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Connaissance
Eléments d’architecture pour une mémoire d’entreprise orientée processus métier
Ressi — 30 avril 2008
Mahmoud Brahimi, Université Lyon 3, France
Laid Bouzidi, Université Lyon 3, France
Résumé
Les entreprises disposent d’un capital de connaissances (documents, données, référentiels, messages, …) souvent mal exploité notamment durant l’exécution des processus métiers. A cela, plusieurs raisons peuvent être invoquées : des workflows peu ou pas automatisés, une exploitation très réduite de ces connaissances car seules les données sont principalement utilisées, l’absence d’architecture qui pourraient fédérer ou intégrer tous ces connaissances en vue d’une utilisation efficace. En outre, on constate que ces connaissances sont très peu reliées aux processus métier. De nombreuses tentatives ont vu le jour pour tenter de juguler ce manque de gestion de ce capital, à travers des systèmes de gestion de connaissances, de portails (intranet), ou plus largement par des mémoires d’entreprises. Toutefois de nombreuses préoccupations restent encore en suspens. Quelles sont les connaissances liées à un processus métier ? Quel est l’apport d’une mémoire d’entreprise pour l’exécution des processus métiers ? Comment considérer les liens entre les connaissances ? Quelles architectures génériques est-il possible d’envisager pour la construction des mémoires d’entreprise ? Voilà les questions auxquelles cet article tente de répondre.
Abstract
Enterprises have got a huge amount of knowledge (documents, data, emails, …) which is often bad treated particularly when a business process is executed. Several reasons motivate this fact among them: few or no automated workflow, exploitation limited of this knowledge because only data are mainly used, the lack of framework capable to federate or integrate all kind of knowledge for an efficient use. . In addition we observe that knowledge is not really linked with business processes. Several temptations were made in order to reduce this insufficiency of capital management using knowledge management systems, intranet, or more generally corporate memories. However many problems still require new solutions. What is knowledge linked to business process? Which is the contribution of corporate memories in the processes execution? How to considerer the link between knowledge? What are the generic architectures that can be envisaged for corporate memory building? These are the questions that this paper attempts to answer.
Eléments d’architecture pour une mémoire d’entreprise orientée processus métier
I. Introduction :
« La gestion des connaissances désigne la gestion de l’ensemble des savoirs et savoir-faire en action mobilisés par les acteurs de l’entreprise pour lui permettre d’atteindre ses objectifs » (Charlet et al, 1999). Plusieurs étapes ont été identifiées dans un processus de gestion de connaissances : il s’agit de l’explicitation de connaissances tacites repérées comme cruciales pour l’entreprise, du partage du capital des connaissances rendu explicite sous forme de mémoire et de l’appropriation et de l’exploitation d’une partie de ces connaissances par les acteurs de l’entreprise (Nonaka et Takeuchi, 1995). L’architecture décisionnelle autour de laquelle sont bâtis les systèmes d’aide à la décision assure le processus de transformation des données en informations à usage décisionnelle (Lebraty, 2000). Ces informations à usage décisionnel contribuent à l’amélioration des performances des savoir-faire structurés sous forme de processus métiers, et la connaissance contenue dans les ressources utilisées apporte des moyens pour l’amélioration de la prise de décisions. Cette prise de décision est fortement dépendante des informations et des connaissances qui vont servir de support à cette décision et des outils et des méthodes entrant dans l’exécution des processus. En effet, une décision est le fruit de l’utilisation d’un ensemble d’informations et de connaissances interprétées dans un contexte bien précis. Aussi, certaines catégories de processus peuvent faire appel au même ensemble d’outils et de méthodes, dont la mise en œuvre comporte de nombreux paramètres. Elles nécessitent de prendre des décisions sur le choix des outils et des méthodes dont la qualité influera fortement sur celle du processus. L’amélioration du processus va alors reposer principalement sur l’amélioration des décisions dans l’application de ces outils et méthodes. Les acteurs s’appuient pour cela sur des connaissances acquises antérieurement par d’autres et matérialisées sous forme de mémoires d’entreprise.
Pour capitaliser et rendre explicite des connaissances dans une entreprise, des méthodes issues de l’ingénierie des connaissances (tel que MASK, REX, CommonKADS, KOD, etc.) et du travail assisté par ordinateur (tel que QOC, DIPA, etc.) (Dieng-Kuntz et al, 2001) ont été élaborées. Ces méthodes permettent de définir des mémoires d’entreprise. Une mémoire d’entreprise est définie comme la « représentation persistante, explicite, désincarnée, des connaissances et des informations dans une organisation, afin de faciliter leur accès, leur partage et leur réutilisation par les membres adéquats de l’organisation, dans le cadre de leurs tâches ». Particulièrement, une mémoire métier peut être définie comme l’explicitation des connaissances produites dans et pour un métier donné. Les méthodes de capitalisation des connaissances utilisent des techniques d’ingénierie de connaissances pour extraire les connaissances, que ce soit auprès des experts ou à partir des documents, afin de les formaliser avec des modèles conceptuels, où la connaissance (dans notre cas en rapport avec les processus métiers) qui guide la résolution de problèmes est rendue explicite. Par ailleurs, (Nagendra Prasad et Plaza, 1996) définissent la mémoire d’entreprise comme « l’ensemble des données collectives et des ressources de connaissances d’une entreprise ». La gestion des connaissances selon cette approche, peut être vue comme « la gestion d’un réservoir de taille plus au moins importante rassemblant les connaissances de l’entreprise. La taille la plus petite correspondant à une mémoire individuelle, celle d’un expert d’un domaine donné, la taille la plus grande correspondant à la mémoire de l’entreprise et rassemblant à ce titre l’ensemble des connaissances sur l’organisation, les activités, les produits, etc., de l’entreprise.» (Meingan, 2002).
Selon la typologie de la mémoire d’entreprise, celle-ci peut inclure des connaissances sur les produits, les procédés de production, les clients, les stratégies de ventes, les résultats financiers, les plans et buts stratégiques, etc. Elle peut également inclure des bases de données, des documents électroniques, des rapports, des spécifications de produits et de la logique de conception. En effet, il existe une variété de typologies de mémoire d’entreprises : mémoire de projet, mémoire métier, mémoire distribuée, mémoire documentaire, mémoire à base de cas, etc. Les caractéristiques de quelques unes de ces mémoires d’entreprise sont définies dans (Gandon, 2002).
Pour atteindre les objectifs définis par la stratégique globale de l’entreprise, les acteurs disposent d’un capital de connaissances souvent très important matérialisé à travers les documents et les données mais aussi les référentiels, les messages électroniques, etc. (figure 1) mais généralement mal exploité durant l’exécution des processus métiers. A cela, plusieurs raisons peuvent être invoquées : des workflows peu ou pas automatisés, une exploitation très réduite de ces connaissances car seules les données sont principalement utilisées, l’absence d’architecture qui pourraient fédérer ou intégrer toutes ces connaissances en vue d’une utilisation efficace.
Nous proposons dans ce papier de concevoir une architecture de mémoire d’entreprise orientée processus métier permettant de mettre à la disposition des acteurs les fonctionnalités nécessaires à l’intégration de nouvelles connaissances et tenant compte de l’obligation, pour les entreprises, de disposer d’un outil fédérateur capable de s’interfacer avec le système d’information de l’entreprise et d’interroger simultanément et « intelligemment » les ressources de connaissances via une interface d’accès centralisé.
Figure 1. Synoptique général des ressources nécessaires à l’exécution d’un processus métier
II. Connaissances liées aux processus
La définition de référence des processus est aujourd’hui celle qui est donnée par la norme ISO9000 :2000. C’est « un ensemble d’activités corrélées ou interactives qui transforme des éléments d’entrée en éléments de sortie ». Cette définition est succincte, ce qui autorise une application très large. On peut donner la définition suivante dans le cadre d’un processus métier : « un processus métier est un ensemble d’activités, entreprises dans un objectif déterminé. La responsabilité d’exécution de tout ou partie des activités par un acteur correspond à un rôle. Le déroulement du processus utilise des ressources et peut être conditionné par des événements, d’origine interne ou externe. L’agencement des activités correspond à la structure du processus ».
Un processus métier organise le travail des acteurs pour répondre à des objectifs définis par la stratégie de l’organisation; l’objectif étant l’expression de la finalité du processus.
L’acteur est une personne physique, une entité organisationnelle ou une machine qui prend une part aux activités du processus. Ainsi, pour S.Alter (Information Systems : A Management perspective, 3eme éd., The Benjamin /Cummings Publishing Company, 1999), un processus est un ensemble coordonné d’activités, visant à produire un résultat pour des clients internes ou externes, et exécuté par des acteurs humains ou automates, utilisant des ressources.
L’activité est un ensemble de travaux correspondant à une unité d’évolution du système. Les activités décrivent comment l’objectif d’un processus pourra être atteint. Pour pouvoir maîtriser le déroulement d’un processus, on s’attache à faire apparaître différents états. On considère que les travaux de l’activité modifient l’état du système processus et permettent le passage d’un état stable à un autre.
L’acteur peut être interne ou externe à l’entreprise, et un processus peut ainsi être exécuté par plusieurs partenaires qui coopèrent. En général, les acteurs interviennent dans le cadre organisé du processus, c'est-à-dire que les activités ont été regroupées pour être confiées à un même acteur.
L’évaluation des processus entre généralement dans le cadre de l’évolution du système d’information de l’entreprise et permet de mesurer l’écart entre l’objectif du processus actuel, tel qu’il est perçu et vécu par les différents acteurs, et l’objectif tel qu’il découle de la stratégie de l’entreprise. L’évaluation peut être structurée en deux niveaux : dans un premier niveau, le processus existant est observé globalement par rapport à son apport au management et au fonctionnement de l’entreprise, ce qui permet entre autre d’estimer l’importance et la pérennité des connaissances mises en œuvre dans le processus existant et des savoir-faire acquis par les acteurs, et dans un deuxième niveau, le processus est analysé en détail et la mise en évidence de problèmes ou de carences prépare des améliorations, voire même des ruptures. C’est ainsi que les indicateurs de performance des processus doivent être améliorés en permanence et impliquent :
- la réduction du temps de traitement des instances de processus (efficacité) ;
- l’élimination des tâches ou activités non indispensables (contrôle, support, coordination,…) et la réduction du coût de celles que l’on conserve (efficience) ;
- l’augmentation de la satisfaction du client en améliorant la qualité des processus (l’élimination des tâches ou activités jugées non indispensables ou n’ajoutant aucune valeur ne doit en aucun cas diminuer la qualité de la relation avec le client) ;
- pouvoir répondre rapidement à des demandes de travaux inhabituelles en quantité ou en qualité et la possibilité de modifier facilement la structure et les activités du processus (flexibilité).
Cependant, les dispositions d’amélioration peuvent avoir des effets contradictoires. Ainsi, l’augmentation de la flexibilité est souvent coûteuse. Une plus grande efficacité entraîne parfois une rigidité accrue. Une focalisation sur les coûts et l’efficience peut se faire au détriment de la relation client, de l’efficacité et de la flexibilité. L’orientation du choix du vecteur d’amélioration et des actions conduisant à l’évolution du processus nécessite le ciblage sur une catégorie d’objectif considérée comme la plus importante pour l’organisation.
Le métier est l'ensemble des activités qui mobilisent des compétences et savoir-faire. Ces activités sont les unités élémentaires pour la décomposition des processus (les processus métier), et pour l’adaptation continue au changement.
II.1. Description des connaissances
La définition du processus métier telle qu’énoncée plus haut précise que l’exécution d’un processus par les acteurs de l’organisation nécessite le savoir-faire de ces derniers matérialisés sous forme de connaissances tacites ou explicites. Il nécessite aussi l’utilisation des ressources qui se résument en un ensemble de moyens, d’informations et d’outils nécessaires au déroulement des activités du processus. Ces ressources, matérialisées sous forme de documents, données du système d’information, e-mails, messages vidéo, messages audio, etc…, renferment des connaissances et des informations utiles et nécessaires pour l’exécution des processus et qu’il faudra capturer et intégrer dans des mémoires d’entreprise en utilisant les méthodes issues de l’ingénierie des connaissances. Une fois intégrées, ces informations et connaissances sont souvent diffuser via les intranets des entreprises et permettent ainsi d’être des sources importantes pour guider et orienter les acteurs de l’organisation tout au long de l’exécution du processus et améliorent, au fil du temps, les indicateurs de performance de ces derniers (figure 2).
Figure 2. Processus d’acquisition de connaissances et principaux concepts associés
II.2 Réseaux de connaissances et représentation
La perception de ce qu’est ou devrait être une représentation de connaissances s’est nettement affinée au cours des dernières années, voir synthèse dans [Davis 93]. Parmi les formalismes généraux de représentation des connaissances proposés dans la littérature :
- le formalisme des réseaux sémantiques (Quilian ,1968),
- le formalisme des frames est attribué à Marvin Minksy (Minsky, 1975),
- les logiques de description, appelées aussi logiques terminologiques ou logiques de concepts, par exemple : KLONE (Brachman, 1977), logiques de description [Bläsius 89] ;
- les graphes conceptuels, introduits par J. F. Sowa (Sowa, 1984) et muni d’une définition formelle grâce à des travaux tels que ceux de M. Chein et M-L. Mugnier [Chein 92, Mugnier 96].
Plus récemment, d’autres langages, associés à une syntaxe XML, sont apparus avec l’émergence du web sémantique [Dieng 02] : RDF, RDFS, OWL, XTM…
Il existe des liens entre les différentes sources d’information. Ces liens sont le plus souvent d’ordre sémantique. Par exemple, entre un message électronique d’un client et un référentiel client, il existe un lien permettant de dire que le message a été envoyé par un client enregistré dans le système d’information de l’entreprise dans lequel il est possible de retrouver les coordonnées détaillées du client. Les liens entre les documents et les autres sources de données est un peu plus complexe. Selon le degré de précision souhaité, les liens entre les documents et les autres sources se fera par rapport à des unités de documents les plus fines possibles (il peut s’agir du paragraphe ou de la section dans le cas d’un document de type rapport par exemple). Les liens entre les sources multimédia et les autres sources de données sont des liens qui peuvent permettre de retrouver des composants multimédias à partir d’éléments ou fragments textuels se trouvant dans des sources d’information documentaire ou de données. Ces fragments constituent alors des éléments d’indexation et de recherche. Toute source d’information peut être représentée par un graphe. C’est ainsi que :
- les données du système d’information peuvent être représentées par des graphes de dépendances fonctionnelles et/ou d’inclusion,
- les documents ou messages peuvent être représentés par des graphes où les sommets représentent des unités documentaires et les nœuds terminaux des contenus. Les arcs désignent les liens sémantiques ou de structuration entre éléments documentaires,
- les sources multimédia seront représentées par des graphes dans lesquels les sommets sont des unités d’indexation et les arcs des liens entre ces unités.
L’intérêt d’une représentation en graphe est de pouvoir effectuer le même type de raisonnement sur les différentes sources de données (recherche de chemin, recherche d’éléments, vérification de propriétés, recherche de similarité, etc.) et de pouvoir exprimer les liens entre les sources de manière uniforme. Nous obtenons ainsi un réseau de graphe dans lequel les liens permettent le passage d’un graphe d’une source à un autre graphe d’une autre source. Formellement, soit G1={S1, T1} et G2={S2,T2}, 2 graphes pour 2 sources de données, alors on peut définir un réseau R={Sr, Tr} construit tel que P1(Sr) ? S1 et P2(Sr) ? S2, Pi est une partie de R. Tr est l’ensemble des liens Lr tel que une élément de Lr relie 2 sommets de G1 et G2.
Le réseau de connaissances ainsi construit est alors un support pour les processus métier en vue d’accéder aux informations nécessaires à son exécution. L’accès à un élément d’information appartenant à une source quelconque va entraîner la recherche d’autres informations appartenant à d’autres sources grâce à une navigation dans le réseau de connaissances. Parmi de nombreuses approches de modélisation des connaissances les ontologies sont apparues comme un outil incontestable de modélisation des connaissances du domaine. Rappelons qu'une ontologie est une description des concepts et des relations caractérisant un domaine. Plusieurs ontologies de domaine ont été développées dans différents secteurs d'activité. Ainsi, l'utilisation des ontologies pour la modélisation des connaissances du domaine s'est vue croître ces dernières années notamment dans les domaines suivants: médecine, biologie, environnement, tourisme et domaine juridique. D’un point de vue formel, une ontologie de ramène à une représentation et manipulation de graphes (ou de réseaux).
II.3. Représentation des processus métier
La description des processus métiers peut se faire sous forme de texte et/ou sous forme d’illustrations. Cependant, la communication, est un enjeu important dans les études sur les processus à tous les stades des travaux. Plusieurs acteurs ayant des cultures et des préoccupations différentes sont impliqués dans ces travaux. L’utilisation de formalismes partagés par une communauté d’acteurs facilite la communication, épargne l’effort d’explicitation des termes méthodologiques employés et guide le modélisateur dans la sélection d’éléments clés à faire figurer. Chaque méthode fournit une collection de modèles, de digrammes et une démarche plus ou moins adaptée aux besoins d’un projet particulier. L’application stricte des méthodes a laissé la place à une utilisation plus pragmatique des modèles et diagrammes en fonction des besoins rencontrés. Les acteurs chargés de décrire et d’améliorer un système, ont maintenant une « boite à outil » dans laquelle ils peuvent trouver le formalisme adapté à la réalisation de leur tâche.
Différentes techniques permettent de décrire les processus. Elles sont proposées à travers des ensembles méthodologiques plus larges. Certains ont fait l’objet d’une normalisation telle que IDEFO et UML, d’autres sont le résultat de projets publics et ont reçu un appui officiel telle que OSSAD et MERISE.
Les diagrammes d’activités de UML ou les modèles conceptuels de traitements de MERISE sont des techniques de représentation des processus souvent utilisés. Toutefois, les réseaux de Pétri (RdP) sur lequel ces techniques s’appuient fournissent une représentation plus formelle des processus. Le réseau de Pétri (RdP) est une spécification mathématique qui se base sur des outils graphiques permettant de modéliser et analyser les systèmes discrets, plus particulièrement les systèmes concurrents et parallèles [Petri62]. Le succès des RdP est dû à plusieurs facteurs. Grâce à son rôle d’outil graphique, il est possible de produire une compréhension facile du système modélisé. Il permet également de simuler les activités dynamiques et concurrentes. De plus, son rôle d’outil mathématique permet d’analyser le système modélisé grâce aux modèles de graphes et aux propriétés algébriques (borné, vivacité du réseau, absence de blocage, etc...). Un RdP est un graphe biparti comprenant deux sortes de nœuds : les places et les transitions. Les arcs de ce graphe relient les transitions aux places ou les places aux transitions. Les places contiennent des jetons qui vont de place en place en franchissant les transitions suivant des règles de franchissement [Reisig98].
L’avantage de tels réseaux est de pouvoir effectuer un certain nombre de vérifications qui pourraient mettre en avant des dysfonctionnements des processus tel que les inter-blocages par exemple. Par ailleurs, l’extension des RdP pour préciser les conditions de déclenchement des transitions est possible. En l’occurrence, pour un processus métier, le déclenchement d’une de ses transitions peut être soumis à un déclenchement manuel que réaliserait un acteur lorsqu’il aura pris connaissance des informations nécessaires à l’exécution de la transition. Des expressions logiques peuvent également être attachées aux transitions. Leur évaluation peut être élaborée à partir de l’agrégation d’information multi-sources.
II.4. Connexion processus – connaissances
L’exécution du processus nécessite des informations provenant de sources hétérogènes. Le déclenchement d’une activité est toujours conditionnel. Il nécessite l’arrivée d’évènements, représentée par la production de jetons dans les places, mais doit être validé par l’expert lorsqu’il prend connaissances des informations provenant des sources de données, de documents, de messages, etc. Cette validation est représentée par des liens (arcs du RdP) que l’on peut qualifié d’exogènes, par rapport aux arcs (natifs) du RdP que nous qualifierons d’endogènes. Dans la figure 3, on notera que le processus représenté par une activité (la transition du RdP) nécessite un jeton sur la place en entrée mais également la validation des informations provenant du réseau de connaissances constitué :
Figure 3. Connaissances nécessaires à l’exécution du processus représenté par un RdP. Le processus est décrit par un réseau de Pétri (à 2 places pour simplifier l’illustration). La transition correspond à l’exécution d’une activité. Les flèches en pointillés symbolisent le fait que l’activité a besoin d’information de type données, documentaires, mail, …
III. Proposition d’une architecture d’une mémoire d’entreprise
Cette section consacrée au cœur de notre proposition commence par présenter une étude de cas qui met en évidence la nécessité, pour les entreprises, de disposer d’un outil fédérateur capable d’interroger simultanément et « intelligemment » les sources de connaissances d’une entreprise à travers divers supports que sont les bases de données, les serveurs de messageries, les bases de documents, etc. La proposition d’architecture d’une mémoire d’entreprise orientée processus métier que nous faisons vise à prendre en charge les outils qui permettent d’offrir la « bonne information » aux acteurs des processus.
III.1. Etude de cas
Une société de négoce international en produits agricoles et alimentaires, qui assure deux métiers principaux : le négoce et le courtage Ces deux métiers, aux finalités très différentes, sont effectués par un même intervenant au sein de la société. En effet, dans une même journée, il peut être à la fois courtier et négociant. Cette situation peut aller jusqu'à "convertir" un contrat de courtage en contrat de négoce. La société est donc extrêmement souple au niveau de son activité. La finalité majeure est :
- Acheter des produits a des fournisseurs dans l'intention de les revendre,
- Gérer des stocks virtuels; ceux-ci sont présents sous la forme de lots réserves chez les fournisseurs, ou en cours de transfert vers les clients
- Financer les opérations d'achat et de vente,
- Assurer la marchandise et les transports,
Nous considérons ici le processus d’affrètement qui consiste à établir les contrats de transport (fixant le prix, la quantité, le point d'enlèvement, le point de destination, la date d'enlèvement, etc,).
Les messages
- appel client : Il s'agit d'une demande de produit en termes de qualité, quantité et date faite par le client, ou bien une proposition faite par le vendeur à un client dans les mêmes termes.
- proposition : C'est une proposition ferme faite à un client suite à une demande; le client approuve en effectuant une confirmation de contrat.
Les documents
- contrat (vente ou achat) : C'est le document qui engage les deux parties d'une manière contractuelle. Il ne concerne qu'un seul produit. On y consigne des informations telles que le produit, la quantité, la qualité, la marque, le prix, le mode de conditionnement, le mode de paiement, la date d'exécution, le lieu de livraison, les clauses particulières.
- avis de réception : Cet avis confirme le transfert de propriété; le produit livré correspond bien aux attentes du client et aux termes du contrat. Le client est désormais propriétaire de la marchandise livrée.
- contrat de transport : document contractuel qui engage la société et un transporteur. On y consigne des informations telles que le produit, la quantité, le mode de conditionnement, le prix, les dates d'enlèvement et de livraison, les points d'enlèvement et de livraison, les points de dédouanement. Plusieurs transporteurs pouvant intervenir pour une même livraison (terre, mer, air).
- ordre de transport : C'est la demande de confirmation de l'exécution d'un contrat de transport. Cet ordre est généralement accompagné de la demande d'identification transport afin de retransmettre cet identificateur au fournisseur et aux transitaires en douane.
- avis d'expédition : C'est un message avisant le fournisseur de l'enlèvement d'une certaine quantité de produit établie lors d'un contrat d'achat. Ce message indique la date d'enlèvement, l'identificateur du transporteur et le moyen de transport.
- bon d'enlèvement : C'est un document remis au fournisseur par le transporteur lorsqu'il se présente au point d'enlèvement. (idem pour les enlèvements intermédiaires)
- facture proforma : C'est une facture donnée à titre indicatif afin d'identifier une transaction qui s'est effectuée entre ALIX et un client; celle-ci est surtout utile aux transitaires afin de répertorier le passage en douane.
- documents douaniers: Ce sont les documents de dédouanement établis par les transitaires, indiquant la nature du passage en douane en termes de produits, quantité, valeur monétaire. Ces documents sont visés par le service des douanes et ils attestent du passage conformément au règlement des douanes.
- certificats vétérinaires : Ce sont des certificats visés par des organismes agréés attestant de la conformité du produit par rapport aux normes européennes et internationales en terme qualitatif et sanitaire.
- bon de livraison : C'est la confirmation vis-à-vis d'un client de la livraison d'une certaine quantité de produit à une certaine date. Cette livraison est en rapport avec un contrat de vente. Il est également mentionné l'identificateur du transport. Ce bon est en général apporté au client par le transporteur.
Les données Cette société s’appuie sur le modèle de données suivant (figure 4), illustré par son modèle logique, pour gérer les données de gestion et les données métiers.
Figure 4. Modèle logique de données pour une entreprise de négoce internationale
Le processus de gestion de l’affrètement est illustré au travers un enchainement d’activités. On notera que ces activités nécessitent données et documents pour être exécutées le plus efficacement possible, ce qui implique une structuration robuste des informations nécessaires, une gestion rigoureuse et une répartition des responsabilités de mise à jour. A titre d’exemple, pour négocier des contrats de transports, outre l’intérêt de connaitre les données sur les transporteurs, les livraisons, les clients et fournisseurs, il est utile de connaître les règlements, les conventions et avoir accès aux informations juridiques nécessaires à une bonne négociation. Aussi, lors de l’exécution de l’activité « choix/appel transporteur/négociation » (figure 5) qui permet, entre autre, de choisir le transporteur pour la négociation, l’acteur de l’entreprise doit-il disposer des moyens lui permettant de consulter toutes les ressources d’information de son entreprise pour rechercher touts documents, informations ou autres types de données provenant de ces transporteurs les rendants indisponibles pour le transport. Ce contrôle peut augmenter la durée du cycle de vie du processus mais garantira la qualité du résultat de ce dernier et améliorera son efficacité. Nous nous appuyons sur l’hypothèse qu’il est préférable de ralentir un processus pour garantir la qualité des résultats produits. L’accès se fait, généralement, par le biais d’une multitude d’outils. L’absence d’un moteur de recherche permettant l’interrogation simultanée des sources d’informations (serveur GED, serveur mail, serveur multimédias, serveur de données, etc.) amène l’acteur de l’entreprise à interroger plusieurs outils (tous les serveurs de l’entreprise) séparément avant de réunir les informations répondant à la même requête, à savoir « y a-t-il eu des informations, non encore prises en compte par le système, qui peuvent modifier la liste-transport après son établissement par l’activité précédente? ». Du point de vue des acteurs de l’entreprise, pour des raisons de gain de temps et d’amélioration de l’efficacité des processus, il serait souhaitable de n’avoir qu’une seule interface permettant d’interroger plusieurs sources d’information et de disposer, ainsi, d’un outil fédérateur capable d’interroger simultanément toutes les sources de connaissances. Cet outil fédérateur met à la disposition de l’acteur de l’entreprise des documents et des données qui lui permettent de distinguer les documents et données utiles en fonction du contexte. Ce dernier pouvant être défini par rapport au client, fournisseur et transporteur. En effet, l’acteur peut mener des négociations différentes selon qu’il s’agit d’un transporteur aérien ou routier, d’un fournisseur de denrées biologiques ou de produits carnés, ou encore d’un client local et un client international. Les différences d’appréciations relèvent des contrats qui sont le plus souvent individualisés. La sous-section III-3 répond à ces questionnements en proposant une architecture de mémoire d’entreprise orientée processus métier et s’appuyant sur une approche hybride basée sur l’ingénierie des connaissances, l’ingénierie documentaire et la médiation sémantique et exploitant le référentiel processus comme ontologie de domaine.
Figure 5. Processus illustrant de l’affrètement pour une société de négoce. Les activités sont symbolisées par des ovales
III-2. Architecture générale pour une mémoire d’entreprise orientée-métier
Causannel (Caussanel, 1999) distingue au travers des différents travaux qui ont été réalisés dans le domaine de la gestion des connaissances, l’approche orientée information de l’approche orientée connaissances. Selon l’auteur, l’approche orientée information pour la gestion des connaissances se concentre sur l’amélioration de la gestion et de l’échange d’informations en essayant d’éviter les frontières organisationnelles ou professionnelles. Elle se fonde sur l’élaboration d’outils informatiques facilitant le travail coopératif et la communication entre les différents collaborateurs de l’entreprise (ex : outils de groupware). Elle permet également l’échange de connaissances explicites au moyen d’outils de type workflow ou gestion documentaire. L’approche orientée connaissances, très liée aux recherches effectuées en Ingénierie des Connaissances, se base sur une étape de capitalisation qui consiste à recenser puis à modéliser les connaissances (Abecker, 1998). Les connaissances sont alors modélisées (i.e. représentées sous forme d’informations) tout en intégrant une sémantique et un contexte pour former une Base de Connaissances. L’élaboration d’un tel système correspond à une phase de capitalisation d’un sous-ensemble ou de l’ensemble des connaissances de l’organisation.
C’est dans la première approche que s’inscrit notre contribution. Pour tenter une définition de la mémoire d’entreprise sur le plan technique, nous dirons qu’une mémoire d’entreprise est l’ensemble des outils permettant de rechercher et d’exploiter l’ensemble des ressources de l’organisation ou de l’entreprise en vue de reproduire des savoir-faire, de rendre efficace des processus, et de capitaliser les connaissances. Pour concevoir une telle mémoire d’entreprise, il est important d’en définir une architecture. Celle que nous proposons ici vise à fournir l’infrastructure modulaire nécessaire à l’élaboration d’un système de gestion des connaissances qui s’interface avec le SIE tout en s’appuyant sur les techniques du Web sémantique et les standards des technologies de l’information et de la communication. Au sein de cette architecture (figure 6), trois niveaux sont distingués :
- le niveau exploration de la mémoire d’entreprise qui fournit des services directement destinés aux différentes catégories d’utilisateurs de la mémoire en s’appuyant sur l’infrastructure de gestion ;
- le niveau gestion de la mémoire d’entreprise qui est doté d’un ensemble de modules et de composants qui fournissent les fonctionnalités élémentaires de la gestion de la mémoire d’entreprise ;
- le niveau sources d’information de l’entreprise au sein duquel sont localisées les ressources de connaissances.
Cette architecture permet de mettre en œuvre un processus d’intégration (voir section IV) qui vise à aider un acteur d’une entreprise dans la recherche d’informations utiles à l’exécution des processus métier. Cette architecture nous permet donc d’envisager un mémoire d’entreprise orientée processus métier car elle peut être sollicitée à chaque exécution d’une activité qui nécessite des données complexes provenant de sources hétérogènes.
Figure 6. Architecture technique générale pour une mémoire d’entreprise orientée-métier A noter qu’un wrapper est un traducteur qui, dédié à une base de données en particulier, traduit les informations venant du médiateur en un langage compréhensible par les bases de données à laquelle il est attaché, et inversement. Un médiateur quant à lui est chargé d'interroger une ou plusieurs bases de données et est donc relié à un ou plusieurs wrappers
III.2.1. La couche exploration
L’exploration de la mémoire d’entreprise comprend un nombre de services permettant à des acteurs différents de l’entreprise d’accéder à des informations pour optimiser les processus qu’ils exécutent. Les services offerts par la couche exploration doivent donc être tournés vers les acteurs. Ils permettent la gestion des profiles, des contextes et des interfaces. On peut y trouver des fonctions d’adaptation des interfaces aux contenus selon qu’il s’agisse de pocket PC, de téléphone portable, etc. La gestion des profils permet de prendre en compte l’organisation des responsabilités des acteurs au sein de l’entreprise. En effet la mémoire d’entreprise doit s’adapter à l’acteur. Par exemple, un décideur a besoin de connaissances synthétiques, un acteur lambda a besoin de connaissances opérationnelles. La gestion du profil s’appuie sur la description, le plus souvent hiérarchique des acteurs. La mémoire d’entreprise doit également prendre en compte le contexte qui peut se déterminer par rapport à un ensemble de tâches effectuées par l’acteur. Le contexte se définit alors par la trace d’exploitation de la mémoire d’entreprise dans un intervalle de temps. La combinaison du profil des acteurs et des contextes d’utilisation permet d’affiner les attentes des acteurs et de rendre pertinent les processus de recherche de l’information. Faciliter la mise en contexte de l’information est également un objectif de la couche d’exploration car une information est d’autant plus vite assimilée qu’elle est présentée dans un contexte proche de celui que l’acteur connaît bien.
III.2.2. La couche gestion de la mémoire
La couche de gestion de connaissances réutilisables est chargée de mettre à la disposition des utilisateurs, en particulier les experts du domaine, des fonctionnalités nécessaires à l’intégration de nouvelles connaissances dans le système. Grâce à ces fonctionnalités l’expert doit pouvoir saisir les connaissances implicites selon le formalisme du référentiel des processus préalablement prédéfini et transformer ainsi les savoir-faire en une matière utilisable. Cela passe souvent par la mise en œuvre d’ontologies de processus métier. Une solution pratique est ensuite de générer les éléments de connaissances introduits par l’expert, en documents XML selon des structures prédéfinies par les DTDs ou de schéma XML par exemple. Les principales fonctionnalités des modules de modélisation, de gestion, et de simulation des processus concernent :
- l’intégration et la validation des connaissances sous forme de ressources documentaires générées en format XML ;
- l’association de métadonnées aux ressources documentaires;
- l’enregistrement et la pérennité des connaissances nouvellement intégrées dans le serveur ;
- la recherche des ressources documentaires selon des métadonnées.
L'indexation étant l'étape préparatoire pour la recherche dans la mémoire d’entreprise, le module d’indexation se connecte systématiquement à la base de connaissance via le module de traitement de requêtes. Le module de traitement des requêtes (médiateur) est responsable de fournir les résultats pertinents aux requêtes des utilisateurs de la mémoire d’entreprise. Il est chargé d’analyser et de traiter les requêtes exprimées par l’utilisateur afin de construire des requêtes précises. Ces traitements reposent sur la base de connaissances, où le module permet l’interrogation du schéma de l’ontologie à la fois pour l’explorer et pour s’assurer de sa cohérence. L’interrogation de l’ontologie se caractérise donc par deux aspects importants :
- la possibilité d’interroger ou explorer le schéma aussi bien que le contenu de l’ontologie, et ;
- le raisonnement sur les concepts et les instances de l’ontologie.
III.2.3. La couche source d’information
Le principe de l'architecture du système à mettre en place consiste à autoriser un accès centralisé et structuré à des sources d’information multiples et hétérogènes. Une des approches les plus usuelles est d’utiliser la notion de « médiateur ». Dans cette approche, les données restent stockées et réparties au niveau des sources d’information, ce qui est fort intéressant dans le cadre de la mise en place de mémoires d’entreprise autour d’un existant. Le médiateur joue alors le rôle d’interface entre l’utilisateur et les sources d’information en lui donnant l’impression qu’il interroge un système centralisé et homogène. Les programmes à écrire doivent pouvoir permettre :
- L’extraction des données et informations des bases sources (selon les requêtes prédéfinies) ;
- La comparaison de ces informations avec les requêtes des acteurs (matching) ;
- La conversion de ces information sous forme exploitable (documents xml ou html) ;
Lorsque l'on doit interroger différentes bases de données, plusieurs problèmes sont à prendre en compte dont les suivants :
- la disparité des types de données
- la différence entre les langages d’interrogation des divers systèmes
- l’hétérogénéité des schémas de données.
Lorsqu'un utilisateur émet une requête vers une interface centrale, cette interface doit déterminer vers quelle(s) source(s) envoyer la requête, et doit aussi être capable de modifier la requête si nécessaire avant de l'envoyer à une source. Cette requête doit arriver au système gérant la source de données dans un langage compréhensible par ce système. Pour réaliser l’interprétation aussi bien des requêtes que des résultats, il est nécessaire de disposer d’un système capable de réaliser ces deux fonctions. On parle alors de « médiateur ». Un médiateur peut donc "dialoguer" avec plusieurs wrappers (qui, de plus, peuvent aussi être interrogé par différents médiateurs). Un wrapper sera en revanche dédié à une seule source de données.
Le rôle du médiateur est donc "d'aiguiller" la requête vers la bonne base de données. Ensuite, un wrapper va être chargé de traduire la requête dans le langage compréhensible par le système gérant la base de données en question. Le wrapper récupère ensuite la réponse du système et la renvoie au médiateur après l'avoir traduite dans le langage compréhensible par le médiateur. Les wrappers ont également pour rôle de transformer les sources de données de « la couche source de données » en documents XML pour faciliter la fusion des résultats. On a ainsi les transformations suivantes :
- système GED -> document XML GED
- serveur mail -> document XML mail
- référentiel données -> document XML référentiel données
- données de gestion -> document XML données de gestion
III.3. Complémentarité entre l’Ingénierie documentaire et l’Ingénierie des connaissances
La conception et la réalisation d’une telle architecture se doit de combiner différentes approches et techniques. Les dimensions « document » et « connaissance » sont centrales dans une mémoire d’entreprise et nécessite donc aussi bien l’usage de techniques documentaires que de technique de gestion de connaissances. En effet :
- L’ingénierie documentaire désigne « le projet de recourir à des éléments de structuration du contenu des documents et à des métadonnées de description pour faciliter la gestion des documents à travers tout leur cycle de vie » (Parent et Boulet, 1998). S’agissant des ressources électroniques, ces métadonnées ont pour rôle d’offrir la possibilité d’accéder à des parties d’un document à travers sa structure et de pouvoir y naviguer intelligemment (Le Maitre et al, 2004).
- L’ingénierie des connaissances correspond, quand à elle, à l’étude des concepts, méthodes et techniques permettant de modéliser et/ou d’acquérir les connaissances. De fait, les méthodes et techniques utilisées dans ce domaine sont utiles notamment pour « construire une mémoire d’entreprise basée sur le recueil et la modélisation explicite des connaissances de certains experts ou spécialistes de l’entreprise. Elle peut aussi servir pour une représentation formelle des connaissances sous-jacentes à un document ». (Dieng et al, 2000). « L’ingénierie des connaissances modélise les connaissances d’un domaine pour les opérationnaliser dans un système destiné à assister une tâche ou le travail intellectuel dans ce domaine (résolution de problème, aide à la décision, consultation documentaire, etc.) » (Bachimont, 2004).
Les techniques de l’ingénierie documentaire qui s’appuient sur des langages de description SGML, XML, RDF, RDFS, etc. offrent un bon niveau dans l’indexation, le stockage et la recherche d’informations. Par exemple, RDF permet d’annoter des documents avec un formalisme permettant de faire référence à des connaissances terminologiques sous formes d’ontologies. De cette manière, une requête de recherche d’information peut faire l’objet de raisonnements élémentaires reposant sur les connaissances modélisées. XML étant amené à jouer le rôle de standard international pour les documents structurés, cela permet d’assurer la pérennité des documents et des informations à long terme, dans le cadre de la mémoire d’entreprise. Cela ménage la possibilité de migrer vers de nouveaux outils de gestion documentaire en conservant le patrimoine d’information.
C’est ainsi que pour atteindre l’objectif visé par cet article et décrit dans l’introduction, le recours à l’ingénierie documentaire nous parait évident et l’avantage de combiner différentes méthodes et techniques issues de l’ingénierie des connaissances et l’ingénierie documentaire est de bénéficier des solutions complémentaires que fournissent ces deux domaines pour la gestion des connaissances ainsi que l’usage des méthodes associées de représentation des connaissances qui incluent le raisonnement et l’inférence.
IV. Processus d’intégration
Dans notre architecture, les couches interagissent entre elles. Le principe repose sur la notion de services ; aussi la couche n s’appuie t-elle les services de la couche n+1. C’est ainsi que la couche exploration sollicite la couche de gestion pour pouvoir répondre aux acteurs sur des besoins de d’interrogation, de recherche, de modélisation, d’indexation, etc. La couche de gestion sollicite la couche de données pour des besoins de restitution de connaissances issues de différents serveurs (données, GED, serveur de mails, …), mais aussi des besoins de stockage et d’accès au données. Sur la figure 6, on note, en guise d’illustration, que la couche exploration peut solliciter la couche de gestion pour assurer toutes les tâches liées à la manipulation des processus (création, stockage dans le référentiel, etc.). La couche exploration peut solliciter la couche de gestion pour interroger la mémoire d’entreprise en termes de connaissances (sur la figure 6, le message correspondant à la requête d’un acteur illustre ce fait). On notera qu’une bonne partie des échanges entre les couches doit se faire à travers l’utilisation de XML pour assurer la pérennité nécessaire à ce type de mémoire. Le principe de fonctionnement et d’articulation des couches, illustré par la figure 7, se fait selon un certain nombre d’étapes qui organise en séquence des processus décrits en section IV.2.
IV.1. Liste des processus d’intégration des sources hétérogènes
Processus de formulation : ce processus est déclenché par un acteur externe. Dans ce processus :
- l’acteur se positionne comme utilisateur de la « couche exploration » ;
- l’acteur formule une requête de type : quelles sont les informations nécessaires pour exécuter ma requête et améliorer la performance de mon processus ?;
Processus de transformation : ce processus se charge de construire des requêtes suite aux exigences de l’acteur. Il se base notamment sur la transformation de demandes des acteurs sous une forme compréhensible par la « couche de gestion ». Il soumet la requête au médiateur.
Processus de médiation : ce processus se déroule selon les étapes suivantes :
- réception des requêtes par « la couche de gestion » ;
- le médiateur de « la couche de gestion » contient les schémas de tous les documents XML de « la couche source de données ». Il sollicite les « wrapper » en prenant le soin de transformer la requête qu’il reçoit en autant de services d’exécution des requêtes que de sources de données (service d’exécution des requêtes « mail », service d’exécution des requêtes « GED », service d’exécution des requêtes « référentiels données », service d’exécution des requêtes « données de gestion ») ;
Processus d’extraction : à travers les wrappers, les services d’exécution des requêtes (mails, GED, référentiels données, données de gestion) interrogent respectivement les documents XML correspondants dans la « couche source de données » ; les résultats des interrogations sont stockés respectivement dans :
- « document résultat XML mails » correspondant au résultat de l’interrogation des documents XML mail de « la couche source de données » ;
- « document résultat XML GED» correspondant au résultat de l’interrogation des documents XML GED de la « couche source de données » ;
- « document résultat XML données » correspondant au résultat de l’interrogation des documents XML données de « la couche source de données » ;
- « document résultat XML données de gestion » correspondant au résultat de l’interrogation des documents XML données de gestion de « la couche source de données ».
Processus de restitution : c’est le processus qui est exécuté en fin de séquence en ordonnant les étapes suivantes :
- fusion de ces résultats en un seul « document XML résultat » ;
- application de feuille de style XSL au « document XML résultat » et retour vers l’utilisateur;
- visualisation du « document XML résultat » par l’utilisateur.
Figure 7. Processus d’intégration qui met en œuvre les grandes fonctions de la mémoire d’entreprise
Il est à noter qu’une tâche récurrente est exécutée par le système indépendamment des accès explicites des utilisateurs. Cette étape permet d’indexer toute nouvelle source d’information et alimenter la base de connaissances. L’indexation est une tâche cruciale qui nécessite des experts du domaine pour le choix des termes du corpus à indexer. Dans notre solution, le système d’indexation permet en outre d’établir des liens entre sources hétérogènes dans le cadre de processus métier clairement définis en termes d’activités, d’acteurs et de ressources.
IV.2. Illustration : aide à la négociation de contrats
Lors du processus d’affrètement d’une entreprise de négoce international présenté dans la section III.1, un acteur est amené, lors de la négociation de contrats avec des transporteurs, à solliciter des informations pouvant provenir des bases de données et des référentiels, des messageries et du système documentaire. La première source va permettre à l’acteur d’accéder à des informations factuelles des clients, des fournisseurs et des transporteurs telles que ses coordonnées mais aussi leurs chiffres d’affaire. La deuxième source permet à l’acteur d’accéder à une information qui lui fournit des connaissances sur les échanges qu’il a eus avec ces partenaires avant la négociation. La troisième source d’information lui permettra d’avoir une sorte de best-practise sur la gestion de contrats puisqu’il peut avoir accès soit aux derniers contrats qu’il a négociés avec ces partenaires mais aussi des guides de négociation de contrats similaires. Plus précisément, lors de son activité de « choix de transporteur », un acteur du département « Affrètement » déroule un scénario qui s’appuie sur un algorithme visant à choisir le « meilleur » transporteur, en termes de coût, pour assurer des livraisons d’un point à un autre tout en respectant les délais. Pour cela, il contacte chacun des transporteurs d’une liste préalable et négocie avec chacun d’eux. Il s’appuie pour cela sur les informations suivantes :
- Les clients à livrer : distributeur et grandes surfaces par exemple. Les clients sont décrits par leurs adresses, leur chiffre d’affaire, le domaine d’activité, leur organisation (sièges, magasins).
- Les fournisseurs des produits classés selon la nature des produits et décrits par des attributs similaires à ceux des clients.
- Le transporteur est décrit pas ses coordonnées mais également ses moyens de transport tel que aérien, maritime, routier, ferroviaire.
- Les messages qui ont été envoyés
- par le service commercial des clients, qui précisaient les points de livraisons, les produits et les quantités ainsi que les livraisons devant être réalisées au niveau des magasins.
- par le service commercial des fournisseurs pour indiquer les lieux d’enlèvement qui sont des entrepôts,
- Le guide du contrat de transport sous forme de document word.
- Les derniers contrats de transport déjà négociés.
Une fois le transporteur sélectionné comme étant celui qui répond le mieux aux critères et contraintes de coûts, de délais et de fiabilité, un contrat de transport est élaboré et signé. Les données sur les clients, fournisseurs et livraisons y sont consignés. Le guide de rédaction des contrats permet à l’acteur de négocier les différentes clauses du contrat.
Une mémoire d’entreprise doit fournir à cet acteur la possibilité d’accéder à tout instant à l’ensemble des informations nécessaires pour réaliser son activité. Notre architecture est conçue de sorte à ce que ce type d’information soit rendu disponible à travers des interfaces appropriées pour faciliter à l’acteur des navigations dans des structures d’information complexes. Les liens entre les informations sont exploités au niveau des interfaces pour permettre à l’acteur une navigation sémantique et passer d’un espace à un autre, par exemple passer d’un espace numérique (qui présentent des données factuelles ou statistiques) à un espace documentaire contenant des hyperliens de navigation dans des sommaires ou des contenus.
Dans un tel scénario, on peut imaginer que l’acteur formule la requête : « retrouvez toute l’information utile pour négocier un contrat de transport avec tels clients et tels fournisseurs». La mémoire d’entreprise doit permettre de restituer, sous forme lisible, les informations nécessaires. Pour cela, elle s’appuie sur le type d’activité que l’acteur est entrain d’exécuter, en explorant le référentiel des processus métier de la mémoire d’entreprise pour établir les liens entre informations.
La mise en œuvre du mécanisme de fonctionnement de l’architecture que nous proposons pour cet exemple est illustrée par le tableau Tab 1.
Processus | Objectif / buts | Information / Connaissance |
---|---|---|
Formulation | L’acteur formule une requête pour l’obtention d’une information qui l’aiderait à mieux gérer le contrat avec le client. Il demande donc à la mémoire d’entreprise de mettre à sa disposition les informations en relation avec le client. | Retrouver mails, contrats et données sur le client. |
Transformation | La couche exploration fournit à la couche de données la requête de l’acteur et s’attend à un document XML qui correspond aux résultats trouvés. La couche de gestion traduit cette requête dans le langage du médiateur. | Rechercher données clients (coordonnées, chiffres d’affaires) + messages dont l’expéditeur et/ou le destinataire correspondent au client + le guide contrat de vente + les contrats du client ; soit Q cette requête. |
Médiation | La couche de gestion, à travers le médiateur, éclate la requête en autant de requêtes que de type de sources de données. | La requête Q est décomposée en Q1 (vers les référentiels et données), Q2 (vers la messagerie), Q3 (vers la GED). |
Extraction | La couche de données de l’architecture est sollicitée par le biais des wrappers qui permettent d’extraire les informations demandées. | Chacune des requêtes Q1, Q2 et Q3 est traité par le wrapper approprié. W1 pour lancer des requêtes de types SQL à des SGBD relationnels, W2 à travers des protocoles de messageries SMTP permet de collecter les messages utiles et enfin W3 charger de récupérer des documents correspondants aux contrats ou guide de contrats. |
Restitution | La couche de gestion, à travers le médiateur, reçoit les réponses de la couche de données. Celles-ci sont transformées, fusionnées et transmises à la couche exploration. | La couche exploration applique une feuille de style pour présenter les informations fournies sous forme XML par la couche de données. Elle permet de simplifier la complexité due à l’hétérogénéité des informations. |
V. Conclusion et discussions
L’enjeu de toute entreprise est d’atteindre ses objectifs planifiés dans sa stratégie globale. Nous avons montré que pour atteindre les objectifs de l’entreprise, les acteurs doivent prendre les bonnes décisions lors de l’exécution des processus métiers et l’amélioration, en continue, des performances de ces derniers, nécessite l’exploitation des mémoires d’entreprise dont il faudra définir l’architecture. Concernant l’architecture d’une mémoire d’entreprise, l’ingénierie documentaire peut fournir un levier pour la concrétisation de la mise en œuvre de la mémoire d’entreprise. Ainsi, l’indexation documentaire peut-elle se révéler particulièrement intéressante dans le contexte d’une mémoire d’entreprise. L’ingénierie documentaire peut également être exploitée, pour la formalisation des savoir-faire d’experts. Ceci consiste à transcrire les connaissances sous une forme exploitable et échangeable entre les individus mais aussi, entre des applications hétérogènes. L’utilisation d’XML comme support de formalisation et d’explicitation des savoir-faire offre l’avantage de structurer les connaissances selon des balises. Ces dernières sont fournies par les métadonnées et les concepts préalablement créés à partir de l’ontologie.
L’enjeu premier en gestion des connaissances réside non pas seulement dans l’implantation d’outils de gestion des connaissances, mais aussi dans l’implantation d’une habitude d’entrée des connaissances dans les outils par les membres de l’organisation et d’établir une arborescence de fonctions et de tâches à faire une fois que la connaissance a été acquise. Cependant, l’objectif d’une capitalisation des connaissances est bien le partage des connaissances dans le but de leur réutilisation par les membres adéquats de l’entreprise. Les technologies de l’information et de la communication peuvent constituer un support de diffusion intéressant pour favoriser le partage. Cependant, la diffusion doit être guidée si l’on veut fournir la bonne information au bon moment et éviter la surinformation. De plus, la diffusion d’une information ne suffit pas à garantir la réutilisation de la connaissance qu’elle est susceptible de transmettre. En effet, pour qu’une connaissance soit réutilisée, il est nécessaire qu’elle soit assimilée par l’acteur c'est-à-dire l’intégrer à sa base d’expérience et de connaissances propres et mobilisée à tout moment dans l’action (Tounkara et al, 2001). C’est dans ce sens qu’elle contribue à l’acquisition des compétences par les acteurs dans l’organisation.
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La présence d'attracteurs dans les systèmes informationnels
Ressi — 30 novembre 2007
Résumé
Cet article est basé sur notre pratique de l'information. Elle nous a mené à voir l'entreprise et les systèmes d'information comme des ensembles complexes et vivants dans lesquels les « grappes informationnelles » jouent un rôle important. Pour nous, l'information se caractérise par un phénomène de passages réciproques entre les domaines implicites et explicites de la matière informationnelle et de transformations continues et rétroactives de données en informations et en connaissances. Les « triangles opérateurs »,constitués d'hommes, de machines(techniques) et de structures, sont les agents des transformations et des passages. L'entreprise peut dès lors être vue comme formant un SI. C'est un système complexe adaptatif qui se situe à la frontière de l'ordre et du chaos et dont l'approche doit être globale. L'attracteur informationnel-notion empruntée à la théorie du chaos- explique et détermine le comportement du SI. Il est la résultante des 2 attractions du SI, l'implicite et l'explicite. Cinq variables nous permettent de décrire les domaines du SI, les passages et leur force d'attraction. Nous distinguons trois types d'attracteurs: le partage, la tension et la rupture. L'attracteur du SI permet enfin de mieux comprendre la formation de connaissance et de valoriser les ressources informationnelles.
Abstract
This paper is based on our experience in information management. It has leaded us to see organizations and information systems (IS) as living and complex entities in which « informational grapes » play a significant act. For us information is characterized by two ways passages between the explicit and implicit parts of informational material and by a suite of interactive and continuous transformations of data into information and knowledge. Within the system, the « triangle operators », which are a combination of factors of human, machines (technology) and organizational nature, are responsible of both transformations and passages. An organization can be seen as an IS. It is a complex adaptative system which is at the border between order and chaos. « The informational attractor » explains and determines the behaviour of an information system. We borrow this notion from the theory of chaos. The attractor is the combination of the two attractions of the IS, the implicit and the explicit. Five variables allow us to describe the domain, the passages and the power of their attraction. We identify three types of attractors: sharing, tension and rupture. Finally, the attractor of the IS give us a better understanding of knowledge creation and a tool to improve the efficiency of managing information resources.
« C'était en été dans une petite et ancienne ville de France, traversée par une rivière large et puissante. Je suis resté longtemps sur le seul pont de la cité à la contempler, fasciné par la beauté et la complexité du mouvement de l'eau. (...) (1) ».
L'image de la rivière, avec ses flux et reflux, sa palette de couleurs chatoyant, ses jeux de lumière et ses scintillements constitue sans doute une étrange entrée en matière pour introduire la présence d'attracteurs dans les systèmes informationnels. Pourtant un système d'information (SI) forme aussi un spectacle vivant, naturellement et profondément différent de la somme des éléments qui le constituent. Un SI naît, évolue, disparaît tout comme d'ailleurs les organisations ou entreprises auxquelles il est intimement lié. Ils sont différents de la somme de leurs composants. Un SI mérite d'être vu dans sa globalité, comme un paysage. Nous allons en parcourir quelques aspects remarquables.
Nous expliquerons d'abord les raisons qui ont présidé à cette réflexion et nous soulignerons l'importance de ce que nous avons appelé les « grappes informationnelles ». A travers la dynamique des processus de transformation de la matière informationnelle, nous verrons que l'entreprise peut être considérée en elle même comme un système d'information et qu'il s'agit d'un système complexe dans lequel une tension existe entre information formelle et informelle. Nous déboucherons alors sur l'attracteur informationnel, notion empruntée à la théorie du chaos, en l'illustrant par des exemples et en montrant son rôle dans la création de connaissances pour enfin conclure.
L'information est un domaine qui nous a toujours passionné. La banque fut notre environnement professionnel durant de nombreuses années. L'information y revêt une importance majeure vu les risques liés à l'exercice du métier. Notre passion nous a conduit à exercer des fonctions qui se situaient fréquemment dans le « no man's land » qui sépare les utilisateurs des producteurs d'information, essentiellement les départements de l'IT (Information Technology). Il s'agissait de faire comprendre aux uns et aux autres leurs besoins réciproques et leurs points de vue différents sur l'information.
Notre pratique de l'information, dans la banque puis comme conseil, les observations que nous avons effectuées, les projets que nous avons menés, les nombreuses participations à des séminaires, des séances de formation et des groupes de travail, les échanges multiples et variés avec de nombreux consultants et fournisseurs d'IT (le secteur bancaire en consomme beaucoup!), nos diverses lectures constituent autant de sources auxquelles s'alimente notre réflexion. Dans le même temps, nous avons toujours cherché à comprendre les raisons de 3 phénomènes auxquels nous avons été confronté et dont la permanence nous a frappé.
En règle générale, nous avons pu constater, dans bien des domaines, que la plupart des décisions sont basées pratiquement sur 1/5 de l'information existante et que, bien souvent, il fallait retrouver et reconstituer ces 20% d'informations qui, quoique bien présentes, n'étaient pas disponibles et que, de plus, elles n'étaient pas toujours pertinentes. Le second phénomène a trait aux échecs répétés des grands projets centralisateurs de toutes les informations disponibles sur un sujet donné tels les portraits clients et produits (type data base marketing), crédits, les recueils de compétence, ... Le troisième enfin concerne l'efflorescence des projets informatiques « pirates ». Nous entendons par là les noyaux informatiques constitués par divers services au sein de l'entreprise en dehors du contrôle du département responsable de l'IT, nés de la nécessité de maîtriser et traiter eux-mêmes l'information qu'ils jugent nécessaires à leur activité. Ces phénomènes n'étaient pas propres à une organisation mais on les retrouvaient peu ou prou dans diverses institutions. Les fournisseurs de matériel, de logiciels, les consultants en parlaient dans leurs exposés sans pour autant apporter de solutions convaincantes. Leur persistance était d'autant plus significative que les ressources technologiques des départements IT étaient abondantes.
C'est sur ce substrat que nous avons été amené à développer notre approche concernant la présence d'un « attracteur étrange » dans les systèmes d'information.
Notre pratique de l'information a nourri l'intuition que l'approche habituelle ne tenait pas compte de la nature réelle des systèmes d'information et qu'il devait exister une autre manière de les aborder, plus globale, basée sur ce qu'ils sont dans leur diversité et leur complexité.
La gestion de l'information et des connaissances est le plus souvent envisagée par le biais de projets qui visent à provoquer un effet de levier dans l'utilisation efficiente des ressources dont l'entreprise dispose. L'habitude est mettre directement en avant les technologies d'information et de communication (TIC) qui permettront de gérer les contenus, de maîtriser les cycles de vie de l'information, de classer, d'archiver, de créer des recueils de compétences, des bases de données,de se doter d'outils de recherche, de distribuer et donner accès à tout cet appareil, sans oublier la sécurité, ... . Il faudra définir la nature et les types des documents, les décrire au moyen des méta données et des mots clés, sauver et conserver les connaissances qui risquent de disparaître. L'accent sera mis sur l'explicitation des informations et des connaissances détenues et acquises par chacun, sur la définition et la mise en place des processus et méthodes de transfert des connaissances et sur la mise en réseau de tous les acteurs.
Force est cependant de constater que l'engouement pour les projets de « management » des connaissances a eu tendance à s'éroder pour différentes raisons. Tout d'abord les investissements consentis n'ont pas toujours produit les résultats attendus. Ensuite les « fonctions » créées et les politiques mises en œuvre n'ont pas toujours permis d'améliorer le partage de connaissances au sein des entreprises, ce qui fait naître le découragement (2). Par ailleurs, il n'existe pas de « solutions toutes faites » et « universelles » en matière de systèmes d'information et de management des connaissances car on sous-estime souvent la nature complexe du phénomène information et les réalités des interactions entre les hommes, les technologies et les structures, et entre les multiples dimensions interdépendantes, de nature technologique, organisationnelle, cognitive et comportementale. Enfin les projets et systèmes mis en oeuvre ont l'ambition d'expliciter les 100% des informations et savoirs. Or, ce faisant, ils se limitent au traitement et à la transformation d'informations qui sont par nature exprimables et qui peuvent être codifiées. Le champ des connaissances implicites en est exclu.
De plus l'entreprise n'est pas ce modèle rationnel, ordonné, efficace, qu'on se plaît à décrire et mettre en avant dans les grandes écoles de management. Comme toute communauté humaine, l'entreprise est un lieu où prennent place des luttes de pouvoirs et des combats idéologiques, personnels et collectifs. Les résultats de ces batailles ne contribuent pas toujours, loin de là, aux prises de décisions les plus saines ou au fonctionnement le meilleur. Et même si les comportements de nombreux acteurs restent « rationnels », leur somme ne l'est pas nécessairement. Les « lois de Parkinson » ou « le principe de Peter » (3) paraissent souvent plus pertinents et pragmatiques pour expliquer et comprendre une organisation que nombre de théories du management scientifique. La critique de ces deux auteurs impertinents est d'ailleurs trop souvent évacuée sous prétexte que « bien évidemment, elle ne nous est pas applicable »!
Bien souvent la boutade qui veut « qu'au bord du précipice, ils firent un grand pas en avant » se révèle appropriée. Pourtant le précipice est connu, visible, décrit et d'une dangerosité certaine: comment comprendre, expliquer ce grand pas en avant? Jupiter aveugle ceux qu'il veut perdre! Il existe des oeillères qui forcent le regard, des filtres, au travers desquels une personne, un groupe, une société, une entreprise, ... appréhendent leur environnement. Nous les avons appelées les « grappes informationnelles ». Elles sont formées de trois ensembles: les concepts manipulés, les contextes d'utilisation et les informations qui les accompagnent. Les grappes mélangent des éléments intuitifs, sous-jacents, et des éléments explicites, clairement définis et précisés. Elles représentent finalement l'ensemble des théories, opinions, pré-jugés, clichés, les expériences personnelles et collectives, l'éducation, l'histoire, ... qu'une personne, un groupe, une entreprise, véhiculent avec eux et dont ils se servent, consciemment ou non, pour comprendre la réalité qui les entoure et agir. Elles varient au cours du temps avec les effets de mode, les remises en question, les expériences et le degré de connaissance que nous avons de nous-mêmes comme personne ou collectivité. Elles conditionnent notre vision de la société. Elles peuvent être ouvertes, basées sur l'incertitude, le questionnement, la remise en question, et alors l'évolution et l'innovation sont possibles, ou fermées, fondées sur des certitudes, des croyances et font dès lors obstacle aux changements nécessaires et conduisent droit au précipice.
L'entreprise constitue finalement une entité complexe, vivante qui ne se réduit pas à la somme de ses parties. Les grappes informationnelles y jouent un rôle majeur, tant dans les comportements individuels que collectifs, quant à la manière de voir l'information et son utilisation. Tantôt elles poussent à l'exploration, à l'élargissement du champs informationnel et tantôt à son rétrécissement en n'en retenant que les éléments qui confortent les préjugés. Une approche différente des systèmes d'information demande de prendre conscience de leur existence et de reconnaître leur influence.
La matière informationnelle est très particulière. Elle est expansive et occupe tout l'espace disponible. Elle ne disparaît pas à l'usage alors que le réservoir d'une voiture se vide en roulant. Elle se partage et ne s'échange pas, comme on peut le faire avec des pommes contre des poires. Grâce aux réseaux, on peut la distribuer très rapidement partout dans le monde. C'est aussi , et c'est très important, une matière en évolution permanente, résultat d'une suite d'échanges réciproques et multiples qui, à son tour, évoluera et en produira d'autres.
Ses composantes sont les données, l'information et la connaissance. Une donnée est tout symbole, signe ou mesure qui se trouve dans une forme telle qu'elle peut être capturée directement par une personne ou une machine. C'est la matière brute avec laquelle il est possible de fabriquer information et connaissance.
Il est difficile de s'accorder sur une définition de l'information. Nous la définissons « comme une ou plusieurs données qui, transformées, acquièrent du sens, signifient quelque chose pour une personne, un groupe ou une organisation et deviennent de ce fait utilisables par cette personne, ce groupe ou cette organisation. » (5). L'information est donc directement liée au sens qu'elle possède pour un acteur et aux possibilités d'action.
Comme l'information, la connaissance a trait aux significations, elle est contextuelle et relationnelle. Mais contrairement à l'information, la connaissance concerne les croyances et les engagements et a trait à l'action. La connaissance est l'ensemble des informations qui permet d'agir. Elle émerge avec et par l'action. Elle est en construction permanente et comme, telle elle ne se gère pas.
Ces définitions seraient toutefois incomplètes sans préciser les 2 domaines de la matière informationnelle, l'implicite (ou tacite) et l'explicite.
L'information implicite est hautement personnelle et difficile à formuler. Il n'est pas facile de la communiquer ou de la partager avec les autres. Elle est profondément enracinée dans les actions et les expériences individuelles aussi bien que dans les idéaux, valeurs ou émotions que nous embrassons. Elle réside dans une dimension cognitive globale de l'esprit et du corps humain. Elle forme en fait le substrat des grappes informationnelles.
L'information explicite est codifiée. Elle peut être transmise dans un langage formel et systématique. Elle est individuellement distincte ou digitale. Elle est saisie dans les enregistrements du passé tels que les bibliothèques, les archives et les bases de données. On y accède sur une base séquentielle. Elle peut être exprimée en mots et chiffres et partagée sous la forme de données, formules scientifiques, spécifications, manuels, etc. ... (5)
La notion de transformation est capitale dans la définition des composants de la matière informationnelle. Prenons un exemple. Nous avons deux feuilles de papier, l'une avec une liste de noms et prénoms et l'autre avec des adresses. Chacun peut y voir ce qu'il veut, s'intéresser aux noms, à leur origine, s'interroger sur la dispersion des adresses, ne rien faire du tout. Bref il s'agit de données. Effectuons une transformation en collant les deux feuilles de telle sorte qu'à chaque nom corresponde une adresse et appelons le résultat « liste des prospects ». Les données ont maintenant acquis du sens, par exemple, pour un directeur des ventes. Il peut les utiliser pour mesurer son taux de pénétration dans ce marché. Transformons à nouveau les informations en intégrant des données socio-économiques et comportementales: revenu, profil de consommation, niveau d'études, type de voiture, de maison ... En y ajoutant ses connaissances personnelles et son expérience du marché (qui constituent des informations implicites), le responsable du marketing peut lancer une campagne segmentée de promotion. En tirant les leçons de son action, il va enrichir ses connaissances ce qui lui donnera de nouvelles informations qu'il peut partager avec ses collègues.
Cet exemple nous apprend également que données, information et connaissances sont relatives à leur contexte d'usage. La personne qui encode les données de base valide des données brutes. Grâce à la validation, les noms et adresses sont normalisés, structurés, les doublons éliminés, ... bref les données de base sont enrichies. A son niveau, elle deviennent de l'information. Pour le directeur des ventes, la liste validée représentent des données. Elles ne deviennent de l'information qu'après rapprochement avec les informations relatives à sa clientèle qui lui permettront de mesurer son taux de pénétration. A son tour, le directeur marketing ne s'intéressera qu'aux résultats de la campagne et non aux détails. Ce qui est donnée pour l'un est information pour un autre ou connaissances pour un troisième. C'est toujours de l'information mais ce n'est jamais la même. On remarquera aussi que la transformation met en jeu le domaine de l'implicite avec le savoir faire, l'expérience des acteurs, les leçons qu'ils retirent des actions entreprises. Elle permet ainsi d'opérer des passages réciproques entre les deux domaines de la matière, l'implicite et l'explicite. La transformation elle même peut également n'être qu'implicite. Pour un sculpteur, un morceau de marbre est autre chose que de la matière brute: il y voit déjà la statue qu'il se propose de sculpter.
Chacun possède donc sa vision de l'information, retient ce qui est utile en fonction de son travail et du rôle qu'il exerce, sans oublier les grappes informationnelles, ce qui confère à l'information un caractère éminemment subjectif. C'est la subjectivité d'usage. La production d'information est donc différenciée aux yeux des utilisateurs. La transformation - données information connaissance (6) - est ainsi continue et diffuse dans tout le système d'information. L'approche habituelle, technologique, ne prend en général pas en compte cette dynamique de transformation. La production est brute, indifférenciée ce qui contribue à faire naître et entretenir les informatiques pirates et obère la réalisation des projets centralisateurs mentionnées précédemment.
Le processus général de gestion de toute organisation se résume à trois grands processus génériques dont dépendent les autres (Fig 1). Il faut acquérir les ressources nécessaires, humaines, matérielles, financières techniques et informationnelles, puis les transformer (appliquer un savoir) pour fabriquer produits et /ou services et enfin les vendre, les distribuer aux clients. Ces processus drainent avec eux des masses d'informations tant implicites qu'explicites. On n'acquiert pas seulement des ressources mais toute l'information et le savoir qui les accompagnent: les caractéristiques et les prix des matières premières et des équipements, les descriptions et les comparaisons entre les fournisseurs, les manuels d'entretien des machines, les contrats, les résumés des personnes, ... La transformation entraîne également son cortège d'information: les descriptions des processus, le contrôle de qualité, les règles relatives à la sécurité, à l'environnement, les statistiques de production, l'expérience et le savoir faire des opérateurs ... .
Il en va de même de la distribution avec les études de marché, la description de la clientèle, de la concurrence ou de l'environnement, les intuitions et l'expérience des responsables, ... . Toutes ces informations sont constamment soumises à des transformations. Bref l'entreprise ne peut vivre sans le bain d'information dans lequel elle est plongée. Ce bain est parcouru de multiples boucles de rétroactions: une augmentation des prix oblige à changer de fournisseurs, à rationaliser la production, une nouvelle technologie entraîne des changements dans la fabrication, la pression de la concurrence provoque une autre manière d'approcher les clients, l'apparition de nouveaux produits ou services, ... . On pourrait multiplier les exemples. Ce bain d'information est une véritable soupe de transformations rétroactives, multiples et variées.
Les cuisiniers de la soupe informationnelle, les acteurs ou agents (7) des transformations, sont les « triangles opérateurs ». Ils se composent de trois éléments en interaction: les hommes, les machines (technologies) et les structures (Fig 2). Par exemple, le bureau d'accueil d'une entreprise constitue un triangle: hôtesses et hôtes d'accueil, leurs postes de travail, la place de l'accueil dans l'organisation de l'entreprise. Les triangles sont donc multiples dans une organisation des plus simples (accueil) aux plus complexes (le comité de direction). Ils sont à la fois utilisateurs et producteurs d'information.
Les triangles opérateurs sont responsables des transformations de données en informations et en connaissances ainsi que des passages réciproques entre les champs de l'implicite et de l'explicite. Leur responsabilité est directe ou indirecte. Nous voulons dire par là que si tous les triangles « travaillent » l'information, seuls certains d'entre eux s'y consacrent spécifiquement. Ils opèrent au moyen d'une ou plusieurs de 4 opérations de base: saisie (ou capture des informations), validation (ou vérification de forme et de fonds), agrégation (ou création d'ensembles cohérents) et distribution (ou accès).
Les interactions, c'est-à-dire les importances relatives, à un moment donné, de chacun des membres de cette relation triangulaire, sont fonction du temps, de la masse des données, de la technologie et de la complexité des problèmes traités. Le facteur humain est plus important dans le cas d'un comité de gestion ou d'un artisan et dominant dans son interaction avec les technologies et les structures. La machine est prépondérante dans la salle de contrôle d'un réseau de distribution d'électricité et domine l'interaction avec les autres éléments. L'apparition du PC, la technologie des réseaux ont profondément transformé notre manière de travailler en interaction avec les hommes et les structures et ouvert quantités de nouvelles potentialités dans tous les domaines.
La technologie a d'ailleurs bouleversé notre façon de gérer le processus global de l'entreprise. Avant, il fallait capturer l'information dont les ressources et les processus étaient porteurs pour la traiter et pouvoir agir, maintenant ils sont capables de communiquer directement au système l'information qu'ils contiennent et le système est en mesure de réagir immédiatement sur l'information reçue. Le temps de réaction est singulièrement raccourci et le rôle des intermédiaires remis en question. Pour prendre un exemple, le simple passage de la carte de paiement aux caisses du supermarché déclenche non seulement les écritures de débit et de crédit, mais aussi la mise à jour du profil client, celle des stocks du magasin avec les ré-approvisionnement éventuels voire celle des commandes de fabrication. C'est en gérant désormais directement l'information encapsulée dans les ressources et les processus qu'il est possible d'améliorer leur efficience et, par conséquent, celle de l'entreprise et du business lui-même.
Mais la technologie contient aussi sa propre Némésis. La rigueur apparente d'une base de données, d'un tableur, d'un processus automatisé cachent bien souvent des hypothèses cachées, des suppositions. Déchets à l'entrée, évangile à la sortie! L'ordinateur n'a-t-il pas toujours raison? Par ailleurs la technologie rassure le management. Elle permet de modéliser l'entreprise et de lui en présenter une image compréhensible, rationnelle, bref un bel objet dont il possède la maîtrise. Les non dits, le complexe, l'incertitude pourtant bien présents dans l'entreprise, sont exclus. « Les systèmes d'information sont des outils pour simplifier le complexe,( ... )(qui) masquent la nature dynamique, chaotique de l'organisation (8) ». En plus de cette vision réductrice, elle favorise également une efflorescence informationnelle qui a pour conséquence un entropie de l'information: essentiel et accessoire finissent par se confondre, d'où la non pertinence relative des 20% utilisés dans les processus décisionnels.
La technologie est indispensable et réussit très bien pour tout ce qui concerne les opérations de masse, simples, standardisées structurées, répétitives (par exemple les systèmes de paiement nationaux et internationaux, les traitements en masse des adresses). Mais comme telle, elle échoue bien souvent dès que la complexité apparaît: les systèmes d'information restent alors en reconstruction permanente. Le cas des projets centralisateurs est éclairant à cet égard. Leur nature transversale met en jeu bien d'autres éléments que la technologie, interactions humaines, structures, ... Finalement, il existe entre nous et les technologies une relation ambiguë « ... nous ne pouvons pas vivre sans elles mais nous luttons pour vivre avec elles dans un environnement harmonieux (9) ».
L'entreprise forme donc en elle-même un système d'information. Nous le définissons comme une suite de transformations (10) multiples, interactives et rétroactives, effectuées par des triangles opérateurs à l'aide d'une série de quatre opérations qui s'appliquent indifféremment à des données, des informations ou des connaissances. Ces transformations génèrent des passages entre les champs implicites et explicites de la matière informationnelle et leur suite forme un processus. Un système est composé d'un ensemble de sous systèmes génériques et générés, selon la taille de l'organisation.
De plus, « l'entreprise/SI » « ... est un système adaptatif complexe (11). Il comporte de très nombreux agents passifs et actifs(les triangles opérateurs), liés dans un réseau qui produisent, utilisent, communiquent et transmettent données, informations et connaissances. Le contrôle est dispersé, car on ne peut pas isoler un centre de contrôle particulier, un peu à l'image d' Internet. Les agents servent de blocs de construction à l'organisation du système et sont en réorganisation constante, le long de transformations (données en informations et en connaissances) et d'opérations interactives (saisie, validation, agrégation et distribution). Ils anticipent, par exemple, la demande, l'acceptation ou le refus d'un changement induit par la concurrence, par une nouvelle technologie... Enfin, il se forme des niches dans le système que les agents occupent directement. Tel est le cas avec la création et l'occupation de circuits informationnels informels nécessités par la défaillance ou l'insuffisance des canaux de communication existants ou la formation et le développement de systèmes informatiques dits « pirates » parce qu'ils se situent « en dehors » des structures autorisées et sont créés à leur insu. ». De tels systèmes sont difficilement décomposables car « négliger une partie du système détruit des aspects essentiels de son comportement et de sa structure » (12).
Telle est la réalité, beaucoup plus difficile à saisir, qui se cache derrière la façade lisse, rationnelle, ordonnée et stable que se donnent volontiers les organisations.
En questionnant l'approche habituelle des systèmes d'information, nous sommes arrivés à voir l'entreprise comme un SI et à le situer résolument à la frontière de l'ordre et du chaos, dans le champs de la complexité. Les grappes informationnelles, les transformations, les triangles opérateurs, les domaines implicites et explicite de la matière informationnelle ne suffisent pas seuls à expliquer le fonctionnement global du SI.
Lorsqu'on contemple une rivière ou lorsqu'on « regarde » la soupe informationnelle bouillonnante, chaotique d'un SI, des comportements, des formes similaires finissent par émerger. On les dirait attirés par quelque chose, comme si, derrière le désordre, il existait une force attirant le mouvement, un « attracteur ». Un SI possède un « attracteur informationnel », notion empruntée à la théorie du chaos, « moteur » des séquences de transformations à l'œuvre en son sein. En quelle que sorte, il agit en « attirant » dans la masse grouillante des informations, celles qui passent à sa portée, pour leur donner un sens déterminé, permettre l'action et engendrer de la connaissance. L'attracteur rend compte du comportement du SI.
Pour mieux comprendre, faisons un bref détour par la théorie du chaos (13). Voyons d'abord un système simple formé par un pendule. Celui-ci perd son énergie par frottement et finit par s'immobiliser. En représentant les mouvements du système sur un graphe (Fig. 3), nous voyons les trajectoires converger en spiralant vers un point. C'est l'attracteur du pendule, il « attire » vers lui le mouvement du système.
Prenons maintenant un système complexe, non linéaire, tels la météo ou un certain type de roue hydraulique (14) étudiés par Edward Lorenz (15). Ce sont des système apériodiques qui tendent à se reproduire sans jamais y parvenir. En visualisant leur comportement, on obtient une courbe qui, pour citer James Gleick à propos de l'attracteur de Lorenz (16) (Fig. 4), est « d'une complexité infinie. Elle restait contenue dans certaines limites sans déborder de la page ni repasser sur elle-même. Elle décrivait une forme étrange, très particulière, une sorte de double spirale à trois dimensions, comme les ailes d'un papillon. Cette forme signalait la présence d'un désordre à l'état pur: aucun point ou groupe de points n'y paraissaient deux fois. Pourtant elle signalait également la présence d'un ordre insoupçonné ». Un tel système forme un « attracteur étrange », comme une face de hibou, objet bizarre, entrelacé à l'infini.
"Fig 4 Attracteur de Lorenz
Tel que nous l'avons défini, un système d'information est semblable à un système complexe, non linéaire et l'attracteur de Lorenz convient bien pour le représenter. En effet un SI tourne autour de deux domaines ou points d'ancrage, l'implicite et l'explicite. Chacun forme un « bassin d'attraction » et les transformations provoquent des passages continuels de l'un vers l'autre. En se combinant les deux attractions forment l'attracteur informationnel qui engendre l'orientation générale du système d'information.
L'ancrage implicite prend en compte l'importance du non dit, les visions, les souhaits, les demandes des différents agents de l'organisation, leurs échanges informels au sein de groupes de travail, leurs capacités de réaction et leurs possibilités d'initiative face à l'environnement, c'est-à-dire celles d'amorcer des boucles de rétroaction. L'ancrage implicite se rapproche de la créativité, de l'innovation.
L'ancrage explicite concerne l'information codifiée, celle qui peut être transmise dans un langage formel et systématique. L'ancrage explicite exprime le degré de formalisation et d'explicitation de l'information atteint par l'entreprise. L'ancrage explicite englobe l'ensemble des technologies mises en oeuvre par l'organisation, la stratégie explicite, le contrôle, la gestion quotidienne et opérationnelle, la description des processus, les procédures, la communication structurée.
Les étendues et les forces des bassins d'attraction vont générer des passages, des zones de tension et de partage entre les deux attractions. Elles se « répondent » l'une à l'autre comme un écho. Ainsi les besoins implicites des agents vont provoquer un appel vers la composante explicite pour obtenir de nouveaux moyens de travail via le développement de technologies existantes ou l'acquisition de nouvelles technologies. La demande va générer un supplément d'explicitation dans le système informationnel avec l'analyse et la mise en place d'un projet destiné à la satisfaire. Il y a passage, en quelque sorte, d'un bassin à l'autre. Mais il y aura aussi apparition de tensions au cas ou la réponse donnée est trop limitée, insatisfaisante, ou s'il en résulte la domination d'une attraction sur l'autre. Tel serait ainsi le cas d'agents qui refusent d'accepter de réelles contraintes technologiques ou, à l'inverse, qui imposent une forme de technologie au détriment des besoins.
L'analyse des attractions va permettre de connaître l'attracteur informationnel du SI et d'en montrer le comportement. Pour ce faire, nous utilisons cinq variables interdépendantes qui caractérisent les bassins d'attraction et rendent compte de leurs interactions. Dans chaque domaine, elles varient entre deux pôles ou valeurs extrêmes propre au domaine considéré.
- La variable temps détermine la sensibilité du SI par rapport à la durée, c'est-à-dire les espaces de temps dans lesquels il évolue. Dans l'implicite, elle varie entre le court et le long terme, selon l'horizon temporel vécu par l'organisation. En simplifiant, une entreprise dont la préoccupation majeure des dirigeants est en fait fixée sur l'évolution de son cours en bourse se situera dans un espace temporel restreint, quelque soit par ailleurs son discours explicite. Dans le domaine explicite, la variation se situe entre temps réel et temps différé. Un contrôle aérien doit impérativement travailler en temps réel contrairement à une cellule d'analyse stratégique.
- La variable espace concerne l'étendue spatiale du SI. Elle s'étire, dans les deux domaines, d'un espace limité à un espace non limité. Celui ci peut être géographique ou virtuel ou les deux. L'implicite de l'organisation sera très différent selon que son approche fondamentale est locale ou globale, en d'autres termes s'il s'agit de tenir compte d'une ou de plusieurs cultures et environnements différents. Au plan explicite, une entreprise globale ne peut opérer efficacement sans mettre en œuvre la technologie des réseaux.
- La variable fonction mesure l'adéquation du système à la prise de décision. Dans l'attraction implicite, la variation passera de la verticalité (le cadre de référence décisionnel, même complexe, est défini et connu, par exemple un responsable de la production) à l'horizontalité (nécessité d'intégrer de larges espaces d’incertitudes, par exemple un acheteur qui doit « sentir » la mode de la prochaine saison). La variable exprime aussi la manière dont sont vécues les différentes fonctions dans l'entreprise (les degrés de liberté, les possibilités d'initiatives, le droit à l'erreur ... ) et la force des réseaux relationnels internes, là où se construit la connaissance implicite.
Dans l'attraction explicite, la variable fonction varie entre deux pôles. L'un baptisé « exécution » fait référence à des systèmes structurés qui servent à l'exécution des tâches au moyen de procédures bien définies. L'autre pôle, la « conception », indique la présence de systèmes ouverts et adaptables (systèmes ou outils de conception et de recherche). - La variable usage est liée à l'exhaustivité et à la pertinence. Le système d'information fournit-il les données et informations nécessaires et suffisantes à l’accomplissement des tâches de l'organisation? Dans l'attraction implicite, elle varie de l'analyse à la synthèse en relation avec le contenu des tâches dont les agents sont responsables. Ainsi un manager ne sera pas toujours satisfait de la synthèse qu'il reçoit parce que, implicitement, il attendait plus, ... ses collaborateurs devraient en fait se mettre dans sa tête. Dans l'explicite, la variation s'étendra de l'exhaustivité à la synthèse. Un système de contrôle aérien doit donner en temps réel la totalité des informations sur tous les appareils évoluant dans sa sphère de contrôle. Une synthèse des factures suffit au trésorier.
- La variable contexte est la plus complexe des cinq. Elle mesure la sensibilité du SI aux différentes cultures qui peuvent exister au sein de l'entreprise qu'il s'agisse des comportements innés dans l'organisation ou dans tel ou tel de ses départements ou des diverses chartes qui ont été établies.
Dans l'attraction implicite, elle englobe la culture de l'entreprise et les sous cultures, son histoire et les valeurs qu'elle véhicule ainsi que le style de management. On y retrouvera les grappes informationnelles véhiculées dans l'organisation. Le « contexte implicite » synthétise les comportements collectifs et individuels des agents. Un des pôles de la variable sera le comportement collectif (dauphin) qui met l'accent sur des valeurs et concepts connus et partagés par tous, sur la collaboration et le désir que tous les partenaires soient gagnants. L'autre pôle sera marqué par une composante où les intérêts et les vues personnelles priment sur l'intérêt collectif de l'entreprise (requin).
L'attraction explicite concerne la manière dont les technologies sont comprises et utilisées par les agents de même que l'histoire technologique de l'entreprise avec les différentes couches qui se sont superposées au fil du temps. La variation s'étend sur un mélange de systèmes et de technologies allant de l'opérationnel à l'intégration en passant par les systèmes de communication.
Le tableau ci après donne la synthèse des variables.
Tableau 1 : synthèse des variables
variables | dimensions | implicite | explicite | ||
---|---|---|---|---|---|
pôles | pôles | ||||
temps | temporelle | court terme | long terme | réel | différé |
espace | spatiale | limité | non limité | limité | non limité |
focntion | prise de décision | vertical | horizontal | exécution | conception |
usage | information nécessaire et suffisante | analyse | synthèse | exhaustivité | synthèse |
contexte | culturelle | individuel (requin) | collectif (dauphin) | opérationnel | communication intégration |
La force ou la faiblesse des variables par rapport aux pôles se marque par des séries de + ou de - selon la convention suivante:
Force | Faiblesse | |
---|---|---|
Faible | + | - |
Moyenne | ++ | -- |
Forte | +++ | --- |
Très forte | ++++ | ---- |
Pour illustrer le mécanisme du tableau, prenons l'exemple de la variable fonction d'un SI dans lequel les tâches à accomplir sont bien définies et connues des agents et où il s'agit avant tout de suivre les processus existant. On aura
Tableau 2 : fonctionnement
variable | dimensions | implicite | explicite | ||
---|---|---|---|---|---|
pôles | pôles | ||||
fonction | prise de décision | vertical | horizontal | exécution | conception |
variation |
++++ | -- | +++ | - |
Chaque variable peut par ailleurs être représentée sur un axe (Fig. 5). Les pôles sont situés à égale distance du centre de l'axe. Le milieu de l'axe traduit le passage d'un pôle de variation à l'autre. Chaque variable prendra donc deux valeurs, une de chaque côté du milieu de l'axe, dont la combinaison traduit son influence, dans l'exemple choisi, l'importance de l'exécution sur la conception. Chaque variable représente ainsi une « tension » entre les pôles.
On peut donc « visualiser » un attracteur informationnel, ses deux attractions, leurs variables et les pôles entre lesquels elles oscillent. Il y aura deux groupes de cinq axes chacun, l'un pour l'attraction implicite et l'autre pour l'attraction explicite. Ils se croisent chacun en leur centre. Sur chacun des axes, nous reportons les valeurs attribuées aux variables. En rejoignant les points obtenus pour les valeurs des variables, l'attracteur émerge formé de deux polygones, un pour chaque bassin d'attraction. La figure 6 (voir plus loin) montre un exemple d'attracteur.
La valeur des variables dans un SI donné n'est pas le résultat de mesures précises. C'est la traduction d'une croyance vraie et justifiée quant à l'importance de la variable sur une échelle allant d'un pôle à l'autre: du temps réel au temps différé, de l'exécution à la conception, du vertical à l'horizontal, etc. Ce travail, essentiellement qualitatif, repose d'abord sur de nombreux débats avec les acteurs clés de l'entreprise et sur la lecture des chartes et documents de base de manière à bien comprendre la stratégie, la manière dont elle est élaborée et mise en pratique. Il faudra revenir souvent vers eux afin de valider constamment les résultats des observations et les hypothèses formulées. Il s'agit aussi d'acquérir une bonne compréhension des processus de décision, des activités exercées par l'entreprise et des technologies employées pour produire et utiliser les informations. Il existe incontestablement une part de subjectivité dans les valeurs attribuées aux variables d'un SI.
Nous avons appliqué le concept d'attracteur à l'analyse des systèmes informationnels de plusieurs entreprises. Les exemples que nous présentons sont construits à partir des résultats d'observations et d'expériences effectuées au cours de nombreuses incursions dans divers systèmes d'information. Ils s'inspirent d'entreprises précises mais n'en reflètent pas nécessairement la réalité actuelle, surtout pour les exemples de tension et de rupture. Ils ne préjugent en rien de l'efficacité des entreprises concernées. L'objectif est de concrétiser l'attracteur en montrant qu'il permet de penser autrement les systèmes informationnels, d'en percevoir la nature profonde et de différencier plusieurs types d'attracteurs informationnels.
Le partage
Le premier exemple concerne l'attracteur du système d'information d'une organisation non gouvernementale internationale. La synthèse des observations montre que l'information y joue un rôle indispensable pour la réalisation de ses missions. Pour répondre aux urgences, elle doit connaître précisément les contextes dans lesquels elle opère, anticiper et identifier ses domaines d'intervention, en préciser le périmètre et réutiliser constamment les résultats des expériences vécues. Elle utilise l'information pour informer et sensibiliser l'opinion, faire pression sur les pouvoirs public, motiver les donateurs pour ses campagnes de collectes de moyens financiers et documenter ses appels aux bailleurs de fonds institutionnels. L'organisation produit donc en abondance des informations de qualité. Malgré cette quantité d'information, elle se sentait fréquemment dans la situation de devoir « réinventer » ce qu'elle connaissait déjà, sans pouvoir tenir compte des expériences vécues. De plus, les technologies utilisées (courrier, disques partagés, système de gestion des documents) contribuaient à nourrir un certain chaos informationnel. Il fallait remédier à cette situation.
La culture de l'entreprise est très forte caractérisée par la motivation et la personnalité des acteurs, leur sens d'une communauté d'action et leur aisance à bien se situer dans le court terme et dans la durée. Les échanges d'information s'effectuent facilement et les capacités de rétroaction sont très élevées. Le débat est fréquent et s'exprime au travers de documents largement diffusés et commentés. Le non dit, l'implicite de l'organisation est particulièrement développé. Chaque document important est la résultante d'une somme de discussions, de savoir-faire et d'expériences. Les technologies utilisées sont simples et maîtrisées et, malgré l'effet pervers mentionné plus haut, elles favorisent l'échange et la communication. La structure de l'organisation est matricielle et assez bien intégrée.
L'observation des variables du SI confirme l'analyse globale.
- Les variables espaces et temps
- La variable Fonction
- La variable usage
- La variable contexte
Tableau 3 : partage - temps et espace
variable | pôle | implicite | explicite | pôle |
---|---|---|---|---|
variations | ||||
temps | court terme | +++ | +++ | réel |
long terme | +++ | +++ | différé | |
correspondance |
||||
espace | limité | +++ | +++ | limité |
non limité | +++ | +++ | non limité | |
correspondance |
Les variables « espace » et « temps » sont équilibrées autour des points d'ancrage. Dans l'implicite, toute action à court terme se situe naturellement dans une perspective à long terme et l'entreprise intègre bien les différences culturelles. Dans l'explicite, les réseaux de communication et les systèmes de rapport mis en œuvre par l'organisation, de même que le rythme d'utilisation lui permettent d'obtenir et d'échanger les données et les informations nécessaires, là et quand il le faut. Il y a correspondance entre les 2 domaines.
Tableau 4 : partage - fonction
variable | pôle | implicite | explicite | pôle |
---|---|---|---|---|
variations | ||||
fonction | vertical | + | +++ | exécution |
horizontal | +++ | + | conception | |
correspondance faible |
La variable « fonction » est marquée dans l'implicite par l'esprit d'initiative et une grande capacité à intégrer l'incertitude ce qui est conforme à la culture de l'entreprise. La valeur de l'« horizontal » est donc élevée. L'attraction explicite montre que les outils nécessaires sont disponibles pour l'accomplissement du travail (valeur de l'« exécution » de la variable « fonction ») mais leur potentiel conceptuel reste faible par rapport à la forte demande qui résulte du niveau élevé atteint par la valeur « horizontal » dans l'attraction implicite. Il y a correspondance entre les domaines mais elle est plus faible.
Tableau 5 : partage - usage
variable | pôle | implicite | explicite | pôle |
---|---|---|---|---|
variations | ||||
usage | analyse | +++ | +++ | exhaustivité |
synthèse | +++ | + | synthèse | |
correspondance |
Les fortes capacités d'analyse et de synthèse des acteurs caractérisent le domaine implicite dans la variable « usage ». Elles peuvent certes s'appuyer sur l'importance de l'« exhaustivité » dans l'attraction explicite, mais les systèmes utilisés manquent de moyens pour synthétiser (faiblesse de la valeur « synthèse »). Et quand la production d'informations explicites est très abondante et indifférenciée, l'exhaustivité peut devenir envahissante. Il y a cependant correspondance entre les 2 domaines.
Tableau 6 : partage - contexte
variable | pôle | implicite | explicite | pôle |
---|---|---|---|---|
variations | ||||
contexte | individuel (requin) | - | +++ | opérationnel |
collectif (dauphin) | +++ | - | communication intégration | |
correspondance faible |
Dans l'attraction implicite, la variable « contexte » est très nettement marquée par la culture de l'organisation. La communication entre les agents, à tout niveaux, est naturelle et facilitée par la structure de l'entreprise. La valeur « dauphin (collective) » est élevé et contribue à rendre harmonieux le fonctionnement d'un rassemblement de fortes personnalités. Dans l'attraction explicite, le poids de l'intégration est trop faible en regard de l'appel provoqué par le niveau atteint par la valeur collective de la variable « contexte » dans l'attraction implicite. Le pôle opérationnel qui permet quant à lui la production et le partage d'informations est très fort. Il y a correspondance entre les domaines mais elle est plus faible.
En conclusion, l'intelligence collective existe bien dans l'entreprise mais elle reste dans la part implicite du système informationnel. Elle n'apparaît pas explicitement car elle n'est pas modélisée, synthétisée vu la faiblesse de la valeur « intégration » de la variable « contexte » dans l'attraction explicite et le déficit d'outils de synthèse (variable « usage ») et de conception (variable « fonction »). L'organisation doit souvent reconstruire à partir des données existantes et de nombreuses discussions une information par ailleurs potentiellement disponible mais « cachée », c'est-à-dire consacrer du temps et des efforts à rechercher, collecter et synthétiser. Les correspondances entre les variations des dimensions des variables dans les deux ancrages sont cohérentes et le passage de l'un à l'autre se fait facilement: il existe un bon écho entre les deux. Les bassins d'attraction occupent des surfaces similaires et le recouvrement de leurs bassins respectifs marque la présence d'une zone de partage entre les deux domaines.
La figure suivante représente l'attracteur informationnel de l'organisation, obtenu en reportant sur les axes les valeurs des variables. On remarquera le creux dans l'attraction explicite (faiblesse de l'intégration dans la variable « contexte ») ainsi que la faible valeur de la synthèse dans la variable « usage » et de la conception dans la variable « fonction ».
Cette analyse a eu des conséquences pratiques. En effet, la première réaction eût été de se procurer et mettre en place la technologie manquante pour pallier le manque d'outils de conception et d'intégration et de se lancer dans une démarche d'explicitation de toute l'information. Mais avec l'attracteur présent à l'esprit, la solution consista dans l'amélioration de la valeur « intégration » de la variable « contexte », point faible du SI, empêchant l'expression de l'intelligence collective, en travaillant à la fois les domaines culturels, organisationnels et techniques et en réfléchissant à la nature de l'information, à son utilisation et à sa signification pour l'entreprise. L'investissement technologique fut insignifiant: l'organisation a réussi « à faire plus avec moins ».
La tension
Le second exemple d'attracteur est une reconstruction. Il concerne l'attracteur d'un sous système d'information dépendant du système global assurant la gestion opérationnelle et comptable d'une institution financière de grande taille, tel qu'il avait été construit aux débuts de l'informatisation des services bancaires, fin des années 60 du siècle dernier. Avec le développement des activités internationales dans la décennie qui a suivi, et notamment celles de la salle des marchés, les besoins en matière de contrôle de gestion se sont faits de plus en plus pressants et exigeants.
Le sous système d'information dont il est question servait à ce moment des départements aux responsabilités différentes, les uns concernés par la gestion globale et les autres par les activités internationales dont une branche très particulière et spécifique, la salle des marchés.
Le tableau 7 donne la synthèse des observations sur les variables du système.
Tableau 7 : attracteur de tension - synthèse des variables
variable | pôle | implicite | explicite | pôle |
---|---|---|---|---|
variations | ||||
temps | court terme | +++ | --- | réel |
long terme | +++ | +++ | différé | |
opposition |
||||
espace | limité | + | +++ | limité |
non limité | +++ | --- | non limité | |
opposition |
||||
fonction | vertical | - | +++ | exécution |
horizontal | +++ | -- | conception | |
opposition |
||||
usage | analyse | ++ | +++ | exhaustivité |
synthèse | +++ | ++ | synthèse | |
correspondance | ||||
contexte | individuel (requin) | ++ | +++ | opérationnel |
collectif (dauphin) | +++ | -- | communication intégration | |
opposition faible |
Dans l'ancrage implicite, l'accent sur le « long terme » et le « non limité » des variables « temps » et « espace », ainsi que le poids des valeurs « collective » et « synthèse » dans les variables « contexte » et « usage », traduisent la volonté de maîtrise spatio-temporelle et globale de la rentabilité dont le contrôle de gestion est le gardien. Le poids du « court terme » traduit le fait que le marché bouge tout le temps. L'importance relative de « l'horizontalité » dans la variable « fonction », reflète l'insécurité liés aux activités de marché.
L'attraction explicite est entièrement dominée par le système opérationnel et comptable, travaillant en temps différé, dans un espace national et donc limité. Il y a opposition, car les valeurs atteintes par ces mêmes variables dans l'implicite auraient exigé du temps réel et un espace non limité. Les variables « fonctions », « usage » et « contexte » vont toutes dans le sens de l'exécution, de l'exhaustivité et de la gestion opérationnelle. Là encore, l'attraction implicite aurait demandé pour ces variables, un meilleur répondant explicite, avec des valeurs plus marquées en « conception », en « synthèse » et en « intégration ». La figure 7 représente l'attracteur du système.
Les ancrages implicite et explicite sont déséquilibrés. L'ancrage explicite est dominé par un système informatique bien conçu et efficace pour traiter des besoins strictement opérationnels et comptables. Pour ses utilisateurs, ce système détient, en quelque sorte, l'unique vérité de l'entreprise. C'est un facteur psychologique important. L'ancrage implicite est faible, axé sur de nouvelles activités et marqué par deux tendances opposées dans le management. Les uns veulent démontrer la rentabilité des nouvelles activités, mais aussi couvrir leurs responsabilités vis à vis de l'institution. Les autres, au contraire, s'efforcent de prouver que la rentabilité est exagérée, incertaine, et qu'elle ne couvre pas les risques pris. Enfin beaucoup de responsables éprouvaient des difficultés à comprendre la nature même des opérations de la salle des marchés.
Il existe une zone commune entre les bassins d'attraction. Elle tient au fait que, malgré l'inadéquation du système explicite aux besoins, il restait la seule source d'informations officiellement reconnue par la comptabilité, les commissaires et réviseurs aux comptes et les autorités de contrôle prudentiel. Il fallait donc partir de ces informations, les analyser et les ré-interpréter dans une optique « salle de marché ». Cet effort se traduit par les poids de la synthèse et de l'exhaustivité de la variable « usage » dans les domaines implicites et explicites. Les deux attractions ne se correspondent que sur ce plan et s'opposent sur le reste. Les surfaces des bassins d'attraction sont différentes. L'attraction explicite est plus étendue, plus forte et domine l'attraction implicite.
Il existe une tension entre les deux bassins d'attraction: même s'ils possèdent une zone de recouvrement, le partage ne se fait pas réellement. L'attraction explicite domine.
Historiquement, cette tension dans l'attracteur explique que les responsables (gestion et salle des marchés) aient développé séparément des systèmes propres, conçus comme des excroissances du système comptable. Mais la dominance de l'attraction explicite les a entraînés à vouloir que les informations sorties des trois systèmes (comptable, gestion, salle) soient identiques. Malgré la dépense en temps et ressources, les résultats n'ont jamais donné satisfaction. Ce type d'attracteur explique la persistance des trois phénomènes qui ont présidé à notre réflexion.
Les différences entre l'attraction réelle explicite et l'attraction explicite, telle qu'elle eût été souhaitée en fonction de l'attraction implicite, étaient trop grandes. L'attracteur, dominé par l'attraction explicite, « attirait » constamment le système la gestion opérationnelle et comptable. Il n'était pas possible de changer l'attraction et rapprocher les domaines en conservant les mêmes hypothèses de base. Il eût fallu construire un autre système, complémentaire, en partant d'hypothèses différentes tout en gardant la cohérence finale des informations avec le système comptable.
La rupture
Le troisième exemple analyse l'attracteur informationnel d'une entreprise, issue d'un institut de recherche, travaillant dans le génie logiciel et développant les services qui les accompagnent. Les deux secteurs d'activité appartenaient à deux entités distinctes. Avec le temps, l'évolution des marchés et des besoins des clients, la production de logiciels et les services ont fini par se spécialiser chacun de leur côté. Ils se sont mis à diverger d'autant plus qu'une volonté de croissance a poussé l'entreprise à en racheter d'autres dont les activités étaient plus ou moins similaires à la sienne.
Du fait de ses origines historiques, la culture de l'entreprise est restée relativement forte, caractérisée par un esprit pionnier. L'attraction implicite en témoigne, avec les valeurs « synthèse », « horizontale » et «collective » des variables « usage », « fonction » et « contexte ». (Voir le tableau 8 pour la synthèse des observations)
Cependant, en raison de l'évolution de l'entreprise et de son type de croissance par acquisitions successives, l'attraction implicite fut progressivement dominée par une orientation très marquée par le court terme, engendrée par la recherche du résultat immédiat et par un style de management très individuel. Les changements de management et les modifications de structure sont d'ailleurs nombreuses. Les valeurs « court terme » et « individuel » des variables « temps » et « contexte » ont fini par déterminer le caractère de l'attraction implicite.
Tableau 8 : attracteur de rupture - synthèse des variables
variable | pôle | implicite | explicite | pôle |
---|---|---|---|---|
variations | ||||
temps | court terme | ++++ | indéterminé | réel |
long terme | -- | indéterminé | différé | |
opposition |
||||
espace | limité | +++ | indéterminé | limité |
non limité | +++ | indéterminé | non limité | |
opposition |
||||
fonction | vertical | +++ | ++++ | exécution |
horizontal | (++) | ---- | conception | |
opposition |
||||
usage | analyse | ++ | ++++ | exhaustivité |
synthèse | + | ---- | synthèse | |
opposition |
||||
contexte | individuel (requin) | ++++ | ++++ | opérationnel |
collectif (dauphin) | (++) | -- | communication intégration | |
opposition |
L'attraction explicite est orientée vers la production et le développement des logiciels fournis par l'entreprise. C'est dans cette optique que doivent être considérés les poids des variables explicites « contexte », « fonction » et « usage », marqués par les valeurs élevées de l' « opérationnel », de l'« exécution » et de l'« exhaustivité ».
Pour le reste, il existe des systèmes et outils de travail et de communication individuels que chaque agent utilise au gré de ses envies et de ses besoins: le système informationnel est « a-structuré ». L'intelligence collective existe sous différentes formes dans l'implicite mais elle est très fragmentée selon les cultures d'origine et les activités des personnes.
Dans l'attracteur du système (voir figure 8), les attractions ne se répondent pas et restent dans leurs bassins respectifs. Les centres des systèmes d'axes sont éloignés. Ils ne possèdent qu'un point de tangence qui marque simplement le fait que l'attraction explicite prend la main lorsqu'il s'agit de fournir à un client un des produits ou service de l'entreprise, et que l'attraction implicite domine, quant à elle, la gestion de l'organisation. L'attracteur bascule d'un bassin à l'autre selon le problème à résoudre. Pour « visualiser » l'attracteur, il faut regarder sa représentation comme si les surfaces d'attraction passaient constamment de l'avant à l'arrière plan. Avec ce type d'attracteur, la matière informationnelle reste dans un état de quasi-déshérence.
Il faut toutefois souligner que cette situation du système informationnel n'empêchait pas l'entreprise d'être efficace et de réaliser de très bons résultats. L'information mal ou non gérée n'empêche pas une entreprise d'être efficace.
Les différents exemples montrent différents archétypes d'attracteurs informationnels. Il en existe 3 selon qui différentient les situations d'attraction: le partage, la tension et la rupture.
L'attracteur de partage (Fig 9) (18) est celui où les bassins d'attraction sont globalement équilibrés et dans lequel les processus de transformation convergent vers la zone de partage des bassins d'attraction. Avec un attracteur de partage, lorsqu'un besoin est exprimé, il trouve directement sa traduction dans la mise en place de nouveaux outils, dans l'amélioration de processus existant, ... qui ont un effet de levier sur les potentialités de l'organisation. La créativité peut dès lors se traduire en projets concrets. Il y a cohérence et adéquation entre la culture de l'organisation, les besoins, les informations et les outils disponibles. Le SI de l'entreprise est géré et cette gestion tend à faire évoluer l'attracteur vers un partage optimal. Comme on l'a vu dans l'exemple de l'ONG, les problèmes informationnels trouvent plus facilement une solution.
Dans les attracteurs de tension (Fig 10), l'une des deux attractions est dominante. Les processus de transformation divergent et la zone commune des bassins d'attraction est l'enjeu d'une lutte. Lorsque l'attraction implicite domine, il n'y a pas de lieu pour l'apprentissage et le retour d'expérience. L'entreprise ne parvient pas à valoriser son potentiel de créativité, les projets ne décollent pas. Dans le cas inverse, la domination de l'attraction explicite étouffe les facultés d'innovation et laisse les besoins réels de l'entreprise sans réponse. On a vu dans l'exemple de la banque qu'il fut pratiquement impossible d'obtenir une réponse satisfaisante quant à la rentabilité des activités internationales. Dans les deux cas, technologies et procédures ne répondent pas de manière adéquate aux besoins. La gestion du SI de l'entreprise est dispersée entre les agents avec le plus souvent une trop grande prégnance de la technologie. L'évolution du SI passe par une remise en question des hypothèses sur lesquelles il est construit.
Le troisième type d'attracteur (Fig 11) concerne les attracteurs de rupture. Il n'existe ni cohérence ni adéquation entre les domaines implicites et explicites. Cela se marque essentiellement dans l'inadéquation du SI à la prise de décision et à l'exécution des tâches ainsi que dans une culture très individualiste. L'information est en complète déshérence et l'efficience du SI est nulle si pas négative. Les ressources informationnelles ne sont pas gérées. Il faudra des changements progressifs, systématiques et constants dans les deux attractions pour se diriger vers plus de partage ce qui suppose un changement de culture dans l'organisation.
Une remarque importante s'impose. Cette typologie ne préjuge en rien de l'efficacité des organisations. En effet nombre d'entreprises dégagent de très bons résultats alors que leur information ou d'autres ressources sont très mal gérées. Ces organisations sont efficaces mais inefficientes. L'efficacité mesure le résultat tandis que l'efficience mesure le rapport entre les moyens consacrés et les résultats obtenus. On peut donc être très efficace sans être efficient. Les résultats pourraient être cependant supérieurs avec un meilleure gestion des ressources informationnelles.
L'attracteur donne une vue globale d'un système ou sous système d'information et en décrit le comportement. Il donne ainsi la possibilité d'agir sur le SI afin d'arriver à une meilleure utilisation des ressources informationnelles.
La présence d'un attracteur de partage est la situation optimale. Elle permet de distinguer les zones de faiblesse du SI et de voir ce qu'il faut faire pour les renforcer. Comme on le verra plus loin, ce type d'attracteur est le seul qui facilite l'émergence d'une spirale de connaissance. Avec les attracteurs de tension, l'amélioration du SI passe d'abord par le changement des hypothèses de base qui ont présidé à son élaboration. Cette démarche n'est pas facile à faire admettre et accepter par les acteurs concernés. Les attracteurs de rupture, à notre avis les plus nombreux, présentent pour le SI un défi considérable car il s'agit d'opérer un changement dans la culture de l'organisation.
Améliorer un SI en présence d'attracteurs de tension ou de rupture se heurte donc à des barrières psychologiques considérables. Outre la résistance au changement, la plupart des managers veulent obtenir, en matière d'information, des résultats immédiats et ne retiennent que les produits technologiques « clés sur porte ». Or l'approche par les attracteurs nécessite une réflexion de fonds sur l'information.
Comme nous l'avons déjà mentionné, les valeurs attribuées aux 5 variables d'un SI sont le résultat d'une croyance vraie et justifiée dans l'importance donnée à la variable. Elles résultent du travail d'observation que nous avons esquissé en décrivant les variables. Ce travail s'apparente à une maïeutique informationnelle. Il s'agit d'amener l'entreprise elle-même à « accoucher » du système informationnel dont elle est porteuse. Il a pour objectif de cerner domaines, transformations et passage et de faire émerger l'attracteur. Pour ce faire, il s'appuie sur une cartographie du SI qui démontre sa sensibilité aux cinq variables. Il peut être individuel ou collectif. Dans le premier cas, l'observateur utilise l'attracteur comme outil d'analyse afin de trouver la solution à un problème (l'exemple de l'attracteur de partage). L'autre approche consiste à former un petit groupe de personnes motivées, connaissant bien l'entreprise et de dresser ensemble les cartes du SI.
Il existe bien sur bien des nuances entre ces deux extrêmes. Des contraintes sont cependant à respecter. Dès l'abord, il faut toujours conserver la vision d'ensemble. L'échelle des cartes ne sera ni trop grande, pour ne pas se perdre dans les détails, ni trop petite pour conserver les points de repère significatifs. Ensuite il est indispensable de valider en permanence les hypothèses et les résultats. Enfin il faut éviter de tomber dans trois pièges: détourner le travail pour entreprendre soit un travail de ré-ingénierie du SI , soit un projet de gestion des connaissances, c'est-à-dire faire expliciter par les acteurs la part tacite de leur savoir, soit se livrer à un choix de technologies.
Nous mentionnons brièvement les trois jeux de cartes utilisés dans la cartographie (19). Le premier est celui qui permet de parcourir les processus génériques de l'entreprise et certains processus générés, spécifiques et essentiels, sans lesquels elle serait incapable de fonctionner. Le second jeu est celui des usages informationnels qui associe à chaque carte du premier jeu les informations, implicites et/ou explicites, que le processus utilise et produit lors de son exécution. C'est un agrandissement des cartes des processus vues sous l'angle informationnel. Le troisième jeu de cartes montre les suites de transformations de données en informations, leurs agrégations et les différentes vues des triangles opérateurs sur les informations. Les trois jeux de cartes sont complétés les technologies avec leurs historiques, les objectifs de départ et la description de l'utilisation réelle qui en est faite.
Nous avons vu que dans un système informationnel les champs de l'implicite et de l'explicite sont liés. Il existe dans l'attracteur un lieu commun- quelle que soit par ailleurs sa « surface »- dans lequel les forces d'attraction entrent en compétition. Ce mélange des attractions caractérise l'attracteur et lui donne sa force. Cet espace est un lieu de partage, de tension ou de rupture.
Considérons maintenant le modèle (20) SECI (Fig. 8) de Nonaka et Takeushi (21) qui décrit la création d'une spirale de connaissance par les passages de la connaissance implicite vers la connaissance explicite. Très brièvement, les échanges informels devant « la machine à café » (connaissance sympathique) se transforment progressivement en concepts (connaissance conceptuelle). Ceux ci sont combinés pour former un système (connaissance systémique) qui est alors opéré, intériorisé- c'est le retour vers l'implicite (connaissance organisationnelle)- et on se retrouve finalement devant la machine à café. Mais c'est une nouvelle machine et le café est meilleur. La boucle recommence et la spirale de connaissance est amorcée. Chaque cadrant forme un « ba », concept que Nonaka et Konno (22) ont introduit en poursuivant leur réflexion sur la formation de connaissances dans l'entreprise et mieux l'expliquer. Le « ba » pourrait se traduire grossièrement en français par « lieu » ou « espace », un espace partagé pour des relations émergentes.
Nous avons défini la connaissance comme l'ensemble des informations qui permettent d'agir. Elle émerge donc du SI qui constitue la source où la spirale prend naissance. L'attracteur informationnel est alors la force qui déclenche et entretient le mouvement de la spirale.
L'espace commun partagé des bassins d'attraction forme un « ba », un lieu virtuel d'échanges entre les deux attractions de l'attracteur. Le passage d'une étape de la connaissance à l'autre ne peut se faire harmonieusement que si l'attracteur du système d'information est du type partagé. Dans ce cas, la partie commune des bassins d'attraction forme comme un « ba de synthèse », ou « ba d'intégration », un espace à partir duquel le processus dynamique de création de connaissances peut se déployer et amorcer sa spirale créative. Cette dernière exerce une rétroaction sur l'attracteur informationnel par le biais des changements résultant d'une accumulation de nouvelles informations via l'intériorisation.
Les autres types d'attracteur auraient comme effet de déséquilibrer la création de connaissances soit en donnant trop d'importance à certains processus de transformation (attracteur de tension) soit en les dissociant complètement (attracteur de rupture) et en empêchant par-là les passages de l'implicite à l'explicite. Autrement dit, la spirale ne « couvrirait » pas les passages d'un domaine à l'autre mais se diviserait, une pour chaque domaine.
On admet volontiers que l'information est une ressource et qu'elle exerce un effet de levier important sur toutes les autres ressources de l'organisation. Notre pratique nous montre qu'en général l'information n'est pas gérée au même niveau de responsabilité et d'importance que les ressources financières, humaines, technologiques, ...
Optimaliser l'information demande une bonne connaissance du SI qui constitue un système complexe adaptatif. Mais il y a un refus de cette réalité. Trop souvent le système est décomposé et géré par morceaux ce qui, nous l'avons vu, détruit des aspects essentiels de son comportement et de sa structure. La technologie exerce également son emprise trop prégnante qui rassure les managers mais génère une vision réductrice du système. On confond également connaissance et information, sans bien réaliser que la connaissance est issue du SI et qu'il ne sert à rien de tout vouloir expliciter. Le domaine de l'information implicite reste toujours présent et résistera à toutes les tentatives pour le faire disparaître tout simplement parce qu'il constitue une part intime de l'expérience tant individuelle que collective des acteurs de toute société ou organisation.
Il faut saisir un système informationnel dans son ensemble pour pouvoir en comprendre le comportement, rendre compte de l'entrelacs des passages, des transformations et des rétroactions entre les composants et domaines de la matière informationnelle et mesurer sa sensibilité aux cinq variables dont il dépend.
C'est ici qu'intervient l'attracteur informationnel. Il explique le SI. En caractérisant l'attraction du système, il donne les raisons pour lesquelles telle ou telle évolution est possible ou non. Son analyse indique les motifs et la nature des changements à effectuer et leur direction. C'est par la connaissance de l'attracteur qu'on peut valoriser au mieux les ressources informationnelles. C'est une autre approche, différente, qui exige une réflexion de fonds sur l'information.
Notre dernière conclusion aura trait à l'importance du facteur humain dans les systèmes d'information. C'est l'acteur essentiel, irréductible à la technologie. Le savoir, la connaissance résident toujours en dernier ressort chez les femmes et les hommes. Seuls ils possèdent la capacité de les faire émerger.
Notes
0) Alain Tihon est consultant en stratégie d'information et gestion des connaissances et en ré-ingénierie des processus. Il est diplômé en économie appliquée (ICHEC Bruxelles). Il possède une longue expérience dans le management de l'information dans le secteur bancaire où il a exercé de nombreuses fonctions de management dans des secteurs variés. Il a crée Spin out en 1997 pour conseiller les entreprises et les ONG dans leurs choix stratégiques en matière de systèmes d'information et de connaissances. Il a publié différents articles: « L’intelligence économique dans la PME : visions éparses, paradoxes et manifestations », Coordonné par Alice Guilhon, L’Harmattan 2004 (En collaboration avec Marc Ingham, professeur IUM), « L’attracteur informationnel » Cahier de la Documentation 2005/1, Mars, « A different approach to information and knowledge management » publié sur :« http://www.knowledgeboard.com/lib/3493 » Il est l'auteur du livre, « Les attracteurs informationnels » publié par les éditions Descartes & Cie, Paris, 2005.
1) Les attracteurs informationnels, Alain Tihon, Descartes & Cie, Paris, Collection Interface-économie 2005
2) Byosiere P., Ingham, M. « Création de connaissances et innovations », Revue française de gestion, mars-avril-mai 2001
3) La loi de Parkinson énonce que «Une tâche nécessite toujours tout le temps dont on dispose pour l'effectuer». Si un manager dispose de 10 personnes pour effectuer une tâche qui en demande normalement 5 pendant un mois, il réussira toujours à occuper les 10 à cette même tâche pendant un mois ». In « 1 = 2 ou les règles d'or de Mr. Parkinson », Parkinson C. Northcote, Robert Laffont, Paris, 1957. Le principe de Peter: « Dans une hiérarchie, chaque employé tend à s'élever jusqu'à son niveau d'incompétence » et certains le pulvérisent, ajoutent les mauvaises langues. In « The Peter Principle » Dr Laurence J. Peter and Raymond Hull, Pan Books 1970.
4) « Les attracteurs informationnels » op cit. Nous suivons l'explication donnée par Rafael Capurro dans « ON THE GENEALOGY OF INFORMATION » , papier publié pour la première fois dans: K. Kornwachs K. Jacoby Eds. « Information. New Questions to a Multidisciplinary Concept », Akademie Verlag Berlin 1996, p. 259-270.
5) Tiré de Ikujiro Nonaka, Noboru Konno, The Concept of "Ba’: Building Foundation for Knowledge Creation. California Management Review, Vol 40, No.3 Spring 1998.
6) Dans la suite, le terme information couvre en fait le triplet donnée, information, connaissance.
7) Par agent, nous entendons soit une personne, soit un ou plusieurs groupes, formels, par exemple un groupe de travail pour un projet, ou informels, soit un morceau de la structure ou d'un système de l'organisation.
8) Neil McBride in « Chaos Theory and Information Systems », Department of Information Systems, Faculty of Computing Sciences and Engineering, De Montfort University, Leicester, GB.
9) In « Chaos Theory and Information Systems ». Op cit.
10) Une transformation est une fonction d'opérateurs et d'opérations.
11) « Les attracteurs informationnels » pp 80, op cit. Voir “Complexity , The Emerging Science at the Edge of Order and Chaos”, le chapitre consacré à John H. Holland pp 144 et suivantes.
12) In « Management et complexité: Concepts et théorie » R.A. Thiétart, Cahier n°282 Avril 2000 CENTRE DE RECHERCHE DMSP, Dauphine Marketing Stratégie et Perspectives.
13) Ces exemples sont tirés de « La théorie du chaos. Vers une nouvelle science » , James Gleick, Albin Michel 1989
14) Des seaux percés sont accrochés à la jante de la roue. L'eau se déverse en haut de celle-ci. A un certain niveau de débit, la roue se met à tourner car le poids du seau supérieur déclenche un mouvement régulier. En augmentant progressivement le débit, il arrive un moment où le mouvement devient chaotique. Il n'est plus possible de prévoir le sens de la rotation.
15) Edward Lorenz est un mathématicien et météorologue américain qui a travaillé au Massachussets Institute of Technology d ans les années 60. C'est en travaillant sur la météo qu'il a découvert l'attracteur.
16) L'attracteur de Lorenz, « La théorie du chaos. Vers une nouvelle science » p 50, op cit.
17) Les comportements « dauphin » et « requin » caractérisent les dimensions collectives et individuelles de la variable. Ils sont expliqués dans « La Stratégie du Dauphin », Dudley Smith et Paul Kordes, les Editions de l'Homme, 1994.
18) Les polygones donnent une vue « statique » de l'attracteur d'un SI. En fait l'attracteur est un objet complexe et dynamique. Il faut l'imaginer dans l'espace. Les ellipses donnent , mutatis mutandis, une représentation générale plus conforme à l'attracteur de Lorenz.
19) Voir « Les attracteurs informationnels » op cit, pp 127 et suivantes.
20) S= socialisation, E = externalisation, C = combinaison et I = intériorisation.
21) In Nonaka I. Takeuchi H. ( avec des contributions de M. Ingham). « La connaissance créatrice : la dynamique de l’organisation apprenante », De Boeck, Collection management, Bruxelles, 1997
22) Voir Ikujiro Nonaka, Noboru Konno, op. cit.
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