Publiée une fois par année, la Revue électronique suisse de science de l'information (RESSI) a pour but principal le développement scientifique de cette discipline en Suisse.
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Publié par Ressi
Editorial n°4
Ressi — 9 octobre 2006
Editorial n°4
Voici la seconde livraison de l’année 2006. Fidèle aux buts qu’elle s’est fixés, notre Revue électronique suisse de science de l’information – RESSI – se veut une chambre d’écho aux travaux menés dans notre discipline.
Bien que la science de l’information reste discrète en Suisse, elle bénéficie de conditions favorables à son développement et à sa visibilité parmi les disciplines établies de longue date. Tout en ayant une forte dimension pratique – qui d’ailleurs se donne à voir dans cette livraison - elle assure pleinement sa fonction de traiter de manière théorique des questions documentaires soulevées dans la communauté professionnelle. Elle permet à ceux qui sont engagés dans l’action de transformer ces analyses en solutions aux problèmes qu’ils se posent, problèmes qui, à leur tour, peuvent être érigés en légitimes questions scientifiques.
Sous la rubrique Etudes et recherches, Céline Tissot nous montre l’intérêt d’évaluer un système de Records management. Ses réflexions constituent des pistes fort utiles pour mener à bien un tel projet. Les personnes qui s’interrogent sur la mise en place d’un programme de gestion de l’information au sein d’une institution, publique ou privée, liront cet article avec intérêt. Ensuite, Florent Dufaux se penche sur la problématique de la musique en ligne et nous propose une étude très fouillée sur un univers complexe. Secteur stratégique des bibliothèques de lecture publique, la musique se trouve au cœur de la « révolution numérique » et comme le souligne Florent Dufaux, reste à savoir la position que défendront les bibliothèques face aux offres de musique en ligne ?
Sous la rubrique Compte rendu d’expériences nous vous proposons la contribution de deux collègues du Maroc, Hanan Erhif et Lamyaa Belmekki. Travaillant pour l’Institut marocain de l’information scientifique et technique à Rabat, dans le service d’intelligence économique et d’aide à l’innovation, les deux auteurs nous relatent comment elles ont mis en œuvre un service de veille technologique destiné à servir les PMI/PME marocaines.
Sous la rubrique Evénements il est encore question d’intelligence économique avec une contribution collective de François Courvoisier, Jacqueline Deschamps et Françoise Simonot qui nous font un compte rendu de la 3ème Journée en Intelligence économique et veille stratégique qui a eu lieu le 15 juin 2006 à Besançon. Cette rencontre a rassemblé des professionnels, chefs d’entreprise et enseignants pour débattre de « L’information au service de l’innovation ». Comment, grâce à une veille stratégique, une entreprise peut innover, prendre en compte les attentes du marché ou encore choisir de bons canaux de distribution ? L’alternance d’exposés théoriques avec des témoignages de professionnels relatant des expériences de terrain, montrent la présence bien réelle d’une réflexion sur la veille stratégique au service de l’entreprise.
Sous la rubrique Ouvrages parus en science de l’information, Daniel Ducharme nous propose une recension de l’ouvrage présentant Troisième journée des archives.
Nous remercions les auteurs qui ont contribué à la parution de ce numéro. Nous remercions également les membres du Comité de lecture et la Haute école de gestion de Genève, qui soutient notre entreprise. Nous comptons sur vous, lecteurs, pour les prochaines parutions et attendons vos articles.
Le Comité de rédaction
Musique en ligne : la discothèque publique face à la médiathèque universelle?
Ressi — 9 octobre 2006
Florent Dufaux, Bibliothèque de la Cité, Genève
Résumé
La musique enregistrée est présente depuis de nombreuses années dans les collections des médiathèques de lecture publique.
Ces institutions ne peuvent ignorer le développement de la diffusion commerciale de musique sur Internet qui implique des questions importantes en termes de politique documentaire et d’adaptation aux besoins des usagers.
Cet article propose un tour d’horizon des offres commerciales existantes aujourd’hui ainsi que des services destinés spécifiquement aux bibliothèques. Il questionne sur la place que pourront prendre les bibliothèques de lecture publique dans ce nouveau marché.
Musique en ligne : la discothèque publique face à la médiathèque universelle?
1. Introduction
La musique possède une place privilégiée dans les médiathèques de lecture publique. Les travaux des discothécaires en ont fait l’un des premiers champs d’une approche multi-support.
Comme les autres domaines du savoir et de la culture, la musique vit depuis la fin des années nonante sa dématérialisation et l’apparition de modes de diffusion en ligne. Celui-ci représentera probablement l’un des principaux vecteurs de la « révolution numérique » des bibliothèques de lecture publique.
Les bibliothèques universitaires et scientifiques ont vécu cette révolution, il y a quelques années déjà, avec les périodiques. Des interrogations prégnantes restent, mais le document numérique est déjà parti intégrante des collections de ces bibliothèques.
Ce n’est pas le cas pour les bibliothèques de lecture publique. Si celles-ci peuvent s’appuyer sur les avancées de leurs consoeurs scientifiques sur les plans techniques et juridiques, il faut noter une différence de taille que représente le marché. Dans le domaine qui nous intéresse, celui des documents audiovisuels édités, les bibliothèques ne constituent pas un débouché important pour la grande majorité des éditeurs (les « majors » de la musique et du film).
La problématique de la musique en ligne se révèle complexe. Les technologies ont déjà quelques années, mais ce n’est que depuis deux ans environ que de véritables applications commerciales se développent.
La presse, généraliste ou spécialisée, se fait régulièrement l’écho des nouveaux services de musique en ligne lancés à grand renfort de marketing. Une vision d’ensemble y est par contre rare. Des comparatifs utiles existent, mais ils se limitent aux grandes plates-formes de vente (Mabon & Genoud, 2005). Nous avons trouvé assez peu de documents offrant un aperçu global de la problématique. On peut toutefois relever un excellent numéro de l’émission de la TSR « A bon entendeur » (Mariot, 2006).
Nous nous proposons donc d'effectuer ici un état de la question.
Nous ne ferons qu’évoquer ici les problèmes liés au téléchargement dit illégal. Cette question constitue certes la toile de fonds de nombre de débat autour de cette problématique, mais les bibliothèques ne peuvent bien entendu que se positionner du côté des offres légales. Nous verrons toutefois que ce phénomène influe sur les usages.
Nous commencerons donc par décrire l’émergence de ce marché légal, et verrons par la suite que « légal » ne signifie pas forcément payant.
Nous donnerons ensuite un aperçu des principaux formats informatiques. Nous nous pencherons sur les systèmes de gestion des droits mis en place pour contrôler les utilisations des fichiers et qui se révèlent finalement plus important que le format informatique de compression.
Nous examinerons les différentes applications qui découlent de ces technologies, en décrivant les systèmes de diffusion de musique en ligne dont nous avons connaissance, esquissant ainsi une typologie des sites. Force est d’admettre que celle-ci s’avérera forcément incomplète, puis rapidement obsolète, tant ce domaine semble évoluer rapidement.
A l’issue de ce tour d’horizon, il restera difficile de répondre à la question qui nous préoccupe, à savoir quelle peut être la place des médiathèques publiques dans cet univers. Nous tenterons d’examiner les différentes solutions existantes dans la perspective d’une bibliothèque publique, notamment par la grille de lecture qu’offre le concept de concurrence défini par D. Lahary (2005).
2. Apparition d’un marché de la musique en ligne
Le développement de l’échange de fichiers musicaux sur Internet, devenu un phénomène massif dès le début des années 2000, a été identifié par l’industrie musicale comme un facteur aggravant de la crise qu’elle traversait. Ses premières réactions ont été de combattre ce nouveau mode de diffusion, illégal en regard du droit d’auteur, sans toutefois proposer d’alternative.
Les solutions légales ont été longues à apparaître. Elles se développent fortement depuis 2004. Cela est dû à des facteurs concomitants :
- L'explosion de la vente d'appareils de lecture dédiés aux fichiers multimédia : baladeurs, lecteur CD/DVD capable de lire les formats compressés, orientation de l’ordinateur familial comme « multimédia center » relié à la télévision et à la chaîne hi-fi. On constate une très forte croissance de la vente de baladeurs : 10 Mio d’iPods (Apple) vendus dans le monde en 2005, dont 6 Mio en 2004 ! (Seydtaghia, 2005).
- L'augmentation des accès à Internet à « haut débit » et donc la « nécessité » d’offrir des contenus.
- Un positionnement fort de l’industrie musicale pour la création d’un marché légal (payant) de la musique en ligne (IFPI, 2005 ; Nicolas, 2005 ; Nicolas & Conradsson, 2005)
Il ne s'agit pas ici pas de chanter la mort du disque. La vente en ligne pèse encore peu dans l’économie de la musique. Selon l’OCDE (Wunsch-Vincent & Vickery, 2005), ce marché représentait en 2004 entre 1 et 2 % des revenus de l’industrie musicale. Il pourrait évoluer entre 5 et 10 % d’ici 2008 selon différentes projections. Il faut noter que la Fédération internationale de l’industrie se montre particulièrement optimiste dans son rapport 2006 sur la musique en ligne (IFPI, 2006). Elle y estime que la vente en ligne représente maintenant en France 6% du marché. 2004 et 2005 constituent deux années charnières. Les grandes maisons d’éditions commencent à entrevoir tout le potentiel financier de ce mode de distribution.
L’influence réelle des échanges illégaux de fichiers musicaux par le biais des fameux réseaux « peer-to-peer (1) » sur la chute globale des ventes de disques est largement discutée, ce n’est toutefois pas notre propos. La crise du disque est réelle, en France, les ventes ont connu une chute impressionnante depuis deux ans : - 31 % en valeur (Nicolas, 2005b), l’IFPI annonce des chiffres similaires pour la Suisse.
Un autre facteur influe sur ce marché, et donc sur nos politiques documentaires. Il s’agit de la forte concentration que connaît ce secteur : 4.4% des références représentaient 90% des ventes en 2004 (Nicolas, 2005a). Ce phénomène tend à s’amplifier en un cercle vicieux : les majors en crise concentrent leurs moyens de production et de marketing sur les artistes les plus « rentables ». De plus, lorsque l’on sait qu’en France toujours, la moitié des ventes s’effectue dans des grandes surfaces, qui privilégient en général la rentabilité du mètre linéaire, on peut se faire quelques soucis.
Que ce soit pour le marché physique ou le commerce de fichiers musicaux numériques, Internet peut s'avérer porteur. Il peut être considéré comme un espace d'échange, libéré des contraintes matérielles. Ce concept est particulièrement développé par Chris Anderson (2005). Traduit en français par « longue traîne » son concept peut se résumer ainsi. Internet permet de passer outre les contraintes du magasin physique. Un disquaire en ligne peut ainsi proposer un choix quasi illimité, ce qu'une échoppe aux rayons forcément restreints ne peut se permettre. Il peut ainsi proposer des références extrêmement pointues et atteindre facilement la « niche » constituée des amateurs du genre le plus spécifique, répartis sur toute la planète, ce qui est impossible pour un disquaire « physique » dont l'audience se limite en général à une ville. De plus les sites marchands mettent en place des systèmes de recommandations : « si vous avez aimé... vous aimerez... » pouvant conduire les utilisateurs vers de nouvelles découvertes. Issus des données récoltées lors des transactions de l'ensemble des clients, ces systèmes de conseils s'avèrent particulièrement efficaces. L'intérêt d'Internet réside donc dans le fait qu'il peut permettre la diffusion plus grande de toutes les productions situées dans la longue traîne : des oeuvres qui se vendent peu, mais dont le cumul représente, finalement, peut-être plus de ventes potentielles que les hit-parades et les best-sellers.
Il s'agit bien entendu d'une vision utopiste de la diffusion des produits culturels sur Internet. Il n'est pas certain qu'à terme les échanges en ligne favorisent réellement la longue traîne.
Ajoutons à cette brève analyse que ce sont les sonneries de téléphones mobiles qui représentent à l'heure actuelle le marché le plus prometteur pour la musique en ligne. L'industrie musicale retrouve là une source de revenus important, par le biais d'un public qui n'est pas réellement composé de mélomanes.
Comme dans le marché physique du disque un même enregistrement peut être diffusé et vendu en ligne par des intermédiaires différents, avec des conditions différentes. Ce sont surtout les conditions d’utilisation qui peuvent varier.
2.1. Chaîne de diffusion
La chaîne de distribution de la musique en ligne peut se schématiser de la façon suivante. Le chemin noir étant le plus commun.
L'apparition de la distribution de musique en ligne à la fin des années nonante avait fait naître l’utopie de la distribution directe de musique, sans l’intermédiaire du label (circuit grisé). A l’heure actuelle, les carrières, même modestes, bâties sur ce modèle restent l’exception (Wunsch-Vincent & Vickery, 2005).
Les notions d’agrégateur et de plate-forme sont spécifiques au mode de distribution. Il convient donc de les définir plus précisément.
2.2. Agrégateurs de contenus
En règle générale, les catalogues d'oeuvres numérisées sont constitués par des agrégateurs de contenus de type B2B (business to business). L’agrégateur prend en charge le traitement des aspects légaux et techniques. Il vend ensuite son catalogue aux sites de vente aux particuliers. « On demande distribution » http://www.ondemanddistribution.com/FR/company.asp (OD2), leader sur le marché européen fournit ainsi la plupart des grands sites de vente à l’exception d’iTunes.
Notons que certains agrégateurs sont spécialisés dans les catalogues indépendants. Ioda http://www.iodalliance.com par exemple fournit le site Bleep http://www.bleep.com, spécialisé dans les labels de musique électronique, mais aussi iTunes et… OD2.
Les imbrications s’avèrent complexes. Il n'est pas toujours facile de déterminer quel agrégateur se « cache » derrière une plate-forme, mais il ressort que la plupart des sites proposent en gros le catalogue OD2. Voilà qui ne va pas forcément dans le sens d'une plus grande diversité des contenus dans le domaine numérique.
2.3. Plates-formes de vente
Nous retrouvons certes les intervenants qui pèsent dans le marché physique du disque. Les grandes surfaces culturelles d'abord comme la Fnac http://www.fnacmusic.com par exemple et leurs équivalents dans la distribution par Internet comme Alapage http://www.alapage.com par exemple. Les grandes surfaces alimentaires elles aussi bien présentes sur le marché du disque prennent position avec la musique en ligne, comme par exemple Migros http://www.exlibris.ch/downloadm.aspx en Suisse.
De nouveaux acteurs plus ou moins attendus, semblent appelés à jouer un rôle important dans ce contexte.
Il s'agit tout d'abord des deux grands concurrents du monde de l'informatique. Apple exploite iTunes http://www.apple.com/fr/itunes/overview, tandis que Microsoft vend de la musique sur son portail MSN http://fr.ch.msn.com, où nous retrouvons le fameux catalogue OD2. Les motivations des constructeurs d'informatique apparaissent relativement claires. Il s'agit de promouvoir leurs logiciels, lecteurs multimédia et solutions de gestion des droits numériques.
Pour Apple s'ajoute une préoccupation de constructeur d'électronique, puisque sa plate-forme lui sert aussi à promouvoir son fameux baladeur iPod.
Nous rencontrons aussi dans le monde de la musique en ligne un fort investissement des fournisseurs d'accès Internet. Wanadoo en France par exemple http://www.wanadoo.fr. Pour ceux-ci, il apparaît clairement que la musique constitue un excellent moyen d'attirer ou de fidéliser des clients pour leurs offres haut débit.
La musique semble constituer un très bon moyen de générer du trafic et donc des revenus publicitaires pour les sites de type portail. Yahoo investit fortement dans le contenu musical, comme on le verra plus loin.
Des portails spécialisés, comme le portail d'informatique 01net http://musique.01net.com utilisent aussi la musique comme produit d'appel.
Finalement, la musique en ligne semble être considérée comme un excellent produit marketing. Certaines grandes marques l'utilisent pour leur image. C'est par exemple le cas de Coca-cola http://www.mycokemusic.ch.
Bien entendu, cette utilisation publicitaire de la musique n'est pas nouvelle. Toutefois, si l'on repense en terme de concurrence, comment notre médiathèque publique rivalisera-t-elle avec les millions de titres proposés par les marchands de limonades?
3. Nouveaux usages
Certains auteurs relèvent des évolutions marquées dans les pratiques et usages liées à l'écoute avec le développement de la musique en ligne (Bogucki Duncan & Fox, 2005).
La musique devient de plus en plus « portable », on peut l’écouter partout, tout le temps. Un baladeur à disque dur de taille moyenne peut stocker 10'000 titres.
Le disque en tant que tel semble perdre de son importance. En effet, avec l’échange puis la vente en ligne, on se dirige vers un marché de la chanson et non plus de l’album. L’utilisateur compose sa propre compilation. (Davet, 2005 ; Wunsch-Vuncent & Vickery, 2005)
Enfin, une offre plus riche en terme de contenu documentaire semble pouvoir se développer. L’éditeur ou l’artiste n’est plus limité par le livret du CD, tous les contenus additionnels peuvent être imaginés. (Anderies, 2005). Les possibilités de recherche augmentent grâce aux méta-données.
Le sociologue Jean-Samuel Beuscart (Guillaud, 2005) a étudié les usages et pratiques des internautes utilisant le peer-to-peer. Pour lui, la modification des comportements liés à la musique s'amorce dans les années 60. Depuis cette date, il apparaît que les générations successives écoutent toujours plus de musique. Le public devient en outre de plus en plus éclectique dans ses goûts. Les genres musicaux jouent un rôle important dans la construction identitaire.
Il identifie deux grands profils d'usagers du peer-to-peer. Le « collectionneur » qui accumule un maximum d'enregistrements et le « sampler » qui va tester des nouveautés grâce à cet accès gratuit et ensuite acheter les disques qu'il juge intéressants.
Ces usages nous semblent assez similaire à ceux, qu'empiriquement, nous pouvons observer dans nos discothèques de prêt. Notre question de départ ne paraît donc pas tout à fait inutile, comment pourrons-nous jouer notre rôle de médiateurs face à la concurrence de réseaux peer-to-peer, puis des offres légales?
Krstulovic et Martin (2005) relèvent eux un déplacement de valeurs. Ce n'est plus tellement la bonne musique que recherche le public mais la bonne expérience musicale. Ce sont donc plutôt les échanges liés à la musique qui se trouvent valorisés. Les concerts, mais aussi toutes les formes de dialogue plus ou moins direct avec les artistes et entre amateurs que permet Internet. Là aussi, nos pratiques de médiathécaires ne paraissent pas tout à fait hors champs. Médiations et animations consacrées au disque représentent bien une valorisation de l'échange. Reste la question de savoir comment nous les transposerons « en ligne ».
4. Formats de compression et mesures techniques de protection
Le fameux acronyme mp3 est fréquemment utilisé pour évoquer la musique sur Internet ou les baladeurs numériques. Or, il ne s'agit que d'un format de compression parmi d'autres. Il reste certes le plus courant, mais s'avère en fait le moins utilisé dans le cadre de la musique légale. En effet, ce format n'inclut pas de système de gestion des droit numériques (en anglais : digital rights management, DRM) et ce n'est donc pas le format utilisé par la plupart des plates-formes de vente. Ce sont donc plutôt ces DRM qui se trouvent au coeur de la problématique.
4.1. Formats de compression
Il existe d'innombrables sites discutant des qualités respectives des différents formats. Nous n'entrerons pas ici dans ce débat.
Nous nous limiterons à signaler que, techniquement, ils se répartissent en deux grandes familles que l'on retrouve d'ailleurs pour tous les types de formats de compression, à savoir si le format est destructif ou non. Les formats couramment utilisés sont destructifs, car cette technique permet un meilleur gain de place pour un temps de calcul moindre.
D'une manière très simplifiée, un format audio destructif va supprimer certaines données considérées comme inaudibles. Bien entendu cette soustraction aura tout de même une influence sur le résultat.
Les formats non destructifs sont encore relativement peu utilisés, signalons dans cette catégorie les formats FLAC et Monkeyaudio. Apple propose aussi un format sans perte nommé Apple loseless. Ces formats peuvent réduire les tailles des fichiers en opérant uniquement à des calculs, ils sont donc plus « gourmands » en puissance informatique.
Le second niveau de description s'attache au statut légal du format. Là aussi il s'agit d'une constante de tous les types de formats informatiques. Ils sont propriétaires ou non, c'est-à-dire rattachés à une marque ou non. Ils peuvent être ouverts ou fermés. Un format ouvert voit son mode de codage des données publié et n'est pas protégé par un brevet ou un copyright. Un format est dit fermé s'il contredit l'une de ces conditions.
Paradoxalement, le mp3 n'est pas un format ouvert, il est protégé par un brevet. Son ancienneté sur le marché l'a toutefois rendu incontournable. On notera qu'Apple utilise un format fermé, mais dont il n'est pas propriétaire nommé AAC, tandis que Microsoft développe un format propriétaire : WMA.
Sony utilise aussi son propre format propriétaire ATRAC3.
Bien entendu, la multiplication des formats fermés propriétaires pose des problèmes d'interopérabilité entre les logiciels de lectures ainsi qu'entre les baladeurs numériques.
En réaction se sont créés des formats ouverts, principalement le format destructif Ogg Vorbis et les formats non destructifs FLAC et Monkeyaudio.
4.2. DRM
Les DRM désignent les techniques cryptographiques permettant de contrôler l’usage qui peut être fait d’un fichier. Il s'agit d'un verrou informatique reflétant la licence d'utilisation accordée. Ils gèrent notamment :
- la vente définitive d’un fichier, utilisable uniquement sur un nombre défini d’ordinateurs,
- la location d’un fichier (« chronodégradable », il devient inutilisable après une période donnée),
- l'écoute gratuite mais limitée en nombre de lecture,
- le contrôle du nombre de copie sur CD-R,
- le contrôle du nombre de transfert sur un appareil mobile,
- l'utilisation sur un appareil mobile de fichiers loués,
- la récolte d’information sur les utilisations du fichier (nombre d’écoute, durée…)
La solution DRM la plus présente sur le marché est celle de Microsoft (WMA DRM ou « Janus »). Elle est utilisée par la plupart des sites de vente. Elle est compatible avec la majorité des baladeurs – à l'exception de l'iPod d'Apple. Elle est bien entendu liée au format de Microsoft, le WMA. Elle implique l'utilisation de Windows et son logiciel de lecture « Media player ». Les autres systèmes d'exploitation sont de ce fait exclus.
Cette solution est en concurrence directe avec celle d’Apple (Fairplay) qui est couplée au format AAC et protège les titres vendus sur la plate-forme iTunes. Ce format DRM ne peut être décodé que par le baladeur maison, le iPod.
Il existe aussi d’autres solutions plus marginales. Sony notamment qui utilise sa propre solution DRM pour son site de vente et ses baladeurs.
Real http://www.real.com/musicstore avec sa technologie baptisée « Harmony » est l'un des seuls intervenants à jouer le jeu de l'interopérabilité. Cela lui avait d'ailleurs attiré les foudres d'Apple (Dumout, 2004). Cette couche logicielle permet d'assurer la compatibilité des morceaux vendus par Real avec son propre système DRM « Helix » ainsi qu'avec ceux de Microsoft et Apple.
Les solutions DRM, dans leurs applications actuelles, se trouvent au coeur d’un vaste débat. Les DRM pourraient constituer une solution à la gestion des droits d’auteurs et droits voisins pour les média en ligne. Ils pourraient ainsi servir pour les médiathèques à gérer le prêt en ligne de fichiers audiovisuels.
Il faut toutefois noter qu’ils représentent surtout à l’heure actuelle une réponse très rigoriste, voire paranoïaque pour certains, des majors au problème du téléchargement illégal.
Certaines associations de consommateurs s’élèvent actuellement contre l’application qui est faite des DRM, en ce sens qu’elle restreint de manière trop importante les droits de l’acheteur et pourraient mettre en danger le respect de la sphère privée (par la collecte d’information).
Le projet danois Netmusik, mettant à disposition de la musique en ligne pour les usagers de bibliothèques au format de Microsoft s’était à ce titre attiré les foudres du Conseil de la consommation de ce pays (Westh Nielsen, 2004).
5. Typologie des sites de musique en ligne
5.1. Modes de diffusion principaux
Deux principaux modes de diffusion semblent se dessiner, la vente à l'unité ou l'abonnement. Tous les sites ne proposent pas de formule d’abonnement. Les sites qui proposent des abonnements semblent proposer aussi la vente à l’unité à prix préférentiel.
5.1.1. Vente à l'unité
En ce qui concerne la vente au titre, le prix d’environ 1,50 Francs suisses semble être devenu la norme (0.99$ puis 0.99€ établis par les premiers sites de vente).
Ce prix peut être jugé comme relativement élevé, notamment compte tenu des restrictions d’usage importantes. Notons ainsi que la plupart des grandes plates-formes de ventes ne font que louer les fichiers, il deviennent inutilisables après 12 mois (Mariot, 2006). Paradoxalement, il semble que ce mode de vente se révèle peu rentable pour les plates-formes de vente en ligne (Krstulovic, 2005). Celles-ci ne touchent en effet qu'une part très faible de ce prix de vente. La plus grande partie étant absorbée par les frais de licences, versés aux agrégateurs puis aux maisons de disques.
5.1.2. Abonnement
Les abonnements mensuels sont proposés entre 5 $ et 15 $ selon les fournisseurs et surtout les options disponibles liées aux DRM. Durant la période de validité de sa souscription, le client a accès à l'ensemble des titres du catalogue et peut les télécharger, mais pas les graver sur un CD. Dès qu'il ne paye plus par contre, il n'a plus rien.
Les abonnements les plus chers permettent d’écouter les titres sur un appareil mobile sans qu’il soit connecté à Internet (par exemple « Rhapsody to go » http://www.real.com/rhapsody ou « Napster to go » http://www.napster.com . La validité de la licence – liée à la durée de l'abonnement – est vérifiée sur la base de l'horloge interne du baladeur.
Pour la petite histoire, Napster était il y a quelques années la bête noire des majors du disque, puisqu'il s'agissait de l'un des premiers réseaux peer-to-peer ayant conquis une très large audience, notamment dans les universités américaines. Actuellement, en plus de s'être « légalisé » (il ne fonctionne plus avec la technologie peer-to-peer, Napster propose ses services aux universités qui peuvent s'y abonner pour offrir du contenu musical sur leurs réseaux.
Yahoo propose un service similaire intitulé Yahoo music unlimited, lui aussi décliné en version écoute sur PC uniquement ou aussi sur baladeur http://music.yahoo.com/unlimited. A l'heure actuelle, il n'est accessible qu'aux États-Unis. Sur le marché européen, Yahoo propose aussi une section musique, mais elle se limite à des offres gratuites – des clips vidéo et des radios en ligne http://fr.launch.yahoo.com. Tim Roback, directeur de Yahoo music, cité par ZDNet (Dumout, 2006) estime que le marché francophone n'est pas encore prêt pour les offres payantes sur abonnement.
Les formules d'abonnements restent donc surtout développées sur le marché anglo-saxon. Notons que Napster a lancé depuis peu son service en Allemagne http://www.napster.de.
La société française MusicMe http://www.musicme.com semble se positionner en France sur ce type d'offre sur abonnement http://www.musicme.com/illimite.php.
Il ne faut toutefois pas s'y tromper. A l'heure actuelle, le service proposé reste très éloigné de ce qu'offrent Napster et consorts. Il s'agit en fait uniquement d'écoute en ligne (streaming (3) ) sur un catalogue relativement restreint (Champeau, 2006). L'abonnement permettant le téléchargement était annoncé pour mars 2006 (Dumout, 2006), mais il n'est pas arrivé. A l'heure actuelle, MusicMe reste surtout un moteur de recherche musical renvoyant sur les grandes plates-formes pour l'achat de téléchargement ou... de disques.
5.2. Modèles alternatifs
Les modèles décrits plus haut restent principalement les canaux de diffusion des productions des grandes majors du disque. La production indépendante y est encore peu présente (Nicolas & Conradsson, 2005 : p. 40-41). Il n'est pas du tout certain que la concentration du marché physique ne se retrouve pas en ligne.
Nous observons toutefois le développement de modèles alternatifs particulièrement intéressants. Ils sont le fait de deux courants : l'édition indépendante et une certaine frange de la communauté des internautes préoccupés par la diffusion démocratique des contenus. Si nous nous référons à nouveau à notre schéma de la « chaîne de diffusion», il s'agira des chemins grisés.
5.2.1 Vente sans DRM
Certains labels qui ne se trouvent pas dans le giron des grandes majors offrent une approche plus souple de la musique en ligne.
Si les fichiers musicaux de leurs catalogues sont aussi vendus – à des prix souvent proches de ceux proposés par les grandes plates-formes – ils ne comportent pas de DRM.
Il ne s’agit pas d’un choix technique, mais bien d’une politique. Le vendeur offre au client les mêmes possibilités qu’avec un CD qu’il aurait acheté : la copie privée sur support (CD-ROM gravé), un transfert libre sur des appareils mobiles sans contraintes de marques, la lecture sur plusieurs ordinateurs. Bien évidemment, si le client a une notion quelque peu biaisée de la notion de « copie privée », il serait à même d’offrir le fichier acquis sur un réseau illégal.
Certains grands labels de musique électronique se sont logiquement positionnés sur ce marché. Le label anglais Warp a ainsi lancé la plate-forme Bleep http://www.bleep.com sur laquelle sont vendues ses propres productions, mais aussi celles d'autres labels.
Certains sites se positionnent comme plate-forme pour les musiciens autoproduits. C'est ainsi le cas du site suisse Europamp3 http://www.europamp3.org. Là aussi, les fichiers musicaux ne comportent pas de DRM, il est en outre possible d'écouter entièrement les morceaux en streaming avant de les acheter.
Ces plates-formes mettent en avant leurs contenus « libre de DRM », mais finalement, elles restent dans leur modèle économique proche des grandes plates-formes décrites plus haut.
5.2.2. DRM alternatif
Il existe un modèle alternatif basé sur les DRM, il s'agit de la technologie Weed. On en trouvera description sur le site Weedfrance http://www.weedfrance.com.
Le modèle s'avère assez curieux. Il garantit une rémunération constante à l'artiste, de 50% du prix de vente pour chaque transaction, tout en versant aussi une commission à chaque vendeur. C'est à dire qu'un internaute qui revend un fichier touche 10% du prix de vente. Il s'agit de créer une chaîne de diffusion répartie. Un utilisateur peut ainsi tout à fait placer un morceau acquis sur un réseau peer-to-peer. Si d'autres utilisateurs l'achètent, il touchera une commission. À la vue du catalogue disponible, ce système reste encore très marginal.
5.2.3. Le peer-to-peer légal
Comme nous l’avons vu, Napster s’est « légalisé » en abandonnant la technologie peer-to-peer.
Certaines entreprises tentent, toujours outre Atlantique, de rentabiliser des réseaux de ce type, fonctionnant avec l’accord des ayants droits (Rauline, 2006). Les modèles économiques ne semblent pas encore très clairs. La plupart fonctionnent tout de même avec l’abonnement ou le téléchargement payant au titre. Il semblerait, toujours selon Rauline (op. cit.), qu’une société projette un réseau rémunérant les ayants droits grâce à la publicité.
Il n’est de loin pas certain que ce type d’offres commerciales « convertisse » les adeptes du peer-to-peer illégal, car à l’heure actuelle ces modèles restent relativement restrictifs (Champeau, 2005). La donne pourrait probablement changer si des modèles basés sur la publicité se développaient réellement. Ceux-ci deviendraient de redoutables concurrents dans le monde de la musique en ligne.
5.2.4. Vers le Web 2.0
Le Web 2.0 est une étiquette placée sur les technologies les plus innovantes du Web, notamment celles qui favorisent les échanges entre internautes et celles sur lesquelles s'appuient les sites de services. Il s'agit d'un concept assez vaste, pour ne pas dire flou. Tim O'Reilly, considéré comme l'un des inventeurs du concept en a donné sa définition dans un article traduit par InternetActu (O'Reilly, 2006)
La musique représente un domaine où les potentialités du Web 2.0 s'avèrent particulièrement parlantes.
Ainsi le peer-to-peer. Selon la logique Web 2.0, il s'agit d'une technologie visant à répartir les coûts en bande passante entre les utilisateurs. C'est aussi un outil qui peut amener des échanges entre ces utilisateurs, même si l'on peut estimer que ces pratiques restent minoritaires (Guillaud, 2005).
Le phénomène des blog peut aussi s'étiqueter Web 2.0. Les blogs musicaux sont devenu en peu de temps des sources incroyablement riches pour l'information musicale. Tout un chacun peut publier au jour le jour ses critiques accompagnées des morceaux concernés. Nous retrouvons ainsi un élément de la longue traîne : la multiplication de sources très spécialisées dans des courants musicaux pointus, améliorant la visibilité et éventuellement la disponibilité des enregistrements correspondants.
Les ayants-droits ne sont que rarement rémunérés et cette pratique reste donc souvent illégale. Toutefois les objectifs de la diffusion par les blogs étant très différents de celle des réseaux peer-to-peer, la plupart des blogs musicaux semblent à l’heure actuelle tolérés. De plus du fait qu’ils se situent en général dans des « niches » restreintes et peu commerciales, certains sont même considérés par les petits labels comme des moyens de promotion tout à fait intéressants. (Alden, 2005)
Napster, qui avait déjà « légalisé » le peer-to-peer, semble s'attaquer maintenant au phénomène blog. Son site américain propose maintenant le streaming gratuit des morceaux, limité à 5 écoutes. Le blogueur est invité à créer des liens sur son site grâce à Napster.links http://www.napster.com/napsterlinks. Son visiteur pourra ainsi écouter le morceau concerné – 5 fois – via Napster... puis l'acheter ou s'abonner à Napster.
Les clients (ou futurs clients!) de Napster sont aussi encouragés à participer, N-archive propose à tout un chacun de rédiger des rédactionnels sur son groupe, son courant musical favori et à illustrer ceci par les liens Napster.links. La boucle est bouclée.
Napster se positionne ainsi à notre avis comme l'un des futurs grands acteurs de la musique en ligne et comme un sérieux concurrent pour les médiathèques.
Myspace http://music.myspace.com représente aussi un cas intéressant. Il s'agit de l'un des plus vastes réseaux sociaux (Blecher, 2005), revendiquant plus de 40 millions de membres inscrits. Il offre à tout un chacun de créer sa page Internet. Orienté dès le départ sur la musique, il permet aux artistes de déposer leurs morceaux sur leurs pages, en streaming et d'en autoriser ou non le téléchargement. Les musiciens présents sur Myspace vont maintenant du petit groupe espérant ainsi se faire connaître aux grandes stars.
Le concept de radio en ligne évolue aussi dans la perspective du Web 2.0. Ainsi la radio gratuite proposée par Yahoo France http://fr.launch.yahoo.com, outre des stations thématiques, propose une radio personnalisable. Après avoir défini ses genres et artistes favoris, l'utilisateur se voit suggérer des titres par le système. L'auditeur peut noter les morceaux qui lui sont diffusés et ainsi influencer le « comportement » de la radio. L'ensemble des notations permet de définir des similitudes. Il est aussi possible de partager sa station avec des amis (inscrits à Yahoo...)
La radio en ligne Last.fm http://www.last.fm est aussi personnalisable. Elle pousse encore plus loin l’interaction avec l’utilisateur. Celui-ci dispose d’un profil évoluant selon ses écoutes. Il peut en plus attribuer des mots-clefs, des « tags », aux morceaux écoutés, selon le principe de « folksonomy (4) ». On découvre ainsi une classification tout à fait surprenante – à faire frémir d'horreur un bibliothécaire – mais qui, pourquoi pas, pourrait nous conduire à de nouvelles découvertes.
Les auditeurs peuvent aussi participer à la rédaction d’articles consacrés aux artistes, découvrir d’autres utilisateurs ayant des goûts musicaux proches et interagir avec eux.
5.2.5 Podcasting
… ou « baladodiffusion », terme francophone retenu officiellement par les québécois.
Le néologisme « Podcasting » est une contraction de la marque de baladeurs iPod et du mot anglais broadcasting.
Il s’agit de l’application aux contenus audio de la technique de diffusion d’informations RSS. Le RSS permet à l’utilisateur de souscrire un flux d’informations diffusé par un site web au format xml. Ce flux permet à un logiciel lecteur RSS d’afficher en permanence un sommaire mis à jour du site. Le flux RSS est particulièrement adapté aux blogs.
Étendue au domaine audio, cette technique permet de mettre à disposition des émissions. Le lecteur podcast installé sur l’ordinateur client permet de s’abonner à différents « flux », de télécharger automatiquement les nouveaux fichiers, et de synchroniser ceux-ci avec un baladeur. Contrairement à ce que le nom podcasting pourrait laisser entendre, les fichiers peuvent aussi être lus sur l’ordinateur.
De plus en plus de radio diffusent des émissions par ce biais, mais comme le blog, le podcast n'est pas avant tout un outil de professionnel.
5.3. Contenus libres
Les modèles alternatifs de musique en ligne les plus prometteurs sont à notre avis à rechercher du côté des contenus libres.
En réaction au verrouillage des oeuvres par l'industrie culturelle se développent de multiples mouvements recherchant d'autres moyens de diffuser la culture sur Internet. Ils s'inspirent du mouvement des logiciels libres et de la « Licence publique générale » (GNU).
Bien que les contenus libres soient souvent associés à la gratuité, ce n'est pas forcément l'aspect fondamental. Il s'agit avant tout de garantir les possibilités de diffusion des oeuvres et des idées sur Internet. Selon cette philosophie, les artistes y trouveront leur compte, profitant d'Internet comme d'un outil de promotion et de diffusion d'idées et gagnant leur vie grâce à la vente de disques, d'entrées aux concerts, des droits de diffusion dans les média et aux dons des internautes.
De nombreuses licences libres existent. L'une des plus « dynamiques » à l'heure actuelle semble être « Creative Commons », abrégée « CC ». Il faut d'ailleurs préciser qu'il s'agit d'un ensemble de licences qui regroupent la plupart des caractéristiques des différentes approches. Un vaste réseau promeut l'usage de ces licences http://creativecommons.org. Des juristes s'emploient notamment à les adapter aux différentes législations. Ce travail est en cours pour la Suisse http://creativecommons.org/worldwide/ch.
Les Creative Commons se déclinent en 6 licences qui combinent différentes restrictions d'utilisation. Les licences possèdent des conditions communes notamment l'autorisation de diffuser gratuitement des copies de l'oeuvre.
Dans les restrictions des différentes licences notons l'interdiction d'une utilisation commerciale sans autorisation et l'interdiction de produire des oeuvres dérivées.
Les licences Creative Commons sont aussi très sérieusement développées sur le plan technique. Les différentes façons de les inclure dans les méta-données sont bien documentées.
De nombreux sites reflètent la créativité de cette mouvance. Nous citerons notamment Musiclibre.org http://www.musique-libre.org, portail associatif visant à promouvoir la musique libre.
Le site Rezal404 référence un nombre considérable de sites diffusant de la musique libre http://rezal404.org/wikini/wakka.php?wiki=PagePrincipale.
Nous décrirons finalement deux sites dédiés à la musique libre particulièrement intéressants, en ce sens qu'ils utilisent des technologies Web 2.0 de manière assez poussée.
5.3.1. Jamendo
Jamendo http://www.jamendo.com utilise le concept de « folksonomy ».
Les artistes décrivent le genre qu'ils jugent approprié pour leur musique, mais les utilisateurs vont ensuite pouvoir renseigner leurs propres mots-clés, pour les albums qu'ils apprécient.
Les utilisateurs sont aussi invités à poster leurs critiques et à interagir sur des forums. Ils ont aussi la possibilité de soutenir les artistes qui leur plaisent par des dons.
Les morceaux peuvent être écoutés en ligne, ou téléchargés sur des réseaux peer-to-peer.
5.3.2. BNflower
Bnflower http://www.bnflower.com/indexFR.htm repose sur un concept particulièrement simple et s'estampille lui-même « résolument Web 2.0 ».
Ce site, par le biais de son forum, souhaite faire le lien entre musiciens indépendants et internautes disposés à les promouvoir. Le musicien, nommé « fleur » met la musique libre à disposition, l'internaute qui maîtrise les technologies de diffusion, nommé « abeille » va l'aider à se faire connaître. Il s'agit d'un bel exemple de réseau social. Le site souhaite aussi promouvoir l'économie du don.
6. Offres destinées aux bibliothèques
Après ce tour d'horizon de la musique sur Internet nous décrirons quelques offres spécifiquement destinées aux bibliothèques.
6.1. Bases de données d'écoute
Il existe des bases de données musicales permettant l'écoute en ligne, en streaming. Leur intérêt reposera sur le contenu documentaire qui peut être associé aux oeuvres.
Le label classique Naxos http://www.naxosmusiclibrary.com en propose une, ainsi que l’éditeur américain Alexander Street Press http://alexanderstreet.com/products/disc.htm#music. Ces bases de données peuvent être offertes à la consultation sur place, dans les locaux de la bibliothèque, mais aussi, selon les licences payées, fournies aux usagers en accès à distance.
6.2. Prêt de fichiers musicaux
Les bibliothèques danoises ont mis en place un système de prêt en ligne de musique : Netmusik https://www.bibliotekernesnetmusik.dk (Westh Nielsen, 2004).
Il permet aux usagers d'emprunter des fichiers musicaux pour une durée d'un à sept jours. Il utilise les DRM Microsoft. Le catalogue contient environ 100'000 titres, de production locale, mais aussi internationale, négociés pour ce mode de diffusion.
La société américaine Overdrive propose aux bibliothèques une plate-forme gérant le prêt de document en ligne appelée Digital library reserve http://www.dlrinc.com. Elle a débuté avec le texte (ebooks), continué avec les livres audio et, depuis cette année, gère aussi des contenus musicaux et vidéo. Ici aussi, pour les fichiers audiovisuels ce sont les DRM de Microsoft qui sont appliqués. Ce service semble particulièrement bien implanté aux États-Unis.
La Médiathèque de l'agglomération Troyenne fait figure de pionnière en France et développe une solution originale de prêt qui semble ne pas devoir reposer sur des DRM propriétaires. Baptisée Ithèque http://www.mediatheque-agglo-troyes.fr/bmtroyes/_/itheque/itheque.htm, elle devrait permettre le téléchargement de fichier chronodégradables. Cette solution est gérée par la société canadienne Tonality http://www.tonality.ca.
7. Conclusion
Même si les services de musique en ligne restent encore rares dans les bibliothèques publiques, deux conclusions nous paraissent évidentes.
Premièrement, il semble important pour les bibliothèques de se positionner dans le domaine, du fait des nouveaux usages que la musique en ligne induit dans leur public. Deuxièmement, les offres de musique en ligne destinées spécifiquement aux bibliothèques semblent à nos portes.
Reste à savoir quelle attitude nous allons adopter face à ces nouveaux modes de diffusion, pour ne pas dire, quelle position allons-nous défendre.
L'exemple scandinave montre qu'il est possible de développer des services de musique en ligne plus ou moins sur mesure, basés sur un catalogue principalement national. Mais ce type de plate-forme s'avère coûteux : la création de Netmusik était financée par le ministère danois de la culture à hauteur de 550'000 Euros (Westh Nielsen, 2004).
Des services « clés en mains » vont se développer sur le modèle de Digital library reserve. Ces services auront aussi un certain prix – ce qui est normal, mais leur usabilité s'avérera-t-elle satisfaisante pour nos usagers ? En d'autres termes, lorsqu'ils les mettront en concurrence avec les plates-formes commerciales, y trouveront-il un avantage?
Ces catalogues en ligne pour bibliothèques resteront probablement très en deçà de ce qu'offriront les plates-formes payantes en nombre de titres. L'accessibilité des titres laissera à désirer (« ce titre est déjà emprunté, désolé, revenez plus tard! »). Les DRM seront perçus comme particulièrement restrictifs (c'est d'ailleurs déjà le cas, nous semble-t-il, avec la plate-forme danoise). Ces systèmes cherchent à transposer dans le numérique la bibliothèque physique, avec ses contraintes : la durée de prêt limitée, le nombre d’exemplaires restreint.
Enfin, débat déjà familier à nos collègues des bibliothèques scientifiques avec les périodiques, nous nous trouverons pieds et poings liés aux éditeurs et aux technologies informatiques propriétaires.
Les bibliothèques publiques ont peut-être finalement un plus grand rôle à jouer du côté de la musique libre. Que l'on nous permette pour conclure de défendre une approche militante (utopiste?) de la musique en ligne pour les bibliothèques.
Il ne s'agit pas de profiter d'une gratuité, mais de défendre une certaine idée de la diffusion de la culture qui est probablement la plus proche de la nôtre : la plus simple d'accès, ouverte à tous et visant à nourrir le débat et la créativité du plus grand nombre.
Sur le plan des technologies du Web, nous avons en outre pu constater que se trouvait dans ce domaine de fort belles réalisations.
Les bibliothèques souhaitent jouer leur rôle dans la société de l'information, en offrant des accès à Internet, en sélectionnant des ressources de qualité, en guidant les usagers dans ce paysage informationnel complexe.
La promotion de la musique libre constituera peut-être une pierre supplémentaire à cet édifice. Elle pourra peut-être aussi représenter une participation du monde des bibliothèques à ces réseaux sociaux qui se dessinent actuellement avec le Web 2.0.
Notes
(1) En deux mots, le « peer-to-peer » est un modèle de réseau dans lequel les différents intervenants jouent à la fois le rôle de client et de serveur. Il peut être utilisé pour toutes sortes d’applications : répartition du travail de calcul entre plusieurs ordinateurs ou, comme dans le cas qui nous intéresse, échange de fichiers. Les échanges sont répartis entre tous les nœuds du réseau. Les applications peer-to-peer sont donc très difficiles à contrôler (pour le respect des droits d’auteurs par exemple). Il n’est pas possible de simplement fermer quelques serveurs centraux pour arrêter un réseau de ce type. L’expression est très fréquemment abrégée « P2P ». Les tentatives de traduction française sont « point à point », « poste à poste », « pair à pair », « égal à égal ». Nous conserverons dans cet article l’expression anglaise.
(Source Wikipédia http://fr.wikipedia.org/wiki/Peer_to_peer)
(2) Les motivations des différents intervenants sont détaillées par Wunsch-Vincent et Vickery (2005 : p. 10-11)
(3) On parle de « streaming » lorsque le fichier audiovisuel joué n’est pas téléchargé sur le poste client mais lu au fur et à mesure sur le serveur. Le client ne peut donc normalement pas enregistrer directement le fichier.
Le streaming possède de nombreuses applications :
- Radio en ligne
- Extraits musicaux sur les sites de vente de CD
- Extraits musicaux sur les sites de vente de fichiers
- Illustration sonore pour un site
- Bases de données musicales en ligne.
(4) Néologisme désignant un système de classification spontané, non structuré, tout en étant centralisé.
(Source Wikipédia http://fr.wikipedia.org/wiki/Folksonomie)
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L'intérêt d'évaluer tout système de Records management: enseignement de la pratique dans un département de l'Etat de Genève
Ressi — 9 octobre 2006
Résumé
Malgré les bénéfices qu'il peut apporter, la mise en place d'un programme de Records management au sein d’une institution ne va pas de soi: cela implique généralement le bouleversement des pratiques en place.
Tout comme l'acceptation de tels changements n'est possible qu'en accompagnant de façon soutenue les utilisateurs, le maintien du système nécessite la planification de contrôles réguliers. Cette étape est d’ailleurs clairement mentionnée dans la norme ISO 15 4 89 Records management.
L'intérêt d'évaluer tout système de Records management: enseignement de la pratique dans un département de l'Etat de Genève.
Introduction
Je ne reviendrai pas ici sur les avantages que peut retirer une organisation, quelle qu'elle soit, à instaurer un programme de Records management pour gérer ses documents. Nombre d'ouvrages et d'articles ont développé cet aspect en détail.
Malgré les bénéfices qu'il peut apporter, la mise en place d'un tel programme ne va cependant pas de soi: cela implique généralement le bouleversement des pratiques en place, l'introduction de nouvelles procédures de travail, voire d'une nouvelle culture au sein de l'institution concernée.
Tout comme l'acceptation de tels changements n'est possible qu'en accompagnant de façon soutenue les utilisateurs, le maintien et la pérennité du système nécessite la planification d'évaluations, d'audits réguliers.
Cette étape est d’ailleurs clairement mentionnée dans la norme ISO 15 4 89 Records management, qui préconise de "procéder régulièrement à un contrôle de conformité, pour s'assurer que la mise en œuvre des méthodes et procédures du système d'archivage respecte les politiques et les contraintes de l'organisme et que les résultats correspondent aux attentes. Il convient que de tels contrôles prennent en compte la performance du système et la satisfaction des utilisateurs". En bref, pas de système de Records management pertinent et efficient sans contrôle périodique.
En tant qu’archiviste de l’ex Département de l’action sociale et de la santé du Canton de Genève, ou DASS (je suis aujourd’hui archiviste du nouveau département de l’économie et de la santé, le DES), j'ai eu l'occasion de définir une politique départementale de gestion des documents, de mettre en place un système de Records management, et d'aller jusqu'à cette étape capitale qu'est l'évaluation. Je souhaite ici partager cette expérience en expliquant dans quel contexte cela a été possible, les raisons qui ont motivé ce projet et enfin le plan d'action défini pour mener à bien ma mission.
1.Quel contexte pour quelle évaluation?
a) Contexte législatif genevois
A Genève, l’activité des archivistes de département s’inscrit dans le cadre d’une série de législations cantonales. La principale référence est la loi sur les archives publiques (LArch B 2 15) du 1er décembre 2000, complétée par son règlement d’application du 21 août 2001. Ces textes, issus d’une refonte complète de dispositions antérieures (1), devenues au fil du temps et des remaniements partiels obsolètes, incomplètes ou franchement disparates, s’appliquent à l’ensemble des archives publiques genevoises; celles-ci sont formées des fonds d’archives et collections réunis aux Archives d’État (AEG), et des archives des institutions publiques, qu’il s’agisse des institutions dépendant de l’ancienne République de Genève, des autorités législatives, exécutives et judiciaires, des autorités communales, de leurs administrations et commissions respectives ou des établissements et corporations de droit public cantonaux et communaux. Outre la définition classique de concepts archivistiques empruntée à la littérature professionnelle, le législateur (le Grand Conseil) et son pouvoir exécutif (le Conseil d’État) ont choisi de faire figurer dans les différents articles un ensemble de dispositions relatives à l’organisation de l’archivage, au traitement des dossiers et à leur diffusion.
Une nouvelle loi dédiée à l’information du public et à l’accès aux documents (LIPAD A 2 08) est par ailleurs entrée en vigueur le 1er mars 2002. Désormais, ce n’est plus le secret qui est la règle, mais bien la publicité de l’information, " dans toute la mesure compatible avec les droits découlant de la protection de la sphère privée, en particulier des données personnelles, et les limites d’accès aux procédures judiciaires et administratives " comme le stipule d’emblée l’article 1. Cette législation présente la particularité d’obliger explicitement, dans son article 17, " les institutions publiques à adopter des systèmes adéquats de classement des informations qu’elles diffusent ainsi que des documents qu’elles détiennent, afin d’en faciliter la recherche et l’accès ". Au moment de son entrée en vigueur, les dispositions transitoires de l’article 41 leur octroyaient " un délai de deux ans ?…? pour adopter et mettre en oeuvre des systèmes de classement de l’information et des documents qu’elles détiennent qui soient adaptés aux exigences de la présente loi ".
Ces injonctions ont eu pour effet bénéfique la création de plusieurs postes d’archivistes de département dont la mission fondamentale, une fois accomplie la mise en place de ces systèmes, s’inscrit dans le cadre plus général de la législation sur les archives publiques.
b) Politique de gestion documentaire du DASS
Début 2003, le Département de l’action sociale et de la santé a engagé une démarche d'organisation de sa gestion documentaire dans le but de répondre aux besoins de ses collaborateurs en adoptant un système clair, rationnel et efficace. Cette démarche s'inscrit en outre, comme cela vient d’être précisé, dans un mouvement général amorcé au niveau de l'Etat: l'entrée en vigueur de la LIPAD a engendré la nomination d'un archiviste responsable au sein de chaque département pour assurer une bonne gestion des documents, conformément aux besoins exprimés par les collaborateurs et aux principes édictés par les Archives d'Etat.
J'ai ainsi été mandatée pour conduire l'analyse des besoins du département en la matière, avec comme objectif de proposer une politique de gestion des documents conforme à la fois aux besoins du département, aux dispositions légales cantonales et aux normes de Records management. Ce travail s'est fondé sur l'étude des activités et missions du département, sur la nature des dossiers qui en découlent, sur l'évaluation des systèmes de classement existants ainsi que sur les conditions de stockage et de conservation des archives.
Plusieurs constats se sont imposés suite à cette analyse:
- Tout d'abord l'existence d'une grande disparité au sein du DASS en matière de gestion des archives. Certains services avaient en effet instauré des politiques de gestion des documents s'accordant avec les recommandations légales ; d'autres avaient mis en place des plans de classement thématiques qui répondaient aux besoins du service, mais dont l'organisation générale devait être revue ; d'autres encore ne disposaient d'aucun système cohérent.
- Ensuite la gestion des archives intermédiaires n'était pas organisée, ce qui provoquait des problèmes de repérage, voire de perte de l'information à moyen et long terme, ainsi que de sérieux problèmes de stockage. Un important arriéré d'archives existait dans la majorité des services, qu'il a été nécessaire de traiter rapidement afin de pouvoir procéder à des éliminations et à des versements d'archives aux Archives d'Etat. Cette étape a été essentielle pour pouvoir repérer et préserver les documents importants qui étaient jusqu'alors conservés dans des conditions inadaptées, et libérer des espaces de stockage.
A partir de ce premier état des lieux, les besoins du département ont pu être clarifiés et précisés. En voici la liste:
- unifier le processus de traitement et de classement des documents
- repérer rapidement l'information recherchée
- avoir une vision globale des documents produits ou reçus au sein du département
- limiter la masse de papier et éviter les doublons entre services
- assurer une meilleure circulation de l'information au sein du département
- assurer une bonne gestion du cycle de vie des documents pour éviter toute accumulation de documents devenus inutiles
- définir des responsabilités vis-à-vis des documents
- répondre aux exigences légales fixées (citées plus haut)
- s'inscrire dans une dynamique transversale commune aux départements de L'Etat en définissant des principes communs de Records management.
Parallèlement à l'analyse des besoins, l'étude organisationnelle du département a permis de relever les caractéristiques suivantes:
- une bonne répartition des niveaux de responsabilités décisionnelles entre les directions, la présidence et le secrétariat général
- une grande disparité entre les activités des différents services opérationnels et peu de points communs dans leur fonctionnement
- un éclatement géographique du département (7 sites différents).
.
L’élaboration de la politique de gestion documentaire devait nécessairement prendre ces facteurs en considération. Il est en effet important de s’adapter à la réalité de l’institution pour laquelle on travaille, afin de lui fournir un système qui soit applicable et appliqué. Il n’y a pas de système unique que l’on peut instaurer de façon systématique, il s’agit au contraire de trouver la bonne combinaison de procédures archivistiques qui correspondent à l’organisation de l’institution et qui répondent à ses besoins. Des changements organisationnels peuvent cependant être proposés s’ils permettent d’améliorer la gestion des documents de façon significative. Dans ce cas de figure, une analyse approfondie doit être faite pour définir les avantages que l’on en retirera ainsi que des ressources que cela implique.
Quatre axes ont été suivis durant cette année et demie écoulée afin de mettre en œuvre la politique définie.
1er axe - Gestion des archives courantes
Le travail entrepris a consisté, d’une part, à recenser et évaluer l’ensemble des dossiers traités au sein de chaque service afin d’avoir une cartographie complète de la production documentaire du département, et, d’autre part, à unifier le système de classement en définissant un cadre de classement départemental, appliqué dans tous les services. Ceci a abouti à:
- l'application d'un plan de classement normalisé au sein de chaque service pour les dossiers papiers.
- la mise en place d'une gestion cohérente des documents bureautiques: des arborescences de référence ont été développées au sein de chaque service, conformément au plan de classement défini. La même logique de classement est donc adoptée pour les dossiers papier et informatique, ce qui facilite les recherches des utilisateurs. Ceci permet en outre d'éviter la multiplication des doublons et des versions de documents: un document n'est classé qu'une seule fois et disponible pour tous, son état (document de travail, version validée,…) est précisé clairement soit dans son titre, soit dans ses propriétés.
2ème axe – Gestion des archives intermédiaires
Deux actions ont été menées en parallèle:
- le traitement de l’arriéré d’archives des différents services. Ces documents ont été localisés, recensés, analysés puis évalués. Des propositions de destruction ou de conservation ont ensuite été soumises aux Archives d'Etat pour validation. Des destructions et des versements aux Archives d'Etat ont été planifiés et organisés. Ces opérations ont permis d'une part de dégager de l'espace de rangement dans les bureaux, de l'espace de stockage dans les locaux d'archivage, et, d'autre part, de libérer des locaux qui ont pu être réaménagés en bureaux.
- la définition et la mise en œuvre d’un système de gestion approprié des archives intermédiaires. Une directive très précise a été établie afin de définir le processus d'archivage des dossiers. Tous les dossiers archivés sont dorénavant conditionnés en boites archives et enregistrés dans une base de données, administrée par l'archiviste de département. Cet outil permet de gérer les espaces de stockage, de rechercher rapidement les dossiers archivés, et de gérer les destructions et versements aux Archives d’Etat.
3ème axe – Relations avec les institutions publiques dépendant du DASS
Une enquête a été lancée en mars 2004 auprès des institutions et des services placés sous la surveillance du DASS et soumis à la LIPAD, afin d’établir un état de la situation de la gestion des documents en leur sein.
Au vu de l’importance des résultats attendus, ce travail a été repris en interne suite à l’abandon du projet initial lancé par la Chancellerie en 2002, qui devait concerner l’ensemble des institutions publiques du Canton. L’analyse des besoins en matière de gestion des documents des institutions publiques autres que celles dépendant du DASS reste encore à faire aujourd’hui.
L’analyse des résultats a rendu possible la diffusion de recommandations personnalisées en matière de gestion des documents aux établissements s’engageant dans un travail d’organisation de leurs archives. Elle a également conduit à organiser des séances de coordination régulières entre les archivistes de la FSASD, de l’Hospice général, des Hôpitaux Universitaires de Genève et de l’archiviste de département afin d’harmoniser les politiques de gestion documentaire développées et de travailler ensemble sur des problématiques communes, comme la gestion électronique des documents par exemple.
4ème axe – Les relations interdépartementales
Des échanges réguliers ont été développés tant avec les Archives d’Etat qu’avec les autres archivistes de département, permettant de mener une action commune et coordonnée. Cette collaboration a notamment abouti à la définition d'un calendrier de conservation de référence pour les dossiers de gestion des administrations publiques genevoises.
En complément à ces quatre axes de travail, des directives ont été émises pour fixer et décrire les processus à suivre à chaque étape de la politique de gestion documentaire départementale, à savoir:
- la capture des documents dans le système et leur classement: classement des dossiers papiers, classement et description des documents numériques, gestion des mails
- leur transfert, c'est-à-dire leur passage de l'état d'archives courantes à celui d'archives intermédiaires (utilisation du calendrier de conservation, conditionnement des documents…)
- la communication des archives
- le sort final, à savoir la destruction ou le versement des documents aux Archives d'Etat.
Ces directives et procédures d’archivage sont valables pour l’ensemble des services, et doivent y être appliquées de la même façon. Cependant, chaque service est considéré comme une entité productrice et gestionnaire de documents, devant avoir son propre plan de classement. L’ensemble des plans de classement des services sont construits selon la même structure mais adaptés aux besoins spécifiques de chacun. Le tout forme le plan de classement du département, et reflète l’ensemble des activités qu’il dirige.
Le système ainsi défini est un système d’archivage décentralisé, qui correspond au mieux à l’organisation du département identifiée lors de l’analyse des besoins, et décrite plus haut.
Ce qui le caractérise est qu’il n’y a pas de service d’archives à proprement parler, organisé avec plusieurs collaborateurs. Je travaille avec un réseau de correspondants-archives. Un correspondant-archives a été désigné au sein de chaque service par ses supérieurs et moi-même sur des critères de bonne connaissance de son service et des documents qu'il produit. Son rôle est d'être en contact direct avec l'archiviste de département pour participer à l'élaboration et à la mise en œuvre de la politique de gestion des archives au niveau de son service. Il doit être le principal intermédiaire entre l'archiviste et ses collaborateurs.
Ce fonctionnement correspond à la philosophie du département qui veut que les responsabilités soient déléguées au maximum au niveau des services. Je suis donc responsable de la politique de gestion des documents, les correspondants-archives sont responsables de sa bonne application au sein des services. De même, ils gèrent avec moi les archives intermédiaires de leur service, qui sont stockées dans leurs locaux et non dans un dépôt centralisé pour l’ensemble des archives intermédiaires du département. Les correspondants-archives gèrent les demandes de consultation des archives intermédiaires, et veillent à leur intégrité.
Ce choix a été fait en raison de la dispersion géographique des services, pour faciliter la consultation d’archives intermédiaires. Ces correspondants sont le plus souvent des assistantes de direction, qui ont une bonne connaissance de l’ensemble des dossiers traités, et qui ont en outre l’autorité suffisante pour faire appliquer les procédures en interne. L’avantage d’un tel réseau est qu’il est très souple, et que je travaille directement avec les utilisateurs, ce qui permet d’être plus réactif et de mieux comprendre leurs attentes. Le bon fonctionnement d’un tel système suppose de définir clairement les rôles et responsabilités de chacun afin de lever toute ambiguïté. Cela nécessite également d’organiser des séances de coordination régulières avec l’ensemble des correspondants-archives du département, pour les informer des changements ou projets en cours mais surtout pour leur permettre d’échanger sur leurs expériences.
La mise en place d’un tel système représente une réelle démarche de progrès, impliquant une nouvelle perception des ressources informationnelles du département : les documents sont en effet d’autant plus perçus comme des outils d’information, devant être identifiables, contrôlés et accessibles tout au long de leur cycle de vie.
L'accompagnement des collaborateurs est capital dans cette mise en œuvre. J’ai pour cela organisé des séances d'information ainsi que des formations aux personnes plus directement concernées.
Une politique d’archivage est un outil à la fois contraignant et évolutif, dont le bon fonctionnement nécessite un suivi régulier ; c’est pourquoi il est indispensable de dresser un premier bilan des actions engagées, en organisant régulièrement des évaluations du système instauré.
2. Evaluer: pourquoi ?
L'organisation d'une évaluation du système instauré depuis une année et demie nous a semblé une évidence en interne. L'intérêt pour nous était multiple.
Nous souhaitions tout d’abord nous assurer que les procédures définies étaient véritablement comprises et appliquées, qu’elles fonctionnaient et correspondaient donc aux besoins des collaborateurs.
Nous voulions ensuite vérifier que la formation qui a été dispensée aux utilisateurs était pertinente et adaptée, que les actions demandées étaient bien comprises.
Il s’agissait également de prouver que l'ensemble des moyens et outils mis en œuvre garantit l'authenticité et la fiabilité des documents produits.
Enfin, cela permettait de faire le bilan du système, d’en mesurer la performance et les acquis, d’en corriger les dysfonctionnements pour le faire progresser. Ce bilan permet d’éviter l’inadaptation progressive du système et de justifier son existence auprès des instances décisionnelles.
Une évaluation de ce type permet également de mettre en lumière le travail accompli et de communiquer auprès de tous les collaborateurs (cadres et non cadres) sur les avantages attendus.
3. Évaluer, oui, mais comment ? a-Les bons interlocuteurs: identifier clairement les personnes auprès desquelles sera menée l'enquête
Avant toute chose, il est essentiel de bénéficier du soutien de la direction pour mener cette évaluation. A défaut, les cadres ou chefs de service ne comprendront pas l'importance de l'exercice et auront des réticences à octroyer du temps à leurs collaborateurs pour leur permettre de vous aider. Pour gagner leur soutien, il est nécessaire de leur démontrer les avantages qu’il est possible de retirer de cette évaluation, tels que le gain d'espace, de temps, la mise à jour de procédures, la conformité avec la réglementation…
Le soutien de la direction, seul, ne suffit pas: tout le personnel doit coopérer. C'est essentiel parce que c'est justement le personnel qui n'exerce pas de fonctions directoriales qui vous aidera dans l'audit. Il s’agit donc de trouver ce qu'ils ont à y gagner et de le faire valoir auprès d’eux. Nous avons ainsi mis en avant le fait que les résultats permettraient d’ajuster le système à leurs besoins. Il est important de sélectionner des personnes qui soient à des niveaux hiérarchiques variés. Cela donne une vision plus large et permet d’enrichir la réflexion: un cadre n’aura pas la même perception du système que sa secrétaire qui l’utilise quotidiennement.
Pendant tout le processus, la communication est capitale. J’ai donc organisé des séances d’information avec les correspondants-archives des services à chaque étape de l’évaluation:
- Lors du démarrage pour leur présenter la démarche adoptée et les outils utilisés dans ce cadre,
- Après la récolte d’informations pour analyser les réponses faites avec eux, et leur permettre de s’exprimer et d’échanger entre eux,
- Lors de la présentation du rapport final pour leur exposer les mesures d’améliorations envisagées.
A chaque étape, ces correspondants ont transmis les informations données au sein de leur service, assurant ainsi une communication claire auprès de l’ensemble des collaborateurs concernés.
b-Quelles données recueillir? Identifier clairement les points que vous souhaitez auditer
Les données qu’il est important de recueillir sont définies par la finalité ou les objectifs de l'audit. Quelles sont les données nécessaires pour atteindre ces objectifs? Il faut éviter de recueillir des données qui seront inutiles. La préparation des questions demande une réflexion particulière: il faut en effet prendre en compte plusieurs paramètres:
- cerner précisément ses objectifs afin de rédiger des questions qui soient le plus précises possible
- élaborer des questions claires, sans ambiguïté
- alterner les questions fermées et les questions ouvertes, pour permettre aux personnes de s’exprimer librement, mais sans leur prendre trop de temps (il est beaucoup plus rapide de cocher une case que de rédiger une réponse)
- limiter le nombre de questions pour que les collaborateurs ne passent pas plus d’une demie heure à répondre. Dans le cas contraire, peu de personnes iront jusqu’au bout et le taux de réponse sera faible.
Sur cette base, j’ai organisé les questions en fonction des grandes thématiques de la politique de records management, afin de couvrir l’ensemble du système en place. Ces thématiques sont les suivantes:
- le plan de classement : savoir s’il est appliqué pour les dossiers papiers, s’il répond aux besoins, si les répertoires informatiques sont organisés selon ce plan, s’il permet de gagner du temps dans le travail quotidien, de limiter les doublons et s’il facilite les recherches
- l’archivage et la communication des archives intermédiaires : savoir si le service dispose d’un local d’archives adapté aux normes, si les dossiers sont archivés selon la procédure en vigueur, si les délais de communication des dossiers archivés et les résultats des recherches sont satisfaisants.
- l’élimination : savoir si la procédure d’élimination est appliquée et si la traçabilité des dossiers archivés est assurée.
- la formation des utilisateurs : savoir si les formations dispensées sont satisfaisantes et suffisamment fréquentes et s’il y a des suggestions de thèmes à aborder à l’avenir.
- la performance du système : savoir si ce système facilite les suppléances entre collaborateurs, réduit le temps de recherche, assure la fiabilité de l’information traitée.
26 questions au total ont été posées (en moyenne 4 par grande thématique).
c-Les outils de collecte des données: bien choisir le moyen par lequel sera récoltée l'information
Il existe deux méthodes principales d'enquête ou d'audit: vous pouvez recueillir les données par le biais d’un questionnaire, ou par celui d’un entretien.
J’ai pour ma part utilisé les deux outils, à des étapes différentes.
Les questionnaires
Les questionnaires sont les principaux outils de collecte de données. Mais ils ne sont efficaces que s'il existe une forte implication des collaborateurs. Autrement ils risquent de ne pas prendre le temps de les remplir et de les retourner. Même dans le cas où cette implication existe, il est nécessaire de rédiger le questionnaire avec le plus grand soin pour faire en sorte que les données recueillies soient aussi exactes que possible, comme cela a été expliqué plus haut.
Je me suis servie du questionnaire pour toucher le plus de monde possible. Toutes les secrétaires des services en ont reçu un exemplaire par mail, ainsi que quelques cadres. Il n’a pas été jugé pertinent de l’envoyer systématiquement aux cadres: certains délèguent totalement ces tâches à leur secrétaire, d’autres n’ont pas le temps de remplir le formulaire. Il s’agit donc là aussi de bien réfléchir aux personnes concernées, en prenant en compte les habitudes de travail de chacun et l’organisation des services. 34 personnes ont été interrogées, 6 cadres et 28 secrétaires.
Il est également très important de préciser une date de retour des réponses dans le mail d’accompagnement, sans quoi ce questionnaire sera oublié.
L'entretien
Cette méthode est jugée en général plus efficace que les questionnaires. En rencontrant directement les personnes concernées, vous pouvez effectivement clarifier les données au fur et à mesure, aller plus loin dans les renseignements demandés, consulter les documents concernés, et également soulever des questions qui ne vous étaient pas venues à l’esprit en préparant le questionnaire. Rien ne vaut le contact direct avec les utilisateurs. Cela leur permet de vous connaître et vous permet d’avoir une bonne connaissance de leurs pratiques de travail, des documents qu’ils traitent et des paramètres pratiques à prendre en compte (manque de place dans les bureaux,…). L’inconvénient de l’entretien est qu’il prend beaucoup de temps (compter deux heures pour une personne ou un groupe).
J’ai donc privilégié les entretiens avec les correspondants-archives des services uniquement, qui se sont faits en quelque sorte les porte parole des collaborateurs. Il m’a semblé également plus pertinent d’organiser des entretiens en groupe et non pas individuels, pour leur permettre d’échanger entre eux sur des problématiques communes, de connaître ce qui se fait dans les autres services, et de bénéficier de la dynamique de groupe pour récolter le maximum d’informations. Ces entretiens ont été très appréciés et riches d’enseignement pour moi. Cela permet également à ces personnes de se sentir plus concernées par le projet et de s’impliquer beaucoup plus: elles se sont en effet chargées de rassembler les différentes questions des collaborateurs de leur service, et de leur transmettre les conclusions de nos entretiens. L’évaluation est alors perçue comme un partenariat et non pas comme un jugement de leur travail.
d-La conduite de l’audit
Là encore il est important que les collaborateurs ne se sentent pas jugés mais qu’ils participent au contraire à ce travail afin d’améliorer et de faire évoluer le système en place en fonction de leurs besoins. Ceci suppose de communiquer activement et clairement sur le projet et sa finalité. Les moyens de diffuser l’information peuvent être divers : mails, téléphones informels, réunions avec les correspondants-archives…La encore il s’agit de choisir le moyen le plus adapté à la situation.
e-L'analyse des données
Les données recueillies doivent être analysées aussitôt après l’audit. J’ai pour cela procédé en deux temps :
- j’ai tout d’abord étudié la situation de chaque service, afin de dresser un bilan personnalisé pour chacun.
- j’ai ensuite analysé ces bilans en détail afin d’identifier les problématiques qui se posent de façon identique à tous les services, et celles qui, en revanche, sont propres à certains.
Cette analyse croisée m’a permis de définir les points forts de la politique de gestion documentaire en place, les points restant à améliorer, et d’envisager des solutions à moyen terme pour faire évoluer ce système.
Pour donner un rapide aperçu de ce que peut représenter la mise en place d’un tel système au sein d’une organisation, je vous livre les conclusions auxquelles a abouti cette évaluation :
De façon générale, le système répond très bien aux attentes des utilisateurs. Les avancées significatives concernent principalement le gain de temps dans les recherches grâce à une meilleure identification et localisation des dossiers, le gain de place tant dans les bureaux que dans les locaux d’archivage, une plus grande facilité à assurer des suppléances entre collaborateurs.
Bien que la mise en place et la tenue à jour soient jugées lourdes, les apports sont significatifs et satisfaisants.
La collaboration développée avec les autres archivistes de département ainsi qu’avec les Archives d’Etat est également très fructueuse et permet de mener des réflexions plus larges, notamment sur la gestion électronique des documents.
La constitution de la cellule correspondant-archives est un réel succès. Elle présente deux avantages:
- Dans les relations avec chaque service: la présence du correspondant permet de centraliser les demandes et remarques des utilisateurs avant d’en parler avec l’archiviste. Il diffuse d’autre part les informations relatives au système d’archivage et s’assure qu’elles sont comprises et suivies. Il est également sur place et peut donc intervenir directement pour régler des questions rapidement.
- Au niveau transversal: les séances de coordination réunissant l’ensemble des correspondants-archives et l’archiviste de département sont l’occasion d’ouvrir des débats autour de points précis concernant l’ensemble des services. La confrontation des différents points de vue et situations permet d’enrichir la réflexion et de renforcer la cohérence du système.
Les améliorations à apporter au système doivent se concentrer sur quatre axes:
- Renforcer la diffusion d’information concernant l’archivage au sein des services.
- La mise en place d’une gestion électronique des documents. Cette problématique doit être étudiée de façon coordonnée au niveau de l’Etat afin d’assurer une gestion plus cohérente et efficace des documents et de l’information institutionnelle.
- Cette gestion électronique des documents doit s’accompagner d’un contrôle sur la qualité, la validité, la crédibilité et la pérennité de l'information produite. L’intervention de l’archiviste dès la création des documents doit donc être mise en place pour définir les éléments utiles à l’identification et à la gestion dans le temps de ces documents.
- Faciliter la circulation et le partage de l’information en interne, notamment par la mise en place d’outils de groupware.
Cette évaluation a donc révélé que ce système fonctionne bien tel qu’il est appliqué actuellement, mais qu’il doit être déployé davantage afin de répondre totalement aux besoins des utilisateurs. Ce déploiement concerne les outils informatiques, qui viendront s’interfacer entre le système de gestion documentaire et les utilisateurs pour faciliter leur travail.
f- Récapitulation des constats et pérennité du système
Ces constats et propositions d’améliorations doivent être présentés aux services concernés ainsi qu’à la direction, qui a apporté son soutien à l’audit. Il s’agit là aussi de choisir le moyen le plus adapté. Dans tous les cas de figure, il est recommandé de rédiger un rapport, dans lequel il faut:
- être bref et pertinent
- résumer les conclusions principales et mettre en avant les points les plus importants
- énumérer les différentes recommandations préconisées
- établir les priorités
- inclure un plan d’action pour les tâches à mener: prévision d’un planning, des ressources nécessaires…
Nous avons là encore procédé de deux façons différentes pour diffuser ce rapport :
- une copie papier a été transmise aux directeurs de service
- une séance a été organisée avec les correspondants-archives pour leur remettre ce rapport et leur présenter oralement les conclusions. Là encore l’objectif était de susciter la discussion avec eux.
Il aurait été souhaitable d’organiser également une présentation orale pour les directeurs et cadres, mais les restructurations départementales de la fin d’année 2005 ne nous en ont pas laissé le temps. Le DASS est ainsi devenu le DES (Département de l’économie et de la santé), ce qui a engendré l’intégration de nouveaux services, et l’abandon d’autres, rattachés dorénavant à d’autres départements. En ce sens, l’évaluation menée a fait figure de bilan du système à une étape cruciale de la vie du département.
Ces bouleversements organisationnels ont évidemment eu des répercussions sur le système de gestion documentaire en place, qu’il faut réajuster en fonction.
Mais ils représentent également un très bon test d'évaluation de la politique d’archivage; cela permet immédiatement de savoir si ce système peut évoluer et répondre aux nouveaux besoins organisationnels, ou bien s'il devient complètement inadapté et caduque. Nous avons ainsi pu constater que les principes définis permettent d’évoluer pour répondre aux nouveaux besoins. Nous avons surtout pu constater que l’existence d’un tel système était un atout majeur dans le cadre de restructurations comme celles-ci. Il facilite en effet le transfert de dossiers entre service, assure la traçabilité et la fiabilité de l’information quoi qu’il arrive et évite les destructions sauvages de documents. Sans une politique de gestion des documents sérieusement appliquée, ce type de situation peut engendrer des pertes d’informations capitales pour le suivi des affaires.
4. En guise de conclusion
Souvent négligée, l’évaluation d’un système de Records management est pourtant un élément capital et nécessaire à son maintien au sein d’une institution.
Les conclusions auxquelles on aboutit permettent en effet de justifier les actions menées auprès des instances décisionnelles, et donc de légitimer l'existence du programme.
L'évaluation sert de plus à identifier les nouveaux besoins afin de faire évoluer le système et d'éviter son décalage progressif avec la réalité vécue par les utilisateurs.
Je tiens à souligner enfin que les Records managers doivent s'inscrire dans une démarche générale de qualité pour assurer le succès de leurs actions. Il est capital de soigner sa communication pour être au service des utilisateurs, recueillir et analyser leurs besoins. Pour qu'un système soit pérenne, il doit bien évidemment répondre à des normes archivistiques reconnues, mais il doit également s'aligner sur les objectifs et les finalités de l'organisation au sein de laquelle il est mis en œuvre.
Notes
(1) La première loi sur les archives publiques genevoises datait du 2 décembre 1925 et ses règlements d’application successifs des 26 juin 1928, 3 décembre 1979 et 1er juillet 1987.
Bibliographie
DOUHET, G, KESLASSY, G, MORINEAU, E (2000). Records management: mode d'emploi. Paris. ADBS éditions. ISBN 2-84365-040-2
HARE, Catherine, McLEOD, Julie (2003). Mettre en place le Records management dans son organisation. Nouvelle édition. Paris. IDP-Archimag. Guides pratiques. ISBN 209510477-0-3
ARCHIMAG. Records management et archivage. 2ème édition. Paris. IDP-Archimag. Guides pratiques.ISSN 1242 - 1367
Groupe métiers AAF - ADBS Records management (2005). Comprendre et pratiquer le records management. Analyse de la norme ISO 15 4 89 au regard des pratiques archivistiques françaises. Version 2. In site de l'Association des Archivistes Français [en ligne]. Paris (France), [consulté le 8 décembre 2005]. http://90plan.ovh.net/~archivis/article.php3?id_article=227
Evaluation d’une collection de revues : Identification d’un noyau de revues en cancérologie
Ressi — 29 mars 2006
Résumé
Une évaluation précise de l'utilisation des revues proposées par la bibliothèque biomédicale est nécessaire pour développer les collections répondant aux besoins de la communauté desservie. La méthode d'évaluation, présentée dans cet article, est orientée vers les utilisateurs des collections de revues de la bibliothèque médicale de l'Institut Gustave Roussy (IGR) : médecins, soignants et chercheurs en cancérologie. L'analyse statistique des revues citées par les médecins et chercheurs dans leurs publications, de 2002 à 2004, met en évidence les revues prioritaires pour la recherche en cancérologie. Sur la même période, les statistiques de consultation des revues , confirment cette sélection de revues majeures, et montrent aussi que certaines revues peu citées dans les publications de l'IGR, sont très consultées sur le site . Ce sont des revues publiées en français pour la plupart, utilisées essentiellement pour la pratique clinique, les soins et l'enseignement de la cancérologie.
Evaluation d’une collection de revues
Identification d’un noyau de revues en cancérologie
L'évaluation de l'utilisation des revues permet d'identifier un noyau de 180 revues cumulant 80% des citations et des consultations. Ce noyau de revues permet d'orienter les collections de la bibliothèque vers les ressources ayant un impact réel sur la recherche en cancérologie, la pratique clinique et l'enseignement.
Introduction
Avec le développement des collections de revues électroniques de plus en plus importantes par les bibliothèques médicales, il est essentiel de pouvoir disposer d'outils et de méthodes évaluant leur pertinence pour les utilisateurs, afin de sélectionner, dans le cadre du budget alloué, les périodiques qui ont un impact sur l'activité de la communauté desservie.
Cet article décrit la méthode utilisée par la bibliothèque médicale de l'Institut de Cancérologie Gustave Roussy (IGR), pour évaluer les revues pertinentes reflétant les missions de l'Institut. Premier centre européen de lutte contre le cancer, dont les différentes missions sont le traitement du cancer, la recherche en cancérologie et l'enseignement, l'IGR réunit en un même lieu les départements de cancérologie clinique et des unités de recherche et d'épidémiologie dans le cadre d'un Institut Fédératif de Recherche. Les ressources documentaires spécifiques en cancérologie, sont développées par la bibliothèque médicale en complémentarité avec les collections de revues électroniques du CNRS et de l'INSERM. En effet les plate-formes BiblioVie et BiblioInserm proposent actuellement, plus de 2800 revues médicales et scientifiques. Dans ce contexte, évaluer précisément les besoins des médecins, chercheurs, soignants, étudiants et autres utilisateurs de la bibliothèque, est indispensable pour sélectionner les collections de revues spécifiques.
La dernière évaluation complète des collections a été réalisée en 1998 à l'aide d'une enquête auprès des médecins et des chercheurs, pour obtenir une vision précise de l'utilité des revues. Puis des enquêtes annuelles de moindre importance ont permis de mettre à jour ces informations. Avec l'augmentation du nombre de revues rendues disponibles par l'Institut Fédératif de Recherche, ce type d'enquête n'est plus réalisable. L'actualisation de ces données est essentielle pour recueillir des informations permettant de sélectionner les périodiques biomédicaux répondant aux besoins identifiés des utilisateurs.
L'évaluation des revues présentée dans cet article, est réalisée à partir de l'analyse des données statistiques de l'utilisation des revues par les médecins et chercheurs pour leurs travaux de recherche publiés dans les revues internationales et françaises. Les collections utiles, au sens large, comprennent à la fois les revues dans lesquelles les auteurs de l'IGR publient, les revues citées dans leurs publications en référence bibliographique, et les revues qu'ils consultent en ligne et photocopient à la bibliothèque médicale.
Méthode
Plusieurs études méthodologiques décrivent l'évaluation d'une collection de revues à partir de l'analyse des citations, notamment celle de Burright qui évalue les besoins informationnels d'une communauté de neurobiologistes en utilisant l'analyse bibliométrique des références bibliographiques citées dans leurs publications (Burright et al., 2005).
La méthode proposée ici, permet de confronter les données statistiques obtenues par l'analyse des citations des publications durant trois années consécutives, avec les statistiques des consultations des revues en ligne ou sur place à la bibliothèque, collectées sur la même période.
Première étape : élaboration du corpus documentaire
Les publications des médecins et chercheurs de l'IGR ont été recensées avec leurs citations, de 2002 à 2004, à partir de la base Science Citation Index (SCI) de l'Institute of Scientific Information (ISI). SCI identifie les adresses de tous les auteurs, et indexe les références bibliographiques citées par les auteurs des articles dans un format normalisé. Le corpus des citations bibliographiques ainsi obtenu est structuré en champs homogènes et peut être importé dans un tableur type Excel pour réaliser l'analyse bibliométrique.
Seconde étape : bibliométrie
Le tableur permet de réaliser, pour chaque année, les tris des références bibliographiques citées et les comptages des revues afin d'obtenir les données suivantes :
- Fréquence des revues dans lesquelles les médecins et chercheurs publient ;
- Fréquence des revues citées par les auteurs dans leurs bibliographies ;
- Type de documents cités : revues, livres, thèses, congrès, rapports, sites Web, etc.
- Ancienneté des références citées.
Le graphique des distributions des fréquences cumulées des citations des revues met en évidence une zone avec de fortes fréquences pour un nombre restreint de revues, dont les titres apparaissent fréquemment dans le corpus bibliographique.
L'analyse statistique des références bibliographiques citées, permet d'identifier les ressources documentaires médicales et scientifiques les plus utilisées pour la recherche clinique et fondamentale en cancérologie et leur durée de vie.
Troisième étape : mesure des consultations des revues
Sur la même période, les statistiques de consultation des revues, en ligne et à la bibliothèque sont recensées ; elles fournissent des informations complémentaires concernant l'utilisation des revues. Les éditeurs communiquent des statistiques de consultation des revues électroniques, générées automatiquement avec une périodicité et un format variables. Par ailleurs les statistiques des photocopies réalisées à la bibliothèque sont collectées pour chaque titre disponible en version imprimée. Ces données enregistrées année par année, reflètent l'évolution de l'activité de consultation des ressources disponibles sur le site de l'IGR et à la bibliothèque.
Les statistiques des consultations mettent en évidence des revues très consultées par les utilisateurs qui publient rarement : étudiants, soignants par exemple.
Quatrième étape : synthèse dans un tableau de bord
La confrontation des données de l'analyse des citations et des consultations est réalisée après avoir élaboré un tableau de bord qui synthétise l'ensemble des caractéristiques des revues en cours :
- Identification des revues : titre, éditeur, ISSN, langage, domaine, accès en ligne ou imprimé ;
- Impact Factor (IF) des revues classées dans le Journal Citation Reports (JCR). L'IF est le rapport entre le nombre de citations des articles d'une revue sur le nombre d'articles publiés par cette revue, sur une période de référence de deux ans ;
- Indicateurs bibliométriques : fréquences des revues des publications, fréquences des revues citées ;
- Indicateurs de consultation : fréquences des consultations en ligne et des photocopies à la bibliothèque médicale.
La construction du tableau de bord des revues facilite la synthèse des informations utiles pour évaluer chaque revue. Il permet de classer les revues par fréquences décroissantes d'utilisation et de leur attribuer un rang selon le classement.
Cinquième étape : comparaison du noyau de revues majeures avec les collections disponibles à l'IGR
La comparaison du noyau des revues dont les fréquences d'utilisation sont les plus élevées, avec les collections documentaires disponibles sur le site permet d'évaluer leur utilité pour la recherche, la pratique clinique, l'enseignement, et éventuellement de réorienter les collections en fonction de l'évolution des thématiques nouvelles.
Résultats et discussion
Le résultat du recensement des articles publiés à l'IGR de 2002 à 2004 constitue un corpus de 1447 notices bibliographiques, à partir desquelles 45772 références bibliographiques citées sont identifiées.
Le Tableau 1 indique les résultats obtenus année par année :
Année | Articles de l'IGR | Citations bibliographiques |
---|---|---|
2002 | 478 | 15522 |
2003 | 532 | 15895 |
2004 | 437 | 14355 |
Total | 1447 | 45772 |
Tableau 1 : Nombre de publications IGR et de citations de 2002 à 2004
Analyse des publications
L’analyse des revues dans lesquelles les médecins et chercheurs publient fournit moins d’information sur l’utilité des revues que l’analyse du corpus plus important des citations bibliographiques. C’est pourquoi l’analyse bibliométrique concerne essentiellement les citations bibliographiques des publications.
Types de documents cités
L’analyse des références citées permet de différencier les types de documents utilisés : 91% sont des articles de revues ou séries, 7% des livres ou monographies, 1% des congrès, 1% des sites Web ou des logiciels. Cette répartition des ressources documentaires citées caractérisée par une forte proportion des périodiques cités, une faible représentation des livres, et l’apparition de citations de sites Web dans les citations bibliographiques, est en accord avec la répartition des citations obtenues par d’autres études d’évaluation des collections basée sur l’analyse des citations (Smith, 2003).
La collection des périodiques est la première ressource utilisée par les chercheurs et les médecins. C’est pourquoi notre objectif actuel est de définir un noyau de revues majeures en cancérologie. L’analyse des autres ressources citées dans les références peut être poursuivie dans un second temps, pour mettre en évidence un noyau de livres et de manuels de référence en cancérologie.
Répartition des références citées par année
Le schéma 2 indique l’ancienneté des références citées dans les articles du corpus des publications de l’IGR de 2004. La courbe se décompose en 3 phases :
- Une phase de croissance rapide des citations d’articles publiés dans les deux années précédant la publication qui les cite ;
- Une phase de décroissance symétrique ;
- Puis, une dispersion extrême des fréquences de citations où de nombreux titres ne sont cités qu’une fois ou deux.

Schéma 1 : Répartition des citations par année d’ancienneté
La courbe de distribution des fréquences des références citées atteint son sommet en deux ans : 25% des références citées concernent des articles publiés dans les deux années précédentes ; 80% des références sont citées dans la décennie de leur publication. L’ensemble des citations se disperse sur plus de 150 années. L’analyse de l’évolution de l’utilisation des revues en fonction du temps fournit des informations importantes pour la durée de l’archivage des collections de revues.
Identification du noyau des revues citées
La distribution des fréquences d’utilisation des revues cumulées est conforme aux lois bibliométriques spécifiques (Bradford, 1934). Sa représentation graphique a une forme caractéristique, fortement décroissante et asymétrique, qui est illustrée dans le schéma 2.

Schéma 2 : Distribution des fréquences de citations des revues
La forme des distributions fréquences cumulées des citations des revues est conforme à celle observée par des études analysant l’utilisation de collections de revues médicales (Gallagher et al., 2005). Elle est caractérisée par 2 zones :
- Au début une zone de concentration d’un faible nombre de revues avec des fortes fréquences d’utilisation ; c’est le noyau des revues dont les fréquences cumulées correspondent à 80% d’utilisation des revues;
- A la fin une zone de dispersion caractérisée par un grand nombre de revues avec des fréquences faibles ; les fréquences cumulées ne correspondent qu’à 20% d’utilisation des revues.
Le noyau des revues comprend 180 revues très utilisées avec des taux élevés de citation dans les publications de l’IGR, donc fortement corrélés avec la recherche en cancérologie. Par ailleurs, la zone de dispersion recense 1225 revues peu utilisées et peu citées, et qui peuvent éventuellement permettre de détecter des évolutions dans les choix des revues par les chercheurs.
Caractéristiques des revues du noyau
Les revues les plus citées se répartissent en cinq principaux domaines : biologie, cancérologie clinique, autres spécialités médicales, pharmacologie, santé publique. Plus de 67% des revues concernent la cancérologie clinique et les différentes spécialités médicales, 33% des revues la recherche fondamentale en cancérologie.
Voir Annexe 1 : Noyau des revues citées : Classement thématique.
Impact Factor (IF) des revues du noyau
Les facteurs d’impact des revues sont utilisés généralement comme un indicateur de qualité des périodiques. Ils sont calculés par l’Institute for Scientific Information (ISI) à partir des citations bibliographiques issues de la littérature mondiale, et sont publiés annuellement dans le Journal of Citation Report (JCR).
On constate qu’il existe d’importantes variations de facteur d’impact moyen par domaine, et dans chaque domaine les écarts entre les maxima et minima sont très larges. Le tableau de répartition des titres par domaine ci-dessous, indique pour chaque domaine le nombre de revues du noyau, et leur Impact Factor (IF) minimal, moyen et maximal.
Domaines | Revues | IF max | IF moyen | IF min |
---|---|---|---|---|
Biologie, Biochimie Chimie | 50 | 52,43 | 11,768 | 2,37 |
Cancérologie | 47 | 36,557 | 4,914 | 0 |
Médecine, autres spécialités | 73 | 38,57 | 5,744 | 0,301 |
Pharmacologie | 5 | 5,204 | 3,5252 | 1,854 |
Santé Publique, Statistiques | 5 | 4,933 | 2,756 | 1,389 |
Total | 180 | 52,431 | 7,056 | 0 |
Tableau 2 : Répartition des revues par domaine et Impact Factor (JCR 2004)
On observe que 95% des 180 revues majeures du noyau sont classés par l’ISI, avec un IF moyen de 7,056. Des variations conséquentes des facteurs d’impact des revues du noyau sont mises en évidence selon les domaines : les revues de biologie ont les facteurs d’impact les plus élevés.
Pour les revues les plus citées, l’IF et les données statistiques issues de l’analyse des revues citées dans les publications de l’IGR sont corrélés. Concernant les revues citées dont le facteur d’impact est moins élevé, cette corrélation n’apparaît plus. L’intérêt de l’IF comme indicateur de la valeur d’un périodique n’est pas systématique conformément aux résultats publiés dans des études antérieures (Kreider, 1999).
Analyse des statistiques de consultation des revues
L’analyse statistique du corpus des citations informe sur la pertinence des collections de revues pour la recherche en cancérologie, puisque les médecins et les chercheurs les citent, qu’elles soient ou non indexés dans le JCR. De plus, les statistiques de consultation des revues imprimées ou électroniques confirment cette sélection de revues majeures et apportent un éclairage complémentaire.
Les statistiques des photocopies des revues disponibles traditionnellement à la bibliothèque médicale reflètent l’activité de consultation des revues, mais ne tiennent pas compte de la consultation sur place, ni des prêts aux lecteurs autorisés. Bien que ces données indiquent une diminution d’année en année, elles mettent en en évidence certaines collections spécifiques peu citées, classées par l’ISI avec de faibles IF, mais qui indiquent des fréquences élevées d’utilisation à la bibliothèque médicale comme les revues publiées en français utilisées pour la veille ou l’enseignement.
Voir Annexe 2 : Revues publiées en français les plus consultées.
Les statistiques des consultations des revues électroniques fournies par les éditeurs de 2002 à 2004 sont peu comparables. Certains éditeurs ne communiquent pas d’information sur l’usage de leurs revues. Le manque d’homogénéité et de fiabilité des données rend leur interprétation difficile (Samson et al., 2004). La mise en place d’un système d’accès unique vers les revues électroniques est préférable pour obtenir des statistiques complètes, normalisées, centrées sur les ressources de la bibliothèque et comparables. Cependant, ce système ne prend pas en compte les utilisateurs qui enregistrent les accès des revues électroniques dans leurs favoris pour pouvoir réaliser une veille régulière des principales revues de leur domaine.
L’observation des choix des utilisateurs quant au format d’accès à la revue : électronique ou imprimée, fournit des arguments pour sélectionner une collection limitée de revues à maintenir en accès traditionnel.
Disponibilité des revues du noyau pour les médecins et chercheurs de l’IGR
La combinaison des analyses des citations et des consultations de revues permet d’établir un classement par fréquence décroissante d’utilisation des revues par les médecins, les soignants, les chercheurs et les étudiants. Ces informations sont importantes pour évaluer et sélectionner, dans le cadre budgétaire défini, les collections de revues qui contribuent au développement des activités de la recherche en cancérologie, des traitements et de l’enseignement.
L’évaluation comparative réalisée à partir de la collection des revues du noyau, indique que la quasi-totalité des revues du noyau est accessible en ligne ou en format imprimé ce qui conforte les choix actuels réalisés. La collection proposée par la bibliothèque médicale est réorientée pour atteindre une disponibilité complète des collections du noyau.
Conclusion
La conduite de la politique de développement des ressources documentaires tient compte des données économiques (budget alloué, coûts de la documentation) et des données bibliothéconomiques (pertinence des collections, demande des utilisateurs, consultations). L’analyse de l’utilité des collections de revues, réalisée en confrontant les données chiffrées des publications, des citations, des consultations, a fourni des informations précises pour identifier les besoins des utilisateurs. Ces données ont permis de définir un noyau de revues majeures utiles pour la recherche en cancérologie, et d’observer son utilisation dans le temps. Cette méthode d’évaluation fournit des arguments concrets pour justifier de nouveaux abonnements ou désabonnements, et limiter la durée des collections. Elle apporte un éclairage utile pour mettre en œuvre une politique de développement des collections de revues reflétant les missions de l’Institut, et éventuellement repositionner les collections selon les évolutions thématiques de la recherche.
Annexes
Annexe 1: Noyau des revues citées : Classement thématique
Annexe 2 : Revues publiées en français les plus consultées
Bibliographie
BRADFORD, Samuel C (1934). Sources of information on specific subjects. Engineering: an illustrated weekly, t. 137, n°3550, p. 85-86.
BURRIGHT, Marian A. (2005). Understanding Information Use in a Multidisciplinary Field: A Local Citation Analysis of Neuroscience Research. College and Research Libraries, t. 66, n° 3, p. 198-210.
GALLAGHER, John et al.(2005). Evidence-based librarianship: Utilizing data from all available sources to make judicious print cancellation decisions. Library Collections, Acquisitions, and Technical Services, t. 29, n°2, p. 169-179.
KREIDER, Janice (1999). The correlation of local citation data with citation data from Journal Citation Report. Library resources and technical services, t. 43, n° 2, p. 67-77.
LAPELERIE, François (1999). Les choix des périodiques scientifiques dans le cadre d'une politique documentaire. Bulletin des bibliothèques de France, t. 44, n°2 , p. 64-72.
SAMSON, Sue et al. (2004). Networked Resources, Assessment and Collection Development. The Journal of Academic Librarianship, t. 30, n°6, p. 476-481.
SMITH, Erin T (2003). Assessing Collection Usefulness: An Investigation of Library Ownership of the Resources Graduate Students Use. College & Research Libraries, t. 64, n°5, p. 344-355.
Besprechung Petra Hauke Bibliothekswissenschaft quo vadis ?
Ressi — 29 mars 2006
Am Deutschen Bibliothekartag 2005 bedauerte die Herausgeberin des vorliegenden Bandes, Petra Hauke, sehr wortreich die mangelnde Anerkennung der „Bibliothekswissenschaft“ namentlich in Deutschland. Kann es aber so schlimm um diese „Wissenschaft“ stehen, wenn P. Hauke gleich einen Band mit über 30 Beiträgen auf fast 500 Seiten zustande bringt? Wohl kaum – dafür dauert der Notstand weiter an, wie man denn das Kind zu nennen habe: Guy St. Clair bereichert die lange Liste durch einen weiteren Versuch: „Today we speak of librarianship, information management, knowledge management, and their overarching connection with learning, and we gather this entire realm of knowledge seeking into the discipline of knowledge services . This new discipline – the convergence of librarianship, information managment, knowledge managment and learning - builds on the basic foundation of library science – as a science for the organization of knowledge – to lead the user to success in his or her quest.” (S. 5)
Das Werk entstammt einem Seminar Projekt unter dem Titel „Von der Idee zum Buch – Durchführung eines Publikationsprojektes“, an dem 18 Studierende beteiligt waren. Da es sich nicht um einen Kongressband handelt, sind die Beiträge inhaltlich sehr breit gestreut, auch wenn versucht wird, die Aufsätze durch übergeordnete Kategorie n thematisch zu gruppieren z.B.: Bibliothekswissenschaft im Zeitalter digitaler Medien, Bibliothekswissenschaft im Dienst der Gesellschaft, im Dienst wissenschaftlicher Information und Kommunikation, im Dienst der Bibliothekspraxis oder Bibliothekswissenschaft in Lehre, Studium und Beruf.
Aus der Fülle vermag man im Rahmen einer knappen Rezension nur weniges herauszugreifen: Lesenswert ist z.B. der konzise Überblick zur Geschichte der Bibliothekswissenschaft von Michael Buckland (19-32). Walther Umstätter ergänzt mit einem Rückblick auf 75 Jahre Ausbildung an der Humboldt-Universität in Berlin (81-94).
Bemerkenswert nüchtern und pragmatisch sind die Beiträge von Claudia Lux und Ulrich Naumann über den Praxisbezug der Bibliothekswissenschaft (287-294 bzw. 365-380).
Aus schweizerischer Sicht besonders anzuzeigen ist der Beitrag von Marc Rittberger über den gegenwärtigen Stand des Projekts CERTIDOC zur Zertifizierung der im Berufsleben erworbenen Kompetenzen und der Beitrag von Josef Herget und Norbert Lang über die Arbeitsmarktchancen in der Schweiz.
Nicht alles ist neu: Die Beiträge im Kapitel „Bibliothekswissenschaft im Zeitalter digitaler Medien“, etwa über Informationskompetenz und elektronisches Publizieren, sind an Fachtagungen zu eben diesen Themen schon differenzierter behandelt worden. Damit ist auch die Problematik einer solch weit gefassten Thematik angeschnitten: Sie birgt die Gefahr eines gewissen Beliebigkeit der Aufsätze. Die Grundidee jedoch, Studierende durch die Betreuung einer solchen Publikation in den Wissenschaftsbetrieb einzuführen, ist nur zu begrüssen!
Editorial n°3
Ressi — 29 mars 2006
Editorial N°3
Nous avons le plaisir de vous présenter le numéro 3 de RESSI. Notre appel à collaboration n'est pas resté vain puisqu'encore une fois encore l'équipe de rédaction a pu compter sur votre soutien pour alimenter cette parution.
Notre livraison comprend deux articles dans la rubrique Etudes et recherches. Jean-Philippe Accart se penche sur l'histoire et l'évolution du mot « documentation ». Francine Courtial et Gilbert Lenoir nous proposent l'évaluation d'une collection de revues dans le but d'orienter le fonds d'une bibliothèque spécialisée en cancérologie.
Notre souhait de privilégier des auteurs résidant en Suisse mais de rester ouverts aux auteurs internationaux est encore une fois réalisé puisque de ces deux articles proposés, l'un est écrit par un professionnel de la Bibliothèque nationale suisse et l'autre provient de l'Institut de cancérologie Gustave Roussy en France.
Le dossier Comptes rendus d'expériences nous conduit au Nicaragua où Rosemarie Fournier, bibliothécaire suisse travaille pour la coopération internationale depuis plusieurs années et où Céline Bize, étudiante de 3 ème année dans la filière Information documentaire de la Haute école de gestion de Genève a effectué un stage de trois mois à l'Institut d'Histoire du Nicaragua et d'Amérique Centrale à Managua.
Dans le dossier Evénements, Linda Beaupré et Hélène Laverdure, respectivement de la Sûreté et du Ministère du travail du Québec, nous donnent un aperçu du colloque international sur la gestion de l'information numérique qui a eu lieu à Tunis du 14 au 16 avril 2005, et résument leurs interventions sur leurs deux expériences de gestion électronique des documents (GED). Hélène Madinier et Ariane Rezzonico, de la HEG de Genève nous proposent un compte rendu du Congrès Online Information 2005 qui s'est tenu à Londres en décembre dernier et a mis en évidence l'importance des réseaux sociaux dans l'information en ligne. Wikis, blogs, gestion de l'information dans les organisations et évolution du rôle des professionnels de l'information ont particulièrement intéressé nos collègues dans ce congrès.
Dans la rubrique Ouvrages parus en Science de l'information, Claire Peltier, de la Haute école de gestion de Genève, nous propose la recension en français d'un ouvrage en anglais sur les bibliothèques numériques. Robert Barth, de la Hochschule für Technik und Wirtschaft de Coire (Chur), nous propose une recension en allemand d'un ouvrage sur la bibliothéconomie.
Nous remercions les auteurs qui ont contribué à ce numéro et d'ores et déjà nous attendons les articles qui viendront remplir les colonnes du numéro 4.
Le Comité de rédaction
« Documentation » : un mot, une histoire, une actualité autour d’un métier
Ressi — 29 mars 2006
Jean-Philippe Accart, Bibliothèque nationale suisse, Berne
Résumé
La documentation a désormais son histoire et intéresse la recherche en sciences de l'information. Les évolutions actuelles de la technologie ont une incidence sur le contenu du métier de documentaliste au sein des organisations, avec pour conséquence un élargissement de la définition même de la documentation. Englobée dans la notion d'information, la documentation touche de près au Records Management ou au Knowledge Management . Cet article fait le point sur l'histoire et le sens du mot « documentation » au travers du prisme des évolutions actuelles, et, en corollaire, sur l'évolution du métier de documentaliste.
« Documentation » : un mot, une histoire, une actualité autour d’un métier
La documentation – et plus largement les sciences de l'information et de la communication (SIC) – s'enrichit régulièrement d'ouvrages, articles ou écrits de recherche sur son histoire (1) : ce champ disciplinaire intéresse donc les chercheurs en sciences de l'information qui focalisent leur réflexion sur des thèmes particuliers tels l'évolution du métier, le document, le document numérique, la recherche d'information, l'indexation ou les classifications dans une perspective historique. Le contexte actuel de l'information montre que, même si l'histoire de la documentation est récente – un peu plus d'un siècle – certaines idées visionnaires émises à la fin du XIXe siècle resurgissent grâce aux technologies de l'information (2) ce qui permet une mise en perspective avec le développement des réseaux. On peut y voir un signe de maturité, voire de reconnaissance qui montre, à l'évidence, un changement dans la perception de cette discipline, considérée longtemps comme une technique de traitement du document quels que soient la forme et le support de celui-ci. En 1993, la revue de l'ADBS (3), Documentaliste, sciences de l'information , publiait un numéro spécial intitulé « Contributions à l'histoire de la documentation en France » (4) avec, entre autres, des articles de Jean Meyriat, un des pères fondateurs des sciences de l'information en France, de Marie-France Blanquet, d'Yves Le Coadic et de Bruno Delmas. Plus de dix ans ont passé : qu'en est-il aujourd'hui du terme « documentation » ? Comment est-il analysé, perçu ? Est-il à ranger dans la catégorie des termes obsolètes ou garde-t-il son actualité ? Inspiré en partie de ces publications, cet article fait le point sur le sens, l'histoire et l'actualité du mot « documentation ». En corollaire, l'évolution du métier de documentaliste apparaît comme fortement liée aux sens actuels accordés au terme « documentation ».
Les mots et leur sens
En considérant les différentes définitions des dictionnaires, encyclopédies et manuels (5), il est peu de dire que le mot « documentation » revêt plusieurs réalités, qui sont toujours actuelles :
- Il représente l'activité professionnelle ou la fonction exercée par les documentalistes ;
- Il désigne le service – en tant que lieu – où se pratique cette activité au sein de l'entreprise ;
- Il englobe l'action de se documenter, c'est-à-dire d'utiliser un certain nombre de moyens pour effectuer une recherche documentaire ;
- Il signifie enfin une collection de documents et la façon de les organiser en vue d'une diffusion d'information.
La plupart des définitions font référence au fait que « documentation » vient de « document ». Jusqu'au XVIIe siècle, le document est pris dans un sens juridique : venant du latin « documentum », il est « ce qui sert à instruire », il est une preuve (Blanquet, 1993). Les auteurs des années 1920-1950 ont souligné le caractère cognitif du document, comme résultat, trace, preuve d'un traitement cognitif effectué par son auteur. Plus tard, une définition plus large sera donnée : un document est porteur de connaissances, il sert à démontrer. Il possède des caractéristiques physiques (sa forme) et des caractéristiques intellectuelles (son contenu). Il se définit actuellement par sa nature (écrit, imprimé, numérique…), son support et son mode de diffusion (Accart, Réthy, 2003). Le caractère cognitif du document est amplifié par les recherches récentes des chercheurs en sciences de l'information, le document dit « numérique » fait également l'objet de toutes les attentions (6).
Les historiens des mots situent l'apparition du mot « documentation » vers 1870 (7) . Le verbe « documenter » est employé et le Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française de Paul Robert (8) le définit comme étant « l'action de fournir des documents ». Il prend aussi le sens de « renseigner ».
Nous devons le sens actuel du mot « documentation » à certains précurseurs ainsi qu'à certaines associations professionnelles (Meyriat, 1993). En 1895, Paul Otlet et Henri Lafontaine sont les premiers à utiliser ce terme : la définition qu'ils en donnent est très large car, englobant la bibliographie, elle est la science qui permet la fourniture de tous les documents sur un sujet donné (Otlet, 1934). Au début du XXe siècle, les termes bibliographie et documentation sont alors complémentaires, la nouveauté de la documentation étant la diffusion, la mise à disposition de l'information (Fayet-Scribe, 2000). Elle s'ouvre sur l'information, traite les documents ; le support prend une place secondaire. En 1931, l 'Union française des organismes de documentation (UFOD) se met en place : c'est la première association professionnelle de documentalistes, qui donnera les bases de création de l'ADBS en 1963. L'UFOD précise les règles et les normes de la profession, elle définit une terminologie de la documentation et fait adopter « documentaliste » au lieu de « documentariste » ou « documentateur » (9), jugés trop techniques (10) . Le relais sera pris par l'Institut national des techniques de la documentation (INTD) en 1950. A partir de cette deuxième moitié du XXe siècle, l'informatique commence à être utilisée pour traiter les données ; l'information scientifique et technique (IST) se met en place. On parle de plus en plus de gestion automatisée des documents, de recherche automatique. La notion de documentation, en ce qu'elle exploite le contenu des documents, se développe en complément de la gestion matérielle, le terme est défini dans les dictionnaires (Comberousse, 2005). A l'heure actuelle, cette définition s'applique toujours, et correspond en partie aux évolutions du métier.
Les mots et leur actualité
Maryvonne Holzem précise à juste raison que le terme « documentation » est dorénavant associé de manière systématique à « information », montrant ainsi qu'en lui-même ce terme seul n'est plus aujourd'hui suffisamment porteur de sens (Holzem, 1999). Dans les années 1990, l'association professionnelle des documentalistes a modifié le développé de son sigle (ADBS) en « Association des professionnels de l'information et de la documentation ». Les dictionnaires et encyclopédies actuelles donnent des définitions de ces termes : le document est désigné comme « un écrit, un objet ayant valeur de preuve, de témoignage ou d'information ». Le verbe documenter signifie « fournir des documents, des informations à… ». La documentation est « l'action de rechercher et d'utiliser des documents, des informations » ; c'est également « un ensemble de documents réunis ». Le documentaliste, lui, est chargé de « réunir, classer, diffuser des documents (pour le compte d'une collectivité, d'un service public, d'une entreprise, etc., ou pour appuyer un travail de recherche, une étude) ». Une évolution notable dans ces définitions est le terme d' « action » auquel est relié le fait de « rechercher et d'utiliser des informations »: cela est relativement nouveau et renforce l'image d'un métier qui va au-devant de l'information, par conséquent dynamique où la notion de service à l'utilisateur est implicite. Le terme « information » prime cependant de plus en plus sur celui de « documentation » ; le verbe « diffuser » est également employé et l'utilisateur est enfin cité. Le lien entre documentaliste, information-documentation et utilisateur est établi, ce qui n'était pas le cas auparavant. D'aucuns trouveront ces définitions trop restrictives et ils auront raison. Les instances officielles ou associatives apportent leurs propres définitions : le Répertoire opérationnel des métiers (ROME), édité sur Internet par l'Agence nationale pour l'emploi, donne dans sa dernière édition une fiche signalétique complète du métier (11). L'Euroréférentiel des emplois-types de l'information-documentation publié par l'ADBS (12) détaille et définit les différents aspects du métier : 49 métiers liés à la documentation sont listés ; à titre de comparaison, ils étaient 22 en 1999. Cette inflation des dénominations montre bien la diversification réelle du métier – et donc du sens du mot documentation - et même si la présence de certains métiers dans cette liste peut apparaître inadaptée car relevant plutôt des métiers de la communication ou informatique (communicateur technique, enquêteur professionnel, gestionnaire de données…), elle révèle un souci réel de l'ADBS d'être la plus exhaustive possible dans son approche et une volonté de rassembler des métiers qui ont pour dénominateur commun le traitement et l'organisation de l'information. Cette liste permet de repérer trois grandes tendances :
- en premier lieu , le fait que le métier est de plus en plus dominé, comme la société dans son ensemble, par les technologies de l'information et de la communication (TIC) ;
- en second lieu , la complexification des tâches à l'intérieur du métier, avec des catégories plus spécifiques : l'analyste-indexeur, le documentaliste-archiviste, le documentaliste-audiovisuel, le gestionnaire de langage documentaire, l'informateur-orienteur, le chargé d'études documentaires…
- en troisième lieu , la dimension stratégique de l'information dans les organisations fait apparaître d'autres métiers utilisant les compétences techniques du métier de documentaliste : administrateur de service électronique d'information (télématique ou type Intranet/Internet), gestionnaire de données, animateur de réseau documentaire, concepteur multimédia…
Les mots et la réalité
La technologie des réseaux, loin de faire disparaître la documentation, fait apparaître ce mot sous un autre jour : la définition de la documentation s'élargit, elle est de plus en plus liée à des techniques qui relèvent des archives, de la veille d'information ou de la mémoire d'entreprise. Prenons les métiers de records manager , de knowledge manager ou de veilleur, que certains voient comme des appellations différentes de celui de documentaliste : records manager est plus proche du métier d'archiviste, mais fait appel également à des techniques documentaires. La notion de mémoire d'entreprise constituée par la documentation interne de l'entreprise n'est pas étrangère aux documentalistes. Le métier de knowledge manager est parfois exercé par un documentaliste, mais plus souvent par un expert - ou un réseau d'experts - au sein de l'entreprise. La documentation n'est pas du Knowledge Management : organiser des savoirs propres à des individus, faire la relation entre des individus, des savoirs et des expertises nécessitent parfois d'autres compétences que celles de documentaliste. Ce dernier peut, dans certains cas, être partie intégrante du réseau des savoirs mis en place au sein de l'entreprise, proposer de relier bases d'information et bases de connaissances, extraire les connaissances contenues dans les documents : c'est un maillon de la chaîne, essentiel certes, mais pas suffisant. Le métier de veilleur, quant à lui, est proche de celui de documentaliste, c'est une extension de son rôle qui demande expérience et connaissance de l'environnement interne et externe de l'entreprise. La plupart des documentalistes ont une partie de leur activité orientée vers la veille : ils attirent l'attention de leurs utilisateurs sur tel ou tel document, site Web, article ou ouvrage récemment parus, définissent des profils, s'abonnent à des produits d'information électronique. Ils réalisent des synthèses d'actualité. L'activité de veille est fortement répandue dans certains secteurs de l'activité économique (militaire, pharmaceutique, bancaire, technologie de pointe…) : le terme de « renseignement » s'applique parfaitement à la veille, et la documentation retrouve ainsi une de ses définitions premières. Dans le domaine administratif, le statut récent de chargé d'études documentaire dans la fonction publique française (13) montre que la réalité a changé : le chargé d'études documentaires est un cadre, il doit être capable de fournir une information pointue, organisée, sous forme de dossier documentaire, de résumé. Les exigences du concours sont élevées, un niveau de spécialisation important est demandé au candidat.
Ces différents exemples permettent d'affirmer qu'actuellement la documentation a changé de rôle et de positionnement dans les organisations, et donc de définition. Cela est dû à une conjonction de phénomènes dont certains ont déjà été décrits : le niveau intellectuel, une formation universitaire, une identité professionnelle qui s'affirme, la place grandissante de la technologie, un niveau d'exigence élevé de la part des institutions et des organisations. La place prise par l'information dans l'entreprise est un autre facteur d'évolution non négligeable. La fonction documentaire a tendance à être diffuse, de même que l'information. Après une ère de centralisation de l'information sous forme de services dédiés, nous voyons apparaître des services éclatés au sein des entreprises ou des institutions et parfois même des responsabilités autrefois attribuées à une seule personne distribuées à plusieurs.
Conclusion : Le présent et l'avenir
Au travers de ce qui précède, nous avons vu le sens du mot « documentation » évoluer et s'enrichir avec le temps, englobé ou associé avec la notion d'information : il donne un autre contenu au métier de documentaliste, plus large, plus étoffé et qui correspond mieux à la réalité. En 2006, la situation de la documentation évolue : tout en gardant ses bases traditionnelles, le métier est de plus en plus conditionné par la technologie et les réseaux, au point même de poser la question de son utilité : la documentation n'est-elle (ou ne sera-t-elle pas) pas remplacée par le « tout-numérique », avec l'accès facilité aux ressources électroniques ou le développement des moteurs de recherche sans la nécessité pour l'utilisateur de recourir à un intermédiaire ? Il est encore trop tôt pour donner une réponse claire. Les questions au cœur du métier restent cependant aussi sensibles : orientation, accès, validation, coût de l'information sont parmi les points-clés qui caractérisent le monde de l'information aujourd'hui et auxquels les documentalistes peuvent apporter une réponse. Le « tout-numérique » implique maintenant une nouvelle définition de la documentation : exercer dans ce secteur induit implicitement de savoir rechercher, organiser et diffuser l'information à l'aide des technologies. Technologie et documentation sont étroitement liées et le seront probablement pour longtemps.
NOTES
(1) Voir la bibliographie pour les dernières publications et également les travaux de la SFSIC (Société française des sciences de l'information et de la communication :http://sfsic.free.fr/)
(2) Notamment l'idée de la bibliothèque universelle chère à Paul Otlet et les récents développements du moteur de recherche Google avec le projet GooglePrint.
(3) ADBS : Association des professionnels de l'information et de la documentation :http://www.adbs.fr
(4) Documentaliste, sciences de l'information , 1993, vol. 30, n° 4-5
(5) Larousse, le Robert ou Le Littré pour les dictionnaires ; Encarta, Universalis, Hachette, le Dictionnaire encyclopédique de l'information et de la documentation pour les encyclopédies et les dictionnaires encyclopédiques.
(6) De nombreux groupes de recherches en sciences de l'information existent. Pour mémoire :
- Institut des Sciences du Document Numérique (ISDN) :
http://isdn.enssib.fr/institut/institut.html
- Groupe de Recherche "Document Numérique et Usages", Université Paris VIII :
http://doc.univ-paris8.fr/ http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00001020.html
(7) Cité dans : « Cours de licence Documentation » :
http://www.sha.univ-poitiers.fr/documentation/sciencesinfo.html(Université de Poitiers).
(8) Edition 2000.
(9) Au cours dea années 2000, l'ADBS a lancé une réflexion auprès de ses adhérents sur le changement de nom du métier, « documentaliste » étant jugé peu adapté aux évolutions en cours. « Information Manager » a notamment été proposé, mais au final, le terme de « documentaliste » est resté.
(10) L'UFOD a vu son action continuer avec la création de l'ADBS en 1963.
(11) Répertoire opérationnel des métiers (ROME) - Code ROME 32214 - Spécialiste de la gestion de l'information:http://rome.anpe.net/candidat/index.php
(12) ECIA (2004). Euroréférentiel I&D. 2 Niveaux de qualification des professionnels européens de l'information-documentation. Paris, ADBS. ISBN 2-84365-069-0.
(13) Concours interministériel mis en place en 1998.
BIBLIOGRAPHIE
ACCART Jean-Philippe, RETHY Marie-Pierre (2003). Le Métier de documentaliste . Paris, Electre-Le Cercle de la Librairie. ISBN 2-7654-0872.
BLANQUET Marie-France (1993) , La fonction documentaire : étude dans une perspective historique , vol. 30 : n° 4-5 / juillet 1993, p.199-204
COMBEROUSSE Martine (2005). Histoire de l'information scientifique et technique . Paris, A. Colin, (Coll.128 ; 213). ISBN 200-34417-1.
«Contributions à l'histoire de la documentation en France » (1993). Dossier. Documentaliste, sciences de l'information, vol. 30, n° 4-5.
FAYET-SCRIBE Sylvie (2000). Histoire de la documentation en France. Culture, science et technologie de l'information : 1895-1937 . Paris, CNRS Editions. ISBN 2-271-05790-6.
HOLZEM Yvonne (1999). Terminologie et documentation : pour une meilleure circulation des savoirs. Paris, ADBS. ISBN 2-84365-032-1.
MEYRIAT Jean (2000 ). « Robert Escarpit, la documentation et les sciences de l'Inforcom. ». Documentaliste, sciences de l'information, v ol. 37, 5-6, déc., p.326-328.
MEYRIAT Jean (1993). « Un siècle de documentation : la chose et le mot ». Documentaliste, sciences de l'information , vol. 30, 4-5, juil., p.192-198.
OTLET Paul (1934). Traité de documentation. Le livre sur le livre. Théorie et pratique . Bruxelles, Editions Mundanéum, Palais Mondial. (Réédité par le Centre de lecture publique de la Communauté française de Belgique, Liège, 1989). ISBN 2-87130-015-1.
Bibliographie complémentaire
(textes non cités dans l'article mais ayant servi à son élaboration)
BRIET Suzanne (1951). Qu'est-ce que la documentation ? Paris, Editions documentaires et industrielles.
BUCKLAND Michael K. (1997). “What is a “ Document? , Journal of the American Society for Information Science, vol. 48, n° 9, 804-809.
BUCKLAND Michael K. (1998).“ What is a “digital document ?”, Document numérique, t.2, n° 2, 221-230.
CHAUMIER Jacques (2002). Les Techniques documentaires au fil de l'histoire. 1950-2000 . Paris, ADBS. ISBN 2-84365-064-X.
DELMAS Bruno (1994). « Une fonction nouvelle : genèse et développement des centres de documentation » in Histoire des bibliothèques françaises , Paris, Electre- Cercle de la Librairie , tome 4, pp. 179-193. ISBN 2-7654-0510-7.
DUVERNE Anne (1993). "Les pionniers du savoir" , Documentaliste, sciences de l'information, vol. 30, n°6, nov.-déc.
ECIA (2004). Euroréférentiel I&D. 2 Niveaux de qualification des professionnels européens de l'information-documentation. Paris, ADBS. ISBN 2-84365-069-0.
FONDIN Hubert (2001). « La science de l'information : posture épistémologique et spécificité disciplinaire » . Documentaliste, sciences de l'information, juin, vol . 38, n° 2, pp. 113-122.
FONDIN Hubert (2002). « La « science de l'information » et la documentation ou les relations entre science et technique ». Documentaliste, sciences de l'information , juin, vol. 39, n° 3, pp. 122-129.
Histoire des bibliothèques françaises (1992). sous la dir. de Martine Poulain. Paris, Electre-Cercle de la librairie. ISBN 2-7654-0510-7.
LE COADIC Yves-François (1994). La science de l'information , Paris, PUF, « coll. Que sais-je ? », n° 2873. ISBN2-13-046831-9.
Les origines des sciences de l'information et de la communication (2002). SFIC, sous la dir. R. Boure. Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion. ISBN 2-85939-745-0.
Recherches récentes en sciences de l'information : convergences et dynamiques (2002). Sous la dir. de Viviane Couzinet et Gérard Régimbeau, en collab. avec Josiane Demeurisse, Joëlle Devillard, Patrick Fraysse et Francine Pavan. Actes du colloque international organisé les 21 et 22 mars 2002 à Toulouse par l'équipe Médiations en information et communication spécialisées (MICS) du LERASS (Université Toulouse 3). ISBN 2-84365-059-3
N°3 mars 2006
Ressi — 29 mars 2006
Sommaire - N°3, Mars 2006
Etudes et recherches :
- « Documentation » : un mot, une histoire, une actualité autour d’un métier - Jean-Philippe Accart
- Evaluation d'une collection de revues : identification d'un noyau de revues en cancérologie - Francine Courtial et Gilbert Lenoir
Comptes-rendus d'expériences :
- L’information numérique et les enjeux de la société de l’information - Linda Beaupré et Hélène Laverdure
-
Une bibliothécaire et une stagiaire bibliothécaire au pays des volcans- Rosemarie Fournier et Céline Bize
Evénements :
- Congrès Online information 2005: la montée en puissance des réseaux sociaux - Hélène Madinier et Ariane Rezzonico
Ouvrages parus en Science de l'information :
- Digital Libraries: principles and practice in a global environment - Claire Peltier
- Besprechung Petra Hauke Bibliothekswissenschaft quo vadis ? - Robert Barth
L’information numérique et les enjeux de la société de l’information: Colloque scientifique international du 14 au 16 avril 2005 à Tunis
Ressi — 29 mars 2006
Linda Beaupré, Sûreté du Québec, Canada
Hélène Laverdure, Ministère du Travail, Canada
L’information numerique et les enjeux de la societe de l’information: Colloque scientifique international du 14 au 16 avril 2005 à Tunis
Le Colloque scientifique international tenu à Tunis du 14 au 16 avril 2005 était présenté en marge du Sommet mondial de la société de l'information qui aura lieu en novembre 2005. Le thème reposait essentiellement sur la gestion de l'information numérique, thème qui occupe aujourd'hui une place incontournable dans toutes les stratégies de développement des organisations. Les sous-thèmes suivants figuraient au programme du colloque : Les sciences de l'information à l'ère du numérique, les réseaux d'information et les usages des données numériques, l'information numérique et les stratégies de développement, et bien d'autres. A cette rencontre étaient conviés des enseignants universitaires et chercheurs, des professionnels de l'information, des chefs de projets en entreprise ainsi que des cadres supérieurs issus des secteurs clés de l'économie.
C'est dans le contexte de ce colloque international que nous avons présenté nos projets de conférence au comité scientifique qui les ont acceptés. Nos communications ont traité, d'une part, de la mise en œuvre de la gestion électronique des documents (GED) au sein de la Sûreté du Québec et, d'autre part, du projet Corail du ministère du Travail du Québec relatifs aux relations du travail en ligne.
Résumé de la conférence
La gestion électronique des documents : véritable catalyseur vers un changement de paradigmes
La Sûreté du Québec dépend, entre autres, des informations qu'elle détient pour accomplir sa mission et fournir les services adéquats à la population, aux institutions et aux entreprises. La qualité, la protection et l'accessibilité de cette information sont déterminantes pour la réalisation des opérations et l'atteinte des objectifs. Pour la Sûreté , l'information constitue sa matière première et l'essentiel de sa production. On constate que la gestion de l'information, tous supports confondus, est aujourd'hui au cœur des préoccupations des organisations. Elle fait l'objet de nombreux questionnements et suscite un intérêt certain quant au souci de prendre les dispositions nécessaires en vue d'en assurer un traitement adéquat. Conséquemment, la Gestion électronique des documents (GED) s'avère être un véritable catalyseur vers un changement quant aux pratiques de gestion des documents, et ce, sans égard aux supports. Elle est actuellement le meilleur moyen technologique pour assurer la gestion de l'actif informationnel, et ce, de la collecte ou de la création des documents jusqu'à leur disposition finale. Sans compter que dans nos administrations modernes les actifs informationnels accusent une croissance importante, rapide et soutenue. Ce phénomène est constaté entre autres par l'avènement des outils bureautiques et d'Internet, notamment l'utilisation massive du courrier électronique pour échanger les informations. Au terme de son implantation, la GED facilitera la gestion et la conservation des documents par l'informatisation du Plan de classification et du Calendrier de conservation ; elle favorisera également la centralisation de certaines opérations de contrôle ainsi que la systématisation du déclassement dans les unités administratives. Tout ceci sans pour autant mettre en péril les principes de sécurité décentralisée et de cloisonnement des accès aux différentes unités administratives. L'implantation de la GED participera également à la consolidation des besoins, facilitera l'intégration des activités de gestion des documents et offrira de multiples possibilités aux utilisateurs. Elle évitera la prolifération de technologies disparates et répondra tant aux besoins spécifiques des utilisateurs qu'aux besoins institutionnels dans ce domaine d'activités.
Ma participation à ce colloque à titre de conférencière a contribué au rayonnement de l'organisation tout en offrant une occasion de partager mon expertise en Gestion électronique des documents et d'aller voir, à l'extérieur du Québec, l'état d'avancement des travaux dans le domaine. Cet événement a également permis à la Sûreté et à moi-même d'enrichir notre potentiel de connaissance dans le domaine. L'expérience s'est avérée des plus enrichissantes!
Sûreté du Québec
Responsable du Module de la gestion des documents
Service du développement des projets organisationnels
Division de la gestion de l’information
1701, rue Parthenais, local 7.43
Montréal (Québec) H2K 3S7 CANADA
Résumé de la conférence
Corail, les relations du travail en ligne
Le ministère du Travail et la Commission des relations du travail (CRT) du Québec sont à élaborer un nouveau service en ligne afin de mieux desservir les besoins de leurs clientèles internes et externes. Les documents visés concernent les relations du travail au Québec. Plus précisément, il s'agit des conventions collectives, des sentences arbitrales de grief, des dossiers d'accréditation ainsi que certaines décisions de plaintes relatives à l'emploi. Certains documents jugés confidentiels ne seront disponibles qu'à la clientèle interne. Une fois mise en place, la solution préconisée devra intégrer les principales fonctions de gestion électronique des documents, de numérisation des documents sur support papier, de recherche et consultation, de diffusion électronique et finalement de tarification des services. Elle sera également basée sur une architecture ouverte et évolutive permettant de répondre adéquatement aux besoins de gestion documentaire pour la clientèle interne ainsi qu'aux besoins de recherche des différentes clientèles internes et externes. Cette solution devra finalement permettre au Ministère d'assurer le respect de la législation et des orientations gouvernementales en vigueur au Gouvernement du Québec en matière de gestion documentaire.
L'amélioration du service à la clientèle du Ministère et de la CRT a été la principale motivation des autorités permettant au projet de voir le jour. Plusieurs bénéfices ont également été considérés, on n'a qu'à parler de la rationalisation des espaces d'entreposage, du partage de documents électroniques et de la protection des documents. La solution développée se divise en trois sous-systèmes soit la numérisation, l'indexation et la conversion en format PDF; le dépôt et la diffusion des documents à nos clientèles internes; la diffusion à nos clientèles externes.
Dès le début du projet, on souhaite que la numérisation des documents permette la destruction du support papier. Les processus et les mécanismes de conversion vers un support numérique doivent garantir l'intégrité des documents. Par conséquent, le traitement est entièrement automatisé et les outils développés permettent d'obtenir et de conserver les renseignements authentifiant un document numérisé. L'outil de gestion électronique des documents assure la conservation, la diffusion et la gestion des documents visés par le projet. Le principal avantage pour les utilisateurs reste sans contredit une plus grande autonomie dans la recherche et le repérage de documents, quels qu'ils soient. Il est maintenant possible aux clientèles internes de faire des recherches directement dans le texte des documents mais également en utilisant les métadonnées associées à un document. Une interface a été développée spécialement pour la diffusion à nos clientèles externes. Celles-ci pourront accéder aux documents au moment qui leur convient et ce, dès 2006, en s'abonnant à Corail pour une journée, un mois ou une année.
Ministère du Travail
Chef du service de la gestion documentaire
Direction des ressources financières et matérielles
200 Chemin Sainte-Foy, 5e étage,
Québec (Québec) Canada G1R 5S1
En conclusion
Notre participation à ce colloque nous a permis de partager nos expériences respectives avec des gens provenant de différents pays et d’approfondir certains aspects de l’information numérique. La majorité des conférences auxquelles nous avons assisté étaient d’ordre théorique. Ce que nous retenons particulièrement de ce colloque est la difficulté de concilier théorie et pratique. Les ressources humaines et financières étant limitées, comment trouver le temps de répondre aux besoins des utilisateurs tout en prenant un temps de réflexion sur l’impact de nos processus archivistiques sur l’évolution fulgurante de l’information numérique?
Une bibliothécaire et une stagiaire bibliothécaire au pays des volcans
Ressi — 29 mars 2006
Céline Bize, Haute Ecole de Gestion, Genève
Résumé
Une bibliothecaire et une stagiaire bibliothecaire au pays des volcans
Introduction
trop de récits d'aventures…
peut-être est-ce la fenêtre ouverte
du service de prêt et renseignements de la Médiathèque Valais…
je suis partie loin, longtemps…
(Rosemarie Fournier)
Tout a commencé un jour d'automne 1998 à Bienne. Là se trouve Cinfo http://www.cinfo.ch/, centre d'information, de conseil et de formation sur les professions de la coopération internationale et de l'aide humanitaire. Cinfo organise périodiquement des journées d'information destinées aux personnes intéressées par une expérience de travail à l'étranger. Mon mari et moi avons assisté à l'une des ces journées et avons ainsi fait la connaissance d'E-Changer http://www.e-changer.ch/. Nous avons été immédiatement séduits par sa philosophie, par le sérieux de la préparation au départ et du suivi sur le terrain.
Mouvement d'envoi de volontaires au Sud, plus particulièrement en Amérique latine, E-Changer a son siège à Fribourg, Suisse. Son activité principale est la formation et l'accompagnement de personnes qui s'engagent pour une expérience de vie dans un pays où leurs compétences professionnelles et personnelles peuvent appuyer un projet. C'est avec eux que nous sommes partis trois ans en Bolivie et que nous avons signé un nouveau contrat pour deux ans à Managua, Nicaragua.
Nous avons mis sur pied un groupe de soutien à notre projet. C'est une exigence d'E-Changer: le travail de fourmi que nous accomplissons au Sud doit être relayé en Suisse. Ce groupe de soutien est constitué de toutes les personnes -connues ou inconnues- qui ont envie de suivre notre travail et d'en savoir plus sur un pays qu'ils ne visiteront peut-être jamais. Nous l'avons appelé "hormiga", qui veut dire "fourmi" en espagnol. Pourquoi? Parce qu'une fourmi toute seule ne peut pas faire grand-chose mais mettez-en quelques centaines ensemble et vous verrez qu'elles sont capables de changer leur monde! Le travail d'information et de sensibilisation se fait à travers de notre site Internet www.hormiga.ch, d'articles d'information dans différents médias et de lettres circulaires adressées aux membres.
Les bibliothèques des pays en voie de développement
Vous pouvez bien l'imaginer: une bibliothèque bolivienne ou nicaraguayenne n'a pas grand-chose à voir avec ses homologues helvétiques. La plupart du temps, les livres sont rares, obsolètes, en mauvais état. Les bibliothécaires sont peu ou pas formés. Les locaux sont vieillots, petits, mal adaptés. Le public est rare… Quant la propre bibliothèque nationale d'un pays n'a AUCUN budget d'acquisitions, on peut imaginer à quel point la situation est grave. Il y a heureusement quelques exceptions. A Managua, par exemple, la Banque centrale (el Banco Central) a sa propre bibliothèque qui ferait bonne figure dans une ville européenne: catalogue en ligne, libre-accès, collections actualisées http://biblioteca.bcn.gob.ni/. L'arbre qui cache la forêt…
La coopération internationale, pourtant très active dans le domaine de l'éducation, appuie très peu de projets bibliothéconomiques. Pourquoi? Il serait intéressant de faire une étude sur ce thème. Personnellement, je pense que les bibliothèques du Sud souffrent d'un manque de visibilité. Elles ne sont pas reconnues par les instances qui gèrent l'aide au développement. Il faut dire à leur décharge que le thème n'est pas très spectaculaire et que personne ne souligne son importance. Les bibliothécaires du Nord ont certainement une part de responsabilité dans cette indifférence. Il n'est pas dans leur tradition de collaborer et d'appuyer leurs collègues moins bien lotis.
Mon travail en Bolivie (1)…
Mon premier contact avec une bibliothèque bolivienne fut à Tarija, au centre pour enfants handicapés où mon mari appuyait l'équipe éducative. Ce centre possède une petite bibliothèque de quelque 200 titres sur les thèmes de l'éducation spécialisée et du handicap. Même les étudiants de la Faculté de psychologie ou ceux de l'Ecole normale viennent consulter ces livres car nulle part ailleurs à Tarija, ville de 150'000 habitants, on n'en trouve l'équivalent. La Bibliothèque municipale de Tarija n'a ni catalogue, ni budget d'acquisitions, ni service de prêt. En Bolivie, si un lecteur ne rend pas un livre emprunté, on retient le prix dudit livre sur le salaire du bibliothécaire. La photocopie est une véritable industrie: faute d'argent pour acheter les livres, on les photocopie à tour de bras dans l'une des nombreuses officines qui entourent chaque université. Le piratage est également florissant. Comment les blâmer? Quand plus de 60% de la population est en dessous du seuil de pauvreté (moins de deux dollars par jour), l'achat d'un livre est simplement impossible.
J'ai collaboré de manière bénévole à différents projets de bibliothèques, à Tarija et à La Paz. Je me suis heurtée à chaque fois au manque crucial de moyens matériels. Même l'achat de crayons, de papier ou d'étiquettes peut se révéler problématique. Par bonheur, la motivation et l'envie d'en savoir plus ne coûtent rien. Le personnel de ces bibliothèques m'a toujours accueillie avec enthousiasme. Il m'a fallu du temps pour comprendre leur situation. Je découvrais une nouvelle réalité, celle d'un pays tellement pauvre que le moindre bout de papier prenait de la valeur. Paradoxalement, pour pouvoir leur offrir mon aide, je me suis appuyée sur eux. C'est ensemble que nous avons cherché des solutions raisonnables pour améliorer leur bibliothèque. Bien sûr, il y eut des moments de découragement, des désillusions, des déceptions… Le plus difficile pour moi, ce fut peut-être la force d'inertie de certains organismes ou de certaines personnes et le temps fou que prend l'accomplissement de la moindre tâche. Ma notion du temps et celle des Boliviens ne se sont jamais bien accordées, malgré tous nos efforts.
Durant mon séjour bolivien, j'estime avoir reçu bien plus qu'apporté, tant du point de vue professionnel que personnel. J'ai appris à exercer mon métier de manière différente et j'ai appris que le cœur peut plus que la raison. Je garde un souvenir lumineux de ces trois années au pays des lamas.
… et au Nicaragua
J'étais encore en Bolivie quand j'ai entendu parler d'un poste de coopérante au Nicaragua. Premiers contacts électroniques avec la directrice, premiers échanges de vue, premiers rêves… L'idée s'est avérée irrésistible, la réalité aussi. A la fin de notre contrat, nous avons fait escale à Managua avant de rentrer en Suisse afin d'examiner de près le projet et le lieu de vie. La décision fut vite prise: après la Bolivie , vive le Nicaragua !
María de los Ángeles Chirino Ramos , la directrice de la bibliothèque et archives de l'IHNCA (2), que nous appelons familièrement Marielos, se désespérait de trouver un jour une bibliothécaire coopérante pour former son personnel. Elle est cubaine et vit au Nicaragua depuis une vingtaine d'années. C'est la seule personne diplômée en bibliothéconomie de l'institut et elle se rend parfaitement compte de l'importance d'une formation. Elle m'a donc accueillie à bras ouverts. C'est ainsi que, depuis janvier 2005, je me rends chaque jour à la Universidad Centroamericana où se trouve l'IHNCA, Instituto Histórico de Nicaragua y Centroamérica . Mon travail porte essentiellement sur deux axes:
- la formation en bibliothéconomie: deux heures de cours par semaine donné à tout le personnel de bibliothèque et archives, ainsi qu'un soutien plus individuel le reste du temps
- un appui en renforcement institutionnel: ce dernier s'est révélé nécessaire pour dynamiser et rationaliser les procédures de travail.
Ce projet est atypique pour différentes raisons. Normalement, la plupart des volontaires travaillent dans des milieux populaires, avec des mouvements de base, avec une population défavorisée, dans des conditions qui peuvent être difficiles. Je suis dans un institut faisant partie d'une université; mes collègues sont toutes licenciées universitaires. De plus, la plupart sont attentives à ce qui se passe dans le pays et les discussions que nous avons sont enrichissantes et éclairantes pour moi.
Autre point vital: les partenaires du sud accueillent généralement les volontaires avec beaucoup d'enthousiasme mais les problèmes ne tardent pas. Le décalage entre la description du projet et la réalité du terrain est un fait quasi incontournable et peut causer de sérieux problèmes. Rien de tel à l'IHNCA. Je me sens acceptée et reconnue. Je crois que mes collègues apprécient mes cours (du moins me le font-ils savoir à travers les évaluations). Je ne voudrais pas sembler présomptueuse mais réellement j'ai l'impression d'apporter une petite pierre utile à cet édifice.
Ce type de projet, relativement nouveau pour E-Changer, possède un potentiel de développement très important. Le fait que le partenaire sud soit aussi solide, fiable et motivé est un gage de progrès. Le fait que mes collègues soient capables de propager l'enseignement reçu est un gage de durabilité. Le fait que la direction de l'IHNCA soit convaincue de l'importance de l'apport d'une coopérante et qu'elle le valorise est un gage de succès.
Une stagiaire de la HEG à l'IHNCA
En 2004, lors de mon séjour en Suisse, j'avais signalé à la HEG que, si un(e) étudiant(e) parlant espagnol souhaitait faire son stage pratique au Nicaragua, j'étais tout à fait disposée à l'accueillir et à suivre son stage.
C'est ainsi que Céline Bize a séjourné trois mois à Managua, accomplissant son stage au sein de l'équipe de l'IHNCA. Cette expérience fut tout à fait positive. Je me sentais responsable car, après tout, c'est moi qui avais offert cette possibilité à la HEG. Par bonheur, Céline est une personne très compétente, très professionnelle. Son stage s'est bien déroulé et l'IHNCA est tout à fait prêt à examiner un autre dossier de stagiaire pour l'an prochain!
Le séjour de Céline à l'IHNCA s'inscrit parfaitement dans la philosophie de mon travail de coopérante. C'est un élément de plus dans la sensibilisation Nord-Sud. Maintenant, Céline, sa famille, ses amis, ses camarades de classe connaîtront un peu mieux la réalité nicaraguayenne.
Différence de mentalités
Dans une entrevue récente (3), une travailleuse sociale brésilienne qui collabore avec E-Changer donnait une réponse intéressante à la question de savoir ce qui avait attiré son attention lors de son voyage en Suisse:
"En premier lieu, j'ai découvert la frénésie helvétique. Ici tout est très rapide. Les heures sont millimétriquement calculées. L'horloge fonctionne intensément. Tout est très méthodique et j'ai pu constater l'attention énorme au travail dans les endroits où je me suis rendue. Les Suisses sont très objectifs et sérieux. Comprendre ce rythme a été un apprentissage important. J'ai été très étonnée de la relation des gens avec le temps. Je l'ai ressenti par moments comme quelque chose de stressant. J'ai senti parfois le risque que la qualité de vie soit menacée par le fait de courir et de courir. Le temps conditionne tout. Une certaine rigidité des corps, la tension de l'embrassade comme salutation, si on s'embrasse..."
De quoi faire réfléchir, non? Depuis que je vis dans le Sud, j'ai eu maintes occasions de constater à quel point nos priorités diffèrent. Si pour nous, l'heure est sacro-sainte, ici c'est la rencontre. Donc, si je suis avec un ami et que l'heure tourne, ce n'est pas grave. Si j'arrive en retard (ou pas du tout) à mon prochain rendez-vous, tant pis. L'important, c'est ici et maintenant. A la bibliothèque, cela se traduit par des piles de livres partout, des plans de travail annuels qui ressortent plus du domaine du rêve que de la réalité, un flou dans les procédures de travail qui ferait le désespoir de n'importe quelle direction de bibliothèque suisse. Comment trouver ma place là-dedans? Je l'avoue, j'ai souffert et je souffre encore! Les mots clés sont s'adapter et relativiser. S'adapter à une autre culture et arriver à se fondre dans le paysage sans perdre ses propres repères. Il ne s'agit pas d'effacer ce qui fait ma différence mais de faire en sorte qu'elle cohabite le plus harmonieusement possible avec l'autre. Relativiser est aussi essentiel: est-ce vraiment si important si le tableau des statistiques du prêt n'est pas d'une clarté éblouissante? Ce qui compte, c'est que l'on mette sur pied des statistiques, même si elles ne sont pas parfaites. La comparaison entre là-bas et ici est stérile, la transposition impossible. C'est ce qui fait toute la richesse du défi: inventer quelque chose de nouveau en s'appuyant sur une expérience professionnelle acquise dans des conditions totalement différentes, et en tenant compte d'une réalité à mille lieues de la Suisse.
Efficacité et rendement
La quantité de travail accomplie ici ne peut en aucun cas se référer aux normes suisses. Tout prend tellement de temps! La faute à la bureaucratie que l'on retrouve partout. Un exemple: si je veux disposer du beamer le vendredi après-midi pour mon cours, je dois faire à chaque fois une demande écrite au moyen d'un formulaire ad hoc. Je l'envoie par courrier électronique et de plus j'en apporte une copie imprimée, signée, au responsable du service informatique. Quelqu'un viendra tout exprès installer et désinstaller le beamer (chose que je pourrais très bien faire moi-même). Le temps passé à ce genre d'exercice et la paperasse accumulée (on ne jette rien) font que le rendement est assez bas.
La difficulté à rationaliser les procédures de travail est réelle. Je suis chargée de l'appui à la réalisation d'un manuel de procédures. On m'avait dit qu'il était déjà quasiment terminé et qu'il manquait juste le peaufinage de quelques détails. Nous sommes en décembre et il n'est toujours pas fini… C'est un peu ma faute: mes suggestions de simplification et de rationalisation de certaines tâches ont demandé une longue réflexion. C'est un peu leur faute aussi: il est très difficile de prendre des décisions relatives à la politique de la bibliothèque et de s'y tenir. On décide que l'IHNCA est une bibliothèque de consultation, sans prêt à domicile, mais on multiplie les exceptions; la finance d'inscription est de 10 dollars mais c'est vraiment "à la tête du client" et au bon vouloir de la direction. On ne s'en sort plus. Toutefois il faut souligner qu'un manuel de procédures est encore quelque chose de relativement nouveau au Nicaragua. C'est tout à l'honneur de l'IHNCA de vouloir se doter d'un tel instrument de travail.
Mieux vaut en rire
L'humour est un support de premier plan dans la rencontre des cultures. Il aide à éviter les frictions. Si on parvient à rire de ses propres travers, on se gagne déjà un grand capital de sympathie. Quand mes collègues me mettent en boîte à propos de ma ponctualité jamais en faille, je me sens acceptée, reconnue dans ma différence.
L'humour est un excellent instrument de travail dans la coopération. On ne sait jamais comment quelqu'un prendra une remarque ou une critique même constructive. Il y a toujours le risque de tomber dans le stéréotype de l'étranger qui sait (normal, il vient d'un pays développé ) et qui a la bonté de faire bénéficier l'indigène de ses connaissances. Une manière d'éviter cette attitude paternaliste, c'est de ne pas se prendre trop au sérieux.
L'enseignement peut être très vertical dans ce pays. C'est quelque chose de sérieux, qui ne laisse pas beaucoup de place à l'élève. La pédagogie du prof-qui-sait et de l'élève-qui-écoute-et-apprend est encore très utilisée. Une de mes "élèves" m'a dit un jour qu'elle appréciait le fait de pouvoir dire une "bêtise" pendant mes cours, sans avoir peur que je me fâche. Cela m'a conforté dans ma conviction de laisser les cours ex-cathedra au vestiaire et de me lancer à fond dans les cours participatifs, multipliant les travaux de groupe, les présentations d'élèves, les jeux de rôle… Je ne finirai peut-être pas le programme de formation prévu pour ces deux ans mais je sais que les sujets abordés seront bien assimilés.
Bilan à mi-chemin
Je suis à l'IHNCA depuis une année. Je parle de l'IHNCA en disant "nous" parce que je me considère partie prenante de cette institution. Je prends chaque jour comme il vient, sans essayer de voir plus loin que le prochain cours ou la prochaine réunion de travail. Même si j'ai un plan de travail à suivre, j'apprends l'improvisation. Je perds chaque jour un peu plus de ma "raideur suisse". Je me surprends même à arriver en retard, c'est dire. Le climat de Managua y contribue certainement. La chaleur intense, la touffeur des jours, l'humidité ambiante durant la saison des pluies… c'est tout simplement impossible de garder le même rythme de travail qu'au Nord.
En 2006, je poursuivrai ma tâche: former mes collègues et collaborer au renforcement de l'institution. Si les catastrophes naturelles nous épargnent, si les élections présidentielles se déroulent sans émeutes, si l'université continue à financer l'IHNCA, si tout va bien, je terminerai mon contrat en décembre 2006. Je rentrerai en Suisse avec un bagage professionnel et personnel bien plus lourd que celui que j'avais en arrivant. J'aurai sûrement encore bien d'autres choses à vous raconter… En attendant, je passe le clavier à Céline Bize, afin qu'elle vous conte son expérience !
Rosemarie Fournier, décembre 2005
Notes
(1) Voir Lire, mais en Bolivie / Rosemarie Fournier. - Arbido, 2003, vol. 18, no 9, pp. 25 - 26.
(2) Institut d'histoire du Nicaragua et d'Amérique centrale (Managua)
(3) Una mirada a la cooperación suiza con ojos del sur / Sergio Ferrari. - Nov.2005
L'IHNCA
L'Institut d'histoire du Nicaragua et d'Amérique centrale à Managua est une institution de l'Université d'Amérique centrale (UCA) consacrée à la recherche, la diffusion de l'histoire et la gestion du patrimoine documentaire. Sa mission est de produire et de délivrer des connaissances nouvelles sur l'histoire du Nicaragua et de l'Amérique centrale; préserver, enrichir et diffuser le patrimoine culturel en appliquant les technologies de l'information et de la communication (TIC). Pour cela, il promeut la recherche et l'échange académique; il développe de nouvelles méthodes d'enseignement de l'histoire; il organise des cours, conférences et expositions; il publie des textes et des revues spécialisées et gère des fonds documentaires.
L'IHNCA possède une bibliothèque et un centre d'archives importants. Les collections furent initiées à partir de 1934 par les Jésuites. Il s'agissait de rassembler la documentation existante sur l'histoire du Nicaragua et de l'Amérique centrale. Cette tâche fut spécialement difficile dans un pays régulièrement dévasté par des révolutions, des guerres, des tremblements de terre, des inondations et autres catastrophes. Actuellement, l'Institut détient des livres, documents manuscrits, périodiques, cartes, photographies, vidéos, microfilms, cassettes sonores... Il possède même une importante collection de céramique précolombienne, de masques et de peintures. Le catalogue d'une partie de ces fonds est automatisé et consultable en ligne.
Tu pars au Nicaragua?
Novembre 2004, je rentre chez moi d'une journée de cours à la Haute École de gestion de Genève , où j'étudie en filière information documentaire. Dans le train, une de mes camarades me demande : «Alors Céline, tu vas faire ton stage au Nicaragua?». Je ne comprends pas sa question… je n'ai pas encore vu l'e-mail qui nous annonce qu'une bibliothécaire suisse qui part pour deux ans au Nicaragua est d'accord d'accueillir un/e stagiaire, mais mes amis savaient déjà que je serais intéressée. Aimant les voyages et ayant déjà l'idée dans un coin de ma tête de participer un jour à un projet de coopération, je me dis que c'est une occasion unique qui se présente à moi. Mon stage ne me permettrait pas seulement de mettre en pratique les connaissances acquises durant les deux premières années de mes études, mais aussi de me confronter à une réalité professionnelle différente de celle que je pourrais trouver en Suisse et de découvrir une nouvelle région du monde.
Septembre 2005, l'atterrissage est plutôt difficile. Quatre jours après la fin des examens, je me trouve loin de chez moi, dans un pays que je ne connais pas. Toutefois, je trouve tout de suite un environnement familier dans la bibliothèque et l'accueil est chaleureux. Après une semaine d'introduction où j'ai l'occasion de visiter tous les services, il est temps de commencer les tâches qui m'ont été confiées.
Recherches sur Internet
Une partie de mon activité a consisté à faire des recherches sur Internet pour élaborer un guide de ressources utiles aux utilisateurs mais aussi aux bibliothécaires qui sont peu habitués à utiliser Internet. Mes recherches se sont effectuées sur deux axes: des ressources utiles pour le personnel des services au public et d'autres ayant pour thème la bibliothéconomie. Je me suis vite rendu compte des difficultés qu'un tel travail peut comporter dans un pays comme le Nicaragua. La mauvaise connexion à Internet et certains ordinateurs obsolètes ont rendu le travail plus compliqué que prévu.
J'ai aussi été confrontée à un problème de langue. En effet, la plupart des bibliothécaires de l'Institut ne maîtrisent pas l'anglais. Il y a donc des ressources auxquelles ils ont plus difficilement accès. Cela a particulièrement été le cas dans le domaine de la bibliothéconomie. Il existe un certain nombre de portails consacrés à ce thème en espagnol, mais parfois même sur des sites hispanophones, tous les liens renvoient à des ressources en anglais. Je trouve aussi dommage que, par exemple, le portail de l'UNESCO pour les bibliothèques ne propose pas une version en espagnol.
A ces difficultés s'ajoute un sentiment de frustration, celui de ne pas pouvoir proposer un autre type de ressources qui pourraient être très utiles. En effet, durant la deuxième année de cours, nous avons appris à utiliser les bases de données commerciales. Il est évident qu'ici, il est impossible de pouvoir se les offrir. C'était donc à chaque fois une déception quand je tombais sur le site d'une banque de données ou d'un périodique électronique intéressant mais coûteux. Heureusement, les ressources non payantes se développent, comme les archives ouvertes ou les périodiques électroniques gratuits. Il y a aussi des bases de données bibliographiques gratuites mais dans ce cas la difficulté est de fournir le document lui-même. Il existe par exemple un projet d'archives ouvertes pour l'Amérique latine mais, malheureusement, il n'en est qu'à l'état de test pour le moment. Il faut donc apprendre à prendre son temps et oublier nos standards européens. Lors de mon travail, je me suis aussi demandé à quel point les ressources trouvées peuvent être utilisées. Parfois la connexion à Internet est tellement lente que l'on peut rapidement se décourager.
La collection Dariana
L'autre moitié de mon travail a consisté à corriger le catalogage de la collection «Dariana», selon les normes AACR2. La bibliothèque possède en effet une bonne partie des œuvres de et sur Rubén Darío, grand poète nicaraguayen. Je devais donc, à partir de l'inventaire de la collection, vérifier le catalogage de chaque ouvrage, lui attribuer des descripteurs pris dans une liste restreinte et lui allouer une cote basée sur la classification Dewey. Je devais aussi compléter certains champs non remplis ou encore assigner un numéro de registre, unique pour chaque exemplaire. Il fallait aussi vérifier que la même édition ne fasse pas l'objet de deux notices catalographiques, ce qui était parfois le cas quand l'ouvrage se trouvait dans plusieurs fonds. Il s'est avéré que certains livres n'avaient pas leur place dans la collection, comme par exemple les textes écrits par les fils et petit-fils de Darío. Dans ce cas, ils ont été sortis de la collection et intégrés dans un autre fonds. Dewey, AACR2 sont autant de points de repère , même loin de chez soi. L'utilisation de normes et de standards ne permet pas seulement un meilleur échange de données, mais aussi de se retrouver en milieu familier, même dans un environnement très différent et de pouvoir pratiquer ce que j'ai appris en Suisse au Nicaragua. Par contre, j'ai eu quelques problèmes avec CDS/ISIS, le logiciel utilisé pour le catalogue. L'interface est peu conviviale et il m'a fallu du temps pour maîtriser certaines fonctions.
Petit bilan
Lors de ce stage, j'ai pu mettre en pratique mes connaissances en matière de recherche sur Internet et faire profiter la bibliothèque de ma plus grande habitude de l'utilisation de cet outil. Évidement, le travail que j'ai effectué n'est qu'un point de départ. Les documents que j'ai rédigés sont amenés à évoluer, au fur et à mesure que de nouvelles sources apparaissent ou que d'autre disparaissent.
Sur un plan personnel, cela m'a permis de faire des découvertes, tant sur le domaine Amérique latine que dans le domaine de la bibliothéconomie, autant de ressources qui pourront m'être utiles dans le futur. Toutefois, ce travail m'a demandé beaucoup de patience, qui n'est normalement pas une de mes qualités, et de flexibilité. J'ai aussi eu la satisfaction d'avoir assez de temps pour terminer les tâches qui m'avaient été confiées, aussi bien pour le guide de ressources que pour la collection Dariana , qui est maintenant entièrement recataloguée.
En prenant la décision de partir au Nicaragua, mon but n'était pas seulement centré sur la pratique professionnelle ; je souhaitais évidemment aussi découvrir une autre partie du monde et pratiquer une langue étrangère. J'ai pu faire un peu mieux connaissance avec la réalité nicaraguayenne en voyageant dans le pays, en lisant la presse quotidienne et en assistant à des conférences sur des thèmes d'actualité. Il n'est pas impossible que dans quelques années, je parte pour un projet de coopération quelque part dans le monde, mais je ressens aussi le besoin d'acquérir de l'expérience en Suisse, pour pouvoir ensuite en faire bénéficier d'autres personnes. Une chose est sûre, cette aventure m'a renforcée dans le choix de ma formation. En effet, dans un contexte où l'accès aux ressources documentaires est rendu plus difficile pour plusieurs raisons (financière, linguistique, technique...), je me rends mieux compte de l'importance du rôle que les professionnels doivent jouer pour faciliter l'accès à l'information.
Je garderai un bon souvenir de mes collègues et de l'ambiance de cette bibliothèque, même si pour moi, trois mois ont été trop courts pour m'intégrer complètement dans ce pays si différent. Toutefois, je resterai attentive aux événements et à l'évolution de ce coin du monde.
Étudiante de 3e année
Haute École de gestion (Genève)
Filière Information documentaire
Décembre 2005

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