par des graphes où les sommets représentent des unités documentaires et les nœuds terminaux des contenus. Les arcs désignent les liens sémantiques ou de structuration entre éléments documentaires,
- les sources multimédia seront représentées par des graphes dans lesquels les sommets sont des unités d’indexation et les arcs des liens entre ces unités.
L’intérêt d’une représentation en graphe est de pouvoir effectuer le même type de raisonnement sur les différentes sources de données (recherche de chemin, recherche d’éléments, vérification de propriétés, recherche de similarité, etc.) et de pouvoir exprimer les liens entre les sources de manière uniforme. Nous obtenons ainsi un réseau de graphe dans lequel les liens permettent le passage d’un graphe d’une source à un autre graphe d’une autre source. Formellement, soit G1={S1, T1} et G2={S2,T2}, 2 graphes pour 2 sources de données, alors on peut définir un réseau R={Sr, Tr} construit tel que P1(Sr) ? S1 et P2(Sr) ? S2, Pi est une partie de R. Tr est l’ensemble des liens Lr tel que une élément de Lr relie 2 sommets de G1 et G2.
Le réseau de connaissances ainsi construit est alors un support pour les processus métier en vue d’accéder aux informations nécessaires à son exécution. L’accès à un élément d’information appartenant à une source quelconque va entraîner la recherche d’autres informations appartenant à d’autres sources grâce à une navigation dans le réseau de connaissances. Parmi de nombreuses approches de modélisation des connaissances les ontologies sont apparues comme un outil incontestable de modélisation des connaissances du domaine. Rappelons qu'une ontologie est une description des concepts et des relations caractérisant un domaine. Plusieurs ontologies de domaine ont été développées dans différents secteurs d'activité. Ainsi, l'utilisation des ontologies pour la modélisation des connaissances du domaine s'est vue croître ces dernières années notamment dans les domaines suivants: médecine, biologie, environnement, tourisme et domaine juridique. D’un point de vue formel, une ontologie de ramène à une représentation et manipulation de graphes (ou de réseaux).
II.3. Représentation des processus métier
La description des processus métiers peut se faire sous forme de texte et/ou sous forme d’illustrations. Cependant, la communication, est un enjeu important dans les études sur les processus à tous les stades des travaux. Plusieurs acteurs ayant des cultures et des préoccupations différentes sont impliqués dans ces travaux. L’utilisation de formalismes partagés par une communauté d’acteurs facilite la communication, épargne l’effort d’explicitation des termes méthodologiques employés et guide le modélisateur dans la sélection d’éléments clés à faire figurer. Chaque méthode fournit une collection de modèles, de digrammes et une démarche plus ou moins adaptée aux besoins d’un projet particulier. L’application stricte des méthodes a laissé la place à une utilisation plus pragmatique des modèles et diagrammes en fonction des besoins rencontrés. Les acteurs chargés de décrire et d’améliorer un système, ont maintenant une « boite à outil » dans laquelle ils peuvent trouver le formalisme adapté à la réalisation de leur tâche.
Différentes techniques permettent de décrire les processus. Elles sont proposées à travers des ensembles méthodologiques plus larges. Certains ont fait l’objet d’une normalisation telle que IDEFO et UML, d’autres sont le résultat de projets publics et ont reçu un appui officiel telle que OSSAD et MERISE.
Les diagrammes d’activités de UML ou les modèles conceptuels de traitements de MERISE sont des techniques de représentation des processus souvent utilisés. Toutefois, les réseaux de Pétri (RdP) sur lequel ces techniques s’appuient fournissent une représentation plus formelle des processus. Le réseau de Pétri (RdP) est une spécification mathématique qui se base sur des outils graphiques permettant de modéliser et analyser les systèmes discrets, plus particulièrement les systèmes concurrents et parallèles [Petri62]. Le succès des RdP est dû à plusieurs facteurs. Grâce à son rôle d’outil graphique, il est possible de produire une compréhension facile du système modélisé. Il permet également de simuler les activités dynamiques et concurrentes. De plus, son rôle d’outil mathématique permet d’analyser le système modélisé grâce aux modèles de graphes et aux propriétés algébriques (borné, vivacité du réseau, absence de blocage, etc...). Un RdP est un graphe biparti comprenant deux sortes de nœuds : les places et les transitions. Les arcs de ce graphe relient les transitions aux places ou les places aux transitions. Les places contiennent des jetons qui vont de place en place en franchissant les transitions suivant des règles de franchissement [Reisig98].
L’avantage de tels réseaux est de pouvoir effectuer un certain nombre de vérifications qui pourraient mettre en avant des dysfonctionnements des processus tel que les inter-blocages par exemple. Par ailleurs, l’extension des RdP pour préciser les conditions de déclenchement des transitions est possible. En l’occurrence, pour un processus métier, le déclenchement d’une de ses transitions peut être soumis à un déclenchement manuel que réaliserait un acteur lorsqu’il aura pris connaissance des informations nécessaires à l’exécution de la transition. Des expressions logiques peuvent également être attachées aux transitions. Leur évaluation peut être élaborée à partir de l’agrégation d’information multi-sources.
II.4. Connexion processus – connaissances
L’exécution du processus nécessite des informations provenant de sources hétérogènes. Le déclenchement d’une activité est toujours conditionnel. Il nécessite l’arrivée d’évènements, représentée par la production de jetons dans les places, mais doit être validé par l’expert lorsqu’il prend connaissances des informations provenant des sources de données, de documents, de messages, etc. Cette validation est représentée par des liens (arcs du RdP) que l’on peut qualifié d’exogènes, par rapport aux arcs (natifs) du RdP que nous qualifierons d’endogènes. Dans la figure 3, on notera que le processus représenté par une activité (la transition du RdP) nécessite un jeton sur la place en entrée mais également la validation des informations provenant du réseau de connaissances constitué :
Figure 3. Connaissances nécessaires à l’exécution du processus représenté par un RdP. Le processus est décrit par un réseau de Pétri (à 2 places pour simplifier l’illustration). La transition correspond à l’exécution d’une activité. Les flèches en pointillés symbolisent le fait que l’activité a besoin d’information de type données, documentaires, mail, …
III. Proposition d’une architecture d’une mémoire d’entreprise
Cette section consacrée au cœur de notre proposition commence par présenter une étude de cas qui met en évidence la nécessité, pour les entreprises, de disposer d’un outil fédérateur capable d’interroger simultanément et « intelligemment » les sources de connaissances d’une entreprise à travers divers supports que sont les bases de données, les serveurs de messageries, les bases de documents, etc. La proposition d’architecture d’une mémoire d’entreprise orientée processus métier que nous faisons vise à prendre en charge les outils qui permettent d’offrir la « bonne information » aux acteurs des processus.
III.1. Etude de cas
Une société de négoce international en produits agricoles et alimentaires, qui assure deux métiers principaux : le négoce et le courtage Ces deux métiers, aux finalités très différentes, sont effectués par un même intervenant au sein de la société. En effet, dans une même journée, il peut être à la fois courtier et négociant. Cette situation peut aller jusqu'à "convertir" un contrat de courtage en contrat de négoce. La société est donc extrêmement souple au niveau de son activité. La finalité majeure est :
- Acheter des produits a des fournisseurs dans l'intention de les revendre,
- Gérer des stocks virtuels; ceux-ci sont présents sous la forme de lots réserves chez les fournisseurs, ou en cours de transfert vers les clients
- Financer les opérations d'achat et de vente,
- Assurer la marchandise et les transports,
Nous considérons ici le processus d’affrètement qui consiste à établir les contrats de transport (fixant le prix, la quantité, le point d'enlèvement, le point de destination, la date d'enlèvement, etc,).
Les messages
- appel client : Il s'agit d'une demande de produit en termes de qualité, quantité et date faite par le client, ou bien une proposition faite par le vendeur à un client dans les mêmes termes.
- proposition : C'est une proposition ferme faite à un client suite à une demande; le client approuve en effectuant une confirmation de contrat.
Les documents
- contrat (vente ou achat) : C'est le document qui engage les deux parties d'une manière contractuelle. Il ne concerne qu'un seul produit. On y consigne des informations telles que le produit, la quantité, la qualité, la marque, le prix, le mode de conditionnement, le mode de paiement, la date d'exécution, le lieu de livraison, les clauses particulières.
- avis de réception : Cet avis confirme le transfert de propriété; le produit livré correspond bien aux attentes du client et aux termes du contrat. Le client est désormais propriétaire de la marchandise livrée.
- contrat de transport : document contractuel qui engage la société et un transporteur. On y consigne des informations telles que le produit, la quantité, le mode de conditionnement, le prix, les dates d'enlèvement et de livraison, les points d'enlèvement et de livraison, les points de dédouanement. Plusieurs transporteurs pouvant intervenir pour une même livraison (terre, mer, air).
- ordre de transport : C'est la demande de confirmation de l'exécution d'un contrat de transport. Cet ordre est généralement accompagné de la demande d'identification transport afin de retransmettre cet identificateur au fournisseur et aux transitaires en douane.
- avis d'expédition : C'est un message avisant le fournisseur de l'enlèvement d'une certaine quantité de produit établie lors d'un contrat d'achat. Ce message indique la date d'enlèvement, l'identificateur du transporteur et le moyen de transport.
- bon d'enlèvement : C'est un document remis au fournisseur par le transporteur lorsqu'il se présente au point d'enlèvement. (idem pour les enlèvements intermédiaires)
- facture proforma : C'est une facture donnée à titre indicatif afin d'identifier une transaction qui s'est effectuée entre ALIX et un client; celle-ci est surtout utile aux transitaires afin de répertorier le passage en douane.
- documents douaniers: Ce sont les documents de dédouanement établis par les transitaires, indiquant la nature du passage en douane en termes de produits, quantité, valeur monétaire. Ces documents sont visés par le service des douanes et ils attestent du passage conformément au règlement des douanes.
- certificats vétérinaires : Ce sont des certificats visés par des organismes agréés attestant de la conformité du produit par rapport aux normes européennes et internationales en terme qualitatif et sanitaire.
- bon de livraison : C'est la confirmation vis-à-vis d'un client de la livraison d'une certaine quantité de produit à une certaine date. Cette livraison est en rapport avec un contrat de vente. Il est également mentionné l'identificateur du transport. Ce bon est en général apporté au client par le transporteur.
Les données Cette société s’appuie sur le modèle de données suivant (figure 4), illustré par son modèle logique, pour gérer les données de gestion et les données métiers.
Figure 4. Modèle logique de données pour une entreprise de négoce internationale
Le processus de gestion de l’affrètement est illustré au travers un enchainement d’activités. On notera que ces activités nécessitent données et documents pour être exécutées le plus efficacement possible, ce qui implique une structuration robuste des informations nécessaires, une gestion rigoureuse et une répartition des responsabilités de mise à jour. A titre d’exemple, pour négocier des contrats de transports, outre l’intérêt de connaitre les données sur les transporteurs, les livraisons, les clients et fournisseurs, il est utile de connaître les règlements, les conventions et avoir accès aux informations juridiques nécessaires à une bonne négociation. Aussi, lors de l’exécution de l’activité « choix/appel transporteur/négociation » (figure 5) qui permet, entre autre, de choisir le transporteur pour la négociation, l’acteur de l’entreprise doit-il disposer des moyens lui permettant de consulter toutes les ressources d’information de son entreprise pour rechercher touts documents, informations ou autres types de données provenant de ces transporteurs les rendants indisponibles pour le transport. Ce contrôle peut augmenter la durée du cycle de vie du processus mais garantira la qualité du résultat de ce dernier et améliorera son efficacité. Nous nous appuyons sur l’hypothèse qu’il est préférable de ralentir un processus pour garantir la qualité des résultats produits. L’accès se fait, généralement, par le biais d’une multitude d’outils. L’absence d’un moteur de recherche permettant l’interrogation simultanée des sources d’informations (serveur GED, serveur mail, serveur multimédias, serveur de données, etc.) amène l’acteur de l’entreprise à interroger plusieurs outils (tous les serveurs de l’entreprise) séparément avant de réunir les informations répondant à la même requête, à savoir « y a-t-il eu des informations, non encore prises en compte par le système, qui peuvent modifier la liste-transport après son établissement par l’activité précédente? ». Du point de vue des acteurs de l’entreprise, pour des raisons de gain de temps et d’amélioration de l’efficacité des processus, il serait souhaitable de n’avoir qu’une seule interface permettant d’interroger plusieurs sources d’information et de disposer, ainsi, d’un outil fédérateur capable d’interroger simultanément toutes les sources de connaissances. Cet outil fédérateur met à la disposition de l’acteur de l’entreprise des documents et des données qui lui permettent de distinguer les documents et données utiles en fonction du contexte. Ce dernier pouvant être défini par rapport au client, fournisseur et transporteur. En effet, l’acteur peut mener des négociations différentes selon qu’il s’agit d’un transporteur aérien ou routier, d’un fournisseur de denrées biologiques ou de produits carnés, ou encore d’un client local et un client international. Les différences d’appréciations relèvent des contrats qui sont le plus souvent individualisés. La sous-section III-3 répond à ces questionnements en proposant une architecture de mémoire d’entreprise orientée processus métier et s’appuyant sur une approche hybride basée sur l’ingénierie des connaissances, l’ingénierie documentaire et la médiation sémantique et exploitant le référentiel processus comme ontologie de domaine.
Figure 5. Processus illustrant de l’affrètement pour une société de négoce. Les activités sont symbolisées par des ovales
III-2. Architecture générale pour une mémoire d’entreprise orientée-métier
Causannel (Caussanel, 1999) distingue au travers des différents travaux qui ont été réalisés dans le domaine de la gestion des connaissances, l’approche orientée information de l’approche orientée connaissances. Selon l’auteur, l’approche orientée information pour la gestion des connaissances se concentre sur l’amélioration de la gestion et de l’échange d’informations en essayant d’éviter les frontières organisationnelles ou professionnelles. Elle se fonde sur l’élaboration d’outils informatiques facilitant le travail coopératif et la communication entre les différents collaborateurs de l’entreprise (ex : outils de groupware). Elle permet également l’échange de connaissances explicites au moyen d’outils de type workflow ou gestion documentaire. L’approche orientée connaissances, très liée aux recherches effectuées en Ingénierie des Connaissances, se base sur une étape de capitalisation qui consiste à recenser puis à modéliser les connaissances (Abecker, 1998). Les connaissances sont alors modélisées (i.e. représentées sous forme d’informations) tout en intégrant une sémantique et un contexte pour former une Base de Connaissances. L’élaboration d’un tel système correspond à une phase de capitalisation d’un sous-ensemble ou de l’ensemble des connaissances de l’organisation.
C’est dans la première approche que s’inscrit notre contribution. Pour tenter une définition de la mémoire d’entreprise sur le plan technique, nous dirons qu’une mémoire d’entreprise est l’ensemble des outils permettant de rechercher et d’exploiter l’ensemble des ressources de l’organisation ou de l’entreprise en vue de reproduire des savoir-faire, de rendre efficace des processus, et de capitaliser les connaissances. Pour concevoir une telle mémoire d’entreprise, il est important d’en définir une architecture. Celle que nous proposons ici vise à fournir l’infrastructure modulaire nécessaire à l’élaboration d’un système de gestion des connaissances qui s’interface avec le SIE tout en s’appuyant sur les techniques du Web sémantique et les standards des technologies de l’information et de la communication. Au sein de cette architecture (figure 6), trois niveaux sont distingués :
- le niveau exploration de la mémoire d’entreprise qui fournit des services directement destinés aux différentes catégories d’utilisateurs de la mémoire en s’appuyant sur l’infrastructure de gestion ;
- le niveau gestion de la mémoire d’entreprise qui est doté d’un ensemble de modules et de composants qui fournissent les fonctionnalités élémentaires de la gestion de la mémoire d’entreprise ;
- le niveau sources d’information de l’entreprise au sein duquel sont localisées les ressources de connaissances.
Cette architecture permet de mettre en œuvre un processus d’intégration (voir section IV) qui vise à aider un acteur d’une entreprise dans la recherche d’informations utiles à l’exécution des processus métier. Cette architecture nous permet donc d’envisager un mémoire d’entreprise orientée processus métier car elle peut être sollicitée à chaque exécution d’une activité qui nécessite des données complexes provenant de sources hétérogènes.
Figure 6. Architecture technique générale pour une mémoire d’entreprise orientée-métier A noter qu’un wrapper est un traducteur qui, dédié à une base de données en particulier, traduit les informations venant du médiateur en un langage compréhensible par les bases de données à laquelle il est attaché, et inversement. Un médiateur quant à lui est chargé d'interroger une ou plusieurs bases de données et est donc relié à un ou plusieurs wrappers
III.2.1. La couche exploration
L’exploration de la mémoire d’entreprise comprend un nombre de services permettant à des acteurs différents de l’entreprise d’accéder à des informations pour optimiser les processus qu’ils exécutent. Les services offerts par la couche exploration doivent donc être tournés vers les acteurs. Ils permettent la gestion des profiles, des contextes et des interfaces. On peut y trouver des fonctions d’adaptation des interfaces aux contenus selon qu’il s’agisse de pocket PC, de téléphone portable, etc. La gestion des profils permet de prendre en compte l’organisation des responsabilités des acteurs au sein de l’entreprise. En effet la mémoire d’entreprise doit s’adapter à l’acteur. Par exemple, un décideur a besoin de connaissances synthétiques, un acteur lambda a besoin de connaissances opérationnelles. La gestion du profil s’appuie sur la description, le plus souvent hiérarchique des acteurs. La mémoire d’entreprise doit également prendre en compte le contexte qui peut se déterminer par rapport à un ensemble de tâches effectuées par l’acteur. Le contexte se définit alors par la trace d’exploitation de la mémoire d’entreprise dans un intervalle de temps. La combinaison du profil des acteurs et des contextes d’utilisation permet d’affiner les attentes des acteurs et de rendre pertinent les processus de recherche de l’information. Faciliter la mise en contexte de l’information est également un objectif de la couche d’exploration car une information est d’autant plus vite assimilée qu’elle est présentée dans un contexte proche de celui que l’acteur connaît bien.
III.2.2. La couche gestion de la mémoire
La couche de gestion de connaissances réutilisables est chargée de mettre à la disposition des utilisateurs, en particulier les experts du domaine, des fonctionnalités nécessaires à l’intégration de nouvelles connaissances dans le système. Grâce à ces fonctionnalités l’expert doit pouvoir saisir les connaissances implicites selon le formalisme du référentiel des processus préalablement prédéfini et transformer ainsi les savoir-faire en une matière utilisable. Cela passe souvent par la mise en œuvre d’ontologies de processus métier. Une solution pratique est ensuite de générer les éléments de connaissances introduits par l’expert, en documents XML selon des structures prédéfinies par les DTDs ou de schéma XML par exemple. Les principales fonctionnalités des modules de modélisation, de gestion, et de simulation des processus concernent :
- l’intégration et la validation des connaissances sous forme de ressources documentaires générées en format XML ;
- l’association de métadonnées aux ressources documentaires;
- l’enregistrement et la pérennité des connaissances nouvellement intégrées dans le serveur ;
- la recherche des ressources documentaires selon des métadonnées.
L'indexation étant l'étape préparatoire pour la recherche dans la mémoire d’entreprise, le module d’indexation se connecte systématiquement à la base de connaissance via le module de traitement de requêtes. Le module de traitement des requêtes (médiateur) est responsable de fournir les résultats pertinents aux requêtes des utilisateurs de la mémoire d’entreprise. Il est chargé d’analyser et de traiter les requêtes exprimées par l’utilisateur afin de construire des requêtes précises. Ces traitements reposent sur la base de connaissances, où le module permet l’interrogation du schéma de l’ontologie à la fois pour l’explorer et pour s’assurer de sa cohérence. L’interrogation de l’ontologie se caractérise donc par deux aspects importants :
- la possibilité d’interroger ou explorer le schéma aussi bien que le contenu de l’ontologie, et ;
- le raisonnement sur les concepts et les instances de l’ontologie.
III.2.3. La couche source d’information
Le principe de l'architecture du système à mettre en place consiste à autoriser un accès centralisé et structuré à des sources d’information multiples et hétérogènes. Une des approches les plus usuelles est d’utiliser la notion de « médiateur ». Dans cette approche, les données restent stockées et réparties au niveau des sources d’information, ce qui est fort intéressant dans le cadre de la mise en place de mémoires d’entreprise autour d’un existant. Le médiateur joue alors le rôle d’interface entre l’utilisateur et les sources d’information en lui donnant l’impression qu’il interroge un système centralisé et homogène. Les programmes à écrire doivent pouvoir permettre :
- L’extraction des données et informations des bases sources (selon les requêtes prédéfinies) ;
- La comparaison de ces informations avec les requêtes des acteurs (matching) ;
- La conversion de ces information sous forme exploitable (documents xml ou html) ;
Lorsque l'on doit interroger différentes bases de données, plusieurs problèmes sont à prendre en compte dont les suivants :
- la disparité des types de données
- la différence entre les langages d’interrogation des divers systèmes
- l’hétérogénéité des schémas de données.
Lorsqu'un utilisateur émet une requête vers une interface centrale, cette interface doit déterminer vers quelle(s) source(s) envoyer la requête, et doit aussi être capable de modifier la requête si nécessaire avant de l'envoyer à une source. Cette requête doit arriver au système gérant la source de données dans un langage compréhensible par ce système. Pour réaliser l’interprétation aussi bien des requêtes que des résultats, il est nécessaire de disposer d’un système capable de réaliser ces deux fonctions. On parle alors de « médiateur ». Un médiateur peut donc "dialoguer" avec plusieurs wrappers (qui, de plus, peuvent aussi être interrogé par différents médiateurs). Un wrapper sera en revanche dédié à une seule source de données.
Le rôle du médiateur est donc "d'aiguiller" la requête vers la bonne base de données. Ensuite, un wrapper va être chargé de traduire la requête dans le langage compréhensible par le système gérant la base de données en question. Le wrapper récupère ensuite la réponse du système et la renvoie au médiateur après l'avoir traduite dans le langage compréhensible par le médiateur. Les wrappers ont également pour rôle de transformer les sources de données de « la couche source de données » en documents XML pour faciliter la fusion des résultats. On a ainsi les transformations suivantes :
- système GED -> document XML GED
- serveur mail -> document XML mail
- référentiel données -> document XML référentiel données
- données de gestion -> document XML données de gestion
III.3. Complémentarité entre l’Ingénierie documentaire et l’Ingénierie des connaissances
La conception et la réalisation d’une telle architecture se doit de combiner différentes approches et techniques. Les dimensions « document » et « connaissance » sont centrales dans une mémoire d’entreprise et nécessite donc aussi bien l’usage de techniques documentaires que de technique de gestion de connaissances. En effet :
- L’ingénierie documentaire désigne « le projet de recourir à des éléments de structuration du contenu des documents et à des métadonnées de description pour faciliter la gestion des documents à travers tout leur cycle de vie » (Parent et Boulet, 1998). S’agissant des ressources électroniques, ces métadonnées ont pour rôle d’offrir la possibilité d’accéder à des parties d’un document à travers sa structure et de pouvoir y naviguer intelligemment (Le Maitre et al, 2004).
- L’ingénierie des connaissances correspond, quand à elle, à l’étude des concepts, méthodes et techniques permettant de modéliser et/ou d’acquérir les connaissances. De fait, les méthodes et techniques utilisées dans ce domaine sont utiles notamment pour « construire une mémoire d’entreprise basée sur le recueil et la modélisation explicite des connaissances de certains experts ou spécialistes de l’entreprise. Elle peut aussi servir pour une représentation formelle des connaissances sous-jacentes à un document ». (Dieng et al, 2000). « L’ingénierie des connaissances modélise les connaissances d’un domaine pour les opérationnaliser dans un système destiné à assister une tâche ou le travail intellectuel dans ce domaine (résolution de problème, aide à la décision, consultation documentaire, etc.) » (Bachimont, 2004).
Les techniques de l’ingénierie documentaire qui s’appuient sur des langages de description SGML, XML, RDF, RDFS, etc. offrent un bon niveau dans l’indexation, le stockage et la recherche d’informations. Par exemple, RDF permet d’annoter des documents avec un formalisme permettant de faire référence à des connaissances terminologiques sous formes d’ontologies. De cette manière, une requête de recherche d’information peut faire l’objet de raisonnements élémentaires reposant sur les connaissances modélisées. XML étant amené à jouer le rôle de standard international pour les documents structurés, cela permet d’assurer la pérennité des documents et des informations à long terme, dans le cadre de la mémoire d’entreprise. Cela ménage la possibilité de migrer vers de nouveaux outils de gestion documentaire en conservant le patrimoine d’information.
C’est ainsi que pour atteindre l’objectif visé par cet article et décrit dans l’introduction, le recours à l’ingénierie documentaire nous parait évident et l’avantage de combiner différentes méthodes et techniques issues de l’ingénierie des connaissances et l’ingénierie documentaire est de bénéficier des solutions complémentaires que fournissent ces deux domaines pour la gestion des connaissances ainsi que l’usage des méthodes associées de représentation des connaissances qui incluent le raisonnement et l’inférence.
IV. Processus d’intégration
Dans notre architecture, les couches interagissent entre elles. Le principe repose sur la notion de services ; aussi la couche n s’appuie t-elle les services de la couche n+1. C’est ainsi que la couche exploration sollicite la couche de gestion pour pouvoir répondre aux acteurs sur des besoins de d’interrogation, de recherche, de modélisation, d’indexation, etc. La couche de gestion sollicite la couche de données pour des besoins de restitution de connaissances issues de différents serveurs (données, GED, serveur de mails, …), mais aussi des besoins de stockage et d’accès au données. Sur la figure 6, on note, en guise d’illustration, que la couche exploration peut solliciter la couche de gestion pour assurer toutes les tâches liées à la manipulation des processus (création, stockage dans le référentiel, etc.). La couche exploration peut solliciter la couche de gestion pour interroger la mémoire d’entreprise en termes de connaissances (sur la figure 6, le message correspondant à la requête d’un acteur illustre ce fait). On notera qu’une bonne partie des échanges entre les couches doit se faire à travers l’utilisation de XML pour assurer la pérennité nécessaire à ce type de mémoire. Le principe de fonctionnement et d’articulation des couches, illustré par la figure 7, se fait selon un certain nombre d’étapes qui organise en séquence des processus décrits en section IV.2.
IV.1. Liste des processus d’intégration des sources hétérogènes
Processus de formulation : ce processus est déclenché par un acteur externe. Dans ce processus :
- l’acteur se positionne comme utilisateur de la « couche exploration » ;
- l’acteur formule une requête de type : quelles sont les informations nécessaires pour exécuter ma requête et améliorer la performance de mon processus ?;
Processus de transformation : ce processus se charge de construire des requêtes suite aux exigences de l’acteur. Il se base notamment sur la transformation de demandes des acteurs sous une forme compréhensible par la « couche de gestion ». Il soumet la requête au médiateur.
Processus de médiation : ce processus se déroule selon les étapes suivantes :
- réception des requêtes par « la couche de gestion » ;
- le médiateur de « la couche de gestion » contient les schémas de tous les documents XML de « la couche source de données ». Il sollicite les « wrapper » en prenant le soin de transformer la requête qu’il reçoit en autant de services d’exécution des requêtes que de sources de données (service d’exécution des requêtes « mail », service d’exécution des requêtes « GED », service d’exécution des requêtes « référentiels données », service d’exécution des requêtes « données de gestion ») ;
Processus d’extraction : à travers les wrappers, les services d’exécution des requêtes (mails, GED, référentiels données, données de gestion) interrogent respectivement les documents XML correspondants dans la « couche source de données » ; les résultats des interrogations sont stockés respectivement dans :
- « document résultat XML mails » correspondant au résultat de l’interrogation des documents XML mail de « la couche source de données » ;
- « document résultat XML GED» correspondant au résultat de l’interrogation des documents XML GED de la « couche source de données » ;
- « document résultat XML données » correspondant au résultat de l’interrogation des documents XML données de « la couche source de données » ;
- « document résultat XML données de gestion » correspondant au résultat de l’interrogation des documents XML données de gestion de « la couche source de données ».
Processus de restitution : c’est le processus qui est exécuté en fin de séquence en ordonnant les étapes suivantes :
- fusion de ces résultats en un seul « document XML résultat » ;
- application de feuille de style XSL au « document XML résultat » et retour vers l’utilisateur;
- visualisation du « document XML résultat » par l’utilisateur.
Figure 7. Processus d’intégration qui met en œuvre les grandes fonctions de la mémoire d’entreprise
Il est à noter qu’une tâche récurrente est exécutée par le système indépendamment des accès explicites des utilisateurs. Cette étape permet d’indexer toute nouvelle source d’information et alimenter la base de connaissances. L’indexation est une tâche cruciale qui nécessite des experts du domaine pour le choix des termes du corpus à indexer. Dans notre solution, le système d’indexation permet en outre d’établir des liens entre sources hétérogènes dans le cadre de processus métier clairement définis en termes d’activités, d’acteurs et de ressources.
IV.2. Illustration : aide à la négociation de contrats
Lors du processus d’affrètement d’une entreprise de négoce international présenté dans la section III.1, un acteur est amené, lors de la négociation de contrats avec des transporteurs, à solliciter des informations pouvant provenir des bases de données et des référentiels, des messageries et du système documentaire. La première source va permettre à l’acteur d’accéder à des informations factuelles des clients, des fournisseurs et des transporteurs telles que ses coordonnées mais aussi leurs chiffres d’affaire. La deuxième source permet à l’acteur d’accéder à une information qui lui fournit des connaissances sur les échanges qu’il a eus avec ces partenaires avant la négociation. La troisième source d’information lui permettra d’avoir une sorte de best-practise sur la gestion de contrats puisqu’il peut avoir accès soit aux derniers contrats qu’il a négociés avec ces partenaires mais aussi des guides de négociation de contrats similaires. Plus précisément, lors de son activité de « choix de transporteur », un acteur du département « Affrètement » déroule un scénario qui s’appuie sur un algorithme visant à choisir le « meilleur » transporteur, en termes de coût, pour assurer des livraisons d’un point à un autre tout en respectant les délais. Pour cela, il contacte chacun des transporteurs d’une liste préalable et négocie avec chacun d’eux. Il s’appuie pour cela sur les informations suivantes :
- Les clients à livrer : distributeur et grandes surfaces par exemple. Les clients sont décrits par leurs adresses, leur chiffre d’affaire, le domaine d’activité, leur organisation (sièges, magasins).
- Les fournisseurs des produits classés selon la nature des produits et décrits par des attributs similaires à ceux des clients.
- Le transporteur est décrit pas ses coordonnées mais également ses moyens de transport tel que aérien, maritime, routier, ferroviaire.
- Les messages qui ont été envoyés
- par le service commercial des clients, qui précisaient les points de livraisons, les produits et les quantités ainsi que les livraisons devant être réalisées au niveau des magasins.
- par le service commercial des fournisseurs pour indiquer les lieux d’enlèvement qui sont des entrepôts,
- Le guide du contrat de transport sous forme de document word.
- Les derniers contrats de transport déjà négociés.
Une fois le transporteur sélectionné comme étant celui qui répond le mieux aux critères et contraintes de coûts, de délais et de fiabilité, un contrat de transport est élaboré et signé. Les données sur les clients, fournisseurs et livraisons y sont consignés. Le guide de rédaction des contrats permet à l’acteur de négocier les différentes clauses du contrat.
Une mémoire d’entreprise doit fournir à cet acteur la possibilité d’accéder à tout instant à l’ensemble des informations nécessaires pour réaliser son activité. Notre architecture est conçue de sorte à ce que ce type d’information soit rendu disponible à travers des interfaces appropriées pour faciliter à l’acteur des navigations dans des structures d’information complexes. Les liens entre les informations sont exploités au niveau des interfaces pour permettre à l’acteur une navigation sémantique et passer d’un espace à un autre, par exemple passer d’un espace numérique (qui présentent des données factuelles ou statistiques) à un espace documentaire contenant des hyperliens de navigation dans des sommaires ou des contenus.
Dans un tel scénario, on peut imaginer que l’acteur formule la requête : « retrouvez toute l’information utile pour négocier un contrat de transport avec tels clients et tels fournisseurs». La mémoire d’entreprise doit permettre de restituer, sous forme lisible, les informations nécessaires. Pour cela, elle s’appuie sur le type d’activité que l’acteur est entrain d’exécuter, en explorant le référentiel des processus métier de la mémoire d’entreprise pour établir les liens entre informations.
La mise en œuvre du mécanisme de fonctionnement de l’architecture que nous proposons pour cet exemple est illustrée par le tableau Tab 1.
Processus | Objectif / buts | Information / Connaissance |
---|---|---|
Formulation | L’acteur formule une requête pour l’obtention d’une information qui l’aiderait à mieux gérer le contrat avec le client. Il demande donc à la mémoire d’entreprise de mettre à sa disposition les informations en relation avec le client. | Retrouver mails, contrats et données sur le client. |
Transformation | La couche exploration fournit à la couche de données la requête de l’acteur et s’attend à un document XML qui correspond aux résultats trouvés. La couche de gestion traduit cette requête dans le langage du médiateur. | Rechercher données clients (coordonnées, chiffres d’affaires) + messages dont l’expéditeur et/ou le destinataire correspondent au client + le guide contrat de vente + les contrats du client ; soit Q cette requête. |
Médiation | La couche de gestion, à travers le médiateur, éclate la requête en autant de requêtes que de type de sources de données. | La requête Q est décomposée en Q1 (vers les référentiels et données), Q2 (vers la messagerie), Q3 (vers la GED). |
Extraction | La couche de données de l’architecture est sollicitée par le biais des wrappers qui permettent d’extraire les informations demandées. | Chacune des requêtes Q1, Q2 et Q3 est traité par le wrapper approprié. W1 pour lancer des requêtes de types SQL à des SGBD relationnels, W2 à travers des protocoles de messageries SMTP permet de collecter les messages utiles et enfin W3 charger de récupérer des documents correspondants aux contrats ou guide de contrats. |
Restitution | La couche de gestion, à travers le médiateur, reçoit les réponses de la couche de données. Celles-ci sont transformées, fusionnées et transmises à la couche exploration. | La couche exploration applique une feuille de style pour présenter les informations fournies sous forme XML par la couche de données. Elle permet de simplifier la complexité due à l’hétérogénéité des informations. |
V. Conclusion et discussions
L’enjeu de toute entreprise est d’atteindre ses objectifs planifiés dans sa stratégie globale. Nous avons montré que pour atteindre les objectifs de l’entreprise, les acteurs doivent prendre les bonnes décisions lors de l’exécution des processus métiers et l’amélioration, en continue, des performances de ces derniers, nécessite l’exploitation des mémoires d’entreprise dont il faudra définir l’architecture. Concernant l’architecture d’une mémoire d’entreprise, l’ingénierie documentaire peut fournir un levier pour la concrétisation de la mise en œuvre de la mémoire d’entreprise. Ainsi, l’indexation documentaire peut-elle se révéler particulièrement intéressante dans le contexte d’une mémoire d’entreprise. L’ingénierie documentaire peut également être exploitée, pour la formalisation des savoir-faire d’experts. Ceci consiste à transcrire les connaissances sous une forme exploitable et échangeable entre les individus mais aussi, entre des applications hétérogènes. L’utilisation d’XML comme support de formalisation et d’explicitation des savoir-faire offre l’avantage de structurer les connaissances selon des balises. Ces dernières sont fournies par les métadonnées et les concepts préalablement créés à partir de l’ontologie.
L’enjeu premier en gestion des connaissances réside non pas seulement dans l’implantation d’outils de gestion des connaissances, mais aussi dans l’implantation d’une habitude d’entrée des connaissances dans les outils par les membres de l’organisation et d’établir une arborescence de fonctions et de tâches à faire une fois que la connaissance a été acquise. Cependant, l’objectif d’une capitalisation des connaissances est bien le partage des connaissances dans le but de leur réutilisation par les membres adéquats de l’entreprise. Les technologies de l’information et de la communication peuvent constituer un support de diffusion intéressant pour favoriser le partage. Cependant, la diffusion doit être guidée si l’on veut fournir la bonne information au bon moment et éviter la surinformation. De plus, la diffusion d’une information ne suffit pas à garantir la réutilisation de la connaissance qu’elle est susceptible de transmettre. En effet, pour qu’une connaissance soit réutilisée, il est nécessaire qu’elle soit assimilée par l’acteur c'est-à-dire l’intégrer à sa base d’expérience et de connaissances propres et mobilisée à tout moment dans l’action (Tounkara et al, 2001). C’est dans ce sens qu’elle contribue à l’acquisition des compétences par les acteurs dans l’organisation.
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Logiciels de gestion de références bibliographiques : citons le libre !
Ressi — 30 avril 2008
Carole Zweifel
Résumé
Depuis 2005 la situation des logiciels libres pour les bibliothèques évolue rapidement. Dans la liste des logiciels à disposition, les logiciels de gestion de références bibliographiques semblent attirer aussi bien les bibliothécaires que les étudiants et les chercheurs. Afin de réaliser un état des lieux approfondi des solutions libres existant aujourd’hui, un test comparatif de sept outils a été réalisé en été 2007 et ce sont les résultats qui sont présentés dans cet article.
Logiciels de gestion de références bibliographiques : citons le libre !
1. Introduction
Ludivine Berrizi et moi avions publié un article dans le RESSI no 2 (juillet 2005) sur les logiciels libres en bibliothèque, avec un accent sur les logiciels de gestion de bibliothèque (SIGB). A cette époque, parler d’applications libres pour les bibliothèques en Suisse était assez novateur. Il existait en effet peu de choix et presque aucun utilisateur. Mais nous concluions notre article en relevant un potentiel très fort du libre en bibliothèque.
Force est de constater que depuis 2005, la situation des logiciels libres pour les bibliothèques a évolué dans le bon sens et rapidement. Une lecture du rapport annuel sur l’informatisation des bibliothèques en France, publiée chaque année dans Livre Hebdo (Maisonneuve, 2007) en mars, nous informe en effet que « un projet informatique sur quatre porte sur l’implantation d’un système de logiciel libre ». De plus, PMB (certainement le SIGB libre le plus performant actuellement avec Koha) représente plus d’un dixième des logiciels installés en 2007 dans des bibliothèques municipales françaises. Et l’on compte 302 nouveaux contrats avec PMB dans tous les types de bibliothèques en France en 2006.
Voilà des chiffres tout à fait encourageants chez nos voisins français ! Du côté suisse (romand essentiellement), il a été porté à ma connaissance depuis 2005 plus d’une dizaine d’installations de logiciels libres en bibliothèque et centres de documentation. Signalons par exemple l’installation prochaine de PMB au centre de documentation de l’antenne suisse de Médecins sans Frontières (Genève) ou l’utilisation de Koha à la bibliothèque du Gymnase Intercantonal de la Broye, à Payerne.
Mais le SIGB n’est pas le seul type de logiciel libre qui concerne les bibliothèques. Greenstone devient un incontournable quant à la création de bibliothèques numériques et l’UNESCO ne s’est pas trompé en soutenant ce projet. On peut également trouver plusieurs outils de transformations de données MARC, des logiciels de gestion de documents audio-visuels ou encore les logiciels de gestion de références bibliographiques.
Il y a maintenant plus d’un an, je me suis intéressée à cette dernière catégorie. Le logiciel de gestion de références bibliographiques (que j’abrégerai par LGRB dans cet article) est utilisé de manière assez mineure en bibliothèque mais le message de Madame Ariane Sujatha Henry sur Swiss-lib du 20 juin 2007 et les diverses réponses a montré qu’il y’avait un besoin dans ce domaine, que ce soit pour gérer une petite base de références internes ou pour soutenir les nombreux étudiants et chercheurs qui utilisent un LGRB.
En cherchant des références récentes sur le sujet, j’ai constaté que celui-ci était encore peu traité de manière approfondie. Deux billets de blog récents (Mahbub Murshed, 2007 / Fauskes, 2007) citent plusieurs logiciels libres et de nombreux commentaires de développeurs de LGRB y ont été ajouté avec des informations récentes. On trouve également une grille de comparaison des LGRB (dont 9 solutions libres) fort bien faite sur Wikipedia (2007b). Mais ces informations ont-elles été pêchées sur le site officiel du site ou proviennent-elles d’un réel test ? Dans le but d’établir un état des lieux approfondi des solutions libres existantes actuellement, j’ai donc réalisé un test complet puis un comparatif des applications existantes, entre elles et par rapport à deux logiciels propriétaires classiques (Endnote et Reference Manager).
Les résultats de cette étude, comprenant le test de 7 outils réalisé en juillet et août 2007, m’ont étonné de manière très positive. Il existe en effet plusieurs solutions, chacune unique et pour la plupart très performantes, voire meilleures que les solutions propriétaires, dont Endnote ou Reference Manager sont les plus utilisées. On découvrira également que, moyennant quelques adaptations, ce type de logiciel pourrait fort bien convenir comme base de référence pour des petits centres de documentation. Il y a donc de bonnes raisons de connaître ces solutions !
2. Quelques définitions essentielles
Définition du logiciel libre
Le concept du logiciel libre date du milieu des années 80, lorsque Richard Stallman, travaillant sur le système d’exploitation Unix, s’exaspère de la fermeture de plus en plus répandue du code source du logiciel au profit d’une licence d’utilisation (méthode popularisée par Microsoft). Richard Stallman crée alors la Free Software Foundation et développe la licence GPL pour définir le logiciel libre.
Celui-ci doit respecter les 4 libertés suivantes :
- La liberté d'exécuter le programme, pour tous les usages (liberté 0).
- La liberté d'étudier le fonctionnement du programme, et de l'adapter à ses besoins (liberté 1). Pour ceci, l'accès au code source est une condition requise.
- La liberté de redistribuer des copies, donc d'aider son voisin, (liberté 2).
- La liberté d'améliorer le programme et de publier ses améliorations, pour en faire profiter toute la communauté (liberté 3). Pour ceci l'accès au code source est une condition requise.
Les logiciels libres se caractérisent également par la gratuité de leur acquisition et par leur communauté, « assemblée démocratique » du logiciel composée de ses développeurs, traducteurs et utilisateurs, et remplaçant l’éditeur du logiciel.
On peut citer quelques logiciels libres très connus tel le système d’exploitation Linux, le navigateur web Firefox, le logiciel de messagerie Thunderbird, le serveur Apache ou encore la suite bureautique Open Office.
Le terme « Open source » est souvent utilisé pour qualifier ce type de logiciel. Les deux termes sont très proches mais pas tout à fait équivalents. Nous n’entrerons cependant pas dans une telle finesse de définition dans cet article.
Définition du LGRB
Le logiciel de gestion de références bibliographiques (LGRB) permet de gérer des références bibliographiques au sein d’une base de données : description de chaque référence (article, monographie, page web, thèse,…) à l’aide d’une grille de catalogage, importation des références depuis des bases bibliographiques en ligne (Medline, ArXiv, INSPEC, Citeseer…), recherches dans les références, regroupement selon plusieurs critères puis création automatique d’une liste bibliographique selon les exigences de présentation spécifiques aux diverses publications scientifiques.
Il existe plusieurs normes de rédaction de références bibliographiques dont les plus connues sont ISO 690, 690-2 (pour les documents électroniques), ISO 4 et ISO 832 (pour les normes d’abréviations). Les normes peuvent aussi être fixées par un éditeur, une université ou un périodique. Chacun demandera, comme le RESSI , de suivre une convention précise.
Le LGRB s’adresse avant tout à un public académique (professeurs, chercheurs ou étudiants avancés), rédigeant des documents faisant de nombreuses références aux articles ayant nourris leur travail. Une liste bibliographique normalisée étant indispensable en fin de travail, le LGRB permet de gagner un temps considérable à l’étape de création de cette liste.
Le LGRB n’est a priori pas prévu pour être utilisé en bibliothèque mais les bibliothécaires peuvent tout à fait être amenés à l’utiliser lorsqu’ils réalisent eux-mêmes des travaux de recherche ou pour gérer une petite base de données de références personnelles. Les bibliothèques universitaires étant souvent le refuge de chercheurs et universitaires, sont également des lieux de formation privilégiés de ces logiciels, en attestent plusieurs manuels d’utilisation sur des sites de bibliothèques universitaires.
Enfin, il n’est pas rare de croiser un LGRB dans un petit centre de documentation. Tout le monde ne fait pas, en effet, du prêt, des échanges de notices au format MARC, ni ne participe à un catalogue collectif demandant d’utiliser des formats spécifiques. Ces outils ont l’avantage de pouvoir gérer simplement une documentation selon des besoins simples…et évitent d’utiliser un tableau Excel ou la base Filemaker Pro dont plus personne ne se souvient du concepteur ! Deux projets d’installation d’un LGRB libre dans un centre de documentation ont d’ailleurs été menés, à la grande satisfaction des mandants, au travers des travaux de diplômes de la Haute école de gestion de Genève en 2006 (Argenzio-Fortuna, 2006 ; Chabloz, 2006).
Certains de ces outils sont assez flexibles et peuvent donc être adaptés aux particularités de la bibliothèque utilisatrice, par exemple en ajoutant des champs, en réorganisant les grilles de catalogage ou en développant une indexation contrôlée. Mais, entre SIGB et LGRB, les formats sont différents ainsi que la puissance du logiciel ou les fonctionnalités.
Le format des références
Le format le plus courant des notices est le BibTEX. Complément du format LaTeX, le BibTEX a été crée par Oren Patashnik et Leslie Lamport en 1985 et permet de décrire des documents à l’aide de 14 grilles différentes (adaptées au type de document) et 26 champs. BibTEX est devenu, après 20 ans d’existence, un format utilisé comme langage natif par de nombreux LGRB, gage de sa qualité. Mais les logiciels propriétaires les plus répandus utilisent en majorité leur propre format, permettant heureusement de plus en plus l’import et l’export de fichiers BibTEX.
Il existe des formats alternatifs plus récents et donc moins courants : Amsrefs, biblatex ou encore Pybtex. Signalons également que l‘usage de XML est de plus en plus courant.
Au passage, on ne saurait rappeler l’importance de l’usage d’un langage standard dans tout logiciel, dans le but de migrer les données en cas d’obsolescence du logiciel employé. Cette question est d’autant plus essentielle dans le milieu des bibliothèques où l’on se doit d’avoir une vision à long terme de la conservation des données informatiques.
Aspects techniques et architecture
Les langages de programmation varient pour les logiciels propriétaires. Au niveau du libre, on voit très couramment l’usage du langage libre MYSQL/PHP ou le langage Perl, couplés à l’usage d’un serveur Apache (ce qu’on appelle une architecture LAMP). On trouve également du Java.
Coté architecture, les LGRB sont typiquement des petits logiciels monopostes, à usage personnel. Le logiciel est installé sur le poste de l’utilisateur. Si son ordinateur est relié à un réseau, il est possible d’installer le logiciel sur un disque commun. Mais un usage simultané par plus d’une personne n’est pas possible. Endnote ou Reference Manager, ne sont, par exemple, pas adaptés à l’usage en réseau par plusieurs utilisateurs simultanés.
On trouve dans les logiciels libres testés deux autres architectures : base de donnée en full-web et architecture hybride (Bibus, Zotero).
La base de donnée en full-web fonctionne souvent avec les langages libres MySQL/PHP. Il est possible de créer une base de donnée sur Internet (ou sur un serveur local – Intranet par exemple) puis de la consulter avec un simple navigateur Internet. L’intérêt de cette architecture réside dans le fait que le logiciel n’est installé qu’une seule fois, sur un serveur, et qu’il est ensuite accessible par n’importe qui, du moment que l’utilisateur puisse se connecter à Internet ou au serveur local. Cette architecture est idéale pour un usage en réseau.
Bibus et Zotero proposent une architecture hybride. Le premier permet à l’utilisateur d’installer le logiciel soit en monoposte, soit avec une base de donnée en ligne. Zotero est un « add-on » du navigateur Internet libre Firefox. Il faut donc installer premièrement Firefox (ce qui est de toute façon une bonne idée…) puis télécharger Zotero qui s’installe automatiquement. Il suffit ensuite d’ouvrir Firefox (avec ou sans connexion à Internet) pour avoir accès à Zotero.
3. Méthodologie du test
Le test des LGRB libres s’est déroulé en plusieurs étapes : repérage des logiciels , deux étapes de sélection consécutives, installation, test identique pour tous les logiciels, bilan pour chaque logiciel puis comparaisons entre eux.
La sélection
Plusieurs sources ont été consultées pour repérer les LGRB libres à tester. Premièrement, une recherche sur le site Web Sourceforge (plateforme regroupant une grande quantité de projets libres) selon divers mots-clés, ainsi que plusieurs annuaires de logiciels libres, a permis de repérer une bonne trentaine de projets en cours. J’ai également consulté plusieurs articles sur la thématique, glanés sur Internet ou dans des revues spécialisées, et repéré les logiciels cités. Une première sélection d’environ 20 logiciels a ainsi été faite.
J’ai ensuite visité le site web des logiciels les plus cités pour évaluer leur degré de développement et de pertinence. Un mini-test, via installation du logiciel ou démonstration en ligne, a également été réalisé si cela était possible. Une deuxième sélection a été faite selon les critères suivants :
- logiciel stable (version 1.0 ou supérieure) ou version beta (< 1.0) ne présentant pas de bug fatal à l’utilisation
- logiciel proposant les fonctionnalités indispensables du genre.
- projets présentant des développements réguliers ou ne semblant pas assoupis depuis trop longtemps ou abandonnés.
Les logiciels ne fonctionnant que sur Linux ont été éliminés car trop peu d’utilisateurs utilisent exclusivement ce système d’exploitation.
A la fin de l’étape de sélection, les logiciels suivants ont été choisis pour un test approfondi:
- logiciels monopostes : Jabref et Bibdesk
- logiciels fullweb : WikiNDX, Aigaion et Refbase
- logiciels hybrides : Zotero et Bibus
Le test
Pour faciliter leur évaluation et comparaison, les logiciels libres sélectionnés ont été soumis à un test identique :
- Installation sur un ordinateur avec Widows XP et un portable avec MacOS X
- Création de 3 bases et ajout de notices de différents types de documents
- Importation d’une base Endnote ou Reference Manager et un lot de 120 notices BibTeX
- Import de notices via Medline (ou Pubmed)
- Export de la base en BibTeX ou autre format standard
- Création d’une liste bibliographique au format .rtf comprenant un choix de références
- Recherche d’un document ajouté selon 2 mots du titre ou sujet
- Changement du style de présentation des références selon les préceptes de RESSI
- Vérification de la rapidité de la communauté selon une question précise
Le même test a été réalisé, en vue d’une comparaison libre/propriétaire, sur deux logiciels propriétaires couramment utilises : Endnote et Reference Manager.
Une grille de comparaison a ensuite été établie puis remplie pour permettre de relever les avantages et désavantages des logiciels testés entre eux et par rapports aux deux logiciels propriétaires testés.
4. Présentation des logiciels testés
Voici ci-dessous un bref descriptif des logiciels testés avec leurs principales particularités:
Logiciels monopostes :
Jabref, de par son look, ses fonctionnalités et son adaptabilité, est le logiciel testé le plus similaire à Endnote et Reference Manager. Ses fonctionnalités sont d’excellente qualité: import et export de nombreux formats de notices ou depuis des bases de données en ligne, nombreuses grilles de catalogage avec possibilité de joindre le fichier, listes d’autorités et groupes intelligents. Ergonomique et facilement maniable, Jabref est également aisément adaptable (grilles de catalogage, styles bibliographiques). L’interaction avec Word ou Open Office est bonne. On regrettera seulement le peu d’intuitivité du moteur de recherche. Programme en Java, Jabref fonctionne sur tout système d’exploitation.
Bibdesk est un logiciel pour MacOS uniquement. Ce sera son seul point négatif car pour le reste, Bibdesk est un excellent logiciel monoposte. Les fonctions de catalogage permettent de décrire les documents via 21 grilles différentes, facilement adaptable. L’utilisateur peut ajouter plusieurs métadonnées, gérer plusieurs listes d’autorités de manière intelligente, joindre un fichier ou faire un lien sur une adresse web. La création de listes bibliographiques est aisée et souple. Bibdesk est le seul logiciel qui propose une importation de notices via Z39.50, ce qui pourrait se révéler fort pratique pour des bibliothécaires utilisateurs. Au rayon innovation, le logiciel propose également la génération de filets RSS. Pour ne rien gâcher a cette excellence, Bibdesk est très convivial et intuitif.
Logiciels full-web :
WikiNDX est une base de données en full-web, fonctionnant avec MySQL et PHP. Cette architecture lui permet de proposer plusieurs fonctionnalités de multi-utilisation, tel un espace personnel ou des outils de communication entre utilisateurs, et un réel OPAC accessible à tous, sans mot de passe. Les fonctionnalités sont de qualité, entre autre, les moteurs de recherches simples et avancés, les listes d’autorités, les nombreuses metadonnées disponibles ou encore la possibilité de joindre des fichiers aux notices. Il est également possible de créer une classification des références via des catégories. Les styles de présentation des références sont modifiables et le logiciel génère ensuite un fichier au format .rtf, qu’il faudra ensuite ouvrir dans son logiciel de traitement de texte.
On regrettera essentiellement le peu de formats disponibles pour l’importation et l’exportation des notices. Reste que WikiNDX est un outil agréable à l’utilisation et plusieurs professeurs de la HEG de Genève ont migré leurs bases de référence sur cet outil avec satisfaction. WikiNDX fonctionne sur tous les systèmes d’exploitation.
Refbase est également une base de données full-web programmée en MySQL/PHP. Moins abouti que WikiNDX, Refbase a présenté de nombreuses erreurs de programmation lors du test, parfois assez handicapantes. Mais ces bugs s’expliquent probablement par le fait que ce logiciel est encore en version beta et de nombreux utilisateurs ne semblent pas avoir eu autant d’ennui. Passé ces désagréments, Refbase se révèle être un logiciel correct mais sans plus : une seule grille de catalogage (comprenant quand même les champs essentiels pour tout type de document) et un moteur de recherche peu performant (pas de recherche par sujet). Par contre, les fonctions d’import et d’export de notices sont de bonne qualité. On trouve aussi la possibilité de générer des filets RSS et un OPAC.
Aigaion est un projet assez récent (2005). Base de données en full-web programmée en MySQL/PHP, Aigaion souffre peut-être de sa jeunesse, ce qui pourrait expliquer la trop grande simplicité de ses fonctionnalités. Si celles-ci sont très poussées au niveau du paramétrage des comptes des utilisateurs, et de bonne qualité pour le catalogage, les imports/exports de notices ou l’organisation des référence via une arborescence, les fonctions de recherche et de création de listes bibliographiques ne sont pas assez poussées. Le logiciel est également peu modulable. La base du projet est bonne, de bonne qualité et le logiciel suffisant pour des besoins simples mais il vaudrait mieux attendre que le projet soit plus mature avant d’envisager une utilisation avancée de ce logiciel. A surveiller !
Logiciels hybrides
Zotero semble l’outil idéal pour le chercheur qui récupère de nombreuses notices depuis des bases de données sur Internet. En effet, Zotero est un « complément » du navigateur Internet Firefox et s’utilise via le programme Firefox. Il suffit de se trouver sur une page comprenant les références d’un document, cliquer sur un bouton, et une grille de catalogage (parmi 33 types différents) est automatiquement remplie. Il suffit ensuite de réviser les informations, les compléter avec des mots-clés, des métadonnées ou joindre un document électronique et la référence est ajoutée dans la base de donnée du logiciel… Le logiciel permet d’organiser les références importées selon des catégories. Un bon moteur de recherche permet aussi de s’y retrouver. La création de listes bibliographiques est très simple et il est possible d’exporter les références dans de nombreux formats.
Zotero est un outil très simple d’utilisation et intuitif. On regrettera juste le peu de place accordé à la grille de catalogage et le fait que les grilles et les styles bibliographiques ne soient pas modifiables. On se demande également de quelle manière le logiciel stocke les références. Le développement de l’outil est très dynamique et de plus en plus de bases de données deviennent compatibles avec le logiciel, permettant de récupérer des références bibliographiques sur presque toutes les bases de référence, mais aussi sur des serveurs Z39.50. On peut prédire un grand succès à cet outil !
Bibus fonctionnant avec une base de données MySQL (installation en réseau) ou SQLite (installation monoposte) et le langage Python. Bibus devrait fonctionner sur n’importe quelle plateforme. Le logiciel est assez complet au niveau des fonctionnalités et soigné au niveau de la présentation. Il est en outre assez agréable et facile à l’utilisation. Il est possible de faire des recherches simples ou complexes. Des imports de notices peuvent être faites dans les formats standards mais uniquement sur Medline coté bases Internet. L’utilisateur peut paramétrer lui-même la présentation des références et ajouter 5 champs personnalisés dans les grilles de catalogage. Par contre, les liens Internet ne sont pas cliquables et il n’existe aucun moyen d’attacher un fichier. Bibus a particulierement développé sa compatibilité avec OpenOffice ou Word. Ce logiciel sera donc une bonne solution pour l’utilisateur qui génère de nombreuses listes et a besoin de modifier facilement les styles.
5. Des outils concurrentiels
A la lecture de la grille de comparaison des 7 logiciels testés, voilà ce que l’on peut conclure sur les solutions libres, de manière globale :
Architectures
Autant au niveau des applications monopostes que web, les LGRB testés sont tous construits avec des architectures récentes : langage JAVA, base de données MySQL ou « add-on » de Firefox. Les logiciels full-web ont particulièrement tiré parti des possibilités d’une base de données en ligne pour créer des fonctionnalités collaboratives, tels la création d’un compte pour chaque utilisateur et la gestion du workflow. On a donc enfin affaire à des logiciels facilement utilisables en réseau, ce qui est l’un des points noirs des produits phares propriétaires.
Ces logiciels sont relativement faciles d’installation. Aucun n’a demandé l’intervention d’un informaticien pour une installation sur mon poste personnel. La connaissance minimale des bases MySQL/PHP, dans le cas des logiciels full-web, rend la tâche plus aisée mais n’est pas indispensable, d’autant plus que l’installation de ces logiciels est bien documentée, et compréhensible pour un non-averti. Jabref, Bibus, Bibdesk et Zotero proposent même une installation automatisée.
Le test a révélé encore quelques erreurs de programmation dans une moitié des LGRB, mais heureusement pour la plupart parfaitement bénignes et non gênantes. Seul Refbase fut passablement bloqué lors du test par de nombreux bugs, que ce soit au niveau de l’affichage ou lors d’opérations. S’agissant encore d’une version béta (0.9), on espère que ces erreurs seront corrigées pour la première version stable.
Fonctionnalités
La grande question qui se pose lorsqu’on choisit un logiciel libre est de savoir s’il est réellement concurrentiel concernant ses fonctionnalités par rapport aux produits propriétaires reconnus. On souhaite évidemment obtenir un logiciel aussi performant que celui que l’on utilise depuis des années ! Les LGRB y arrivent-ils ? De manière générale, je fus surprise par la grande qualité et la richesse des fonctionnalités de ces applications. Aucun ne répondra à 100% aux exigences idéales mais le niveau de qualité est élevé, même pour des critères pointilleux de bibliothécaire et, surtout, chaque logiciel est différent et propose au moins un apport original, ce qui offre un choix plus varié.
Les LGRBL sont essentiellement faibles quant à l’importation de notices, que ce soit depuis des bases de données sur Internet ou via un fichier avec une extension particulière. Si tous importent sans problèmes des notices au format BibTeX et les formats hérités de Endnote (RIS, Endnote XML), il en va autrement des formats liées à des bases de données en ligne, tel CSA, INSPEC, ISI, JSTOR,…. L’importation de notices depuis Internet devient une évidence pour tout chercheur et il est donc très dommage que plusieurs logiciels testés ne proposent que le minimum. On relativisera ce constat en utilisant le logiciel libre « Bibutils », qui permet de transformer des notices de tous les formats classiques vers BibTeX (et vers ces mêmes formats). Ce petit applicatif est donc un logiciel de liaison par excellence, et moyennant quelques clics supplémentaires, permettra d’importer n’importe quelle notice dans votre logiciel libre. Et relevons quand même les excellentes performances de Jabref, Refbase et surtout Zotero, dont l’import depuis des bases on-line est le principal atout.
Principal point fort, les LGRB proposent beaucoup d’innovations fonctionnelles par rapport aux logiciels classiques. Premièrement, le choix d’une architecture « full-web » avec une base de données permet de créer plusieurs comptes d’utilisateurs, avec espace personnel et gestion, selon le type de rôle, du workflow des références. Tous les logiciels « full-web » testés proposent ce type de fonctionnalité à des degrés divers de sophistication.
Autre fonction provenant du web, le filet RSS est proposée par trois logiciels : Aigaion, Bibdesk et Refbase.
L’export des références dans un logiciel de bureautique n’est pas toujours direct (il faut parfois sauvegarder un fichier temporaire puis l’ouvrir avec un programme) mais certains logiciels (Jabref, Bibus) proposent des fonctions très avancées, comme la création d’une base de donnée relais sur Open Office. Plusieurs logiciels proposent également de rédiger directement son article via le logiciel, qui génère directement les citations et les renvois. Fonction peut-être peu pertinente dans le cas de la rédaction d’un long document mais pourquoi pas dans le cas de courts articles?
Les fonctions traditionnelles sont également présentes et souvent de manière très satisfaisante. On retrouve par exemple au minimum 13 grilles différentes de catalogage, selon le type de document (37 pour WikiNDX et 33 pour Zotero). Seul Refbase ne propose qu’une grille généraliste. Si les grilles ne sont pas adaptables par tous (Jabref, Bibdesk et Bibus le permettent), il est au moins possible d’ajouter des champs supplémentaires. Chaque logiciel permet donc de modifier les grilles, d’une manière ou d’une autre. Jabref, Bibdesk, WikiNDX et Aigaion proposent également des listes d’autorité et tous les logiciels proposent une indexation sujet. La plupart des logiciels possède également un ou plusieurs champs de métadonnées sur les référence : notes, remarques de lecture, cotation, lu ou non, etc.
La qualité du moteur de recherche et sa facilité d’utilisation est variable mais de manière générale, tous les logiciels ont répondu correctement aux mêmes recherches. S’ils proposent tous la recherche booléenne, ce n’est par contre pas le cas de l’usage de troncatures. Chaque logiciel permet de trier puis classer les références dans des dossiers. Enfin, relevons l’importation de notices via Z39.50 possible avec Bibdesk et Zotero.
Formats
L’usage ou la conversion vers le format BibTeX est généralisé. Tous les logiciels proposent un import et un export dans ce format, mais également dans le format RIS (format de Reference Manager et Endnote). Il est donc possible de migrer facilement les notices de tous les logiciels testés.
Langues
La traduction dans de nombreuses langues, parfois peu communes, est un aspect particulièrement innovant des logiciels libres et les LGRB ne font pas exception. à part Aigaion qui n’est disponibles qu’en anglais, les autres logiciels proposent au minimum l’anglais, l’allemand et le français, mais également le norvégien, l’italien ou le néerlandais (Jabref), le turc, le galicien, le portugais ou le polonais (WikiNDX). Bibus est même disponible en chinois !
Ergonomie et présentation
Tous les logiciels testés ont une présentation agréable (et souvent modifiable) ou tout du moins lisible. La présentation des références et les listes, à part sur Zotero qui fait le minimum, est claire.
L’intuitivité n’est pas parfaite pour tous les logiciels et Jabref, WikiNDX, Refbase et Aigaion pourraient faire des efforts pour simplifier leur interface, ou la rendre plus clair. A l’opposé, Bibdesk et Zotero sont remarquablement faciles à utiliser. Mais de manière générale, on constate que le look a été réfléchi et l’utilisation de chacun des logiciels testés fut, somme toute, assez agréable.
6. Conclusion
Un test plus approfondi et des retours d’expériences d’utilisations réelles permettraient de donner un avis plus complet sur les logiciels testés. Les résultats obtenus par cette étude sont néanmoins très réjouissants et permettent de relever les tendances suivantes :
De plus en plus de solutions sont en développement ou déjà opérationnels. Il existe donc un choix intéressant (quantitativement plus important que pour les SIGB libres), qui plus est de logiciels tous différents. En plus de respecter les standards du domaine, l’ensemble des produits testés était d’une qualité tout à fait acceptable dans le cadre d’une utilisation classique (avec un bémol pour Refbase). Surtout (ce qui n’est pas étonnant dans le domaine des logiciels libres), ces logiciels présentent beaucoup plus d’innovations fonctionnelles, souvent liées aux dernières tendances du web (web collaboratif, add-on firefox, filets RSS), que pour les solutions propriétaires standards.
Parmi toutes ces applications, les utilisateurs potentiels devraient sans peine trouver une solution correspondant de manière très satisfaisante à leurs besoins spécifiques (outil collaboratif, import de références du web, export de bibliographie,…).
Et si les besoins ne sont pas satisfaits par l’un d’entre eux, il est aussi possible de coupler l’usage de deux logiciels, comme le propose Hervé Ponsot (PONSOT, 2007)…et les possibilités deviennent infinies ! Par exemple, nous pouvons utiliser Zotero pour récupérer des notices sur des bases on-line puis les transférer au format BibTeX dans WikiNDX (si l’on souhaite une base multi-utilisateurs avec OPAC), Jabref (si l’on souhaite un logiciel monoposte performant dans la création de listes bibliographiques) ou Bibdesk (pour les utilisateurs de MacOS). Jabref, étant très performant dans l’import de nombreux formats, il peut aussi être utilisé comme passerelle pour une migration vers un autre logiciel utilisant le format BibTEX. Rappelons aussi l’existante de Bibutil, petite application libre permettant de changer le format des références depuis et vers presque tous les formats utilisés actuellement
En résumé, moyennant quelques manipulations, on peut obtenir une solution très souple et satisfaisante. Evidemment, le bricolage et l’utilisation de plusieurs logiciels en chaîne a ses limites et des usagers très exigeants, ou peu portés sur la technique, n’y trouveront peut-être pas leur bonheur complet. Mais, force est de constater que le libre devient un incontournable et propose de plus en plus, dans notre cas aussi, des applications sérieusement concurrentielles à des solutions propriétaires souvent onéreuses. On aurait donc tort de ne pas les tester avant toute acquisition de logiciel ou les proposer aux étudiants ou chercheurs !
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Sourceforge : http://sourceforge.net
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La présence d'attracteurs dans les systèmes informationnels
Ressi — 30 novembre 2007
Résumé
Cet article est basé sur notre pratique de l'information. Elle nous a mené à voir l'entreprise et les systèmes d'information comme des ensembles complexes et vivants dans lesquels les « grappes informationnelles » jouent un rôle important. Pour nous, l'information se caractérise par un phénomène de passages réciproques entre les domaines implicites et explicites de la matière informationnelle et de transformations continues et rétroactives de données en informations et en connaissances. Les « triangles opérateurs »,constitués d'hommes, de machines(techniques) et de structures, sont les agents des transformations et des passages. L'entreprise peut dès lors être vue comme formant un SI. C'est un système complexe adaptatif qui se situe à la frontière de l'ordre et du chaos et dont l'approche doit être globale. L'attracteur informationnel-notion empruntée à la théorie du chaos- explique et détermine le comportement du SI. Il est la résultante des 2 attractions du SI, l'implicite et l'explicite. Cinq variables nous permettent de décrire les domaines du SI, les passages et leur force d'attraction. Nous distinguons trois types d'attracteurs: le partage, la tension et la rupture. L'attracteur du SI permet enfin de mieux comprendre la formation de connaissance et de valoriser les ressources informationnelles.
Abstract
This paper is based on our experience in information management. It has leaded us to see organizations and information systems (IS) as living and complex entities in which « informational grapes » play a significant act. For us information is characterized by two ways passages between the explicit and implicit parts of informational material and by a suite of interactive and continuous transformations of data into information and knowledge. Within the system, the « triangle operators », which are a combination of factors of human, machines (technology) and organizational nature, are responsible of both transformations and passages. An organization can be seen as an IS. It is a complex adaptative system which is at the border between order and chaos. « The informational attractor » explains and determines the behaviour of an information system. We borrow this notion from the theory of chaos. The attractor is the combination of the two attractions of the IS, the implicit and the explicit. Five variables allow us to describe the domain, the passages and the power of their attraction. We identify three types of attractors: sharing, tension and rupture. Finally, the attractor of the IS give us a better understanding of knowledge creation and a tool to improve the efficiency of managing information resources.
« C'était en été dans une petite et ancienne ville de France, traversée par une rivière large et puissante. Je suis resté longtemps sur le seul pont de la cité à la contempler, fasciné par la beauté et la complexité du mouvement de l'eau. (...) (1) ».
L'image de la rivière, avec ses flux et reflux, sa palette de couleurs chatoyant, ses jeux de lumière et ses scintillements constitue sans doute une étrange entrée en matière pour introduire la présence d'attracteurs dans les systèmes informationnels. Pourtant un système d'information (SI) forme aussi un spectacle vivant, naturellement et profondément différent de la somme des éléments qui le constituent. Un SI naît, évolue, disparaît tout comme d'ailleurs les organisations ou entreprises auxquelles il est intimement lié. Ils sont différents de la somme de leurs composants. Un SI mérite d'être vu dans sa globalité, comme un paysage. Nous allons en parcourir quelques aspects remarquables.
Nous expliquerons d'abord les raisons qui ont présidé à cette réflexion et nous soulignerons l'importance de ce que nous avons appelé les « grappes informationnelles ». A travers la dynamique des processus de transformation de la matière informationnelle, nous verrons que l'entreprise peut être considérée en elle même comme un système d'information et qu'il s'agit d'un système complexe dans lequel une tension existe entre information formelle et informelle. Nous déboucherons alors sur l'attracteur informationnel, notion empruntée à la théorie du chaos, en l'illustrant par des exemples et en montrant son rôle dans la création de connaissances pour enfin conclure.
L'information est un domaine qui nous a toujours passionné. La banque fut notre environnement professionnel durant de nombreuses années. L'information y revêt une importance majeure vu les risques liés à l'exercice du métier. Notre passion nous a conduit à exercer des fonctions qui se situaient fréquemment dans le « no man's land » qui sépare les utilisateurs des producteurs d'information, essentiellement les départements de l'IT (Information Technology). Il s'agissait de faire comprendre aux uns et aux autres leurs besoins réciproques et leurs points de vue différents sur l'information.
Notre pratique de l'information, dans la banque puis comme conseil, les observations que nous avons effectuées, les projets que nous avons menés, les nombreuses participations à des séminaires, des séances de formation et des groupes de travail, les échanges multiples et variés avec de nombreux consultants et fournisseurs d'IT (le secteur bancaire en consomme beaucoup!), nos diverses lectures constituent autant de sources auxquelles s'alimente notre réflexion. Dans le même temps, nous avons toujours cherché à comprendre les raisons de 3 phénomènes auxquels nous avons été confronté et dont la permanence nous a frappé.
En règle générale, nous avons pu constater, dans bien des domaines, que la plupart des décisions sont basées pratiquement sur 1/5 de l'information existante et que, bien souvent, il fallait retrouver et reconstituer ces 20% d'informations qui, quoique bien présentes, n'étaient pas disponibles et que, de plus, elles n'étaient pas toujours pertinentes. Le second phénomène a trait aux échecs répétés des grands projets centralisateurs de toutes les informations disponibles sur un sujet donné tels les portraits clients et produits (type data base marketing), crédits, les recueils de compétence, ... Le troisième enfin concerne l'efflorescence des projets informatiques « pirates ». Nous entendons par là les noyaux informatiques constitués par divers services au sein de l'entreprise en dehors du contrôle du département responsable de l'IT, nés de la nécessité de maîtriser et traiter eux-mêmes l'information qu'ils jugent nécessaires à leur activité. Ces phénomènes n'étaient pas propres à une organisation mais on les retrouvaient peu ou prou dans diverses institutions. Les fournisseurs de matériel, de logiciels, les consultants en parlaient dans leurs exposés sans pour autant apporter de solutions convaincantes. Leur persistance était d'autant plus significative que les ressources technologiques des départements IT étaient abondantes.
C'est sur ce substrat que nous avons été amené à développer notre approche concernant la présence d'un « attracteur étrange » dans les systèmes d'information.
Notre pratique de l'information a nourri l'intuition que l'approche habituelle ne tenait pas compte de la nature réelle des systèmes d'information et qu'il devait exister une autre manière de les aborder, plus globale, basée sur ce qu'ils sont dans leur diversité et leur complexité.
La gestion de l'information et des connaissances est le plus souvent envisagée par le biais de projets qui visent à provoquer un effet de levier dans l'utilisation efficiente des ressources dont l'entreprise dispose. L'habitude est mettre directement en avant les technologies d'information et de communication (TIC) qui permettront de gérer les contenus, de maîtriser les cycles de vie de l'information, de classer, d'archiver, de créer des recueils de compétences, des bases de données,de se doter d'outils de recherche, de distribuer et donner accès à tout cet appareil, sans oublier la sécurité, ... . Il faudra définir la nature et les types des documents, les décrire au moyen des méta données et des mots clés, sauver et conserver les connaissances qui risquent de disparaître. L'accent sera mis sur l'explicitation des informations et des connaissances détenues et acquises par chacun, sur la définition et la mise en place des processus et méthodes de transfert des connaissances et sur la mise en réseau de tous les acteurs.
Force est cependant de constater que l'engouement pour les projets de « management » des connaissances a eu tendance à s'éroder pour différentes raisons. Tout d'abord les investissements consentis n'ont pas toujours produit les résultats attendus. Ensuite les « fonctions » créées et les politiques mises en œuvre n'ont pas toujours permis d'améliorer le partage de connaissances au sein des entreprises, ce qui fait naître le découragement (2). Par ailleurs, il n'existe pas de « solutions toutes faites » et « universelles » en matière de systèmes d'information et de management des connaissances car on sous-estime souvent la nature complexe du phénomène information et les réalités des interactions entre les hommes, les technologies et les structures, et entre les multiples dimensions interdépendantes, de nature technologique, organisationnelle, cognitive et comportementale. Enfin les projets et systèmes mis en oeuvre ont l'ambition d'expliciter les 100% des informations et savoirs. Or, ce faisant, ils se limitent au traitement et à la transformation d'informations qui sont par nature exprimables et qui peuvent être codifiées. Le champ des connaissances implicites en est exclu.
De plus l'entreprise n'est pas ce modèle rationnel, ordonné, efficace, qu'on se plaît à décrire et mettre en avant dans les grandes écoles de management. Comme toute communauté humaine, l'entreprise est un lieu où prennent place des luttes de pouvoirs et des combats idéologiques, personnels et collectifs. Les résultats de ces batailles ne contribuent pas toujours, loin de là, aux prises de décisions les plus saines ou au fonctionnement le meilleur. Et même si les comportements de nombreux acteurs restent « rationnels », leur somme ne l'est pas nécessairement. Les « lois de Parkinson » ou « le principe de Peter » (3) paraissent souvent plus pertinents et pragmatiques pour expliquer et comprendre une organisation que nombre de théories du management scientifique. La critique de ces deux auteurs impertinents est d'ailleurs trop souvent évacuée sous prétexte que « bien évidemment, elle ne nous est pas applicable »!
Bien souvent la boutade qui veut « qu'au bord du précipice, ils firent un grand pas en avant » se révèle appropriée. Pourtant le précipice est connu, visible, décrit et d'une dangerosité certaine: comment comprendre, expliquer ce grand pas en avant? Jupiter aveugle ceux qu'il veut perdre! Il existe des oeillères qui forcent le regard, des filtres, au travers desquels une personne, un groupe, une société, une entreprise, ... appréhendent leur environnement. Nous les avons appelées les « grappes informationnelles ». Elles sont formées de trois ensembles: les concepts manipulés, les contextes d'utilisation et les informations qui les accompagnent. Les grappes mélangent des éléments intuitifs, sous-jacents, et des éléments explicites, clairement définis et précisés. Elles représentent finalement l'ensemble des théories, opinions, pré-jugés, clichés, les expériences personnelles et collectives, l'éducation, l'histoire, ... qu'une personne, un groupe, une entreprise, véhiculent avec eux et dont ils se servent, consciemment ou non, pour comprendre la réalité qui les entoure et agir. Elles varient au cours du temps avec les effets de mode, les remises en question, les expériences et le degré de connaissance que nous avons de nous-mêmes comme personne ou collectivité. Elles conditionnent notre vision de la société. Elles peuvent être ouvertes, basées sur l'incertitude, le questionnement, la remise en question, et alors l'évolution et l'innovation sont possibles, ou fermées, fondées sur des certitudes, des croyances et font dès lors obstacle aux changements nécessaires et conduisent droit au précipice.
L'entreprise constitue finalement une entité complexe, vivante qui ne se réduit pas à la somme de ses parties. Les grappes informationnelles y jouent un rôle majeur, tant dans les comportements individuels que collectifs, quant à la manière de voir l'information et son utilisation. Tantôt elles poussent à l'exploration, à l'élargissement du champs informationnel et tantôt à son rétrécissement en n'en retenant que les éléments qui confortent les préjugés. Une approche différente des systèmes d'information demande de prendre conscience de leur existence et de reconnaître leur influence.
La matière informationnelle est très particulière. Elle est expansive et occupe tout l'espace disponible. Elle ne disparaît pas à l'usage alors que le réservoir d'une voiture se vide en roulant. Elle se partage et ne s'échange pas, comme on peut le faire avec des pommes contre des poires. Grâce aux réseaux, on peut la distribuer très rapidement partout dans le monde. C'est aussi , et c'est très important, une matière en évolution permanente, résultat d'une suite d'échanges réciproques et multiples qui, à son tour, évoluera et en produira d'autres.
Ses composantes sont les données, l'information et la connaissance. Une donnée est tout symbole, signe ou mesure qui se trouve dans une forme telle qu'elle peut être capturée directement par une personne ou une machine. C'est la matière brute avec laquelle il est possible de fabriquer information et connaissance.
Il est difficile de s'accorder sur une définition de l'information. Nous la définissons « comme une ou plusieurs données qui, transformées, acquièrent du sens, signifient quelque chose pour une personne, un groupe ou une organisation et deviennent de ce fait utilisables par cette personne, ce groupe ou cette organisation. » (5). L'information est donc directement liée au sens qu'elle possède pour un acteur et aux possibilités d'action.
Comme l'information, la connaissance a trait aux significations, elle est contextuelle et relationnelle. Mais contrairement à l'information, la connaissance concerne les croyances et les engagements et a trait à l'action. La connaissance est l'ensemble des informations qui permet d'agir. Elle émerge avec et par l'action. Elle est en construction permanente et comme, telle elle ne se gère pas.
Ces définitions seraient toutefois incomplètes sans préciser les 2 domaines de la matière informationnelle, l'implicite (ou tacite) et l'explicite.
L'information implicite est hautement personnelle et difficile à formuler. Il n'est pas facile de la communiquer ou de la partager avec les autres. Elle est profondément enracinée dans les actions et les expériences individuelles aussi bien que dans les idéaux, valeurs ou émotions que nous embrassons. Elle réside dans une dimension cognitive globale de l'esprit et du corps humain. Elle forme en fait le substrat des grappes informationnelles.
L'information explicite est codifiée. Elle peut être transmise dans un langage formel et systématique. Elle est individuellement distincte ou digitale. Elle est saisie dans les enregistrements du passé tels que les bibliothèques, les archives et les bases de données. On y accède sur une base séquentielle. Elle peut être exprimée en mots et chiffres et partagée sous la forme de données, formules scientifiques, spécifications, manuels, etc. ... (5)
La notion de transformation est capitale dans la définition des composants de la matière informationnelle. Prenons un exemple. Nous avons deux feuilles de papier, l'une avec une liste de noms et prénoms et l'autre avec des adresses. Chacun peut y voir ce qu'il veut, s'intéresser aux noms, à leur origine, s'interroger sur la dispersion des adresses, ne rien faire du tout. Bref il s'agit de données. Effectuons une transformation en collant les deux feuilles de telle sorte qu'à chaque nom corresponde une adresse et appelons le résultat « liste des prospects ». Les données ont maintenant acquis du sens, par exemple, pour un directeur des ventes. Il peut les utiliser pour mesurer son taux de pénétration dans ce marché. Transformons à nouveau les informations en intégrant des données socio-économiques et comportementales: revenu, profil de consommation, niveau d'études, type de voiture, de maison ... En y ajoutant ses connaissances personnelles et son expérience du marché (qui constituent des informations implicites), le responsable du marketing peut lancer une campagne segmentée de promotion. En tirant les leçons de son action, il va enrichir ses connaissances ce qui lui donnera de nouvelles informations qu'il peut partager avec ses collègues.
Cet exemple nous apprend également que données, information et connaissances sont relatives à leur contexte d'usage. La personne qui encode les données de base valide des données brutes. Grâce à la validation, les noms et adresses sont normalisés, structurés, les doublons éliminés, ... bref les données de base sont enrichies. A son niveau, elle deviennent de l'information. Pour le directeur des ventes, la liste validée représentent des données. Elles ne deviennent de l'information qu'après rapprochement avec les informations relatives à sa clientèle qui lui permettront de mesurer son taux de pénétration. A son tour, le directeur marketing ne s'intéressera qu'aux résultats de la campagne et non aux détails. Ce qui est donnée pour l'un est information pour un autre ou connaissances pour un troisième. C'est toujours de l'information mais ce n'est jamais la même. On remarquera aussi que la transformation met en jeu le domaine de l'implicite avec le savoir faire, l'expérience des acteurs, les leçons qu'ils retirent des actions entreprises. Elle permet ainsi d'opérer des passages réciproques entre les deux domaines de la matière, l'implicite et l'explicite. La transformation elle même peut également n'être qu'implicite. Pour un sculpteur, un morceau de marbre est autre chose que de la matière brute: il y voit déjà la statue qu'il se propose de sculpter.
Chacun possède donc sa vision de l'information, retient ce qui est utile en fonction de son travail et du rôle qu'il exerce, sans oublier les grappes informationnelles, ce qui confère à l'information un caractère éminemment subjectif. C'est la subjectivité d'usage. La production d'information est donc différenciée aux yeux des utilisateurs. La transformation - données information connaissance (6) - est ainsi continue et diffuse dans tout le système d'information. L'approche habituelle, technologique, ne prend en général pas en compte cette dynamique de transformation. La production est brute, indifférenciée ce qui contribue à faire naître et entretenir les informatiques pirates et obère la réalisation des projets centralisateurs mentionnées précédemment.
Le processus général de gestion de toute organisation se résume à trois grands processus génériques dont dépendent les autres (Fig 1). Il faut acquérir les ressources nécessaires, humaines, matérielles, financières techniques et informationnelles, puis les transformer (appliquer un savoir) pour fabriquer produits et /ou services et enfin les vendre, les distribuer aux clients. Ces processus drainent avec eux des masses d'informations tant implicites qu'explicites. On n'acquiert pas seulement des ressources mais toute l'information et le savoir qui les accompagnent: les caractéristiques et les prix des matières premières et des équipements, les descriptions et les comparaisons entre les fournisseurs, les manuels d'entretien des machines, les contrats, les résumés des personnes, ... La transformation entraîne également son cortège d'information: les descriptions des processus, le contrôle de qualité, les règles relatives à la sécurité, à l'environnement, les statistiques de production, l'expérience et le savoir faire des opérateurs ... .
Il en va de même de la distribution avec les études de marché, la description de la clientèle, de la concurrence ou de l'environnement, les intuitions et l'expérience des responsables, ... . Toutes ces informations sont constamment soumises à des transformations. Bref l'entreprise ne peut vivre sans le bain d'information dans lequel elle est plongée. Ce bain est parcouru de multiples boucles de rétroactions: une augmentation des prix oblige à changer de fournisseurs, à rationaliser la production, une nouvelle technologie entraîne des changements dans la fabrication, la pression de la concurrence provoque une autre manière d'approcher les clients, l'apparition de nouveaux produits ou services, ... . On pourrait multiplier les exemples. Ce bain d'information est une véritable soupe de transformations rétroactives, multiples et variées.
Les cuisiniers de la soupe informationnelle, les acteurs ou agents (7) des transformations, sont les « triangles opérateurs ». Ils se composent de trois éléments en interaction: les hommes, les machines (technologies) et les structures (Fig 2). Par exemple, le bureau d'accueil d'une entreprise constitue un triangle: hôtesses et hôtes d'accueil, leurs postes de travail, la place de l'accueil dans l'organisation de l'entreprise. Les triangles sont donc multiples dans une organisation des plus simples (accueil) aux plus complexes (le comité de direction). Ils sont à la fois utilisateurs et producteurs d'information.
Les triangles opérateurs sont responsables des transformations de données en informations et en connaissances ainsi que des passages réciproques entre les champs de l'implicite et de l'explicite. Leur responsabilité est directe ou indirecte. Nous voulons dire par là que si tous les triangles « travaillent » l'information, seuls certains d'entre eux s'y consacrent spécifiquement. Ils opèrent au moyen d'une ou plusieurs de 4 opérations de base: saisie (ou capture des informations), validation (ou vérification de forme et de fonds), agrégation (ou création d'ensembles cohérents) et distribution (ou accès).
Les interactions, c'est-à-dire les importances relatives, à un moment donné, de chacun des membres de cette relation triangulaire, sont fonction du temps, de la masse des données, de la technologie et de la complexité des problèmes traités. Le facteur humain est plus important dans le cas d'un comité de gestion ou d'un artisan et dominant dans son interaction avec les technologies et les structures. La machine est prépondérante dans la salle de contrôle d'un réseau de distribution d'électricité et domine l'interaction avec les autres éléments. L'apparition du PC, la technologie des réseaux ont profondément transformé notre manière de travailler en interaction avec les hommes et les structures et ouvert quantités de nouvelles potentialités dans tous les domaines.
La technologie a d'ailleurs bouleversé notre façon de gérer le processus global de l'entreprise. Avant, il fallait capturer l'information dont les ressources et les processus étaient porteurs pour la traiter et pouvoir agir, maintenant ils sont capables de communiquer directement au système l'information qu'ils contiennent et le système est en mesure de réagir immédiatement sur l'information reçue. Le temps de réaction est singulièrement raccourci et le rôle des intermédiaires remis en question. Pour prendre un exemple, le simple passage de la carte de paiement aux caisses du supermarché déclenche non seulement les écritures de débit et de crédit, mais aussi la mise à jour du profil client, celle des stocks du magasin avec les ré-approvisionnement éventuels voire celle des commandes de fabrication. C'est en gérant désormais directement l'information encapsulée dans les ressources et les processus qu'il est possible d'améliorer leur efficience et, par conséquent, celle de l'entreprise et du business lui-même.
Mais la technologie contient aussi sa propre Némésis. La rigueur apparente d'une base de données, d'un tableur, d'un processus automatisé cachent bien souvent des hypothèses cachées, des suppositions. Déchets à l'entrée, évangile à la sortie! L'ordinateur n'a-t-il pas toujours raison? Par ailleurs la technologie rassure le management. Elle permet de modéliser l'entreprise et de lui en présenter une image compréhensible, rationnelle, bref un bel objet dont il possède la maîtrise. Les non dits, le complexe, l'incertitude pourtant bien présents dans l'entreprise, sont exclus. « Les systèmes d'information sont des outils pour simplifier le complexe,( ... )(qui) masquent la nature dynamique, chaotique de l'organisation (8) ». En plus de cette vision réductrice, elle favorise également une efflorescence informationnelle qui a pour conséquence un entropie de l'information: essentiel et accessoire finissent par se confondre, d'où la non pertinence relative des 20% utilisés dans les processus décisionnels.
La technologie est indispensable et réussit très bien pour tout ce qui concerne les opérations de masse, simples, standardisées structurées, répétitives (par exemple les systèmes de paiement nationaux et internationaux, les traitements en masse des adresses). Mais comme telle, elle échoue bien souvent dès que la complexité apparaît: les systèmes d'information restent alors en reconstruction permanente. Le cas des projets centralisateurs est éclairant à cet égard. Leur nature transversale met en jeu bien d'autres éléments que la technologie, interactions humaines, structures, ... Finalement, il existe entre nous et les technologies une relation ambiguë « ... nous ne pouvons pas vivre sans elles mais nous luttons pour vivre avec elles dans un environnement harmonieux (9) ».
L'entreprise forme donc en elle-même un système d'information. Nous le définissons comme une suite de transformations (10) multiples, interactives et rétroactives, effectuées par des triangles opérateurs à l'aide d'une série de quatre opérations qui s'appliquent indifféremment à des données, des informations ou des connaissances. Ces transformations génèrent des passages entre les champs implicites et explicites de la matière informationnelle et leur suite forme un processus. Un système est composé d'un ensemble de sous systèmes génériques et générés, selon la taille de l'organisation.
De plus, « l'entreprise/SI » « ... est un système adaptatif complexe (11). Il comporte de très nombreux agents passifs et actifs(les triangles opérateurs), liés dans un réseau qui produisent, utilisent, communiquent et transmettent données, informations et connaissances. Le contrôle est dispersé, car on ne peut pas isoler un centre de contrôle particulier, un peu à l'image d' Internet. Les agents servent de blocs de construction à l'organisation du système et sont en réorganisation constante, le long de transformations (données en informations et en connaissances) et d'opérations interactives (saisie, validation, agrégation et distribution). Ils anticipent, par exemple, la demande, l'acceptation ou le refus d'un changement induit par la concurrence, par une nouvelle technologie... Enfin, il se forme des niches dans le système que les agents occupent directement. Tel est le cas avec la création et l'occupation de circuits informationnels informels nécessités par la défaillance ou l'insuffisance des canaux de communication existants ou la formation et le développement de systèmes informatiques dits « pirates » parce qu'ils se situent « en dehors » des structures autorisées et sont créés à leur insu. ». De tels systèmes sont difficilement décomposables car « négliger une partie du système détruit des aspects essentiels de son comportement et de sa structure » (12).
Telle est la réalité, beaucoup plus difficile à saisir, qui se cache derrière la façade lisse, rationnelle, ordonnée et stable que se donnent volontiers les organisations.
En questionnant l'approche habituelle des systèmes d'information, nous sommes arrivés à voir l'entreprise comme un SI et à le situer résolument à la frontière de l'ordre et du chaos, dans le champs de la complexité. Les grappes informationnelles, les transformations, les triangles opérateurs, les domaines implicites et explicite de la matière informationnelle ne suffisent pas seuls à expliquer le fonctionnement global du SI.
Lorsqu'on contemple une rivière ou lorsqu'on « regarde » la soupe informationnelle bouillonnante, chaotique d'un SI, des comportements, des formes similaires finissent par émerger. On les dirait attirés par quelque chose, comme si, derrière le désordre, il existait une force attirant le mouvement, un « attracteur ». Un SI possède un « attracteur informationnel », notion empruntée à la théorie du chaos, « moteur » des séquences de transformations à l'œuvre en son sein. En quelle que sorte, il agit en « attirant » dans la masse grouillante des informations, celles qui passent à sa portée, pour leur donner un sens déterminé, permettre l'action et engendrer de la connaissance. L'attracteur rend compte du comportement du SI.
Pour mieux comprendre, faisons un bref détour par la théorie du chaos (13). Voyons d'abord un système simple formé par un pendule. Celui-ci perd son énergie par frottement et finit par s'immobiliser. En représentant les mouvements du système sur un graphe (Fig. 3), nous voyons les trajectoires converger en spiralant vers un point. C'est l'attracteur du pendule, il « attire » vers lui le mouvement du système.
Prenons maintenant un système complexe, non linéaire, tels la météo ou un certain type de roue hydraulique (14) étudiés par Edward Lorenz (15). Ce sont des système apériodiques qui tendent à se reproduire sans jamais y parvenir. En visualisant leur comportement, on obtient une courbe qui, pour citer James Gleick à propos de l'attracteur de Lorenz (16) (Fig. 4), est « d'une complexité infinie. Elle restait contenue dans certaines limites sans déborder de la page ni repasser sur elle-même. Elle décrivait une forme étrange, très particulière, une sorte de double spirale à trois dimensions, comme les ailes d'un papillon. Cette forme signalait la présence d'un désordre à l'état pur: aucun point ou groupe de points n'y paraissaient deux fois. Pourtant elle signalait également la présence d'un ordre insoupçonné ». Un tel système forme un « attracteur étrange », comme une face de hibou, objet bizarre, entrelacé à l'infini.
"Fig 4 Attracteur de Lorenz
Tel que nous l'avons défini, un système d'information est semblable à un système complexe, non linéaire et l'attracteur de Lorenz convient bien pour le représenter. En effet un SI tourne autour de deux domaines ou points d'ancrage, l'implicite et l'explicite. Chacun forme un « bassin d'attraction » et les transformations provoquent des passages continuels de l'un vers l'autre. En se combinant les deux attractions forment l'attracteur informationnel qui engendre l'orientation générale du système d'information.
L'ancrage implicite prend en compte l'importance du non dit, les visions, les souhaits, les demandes des différents agents de l'organisation, leurs échanges informels au sein de groupes de travail, leurs capacités de réaction et leurs possibilités d'initiative face à l'environnement, c'est-à-dire celles d'amorcer des boucles de rétroaction. L'ancrage implicite se rapproche de la créativité, de l'innovation.
L'ancrage explicite concerne l'information codifiée, celle qui peut être transmise dans un langage formel et systématique. L'ancrage explicite exprime le degré de formalisation et d'explicitation de l'information atteint par l'entreprise. L'ancrage explicite englobe l'ensemble des technologies mises en oeuvre par l'organisation, la stratégie explicite, le contrôle, la gestion quotidienne et opérationnelle, la description des processus, les procédures, la communication structurée.
Les étendues et les forces des bassins d'attraction vont générer des passages, des zones de tension et de partage entre les deux attractions. Elles se « répondent » l'une à l'autre comme un écho. Ainsi les besoins implicites des agents vont provoquer un appel vers la composante explicite pour obtenir de nouveaux moyens de travail via le développement de technologies existantes ou l'acquisition de nouvelles technologies. La demande va générer un supplément d'explicitation dans le système informationnel avec l'analyse et la mise en place d'un projet destiné à la satisfaire. Il y a passage, en quelque sorte, d'un bassin à l'autre. Mais il y aura aussi apparition de tensions au cas ou la réponse donnée est trop limitée, insatisfaisante, ou s'il en résulte la domination d'une attraction sur l'autre. Tel serait ainsi le cas d'agents qui refusent d'accepter de réelles contraintes technologiques ou, à l'inverse, qui imposent une forme de technologie au détriment des besoins.
L'analyse des attractions va permettre de connaître l'attracteur informationnel du SI et d'en montrer le comportement. Pour ce faire, nous utilisons cinq variables interdépendantes qui caractérisent les bassins d'attraction et rendent compte de leurs interactions. Dans chaque domaine, elles varient entre deux pôles ou valeurs extrêmes propre au domaine considéré.
- La variable temps détermine la sensibilité du SI par rapport à la durée, c'est-à-dire les espaces de temps dans lesquels il évolue. Dans l'implicite, elle varie entre le court et le long terme, selon l'horizon temporel vécu par l'organisation. En simplifiant, une entreprise dont la préoccupation majeure des dirigeants est en fait fixée sur l'évolution de son cours en bourse se situera dans un espace temporel restreint, quelque soit par ailleurs son discours explicite. Dans le domaine explicite, la variation se situe entre temps réel et temps différé. Un contrôle aérien doit impérativement travailler en temps réel contrairement à une cellule d'analyse stratégique.
- La variable espace concerne l'étendue spatiale du SI. Elle s'étire, dans les deux domaines, d'un espace limité à un espace non limité. Celui ci peut être géographique ou virtuel ou les deux. L'implicite de l'organisation sera très différent selon que son approche fondamentale est locale ou globale, en d'autres termes s'il s'agit de tenir compte d'une ou de plusieurs cultures et environnements différents. Au plan explicite, une entreprise globale ne peut opérer efficacement sans mettre en œuvre la technologie des réseaux.
- La variable fonction mesure l'adéquation du système à la prise de décision. Dans l'attraction implicite, la variation passera de la verticalité (le cadre de référence décisionnel, même complexe, est défini et connu, par exemple un responsable de la production) à l'horizontalité (nécessité d'intégrer de larges espaces d’incertitudes, par exemple un acheteur qui doit « sentir » la mode de la prochaine saison). La variable exprime aussi la manière dont sont vécues les différentes fonctions dans l'entreprise (les degrés de liberté, les possibilités d'initiatives, le droit à l'erreur ... ) et la force des réseaux relationnels internes, là où se construit la connaissance implicite.
Dans l'attraction explicite, la variable fonction varie entre deux pôles. L'un baptisé « exécution » fait référence à des systèmes structurés qui servent à l'exécution des tâches au moyen de procédures bien définies. L'autre pôle, la « conception », indique la présence de systèmes ouverts et adaptables (systèmes ou outils de conception et de recherche). - La variable usage est liée à l'exhaustivité et à la pertinence. Le système d'information fournit-il les données et informations nécessaires et suffisantes à l’accomplissement des tâches de l'organisation? Dans l'attraction implicite, elle varie de l'analyse à la synthèse en relation avec le contenu des tâches dont les agents sont responsables. Ainsi un manager ne sera pas toujours satisfait de la synthèse qu'il reçoit parce que, implicitement, il attendait plus, ... ses collaborateurs devraient en fait se mettre dans sa tête. Dans l'explicite, la variation s'étendra de l'exhaustivité à la synthèse. Un système de contrôle aérien doit donner en temps réel la totalité des informations sur tous les appareils évoluant dans sa sphère de contrôle. Une synthèse des factures suffit au trésorier.
- La variable contexte est la plus complexe des cinq. Elle mesure la sensibilité du SI aux différentes cultures qui peuvent exister au sein de l'entreprise qu'il s'agisse des comportements innés dans l'organisation ou dans tel ou tel de ses départements ou des diverses chartes qui ont été établies.
Dans l'attraction implicite, elle englobe la culture de l'entreprise et les sous cultures, son histoire et les valeurs qu'elle véhicule ainsi que le style de management. On y retrouvera les grappes informationnelles véhiculées dans l'organisation. Le « contexte implicite » synthétise les comportements collectifs et individuels des agents. Un des pôles de la variable sera le comportement collectif (dauphin) qui met l'accent sur des valeurs et concepts connus et partagés par tous, sur la collaboration et le désir que tous les partenaires soient gagnants. L'autre pôle sera marqué par une composante où les intérêts et les vues personnelles priment sur l'intérêt collectif de l'entreprise (requin).
L'attraction explicite concerne la manière dont les technologies sont comprises et utilisées par les agents de même que l'histoire technologique de l'entreprise avec les différentes couches qui se sont superposées au fil du temps. La variation s'étend sur un mélange de systèmes et de technologies allant de l'opérationnel à l'intégration en passant par les systèmes de communication.
Le tableau ci après donne la synthèse des variables.
Tableau 1 : synthèse des variables
variables | dimensions | implicite | explicite | ||
---|---|---|---|---|---|
pôles | pôles | ||||
temps | temporelle | court terme | long terme | réel | différé |
espace | spatiale | limité | non limité | limité | non limité |
focntion | prise de décision | vertical | horizontal | exécution | conception |
usage | information nécessaire et suffisante | analyse | synthèse | exhaustivité | synthèse |
contexte | culturelle | individuel (requin) | collectif (dauphin) | opérationnel | communication intégration |
La force ou la faiblesse des variables par rapport aux pôles se marque par des séries de + ou de - selon la convention suivante:
Force | Faiblesse | |
---|---|---|
Faible | + | - |
Moyenne | ++ | -- |
Forte | +++ | --- |
Très forte | ++++ | ---- |
Pour illustrer le mécanisme du tableau, prenons l'exemple de la variable fonction d'un SI dans lequel les tâches à accomplir sont bien définies et connues des agents et où il s'agit avant tout de suivre les processus existant. On aura
Tableau 2 : fonctionnement
variable | dimensions | implicite | explicite | ||
---|---|---|---|---|---|
pôles | pôles | ||||
fonction | prise de décision | vertical | horizontal | exécution | conception |
variation |
++++ | -- | +++ | - |
Chaque variable peut par ailleurs être représentée sur un axe (Fig. 5). Les pôles sont situés à égale distance du centre de l'axe. Le milieu de l'axe traduit le passage d'un pôle de variation à l'autre. Chaque variable prendra donc deux valeurs, une de chaque côté du milieu de l'axe, dont la combinaison traduit son influence, dans l'exemple choisi, l'importance de l'exécution sur la conception. Chaque variable représente ainsi une « tension » entre les pôles.
On peut donc « visualiser » un attracteur informationnel, ses deux attractions, leurs variables et les pôles entre lesquels elles oscillent. Il y aura deux groupes de cinq axes chacun, l'un pour l'attraction implicite et l'autre pour l'attraction explicite. Ils se croisent chacun en leur centre. Sur chacun des axes, nous reportons les valeurs attribuées aux variables. En rejoignant les points obtenus pour les valeurs des variables, l'attracteur émerge formé de deux polygones, un pour chaque bassin d'attraction. La figure 6 (voir plus loin) montre un exemple d'attracteur.
La valeur des variables dans un SI donné n'est pas le résultat de mesures précises. C'est la traduction d'une croyance vraie et justifiée quant à l'importance de la variable sur une échelle allant d'un pôle à l'autre: du temps réel au temps différé, de l'exécution à la conception, du vertical à l'horizontal, etc. Ce travail, essentiellement qualitatif, repose d'abord sur de nombreux débats avec les acteurs clés de l'entreprise et sur la lecture des chartes et documents de base de manière à bien comprendre la stratégie, la manière dont elle est élaborée et mise en pratique. Il faudra revenir souvent vers eux afin de valider constamment les résultats des observations et les hypothèses formulées. Il s'agit aussi d'acquérir une bonne compréhension des processus de décision, des activités exercées par l'entreprise et des technologies employées pour produire et utiliser les informations. Il existe incontestablement une part de subjectivité dans les valeurs attribuées aux variables d'un SI.
Nous avons appliqué le concept d'attracteur à l'analyse des systèmes informationnels de plusieurs entreprises. Les exemples que nous présentons sont construits à partir des résultats d'observations et d'expériences effectuées au cours de nombreuses incursions dans divers systèmes d'information. Ils s'inspirent d'entreprises précises mais n'en reflètent pas nécessairement la réalité actuelle, surtout pour les exemples de tension et de rupture. Ils ne préjugent en rien de l'efficacité des entreprises concernées. L'objectif est de concrétiser l'attracteur en montrant qu'il permet de penser autrement les systèmes informationnels, d'en percevoir la nature profonde et de différencier plusieurs types d'attracteurs informationnels.
Le partage
Le premier exemple concerne l'attracteur du système d'information d'une organisation non gouvernementale internationale. La synthèse des observations montre que l'information y joue un rôle indispensable pour la réalisation de ses missions. Pour répondre aux urgences, elle doit connaître précisément les contextes dans lesquels elle opère, anticiper et identifier ses domaines d'intervention, en préciser le périmètre et réutiliser constamment les résultats des expériences vécues. Elle utilise l'information pour informer et sensibiliser l'opinion, faire pression sur les pouvoirs public, motiver les donateurs pour ses campagnes de collectes de moyens financiers et documenter ses appels aux bailleurs de fonds institutionnels. L'organisation produit donc en abondance des informations de qualité. Malgré cette quantité d'information, elle se sentait fréquemment dans la situation de devoir « réinventer » ce qu'elle connaissait déjà, sans pouvoir tenir compte des expériences vécues. De plus, les technologies utilisées (courrier, disques partagés, système de gestion des documents) contribuaient à nourrir un certain chaos informationnel. Il fallait remédier à cette situation.
La culture de l'entreprise est très forte caractérisée par la motivation et la personnalité des acteurs, leur sens d'une communauté d'action et leur aisance à bien se situer dans le court terme et dans la durée. Les échanges d'information s'effectuent facilement et les capacités de rétroaction sont très élevées. Le débat est fréquent et s'exprime au travers de documents largement diffusés et commentés. Le non dit, l'implicite de l'organisation est particulièrement développé. Chaque document important est la résultante d'une somme de discussions, de savoir-faire et d'expériences. Les technologies utilisées sont simples et maîtrisées et, malgré l'effet pervers mentionné plus haut, elles favorisent l'échange et la communication. La structure de l'organisation est matricielle et assez bien intégrée.
L'observation des variables du SI confirme l'analyse globale.
- Les variables espaces et temps
- La variable Fonction
- La variable usage
- La variable contexte
Tableau 3 : partage - temps et espace
variable | pôle | implicite | explicite | pôle |
---|---|---|---|---|
variations | ||||
temps | court terme | +++ | +++ | réel |
long terme | +++ | +++ | différé | |
correspondance |
||||
espace | limité | +++ | +++ | limité |
non limité | +++ | +++ | non limité | |
correspondance |
Les variables « espace » et « temps » sont équilibrées autour des points d'ancrage. Dans l'implicite, toute action à court terme se situe naturellement dans une perspective à long terme et l'entreprise intègre bien les différences culturelles. Dans l'explicite, les réseaux de communication et les systèmes de rapport mis en œuvre par l'organisation, de même que le rythme d'utilisation lui permettent d'obtenir et d'échanger les données et les informations nécessaires, là et quand il le faut. Il y a correspondance entre les 2 domaines.
Tableau 4 : partage - fonction
variable | pôle | implicite | explicite | pôle |
---|---|---|---|---|
variations | ||||
fonction | vertical | + | +++ | exécution |
horizontal | +++ | + | conception | |
correspondance faible |
La variable « fonction » est marquée dans l'implicite par l'esprit d'initiative et une grande capacité à intégrer l'incertitude ce qui est conforme à la culture de l'entreprise. La valeur de l'« horizontal » est donc élevée. L'attraction explicite montre que les outils nécessaires sont disponibles pour l'accomplissement du travail (valeur de l'« exécution » de la variable « fonction ») mais leur potentiel conceptuel reste faible par rapport à la forte demande qui résulte du niveau élevé atteint par la valeur « horizontal » dans l'attraction implicite. Il y a correspondance entre les domaines mais elle est plus faible.
Tableau 5 : partage - usage
variable | pôle | implicite | explicite | pôle |
---|---|---|---|---|
variations | ||||
usage | analyse | +++ | +++ | exhaustivité |
synthèse | +++ | + | synthèse | |
correspondance |
Les fortes capacités d'analyse et de synthèse des acteurs caractérisent le domaine implicite dans la variable « usage ». Elles peuvent certes s'appuyer sur l'importance de l'« exhaustivité » dans l'attraction explicite, mais les systèmes utilisés manquent de moyens pour synthétiser (faiblesse de la valeur « synthèse »). Et quand la production d'informations explicites est très abondante et indifférenciée, l'exhaustivité peut devenir envahissante. Il y a cependant correspondance entre les 2 domaines.
Tableau 6 : partage - contexte
variable | pôle | implicite | explicite | pôle |
---|---|---|---|---|
variations | ||||
contexte | individuel (requin) | - | +++ | opérationnel |
collectif (dauphin) | +++ | - | communication intégration | |
correspondance faible |
Dans l'attraction implicite, la variable « contexte » est très nettement marquée par la culture de l'organisation. La communication entre les agents, à tout niveaux, est naturelle et facilitée par la structure de l'entreprise. La valeur « dauphin (collective) » est élevé et contribue à rendre harmonieux le fonctionnement d'un rassemblement de fortes personnalités. Dans l'attraction explicite, le poids de l'intégration est trop faible en regard de l'appel provoqué par le niveau atteint par la valeur collective de la variable « contexte » dans l'attraction implicite. Le pôle opérationnel qui permet quant à lui la production et le partage d'informations est très fort. Il y a correspondance entre les domaines mais elle est plus faible.
En conclusion, l'intelligence collective existe bien dans l'entreprise mais elle reste dans la part implicite du système informationnel. Elle n'apparaît pas explicitement car elle n'est pas modélisée, synthétisée vu la faiblesse de la valeur « intégration » de la variable « contexte » dans l'attraction explicite et le déficit d'outils de synthèse (variable « usage ») et de conception (variable « fonction »). L'organisation doit souvent reconstruire à partir des données existantes et de nombreuses discussions une information par ailleurs potentiellement disponible mais « cachée », c'est-à-dire consacrer du temps et des efforts à rechercher, collecter et synthétiser. Les correspondances entre les variations des dimensions des variables dans les deux ancrages sont cohérentes et le passage de l'un à l'autre se fait facilement: il existe un bon écho entre les deux. Les bassins d'attraction occupent des surfaces similaires et le recouvrement de leurs bassins respectifs marque la présence d'une zone de partage entre les deux domaines.
La figure suivante représente l'attracteur informationnel de l'organisation, obtenu en reportant sur les axes les valeurs des variables. On remarquera le creux dans l'attraction explicite (faiblesse de l'intégration dans la variable « contexte ») ainsi que la faible valeur de la synthèse dans la variable « usage » et de la conception dans la variable « fonction ».
Cette analyse a eu des conséquences pratiques. En effet, la première réaction eût été de se procurer et mettre en place la technologie manquante pour pallier le manque d'outils de conception et d'intégration et de se lancer dans une démarche d'explicitation de toute l'information. Mais avec l'attracteur présent à l'esprit, la solution consista dans l'amélioration de la valeur « intégration » de la variable « contexte », point faible du SI, empêchant l'expression de l'intelligence collective, en travaillant à la fois les domaines culturels, organisationnels et techniques et en réfléchissant à la nature de l'information, à son utilisation et à sa signification pour l'entreprise. L'investissement technologique fut insignifiant: l'organisation a réussi « à faire plus avec moins ».
La tension
Le second exemple d'attracteur est une reconstruction. Il concerne l'attracteur d'un sous système d'information dépendant du système global assurant la gestion opérationnelle et comptable d'une institution financière de grande taille, tel qu'il avait été construit aux débuts de l'informatisation des services bancaires, fin des années 60 du siècle dernier. Avec le développement des activités internationales dans la décennie qui a suivi, et notamment celles de la salle des marchés, les besoins en matière de contrôle de gestion se sont faits de plus en plus pressants et exigeants.
Le sous système d'information dont il est question servait à ce moment des départements aux responsabilités différentes, les uns concernés par la gestion globale et les autres par les activités internationales dont une branche très particulière et spécifique, la salle des marchés.
Le tableau 7 donne la synthèse des observations sur les variables du système.
Tableau 7 : attracteur de tension - synthèse des variables
variable | pôle | implicite | explicite | pôle |
---|---|---|---|---|
variations | ||||
temps | court terme | +++ | --- | réel |
long terme | +++ | +++ | différé | |
opposition |
||||
espace | limité | + | +++ | limité |
non limité | +++ | --- | non limité | |
opposition |
||||
fonction | vertical | - | +++ | exécution |
horizontal | +++ | -- | conception | |
opposition |
||||
usage | analyse | ++ | +++ | exhaustivité |
synthèse | +++ | ++ | synthèse | |
correspondance | ||||
contexte | individuel (requin) | ++ | +++ | opérationnel |
collectif (dauphin) | +++ | -- | communication intégration | |
opposition faible |
Dans l'ancrage implicite, l'accent sur le « long terme » et le « non limité » des variables « temps » et « espace », ainsi que le poids des valeurs « collective » et « synthèse » dans les variables « contexte » et « usage », traduisent la volonté de maîtrise spatio-temporelle et globale de la rentabilité dont le contrôle de gestion est le gardien. Le poids du « court terme » traduit le fait que le marché bouge tout le temps. L'importance relative de « l'horizontalité » dans la variable « fonction », reflète l'insécurité liés aux activités de marché.
L'attraction explicite est entièrement dominée par le système opérationnel et comptable, travaillant en temps différé, dans un espace national et donc limité. Il y a opposition, car les valeurs atteintes par ces mêmes variables dans l'implicite auraient exigé du temps réel et un espace non limité. Les variables « fonctions », « usage » et « contexte » vont toutes dans le sens de l'exécution, de l'exhaustivité et de la gestion opérationnelle. Là encore, l'attraction implicite aurait demandé pour ces variables, un meilleur répondant explicite, avec des valeurs plus marquées en « conception », en « synthèse » et en « intégration ». La figure 7 représente l'attracteur du système.
Les ancrages implicite et explicite sont déséquilibrés. L'ancrage explicite est dominé par un système informatique bien conçu et efficace pour traiter des besoins strictement opérationnels et comptables. Pour ses utilisateurs, ce système détient, en quelque sorte, l'unique vérité de l'entreprise. C'est un facteur psychologique important. L'ancrage implicite est faible, axé sur de nouvelles activités et marqué par deux tendances opposées dans le management. Les uns veulent démontrer la rentabilité des nouvelles activités, mais aussi couvrir leurs responsabilités vis à vis de l'institution. Les autres, au contraire, s'efforcent de prouver que la rentabilité est exagérée, incertaine, et qu'elle ne couvre pas les risques pris. Enfin beaucoup de responsables éprouvaient des difficultés à comprendre la nature même des opérations de la salle des marchés.
Il existe une zone commune entre les bassins d'attraction. Elle tient au fait que, malgré l'inadéquation du système explicite aux besoins, il restait la seule source d'informations officiellement reconnue par la comptabilité, les commissaires et réviseurs aux comptes et les autorités de contrôle prudentiel. Il fallait donc partir de ces informations, les analyser et les ré-interpréter dans une optique « salle de marché ». Cet effort se traduit par les poids de la synthèse et de l'exhaustivité de la variable « usage » dans les domaines implicites et explicites. Les deux attractions ne se correspondent que sur ce plan et s'opposent sur le reste. Les surfaces des bassins d'attraction sont différentes. L'attraction explicite est plus étendue, plus forte et domine l'attraction implicite.
Il existe une tension entre les deux bassins d'attraction: même s'ils possèdent une zone de recouvrement, le partage ne se fait pas réellement. L'attraction explicite domine.
Historiquement, cette tension dans l'attracteur explique que les responsables (gestion et salle des marchés) aient développé séparément des systèmes propres, conçus comme des excroissances du système comptable. Mais la dominance de l'attraction explicite les a entraînés à vouloir que les informations sorties des trois systèmes (comptable, gestion, salle) soient identiques. Malgré la dépense en temps et ressources, les résultats n'ont jamais donné satisfaction. Ce type d'attracteur explique la persistance des trois phénomènes qui ont présidé à notre réflexion.
Les différences entre l'attraction réelle explicite et l'attraction explicite, telle qu'elle eût été souhaitée en fonction de l'attraction implicite, étaient trop grandes. L'attracteur, dominé par l'attraction explicite, « attirait » constamment le système la gestion opérationnelle et comptable. Il n'était pas possible de changer l'attraction et rapprocher les domaines en conservant les mêmes hypothèses de base. Il eût fallu construire un autre système, complémentaire, en partant d'hypothèses différentes tout en gardant la cohérence finale des informations avec le système comptable.
La rupture
Le troisième exemple analyse l'attracteur informationnel d'une entreprise, issue d'un institut de recherche, travaillant dans le génie logiciel et développant les services qui les accompagnent. Les deux secteurs d'activité appartenaient à deux entités distinctes. Avec le temps, l'évolution des marchés et des besoins des clients, la production de logiciels et les services ont fini par se spécialiser chacun de leur côté. Ils se sont mis à diverger d'autant plus qu'une volonté de croissance a poussé l'entreprise à en racheter d'autres dont les activités étaient plus ou moins similaires à la sienne.
Du fait de ses origines historiques, la culture de l'entreprise est restée relativement forte, caractérisée par un esprit pionnier. L'attraction implicite en témoigne, avec les valeurs « synthèse », « horizontale » et «collective » des variables « usage », « fonction » et « contexte ». (Voir le tableau 8 pour la synthèse des observations)
Cependant, en raison de l'évolution de l'entreprise et de son type de croissance par acquisitions successives, l'attraction implicite fut progressivement dominée par une orientation très marquée par le court terme, engendrée par la recherche du résultat immédiat et par un style de management très individuel. Les changements de management et les modifications de structure sont d'ailleurs nombreuses. Les valeurs « court terme » et « individuel » des variables « temps » et « contexte » ont fini par déterminer le caractère de l'attraction implicite.
Tableau 8 : attracteur de rupture - synthèse des variables
variable | pôle | implicite | explicite | pôle |
---|---|---|---|---|
variations | ||||
temps | court terme | ++++ | indéterminé | réel |
long terme | -- | indéterminé | différé | |
opposition |
||||
espace | limité | +++ | indéterminé | limité |
non limité | +++ | indéterminé | non limité | |
opposition |
||||
fonction | vertical | +++ | ++++ | exécution |
horizontal | (++) | ---- | conception | |
opposition |
||||
usage | analyse | ++ | ++++ | exhaustivité |
synthèse | + | ---- | synthèse | |
opposition |
||||
contexte | individuel (requin) | ++++ | ++++ | opérationnel |
collectif (dauphin) | (++) | -- | communication intégration | |
opposition |
L'attraction explicite est orientée vers la production et le développement des logiciels fournis par l'entreprise. C'est dans cette optique que doivent être considérés les poids des variables explicites « contexte », « fonction » et « usage », marqués par les valeurs élevées de l' « opérationnel », de l'« exécution » et de l'« exhaustivité ».
Pour le reste, il existe des systèmes et outils de travail et de communication individuels que chaque agent utilise au gré de ses envies et de ses besoins: le système informationnel est « a-structuré ». L'intelligence collective existe sous différentes formes dans l'implicite mais elle est très fragmentée selon les cultures d'origine et les activités des personnes.
Dans l'attracteur du système (voir figure 8), les attractions ne se répondent pas et restent dans leurs bassins respectifs. Les centres des systèmes d'axes sont éloignés. Ils ne possèdent qu'un point de tangence qui marque simplement le fait que l'attraction explicite prend la main lorsqu'il s'agit de fournir à un client un des produits ou service de l'entreprise, et que l'attraction implicite domine, quant à elle, la gestion de l'organisation. L'attracteur bascule d'un bassin à l'autre selon le problème à résoudre. Pour « visualiser » l'attracteur, il faut regarder sa représentation comme si les surfaces d'attraction passaient constamment de l'avant à l'arrière plan. Avec ce type d'attracteur, la matière informationnelle reste dans un état de quasi-déshérence.
Il faut toutefois souligner que cette situation du système informationnel n'empêchait pas l'entreprise d'être efficace et de réaliser de très bons résultats. L'information mal ou non gérée n'empêche pas une entreprise d'être efficace.
Les différents exemples montrent différents archétypes d'attracteurs informationnels. Il en existe 3 selon qui différentient les situations d'attraction: le partage, la tension et la rupture.
L'attracteur de partage (Fig 9) (18) est celui où les bassins d'attraction sont globalement équilibrés et dans lequel les processus de transformation convergent vers la zone de partage des bassins d'attraction. Avec un attracteur de partage, lorsqu'un besoin est exprimé, il trouve directement sa traduction dans la mise en place de nouveaux outils, dans l'amélioration de processus existant, ... qui ont un effet de levier sur les potentialités de l'organisation. La créativité peut dès lors se traduire en projets concrets. Il y a cohérence et adéquation entre la culture de l'organisation, les besoins, les informations et les outils disponibles. Le SI de l'entreprise est géré et cette gestion tend à faire évoluer l'attracteur vers un partage optimal. Comme on l'a vu dans l'exemple de l'ONG, les problèmes informationnels trouvent plus facilement une solution.
Dans les attracteurs de tension (Fig 10), l'une des deux attractions est dominante. Les processus de transformation divergent et la zone commune des bassins d'attraction est l'enjeu d'une lutte. Lorsque l'attraction implicite domine, il n'y a pas de lieu pour l'apprentissage et le retour d'expérience. L'entreprise ne parvient pas à valoriser son potentiel de créativité, les projets ne décollent pas. Dans le cas inverse, la domination de l'attraction explicite étouffe les facultés d'innovation et laisse les besoins réels de l'entreprise sans réponse. On a vu dans l'exemple de la banque qu'il fut pratiquement impossible d'obtenir une réponse satisfaisante quant à la rentabilité des activités internationales. Dans les deux cas, technologies et procédures ne répondent pas de manière adéquate aux besoins. La gestion du SI de l'entreprise est dispersée entre les agents avec le plus souvent une trop grande prégnance de la technologie. L'évolution du SI passe par une remise en question des hypothèses sur lesquelles il est construit.
Le troisième type d'attracteur (Fig 11) concerne les attracteurs de rupture. Il n'existe ni cohérence ni adéquation entre les domaines implicites et explicites. Cela se marque essentiellement dans l'inadéquation du SI à la prise de décision et à l'exécution des tâches ainsi que dans une culture très individualiste. L'information est en complète déshérence et l'efficience du SI est nulle si pas négative. Les ressources informationnelles ne sont pas gérées. Il faudra des changements progressifs, systématiques et constants dans les deux attractions pour se diriger vers plus de partage ce qui suppose un changement de culture dans l'organisation.
Une remarque importante s'impose. Cette typologie ne préjuge en rien de l'efficacité des organisations. En effet nombre d'entreprises dégagent de très bons résultats alors que leur information ou d'autres ressources sont très mal gérées. Ces organisations sont efficaces mais inefficientes. L'efficacité mesure le résultat tandis que l'efficience mesure le rapport entre les moyens consacrés et les résultats obtenus. On peut donc être très efficace sans être efficient. Les résultats pourraient être cependant supérieurs avec un meilleure gestion des ressources informationnelles.
L'attracteur donne une vue globale d'un système ou sous système d'information et en décrit le comportement. Il donne ainsi la possibilité d'agir sur le SI afin d'arriver à une meilleure utilisation des ressources informationnelles.
La présence d'un attracteur de partage est la situation optimale. Elle permet de distinguer les zones de faiblesse du SI et de voir ce qu'il faut faire pour les renforcer. Comme on le verra plus loin, ce type d'attracteur est le seul qui facilite l'émergence d'une spirale de connaissance. Avec les attracteurs de tension, l'amélioration du SI passe d'abord par le changement des hypothèses de base qui ont présidé à son élaboration. Cette démarche n'est pas facile à faire admettre et accepter par les acteurs concernés. Les attracteurs de rupture, à notre avis les plus nombreux, présentent pour le SI un défi considérable car il s'agit d'opérer un changement dans la culture de l'organisation.
Améliorer un SI en présence d'attracteurs de tension ou de rupture se heurte donc à des barrières psychologiques considérables. Outre la résistance au changement, la plupart des managers veulent obtenir, en matière d'information, des résultats immédiats et ne retiennent que les produits technologiques « clés sur porte ». Or l'approche par les attracteurs nécessite une réflexion de fonds sur l'information.
Comme nous l'avons déjà mentionné, les valeurs attribuées aux 5 variables d'un SI sont le résultat d'une croyance vraie et justifiée dans l'importance donnée à la variable. Elles résultent du travail d'observation que nous avons esquissé en décrivant les variables. Ce travail s'apparente à une maïeutique informationnelle. Il s'agit d'amener l'entreprise elle-même à « accoucher » du système informationnel dont elle est porteuse. Il a pour objectif de cerner domaines, transformations et passage et de faire émerger l'attracteur. Pour ce faire, il s'appuie sur une cartographie du SI qui démontre sa sensibilité aux cinq variables. Il peut être individuel ou collectif. Dans le premier cas, l'observateur utilise l'attracteur comme outil d'analyse afin de trouver la solution à un problème (l'exemple de l'attracteur de partage). L'autre approche consiste à former un petit groupe de personnes motivées, connaissant bien l'entreprise et de dresser ensemble les cartes du SI.
Il existe bien sur bien des nuances entre ces deux extrêmes. Des contraintes sont cependant à respecter. Dès l'abord, il faut toujours conserver la vision d'ensemble. L'échelle des cartes ne sera ni trop grande, pour ne pas se perdre dans les détails, ni trop petite pour conserver les points de repère significatifs. Ensuite il est indispensable de valider en permanence les hypothèses et les résultats. Enfin il faut éviter de tomber dans trois pièges: détourner le travail pour entreprendre soit un travail de ré-ingénierie du SI , soit un projet de gestion des connaissances, c'est-à-dire faire expliciter par les acteurs la part tacite de leur savoir, soit se livrer à un choix de technologies.
Nous mentionnons brièvement les trois jeux de cartes utilisés dans la cartographie (19). Le premier est celui qui permet de parcourir les processus génériques de l'entreprise et certains processus générés, spécifiques et essentiels, sans lesquels elle serait incapable de fonctionner. Le second jeu est celui des usages informationnels qui associe à chaque carte du premier jeu les informations, implicites et/ou explicites, que le processus utilise et produit lors de son exécution. C'est un agrandissement des cartes des processus vues sous l'angle informationnel. Le troisième jeu de cartes montre les suites de transformations de données en informations, leurs agrégations et les différentes vues des triangles opérateurs sur les informations. Les trois jeux de cartes sont complétés les technologies avec leurs historiques, les objectifs de départ et la description de l'utilisation réelle qui en est faite.
Nous avons vu que dans un système informationnel les champs de l'implicite et de l'explicite sont liés. Il existe dans l'attracteur un lieu commun- quelle que soit par ailleurs sa « surface »- dans lequel les forces d'attraction entrent en compétition. Ce mélange des attractions caractérise l'attracteur et lui donne sa force. Cet espace est un lieu de partage, de tension ou de rupture.
Considérons maintenant le modèle (20) SECI (Fig. 8) de Nonaka et Takeushi (21) qui décrit la création d'une spirale de connaissance par les passages de la connaissance implicite vers la connaissance explicite. Très brièvement, les échanges informels devant « la machine à café » (connaissance sympathique) se transforment progressivement en concepts (connaissance conceptuelle). Ceux ci sont combinés pour former un système (connaissance systémique) qui est alors opéré, intériorisé- c'est le retour vers l'implicite (connaissance organisationnelle)- et on se retrouve finalement devant la machine à café. Mais c'est une nouvelle machine et le café est meilleur. La boucle recommence et la spirale de connaissance est amorcée. Chaque cadrant forme un « ba », concept que Nonaka et Konno (22) ont introduit en poursuivant leur réflexion sur la formation de connaissances dans l'entreprise et mieux l'expliquer. Le « ba » pourrait se traduire grossièrement en français par « lieu » ou « espace », un espace partagé pour des relations émergentes.
Nous avons défini la connaissance comme l'ensemble des informations qui permettent d'agir. Elle émerge donc du SI qui constitue la source où la spirale prend naissance. L'attracteur informationnel est alors la force qui déclenche et entretient le mouvement de la spirale.
L'espace commun partagé des bassins d'attraction forme un « ba », un lieu virtuel d'échanges entre les deux attractions de l'attracteur. Le passage d'une étape de la connaissance à l'autre ne peut se faire harmonieusement que si l'attracteur du système d'information est du type partagé. Dans ce cas, la partie commune des bassins d'attraction forme comme un « ba de synthèse », ou « ba d'intégration », un espace à partir duquel le processus dynamique de création de connaissances peut se déployer et amorcer sa spirale créative. Cette dernière exerce une rétroaction sur l'attracteur informationnel par le biais des changements résultant d'une accumulation de nouvelles informations via l'intériorisation.
Les autres types d'attracteur auraient comme effet de déséquilibrer la création de connaissances soit en donnant trop d'importance à certains processus de transformation (attracteur de tension) soit en les dissociant complètement (attracteur de rupture) et en empêchant par-là les passages de l'implicite à l'explicite. Autrement dit, la spirale ne « couvrirait » pas les passages d'un domaine à l'autre mais se diviserait, une pour chaque domaine.
On admet volontiers que l'information est une ressource et qu'elle exerce un effet de levier important sur toutes les autres ressources de l'organisation. Notre pratique nous montre qu'en général l'information n'est pas gérée au même niveau de responsabilité et d'importance que les ressources financières, humaines, technologiques, ...
Optimaliser l'information demande une bonne connaissance du SI qui constitue un système complexe adaptatif. Mais il y a un refus de cette réalité. Trop souvent le système est décomposé et géré par morceaux ce qui, nous l'avons vu, détruit des aspects essentiels de son comportement et de sa structure. La technologie exerce également son emprise trop prégnante qui rassure les managers mais génère une vision réductrice du système. On confond également connaissance et information, sans bien réaliser que la connaissance est issue du SI et qu'il ne sert à rien de tout vouloir expliciter. Le domaine de l'information implicite reste toujours présent et résistera à toutes les tentatives pour le faire disparaître tout simplement parce qu'il constitue une part intime de l'expérience tant individuelle que collective des acteurs de toute société ou organisation.
Il faut saisir un système informationnel dans son ensemble pour pouvoir en comprendre le comportement, rendre compte de l'entrelacs des passages, des transformations et des rétroactions entre les composants et domaines de la matière informationnelle et mesurer sa sensibilité aux cinq variables dont il dépend.
C'est ici qu'intervient l'attracteur informationnel. Il explique le SI. En caractérisant l'attraction du système, il donne les raisons pour lesquelles telle ou telle évolution est possible ou non. Son analyse indique les motifs et la nature des changements à effectuer et leur direction. C'est par la connaissance de l'attracteur qu'on peut valoriser au mieux les ressources informationnelles. C'est une autre approche, différente, qui exige une réflexion de fonds sur l'information.
Notre dernière conclusion aura trait à l'importance du facteur humain dans les systèmes d'information. C'est l'acteur essentiel, irréductible à la technologie. Le savoir, la connaissance résident toujours en dernier ressort chez les femmes et les hommes. Seuls ils possèdent la capacité de les faire émerger.
Notes
0) Alain Tihon est consultant en stratégie d'information et gestion des connaissances et en ré-ingénierie des processus. Il est diplômé en économie appliquée (ICHEC Bruxelles). Il possède une longue expérience dans le management de l'information dans le secteur bancaire où il a exercé de nombreuses fonctions de management dans des secteurs variés. Il a crée Spin out en 1997 pour conseiller les entreprises et les ONG dans leurs choix stratégiques en matière de systèmes d'information et de connaissances. Il a publié différents articles: « L’intelligence économique dans la PME : visions éparses, paradoxes et manifestations », Coordonné par Alice Guilhon, L’Harmattan 2004 (En collaboration avec Marc Ingham, professeur IUM), « L’attracteur informationnel » Cahier de la Documentation 2005/1, Mars, « A different approach to information and knowledge management » publié sur :« http://www.knowledgeboard.com/lib/3493 » Il est l'auteur du livre, « Les attracteurs informationnels » publié par les éditions Descartes & Cie, Paris, 2005.
1) Les attracteurs informationnels, Alain Tihon, Descartes & Cie, Paris, Collection Interface-économie 2005
2) Byosiere P., Ingham, M. « Création de connaissances et innovations », Revue française de gestion, mars-avril-mai 2001
3) La loi de Parkinson énonce que «Une tâche nécessite toujours tout le temps dont on dispose pour l'effectuer». Si un manager dispose de 10 personnes pour effectuer une tâche qui en demande normalement 5 pendant un mois, il réussira toujours à occuper les 10 à cette même tâche pendant un mois ». In « 1 = 2 ou les règles d'or de Mr. Parkinson », Parkinson C. Northcote, Robert Laffont, Paris, 1957. Le principe de Peter: « Dans une hiérarchie, chaque employé tend à s'élever jusqu'à son niveau d'incompétence » et certains le pulvérisent, ajoutent les mauvaises langues. In « The Peter Principle » Dr Laurence J. Peter and Raymond Hull, Pan Books 1970.
4) « Les attracteurs informationnels » op cit. Nous suivons l'explication donnée par Rafael Capurro dans « ON THE GENEALOGY OF INFORMATION » , papier publié pour la première fois dans: K. Kornwachs K. Jacoby Eds. « Information. New Questions to a Multidisciplinary Concept », Akademie Verlag Berlin 1996, p. 259-270.
5) Tiré de Ikujiro Nonaka, Noboru Konno, The Concept of "Ba’: Building Foundation for Knowledge Creation. California Management Review, Vol 40, No.3 Spring 1998.
6) Dans la suite, le terme information couvre en fait le triplet donnée, information, connaissance.
7) Par agent, nous entendons soit une personne, soit un ou plusieurs groupes, formels, par exemple un groupe de travail pour un projet, ou informels, soit un morceau de la structure ou d'un système de l'organisation.
8) Neil McBride in « Chaos Theory and Information Systems », Department of Information Systems, Faculty of Computing Sciences and Engineering, De Montfort University, Leicester, GB.
9) In « Chaos Theory and Information Systems ». Op cit.
10) Une transformation est une fonction d'opérateurs et d'opérations.
11) « Les attracteurs informationnels » pp 80, op cit. Voir “Complexity , The Emerging Science at the Edge of Order and Chaos”, le chapitre consacré à John H. Holland pp 144 et suivantes.
12) In « Management et complexité: Concepts et théorie » R.A. Thiétart, Cahier n°282 Avril 2000 CENTRE DE RECHERCHE DMSP, Dauphine Marketing Stratégie et Perspectives.
13) Ces exemples sont tirés de « La théorie du chaos. Vers une nouvelle science » , James Gleick, Albin Michel 1989
14) Des seaux percés sont accrochés à la jante de la roue. L'eau se déverse en haut de celle-ci. A un certain niveau de débit, la roue se met à tourner car le poids du seau supérieur déclenche un mouvement régulier. En augmentant progressivement le débit, il arrive un moment où le mouvement devient chaotique. Il n'est plus possible de prévoir le sens de la rotation.
15) Edward Lorenz est un mathématicien et météorologue américain qui a travaillé au Massachussets Institute of Technology d ans les années 60. C'est en travaillant sur la météo qu'il a découvert l'attracteur.
16) L'attracteur de Lorenz, « La théorie du chaos. Vers une nouvelle science » p 50, op cit.
17) Les comportements « dauphin » et « requin » caractérisent les dimensions collectives et individuelles de la variable. Ils sont expliqués dans « La Stratégie du Dauphin », Dudley Smith et Paul Kordes, les Editions de l'Homme, 1994.
18) Les polygones donnent une vue « statique » de l'attracteur d'un SI. En fait l'attracteur est un objet complexe et dynamique. Il faut l'imaginer dans l'espace. Les ellipses donnent , mutatis mutandis, une représentation générale plus conforme à l'attracteur de Lorenz.
19) Voir « Les attracteurs informationnels » op cit, pp 127 et suivantes.
20) S= socialisation, E = externalisation, C = combinaison et I = intériorisation.
21) In Nonaka I. Takeuchi H. ( avec des contributions de M. Ingham). « La connaissance créatrice : la dynamique de l’organisation apprenante », De Boeck, Collection management, Bruxelles, 1997
22) Voir Ikujiro Nonaka, Noboru Konno, op. cit.
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« Fontaines de connaissance » ou « musées du livre » ?... Les bibliothèques municipales selon leurs non-usagers
Ressi — 30 novembre 2007
Olivier Moeschler, OSPS Observatoire Science, Politique et Société, Université de Lausanne
Résumé
Dans toutes les grandes agglomérations, environ la moitié de la population, voire plus, ne fréquente pas les bibliothèques municipales. C’est notamment le cas à Genève, où une étude compréhensive a été menée sur les pratiques et les représentations des non-usagers de bibliothèques municipales, afin de mieux comprendre les logiques de non-fréquentation de ces établissements.
Mis à part le degré de notoriété des bibliothèques municipales ou le rapport des personnes au livre et à la lecture, ce sont les images positives et négatives associées aux bibliothèques et aux bibliothécaires qui s’avèrent être un obstacle important pour les non-usagers (qui sont souvent des ex-usagers) et qui les empêchent de réintégrer la fréquentation de ces établissements dans leurs habitudes.
L’étude, menée avec la collaboration d’une volée d’étudiants futurs bibliothécaires, procède à une radiographie sans fard de cet imaginaire qui n’échappe pas à certaines caricatures, tout en proposant des pistes pour transformer ces « ennemis symboliques » des bibliothèques en alliés et réinscrire ces établissements au cœur de la Cité.
Les bibliothèques municipales à Genève, ce sont 7 bibliothèques (espaces adultes et jeunesse), une médiathèque, un établissement dédié au sport, deux discothèques et un service de bibliobus (5 véhicules en tout), incluant un service à domicile et un service de prison, avec 190 collaborateurs au total. Pas moins de 620'000 documents sont disponibles en libre accès, et l’on dénombre 50'000 inscrits, 500'000 visites et 1'600'000 prêts annuels (7'600 prêts par jour) ainsi que 270 animations culturelles par an (1).
Toutefois, une partie considérable de la population genevoise – environ la moitié, selon un sondage récent – ne profite pas de cette offre impressionnante (2). Pourquoi ces personnes ne fréquentent-elles pas les bibliothèques municipales ? Comment devient-on un non-usager de bibliothèques ? Et qu’est-ce qui pourrait faire (re-)venir ces personnes dans ces établissements ?
Pour répondre à ces questions, une étude exploratoire a été menée par le soussigné, dans le cadre du cours « Sociologie des publics » qu’il dispense à la HEG Haute école de gestion, Filière information documentaire, en collaboration avec la Cellule étude et projets du Service des bibliothèques et des discothèques municipales, au Département des affaires culturelles de la Ville de Genève. Elle s’inscrivait dans le « Projet accueil » mené par la Cellule, dont le but est l’élaboration d’une nouvelle stratégie d’accueil – et notamment d’une Charte d’accueil – au sein des bibliothèques municipales à Genève (3). Cette démarche, inédite dans la Cité de Calvin, se base sur les résultats de trois enquêtes :
- dans un premier temps, une investigation a été menée à l’interne, auprès des équipes des différentes bibliothèques municipales à Genève. Celles-ci ont été priées de remplir un questionnaire portant sur des thèmes tels que les valeurs fondatrices, les missions et les satisfactions du métier de bibliothécaire, les compétences mobilisées, l’accueil des usagers ou encore la fonction des bibliothèques. Les conclusions de cette première enquête ont servi de base à la rédaction d’une première version de la Charte ;
- dans un deuxième temps, deux enquêtes « externes » ont eu lieu, respectivement auprès des usagers et des non-usagers des bibliothèques municipales genevoises. Ces deux études ont été menées par des professeurs de la HEG, dont le soussigné, dans le cadre de travaux pratiques d’étudiants de la Filière information documentaire. Les résultats de ces deux enquêtes ont également eu une influence sur la Charte d’accueil puisqu’ils ont été diffusés au sein des établissements au moment de la consultation interne de la première mouture de cette dernière.
Cette contribution présente les résultats issus de l’un des deux volets de l’enquête externe, portant sur les non-usagers des bibliothèques municipales à Genève. Car, si elle s’inscrit dans le contexte d’une démarche spécifique et locale, cette étude voudrait également contribuer, au-delà des frontières genevoises, à combler une lacune concernant une population assez peu connue et difficile à étudier.
On sait à travers les statistiques nationales que la majorité de la population ne fréquente pas, loin s’en faut, les bibliothèques : en France, selon la dernière édition des Pratiques culturelles des Français, en 1997, pas moins de 69% – ou sept personnes sur dix de la population française de 15 ans et plus – n’avaient pas fréquenté, dans les douze mois, de bibliothèque ou médiathèque. Cette étude nous rappelle que la fréquentation de ces établissements est directement liée à l’âge (seul un peu plus d’un tiers des 15-19 ans n’a pas fréquenté d’établissement dans les douze mois, contre 85% des 65 ans et plus), mais aussi à la catégorie socioprofessionnelle des personnes concernées : en effet, les cadres, les professions intellectuelles supérieures et les professions intermédiaires ont bien plus de chances de fréquenter une bibliothèque ou médiathèque que des ouvriers, des employés, des artisans ou encore des agriculteurs (Donnat, 1998 : 241-244) (4). De plus, cette étude révèle que si la part d’usagers a augmenté entre 1989 et 1997 en France (de 23% à 31%), ces chiffres portent en fait, on l’a dit, sur les « bibliothèques et médiathèques » ; surtout, la part d’usagers non-inscrits a augmenté elle aussi entre ces deux années, et ce plus fortement, suggérant une utilisation de plus en plus variée – pas forcément liée au prêt de supports – de ces établissements, une tendance à la diversification des usages par ailleurs confirmée récemment par une enquête du CREDOC (Maresca, 2006) (5). Les usagers des bibliothèques municipales sont par ailleurs assez bien connues : une étude menée il y a quelques années à l’échelle nationale en France en a décrit dans le détail les caractéristiques, les habitudes et les opinions (Bertrand et al., 2001).
Mais peu de choses sont connues au sujet d’une population qui, par définition, est moins facile à cerner, pour la simple raison que, précisément, elle ne se trouve pas entre les murs des établissements qu’elle ne fréquente pas, et où il aurait été aisé de les interroger. Pourtant, lors d’un colloque de sociologues de la réception tenu il y a quelques années et dont les actes viennent de paraître, l’importance de l’étude des « non-publics de l’art » – le pluriel est, on le verra, important – a été réaffirmée (Ancel et Pessin, 2004). Pour le domaine des bibliothèques, un spécialiste des publics a récemment relevé un manque de connaissances en la matière : selon cet auteur, il « serait intéressant de pouvoir disposer de travaux compréhensifs auprès des non-usagers, de façon à mieux connaître cette population et la manière dont elle perçoit l’offre des bibliothèques » (Poissenot, 2002 : 20). La présente étude s’inscrit dans la droite ligne de cette exigence de plus d’analyses qualitatives, à l’image de l’enquête du CREDOC déjà citée, menée en 2005 également auprès de focus groups.
Réalisée à Genève dans le cadre d’un travail pratique d’étudiants de première année en Information documentaire – de futurs bibliothécaires donc – à la HEG, l’étude dont on rend compte ici ne peut bien sûr remplacer une démarche qui nécessiterait, pour produire des résultats tant soit peu représentatifs, des moyens autrement plus importants. Mais elle peut fournir quelques premiers éléments de réponses aux questions posées et, partant, des pistes pour des recherches plus systématiques à entreprendre à l’avenir, à Genève ou dans d’autres agglomérations urbaines.
Comment interroger des non-usagers de bibliothèques municipales, où les trouver ? En accord avec la Cellule étude et projets, mais aussi en relation avec les possibilités données, on a opté pour une approche relativement ouverte et exploratoire : le but de cette enquête menée « hors les murs » était moins de récolter un grand nombre d’informations quantifiables sur les non-usagers que d’être à l’écoute ce ces derniers, de recueillir leur parole. La méthode choisie était donc résolument qualitative et compréhensive : c’est moins la représentativité que l’on cherchait à obtenir qu’une variété de témoignages. Ceci afin de décrire, dans le détail, les craintes et les freins, mais aussi les attentes et les désirs des non-usagers en matière de bibliothèques, et plus généralement de comprendre plus précisément les raisons de leur non-fréquentation ce ces établissements.
Un bref questionnaire-grille d’entretien a été élaboré en collaboration avec la Cellule ainsi que suite à un brainstorming des étudiants concernés, qui se sont montrés enthousiastes à l’idée d’interroger cette population à la fois peu connue et potentiellement centrale dans leur future pratique de bibliothécaires. Outre la problématique générale de la démocratisation culturelle et l’inégalité de l’accès aux lieux de culture, les thématiques et aspects suivants nous ont intéressés :
- la question de l’accueil était au centre des interrogations : les personnes ont-elles eu par la passé des (mauvaises) expériences avec l’accueil dans les établissements ?
- Plus généralement, il s’agissait de décrire les pratiques – il faudrait dire non-pratiques dans ce cas – et les représentations des individus en matière de bibliothèques : pour quelles raisons ne fréquentent-ils pas, ou plus, ces établissements ? Pourquoi n’ont-ils pas le « réflexe bibliothèque » ? Comment les personnes perçoivent-elles les bibliothèques et les bibliothécaires ? Quelle est la fonction, quels sont les avantages ou les désavantages de ces établissements à leurs yeux ?
- Au sein des répondants, on a tenu à pouvoir distinguer les non-usagers « absolus » du groupe un peu particulier des ex-usagers : en effet, les professionnels se rendent compte que, venu un certain âge, bon nombre de personnes, pourtant inscrites en bibliothèque, cessent de les fréquenter.
- On a également travaillé dans l’optique de ce qu’on appelle le « deficit model », postulant une méconnaissance de l’offre, voire de l’existence même des bibliothèques municipales : quel est leur degré de notoriété dans le quartier, et des autres bibliothèques municipales genevoises ? Les personnes connaissent-elles l’éventail de supports qui leur est proposé dans ces établissements ?
- La question des loisirs médiatiques en général des personnes nous a également intéressés ; parmi les différents supports utilisés (médias, DVD, Internet…), la question de la lecture, mais aussi du rapport à l’objet « livre », nous a particulièrement occupés : comment les personnes se procurent-elles des livres, si elles ne les empruntent pas ? Trouvent-elles important de posséder un ouvrage et pourquoi ?
- Le thème des enfants – de la non-fréquentation des bibliothèques par des parents de jeunes enfants – a aussi été considéré.
- On s’est enfin intéressé en outre à l’usage potentiel des établissements : que devrait proposer une bibliothèque selon les non-usagers, qu’est-ce qui pourrait éventuellement les faire (re-)venir en bibliothèque ?
- Les questions de profil portaient sur le sexe, l’âge, la formation, la profession, la langue, la nationalité, le domicile et les raisons de la présence dans le quartier.
Au final, le questionnaire comportait une vingtaine de questions, très souvent ouvertes, ainsi que les questions sociodémographiques. Le lecteur intéressé le trouvera annexé à ce texte.
Adaptée aux possibilités en termes de temps (l’ensemble de l’enquête devait se faire sur un semestre) et de personnel disponible (les deux classes concernées comptaient une quarantaine d’étudiants, répartis en groupes), la démarche choisie impliquait que l’on découpe la ville en une douzaine de zones, correspondant en gros aux bibliothèques et discothèques municipales existantes (plus un quartier sans bibliothèque, comme « groupe de contrôle », et un groupe s’occupant des quartiers traversés par le bibliobus), dans lesquels des « micro-échantillons » de la population étaient à interroger (6).
Dans chacune des ces zones, une vingtaine d’individus environ ont été interviewés par les étudiants (5 répondants par enquêteur) en avril et mai 2006 ; ces derniers avaient reçu l’instruction de choisir les personnes de manière aussi aléatoire que possible, tout en veillant au mieux à l’équilibre de leur échantillon de quartier (notamment en termes de sexe, d’âge et de nationalité) (7). Des tris effectués sur des données obtenues auprès de l’Office cantonal de la statistique genevois avaient permis d’avoir une image globale de la population des quartiers concernés en termes d’âge et de nationalité, ce qui pouvait servir de repère aux étudiants dans leurs enquêtes. Toute personne de 15 ans ou plus entrait en ligne de compte pour l’interrogation, pour autant bien sûr qu’elle réponde par la négative à la première question : celle de savoir si elle avait fréquenté une bibliothèque municipale genevoise dans les douze derniers mois (8). Il ne s’agit donc pas forcément d’échantillons d’habitants des quartiers concernés : en effet, vu la mobilité des personnes à l’intérieur d’une ville et la possibilité qui en découle de s’inscrire et d’emprunter dans des établissements se situant ailleurs que dans son quartier d’habitation, on a renoncé à se limiter aux seules personnes domiciliées dans la zone en question. Les échantillons concernent donc des personnes qui habitent, travaillent, font leurs courses, se promènent ou qui se trouvent pour quelque autre raison que ce soit dans les espaces publics (rues, places) du quartier concerné aux heures de pointe, à savoir à midi ou en fin d’après-midi, un jour de semaine (et c’est dans ce sens que l’on parlera dans la suite de « leur » quartier) ) (9).
Les données recueillies dans les quartiers ont fait l’objet d’un double travail de la part des étudiants. Dans un premier temps, des portraits individuels ont été réalisés pour chacune des personnes interrogées : rédigés à partir de prénoms fictifs selon des directives uniformes, le but de ces petits textes (d’une demi page environ) était de transformer en un récit et, par là, de rendre lisibles et communicables les informations récoltées au cours du mini-entretien conduit (10). Cette opération impliquait donc une mise en ordre et, déjà, un premier choix parmi les réponses des individus ; avec notamment la question de savoir quelles réponses ouvertes – jugées particulièrement révélatrices, originales, drôles ou inquiétantes – inclure comme citation dans le portrait. Puis, dans un deuxième temps, chaque groupe d’étudiants a rédigé une synthèse des réponses de son quartier, sur la base de la mise en commun et confrontation des informations recueillies par chaque membre du groupe.
Les chapitres qui suivent présentent d’une certaine manière la « synthèse des synthèses », ou un résumé des synthèses d’étudiants et des principales tendances qui se dégagent du kaléidoscope d’informations et de témoignages aussi riches que parfois inattendus recueillis auprès des non-usagers de bibliothèques municipales dans les différents quartiers de Genève. Le rapport final complet est disponible auprès de l’auteur.
La première image qui se dégage des données récoltées est celle d’une grande hétérogénéité : à lire la douzaine de synthèses de quartier et les quelque 200 portraits confectionnés par les étudiants, « le » non-usager de bibliothèques municipales – au sens d’un individu au profil typé – n’existe pas !
Sans doute qu’une analyse statistique révélerait, au sein de l’échantillon des personnes interrogées, une surreprésentation de certains groupes (socialement défavorisés) et une sous-représentation d’autres (les catégories socioprofessionnelles supérieures, dont on a dit qu’elles ont plus de chances de fréquenter les bibliothèques). Mais les réponses récoltées montrent surtout que dans tous les milieux sociaux, toutes les professions, toutes les nationalités et tous les âges, les individus ont de « bonnes » raisons – ou pensent du moins en avoir – de ne pas fréquenter les bibliothèques municipales. A l’image des pratiques culturelles elles-mêmes, très éclectiques et individualisées (Donnat, 1994 ; Lahire, 2004), le non-public des bibliothèques est, en définitive, pluriel, la non-utilisation de ces établissements prenant des formes multiples.
Le profil des personnes interrogées est donc, par définition, très hétérogène ; de fait, tout le monde peut être, ou devenir, un non-usager de bibliothèques municipales. Un des groupes d’étudiants a décrit l’échantillon très bigarré des personnes abordées comme suit : « trois étudiants, dont un qui travaille à 40% à côté de ses études, un cameraman, une femme qui travaille dans le domaine social, un ‘SDF en plus sain’, une esthéticienne, un cuisinier, un éducateur, une commerçante, un garagiste, une nettoyeuse, un rédacteur, une employée de commerce et une retraitée ». Mais dans les échantillons de certains quartiers, des tendances sont perceptibles, notamment en termes de nationalité – au moins autant en lien avec la composition de la population du quartier qu’avec des tendances concernant la population globale des non-usagers. Ainsi, dans le quartier de la Servette, l’échantillon interrogé était, selon les étudiants, « principalement de nationalité suisse » ; aux Pâquis par contre, quartier où, selon les statistiques disponibles, les personnes de nationalité étrangère sont majoritaires, les étudiants n’ont rencontré que trois Suisses sur 15 répondants, et ont décrit ce quartier comme « extrêmement cosmopolite » ; un multiculturalisme qui constitue à ne pas en douter un défi pour les bibliothèques, sur lequel nous reviendrons par la suite.
Autre tendance qui se dégage : les raisons pour ne pas, ou plus, fréquenter de bibliothèques municipales sont nombreuses et variées ; elles ne sont en aucun cas réductibles à la question de l’accueil. En effet, en règle générale, l’accueil dans les établissements ne constitue, selon les souvenirs des non-usagers (qui sont très souvent, c’est un autre résultat de cette étude, des ex-usagers), pas un problème, l’accueil étant même en majorité loué comme ayant été très bon (rappelons que les étudiants avaient reçu l’instruction de ne pas mentionner le fait qu’ils allaient eux-mêmes devenir des bibliothécaires). Seule une petite minorité de répondants avait un mauvais souvenir de l’accueil en bibliothèques, le décrivant comme « froid », « peu sympathique », « trop scolaire » ou encore ressemblant à « une corvée ». Pour le reste – et à l’image de cet étudiant guinéen à Genève de 24 ans qui décrit l’accueil dans les établissements comme « génial » –, la grande majorité des personnes interrogées ne critique pas l’accueil de la part des professionnels. Le problème est donc ailleurs.
Les raisons pour ne pas ou plus fréquenter les bibliothèques municipales qui sont le plus souvent invoquées par les non- (ou ex-) usagers sont le manque de temps, la pratique d’autres activités (le sport a plusieurs fois été mentionné), mais aussi le fait d’avoir terminé sa formation et de ne plus avoir besoin de s’y rendre, le manque d’intérêt pour la lecture mais aussi très souvent, on y reviendra, le fait de préférer posséder les livres. A noter que la question du « temps » possède deux dimensions : outre celui qui manque aux personnes, il renvoie aussi au problème, souvent relevé par les répondants, des horaires des bibliothèques, qui peuvent se superposer avec les horaires de travail des personnes, rendant matériellement difficile pour ces dernières le fait de se rendre en bibliothèque.
Un certain nombre de non-usagers font référence plutôt aux bibliothèques elles-mêmes pour justifier leur non fréquentation – on y reviendra quand il s’agira de l’image des établissements : on les trouve trop silencieux, fermés, ou dotés d’une classification des livres trop difficile à comprendre. L’éloignement du domicile est aussi évoqué, de manière intéressante par les extrêmes en termes d’âge: les personnes âgées, souvent à mobilité réduite, et les plus jeunes, qui voudraient pouvoir commander ou, au moins, choisir les ouvrages depuis chez eux, par Internet. L’argument d’un possible manque d’hygiène de livres en circulation permanente n’a été entendu qu’une fois au cours de l’enquête.
Mais en définitive, c’est en général un ensemble de facteurs, lié à un style de vie, aux habitudes de tous les jours, qui fait que l’on arrête de fréquenter les bibliothèques. Comme écrit un des groupes d’étudiants, « la plupart des personnes qui ne vont plus en bibliothèque municipale ont eu un changement dans leur vie qui fait qu’elles n’ont soit plus le temps de s’y rendre, soit qu’elles préfèrent avoir leur propre collection de livres ». Ce « changement » est, souvent, l’entrée dans la vie professionnelle : un certain nombre de répondants ont d’ailleurs explicitement renvoyé au fait qu’ils n’avaient « plus besoin » d’aller en bibliothèque, parce qu’ils ne sont plus en formation et/ou parce qu’à présent, ils disposent de moyens suffisants pour s’acheter des livres.
Un point mérite d’être relevé ici : le manque de livres dans sa langue est également souvent évoqué, par définition principalement par les personnes de nationalité étrangère mais qui représentent, on l’a dit, une proportion importante de la population, jusqu’à être majoritaire dans certains quartiers. Ici, le problème de « Culture » souvent relevé concernant les bibliothèques – au sens de la culture légitime ou classique qu’elles représentent – se cumule avec un problème de « culture », au sens anthropologique du terme cette fois : le fait qu’une partie de la population ne parle pas (encore), ou pas assez bien, la langue de la grande majorité du fonds des bibliothèques, constitue sans nul doute l’un des grands défis qui se pose aux bibliothèques, à une époque où les migrations et le brassage des populations ne cessent d’augmenter.
Autre élément important, le degré de notoriété des bibliothèques municipales genevoises et de leur emplacement. En règle générale, environ la moitié des non-usagers interrogés par les différents groupes ne savent pas qu’il y a une bibliothèque municipale dans leur quartier ; l’autre moitié en connaît le nom, mais pas toujours l’emplacement. De fait, passé la Bibliothèque de la Cité, la plus grande et la plus centrale, assez largement connue, les bibliothèques municipales genevoises ne sont pas très familières de la population et/ou ne sont pas identifiées comme telles (on peut citer le cas, étonnant, de cet écrivain et député local interrogé qui, habitant la Jonction, ne savait vraisemblablement pas que s’y trouvait une bibliothèque, et ne peut que citer l’« établissement de la Madeleine » comme bibliothèque municipale). C’est davantage le cas dans certains quartiers : ainsi, à Vieusseux, sur les vingt personnes interrogées, aucune ne connaissait la discothèque du quartier, sauf une qui en avait entendu parler mais qui n’en connaissait pas l’emplacement. Cela dépend aussi du type d’établissement : une bibliothèque spécialisée comme celle des sports, qui est de plus excentrée, est quasi inconnue: seule une personne sur les dix interrogées dans ce secteur en avait entendu parler ! Cette dernière est d’ailleurs quasi introuvable aussi : le chemin pour atteindre cet établissement, situé au milieu d’un parc somptueux, n’est, semblerait-il, signalé par aucun panneau (si bien que l’une des personnes croisées par les étudiants dans le parc cherchait la Bibliothèque des sports depuis plus d’une heure, en vain !). Le problème semble toutefois général : les étudiants ont eux-mêmes souvent constaté la situation cachée et/ou mal signalée de certains établissements (comme à la Servette, où la bibliothèque est, selon leurs témoignages, un peu en retrait, dans un bâtiment discret et à peine signalé ; la Discothèque de Vieusseux, non signalée et avec une entrée peu claire, serait presque introuvable ; la Bibliothèque des Pâquis est difficile à identifier car proche d’un bâtiment scolaire, avec lequel elle se confond ; de fait, même la Bibliothèque de la Cité, invisible depuis les rues commerçantes, est difficile à trouver pour un néophyte). D’autres bâtiments sont visibles mais souffrent d’un entretien négligé (c’est le cas de la Bibliothèque des Minoteries, dont l’extérieur défraîchi ne semble correspondre en rien à l’intérieur). Quant au bibliobus, il semblerait qu’il soit – peut-être aussi par sa localisation et ses horaires variables – très peu connu: par exemple, à Champel, seule une personne sur quinze savait que le quartier est desservi par ce bus. Bref, en termes de signalisation et de visibilité – au sens tout à fait premier du terme – des bibliothèques municipales, il y aurait sans doute, déjà, des choses à faire ; ou, comme conclu un groupe d’étudiants : « il est temps que les bibliothèques municipales se fassent connaître ! ».
Notons enfin aussi dans ce contexte que l’offre des bibliothèques est souvent mal connue des non-usagers de ces établissements. Si certains non-usagers pensent que les bibliothèques ne renferment que des ouvrages documentaires, pour ce qui est des livres, la multiplicité des titres disponibles et des domaines représentés semble grosso modo connue (comme de cette étudiante en ostéopathie, qui décrit le contenu d’une bibliothèque comme suit : « encyclopédies, romans, autobiographies, médecine, histoire, biologie, manuels, philosophie, poésie, etc. »). Mais souvent, on en reste aux livres, les services plus récents – disques, DVD, Internet – étant souvent mal, voire pas du tout connus (notamment dans certains quartiers ; ainsi, sur la vingtaine de personnes interrogées à Vieusseux, seules quatre connaissaient l’offre audiovisuelle des bibliothèques municipales). A noter aussi que le concept même de « discothèque » était inconnu d’une partie des répondants. Pourtant, les personnes interrogées utilisent la plupart de ces supports à domicile, certes moins pour les plus âgéees ; comme le dit ce groupe d’étudiants, « on remarque que les gens utilisent beaucoup les moyens de culture mis à leur disposition mais ne savent pas forcément que tous ces documents sont dorénavant disponibles dans la plupart des bibliothèques ».
Parmi les grandes tendances qui se dégagent des résultats, il y a la question des représentations des non-usagers en matière de bibliothèques. Tout d’abord la fonction des bibliothèques en général ; elle est le plus souvent décrite comme fondamentale, centrale : les bibliothèques sont là pour rendre la culture ou le savoir accessibles à tous (on parle également d’instruire ; quelqu’un a même dit « cultiver les gens »), et ce gratuitement ou à moindre frais, et donc indépendamment du niveau social des individus. Avec quelques belles images ou slogans à la clé : la bibliothèque a pu être appelée une « fontaine de connaissances » ; quelqu’un d’autre la décrit tout entière comme « un ouvrage de référence » ; de manière plus ambivalente, un répondant a parlé d’un « musée du livre », renvoyant certes à quelque chose de précieux, mais aussi de figé, de passé, voire d’inaccessible. L’aspect « historique » ou de conservation est par ailleurs également mentionné par certains. Une fonction élargie est évoquée quand il est question pour la bibliothèque d’« offrir des loisirs » voire du « divertissement ». Parfois, c’est à un rôle civilisateur plus général que l’on pense : la bibliothèque est alors décrite comme un lieu sans violence, qui vient en aide aux personnes.
La fonction sociale ou de sociabilité de ces établissements est également perçue par certains non-usagers : quand il s’agit de décrire les avantages des bibliothèques, elles sont décrites comme « espace de rencontres ». Le calme, propice au travail et à l’étude, voire simplement le fait d’avoir un moment pour soi, sont également relevés comme positifs ; comme aussi le fait de trouver les livres qui ne sont plus dans le commerce, de pouvoir feuilleter un livre avant de l’acheter en magasin, ou encore tout simplement de « trouver tous les livres qu’on veut » (quelqu’un a dit : « livres pour chacun, culture pour tous »). Un endroit plein d’avantages en somme : un répondant pense même qu’« il n’y a pas de désavantages, et c’est ça l’avantage ». A noter que parmi les personnes interrogées, les personnes de nationalité étrangère avaient souvent une meilleure image, une plus haute estime des bibliothèques que les Suisses.
Car un certain nombre de désavantages des bibliothèques sont également relevés par les répondants, qui ne sont souvent d’ailleurs que le pendant des avantages cités – ce qui rend bien sûr la tâche difficile pour toute personne qui voudrait les éliminer ! Outre les délais, les contraintes, l’attente à l’accueil ou le fait de devoir se déplacer, on critique – alors que le côté historique est relevé comme important – le fait que les nouveautés et/ou les best-sellers ne soient pas disponibles, ainsi que le choix restreint ou alors parfois à l’inverse le manque de livres dans un domaine très pointu. L’ambiance studieuse, silencieuse dérange certains – par exemple cet employé de commerce, qui dit : « les bibliothèques, c’est ‘mort’ pour moi » (quelqu’un d’autre parle d’une « ambiance de vieux ») ; on estime qu’il y a trop peu de monde, un manque d’animation, ou à l’inverse qu’il y aurait parfois foule. On se réjouit de la gratuité mais quelqu’un a fustigé les coûts des bibliothèques pour la collectivité. Si l’offre abondante a été louée, la classification et la difficulté à la comprendre sont plusieurs fois évoquées comme désavantages. Très souvent, on y reviendra, c’est l’impossibilité de garder les livres qui est regrettée.
Le premier mot qui vient à l’esprit des non-usagers en pensant aux bibliothèques reflète les aspects – ceux positifs comme ceux négatifs – évoqués : la grande majorité des personnes pense, bien sûr, à « livre » (mais nous interrogerons ce lien qui semble naturel dans la suite de cette contribution), parfois aussi à « lire », « lecture », ou encore à « bouquin » (une personne a pensé à « journaux »). Mais les répondants renvoient aussi à « silence », « renfermement », « institution », voire « vieillot », « pénible », « obligation », « chercher », « rapporter » ; un retraité, ancien gestionnaire de banques, pense d’emblée aux quatre mots suivants en songeant aux bibliothèques : « obligations, délais, chercher, rapporter » ! On pense enfin également à des mots tels que « connaissance », « savoir », « recherche », « culture » ou encore « histoire ».
Un autre élément important ici est la question de l’image des bibliothécaires auprès des non-usagers. Cette image s’avère « mitigée », selon le mot de l’un des groupes d’étudiants. Assez étonnamment si l’on songe au fait qu’il s’agit de personnes qui ne fréquentent pas, présentement, de bibliothèques, la grande majorité des enquêtés produit sans difficultés une image des bibliothécaires, sans doute un doux mélange de souvenirs d’enfance et de stéréotypes véhiculés par les films (cf. Chaintreau et Lemaître, 1993). L’image de la profession – ou des personnes qui l’exercent – qui se dégage des réponses oscille, comme peut-être le livre lui-même (qualifié par un enquêté de « loisir rigide »), du plus positif au plus négatif. Premier constat : dans la quasi totalité des cas, c’est sous les traits d’une femme qu’on imagine un – ou en l’occurrence une – bibliothécaire ; comme s’étonne ce groupe d’étudiants : « à entendre les gens, on a l’impression qu’il n’y a que des femmes dans le domaine bibliothécaire ». D’une certaine manière, tant la bonne que la mauvaise image dont jouissent les bibliothécaires est alors liée aux ambivalences des caractéristiques associées à la femme en général. Les qualificatifs positifs ne manquent pourtant pas : les bibliothécaires sont sérieuses, cultivées, avides de savoir, intellectuelles, lisent beaucoup et inspirent le respect ; elles sont sympathiques ou, du moins, attentives, serviables, disponibles ; elles ont également été décrites comme « modernes », « jolies filles »... Ne craignant pas les clichés, certains ont aussi parlé de « rats de bibliothèques », voire de « petites souris méticuleuses et méthodiques ». Les bibliothécaires sont « des personnes à la fois passionnantes et passionnées », estime quant à elle une enquêtée.
Mais, parmi les non-usagers interrogés, ce sont bien les qualificatifs négatifs qui prévalent. Dans les portraits, on ne compte pas les adjectifs tels que « sévère », « austère », « stricte », « vieux et poussiéreux », et des expressions telles que « vieilles femmes à lunettes », « femmes âgées, maigres et avec chignon très serré » (le chignon et les lunettes étant des éléments récurrents dans cette imagerie), ou encore « vieilles filles à tendance religieuse » voire « frileuses, cul-serré, enveloppées dans de grosses jaquettes »… A en croire les répondants, les bibliothécaires seraient toutes des « psychotiques du rangement », des « femmes n’ayant rien réussi dans leur vie », « frustrées par la vraie vie » qui « sont trop dans leurs livres » ! Des enquêtés ont raconté leur sentiment d’être en permanence surveillés par les bibliothécaires, certains disent même pour toute réponse : « chut ! ». Bref, on ne peut que suivre cette répondante qui, conseillère en image de profession, pense que les bibliothécaires souffrent d’« une image un peu vieillotte qu’il faudrait dynamiser ».
Un autre grand thème qui se dégage des résultats est le rapport à la lecture. On constate tout d’abord qu’une grande partie des non-usagers lit, même si les livres lus sont souvent peu nombreux et le sont prioritairement pour le travail. De fait, rares sont ceux qui admettent ouvertement ne pas lire, ou ne pas aimer le faire – comme cette jeune étudiante interrogée, qui déclare haut et fort : « lire, ça m’gave ! ». Dans la grande majorité des cas, ne pas aller en bibliothèque ne veut nullement dire ne pas lire : comme l’ont constaté les étudiants, « malgré le fait que les gens lisent beaucoup, cela ne fait pourtant pas d’eux de grands utilisateurs de bibliothèques municipales ». En majorité, les personnes qui lisent achètent leurs livres ; certains pratiquent l’échange en famille, vont au marché aux puces voire, plus rarement, les récupèrent dans la rue. La grande majorité des personnes trouve en effet – même quand elles ne lisent pas – qu’il est important de posséder ses livres. Posséder un livre donne une certaine liberté : on peut le relire, s’y replonger quand on veut (« quand on possède un livre on peut le lire pendant 100 ans et on n’est pas limité dans le temps comme c’est le cas lorsqu’on l’emprunte à la bibliothèque », a dit quelqu’un) ; on peut aussi le prêter, l’user, écrire dedans ; on l’a toujours à disposition : c’est, dans les mots des étudiants, un peu « le savoir à portée de main ».
Un grand nombre de réponses renvoient moins à la lecture qu’au rapport au livre comme objet, qui semble plus important pour les personnes que ce que l’on pouvait imaginer. Certains enquêtés évoquent l’importance des livres comme une sorte de culture accumulée : un répondant a désigné les ouvrages chez soi comme de la « culture indestructible », quelqu’un d’autre parle de « pérennité », on parle de se constituer un « patrimoine » ; les étudiants ont même rencontré quelqu’un qui, affirmant posséder près de 5'000 ouvrages à son domicile, pourrait presque prétendre rivaliser avec une petite bibliothèque publique ! Un groupe d’étudiants a rencontré une personne qu’ils qualifient de « bibliophile » puisqu’elle « aime simplement posséder des livres », d’autres enquêtés évoquant l’importance de pouvoir avoir chez soi les livres que l’on a aimés. Certains parlent de « l’attachement » aux livres (« on s’y attache », dit un retraité) et de la « relation particulière » qu’ils entretiennent à l’objet « livre » – ce qu’un groupe d’étudiants a appelé un « instinct de thésaurisation » (une enquêtée parle d’ailleurs de ses « trésors » en parlant de ses livres ; une autre dit : « j’aime avoir mes livres dans une armoire mais pas les lire »). Nombreux sont par ailleurs les témoignages qui évoquent l’importance de posséder des livres chez soi pour « décorer son appartement », « impressionner ses invités » ou, simplement, pour « faire joli ». Cet attachement au livre comme objet – que l’on aime et/ou que l’on montre – constitue bien sûr un véritable casse-tête pour les bibliothèques, lieu où la possession des ouvrages est par définition impossible, ou seulement éphémère.
Enfin, une dernière question à laquelle on a cherché à répondre est celle de l’offre qu’une bibliothèque devrait proposer aux yeux des non-usagers, et qui pourrait, peut-être, les faire (re-)venir dans ces établissements. Comme le remarquent des étudiants : « les non-usagers, loin de se désintéresser du sort des bibliothèques, expriment de nombreuses suggestions ou propositions » ; seule une minorité des répondants n’a rien su ou voulu répondre à cette question. Les propositions faites – elles sont de fait souvent déjà réalisées dans les établissements – concernaient, en vrac :
- davantage de nouveautés, un fonds plus complet, une offre plus large (presse, nouveautés, supports électroniques, livres d’images ont été cités), ou encore plus de journaux ; certains souhaitaient plus de livres en langue étrangère ;
- la possibilité de livraison à domicile, de commander à distance (« que la bibliothèque vienne à moi »), ou au moins la possibilité d’effectuer des recherches à la maison, sur l’Internet (surtout de la part des jeunes) ;
- des horaires plus flexibles, notamment une ouverture à midi, plus de souplesse concernant les délais de retour, une classification plus facile à comprendre (ces points sont des classiques) ;
- concernant l’accueil : plus de convivialité, donner davantage envie d’y entrer et d’y rester, être moins austère, proposer un lieu plus vivant, une décoration plus joyeuse, plus de disponibilité du personnel pour aider dans les recherches ;
- un coin café, un coin café-lecture, voire un « bistrot-bibliothèque » où l’on pourrait « boire un verre et échanger ses impressions sur les livres » (demandé aussi par des personnes âgées), ou au moins une machine à café, un distributeur, mais aussi un coin canapé, voire un coin fumeur (plusieurs personnes ont évoqué le fait qu’ils aiment fumer en lisant) et un cybercafé (ou encore un tea-room) ont été demandés ;
- certains désirent des salles où l’on peut parler à haute voix, d’autres une « ambiance feutrée » ;
- on souhaite des expositions plus variées, des petites expositions en relation avec le livre ; des débats, des lectures, par exemple par des personnalités ; des invitations d’auteurs ; des journées à thème, ou alors des nocturnes ; voire de la musique, des concerts ou encore des films (notamment des films tirés de romans – le cinéma, dont on a vu qu’il est en partie responsable de l’image stéréotypée dont souffrent les bibliothécaires, pourrait donc s’avérer une passerelle précieuse vers les bibliothèques) ;
- la possibilité d’acheter sur place les livres qui ont plu ;
- une garderie, un « coin où l’on peut parquer les enfants et choisir tranquillement » ;
- des jeux vidéo (notamment pour attirer les jeunes) ;
- une affiliation gratuite ;
- mieux cibler le public ;
- d’une manière générale, prendre plus en compte les besoins des usagers ;
- certains ont parlé de la visibilité, qui est à améliorer ; faire de la publicité, notamment dans les écoles, mais aussi plus largement.
Reste à savoir jusqu’à quel point les bibliothèques municipales seraient d’accord de s’ouvrir, d’intégrer les desiderata des (non-)usagers, sans avoir l’impression de se dénaturer ou de faillir à leurs missions, qui font toutefois sans cesse l’objet de redéfinitions et, partant, d’extensions. A noter aussi qu’une partie de ces propositions (nouveautés, presse, supports électroniques, expositions, invitations d’auteurs, nocturnes...) concerne des éléments qui font, déjà aujourd’hui, partie de l’offre des bibliothèques – ce qui renvoie du même coup à un problème d’information et de communication manifeste. En tous les cas, quelle que soit la solution choisie, les étudiants ont sans doute raison en disant que « les bibliothèques ont un bel avenir devant elles à condition qu’elles sachent s’adapter et rester à l’écoute ».
L’analyse du non-public des bibliothèques s’avère intéressante, et ce à au moins deux égards. Tout d’abord, elle est une manière de mieux comprendre son double étudié d’habitude, à savoir le public des bibliothèques ; ou, comme l’a récemment dit un auteur dans un des rares textes qui porte, précisément, sur les non-usagers de bibliothèques : « la fréquentation ne se comprend que par l’analyse de la non fréquentation » (Poissenot, 2003). Ensuite et surtout, elle seule permet de mieux comprendre les logiques de la non-fréquentation des bibliothèques municipales et, par là, d’esquisser des voies pour que les non- et les ex-usagers (re-)deviennent des usagers de ces établissements.
Sur le plan macrosociologique et statistique, les raisons pour lesquelles certains groupes de la population ont moins de chances de fréquenter des établissements tels que des bibliothèques sont connues. On a déjà évoqué l’importance du profil sociodémographique. Il est également établi que les habitudes de lecture ont une influence sur le fait de se rendre ou non dans ces établissements ; récemment, lors d’une controverse qui a animé la recherche sur les publics des bibliothèques, l’importance également du niveau de diplôme – et, à travers lui, de la ressemblance ou, souvent, dissemblance entre les non-usagers et le personnel des bibliothèques – a été relevée, amenant une touche supplémentaire au tableau (11).
Le but de cette brève étude, menée dans un cadre pédagogique, n’était pas – ne pouvait pas être – de confirmer ou contredire ces résultats, ne serait-ce parce qu’elle s’en distinguait d’emblée de par sa méthode. Celle-ci a été décrite comme à la fois qualitative et compréhensive, attachée à appréhender les pratiques et, surtout, les représentations en matière de bibliothèque du dedans, du point de vue de ses non-usagers. Dans cette cartographie mentale des personnes qui ne fréquentent pas les bibliothèques municipales, ce qui semble avoir été révélé par la démarche entreprise ici, c’est un problème d’image – ou, plutôt, d’images, au pluriel – qu’ont les bibliothèques aujourd’hui pour une grande partie de la population.
Tout d’abord, image au sens premier du terme. Les bibliothèques municipales sont mal connues : leurs noms, leurs emplacements restent obscurs pour une part non négligeable des personnes. L’enquête a montré que la localisation des établissements, la signalétique et, parfois, l’image donnée par les bâtiments eux-mêmes, peut poser problème. Mais c’est aussi plus généralement l’identité des établissements et leur inscription dans un réseau comptant, à Genève, plus d’une dizaine d’unités, qui n’est que peu, voire tout simplement pas perçue pas les non-usagers. Il y aurait là peut-être une réflexion et, partant, un effort à faire pour renforcer, voire créer une identité collective, un « label », une ligne graphique commune. Celle-ci serait, pour les non-usagers comme d’ailleurs pour les usagers, aussi une garantie de trouver un certain standard et un certain nombre de services au sein des établissements ainsi désignés (au delà de la spécificité locale de chaque succursale, qui reste sans doute un atout précieux), voire, à terme, de pouvoir profiter d’une fluidité des supports entre les établissements, une possibilité qui ne pourrait qu’être perçue comme un avantage à l’ère de la mise en réseau généralisée.
Image ensuite au sens des représentations qui structurent l’imaginaire des personnes autour des bibliothèques : il est apparu que ces dernières s’inscrivent, pour les non-usagers, dans ce que l’on pourrait appeler une chaîne de significations qui, trop souvent, éloigne ces établissements de leur pratiques et envies de tous les jours. Les résultats l’ont montré, les bibliothèques municipales ont une série d’« ennemis symboliques » qu’il s’agirait de combattre si l’on veut augmenter le nombre d’usagers de ces établissements (cf. Tableau ci-dessous). Le fait même que les livres soient – selon l’étymologie du mot bibliothèque – réunis en un « coffre », donc en un seul lieu, et les déplacements ainsi que la confrontation avec d’autres personnes (attente, etc.) que cela occasionne, est souvent relevé comme négatif par les non-usagers ; c’est l’une des raisons pour lesquelles on n’a pas le temps – un autre adversaire redoutable des bibliothèques, semblerait-il – de fréquenter ces établissements. Le silence, le côté studieux et (supposément) austère du lieu ont également été mentionnés par les non-usagers, comme aussi les contraintes imposées par le prêt. Un autre de ces ennemis symboliques semblent être les bibliothécaires eux- ou elles-mêmes : généralement représentées sous les traits d’une femme aigrie avec des lunettes et un chignon, la bibliothécaire semble pour beaucoup réunir certains des traits les plus « posés » que les stéréotypes courants attribuent aux femmes (tendance au rangement et à l’ordre, application stricte des règles, circularité et répétitivité, etc.) qui, du coup, entrent en collision avec les composantes plus « débridées » que l’on se plaît à accorder à ces mêmes femmes (imagination, irrationalité, irrégularité, beauté, etc.) et qui feraient tache – aux yeux des non-usagers – dans l’univers des bibliothèques.
Un autre obstacle majeur est, de manière étonnante, le livre lui-même, du moins en tant qu’objet : l’enquête a démontré l’importance pour les personnes – même, voire surtout, quand elles ne lisent pas ou peu – de posséder un livre, de pouvoir le montrer, ou simplement le conserver chez soi. Les bibliothèques en tant que lieu où, par essence, il est impossible de posséder un ouvrage, posent alors problème. Ici, on peut se demander s’il ne vaudrait pas la peine de tenter une redéfinition de la bibliothèque : d’un lieu de livres, elle deviendrait ce qu’elle est avant tout, à savoir un lieu de lecture, qui facilite le fait de lire – bien plus que d’avoir – des livres. L’envie de posséder des livres – sans doute encouragée aussi par des impératifs consuméristes – est répandue à un point que l’on peut d’autre part se demander si une connexion, une collaboration ponctuelle entre ces mondes à la fois si distants et si proches des bibliothèques et des librairies ne devrait pas être tentée. Le fait de pouvoir prendre connaissance d’un livre avant de l’acheter – l’absence de l’obligation d’achat – a été relevé comme avantage de la bibliothèque ; on pourrait imaginer un système de recherche et de renvoi qui permettrait ensuite à chaque personne qui a aimé un ouvrage emprunté en bibliothèque de le retrouver facilement chez un libraire et de l’acheter.
Enfin, c’est plus généralement la « Culture » elle-même, avec un grand « C », qui est apparue comme un ennemi potentiel des bibliothèques : sa force (et, peut-être, son essence) de « distinction » (Bourdieu, 1979) valorise bien sûr ces lieux de savoir et d’histoire que sont les bibliothèques, mais les affaiblit aussi, dans le sens que, « musées du livre » (comme exprimé de manière révélatrice par un répondant), ils paraissent aussi nécessaires que finalement inutiles ou, du moins, inutilisés – voire inutilisables – aux yeux d’une trop grande part de la population. A en croire certaines publications récentes, les bibliothèques ont tout à gagner à déplacer leur centre d’activité de la culture classique et essentiellement livresque à la diffusion et à l’échange de l’information en général : d’un « coffre à livres », la bibliothèque deviendrait alors plus généralement un dispositif de redistribution, voire de transformation, des savoirs inscrits (Bazin, 2000).
En bibliothèque, certaines améliorations peuvent sans doute être entreprises par des mesures spécifiques relativement simples : les horaires, les règles régissant le prêt et les amendes, les formalités d’inscription, les tarifs, la classification et sa présentation ou explication, enfin l’accueil et l’attente en bibliothèque, tous ces aspects doivent probablement faire l’objet d’une réflexion et de quelques ajustements. Mais c’est plus profondément d’une transformation de leur image, au sens fort du terme, qu’ont besoin les bibliothèques. Actuellement, rien n’oblige les non-usagers de fréquenter les bibliothèques et de s’y approvisionner en livres ; du moins le pensent-ils. L’enjeu est donc de les convaincre du contraire, autrement dit : de convertir les « ennemis symboliques » évoqués en « alliés » : autrement dit, de persuader les non-usagers que les désavantages rattachés aux bibliothèques peuvent, précisément, constituer des avantages (cf. Tableau) (12).
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La nécessité de se déplacer et d’être confronté à d’autres usagers deviendrait ainsi une possibilité d’échange, de sociabilité ; le temps que ça prend et que l’on perd, du temps que l’on se prend, que l’on a pour soi, que l’on gagne ; le silence, du calme ; les contraintes de l’institution, des règles claires, prévisibles et, par là, rassurantes ; les bibliothécaires « aigries et renfermées », du personnel accueillant et sympathique ; le fait de ne plus devoir être en formation et d’aller en bibliothèque, la possibilité de pouvoir à nouveau apprendre ; la gratuité et l’impossibilité d’acheter, la possibilité de ne pas acheter, le privilège de ne pas devoir le faire ; enfin, la possession d’un ouvrage, sa lecture et donc l’appropriation de son contenu plutôt que du livre comme objet.
Au final, c’est toute la relation à la culture qui est mis en branle dans l’usage et le non-usage des bibliothèques municipales. De par la multiplicité à la fois des supports qu’elle recèle et des domaines qu’elle recouvre, la bibliothèque pourrait être le lieu d’une redéfinition de ce rapport à la « culture », non plus seulement au sens étroit de culture légitime (Grignon et Passeron, 1989), mais plus large de loisirs et de pratiques culturelles, voire au sens plus anthropologique d’identité sociale et d’appartenance à un groupe. De « musées du livre », les bibliothèques deviendraient alors en quelque sorte des laboratoires où s’expérimentent des nouveaux liens au savoir et, partant, à la société. Les propositions d’amélioration faites par les non-usagers de bibliothèques à Genève, qui peuvent parfois sembler naïves ou farfelues, sont probablement à prendre dans ce sens : comme des incitations à (re-)mettre les bibliothèques au centre de la Cité et de la vie de ses habitants. Si cette étude peut contribuer un tant soit peu à proposer des pistes dans cette direction, elle aura atteint l’un de ses buts les plus chers.
Notes
(1) Informations tirées de la brochure Bibliothèques et discothèques municipales de la Ville de Genève (Cellule étude et projets, 2006). Dans cet article, les mots se référant à des personnes ne sont pas féminisés mais se réfèrent aux hommes et aux femmes.
(2) Enquête sur les pratiques culturelles dans le canton de Genève, sondage mené par MIS Trend, Lausanne, en juin-juillet 2004, sur 800 personnes de 15 à 74 ans dans le Canton de Genève. Selon le graphique 6, 47% de l’échantillon n’a jamais fréquenté une « bibliothèque » (au sens général n.b.) dans les douze mois.
(3) Une Charte d’accueil, qui a d’abord été diffusée d’abord à l’interne (fin 2006), et qui le sera auprès du large public (en 2008), en constitue l’aboutissement le plus visible.
(4) A noter que, portant sur l’ensemble du pays avec les zones rurales, le chiffre de fréquentation français est logiquement moins élevé que celui de l’agglomération genevoise. Pour Paris intra-muros, la part de public récent des bibliothèques se monte par contre à 49%.
(5) La même remarque peut être faite pour le cas de Genève : en recoupant les chiffres cités en introduction, avec un public récent des bibliothèques (certes toutes catégories confondues) de 47% et seulement 50'000 effectivement individus inscrits sur une population de plus de 300'000 habitants, la part d’usagers non-inscrits doit être importante.
(6) Les quartiers et établissements genevois couverts par l’enquête de terrain étaient les suivants : autour des bibliothèques de la Cité, des Eaux-Vives, de la Jonction, du Pâquis, de la Servette, de Saint-Jean, de la bibliothèque et discothèque des Minoteries, de la discothèque Vieusseux, de la Bibliothèque des Sports, du Bibliobus (Plan-les-Ouates et Grand-Saconnex), enfin à Champel-Florissant (quartier sans bibliothèque).
(7) Afin d’éviter l’« effet de l’enquêteur » bien connu des sociologues, les étudiants avaient reçu l’indication de ne pas préciser au départ la nature exacte de leur formation (le fait qu’ils sont de futurs bibliothécaires, ce qui aurait sans aucun doute dirigé les réponses dans un sens non voulu).
(8) Pour des questions juridiques et pratiques, il a été décidé de ne pas interroger de personnes de moins de 15 ans et notamment des enfants ; on a préféré thématiser la question des enfants dans le questionnaire adressé aux adultes ou jeunes adultes.
(9) Si les touristes et autres personnes de passage en Suisse ont été exclues pour des raisons évidentes, les frontaliers ont par contre été inclus, puisque la possibilité existe pour ces derniers d’emprunter – via une démarche à effectuer auprès de la bibliothèque de leur lieu d’habitation – des livres à Genève.
(10) Les portraits contenus dans un ouvrage récent de Bernard Lahire sur les pratiques culturelles, quoique bien plus longs, nous ont servi de modèle (Lahire 2004).
(11) Voir Poissenot, 2001, ainsi que les réactions et la réponse de Poissenot in BFF, 2002, t. 47, n. 1.
(12) L’idée d’explorer les « alliances » - en l’occurrence symboliques – des bibliothèques est inspirée de la « sociologie de la traduction » développée par Bruno Latour ou Michel Callon (voir de manière emblématique dans Callon, 1986).
Bibliographie
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Bazin P. (2000). « Bibliothèque publique et savoir partagé ». In BBF, t. 45, n. 5, pp. 48-52.
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Nom de l'étudiant-e : | Date : | Quartier : |
QUESTIONNAIRE NON USAGERS BIBLIOTHEQUES MUNICIPALES A GENEVE
Bonjour, je suis un-e étudiant-e de la Haute école de gestion, à Genève. Nous menons actuellement une enquête auprès de la population genevoise. Une question : avez-vous fréquenté, ces 12 derniers mois, une BM à Genève ? Si OUI, alors REMERCIER, PAS D’ENQUETE ! Si NON : Auriez-vous une dizaine de minutes à me consacrer ?
Etes-vous inscrit-e dans une BM à Genève ? Non Oui :
Quel est le 1er mot qui vous vient à l’esprit en pensant à une bibliothèque ?
Avez-vous fréquenté une des BM genevoises par le passé ?
Si oui : Pour quelle(s) raison(s) ne fréquentez-vous plus de BM ? (depuis quand ; événement précis ?)
Comment était l’accueil de la part des bibliothécaires ? Si non : Vous n’avez jamais fréquenté de BM à Genève. Pour quelle(s) raison(s), qu’est-ce qui vous en empêche ? |
Fréquentez-vous une bibliothèque publique dans une autre ville ? Non Oui
Quelle(s) fonction(s) remplit d’après vous une bibliothèque dans une ville ?
D’une manière générale, quels sont les avantages et les désavantages d’une bibliothèque, pour vous ?
Av. :
Désav. :
A votre avis, que peut-on se procurer ou consulter dans une BM ?
Quelle image avez-vous des bibliothécaires ?
Et pourquoi ?
Saviez-vous que dans ce quartier, il y a une BM (ou discothèque) : (dire le nom) ?
Oui, connaît nom et localisation Connaît nom mais pas localisation Non, ni l'un ni l'autre
Pouvez-vous citer d’autres BM à Genève ?
A propos de vos habitudes de lecture. Lisez-vous des livres, quel que soit le genre et quelle que soit la raison pour laquelle vous les lisez ?
0 1-4 / an 5-9 / an 10-19 / an 20+ / an
Quelle proportion de ces livres lisez-vous dans le cadre de votre travail ?
tous la majorité moitié moitié une minorité aucun
Comment vous procurez-vous des livres (achat, échange…) ?
Le fait de posséder un livre est-il important pour vous ?
Et pourquoi ?
Que devrait proposer une bibliothèque, qu’est-ce qui pourrait faire que vous y alliez ?
Avez-vous des enfants de moins de 10 ans ?
Non Oui :
Vos enfants lisent-ils ou regardent-ils des livres ?
Non Oui :
Pourriez-vous vous imaginer leur chercher des livres en bibliothèque (si non, pourquoi) ?
Quelques questions sur vos loisirs.
Lisez-vous des journaux ou des magazines ? Non Oui
Regardez-vous chez vous des films sur k7 ou DVD ? Non Oui
Ecoutez-vous chez vous de la musique sur k7 ou CD ? Non Oui
Utilisez-vous chez vous des CD-ROMs (sur l’ordinateur) ? Non Oui
Avez-vous chez vous la possibilité de surfer sur Internet ? Non Oui
Pour terminer, quelques informations générales.
Age. Quelle est votre année de naissance ? Sexe (noter) : Non Oui
Formation. Quel est votre niveau de formation le plus élevé terminé ou en cours (év. équivalent) :
école oblig. CFC, maturité prof. gymnase école prof. sup. université, EPF, HES
Profession. Quelle est votre profession actuelle ?
Langue. Dans quelle(s) langue(s) lisez-vous d’habitude ?
Nationalité. Quelle est votre nationalité ?
Domicile. Dans quel quartier de Genève (ou : ville) habitez-vous ?
Présence dans quartier. Pour quelle(s) raison(s) venez-vous en général dans ce quartier ?
MERCI d’avoir participé à l’enquête ! Elle permettra d’améliorer l’offre des BM de Genève !
(Remarques)
Une enquête qualitative auprès des publics de BiblioSciences à l’Université de Genève
Ressi — 30 novembre 2007
Florence Muet, Haute Ecole de Gestion, Genève
Céline Bui, diplômée Haute Ecole de Gestion, Genève en Information documentaire
Susanne Lehner, diplômée Haute Ecole de Gestion, Genève en Information documentaire
Nadia Moresi, diplômée Haute Ecole de Gestion, Genève en Information documentaire.
Résumé
Dire que, dans l’univers de la documentation spécialisée, les bibliothèques académiques vivent aujourd’hui une période de transition relève aujourd’hui presque du lieu commun. Un faisceau d’évolutions bouleverse en effet, comme pour d’autres types de services d’information, leur environnement et leurs repères. L’avènement de la documentation numérique modifie en profondeur le métier des bibliothèques, qui passe d’une logique de traitement bibliothéconomique et de conservation de collections à une logique de gestion des accès à des ressources informationnelles multiformes. Le bouleversement vient aussi, et peut-être surtout, des utilisateurs, dont les pratiques documentaires évoluent face à une masse d’informations et de documents numériques directement accessibles, par l’intermédiaire ou non de la bibliothèque. Dans ce contexte, les bibliothèques universitaires sont placées devant l’obligation d’une réflexion sur l’évolution de leur offre de service et de leur positionnement.
L’objectif de cette courte communication est de contribuer à la réflexion sur cette évolution. Il présente les résultats d’une étude qualitative auprès du public potentiel de bibliothèques universitaires, dans le cadre d’un Travail de Diplôme de fin d’études au sein du département Information documentaire de la Haute Ecole de Gestion de Genève. Au-delà de l’objectif de valorisation du travail fait par des étudiantes dans le cadre de leur formation en information – documentation, la présentation de ces résultats, mis en perspective avec quelques autres enquêtes publiées, donne l’opportunité de dresser quelques pistes sur les axes de structuration possibles de l’offre de services des bibliothèques universitaires.
Une enquête qualitative auprès des publics de Bibliosciences de l’Uni Genève
La Faculté des Sciences de l’Université de Genève comprend six sections (Biologie, Chimie, Mathématiques, Physique, Sciences Pharmaceutiques, Sciences de la Terre) et deux départements (Astronomie et Informatique). Elle dispose de sept bibliothèques principalement situées dans Genève : Anthropologie et écologie (Département de Biologie) ; Centre universitaire informatique ; Mathématiques ; Observatoire ; Physique ; Sciences de la Terre ; Sciences II (Biologie, Chimie, Sciences Pharmaceutiques). Ces sept bibliothèques proposent une collection d'environ 300'000 volumes, plus de 1'300 journaux spécialisés, ainsi que de la documentation électronique, gérés par une vingtaine de professionnels. Comme d’autres bibliothèques académiques, elles ont pour mission principale de mettre à disposition des membres de la communauté universitaire la documentation scientifique et technique nécessaire à l’enseignement et à la recherche effectués au sein de l’Université. Le gros de leurs utilisateurs est composé par les membres de la Faculté (étudiants, assistants, professeurs). Le réseau interne constitué par ces sept bibliothèques est aujourd’hui très hétérogène, tant au niveau des budgets que des locaux ou du personnel. Une fonction de coordination a été mise en place (avec la création d’une nouvelle appellation pour l’ensemble des bibliothèques : Bibliosciences), dans la perspective d’une harmonisation progressive de l’offre faite aux utilisateurs. Une réflexion globale est donc engagée sur les évolutions nécessaires de cette offre de service.
C’est dans ce contexte qu’une enquête a été menée entre juin et septembre 2006 par trois étudiantes du département Information documentaire de la HEG Genève, dans le cadre de leur Travail de Diplôme, sous la responsabilité de Florence Muet, professeure à la HEG Genève et d’Anne Christine Robert, coordinatrice de Bibliosciences. L’objectif de l’étude était d’appréhender de façon exploratoire (aucune enquête n’ayant jamais été réalisée dans ce lieu) les pratiques et les comportements documentaires de la communauté desservie par ces bibliothèques universitaires, soit les enseignants et les étudiants. Ce parti pris méthodologique de se centrer sur les pratiques des publics cibles ainsi que sur leur vision des services que devrait proposer une bibliothèque universitaire, et ce dans une logique qualitative (sous la forme d’entretiens semi-directifs en face-à-face), diffère de la pratique plus souvent répandue d’enquêtes d’usages et/ou de satisfaction sous forme d’enquête par questionnaire en sortie de bibliothèque (Renoult, 2006). Au total, une soixantaine de personnes ont été interrogées, dont 18 professeurs, 12 maîtres d’enseignement et de recherche, 14 assistants, 2 chercheurs et 13 étudiants (ces derniers ont été plus difficiles à toucher du fait de la période de réalisation de l’enquête, contrainte par le calendrier du Travail de Diplôme).
Le guide d’entretien proposait un échange autour de quatre principales thématiques, autour desquels nous organiserons la présentation des principaux résultats de l’enquête :
- Les habitudes et lieux privilégiés de travail;
- Les pratiques documentaires personnelles ainsi que la perception des enseignants et des étudiants sur leur propre compétence en matière de recherche d’information;
- L’usage de la bibliothèque et son intégration dans les pratiques personnelles;
- La définition personnelle de la bibliothèque idéale.
Les lieux et les rythmes de travail
Les entretiens montrent la forte mobilité des enseignants mais aussi des étudiants dans leur travail, mobilité dans laquelle la bibliothèque universitaire est repérée comme un des points de chute possibles. Même si des tendances se profilent, il faut noter également la diversité des pratiques, notamment liée aux conditions matérielles de travail disponibles pour les individus.
Les professeurs et assistants possèdent généralement leur propre bureau, salle de travail ou laboratoire. Ils préfèrent effectuer les recherches, lire de la documentation et analyser des données à partir de ce lieu, équipé de tout ce dont ils ont besoin pour leurs activités de recherche. La bibliothèque n’est donc pas utilisée en tant que lieu de travail, mais constitue essentiellement un espace d’accès à l’information papier. « Depuis que l’on trouve pratiquement tout en ligne, il n’y a plus besoin de se déplacer physiquement », déclare un professeur de Physique. « Pour ma part, j’utilise virtuellement la bibliothèque », indique un autre. Cette tendance est générale. Toutefois, certains déclarent se rendre encore occasionnellement sur place afin de consulter et emprunter des ouvrages pour la préparation de leurs cours. « C’est plus pratique d’avoir les livres sur place et comme cela, je n’ai pas besoin de les trimbaler dans mon bureau ! » affirme un physicien. Les enseignants se déplacent énormément pour effectuer leurs activités et travaillent par conséquent souvent ailleurs, voire à l’étranger. Cette mobilité n’a pas véritablement d’impact sur le recours à la littérature scientifique, car ils peuvent accéder aux ressources documentaires de l’université grâce à un accès sécurisé. Dans leurs déplacements, ils peuvent aussi parfois utiliser les bibliothèques locales pour trouver de la documentation.
Les étudiants viennent pour leur majorité utiliser l’espace physique des différentes bibliothèques pour travailler. Bien que certains étudient en priorité chez eux, beaucoup évoquent la distraction à leur domicile : « Je n’arrive pas à travailler chez moi. Il y a le téléphone qui sonne ou je suis souvent tenté de faire autre chose » explique un étudiant. Du coup, « la bibliothèque représente le lieu d’étude par excellence », selon une étudiante en Physique. Les étudiants apprécient le fait de pouvoir venir travailler individuellement à la bibliothèque (ils peuvent même venir avec leur ordinateur portable personnel) mais aussi de pouvoir y retrouver d’autres étudiants. La recherche de contact avec d’autres et le sentiment de solidarité sont ainsi souvent invoqués : « on aime bien se retrouver pour travailler et réviser ensemble… en plus, on a tous les livres sur place». Les périodes d’examens voient également un afflux d’étudiants à la bibliothèque. A l’inverse, on trouvera quelques étudiants qui préfèrent étudier à la maison pour des raisons d’habitude ou parce que la bibliothèque ne leur semble pas assez accueillante (trop bruyante ; pas de véritable salle de lecture).
Le travail à la maison est lié à l’équipement informatique sur place (ordinateur personnel, accès Internet haut débit et imprimante). C’est fréquemment le cas pour les enseignants, qui apprécient également l’isolement possible : « Dans mon bureau, je me fais sans cesse interrompre par le téléphone, des étudiants viennent pour me poser des questions… quand j’ai besoin de calme, je préfère travailler chez moi ». Même si la plupart du personnel enseignant pris en compte affirme ne pas aimer travailler à la maison pour des raisons variées (temps à consacrer à la famille, trop de distractions, etc.), presque tous sont obligés de le faire, le temps à disposition pendant la journée étant parfois insuffisant pour finaliser leurs tâches (lecture et rédaction d’articles, analyse de données ou préparation de cours). En revanche, de manière générale, les étudiants partagent leur temps de travail entre la maison et d’autres endroits, notamment les bibliothèques.
Certains étudiants utilisent plusieurs bibliothèques, celle de leur faculté mais aussi d’autres. Les arguments avancés concernent autant la recherche d’un confort de travail meilleur que la possibilité d’accéder à des collections connexes. On remarquera cependant que plus la bibliothèque est perçue comme bien fournie en ressources documentaires, moins le recours à d’autres bibliothèques est fréquent. Par contre, la qualité du confort de travail devient un critère premier dans les périodes de révision d’examen.
On le voit donc, la bibliothèque n’est plus, et de loin, le seul lieu physique d’accès aux informations et à la littérature scientifique. Les technologies Internet permettent une mobilité des enseignants et des étudiants, mobilité dont ils usent fortement. La tendance est générale. Une étude américaine récente montre que 41,5% de la population académique travaille le plus souvent hors du campus (Friedlander, 2002). Le constat de la forte baisse de la fréquentation des bibliothèques universitaires par les enseignants et les chercheurs est général (Van Dooren, 2006). Une autre enquête auprès de publics étudiants montre en fait deux profils : les assidus, qui fréquentent très régulièrement la bibliothèque pour y travailler sur leurs notes mais aussi exploiter les collections ; et ceux qui utilisent la bibliothèque à distance et ne font qu’y passer pour emprunter voire y séjourner un temps court pour consulter (Maresca, 2005).
Les pratiques documentaires
Les types de documents utilisés
Les articles scientifiques électroniques sont les documents les plus sollicités par les professeurs et assistants interrogés, qui les ont tous cités comme source principale pour la recherche. L’accès aux articles de revues électroniques permet aux enseignants de suivre rapidement l’évolution de leur domaine. Le recours à ce type de document est donc très fréquent pour eux, voire quotidien. Les monographies viennent en second lieu et sont surtout utilisées pour rappeler les connaissances de base ou comme références pour la préparation des cours. Viennent ensuite les actes de conférence. Selon les domaines, certains peuvent avoir recours à d’autres types de documents, par exemple des documents iconographiques ou audiovisuels.
Généralement, les enseignants préfèrent rechercher et effectuer une lecture rapide à l’écran pour des questions d’efficacité afin d’évaluer le contenu du document. Certains professeurs n’aiment pas lire sur écran et impriment systématiquement, le support papier étant plus confortable pour la lecture. D’autres repèrent le titre, lisent l’introduction, l’abstract et la conclusion, puis impriment si nécessaire. Le support papier est donc privilégié pour la lecture approfondie pour des raisons de confort mais aussi pour son côté pratique : il a encore l’avantage d’être transportable et permet de faire des annotations (par exemple l’attribution de mots-clés personnels), des comparaisons, de surligner et reste par conséquent un support de travail très apprécié. Un seul enseignant dit lire à l’écran et utilise pour cela Adobe 7, qui permet de faire directement des annotations.
De leur côté, les étudiants recherchent en priorité les monographies citées dans les bibliographies données par leurs professeurs (dont la valeur prescriptive a déjà été montrée, voir Després-Lonnet et al. 2006). Il s’agit surtout d’ouvrages et de manuels de base, qu’ils privilégient parce qu’il s’agit de document très structurés. La lecture d’un chapitre est généralement préférée à une lecture intégrale de l’ouvrage. Les étudiants préfèrent aller chercher les livres à la bibliothèque, éventuellement les feuilleter avant de les emprunter pour pouvoir les lire ailleurs, notamment à la maison. Ils effectuent aussi souvent des photocopies de parties intéressantes, avec une pratique d’annotation personnelle très répandue. Les articles sont recherchés plus occasionnellement, notamment pour des séminaires et les travaux de fin d’étude. Le reste du temps, les étudiants se basent essentiellement sur les polycopiés distribués par les professeurs pour préparer leurs examens : « Ils sont bien faits, je n’ai donc pas besoin de chercher d’autres informations », déclare un étudiant en Physique. De ce fait, ils connaissent peu les ressources en ligne (périodiques électroniques) proposées par la Faculté des Sciences et une minorité les utilise. La prédominance des polycopies et des ouvrages comme source documentaire première des étudiants a déjà été montrée par des enquêtes plus vastes. Par exemple, un étudiant de sciences humaines de l’Université Paris 4 passe en moyenne deux heures par jour de lecture sur ses polycopiés et notes de cours et autant sur des livres (Singly, 2005).
Il est intéressant de relever que la plupart des personnes interviewées conserve les documents lus, en essayant de suivre une certaine rigueur dans leur classement personnel. Pratiquement tous les étudiants classent ces copies personnelles par cours, alors que les professeurs et assistants semblent plutôt les différencier par thème. L’archivage se fait principalement sous forme papier. L’enregistrement des articles sous forme électronique se répand cependant de plus en plus, souvent d’ailleurs en complément du document papier. Les articles sont enregistrés en format PDF dans des dossiers sous un répertoire personnel. Une minorité de personnes utilise une version étendue d’Acrobate Reader (version PDF Maker) ou un logiciel de gestion de bibliographie comme Endnote ou Reference Manager pour ce type d’archivage. Certains professeurs enregistrent dans un dossier commun les articles électroniques intéressants pour les mettre à disposition du groupe de recherche ou des collègues. On notera aussi que la quasi totalité des enseignants possède une collection personnelle de livres, dont l’ampleur varie beaucoup en fonction du statut et du département de rattachement (dans certains domaines, par exemple en mathématiques, le prix des ouvrages est souvent exorbitant et rend plus difficile une acquisition personnelle). De manière globale, les ouvrages achetés constituent une référence de base dans le domaine de recherche. Ils sont acquis indépendamment du fait que la bibliothèque les possède ou non, les enseignants mettant en avant le besoin d’avoir ces ouvrages sous la main et ce à long terme.
Les sources d’information utilisées
Les professeurs, chercheurs et assistants préfèrent rechercher leur documentation dans les bases de données scientifiques généralistes (ScienceDirect, Web of Science, etc.) ou spécifiques à leur domaine d’activité (par exemple Chemical Abstracts pour la chimie ou MathScinet pour les mathématiques). Très peu d’étudiants consultent régulièrement ce type de source d’information. Bien qu’ils aient la possibilité de découvrir les bases de données relatives à leur domaine en naviguant sur le site web des bibliothèques, ceux qui les connaissent ont découvert ces sources surtout par le bouche-à-oreille entre eux ou dans certains cas grâce aux cours de formations dispensés par les bibliothécaires ou à leurs professeurs.
Certains professeurs et quelques très rares étudiants disent rechercher assez régulièrement des articles dans le catalogue des bibliothèques, sur le portail de périodiques suisses (PSP) ou dans le catalogue collectif suisse des publications en série « RP » (qui n’est pourtant plus actualisé depuis 2002) pour la recherche de documents anciens. Pour la recherche de livres, ils choisissent de consulter le catalogue des bibliothèques de la Faculté, intégré dans le catalogue collectif du réseau documentaire romand RERO. La consultation des catalogues d’autres bibliothèques semble rare. Un seul professeur indique par exemple utiliser de temps en temps le catalogue collectif NEBIS (Netzwerk von Bibliotheken und Informationsstellen in der Schweiz) ou le site web de la Bibliothèque Nationale de France.
Si la plupart des enseignants semble relativement à l’aise avec la recherche dans les catalogues, ce n’est pas du tout le cas pour l’ensemble des étudiants, dont certains ignorent leur existence ou en ont « juste entendu parler ». Un étudiant parmi d’autres précise : « Quand j’ai besoin d’un livre, je vais me promener dans les rayons. Je sais où se trouve le domaine qui m’intéresse. Si je ne trouve pas, je demande aux bibliothécaires ! ». Généralement, les étudiants repèrent les rayons d’ouvrages relatifs à leur domaine d’étude lors de leur première visite à la bibliothèque ou demandent au personnel de lui indiquer où se trouve ce dont ils ont besoin. Par la suite, ils se rendent directement au rayon correspondant. Au niveau des recherches, on peut constater que très peu de personnes connaissent les fonctions de recherches avancées dans RERO.
Notons aussi que le réseau est très actif dans le milieu scientifique : les chercheurs se transmettent les sources et les références entre eux. Deux maîtres d’enseignement et de recherche déclarent avoir installé un système d’alerte personnalisé sur leur profil afin d’être informés régulièrement des actualités du domaine.
Pour les recherches d’informations plus générales, Google est cité par quasiment tous. Ils se servent de Google surtout quand:
- Ils n’ont pas d’informations précises sur un sujet afin de se faire une idée de base et cherchent ainsi à cibler le domaine de recherche;
- Quand ils ont besoin d’une petite information rapide et simple, notamment la recherche d’une définition sur un dictionnaire en ligne;
- Pour la recherche d’informations génériques, comme par exemple celles figurant sur le site Internet d’un chercheur (ex. bibliographie).
Google Scholar est utilisé par quelques professeurs qui le préfèrent à sa version standard : ils trouvent les résultats beaucoup plus ciblés et s’en déclarent très satisfaits. Cet outil a également été cité par quelques rares étudiants (la majorité d’entre eux ne connaît pas l’outil), tout aussi satisfaits quant aux résultats. Cependant, l’un d’entre eux avoue tout de même « ne pas trop comprendre comment ça marche ».
L’usage de la bibliothèque et de ses services
Un autre thème de l’enquête concernait l’usage de la bibliothèque et sa place dans les pratiques documentaires des enseignants et des étudiants. Le niveau de fréquentation des bibliothèques diffère en fonction des différents départements. Cela peut dépendre du fait que des usagers d’un domaine spécifique ont plus besoin de s’y rendre régulièrement que d’autres, comme par exemple en Mathématiques, où la bibliothèque constitue un outil de travail quotidien et indispensable pour les chercheurs.
En général, les individus interrogés vont à la bibliothèque selon leurs besoins ou leur emploi du temps. Leur taux de fréquentation ne dépend donc pas de facteurs internes à la bibliothèque (par exemple trop de monde). En revanche, le type d’utilisation des bibliothèques varie relativement peu au sein des différents départements. Les activités les plus pratiquées dans les sept bibliothèques sont pratiquement les mêmes : la consultation rapide, l’emprunt et le travail sur place.
Trois usages principaux de la bibliothèque ressortent de l’enquête:
- La consultation rapide sur place et l’emprunt des documents sélectionnés. Une pratique assez commune est celle de se promener entre les rayons pour feuilleter des ouvrages. Les ouvrages retenus sont ensuite le plus souvent empruntés. De manière globale, les usagers connaissent assez bien les ouvrages relatifs à leur domaine et ont une connaissance plus générale de l’intégralité de la collection. Ils vont chercher les livres directement au rayon correspondant. Les personnes qui semblent bien connaître le contenu global des bibliothèques sont à la Faculté depuis relativement longtemps et savent où se trouvent les ouvrages à force d’en emprunter. D’autres affirment mieux connaître les nouveautés ou l’actualité relative aux périodiques. Le fait que les bibliothèques de Physique et de l’Observatoire soient petites facilite aussi la connaissance du contenu.
- La consultation d’ouvrages et de revues sur place sans emprunt, qui est presque toujours le fait des enseignants.
- Le travail sur place avec des documents et outils personnels, essentiellement par les étudiants.
- On voit donc que, de manière générale, outre la zone de travail évoquée précédemment, la zone de stockage des bibliothèques reste bien utilisée par les usagers. La plupart viennent repérer les ouvrages intéressants, voir s’il y a des nouveautés ou chercher des livres dont ils possédaient la référence. Le guichet de prêt est également très sollicité par les utilisateurs pour des raisons liées au prêt des ouvrages ou à la demande de renseignements. D’autres usages de la bibliothèque sont mis en avant :
- Commander des articles : c’est l’une des principales raisons pour lesquelles les professeurs se rendent à la bibliothèque. Cette activité a été citée par l’ensemble des professeurs, chercheurs et assistants.
- Proposer des nouvelles acquisitions : pratiquement tous les enseignants se rendent à la bibliothèque pour soumettre leurs propositions ou envoient leurs demandes par courrier électronique au bibliothécaire. En revanche, les étudiants effectuent moins de propositions d’achat soit parce qu’ils n’ont pas la possibilité de le faire dans certaines bibliothèques, soit parce qu’ils ignorent cette opportunité.
- Demander des renseignements : bien qu’aucune bibliothèque ne dispose de service de référence à proprement parler, plus de la moitié des usagers vient régulièrement ou occasionnellement demander des renseignements aux bibliothécaires. Généralement, les questions des enseignants sont plutôt relatives à l’accès aux ressources électroniques alors que celles des étudiants concernent essentiellement la recherche d’ouvrages.
- Faire des photocopies : cette activité est plus particulièrement citée par les assistants et les étudiants. En Pharmacie, certains y vont aussi pour imprimer des posters, car la bibliothèque de Sciences II possède une imprimante couleur.
- Effectuer des recherches bibliographiques : en plus des recherches électroniques, qui peuvent être faites aussi à distance, la plupart des usagers interrogés effectue aussi de temps en temps des recherches bibliographiques de livres ou d’articles dans des revues sur format papier. Les professeurs cherchent plutôt des monographies spécialisées ou des articles ; les étudiants des livres mentionnés dans les bibliographies distribuées par les professeurs ;
La plupart des usagers interrogés connaît les services de prêt, de prêt inter bibliothèques et de renseignements. Ces trois services sont d’ailleurs ceux qui sont les plus utilisés. Les personnes ne fréquentant pas d’autres bibliothèques ont notamment souvent recours au prêt inter bibliothèques.
On remarque donc que ce sont principalement les services de base, « traditionnels », des bibliothèques, qui sont utilisés. Ainsi, la majorité des professeurs et quelques étudiants sondés connaissent l’existence des cours de formation à la recherche documentaire par bouche-à-oreille, mais un seul étudiant de la section de Chimie en a suivi un. D’autres professeurs savent qu’il existe un service d’alerte qui peut les informer par mail des nouvelles acquisitions de la bibliothèque. Malgré la connaissance de l’existence de ce service, un grand nombre de professeurs néglige ces mails d’avertissement. Ce recours principal aux services de base est aussi mentionné dans d’autres études. Par exemple, une enquête auprès des étudiants de la bibliothèque de l’Université Paris X montre également le poids dominant de la consultation sur place et de l’emprunt des ouvrages et la méconnaissance globale des ressources numériques proposées : plus de la moitié des étudiants utilise les ressources papier de la bibliothèque mais seulement un sur dix consulte les périodiques électroniques (Dupuy, 2006). Une étude récente faite auprès du public étudiant de la bibliothèque de l’Université Paris 8 apporte un éclairage plus précis sur les usages sur place de la bibliothèque. Basée sur un volume important de réponses, elle a permis l’identification statistique de trois principaux profils d’usagers : ceux qui utilisent principalement la bibliothèque comme lieu de travail (50%) ; ceux qui utilisent quasi uniquement le service de prêt (23%) ; et enfin, les gros utilisateurs, qui exploitent l’ensemble de la palette des services proposés (23%) (MV2 Conseil, 2007).
La bibliothèque idéale
Enfin, enseignants et étudiants ont été interrogés de façon très ouverte sur leur vision de la bibliothèque idéale. Pour tous, cette bibliothèque devrait d’abord être confortable et disposer d’un bon équipement ; de places de travail en nombre suffisant avec des tables assez grandes et des chaises confortables ; d’une température adéquate (ni trop chaud l’été ni trop froid l’hiver) ; d’une bonne luminosité. Bien sur, elle doit aussi mettre à disposition des ordinateurs avec accès à Internet, des prises électriques pour les portables et un accès Wifi. Cette bibliothèque devrait également être un endroit calme, convivial et spacieux, où décoration, couleurs et plantes apportent une touche de bien-être.
Un nombre non négligeable de chercheurs et d’étudiants voudrait que la bibliothèque devienne également un lieu de détente avec la présence de canapés pour pouvoir se relaxer par moments, la possibilité de se restaurer (avec par exemple la création d’une cafétéria au centre de la bibliothèque) ou la présence de livres « loisirs » (par exemple des bandes dessinées).
Certains chercheurs souhaiteraient aussi que la bibliothèque ne soit pas qu’un lieu de passage et de consultation, mais au contraire un lieu de rencontre, de renseignements et d’enseignement. Afin de favoriser l’échange et en même temps la tranquillité, quelques personnes suggèrent la création d’espaces cloisonnés pour pouvoir parler sans déranger les autres (par exemple des box fermés pour le travail en groupe) et des coins calmes pour travailler.
Tout le monde voudrait un classement simple des livres, un système d’indexation et de cotation lui aussi simple, clair, efficace afin de retrouver les livres facilement. Les personnes rencontrées semblent insister sur la mise en place d’un « endroit fait pour les gens et non pas pour les livres ».
Souvent, les personnes évoquent aussi le fait que leur bibliothèque idéale devrait bénéficier de moyens financiers suffisants, voire élevés, afin d’acheter le plus d’ouvrages possible et d’assurer les abonnements aux revues électroniques. Les usagers interviewés souhaiteraient ainsi disposer sur place de collections complètes (« pas de trous », acquisition de livres à double, etc.), à jour et surtout en libre accès. Ils aimeraient également avoir accès aux archives des périodiques électroniques antérieurs à 1996. Quelques chercheurs sondés proposent de mieux mettre en valeur les ouvrages anciens. La bibliothèque idéale devrait également avoir beaucoup de personnel et des horaires d’ouverture plus étendus. Certains souhaiteraient même avoir un accès permanent, même en l’absence de personnel, afin de travailler quand ils le souhaitent avec les outils de la bibliothèque.
Dans le même sens, on met l’accent sur le fait que la bibliothèque idéale devrait être virtuelle et en réseau avec un accès permanent aux documents. La numérisation de toute la collection (scannage de livres) et l’archivage à long terme des revues électroniques deviendrait nécessaire afin de gagner du temps dans les recherches. L’accès aux bases de données est également évoqué, mais avec des interfaces de recherche plus simples. A l’inverse, d’autres ne voudraient surtout pas d’une bibliothèque uniquement numérique : les ouvrages sur papier et les périodiques électroniques devraient selon eux coexister, du fait de leur complémentarité.
Les personnes consultées semblent aussi attribuer beaucoup d’importance à la mise à disposition d’un service de revue de presse (certains évoquent l’idée d’un « coin actualité »), de services d’alerte personnalisés et enfin au fait d’avoir la possibilité d’effectuer le prêt de manière automatique (introduction de puces dans les livres). Ils imaginent également avoir à disposition un prêt inter - bibliothèques et un service de référence performants (notamment un personnel qui les aide en ligne dans leurs recherches bibliographiques). Quelques chercheurs aimeraient aussi que leur bibliothèque idéale ait un site Internet qui soit convivial et facile d’utilisation et depuis lequel on puisse transmettre des vidéoconférences. D’autres suggestions sont également faites sur l’aide à apporter aux utilisateurs : la mise à disposition de modes d’emplois (par exemple : comment rechercher un livre) mais aussi l’organisation de recherches bibliographiques assistées à la bibliothèque ou encore la réalisation de bibliographies pendant les heures de cours.
Pistes pour une structuration de l’offre de service en bibliothèque académique ?
Bien que menée sur un petit nombre de personnes, l’enquête qualitative réalisée auprès des publics cibles de Bibliosciences pointe des pratiques et des comportements documentaires soulevés également par d’autres enquêtes (dont nous avons cité quelques unes) : l’importance de la bibliothèque comme lieu de travail pour les étudiants ; le recours aux ressources numériques à distance principalement par les enseignants et les chercheurs ; l’usage premier des services sur place dits traditionnels comme le prêt ou la consultation ; etc. L’interrogation ouverte sur la bibliothèque idéale montre différents axes d’attentes de la part de la communauté académique : autour du confort et des conditions d’accès au lieu ; autour de l’offre documentaire (pour laquelle on pourra cependant constater que les attentes énoncées diffèrent parfois des pratiques : on voudrait l’accès à tous les périodiques électroniques, mais, dans la réalité, pour certains types de public, on les consulte assez peu fréquemment) ; et enfin autour des services proposés par les bibliothèques à leur public. Ce résultat nous semble susceptible d’aider à dresser une cartographie possible de l’offre de service en bibliothèque académique autour de trois axes.
Un espace de travail et de rencontre
La question de la baisse de fréquentation physique des bibliothèques académiques, au profit d’un usage à distance des ressources numériques mises à disposition, revient actuellement comme un leitmotiv dans les revues et les colloques professionnels (certaines études amèneraient cependant à relativiser ce constat : une enquête d’ampleur menée auprès des publics étudiants des bibliothèques universitaires de Paris montrait que, en 2003, encore 67% des étudiants fréquentaient régulièrement leur bibliothèque universitaire. Renoult, 2004 ; dans l’enquête menée à Paris 8, on voit que la moitié des étudiants a encore un usage sur place documentaire de la bibliothèque, MV2 Conseil, 2007). Face à ce constat, une première posture serait de mettre résolument l’accent sur les services à distance proposés par la bibliothèque et de désinvestir les services rendus sur place. Or, les différentes études disponibles, dont celle présentée ici, montrent bien l’importance pour les étudiants de la bibliothèque comme lieu de travail et de socialité (d’autres études montrent également la valeur symbolique que revêt la bibliothèque universitaire pour les enseignants, comme lieu de conservation du savoir). Une approche opposée vise alors à revaloriser la bibliothèque comme point d’attache pour la communauté académique, dans une fonction de centre de ressources mais aussi de lieu de vie universitaire. Des projets se développent ainsi autour de la notion de Learning Center, engagée de façon précursive par la Hallam University de Sheffield (Jeapes, 1996). On donnera ici l’exemple plus proche du projet conduit par l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne. Ce projet, qui inclut une ambition architecturale forte, consiste à intégrer la bibliothèque dans ses fonctions traditionnelles (accès aux collections papier ou numériques, consultation, prêt, orientation et référence) dans un espace ouvert et modulable plus vaste, incluant aussi une proposition de services (cafeteria, restaurant), une proposition éducative (zones de travail, laboratoire de langues, etc.) et une proposition culturelle (zone d’exposition, de conférences ou de spectacles). Selon les porteurs du projet, la bibliothèque est ainsi repensée dans une logique de création « d’expérience sensible », avec trois missions : « placer ses collections au milieu d’un complexe de vie et de socialisation ; satisfaire les besoins physiologiques de la communauté (détente, alimentation, consommation) ; mettre en scène le savoir de manière spectaculaire » (Aymonin, 2005). Cette tendance s’inscrit dans un mouvement plus global de « re-enchantement des lieux de consommation » qui (re)met en avant la place de la médiation humaine (Ferchaud, 2003).
L’accès assisté 24/7 aux ressources
Le corollaire de la baisse de fréquentation physique est le développement de l’accès à distance aux ressources proposées via la bibliothèque. Là encore, il faudrait peut-être relativiser le propos. L’étude menée auprès des enseignants et étudiants de la Faculté des Sciences a montré que l’usage des périodiques électroniques est essentiellement le fait des enseignants ; et que les bases de données sont très peu connues et utilisées. D’autres observateurs font le même constat : « la faiblesse du taux d’utilisation des outils informatisés en BU est un fait attesté, et, disons-le, compte tenu des enjeux humains et financiers, problématique… » (Renoult, 2006). Un des enjeux clés est celui de la facilité de l’accès à ces ressources. Une étude américaine récente sur l’utilisation des bibliothèques académiques par les chercheurs montre bien que ceux-ci privilégient un accès immédiat à l’information et n’acceptent plus de passer beaucoup de temps en recherche documentaire (Research information network, 2007). Au-delà de la constitution de l’offre documentaire à distance, dont il faut gérer la qualité et la pertinence (et ce le plus souvent dans un contexte de tension budgétaire), trois dimensions de l’offre de service des bibliothèques académiques semblent importantes.
- La garantie de l’accès 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 aux ressources numériques gérées par la bibliothèque pour sa communauté d’utilisateurs, où que soit situés physiquement ceux-ci, donc dans une logique d’extranet avec des accès sécurisés. C’est par exemple déjà le cas pour les enseignants de la Faculté des Sciences de l’Uni Genève, qui disposent du système VPN (Virtual Private Network).
- La formation à la recherche et à l’utilisation de ce type de ressource. Pour beaucoup, le développement de cette fonction pédagogique, dans une perspective d’enracinement d’une culture et d’une maîtrise de l’information (Information literacy) devient aujourd’hui une des missions essentielles des bibliothèques académiques.
- L’assistance aux utilisateurs. Dans ce domaine, les bibliothèques investissent aujourd’hui fortement autour des services de référence en ligne (Nguyen, 2006), notamment devant le constat général de la chute des demandes pour les services de références sur place. Pour certains, cependant, il faut sortir de cette logique. Elle est basée sur l’idée selon laquelle l’usager sollicite l’aide de la bibliothèque quand il en a besoin alors que toutes les études faites sur les pratiques montrent aujourd’hui le désir d’autonomie de l’utilisateur. Une autre approche peut se développer dans une logique d’accompagnement direct au niveau du réseau, dans une perspective en quelque sorte « éditoriale » : mettre plus de valeur ajoutée dans le catalogue, proposer des orientations dans les sources, développer les produits documentaires électroniques (Balin et al. 2005). Autrement dit, être dans une logique de « push » et non de « pull » de l’assistance documentaire. Une autre dimension de l’assistance concerne l’assistance technique. Certaines bibliothèques ont fait le constat que l’équipement individuel de l’utilisateur, à la fois en logiciels spécialisés et en compétences techniques pour utiliser ces logiciels, est souvent déficient et constitue un frein important à l’utilisation des ressources documentaires numériques. Il y a là un autre axe d’assistance à développer, à l’exemple de cette bibliothèque universitaire australienne qui a mis au point un kit de logiciels et d’outils utiles pour la recherche et le traitement documentaires diffusé sur cd-rom à l’ensemble des étudiants et de la faculté (Cavanagh, 2001).
Des services personnalisés à forte valeur ajoutée
Un troisième axe de structuration de l’offre de service des bibliothèques académiques pour leur public se situe à l’évidence autour du développement de services à valeur ajoutée, se positionnant en complément de l’accès direct aux ressources documentaires, notamment numériques. Les enseignants et étudiants interrogés dans le cadre de l’enquête pour la Faculté des Sciences de l’Université de Genève émettent de fortes attentes vis-à-vis des professionnels des bibliothèques dans ce sens. Le maître mot est ici celui de la personnalisation du service rendu à l’utilisateur, ainsi bien sûr que sa qualité (Ferchaud, 2006) Toute une gamme de produits et de services, notamment liés à la diffusion documentaire, peut être implantée par les bibliothèques universitaires. La Bibliothèque interuniversitaire de médecine de l’Université de Paris 5 a par exemple investi depuis longtemps déjà sur la mise en ligne de bibliographies et de dossiers, dans une logique de portail documentaire. Les bibliothèques ont aujourd’hui des perspectives ouvertes avec les outils issus du Web 2.0. On pourra citer l’exemple de la Bibliothèque universitaire de Médecine de Lausanne, dont le centre de documentation en santé publique a mis en place un système d’alerte documentaire en utilisant le format RSS (Iriarte, 2006). Cet axe de développement suppose de mettre fortement l’accent sur la dimension service de l’activité des bibliothèques et de prendre en compte de façon beaucoup plus ciblée et adaptée les pratiques des différentes catégories d’usagers en présence (Van Dooren, 2006). Autrement dit, il suppose que la bibliothèque sorte d’une posture de prestataire pour engager une relation de « co-production » avec l’utilisateur.
Pour conclure provisoirement, on voit bien que les évolutions de l’accès libre et direct via la documentation numérique aux publications scientifiques obligent les bibliothèques académiques à un repositionnement dans ce nouveau circuit de l’information (Salaun, 2004). Face à ce constat, les bibliothèques académiques ne peuvent plus se concevoir uniquement comme des lieux de conservation et d’accès au savoir, dont elles ne sont plus les seuls récipiendaires, mais plus comme des prestataires de services autour de l’accès à l’information (Bailin, 2003). La question clé est alors de savoir autour de quelle logique de service doit s’orienter chaque bibliothèque académique. L’enquête menée auprès des publics cibles des bibliothèques de sciences de l’Université de Genève a permis de donner à ces bibliothèques des pistes pour orienter et harmoniser leur gamme de services et fourni l’occasion d’une réflexion sur les logiques de structuration de cette offre. Un travail complémentaire reste à faire pour consolider cette réflexion et y ajouter la perspective institutionnelle (avec certainement un quatrième axe de développement du rôle des bibliothèques universitaires autour de la valorisation des productions académiques et scientifiques de l’institution), non prise en compte dans l’enquête menée auprès des utilisateurs potentiels des bibliothèques.
Références
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Bui (2006) Céline, Lehner Susanne, Moresi Nadia.- Bibliosciences : étude des pratiques documentaires des usagers : quels services pour la bibliothèque de demain ? Travail de Diplôme réalisé en vue de l’obtention du diplôme HES, Carouge, Haute Ecole de Gestion, novembre, 153 p. En ligne : http://doc.rero.ch/ lm.php?url=1000,41,9,20070315144918-RO/mémoire TD Facult SciencesGE.pdf
Cavanagh (2001) Anthony K.- Providing services and information to the dispersed off-campus student : an integrated approach, un : Casey A.M. Ed. Off-campus library services, New York, Haworth, 2001, p. 149-166
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Dupuy (2006) Hubert.- Les étudiants à la bibliothèque universitaire de Paris X : pratiques documentaires, satisfactions et attentes,Bulletin des Bibliothèques de France, tome 51, n°2, p. 10-11
Ferchaud (2003) Béatrice.- Médiation et technologies de l’information : regards croisés. Compte rendu du colloque ADBS-EA¨P-ESCP. Documentaliste – Sciences de l’information, vol 40, n°6, p. 392-395
Ferchaud (2006) Bernadette, Lamouroux Mirelle.- L’impact du numérique sur l’évolution des modes de travail. Documentaliste- Sciences de l’information, vol 43, n°3-4, 2006, p. 242-246
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Iriarte (2006) Pablo.- La diffusion de l’information documentaire et des actualités en format RSS : un exemple de mise en place au Centre de documentation en santé publique de Lausanne. In : Document numérique et société, Semaine du numérique, Fribourg, 20-21 septembre 2006, 21 p. En ligne : http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00079211
Jeapes (1996) Ben.- Sheffield's Learning Centre : more than a library for the twenty-first century : Libraries and learning, Electronic library, vol 14, n°5, pK. 417-418
Maresca (2005) Bruno.- Enquête sur les pratiques documentaires des étudiants, chercheurs et enseignants-chercheurs de l’Université Pierre et Marie Curie (Paris 6) et de l’Université Denis Diderot (Paris 7), Paris, Credoc, novembre, 93 p. En ligne : http://www.credoc.fr/publications/abstract.php?ref=R238
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Renoult (2004) Daniel.- Les Bibliothèques universitaires et leurs publics : à propos d’une enquête récente, Journée d’étude sur la lecture étudiant, Université d’Artois, 16 mars 2004. En ligne: web.univ-pau.fr/saes/pb/divers/bibliotheques/bu.ppt
Renoult (2006) Daniel.- Enquêtes de publics dans les bibliothèques universitaires, où en sommes-nous ? Bulletin des Bibliothèques de France, tome 51, n°2, p. 5-9
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Salaün (2004) Jean-Michel.- Libre accès aux ressources scientifiques et place des bibliothèques. Bulletin des bibliothèques de France, n°6, p. 20-30
Singly (2005) François de.- Les étudiants lisent encore, Sciences humaines, n° 1615, juin, p. 28-33
Van Dooren (2006) Bruno.- Pour une analyse prospective des bibliothèques de recherche, Bulletin des Bibliothèques de France<, tome 51, n°2, p. 22-33
Veille marketing: mieux maîtriser les paramètres de son marché
Ressi — 30 novembre 2007
Jacqueline Deschamps, Haute Ecole de Gestion, Genève
Françoise Simonot, Chef du département Information-Communication, IUT de Besançon,
François Courvoisier, Professeur, Haute école de gestion Arc, Neuchâtel
Veille marketing: mieux maîtriser les paramètres de son marché
Compte-rendu de la 4ème journée franco-suisse en intelligence économique et veille stratégique
Le 22 juin 2007 s’est tenue à la Haute école de gestion de Genève (HEG) la quatrième journée franco-suisse en Intelligence économique et veille stratégique, organisée en collaboration avec la Haute école de gestion Arc de Neuchâtel et l’IUT de Besançon en Franche-Comté.
Magali Dubosson, directrice de la HEG de Genève, accueille les participants en rappelant que le thème de l’intelligence économique est porté depuis plusieurs années, de manière interdisciplinaire, par les trois filières présentes à la HEG : information documentaire, informatique de gestion et économie d’entreprise. Le diplôme postgrade « Intelligence économique et veille stratégique », co-organisé par les HEG de Genève et Neuchâtel, vient d’être accrédité en tant que MAS : Master of Advanced Studies HES-SO en Intelligence économique et veille stratégique.
Jacqueline Deschamps, co-responsable du postgrade ouvre la journée en rappelant que la veille, le lobbying et la protection de l’information sont les trois fondamentaux de l’intelligence économique. En Suisse, pays aujourd’hui considéré comme parmi les plus innovants, l’intelligence économique demeure encore embryonnaire. Soumis à un environnement turbulent, pressés par la nécessité d’innover, comment les responsables d’entreprises organisent-ils leurs activités de veille, levier indispensable de la connaissance et de la conquête des marchés ? C’est à cette interrogation que les différentes interventions tenteront de répondre.
Le mind mapping, un outil pour organiser la collecte d’information, par Pierre Mongin
Pierre Mongin, cadre territorial et professeur associé à l’Université Lille-1, présente les avantages du mind mapping pour la collecte et surtout la représentation de l’information. Le mind mapping est un plan de câblage des informations situées dans le cerveau : il s’agit de générer des chaînes d’informations. Sollicitant le cerveau droit, la carte heuristique constitue un mode d’écriture qui révolutionne la manière de penser : elle décuple la créativité et l’esprit de synthèse là où les modes traditionnels (le texte, mais aussi les slides d’une présentation visuelle) nous confinent à la linéarité. Ainsi, une carte heuristique de 140 mots peut rendre compte d’un texte de 900 mots.
Cinq principes permettent de construire une carte heuristique:
- l’idée principale se place au centre;
- des branches qui partent du centre supportent les principales idées secondaires;
- des ramifications complètent l’ensemble;
- la lecture se fait dans le sens des aiguilles d’une montre;
- tous les types de fichiers numériques (textes, photos, liens…) peuvent être agrégés à la carte.
Ce plan de câblage réalisé au moyen d’une carte heuristique permet de générer des mots-clés pour réaliser une veille.
Selon Pierre Mongin, la carte conceptuelle se distingue de la carte heuristique en cela qu’elle comporte plusieurs noyaux, et que les ramifications, qui représentent des liens entre des concepts, sont accompagnées de phrases explicites qui désignent la nature de ces liens. Formidable outil de prise de notes, de créativité à plusieurs, de réflexion et de synthèse, la carte heuristique n’est cependant pas encore lisible par tous, et la prudence s’impose pour une utilisation officielle.
Pierre Mongin nous signale un outil gratuit pour réaliser des cartes heuristiques : Free-Mind, à propos duquel va bientôt paraître son ouvrage « Démarrez tout de suite avec Free-Mind ». Des outils payants ( Mind Manager, Map it, etc.) sont référencés sur le site www.petillant.com.
La pige concurrentielle… ou comment « piger » la stratégie des concurrents, par Josée Bélanger Simko
C’est à une époustouflante réflexion à contre-courant que nous invite Josée Bélanger-Simko, directrice de l’agence Toutmorrow.
Aujourd’hui, l’arme de destruction massive, c’est le surplus d’information. Pour ne pas mourir, il nous faut passer du too much au much better. Pourquoi vouloir à tout prix « automatiser » la pige, autrement dit la veille concurrentielle ? Piger, en Europe, signifie comprendre ; mais au Canada, cela signifie « tirer au hasard » ! C’est donc trouver, dans le chaos, de la cohérence pour construire de la valeur ; a contrario, pour obtenir de la valeur, il faut donc… du chaos.
Vouloir à tout prix automatiser, c’est nous transformer en détectives à la recherche d’un crime. Ce qu’il nous faut pour avoir la capacité d’entrer en concurrence, c’est nous « autonomiser », devenir capable de décider et d’être créatif ; c’est repousser le consensus, qui est l’arrêt de la pensée ; c’est comprendre, adopter une logique de réception plutôt que de stockage, c’est se poser des questions :
- quels sont les éléments qui peuvent m’amener sur le même chemin que les autres? ou sur un mauvais chemin?
- qu’est-ce que je ne prends pas en compte ? et si on ne prenait rien en compte?
- si on parlait des autres industries?
Le jeu de la concurrence est un jeu de billard plutôt que d’échecs : il n’y a pas de cases, il y a plusieurs boules, et c’est aléatoire ; mais plus on a observé le jeu, plus on connaît les règles, et plus on a de chances de gagner.Aujourd’hui, la technologie est accessible à tous ; pour se démarquer, il faut donc donner du sens, potentialiser le chaos, exploiter ses propres erreurs (mais ne pas les reproduire !). Plutôt que d’enrichir le produit, il faut chercher à enrichir la vie du client/consommateur, passer d’une économie de production à une économie de la valeur, faire que 1+1=11… Pour créer l’ampoule, Edison n’a pas analysé la bougie !
Lorsqu’on cherche à entrer en concurrence, il faut déjà savoir contre qui, et contre quoi. Apple n’a que 5% des parts du marché de l’électronique personnelle, mais c’est lui le véritable leader, le créateur de nouveaux designs, de nouveaux objets, tels l’i-phone : 30% des jeunes n’ont déjà plus de montre (leur téléphone portable la remplace), bientôt l’i-phone va faire disparaître l’ordinateur.
Ainsi il ne faut pas tant analyser ce que fait la concurrence que comment elle le fait ; ce qui va faire la force de la concurrence, c’est:
- Le niveau d’activité de l’entreprise, l’énergie qui lui permet d’être toujours synchrone (perfect timing);
- son adaptabilité aux situations nouvelles, sa capacité à anticiper toujours la prochaine étape (next step);
- La qualité de son discours (et c’est pourquoi il est important de savoir quelle est l’agence de pub du concurrent)
- La qualité de la relation qu’elle établit avec le client, et qui doit être marquée par la synchronie et la réciprocité, bien plus, par l’ « accordage affectif » : par exemple, à l’heure où des systèmes logistiques très sophistiqués peuvent être mis en place dans tous les domaines, Rolex fait attendre ses clients neuf mois pour la livraison de ses montres, leur procurant ainsi le plaisir rare de l’attente.
Notre concurrence, elle est d’abord en nous-mêmes : c’est notre inertie, notre inhibition. Pour entrer en concurrence, il faut:
- observer, ne pas rester au bureau, travailler avec des gens à l’extérieur, ou des gens qui pensent comme à l’extérieur;
- accepter la passivité réceptrice;
- ouvrir, casser les choses; ne pas se taire, douter, ne pas être raisonnable;
- conduire le changement plutôt que se le laisser imposer.
Felco, une PME à la conquête du marché chinois, par Patricia Borloz
Felco, installée dans la Watch Valley près de Neuchâtel, produit depuis 60 ans des outils de taille, essentiellement des sécateurs en aluminium matricé, pour une clientèle fidèle de professionnels, horticulteurs et paysagistes. Un million d’outils sont produits chaque année, dont 80% de sécateurs : ce sont des outils légers, démontables, garantis à vie puisque les principales pièces peuvent en être changées. Les valeurs de l’entreprise sont :
- la grande qualité du produit, efficace, durable et écologique, suscitant la fierté des employés et la fidélité des clients;
- son prix élevé;
- la prise en compte de la santé des utilisateurs (pas d’ampoule, pas de tendinite)
Une réussite aussi assise doit rendre encore plus vigilant quant à l’avenir : le matériau spécifique peut disparaître, le besoin auquel il répond peut disparaître (apparition d’espèces ne nécessitant pas de taille, modification de la géographie des cultures, etc.). Patricia Borloz, responsable de la recherche marketing chez Felco, a donc mené une réflexion de fond en partant des caractéristiques de sa clientèle : après avoir vu les clients sur le terrain et les besoins auxquels répondaient les produits Felco, elle a recherché les liens entre les différentes cultures (pomme, vigne) et le pouvoir d’achat, identifié dans le monde les cultures qui rapportent (comme la vigne) et qui occupent des surfaces importantes, sélectionné les pays dans lesquels ces cultures étaient en croissance.
Elle a ainsi découvert que, alors que l’Europe subventionne l’arrachage de vignes sur son territoire, la Chine a augmenté sa surface de culture de la vigne de 53% entre 1999 et 2003, pour atteindre 150 000 ha, et que 40% de la production mondiale de pommes est en Chine… Au même moment en Europe, la surproduction fruticole entraîne une moindre taille des arbres fruitiers et donc la baisse de consommation des outils de taille.
En 2003, Felco se met donc à observer la Chine : un premier voyage dans ce pays permet la création d’un petit réseau de correspondants ; une participation à un salon professionnel offre ensuite l’opportunité d’entrer en contact avec un importateur, et d’amorcer avec lui une relation de confiance. Plus tard l’importateur organise pour Felco un voyage chez des viticulteurs, au cours duquel la société vend directement quelques sécateurs à des passants. Les liens sont renforcés, l’importateur est conquis : à l’automne 2007, Felco participera à une exposition viticole en Chine.Pour asseoir la croissance régulière de l’entreprise, il faut donc en permanence chercher à anticiper les changements de la société mondiale en général, tout en « collant » aux besoins des utilisateurs finaux.
Présentation et démonstration de deux types d’outils de veille, par Lionel Cammarata
Lionel Cammarata, assistant à la HEG de Genève et consultant en intelligence économique, nous présente deux outils gratuits, complémentaires et désormais indispensables pour la veille : les fils RSS et les outils de surveillance automatisée de sites. Les fils RSS (Rich Site Summary, ou Really Simple Syndication) sont des fichiers en XML régulièrement actualisés qui proviennent de contanus de sites éditoriaux gratuits et qui procurent des informations bibliographiques et un lien vers des documents publiés sur le web. Ces fils RSS procurent un gain de temps pour être en permanence alerté sur un domaine intéressant.
Pour les lire, on peut utiliser différents outils en ligne : des agrégateurs qui permettent de rendre lisibles les fils RSS sur sa propre page web (ex Bloglines), des portails personnalisables (Netvibes, Webwag..), certains navigateurs internet (Firefox, IE7), et certains webmails. On peut également installer un lecteur de fil RSS (Newzie, Feedreader) ou un client de messagerie adapté, comme RSSowl, Outlook ou Thunderbird.
Les outils de surveillance tels que Websitewatcher, Wysigot ou encore KBcrawl, procurent une gamme de fonctionnalités plus ou moins sophistiquées, qui vont de la simple alerte lorsqu’une page web monitorée a subi une quelconque modification, à l’alerte combinée avec des filtres de mots-clés, qui permettent de détecter l’apparition ou la disparition d’un mot-clé ou d’une combinaison de mots-clés sur les différentes pages d’un site.
Si les fils RSS concernent surtout l’information de presse, alors que les outils de surveillance sont nécessaires pour toutes les autres sources, Lionel Cammarata nous explique, en prenant l’exemple d’une agence de tourisme, comment une bonne connaissance de ces deux types d’outils et leur combinaison peuvent permettre la mise en place d’une surveillance efficace.
Mais comment trouver le bon fil RSS ? Il existe des catalogues (http://w.moreover.com), parfois sectoriels (cf. le site Veille Info Tourisme), et Google Actualités permet de sélectionner un fil RSS à partir d’une requête.
Comment mettre en place une surveillance concurrentielle efficace ? Websitewatcher permet par exemple de sélectionner, sur les sites préalablement signalés, les annonces promotionnelles sur des voyages à J-4, et de détecter les modifications sur ces annonces, comme les changements de prix.
Comment opérer une surveillance sur des listes de discussion ? Il est possible, avec Newzie, d’acquérir le fil RSS correspondant à la liste de discussion, puis de créer un nouveau fil RSS et d’indiquer les mots-clés de filtre.
En conclusion, Lionel Cammarata résume les avantages et inconvénients de l’utilisation des fils RSS pour la veille : ils ne sont actifs que pendant la connexion (contrairement à Google Alert, qui surveille en permanence), et ils peuvent aboutir à une surabondance d’information. En revanche, ce sont des outils de plus en plus simples à utiliser et de prix abordable.
Comment identifier ses concurrents et anticiper sur leurs marchés, par Franck Tognini
Franck Tognini, directeur général du réseau Vigilances.fr, nous livre un tour d’horizon des meilleures pratiques pour collecter l’information concernant nos cibles et, a contrario, pour protéger l’information sur notre propre entreprise.
Les « sources blanches » sont connues et surveillées par la plupart : ce n’est donc pas de là que surgira l’avantage concurrentiel, mais plutôt d’une exploitation soutenue des sources grises : communiqués de presse, mais aussi annexes des rapports de stages, soutenances, discussions privées, disques durs d’un parc informatique mis au rebut… il faut exploiter l’absence de discrétion de nos concurrents.
C’est d’abord une attitude d’étonnement, personnel puis collectif, qui peut nous mener « de la veille à l’éveil » : en cela, le « rapport d’étonnement », par lequel un collaborateur relate non pas ce qu’il a constaté, mais ce qu’il ne comprend pas, est un outil de veille performant, à condition que l’ensemble des rapports soit exploité régulièrement et que chaque informateur obtienne un retour sur ce qu’il a signalé.
En effet, tout collaborateur (livreur, réceptionniste, ouvrier…) est un capteur potentiel d’information : il faut sortir les personnes de leur rapport habituel au travail, de leur fonction d’exécutant, et les impliquer en leur donnant la parole, comme c’est le cas sur les chaînes de montage de Toyota à Valenciennes.
Marier les contraires, mélanger les cultures peut être aussi un facteur de réflexion et d’étonnement fécond : par exemple, répartir la lecture de revues en faisant lire des revues techniques à des commerciaux et réciproquement, ou encore, envoyer les cadres à des salons dans des domaines inhabituels pour eux.
Pour bien tirer parti des participations de l’entreprise à des salons professionnels, il importe de cibler les salons intéressants, qui peuvent être beaucoup plus divers qu’on le croit : une participation à un « salon du bien être » permettra de sentir les tendances émergeantes en matière de sécurité alimentaire, d’emballage, etc. ; de même, un salon touristique renseignera sur de grands investissements publics en BTP… Il convient ensuite de préparer la liste des informations qu’on souhaitera y recueillir : quelle information, auprès de qui, à quel moment stratégique (pause méridienne, fin de salon…). Enfin, au cours du salon, Franck Tognini préconise de profiter des pauses pendant lesquelles les stands se vident pour discuter avec les stagiaires délaissés, récolter les cartes de visite ou les listes de contacts abandonnées sur les comptoirs…. sans oublier d’écouter les conversations lors des cocktails et du voyage retour.
Bien au fait de ces méthodes « grises » de collecte de l’information, l’entrepreneur soucieux de protéger l’information sur son entreprise doit tout envisager et être particulièrement vigilant sur les points suivants :
- les visites : badger les visiteurs, ne pas les laisser seuls, limiter les accès aux locaux, s’assurer que les fumeurs dehors ne sont pas interrogés par des personnes extérieures, se méfier des visites touristiques de l’entreprise
- les stagiaires et intérimaires : limiter et gérer leurs accès à l’intranet et aux données, contrôler la diffusion des rapports de stage, bien expliquer aux stagiaires de quelles tentatives ils peuvent être l’objet.
- les partenaires et prestataires : s’assurer que les avocats, experts comptables, commissaires aux comptes protègent correctement leur système informatique contre les intrusions.
- les transports : limiter les conversations professionnelles dans les trains et navettes d’aéroport.
- les réseaux : investir dans des réseaux « sociaux » en créant des communautés de confiance, plutôt que dans des réseaux professionnels ouverts aux concurrents.
- enfin, il faut se méfier des accès wifi que nous utilisons hors de notre entreprise !
Veille marketing dans des groupes industriels : quelles méthodes ? par Romuald Messina
Membre du groupe Lafontaine, Romuald Messina a à la fois une pratique de l’Intelligence Economique (IE) dans des cabinets très offensifs et l’expérience de la mise en place d’un service d’IE dans deux grands groupes industriels, Air Liquide et Schneider Electric. Selon lui, le principal enjeu n’est pas tant de capter l’information confidentielle que de savoir correctement l’exploiter. Il expose la démarche de mise en place de l’activité d’intelligence économique au sein d’un grand groupe.
La première préoccupation a été de mener un audit informationnel au sein du groupe, et de clarifier la mission « intelligence économique », qui aujourd’hui, chez Schneider Electric, s’organise selon trois axes :
- détecter les mouvements stratégiques des concurrents et informer la direction sur eux
- analyser, comprendre et anticiper ces mouvements, grâce notamment à des contacts directs
- répondre aux questions urgentes du top management en 24 heures.
La mise en place d’une plateforme de veille est intervenue rapidement et s’est faite avec l’implication des différentes équipes et des filiales ; l’appel d’offres international a abouti à mettre en concurrence deux entreprises françaises (hasard heureux puisque les Américains ne connaissent pas et redoutent les outils français), et c’est Digimind qui a été choisi pour développer un outil dédié et le déployer en moins de trois mois. Aujourd’hui, cette plateforme permet le suivi quotidien, voire horaire, et le recoupement de 1265 sources multilingues. Le fait que tous les acteurs impliqués utilisent une seule et même plateforme de veille permet la standardisation des méthodes de veille, l’échange de bonnes pratiques, et dégage du temps pour l’analyse ; cela facilite aussi la publication diffusion ciblée de l’information.
La cellule de veille est une équipe souple et dynamique : elle comprend une dizaine de personnes, et elle est en relation directe avec le top management : elle doit pouvoir réagir dans un délai de quatre heures. Elle assure la « chaîne de la valeur » de l’information : identification des besoins, collecte, organisation, analyse, vérification auprès d’experts, publication de l’information.
Par ailleurs, elle sensibilise et forme des veilleurs dans les filiales, et anime des communautés de veilleurs selon les thématiques : ces veilleurs interviewent les experts et savent analyser, synthétiser, faire remonter l’information selon les processus établis : ce dispositif, qui comporte aujourd’hui 11 relais et 35 collaborateurs dans les filiales, est plus efficace que de demander à tous les membres du groupe de consacrer du temps à la veille, alors qu’ils ne maîtrisent pas forcément la méthodologie. Les veilleurs sont toujours cités lors de la publication d’informations qu’ils ont fait remonter.Le processus de collecte de l’information est industrialisé : les sources sont réparties entre les veilleurs, qui utilisent les mêmes outils:
- une classification ad hoc, bien pensée, disponible dans toutes les langues du groupe, et qui permet de multiclasser les informations
- un modèle d’analyse des informations
- le recours organisé à des experts internes qui aident à comprendre l’information.
L’information de veille est échangée avec les différentes communautés thématiques concernées dans les filiales, puis entre elles, puis avec des clubs, clients, partenaires : ces échanges d’information se font selon une cartographie très précise des réseaux, où sont représentées les compétences, l’appartenance à tel ou tel club, à tel ou tel conseil, de chaque membre. Chaque information est partagée entre une dizaine de personnes maximum, toujours sur la base de missions précises et ponctuelles, et non publiée à tout vent sur un intranet.Pour résumer, Romuald Messina conseille :
- d’avoir une vision claire de ce que l’on cherche
- de créer son dispositif de veille
- de créer un réseau de correspondants, sur la base d’un échange réciproque : information contre compétence pour la traiter
- d’encourager le partage de l’information, mais bien ciblé et non documentaire.
Les études de marché au service de la veille stratégique, par Frédéric Laforge
Classiquement, l’étude de marché intervient bien après l’étude de veille, et fait appel à la parole du consommateur, ce qui suppose qu’il y ait déjà un produit et des clients pour ce produit. L’approche « veille » n’est donc pas existante dans les cabinets d’études de marché, et il n’existe d’ailleurs pas de produit ainsi labellisé chez GFK. Frédéric Laforge s’est donc posé deux questions :
1° - Les cabinets d’études de marché font-ils de la veille sans le savoir ?
Dans les études classiques, il arrive que certaines questions soient déconnectées d’un produit précis et portent sur ce qui motive le comportement. Par exemple, une étude récente pour l’Oréal s’interrogeait sur le rapport à la peau des Françaises aujourd’hui ; la conclusion était qu’à l’image d’une superposition de couches (endoderme, derme, etc.) s’était substituée l’image d’échanges avec l’extérieur, et donc la question de ce qu’on laisse entrer ou sortir.
Une telle tendance est certes intéressante à explorer dans une optique de veille sociétale très amont. Mais plus généralement, ces études exploratoires sont très longues et très coûteuses, car elles nécessitent d’importants échantillons et de longues analyses.
2° Y a-t-il d’autres outils qui puissent couvrir les besoins de veille à des coûts raisonnables ?
Dans le même type d’approches très « macro », on peut citer les études très générales sur les comportements et les habitudes d’une catégorie de personnes : à quelle heure se lèvent-elles, que mangent-elles, etc. On sait ainsi que les cigarettiers achètent énormément d’études sur le comportement des adolescents. Il faut citer aussi les « observatoires », rapports synthétiques annuels sur l’évolution du monde, établis sur la base de discussions avec des leaders d’opinion. Mais ces études sont très vastes.Sur un plan cette fois « micro », les traditionnels panels de consommateurs et panels d’encaissements dans les grandes surfaces ne concernent que des produits finis : ils permettent de mesurer des parts de marchés, mais non pas de définir une politique : ce n’est donc plus de la veille, c’est de l’autopsie….
Un modèle d’étude plus adéquat semble être le « tracking de marché » : il s’agit de vérifier régulièrement le positionnement d’un produit sur son marché, de vérifier la bonne santé de l’image et des valeurs de la marque. Il s’agit d’une étude simple, composée de trois ou quatre questions, comportant toujours rigoureusement les mêmes items, posées à un petit échantillon de personnes plusieurs fois par an. Le coût peut être inférieur à 10 000 CHF par an. Quelques exemples :
- « Nespresso est-elle pour moi une marque innovante/ une marque en qui j’ai confiance / une marque haut de gamme / une marque pour les gens comme moi ? » ;
- « Fumer, est-ce cher / dangereux / cool / agréable » ?
Ces études permettent de vérifier que la marque est bien au cœur de son marché, et d’anticiper les déplacements de ce marché.
En conclusion, Frédéric Laforge note que, pour mener ces études, certains cabinets utilisent aujourd’hui les forums on line ; ceux-ci sont aussi utilisés pour « casser » des marques par des concurrents qui chargent ces forums de faux messages de mécontentement.
Synthèse de la journée, par Romuald Messina
Pour conclure la journée, Romuald Messina en reprend les points-clés sous forme de conseils :
- Ayons conscience que nous sommes tous observés (Google) : … et utilisons ces mêmes outils, comme Google Trend, pour observer à notre tour;
- Soyons attentifs aux risques de pillage de l’information : mettons en place des salles neutres, limitons les destinataires de nos informations au strict nécessaire, etc.;
- Ayons conscience aussi du risque de manipulation de l’information : par exemple, soyons attentifs aux blogs et aux forums ;
- Accordons toute son importance à la remontée de l’information : par exemple, mettons en place les rapports d’étonnement et les réseaux de veilleurs correspondants;
- Créons de l’intelligence collective : des réseaux de partage, des réseaux d’aide à la compréhension de l’information;
- Soyons créatifs, imaginatifs, mélangeons les gens, pensons autrement, trouvons des « trucs » : par exemple, pour évaluer l’effectif d’une entreprise, comptons les places de parking devant le siège…
- Ne stockons pas l’information, faisons-la circuler, car l’information appelle l’information;
- Utilisons le mapping pour organiser et exploiter l’information, mais aussi pour bien d’autres applications : par exemple, le mapping des salons où un concurrent est présent met en lumière ses liens technologies / marchés / pays;
- Enfin, soyons conscients que tout ce travail se fait dans la durée et que rien ne se fait en un jour…
Caron-Fasan Marie-Laurence, Lesca Nicolas. Veille anticipative - Une autre approche de l'intelligence économique, Paris: Hermès Science, 2006, 281 p., ill.
Ressi — 30 novembre 2007
Yves Berger, Haute Ecole de Gestion, Genève
Caron-Fasan Marie-Laurence, Lesca Nicolas. Veille anticipative - Une autre approche de l'intelligence économique, Paris: Hermès Science, 2006, 281 p., ill.
Anticiper les changements actuels et futurs pour le devenir des entreprises
L’objet central du livre est la veille délibérément tournée vers l’anticipation. Sa particularité est la valorisation d’informations d’origine informelle, collectées au gré des discussions et rencontres avec les acteurs extérieurs. L’approche vise à proposer une complémentarité à la veille technologique perçue par les auteurs comme incomplète et insatisfaisante compte tenu des risques et des menaces de l’environnement mondial actuel. Ils estiment en effet qu’il est désormais urgent que les entreprises soient capables d’appréhender la mondialisation et d’en tirer les avantages stratégiques. Cela passe par une maîtrise des savoirs et des savoir-faire ainsi qu’une capacité de réaction et d’anticipation. Les outils de veille représentent bien sûr un des facteurs de réussite mais l’état d’esprit, l’anticipation et la culture d’intelligence économique dans l’entreprise sont d’autres facteurs cruciaux.
De l’avis de Marie-Laurence Caron-Fasan et Nicolas Lesca, l’intelligence économique est encore un concept flou et mal compris notamment dans les entreprises privées. Leurs constatations se développent autour de la France pour expliquer que l’IE est un vaste chantier et qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir pour sensibiliser l’ensemble des acteurs de l’économie. Sans entrer dans des développements approfondis, le livre se propose donc de faire un tour d’horizon de l’activité de l’IE et de définir son rôle et sa place dans l’économie.
L’une des pratiques associées à l’IE est l’organisation de réseaux d’information et de dispositifs de renseignement pour anticiper les changements. La logique, rappelle les auteurs, est très simple puisque elle veut que plus tôt le changement sera anticipé, plus l’organisation disposera de temps pour réagir et s’adapter. En d’autres termes, si l’entreprise pouvait connaître les changements avant qu’ils ne se réalisent, elle pourrait disposer d’un temps de réaction pour en tirer profit et prendre, par exemple, de l’avance sur ses concurrents. Sur le terrain, cette logique est par contre très difficile à mettre en œuvre car les entreprises ne voient pas toujours l’intérêt d’une telle démarche.
Veille anticipative, où quand l’acte passif de recueil d’information (réaction) devient un des outils d’aide à la décision permettant de détecter le fameux signal faible
En poussant le raisonnement un peu plus loin, l’ouvrage démontre que l’acte d’anticiper ne signifie pas uniquement connaître avec exactitude le futur longtemps avant qu’il ne se réalise, mais également percevoir les germes de changement et imaginer alors plusieurs futurs possibles. L’idée d’anticipation renvoie ainsi à la capacité d’imaginer une situation, un événement, un fait avant qu’il ne se réalise et sous-tend que l’information ne fournit pas seulement des éclairages sur le passé ou le présent, mais aussi sur le futur. Par exemple, l’information d’anticipation devrait permettre de répondre aux questions du type: notre principal concurrent risque t’il de proposer un nouveau produit à nos clients ? Pour désigner ces informations à caractère anticipatif, Marie-Laurence Caron-Fasan et Nicolas Lesca parlent de signal faible, c'est-à-dire des indices imprécis mais précoces susceptibles de se réaliser dans le futur. Une organisation qui souhaiterait ainsi anticiper les changements et les évolutions de l’environnement devrait chercher à développer sa capacité à écouter, percevoir et décoder ces signaux.
Faire de la veille, pour les auteurs, représente le plus souvent une activité ou une pratique informelle et implicite venant s’ajouter au métier principal d’un acteur individuel. Elle renvoie alors pour eux à un ensemble de compétences, de sensibilité et de comportements que chaque employé peut être susceptible de mettre en œuvre dans l’exercice de son travail. A ce stade de leur réflexion, ils se demandent en quoi consiste cette activité et quel dispositif mettre en œuvre. Ils proposent, pour y répondre, d’identifier puis de détailler les différentes phases (ciblage, sélection, circulation, diffusion, etc.) constitutives du processus de veille.
L’ouvrage fournit également des axes d’analyse et d’approfondissement pour étudier et questionner les processus de veille. Enfin, les auteurs proposent d’étudier la veille non plus comme un processus informationnel mais en tant que système cybernétique, c’est à dire un processus structuré et finalisé qui transforme les données en produits. Les composantes du système cybernétique de veille étant les ressources utilisées, les aspects financiers ainsi que les facteurs-clés de succès et d’échecs.
Finalement, c’est la question de la relation entre la veille et la prise de décision qui est abordée dans ce livre, montrant que bien souvent, ce lien n’existe pas de façon aussi mécanique qu’il est dit parfois dans la littérature, voire de la part de constructeurs de logiciels. Ce livre propose aussi des pistes pour stimuler la réflexion et pousser à l’action des acteurs désireux renforcer le lien entre leurs pratiques de veille et de prise de décision. Il contribue donc à faire avancer l’intelligence économique dans une culture où l’information a besoin de se faire une place de référence. Il est aussi destiné aux jeunes chercheurs académiques qui trouveront un ensemble cohérent de bases théoriques concernant la veille et des références d’auteurs de reconnaissance internationale.
Open Access. Chancen und Herausforderungen : ein Handbuch. Deutsche Unesco Kommissison, 2007
Ressi — 30 novembre 2007
Eloi Contesse, Chargé d'inventaire, Département des collections photographiques, Musée historique de Lausanne
Open Access. Chancen und Herausforderungen : ein Handbuch. Deutsche Unesco Kommissison, 2007
Edité par la Deutsche UNESCO-Kommission (1), cet ouvrage a pour but de nourrir le débat sur l’open access en décrivant de manière détaillée tous les aspects touchés par la mise en place d’une stratégie open access. A l’origine de ce manuel, un atelier réunissant vingt-cinq experts politiques (membres des gouvernements de Länder, de l’Etat fédéral allemand, de l’administration européenne), scientifiques, et économiques (éditeurs).
L’intérêt de cet ouvrage tient en deux éléments: l’intervention de spécialistes et la volonté de couvrir tout l’ensemble du spectre touché par la problématique de l’open access. Après une introduction générale (Quo vadis, Wissensgesellschaft ?), cet ouvrage présente en cinq parties tout ce qui concerne l’Open access: 1. Définition et origine de l’open access; 2. Trois modèles de publications open access; 3. Aspects à prendre en compte lors de la réalisation de modèles open access; 4. Perspectives politiques de l’open access, dans la recherche scientifique, les bibliothèques, les éditeurs, la formation, etc. et 5. Le contexte international.
Outre la présentation du modèle hybride Springer Open Choice (permettant à l’auteur de choisir au moment de sa publication dans une revue appartenant au groupe Springer d’être publié en open access ou selon la formule classique usager-payeur), deux études de cas sont présentées: le serveur institutionnel de l’université Humboldt à Berlin et le New Journal of Physics lancé en open access par des universités allemandes et américaines. Ces articles présentent les défis principaux de telles entreprises. Pour le premier cas (serveur institutionnel), la viabilité du système dépend très largement de la sensibilisation auprès des auteurs, pour leur faire comprendre les buts de l’open access ainsi que la différence entre l’auto-archivage dans un serveur institutionnel et la publication dans un journal électronique. Néanmoins, le serveur institutionnel travaille également au développement de services pour les éditeurs scientifiques de publications électroniques. Pour le journal en open access, ses avantages sont importants: il combine une diffusion élargie des articles avec les exigences qualitatives d’une revue scientifique. Les défis d’une telle entreprise concernent principalement la phase de lancement, qui demande une subvention régulière sur plusieurs années pour assurer la viabilité du projet.
Plusieurs chapitres traitent de la réalisation de publications en open access, et décrivent aussi bien les questions du financement, du droit d’auteur, de la garantie de qualité du contenu, de l’archivage à long terme, comme de sujets plus pointus comme la modification des structures de communication de l’information scientifique avec l’open access, ainsi que des questions techniques de traitement des données, des interfaces de recherches et du degré de diffusion du publications en open access dans les divers domaines scientifiques.
E. Bodenschatz et U. Pöschl décrivent de nouveaux moyens de contrôle sur les publications scientifiques tel que le Collaborative peer review. La possibilité de mettre en ligne des pre-print élargit pour ainsi dire le lectorat éditorial et donne la possibilité à l’auteur, sur la base des commentaires qu’il reçoit, d’améliorer sa version publiée (p. 51 et 54).
U. Schwens et R. Altenhöhner de la Deutsche Nationalbibliothek décrivent les deux défis pour la conservation à long terme, à savoir:
- La conservation du contenu des données (Substanzerhaltung der Dateninhalte), impliquant l’intégration de données de sources et de formats hétérogènes dans un réceptacle stable et homogène, avec un contrôle automatique régulier relatif aux supports des données et des nécessaires migrations d’un support à l’autre.
- La conservation de l’accessibilité des ressources numériques. Cette tâche est bien plus complexe puisque l’usager du futur ne sera plus forcément en mesure d’interpréter les formats d’archivage, puisque le contexte technique (système d’exploitation, programmes informatiques) ne sera plus disponible. La réponse à cette difficulté réside dans la mise en place d’expérimentation de maintien du système d’origine (émulation).
De manière générale, ces auteurs notent que la conservation à long terme sera de plus en plus un argument commercial dans le monde très concurrentiel des publications scientifiques (p. 58). L’avantage de l’open access est que le monde de la publication électronique y est plus homogène que dans le monde éditorial classique, avec cet inconvénient cependant du moindre pouvoir de l’éditeur open access face à l’auteur quant aux normes de présentation et de formats.
J. Fournier décrit les changements dans le mode de communication de l’information scientifique. Par exemple, si le choix de l’auteur-payeur résout la problématique de l’accès à l’information résultant de la recherche scientifique, il faut prendre garde que ce mode de diffusion n’exclue pas de la publication des chercheurs sans le sou. Il y a donc un besoin d’institutionnaliser l’open access et de sensibiliser les bailleurs de fonds. Dans le même temps, il s’agit d’accompagner l’auteur scientifique dans son usage de l’open access. Dans ce cadre, J. Fournier met en avant la transformation du rôle des bibliothèques scientifiques au contact de l’open access. De réceptrices et dépositaires des publications, elles vont de plus en plus jouer un rôle d’acteur de la diffusion de l’information scientifique (p. 69).
Si l’arrivée d’Internet et des publications électroniques a bouleversé le paysage de la communication scientifique et détruit le consensus de la publication scientifique traditionnelle (relations entre scientifiques, éditeurs et bibliothèques universitaires), Ralf Schimmer de la Max Planck Digital Library insiste pour ne pas y voir une guerre de tranchées entre scientifiques d’une part, et éditeurs commerciaux d’autre part. D’après son expérience, on trouve un esprit d’innovation, de même que des attitudes défensives et de refus des deux côtés. Il insiste pour montrer que l’impact de l’open access sur le milieu scientifique est tout en nuance, en fonction du domaine dans lequel on se situe (p. 72-76). Cette déclaration est étayée, dans les chapitres suivants, par des descriptions plus détaillées de chaque domaine scientifique (des sciences naturelles aux sciences humaines).
Mettre côte à côte scientifiques, éditeurs et politiques et parvenir à un consensus sur l’open access, c’est le défi que s’est donné ce livre. Il contribue en tout cas à nourrir la réflexion et à donner une vision nuancée des problématiques concernées. Il montre également que l’open access a dépassé le stade de l’expérimentation, du moins en Allemagne, et se dirige vers une institutionnalisation bienvenue. C’est donc un bouleversement complet de la diffusion de l’information scientifique qui est en cours. Ces transformations dépassent le passage de l’analogique au numérique, mais touche au fonctionnement même des institutions publiques impliquées dans la recherche scientifique, appelées à un rôle de plus en plus actif dans la diffusion de l’information qu’elles contribuent à produire ou dont elles sont les dépositaires.
N°5 mars 2007
Ressi — 29 mars 2007
Sommaire - N°5, Mars 2007
Etudes et recherches :
- Les catalogues des bibliothèques : du web invisible au web social (I) - Isabelle de Kaenel et Pablo Iriarte
Comptes-rendus d'expériences :
- Comment découvrir les bibliothèques publiques, la bibliothéconomie comparée et la Suisse en utilisant la pédagogie de projets - Réjean Savard
- L’offre de périodiques en bibliothèque universitaire : les avantages d’une démarche collective - Danielle Mincio
Evénements :
- En quoi le SMSI peut être utile au développement des bibliothèques - Anne-Christine Robert, Tamara Morcillo et Michel Maillefer
- Online Information 2006 : se préparer à l’information 2.0 - Ariane Rezzonico
Ouvrages parus en science de l'information :

La revue Ressi
- N° Spécial DLCM
- N°21 décembre 2020
- N°20 décembre 2019
- N°Spécial 100ans ID
- N°19 décembre 2018
- N°18 décembre 2017
- N°17 décembre 2016
- N°16 décembre 2015
- N°15 décembre 2014
- N°14 décembre 2013
- N°13 décembre 2012
- N°12 décembre 2011
- N°11 décembre 2010
- N°10 décembre 2009
- N°9 juillet 2009
- N°8 décembre 2008
- N°7 mai 2008
- N°6 octobre 2007
- N°5 mars 2007
- N°4 octobre 2006
- N°3 mars 2006
- N°2 juillet 2005
- N°1 janvier 2005