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Renouvaud : de la gestion de projet à la coordination du réseau vaudois des bibliothèques
Ressi — 20 décembre 2018
Jeannette Frey, Directrice BCU Lausanne, Présidente Renouvaud
Piergiuseppe Esposito, Chargé de missions BCU Lausanne
Résumé
En 2014, le Canton de Vaud décide de quitter RERO, le réseau des bibliothèques de Suisse occidentale, pour migrer vers de nouvelles technologies cloud. La Bibliothèque cantonale et universitaire - Lausanne va utiliser la méthode de gestion de projets HERMES, développée par la Confédération. Elle renonce à passer aux règles de catalogage RDA, conserve le format MARC21. Elle complète le cahier des charges GEMEVAL, élaboré par RERO, IDS et la BNS, pour lancer un appel d'offres qui aboutit à la sélection du système Alma de l’entreprise Ex Libris. Le contrat est signé à la fin de l'été 2015. Le programme, intitulé Renouvaud, se compose de trois sous-projets : organisationnel, informatique et bibliothéconomique. Il englobe, à peu d'exceptions près, toutes les bibliothèques du Canton de Vaud : patrimoniales, scientifiques, scolaires et lecture publique. Le réseau Renouvaud est opérationnel dès le 22 août 2016. Considérant que le projet national SLSP a choisi la même solution informatique (Alma), Renouvaud devrait être à même de coopérer avec lui. Renouvaud a tenu les délais fixés en respectant le budget voté. Fin 2017, il offre plus de 3,5 millions de documents imprimés et presque 1 million de documents numériques.
Renouvaud : de la gestion de projet à la coordination du réseau vaudois des bibliothèques [1]
Historique de la décision vaudoise
Le projet Renouvaud a été initié suite à la décision du canton de Vaud de quitter RERO (REseau ROmand, réseau des bibliothèques de Suisse occidentale). Le 14 mars 2014, la Conseillère d’État Anne-Catherine Lyon, cheffe du Département de la formation, de la jeunesse et de la culture (DFJC), annonçait à la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP), organe titulaire de RERO, que le canton de Vaud se dédisait de la convention intercantonale RERO à fin 2016[2]. Cette décision était motivée par l’impossibilité de trouver une nouvelle gouvernance pour RERO après 8 ans de tractations, ce qui bloquait l’investissement pour le passage à de nouvelles technologies cloud. Plusieurs solutions pour la gouvernance avaient été étudiées, le concordat intercantonal, puis l’option de créer une association, sans succès. Au terme de nombreuses discussions et de longs blocages, la Conseillère d’État constatait que RERO était devenu pénalisant pour le réseau vaudois et la Bibliothèque cantonale et universitaire – Lausanne, en particulier pour répondre aux demandes pressantes des utilisateurs universitaires. Le 17 mars 2014, la Direction de la BCU Lausanne répercutait la nouvelle de la dédite de la convention auprès de l’ensemble de ses collaborateurs ainsi qu’aux partenaires des bibliothèques vaudoises membres de RERO.
Mandat donné par le politique pour Renouvaud
Donnant suite à cette décision, le DFJC émettait en avril 2014 un mandat de reprise de la gestion du réseau vaudois par la BCU Lausanne à la sortie du canton de Vaud de RERO, soit au 1er janvier 2017. Le mandat détaille les objectifs généraux et spécifiques du projet Renouvaud. À la fin du projet, la BCU Lausanne devait se trouver en mesure d’offrir une solution de gestion effective et efficiente du réseau, au point de vue organisationnel, financier et métier et avoir mis en place un système de gestion intégré de bibliothèque (SIGB) dans le cloud, permettant aux bibliothèques vaudoises de collaborer entre elles et avec d’autres réseaux suisses et francophones, ainsi qu’avec la Bibliothèque Nationale Suisse (BNS). Le mandat prévoyait également que la BCU Lausanne propose au DFJC une gouvernance pour le réseau vaudois ainsi qu’un nouveau business model avec des flux d’argent simples et transparents. Le défi était de taille en raison des délais imposés.
La gestion de grands projets à la BCU Lausanne
Pour la gestion de ses projets, la BCU Lausanne a recours à la méthode de gestion de projets HERMES, développée par l’Unité de pilotage informatique de la Confédération[3]. L’organigramme, les rôles, le phasage et planning ont donc été mis en place selon cette méthode. Le pilotage et la conduite reposent sur deux instances : un comité de pilotage (CoPil) et un comité de projet (CoPro).
Éléments de la méthode HERMES 5
Source : Manuel de référence HERMES 5.1 (repli cartonné de couverture)
Principes de base pour la mise en place du réseau Renouvaud
La BCU Lausanne a lancé le projet Renouvaud avec l’objectif d’implémenter les outils, services et processus de travail nécessaires à la reprise des fonctionnalités couvertes pour le réseau vaudois par les anciens outils de RERO, et de les compléter avec des fonctionnalités pour lesquelles le réseau vaudois n’avait pas reçu de réponses de RERO au cours des années précédentes – en particulier l’acquisition, la gestion et la mise à disposition des ressources numériques. Déjà au sein de RERO, la BCU Lausanne assurait pour les bibliothèques vaudoises la gestion d’un certain nombre de processus : bon nombre de formations dispensées, la participation aux groupes de travail et aux task forces, etc.).
La reprise complète de la gestion du réseau vaudois nécessitait cependant d’étudier les processus de travail partagés existants entre la Centrale RERO et la Coordination locale vaudoise, ainsi que de cartographier les processus de travail à créer pour compléter l’existant, un travail qui a été fait dans le cadre de la phase d’analyse préliminaire.
Plusieurs scénarios ont été élaborés, avec ou sans modification des règles de catalogage et du format de métadonnées lors de la migration des données.
Au-delà de leur utilisation au sein de RERO, les règles AACR2 (règles de catalogage anglo-américaines) constituaient alors l’ensemble structuré de règles de catalogage le plus usité dans le monde, traduit dans de nombreuses langues. Un mandat de veille prioritaire fut confié à un groupe de travail composé d’experts en catalogage afin d’évaluer l’impact et la faisabilité d’un passage aux normes RDA / FRBR durant la phase de conception du projet. Il en ressortit que le RDA n’était pas encore abouti, que la traduction française avait été interrompue et que la France ne prévoyait pas une transition dans un futur proche.
Finalement, ce fut le scénario impliquant un changement de SIGB sans passage aux règles de catalogage RDA, et sans modification du format des notices MARC21 vers un modèle FRBR qui fut choisi, en raison d’une part des délais de réalisation et de mise en œuvre très serrés et d’autre part parce que cela réduisait considérablement la complexité du projet.
Le cahier des charges Renouvaud
En ce qui concerne le cahier des charges, le projet Renouvaud ne partait pas de rien. De 2009 à 2012, RERO, IDS et la BNS avaient mené le projet GEMEVAL (Gemeinsame Evaluation eines neuen Bibliothekssystems), au cours duquel un cahier des charges commun avait été ébauché. Un appel d’offres commun n’avait cependant pas pu être envisagé, notamment en raison du fait que pour les partenaires IDS, chaque canton aurait dû être partenaire et valideur de l’appel d’offres public, ce qui semblait impraticable.
Après l’initialisation du projet Renouvaud, l’ébauche de cahier des charges issue de GEMEVAL a donc été reprise et complétée par un recueil exhaustif des besoins des membres du réseau vaudois, afin d’offrir un tableau synthétique des éléments principaux devant être couverts par un appel d’offres public. Les spécialistes de chaque domaine ont participé à la rédaction en détail de tous les points. La récolte des informations s’est déroulée par tandem de deux personnes : une personne en charge de la rédaction du besoin et une personne en charge de la relecture du besoin.
On remarquera que la description de la solution cible comprend des fonctions requises (obligatoires), des fonctions additionnelles souhaitables (optionnelles) et des fonctions facultatives (Nice to have). Cette différentiation résulte des conditions-cadres des appels d’offres publics. Les fonctions facultatives sont par exemple des points présentant un intérêt, mais hors périmètre du projet tel qu’évalué dans le cadre de l’appel d’offres public.
Les fonctionnalités standards étaient regroupées en sept modules pour décrire l’architecture fonctionnelle : acquisitions, catalogage, périodiques, lecteurs, circulation, statistiques et catalogue public. Les exigences du système, autant fonctionnelles que non fonctionnelles, ont été modélisées selon le formalisme UML des cas d’utilisation (Use Case). Les cas d’utilisation ainsi obtenus sont regroupés dans des modules qui eux-mêmes sont regroupés dans des thèmes. Pour chaque module précité, les exigences requises sont jugées indispensables pour le démarrage de l’exploitation du SIGB au 1er janvier 2017, tandis que les fonctionnalités souhaitées peuvent être mises à disposition des usagers dans un second temps.
L’appel d’offres public – état du marché du SIGB cloud en 2014
La rédaction du cahier des charges fut effectuée dans un temps record durant l’été 2014, ce qui permit de lancer l’appel d’offres public à l’automne 2014. L’objet du marché était d’acquérir et déployer un SIGB couvrant l’ensemble des besoins des bibliothèques du réseau vaudois ainsi que la fourniture de prestations associées. Le périmètre de l’offre comprenait la fourniture et la maintenance d’un SIGB dans le cloud, incluant la mise à disposition et la maintenance de deux environnements (soit production et test), ainsi que la formation de l’équipe de projet et des formateurs eux-mêmes.
Le marché a été adjugé sur la base des cinq critères d’évaluation suivants (avec leurs pondérations) : prix total de l’offre (30%), organisation pour l’exécution du marché (15%), qualité fonctionnelle et technique (30%), organisation de base du soumissionnaire (15%) et références du soumissionnaire (10%).
Négociations avec Ex Libris : quelques constats
La BCU Lausanne a reçu cinq offres dont deux durent être rejetées en raison du non-respect des conditions de forme et de participation. Sur les trois offres retenues, le choix de la solution Alma - Primo de la société Ex Libris présentait le rapport qualité-prix le plus avantageux. Alma est une solution cloud de SIGB dernière génération permettant une gestion unifiée de toutes les ressources documentaires, imprimées, multimédias et électroniques. Orienté processus, le logiciel propose des outils de gestion puissants et personnalisables, bien adaptés à un réseau de bibliothèques tel que le réseau vaudois. Primo est l’outil de découverte utilisé pour accéder au catalogue permettant l’accès direct à tout le contenu proposé par les bibliothèques du réseau ; cet outil était déjà connu des bibliothèques vaudoises dans la mesure où il s’agit de la solution à la base du portail Explore de RERO.
L’adjudication du marché fut suivie d’une assez longue phase de négociation. Pour ces formulations juridiques pointues, l’équipe de projet put s’appuyer sur le Service juridique et législatif (SJL) de l’État de Vaud, qui apporta une contribution fondamentale en termes de rédaction et de relecture du contrat. Après plusieurs tours de négociation, le contrat put être signé entre l’État de Vaud et Ex Libris à la fin d’été 2015, avec un démarrage officiel des activités de projet avec le fournisseur fixé au mois de septembre. En attendant, un premier workshop avec deux personnes d’Ex Libris – un chef de projet et un spécialiste de l’équipe d’implémentation du logiciel – fut organisé durant l’été 2015 à la BCU Lausanne, workshop au cours duquel le processus de migration des données fut discuté et la date du go-live confirmée au 22 août 2016.
Dès lors commença le long travail de description détaillée de l’implémentation. Une décision dut tout d’abord être prise sur l’architecture globale du système. Au premier niveau de définition, le système d’Ex Libris offre une « community zone » globale, agrégeant des données en provenance des éditeurs et de toutes les bibliothèques utilisant le système. Au second niveau, le réseau Renouvaud a acheté une zone réseau, qui génère pour le réseau un catalogue commun. Un troisième niveau regroupe toutes les bibliothèques scolaires et de lecture publique dans un ensemble, et toutes les bibliothèques scientifiques et patrimoniales dans un autre. Chaque ensemble partage ses fichiers lecteurs et d’autres paramétrages. Un quatrième niveau définit les bibliothèques, un cinquième respectivement leurs différents sites et dépôts.
L’affinage du paramétrage entraîna un grand nombre de discussions de détail : ainsi, pour le paramétrage de l’accès au catalogue des bibliothèques scolaires, l’équipe de projet exigea que dans ce catalogue n’apparaissent que les ouvrages disponibles dans la bibliothèque d’où était effectuée la recherche. Cette demande se justifie par le type de public qui fréquente les bibliothèques scolaires, peu apte à se déplacer physiquement dans une autre bibliothèque ou à effectuer un Prêt Entre Bibliothèques (PEB) pour emprunter un ouvrage. Aussi simple que cela puisse paraître, la question a posé de prime abord un problème de taille au fournisseur, pour qui ce type de développement allait à l’encontre de ceux prévus pour l’outil de découverte Primo. Finalement, les discussions portèrent leurs fruits et le problème fut réglé par la création d’un portail par bibliothèque scolaire.
Gestion du projet, structure du projet et personnels BCUL impliqués
- le projet d’organisation permettait de constituer le nouveau réseau vaudois de bibliothèques et de formaliser sa gouvernance. Le projet d’organisation a également défini la structure de la centrale de coordination du réseau vaudois de bibliothèques, ses responsabilités et son business plan. Il a établi le cadre contractuel déterminant les relations entre la BCU Lausanne, les membres du réseau et ses partenaires (RERO, BNS, BNF, etc.). Il a aussi été chargé de créer les conditions-cadres pour assurer une collaboration active entre bibliothèques du réseau vaudois et, dans la mesure du possible, avec d’autres réseaux de bibliothèques (IDS, SUDOC, etc.) ;
- le projet informatique comprenait l’acquisition du nouveau SIGB localisé dans le cloud, la migration des données et la recette du système qui devait permettre la gestion des ressources des bibliothèques du réseau vaudois, l’acquisition des ouvrages, le prêt, ainsi que l’accès aux contenus imprimés, multimédias et électroniques, dès le 1er janvier 2017 ;
- le projet bibliothéconomique permit de formaliser les normes et les standards appliqués au sein du réseau vaudois dans tous les domaines d’activité des bibliothèques, c’est-à-dire l’acquisition, le catalogage, le bulletinage, le prêt, le prêt interurbain, respectivement l’indexation et l’importation de masse de notices, l’activation des ressources numériques ainsi que la livraison d’indicateurs statistiques. Ceci permit aussi de créer et de dispenser les formations, ainsi que de mettre en place un contrôle qualité.
Selon HERMES, le pilotage du projet Renouvaud reposait sur un comité de pilotage (CoPil), qui assumait collégialement la responsabilité du projet dans son ensemble. Présidé par Jeannette Frey, directrice de la BCU Lausanne, et composé de représentants des différents types de bibliothèques membres du réseau vaudois, le CoPil s’est réuni tous les deux mois. Il a surveillé et piloté le déroulement du projet de manière globale, assuré l’acquisition et la mise à disposition des moyens nécessaires et garanti leur utilisation optimale. Le CoPil traitait aussi des problèmes extraordinaires, et, last but not least, validait les différents points de décision, notamment la conclusion et la libération des différentes phases du projet. Afin d’avoir une gestion professionnelle et neutre de la qualité et des risques, une consultante externe fut mandatée par la BCU Lausanne et associée au CoPil.
La conduite du projet reposait ensuite sur un comité de projet (CoPro), présidé par Alexandre Lopes, responsable Technologies bibliothécaires de la BCU Lausanne, ce dernier assumant le rôle de chef de projet. Le CoPro se réunissait de façon hebdomadaire. Le chef de projet était épaulé par un consultant externe mandaté pour prendre en charge la conduite de la partie informatique du projet. Au bénéfice de compétences sénior en gestion de projet, il était le principal répondant pour l’appel d’offres public, les spécifications détaillées ainsi que la recette.
Le projet Renouvaud se composait de trois sous-projets afin de répondre aux exigences du mandat du DFJC :
Organigramme Renouvaud
Source : Rapport Annuel Renouvaud 2017, p. 15.
Les tâches des sous-projets ainsi que les activités transversales furent assurées par une dizaine de groupes de travail ad hoc : GT appel d’offres, GT migration, GT spécifications détaillées, GT recette, GT bibliothéconomie, GT fonctionnement du réseau, GT formation, GT gestion qualité, GT communication, GT gestion du changement et GT organisation de la coordination. Les objectifs des groupes de travail furent définis dans un mandat propre à chaque groupe. Chaque responsable gérait son GT comme un projet en tant que tel avec son propre planning, ses charges, ses délais et ses livrables. Il assurait la coordination des activités du groupe et était garant du respect des délais et des jalons fixés par le groupe. Il veillait également à la qualité des livrables de son groupe, avec le support de la responsable Qualité. Du côté de la BCU Lausanne, le chef de projet prit en charge le GT migration, tandis que le directeur adjoint du site Unithèque, Jean-Claude Albertin, dirigea le GT fonctionnement du réseau et le GT gestion du changement. Un apport majeur vint aussi de Jasmin Hügi (GT bibliothéconomie), de Jean-François Richer (GT formation) et de Fanny Peuker (GT organisation de la coordination). 80% des personnels impliqués dans les groupes de travail furent mis à disposition par la BCU Lausanne, 20 % par les autres membres du réseau, avec des provenances aussi diverses que les bibliothèques scolaires et les bibliothèques du CHUV.
Principaux défis dans la gestion du projet
Au cours de l’année 2015, le CoPil a pris l’une après l’autre les décisions nécessaires à la formulation du concept et à la réalisation du projet Renouvaud. Le CoPil a notamment validé les organigrammes pour les différentes phases du projet, les règles de catalogage au passage sur le nouvel outil, le plan de communication, le plan qualité, le suivi des risques, la topologie du futur réseau, les mesures de protection des données des lecteurs et l’interfaçage avec des applications tierces. De plus, le CoPil a validé le passage à une indexation avec RAMEAU précoordonnée, composé d’une chaîne de mots matières (en opposition à l’utilisation de mots matières individuels). Parmi les nombreux avantages de cette pratique, on doit mentionner l’exploitation des indexations des bibliothèques partenaires RAMEAU (p.ex. BNF, SUDOC) et une meilleure exploitation de Primo dans l’organisation hiérarchique des mots matières.
L’un des principaux défis dans la gestion du projet fut de tenir les délais tout en maintenant la motivation des collaborateurs sur la durée. Un planning détaillé du projet fut établi et mis à jour régulièrement, afin d’avoir une vue d’ensemble de l’avancement des travaux de chaque groupe de travail. Outre les rapports de phase produits à la fin de chaque phase HERMES, des documents de reporting permirent de jalonner la vie du projet Renouvaud avec une périodicité mensuelle : le rapport d’état du projet, le rapport d’évaluation des risques et l’état des lieux des groupes de travail.
Un autre défi de taille était de réussir à motiver les groupes de travail impliqués dans le projet, sous la contrainte d’un planning serré. Une grande importance fut accordée par le chef de projet au recrutement de membres des équipes et des groupes à la fois engagés, motivés et prêts à relever un défi sur une durée relativement longue. Pendant toute la durée du projet, les vacances furent accordées en fonction du calendrier du projet et des reports furent parfois nécessaires afin de tenir les délais. L’équipe de projet fit également preuve de souplesse et ne ménagea pas ses efforts en termes d’horaires, les séances pouvant se prolonger jusque dans la nuit.
La définition précise des configurations souhaitées, les tests et la préparation de la migration des données ont constitué un autre défi majeur pour l’équipe de projet. Un test de conformité des données à migrer relativement aux spécifications de migration fut suivi par un test de chargement des données dans le futur système informatique. Conformément à la loi sur la protection des données, au début du mois de décembre 2015 et avant de charger les données dans le système même test, une communication fut faite à l’ensemble des usagers les informant que leurs données seraient transmises au fournisseur du nouveau SIGB. La bonne préparation de la communication permit d’optimiser cette étape et seule une trentaine de personnes refusa que leurs données soient transmises, dont une quinzaine pour des raisons autres que la protection des données. En parallèle, les données extraites du catalogue de RERO furent transmises via un protocole sécurisé à Ex Libris le 14 décembre, date à laquelle commença donc la migration de test sur l’intégralité des données ; le but de cette opération était de faire une répétition générale de la migration de bascule prévue en août 2016. Ex Libris livra dans les délais prévus l’environnement de préproduction du logiciel Alma, le 8 février 2016. Dès la livraison effective, le groupe de travail chargé de la migration effectua des tests de manière à s’assurer que la qualité des données était bien conforme pour poursuivre les travaux. Aucun problème majeur nécessitant de refaire entièrement la migration de test ne fut rencontré. Quelques anomalies furent détectées et rigoureusement inventoriées, mais, de manière générale, la qualité des données migrées fut jugée très satisfaisante. En dépit du décalage en urgence du début de la phase de bascule (cutover) en raison d’une erreur de planification du fournisseur, la migration de bascule put être effectuée au moment du passage en production, soit le 22 août 2016.
La traduction des interfaces des outils Alma et Primo, qui faisait partie du cahier des charges pour l’appel d’offres, représenta un autre défi à gérer pour l’équipe de projet ainsi que pour les différents groupes de travail impliqués, et en particulier pour le GT6 formation. Lors de la livraison des interfaces en français, prévue relativement tardivement pour le printemps 2016, des problèmes de traduction de l’anglais, voire des oublis furent détectés. De plus, certaines traductions portaient parfois à confusion soit pour les professionnels, car le vocabulaire-métier ne se retrouvait pas dans Alma, soit pour les utilisateurs. Bien que des contrepropositions de traduction furent faites par la Coordination Renouvaud, il s’avérait parfois très laborieux d’obtenir l’intégration des modifications demandées. Concernant l’aide en ligne d’Alma, les textes furent traduits en français, mais les captures d’écran et les vidéos restèrent finalement en anglais, en raison du fait qu’elles sont mises à jour de manière centrale pour toutes les langues. Cela ne fut pas sans poser problème au groupe de travail chargé de la formation de plus de 500 collaborateurs du réseau avant le lancement.
Renouvaud se lance !
À la veille du go-live, les résultats obtenus par les équipes et les groupes de travail furent considérés conformes aux attentes. Concernant la partie informatique du projet, la recette était terminée avec un bilan de 80% des besoins testés avec succès. Après de longs mois de préparation, Renouvaud fut lancé le 22 août 2016, comme prévu dès le montage du projet avec le fournisseur juste après l’adjudication du marché. En dehors d’un problème mineur avec le chargement des données « lecteurs » des bibliothèques scolaires, le démarrage fut fluide et les services proposés aux usagers furent actifs dans tout le réseau dès 14h00 ce jour-là, à l’heure prévue pour le début des activités de prêt. Pour l’anecdote, la première transaction fut effectuée à 14h01. Le service de prêt fut tout de suite fonctionnel, des dizaines de milliers d’utilisateurs purent se loguer pendant la première semaine et il y eut beaucoup de feedbacks positifs des bibliothèques du réseau. Certes, le 22 août ne fut qu’une étape et de nombreuses tâches attendaient encore l’équipe de projet. Les mois qui suivirent le lancement permirent néanmoins aux collaborateurs et aux utilisateurs de prendre en main l’outil et de l’utiliser quotidiennement dès avant la sortie effective du réseau RERO, soit au 31 décembre 2016.
Plusieurs actions de communication accompagnèrent le lancement. Outre les informations régulièrement mises à jour sur le site web de la BCU Lausanne, une charte graphique Renouvaud fut créée et déclinée, aussi bien sur les interfaces du SIGB que sur les imprimés, crayons et sacs distribués dans toutes les bibliothèques du réseau. À l’interne, plusieurs séances plénières réunirent les professionnels du réseau tandis que des messages informant les usagers et des présentations publiques permirent de préparer les usagers à ce changement.
Les travaux après le lancement
La migration des données étant désormais terminée et le changement de logiciel effectif, la Coordination Renouvaud reprit ses travaux. Lorsque les fonctionnalités offertes par les outils Alma et Primo ne répondaient pas aux besoins ou attentes, des développements informatiques furent faits en interne afin de se rapprocher au maximum du fonctionnement prévu. Pour gérer les demandes en provenance des bibliothèques du réseau, un outil de ticketing testé au préalable à la BCU Lausanne fut mis à disposition de tous les professionnels du réseau après le go-live. Dès lors, un important travail de stabilisation du système fut mené par la Coordination : elle repérait les dysfonctionnements des outils et les annonçait à l’équipe de support d’Ex Libris, afin qu’elle puisse les résoudre ou proposer une solution de contournement dans les meilleurs délais. Ex Libris acceptait de faire des développements s’il s’agissait d’un besoin partagé par un nombre suffisamment important de clients. Ainsi, Alma évolue très régulièrement avec des mises à jour mensuelles de l’outil contenant des améliorations et de nouvelles fonctionnalités. Le paramétrage fin de certaines fonctionnalités permit l’adoption progressive de « bonnes » pratiques et la prise en main d’Alma par les professionnels du réseau vaudois ; ceci s’accompagna de la mise à disposition de manuels sur mesure pour intégrer les processus.
À la fin de l’année 2016, la Coordination Renouvaud mit pour la première fois à disposition des bibliothèques du réseau toutes les statistiques habituellement fournies par la Coordination vaudoise ou par RERO. À noter que la nouvelle plateforme de gestion implique certaines différences dans la façon d’élaborer les chiffres, différences liées aux méthodes propres à chaque logiciel. Alma propose un outil très puissant de génération de produits et statistiques nommé Analytics (développé par Oracle) qui permet aux bibliothécaires-système de préparer des rapports et listages flexibles. Le tableau de bord « statistiques d’acquisitions » est par exemple destiné à faciliter le pilotage, la gestion des budgets et des commandes dans Alma. Il s’agit alors de définir les paramètres permettant la génération correcte de ces statistiques en fonction d’un certain nombre de critères choisis par les bibliothécaires du réseau. Parfois, des erreurs de calcul furent repérées et corrigées grâce au zèle des bibliothécaires – ce fut le cas par exemple des statistiques des prolongations de prêt.
Par ailleurs, un toilettage des processus de travail est amorcé au sein de la BCU Lausanne, aussi bien dans le cadre du circuit du document que dans celui des services au public, afin de revoir ou de redistribuer autrement certaines tâches. Pour ce faire, des réflexions approfondies sont engagées par les différents services sur la manière de fonctionner, le potentiel de collaboration entre les équipes, les sites et avec le réseau.
L’utilisation d’un système cloud permet en l’essence de partager et de réutiliser très facilement des métadonnées en provenance du monde entier. D’autres acteurs suisses avancent également dans la réinformatisation de leurs bibliothèques et réseaux. La Bibliothèque nationale suisse, tout comme le projet SLSP (pour Swiss Library Service Platform, géré maintenant par la SLSP S.A.) utiliseront à moyen terme les mêmes outils que le réseau Renouvaud. La question est donc maintenant de savoir comment ces différents acteurs suisses interagiront au niveau national sur la base d’un même outil plus global, quelles coopérations seront envisagées, respectivement quels services seront proposés par une plateforme commerciale comme SLSP S.A., à quel prix et avec quelle plus-value pour les éventuels clients.
Interconnexion des systèmes par APIs
Un des avantages d’un système comme Alma est son potentiel de connexion facilitée à d’autres systèmes par les APIs (Applications Programming Interfaces). À l’initiative de deux services centraux de la BCU Lausanne, l’interfaçage avec d’autres systèmes apporta rapidement une autre pierre à l’édifice Renouvaud. La 1re Assemblée annuelle Renouvaud du 29 septembre 2017 fut l’occasion de présenter GOBI de la maison EBSCO, un outil d’acquisition automatisée de livres numériques.
De son côté, le service Finances de la BCU Lausanne étudia le développement d’une interface permettant l’interconnexion avec le système de facturation de l’État de Vaud (SAP). Ensuite, les principaux fournisseurs furent contactés afin de leur proposer de passer au système d’importation automatique de factures en format EDI (Electronic Data Interchange). La mise en place de ce système permettra un gain de temps considérable au service Finances ; une extension de ce système à d’autres bibliothèques du réseau est envisagée à moyen terme. Ces deux réalisations permettent à la fois de travailler de manière plus efficace (réduction du temps), et plus efficiente, car elles permettent de diminuer le risque d’erreurs.
Gestion du réseau vaudois par la Coordination Renouvaud
Au début de l’année 2017, Renouvaud sortit peu à peu du mode projet et mit en place les différents organes pour garantir un fonctionnement efficient sur la durée. Le CoPil muta en Conseil Renouvaud et valida d’une part les missions, la structure et l’organisation de la Coordination Renouvaud et confirma d’autre part la mise en place des commissions techniques pour traiter les questions métier au sein du réseau. Un responsable de la Coordination Renouvaud put être recruté en la personne de Christian Bürki, dès le 1er mai 2017. Son engagement s’accompagna de la mise en place d’un plan d’action composé de trois axes stratégiques : stabiliser, optimiser et innover. Les deux premiers axes posèrent les bases pour la gestion du réseau les années à venir. D’abord, il s’agissait de consolider le fonctionnement du réseau après le lancement de la nouvelle plateforme. Ensuite, il s’agissait de simplifier et de standardiser les tâches afin d’augmenter la cadence de l’intégration des bibliothèques. En effet, la vitesse d’intégration des bibliothèques dépend non seulement des ressources financières et humaines à disposition, mais aussi de l’expérience acquise avec Alma.
Dès le mois de mai 2017, la Coordination se penchait sur le processus d’intégration des nouvelles bibliothèques et les paramétrages de base d’Alma. Le temps de paramétrage du prêt fut divisé par 10 après 5 mois. En parallèle, il fut établi que l’optimisation du processus d’intégration passera par une priorisation des bibliothèques à intégrer en fonction de leur degré de complexité d’intégration, selon les prestations sollicitées. Le principe est d’intégrer les bibliothèques par wagons, selon les paramétrages souhaités. Afin de les intégrer pleinement au réseau, la migration de leurs données, la formation des collaborateurs et le paramétrage de l’outil sont réalisés. L’année 2017 permit ainsi une première consolidation de la plateforme hébergeant déjà 109 bibliothèques du réseau vaudois. Ce fut l’occasion d’harmoniser un certain nombre de pratiques, par exemple au niveau des règles de prêt, de mettre en place des procédures et de développer des outils pour faciliter l’arrivée de nouveaux membres. Un des premiers outils développés permit de charger de manière semi-automatique les données des étudiants et écoliers avant chaque nouvelle rentrée scolaire. Une adaptation de l’outil de raccrochage pour les migrations permettra de concrétiser ultérieurement les efforts de la Coordination. En effet, ce seront plus de 50 nouvelles bibliothèques qui vont grossir le réseau Renouvaud entre 2018 et 2021.
Organes Renouvaud
Source : Rapport Annuel Renouvaud 2017, p. 11.
Bilan deux ans après le lancement
Lors du lancement du projet Renouvaud en 2014, la Conseillère d’État Anne-Catherine Lyon avait défini les objectifs généraux et spécifiques du projet. Deux ans après le lancement de la nouvelle plateforme de gestion, 95% des fonctionnalités ont été validées et les objectifs ont tous été atteints, sauf la validation formelle de gouvernance, qui est encore en attente. La publication du premier rapport annuel Renouvaud 2017 montre que les délais ont été tenus et le réseau Renouvaud dispose depuis le 1er janvier 2017 de toute l’infrastructure nécessaire au bon fonctionnement des bibliothèques le composant. Le budget a été respecté et le solde au 31 décembre 2017 du crédit d’investissement s’établit à CHF 85'494. A cette date, Renouvaud compte au total 109 bibliothèques, dont 53 scientifiques et/ou patrimoniales et 56 bibliothèques scolaires et de lecture publiques. Les chiffres de l’utilisation du réseau par les publics sont excellents et représentent une progression forte par rapport aux années précédentes : de l’offre imprimée totale (3'507'127) à l’offre de ressources électroniques (938'443), des recherches dans le catalogue (2'111’813), du nombre de prêts (1'843'627) au nombre de consultations des ressources électroniques (près de 3 millions). De toute évidence, l’intégration des outils Alma et Primo, permet aux publics d’accéder plus facilement aux ressources imprimées et numériques.
En 2017, Renouvaud est l’un des plus grands réseaux de bibliothèques suisses et le premier à utiliser une plateforme de dernière génération basée sur une technologie cloud. Pour relever les défis de la 4e révolution industrielle, qui touchent les bibliothèques de plein fouet, Renouvaud a mis en place une organisation structurelle agile au niveau des décisions stratégiques. Le réseau a aussi construit une équipe bicéphale, technique et métier, qui permet une gestion professionnelle de la plateforme technique tout en maintenant un lien métier fort avec les bibliothécaires, stimulant d’échanges intensifs et assurant la formation continue des bibliothécaires. Cette organisation s’appuie sur une bonne compréhension du terrain et permet une mise en place de processus et d’outils les plus adaptés possible aux besoins de plus de 500 professionnels du réseau qui travaillent quotidiennement au service d’environ 140’000 usagers de tous les âges. Renouvaud est un réseau jeune, dynamique et complexe qui est en train de mûrir grâce aux échanges entre professionnels du réseau. L’organisation d’assemblées annuelles et de tables rondes par la Coordination Renouvaud nourrit cette perspective. Ces plateformes d’échanges entre professionnels permettent la circulation des informations et des idées et font progresser l’ensemble du réseau, tout en ouvrant des perspectives de collaboration très réjouissantes dans les années à venir.
Bibliographie
DFJC, Reprise de la gestion du réseau vaudois par la Bibliothèque cantonale et universitaire Lausanne (BCU Lausanne) au 1er janvier 2017, 8 septembre 2014
État de Vaud et BCU Lausanne, Appel d’offres marché public : procédure ouverte. Projet Renouvaud. Conditions et formes de participation, 11 novembre 2014
État de Vaud et BCU Lausanne, Appel d’offres marché public : procédure ouverte. Projet Renouvaud. Cahier des charges, 11 novembre 2014
État de Vaud, Exposé des motifs et projet de décret accordant au Conseil d’État un crédit d’investissement de CHF 2'307'000 pour financer la mise en œuvre du futur réseau vaudois des bibliothèques et du système d’information associé dans le cadre du programme de gestion des bibliothèques du réseau vaudois (RenouVaud), juin 2015
Lettre d’information Renovaud, années 2015-2018
Rapport annuel BCU Lausanne, années 2014-2017
Rapport annuel Renouvaud, année 2017
Notes
[1]Note méthodologique. La préparation de cet article se base sur la consultation de sources publiées et non publiées produites dans le cadre du projet Renouvaud. Certaines parties de l’article reprennent le contenu des rapports annuels de la BCU Lausanne et du premier rapport annuel Renouvaud, édités sous la direction de Jeannette Frey. Nous avons également repris et adapté certaines parties des sources non publiées (rapport d’initialisation, rapport d’analyse préliminaire et appel d’offres public du projet Renouvaud). Nous remercions vivement Alexandre Lopes, Christian Bürki et Jasmin Hügi pour leurs renseignements et suggestions. Le contenu de cet article reste bien sûr de la seule responsabilité de ses auteurs.
[2]Comme le stipule l’article 24 de la Convention RERO, adoptée le 25 novembre 1999, la sortie est effective au 31 décembre 2016, afin de respecter le délai de sortie de 24 mois à l’avance pour la fin d’une année civile.
[3]HERMES online : http://www.hermes.admin.ch. La version 5 a été lancée en 2013 et le release 5.1 en juin 2014.
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Les bibliothèques de la Communauté du savoir
Ressi — 20 décembre 2018
Agnès Dervaux-Duquenne, bibliothécaire-responsable, Haute Ecole Arc Ingénierie
Les bibliothèques de la Communauté du savoir
Des solutions simples pour des défis complexes
Un des derniers livres blancs partagés sur le site http://www.archimag.com/ [1] nous propose une étude intitulée « Les défis des bibliothèques universitaires au cœur de l’enseignement, de l’apprentissage et de la recherche » [2].
Notre métier change, c’est une évidence, notre profession évolue, et nous aussi, les professionnel-le-s. Les défis identifiés se posent donc autant au niveau des lieux, des institutions et des objectifs que des ressources, des outils et enfin des compétences des personnels.
C’est une chance dès lors de faire partie d’une des institutions membres de la Communauté du savoir et de bénéficier des encouragements et des infrastructures mises en place pour se rencontrer, partager sur nos pratiques, nos savoir-faire, nos questions et nos solutions et tenter de développer des projets à haute valeur ajoutée avec nos collègues régionaux transfrontaliers.
Mais qu’est-ce que cette Communauté du savoir ?
La Communauté du savoir : historique et composantes
La Communauté du savoir (Cds) est un réseau visant à renforcer, valoriser et stimuler les collaborations franco-suisses dans l'Arc jurassien en matière d'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation.
D'abord sous l'égide de la Conférence TransJurassienne, la Communauté du savoir a organisé tous les deux ans (2012, 2014, 2016) un colloque transfrontalier afin de permettre aux acteurs de la collaboration transfrontalière dans les domaines de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation de se rencontrer et d'échanger sur les solutions à apporter aux problématiques inter-régionales générées par les frontières. Les colloques se sont tenus alternativement en France et en Suisse afin de permettre aux participant-e-s de visiter un établissement partenaire.
Le premier colloque de 2012 a été organisé à l'’École Nationale Supérieure de Mécanique et des Microtechniques (Besançon, France) et a réuni une centaine d'acteurs des échanges franco-suisses. Il a donné lieu à la signature d'une déclaration d'intention signée par 17 partenaires présents et a permis de créer les prémices d’une communauté du savoir, de la recherche et de l’innovation de l’Arc jurassien.
Le deuxième colloque de 2014 s’est tenu à la Haute Ecole Arc (Neuchâtel, Suisse) et a réuni environ 150 participant-e-s autour de la thématique : "La collaboration transfrontalière : aller au-delà des outils existants". C’est lors de ce colloque qu’ont été proposées de nouvelles pistes d'actions franco-suisses structurantes dans plusieurs domaines - dont les bibliothèques, et que le nom de cette communauté a été validé par les participant-e-s.
Le troisième colloque de 2016 a eu lieu à l'Atria de Belfort (France) sur le thème "Frontières : dynamique et enjeux d'un territoire transfrontalier", et a permis de mettre en lumière les avantages (également pour les acteurs publics et politiques) liés à la coopération au sein du réseau de la Communauté du savoir. La signature d’un accord-cadre entre sept membres académiques est venue consolider cette volonté de travailler ensemble et de soutenir activement le développement de leurs collaborations.
Les sept membres académiques sont les suivants :
- l’Ecole Nationale Supérieure de Mécanique et des Microtechniques (ENSMM) - Besançon
- la Haute Ecole Arc (HE-Arc) – Neuchâtel
- la Haute Ecole d’Ingénierie et de Gestion du canton de Vaud (HEIG-VD) - Yverdon
- la Haute Ecole Pédagogique des cantons de Berne, Jura et Neuchâtel (HEP-BEJUNE)
- l’Université de Franche-Comté (UFC)
- l’Université de Neuchâtel (UniNE)
- l’Université de Technologie de Belfort-Montbéliard (UTBM)
Inscrite dans un territoire de coopération qui couvre actuellement la Franche-Comté côté français et les cantons de Berne, Jura, Neuchâtel et Vaud côté suisse, la Cds est, par son existence et son développement, un facteur de dépassement de la frontière au profit d’une mise en commun de potentiels scientifiques, académiques, culturels et économiques de l’entier de l’Arc jurassien franco-suisse.
Depuis 2014, ce projet est soutenu par le programme européen de coopération transfrontalière Interreg V France-Suisse 2014-2020 et a bénéficié à ce titre d'un soutien financier du Fonds européen de développement régional (FEDER). Grâce à ces fonds, les premiers objectifs de la Cds ont pu être atteints, à savoir un soutien direct à la mobilité des personnes engagées, à l’organisation d’actions, de journées thématiques, de mises en réseau des structures d’innovation et de groupes comme celui des bibliothèques.
Actuellement, la dernière phase du projet Cds est en préparation et son objectif est de pérenniser les acquis et les actions de ce réseau dont l'autonomie de fonctionnement doit être atteinte au 1er janvier 2020.
Dans cette perspective, le projet se développera en 2019 autour de trois nouveaux objectifs qui rassemblent et prolongent ceux de la période 2015-2018 :
-
Un campus transfrontalier à même de poursuivre et d’impulser des projets de collaborations ;
-
Un incubateur de projets transfrontaliers destiné à accompagner au cas par cas la structuration et le montage de projets de collaborations ;
-
La pérennisation du réseau en vue de préparer le transfert des responsabilités et des financements aux établissements membres à l’horizon 2020.
Bilan Cds 2015-2018
Une évaluation globale réalisée en octobre 2018 a montré que, entre les projets et groupes de travail prospectifs, séminaires et journées thématiques, réunions de gouvernance et de coordination du réseau, webcasts et stages, 118 rencontres franco-suisses ont eu lieu entre 2015 et 2018 et 4263 personnes ont participé à ces échanges. Ces chiffres ont fini de convaincre les partenaires engagés de pérenniser leur soutien pour maintenir actifs les groupes engagés et tenter de poursuivre les démarches encore en réflexion.
Voici à quoi ressemble aujourd’hui le bilan de ces actions et préconisations.
Les groupes de travail dits de "proposition"
Cotutelles de thèse
A l'issue de ses séances de travail, la principale préconisation du groupe a été d’élaborer une procédure pilote entre les établissements partenaires de la Communauté du savoir en ciblant 3-4 diplômes de masters éligibles à l’inscription d’une formation doctorale donnée. L’idée est de démontrer la valeur ajoutée d'un réseau comme la Cds et notamment sa capacité à favoriser des synergies interdisciplinaires.
Formations continues
Le groupe de travail a livré les préconisations suivantes :
-
Proposer des partages d’expérience pédagogique entre les acteurs du réseau ;
-
Faciliter les échanges de pratiques en termes d’activités métier opérationnelles (intitulé des offres de formation, partenariats dans les formations continues, mise à disposition de ressources en ligne) ;
-
Constituer un annuaire des personnes-ressources dans chaque établissement.
Formations initiales
Sur la base d’une analyse des situations de formations bi ou tri-nationales existantes, de la typologie de ces situations sur la base de leur organisation (doubles diplômes, élaboration de titres commun, …), quelques recommandations ont été proposées :
-
combiner des formations existantes afin de déboucher sur des "doubles diplômes " ;
-
intégrer dans des programmes au sein de différents établissements des modules de cours/formations construits en communs ;
-
développer un « annuaire » d’enseignant-e-s (par discipline/compétence) qui pourrait faciliter l’émergence d’un tel ensemble de cours;
-
développer un référentiel d'aides à la mobilité des étudiant-e-s (identification de lieux de stages, ...).
Offensive Sciences
Ce groupe a orienté ses travaux sur trois niveaux :
-
Etudier le fonctionnement du programme de financement des travaux de recherche « Offensive Sciences » de la Région Métropolitaine Trinationale (RMT);
-
Explorer des pistes de réflexions autour de nouveaux outils de financement pour la recherche dans le réseau de la Communauté du savoir;
-
Exprimer des recommandations pour les futures programmations de la Communauté du savoir sur le sujet.
Toutefois, il était impossible pour ce groupe de produire des résultats directement exploitables, les enjeux évoqués étant plutôt de nature "politique". Les discussions devront donc se poursuivre au sein du comité de pilotage et des responsables d'établissements de la Cds, la mise en place éventuelle d'un fonds de ressources mutualisées relevant de ce niveau de décision.
En parallèle à ces différents groupes de travail, des études et actions ont été menées qui ont permis de proposer des guides de financements, un soutien à la mobilité des collaborateurs et collaboratrices des structures académiques de la Cds, la mise en place de stages et séminaires communs, l'identification d'expert-e-s pour la constitution de jurys et l'offre d'une solution de visioconférence flexible pour les membres de la Cds.
Un accent important a également été mis sur les actions de communication : site internet, cartographie en ligne des acteurs du territoire, Webcastings et captations d’événements organisés par les partenaires de la Cds, plateforme de partage de fichiers/documents (GED), nouveaux outils de communication (flyers, livrets) pour faciliter la diffusion des objectifs du réseau auprès des différents publics-cibles et pour favoriser l'appropriation des différents financements proposés par les enseignant-e-s et les étudiant-e-s.
Les groupes de travail dits "actifs"
Jurassic Labs
Les FabLabs mettent à disposition de nouveaux dispositifs de fabrication numérique et la connaissance de leur utilisation.
L'intérêt de ces ateliers est de faire sortir la créativité des bureaux d’études et des laboratoires universitaires en ouvrant à la population des lieux d'expérimentation accessibles.
L’autre force des FabLabs est de mettre en relation des types de personnes qui ne se rencontrent généralement pas, ou peu : étudiant-e-s et spécialistes de différents domaines ; universitaires et industriel-le-s, artistes et ingénieur-e-s, générations différentes.
Jurassic Labs propose d’étendre ces mises en réseaux, internes à chaque FabLab, à tous les FabLabs et structures de créativité (existants ou futurs) du territoire de la Communauté du savoir. Il propose également que ce réseau devienne le lien naturel de tous ces territoires pour ce qui est des questions de créativité et d’innovation. Les FabLabs offrent en outre l’avantage d’être neutres, entre industries et universités, entre économie publique, économie privée et économie collaborative, un territoire commun où tout le monde se sent à l’aise pour interagir.
L’objectif de Jurassic Labs est ainsi résumé : créer des ponts verticaux entre trois niveaux identifiés :
Sphère «maker» = espace citoyen ( Fablabs, HackerSpaces, MakerSpaces etc.).
Sphère «professionnelle» = espace de l’économie privée (réseau des centres créatifs [sens large], pépites, etc., connecté aux entreprises, start-ups, chambres de commerce, etc.).
Sphère «institutionnelle» = espace de l’économie publique (réseau des institutions [hautes écoles, universités], connecté au monde politique).
Deux actions principales ont pu être développées par ce groupe :
-
un FabLab mobile transfrontalier dans l'Arc jurassien, plus particulièrement à destination des publics scolaires, via des modules pédagogiques; une version expérimentale de ce FabLab mobile circulera côté France d’ici la fin 2018;
-
une forte implication au Crunch à Belfort en mai 2018, apportant ainsi un soutien « maker » aux 1'500 participant-e-s de ce hackathon universitaire et industriel.
ArcLab
Projet pilote et expérimental, l'action ArcLab a été mise en place à la rentrée 2018 avec pour objectifs l’identification et la définition de compétences pour des professions emblématiques du territoire, en lien avec les enjeux du 4.0 identifiés comme prioritaires par le Comité de pilotage.
Deux ateliers ont permis aux enseignant-e-s/chercheurs et chercheuses de la Cds d’identifier les professions sur lesquelles travailler et de poser les bases des compétences-clefs présentes et à venir, et profils-types qui les composent. A cette occasion, quatre professions emblématiques ont été identifiées (e-firmier-ère, community commerçant-e, digital transgénieur-e et digital transformateur-trice).
Cette expérimentation permettra la réalisation de vidéos thématisées sur chacune des quatre professions étudiées, à destination des établissements membres du réseau et des collectivités publiques.
Les bibliothèques de la Cds
Chacune des 7 institutions partenaires dispose d'une (ou d'un réseau de) bibliothèque(s) que l’on peut identifier sur cette carte :
Ces bibliothèques partagent 20 lieux physiques et emploient 150 collaborateurs et collaboratrices environ. Certaines sont rassemblées en un seul lieu (pour des domaines différents), d'autres sont réparties sur un territoire géographique de type campus. Elles ont également en commun d'avoir comme principal public les étudiant-e-s et enseignant-e-s de leur établissement, ainsi que des chercheurs et chercheuses orientés "métier". Mais les personnes privées et professionnelles sont également bienvenues et présentes dans ces structures.
Toutes ensemble ces bibliothèques conservent et mettent à disposition de leurs publics environ 1.000.000 de documents papier et elles traitent environ 420.000 prêts par an. Organisées en consortiums dans leurs pays respectifs, elles proposent en outre un nombre imposant de ressources en ligne aux membres de leurs institutions.
Dès les balbutiements du réseau, ces mêmes bibliothèques se sont regroupées et ont immédiatement perçu l'intérêt qu'elles auraient à collaborer. Non seulement elles sont toutes pilotées au sein d'une institution d'enseignement supérieur mais en plus, les thématiques qu'elles couvrent sont parfois proches, voire très proches et donc complémentaires en terme de fonds documentaires (bibliothèques « jumelles » de part et d’autre de la frontière).
Très rapidement, elles ont mis en place des actions simples de collaborations basées sur une charte qui part du principe de base de réciprocité et qui favorise la mise en réseau de bibliothèques membres. Cette charte s’établit sur une base d’égalité et d’avantages mutuels.
Dès avant la signature de l'«accord-cadre» validé par les responsables des institutions partenaires en juillet 2017, les différentes actions prévues ont immédiatement été mises en œuvre ou en chantier. Il s'agit de :
1 : Accueil réciproque des étudiant-e-s des établissements membres de la Cds
Cela signifie que toute personne inscrite dans une de ces bibliothèques bénéficie gratuitement d’une carte de bibliothèque dans un autre établissement membre.
Ainsi les étudiant-e-s qui optent pour un parcours mixte (voir par exemple le partenariat mis en place entre la HE-Arc ingénierie et l'UTBM) ont accès aussi bien aux ressources de la bibliothèque de leur institution d'affiliation qu'aux ressources de la bibliothèque du lieu sur lequel ils poursuivent leur formation.
2 : Prêts entre bibliothèques
Les bibliothèques ont établi une procédure très simple qui permet, grâce à la mutualisation des liens vers les catalogues en ligne (voir plus loin), de demander en prêt entre bibliothèques un ouvrage détenu par une bibliothèque partenaire de l'autre côté de la frontière. La communication se fait par e-mail et une plateforme collaborative permet d'enregistrer les échanges ainsi convenus. Les prêts sont accordés gratuitement par les bibliothèques partenaires et les frais de livraison par poste sont centralisés et pris en charge par le budget Cds du groupe de travail. En effet, afin de favoriser les prêts transfrontaliers entre bibliothèques partenaires, les frais engagés pour la bonne marche de ces échanges de documents sont pris en charge par le réseau Cds.
3 : Mutualisation des catalogues
Par le biais d’une carte des bibliothèques partenaires publiée sur le site web de la Cds, les membres ont accès à tout moment aux catalogues des bibliothèques et à leurs coordonnées.
Un document interne partagé permet également de disposer des contacts-clés dans cette organisation pour que la communication se fasse directement avec la bonne personne (essentiellement les collaborateurs et collaboratrices qui gèrent le prêt entre bibliothèques).
Cet aspect de la collaboration entre bibliothèques est bien sûr évolutif : si la plupart des fonds documentaires des partenaires français sont accessibles en interrogeant un seul catalogue (le Sudoc donne accès aux collections des bibliothèques de l’enseignement supérieur et de la recherche et permet de visualiser la localisation des exemplaires et donc leur disponibilité dans les bibliothèques participantes), les partenaires suisses sont membres soit du réseau Nebis, soit du réseau RERO dont l’interrogation est un peu plus complexe pour les collègues français. On s’aperçoit que dans ce cadre, la solution Worldcat peut être plus intéressante mais on se réjouit surtout de voir les bibliothèques académiques suisses rassemblées prochainement dans un seul réseau SLSP à l’horizon 2021.
4 : Cartographie des thématiques
En cours de réalisation, cette carte permettra de visualiser rapidement les thématiques fortes de chaque bibliothèque partenaire. Cet outil est conçu pour assister aussi bien les personnels concernés que les publics intéressés et leur permettra d’identifier plus facilement les catalogues à interroger en priorité pour obtenir des réponses précises et immédiates à leurs recherches documentaires. Il permet également de visualiser rapidement quelles bibliothèques sont complémentaires en termes de fonds et d’orienter ainsi immédiatement le public vers la bibliothèque qui répondra le mieux à ses attentes selon le lieu où il se trouve.
Une chargée de mission a été engagée par la Communauté du savoir pour une période de 7 mois afin de réaliser ce projet qui demande une analyse plus précise des partenaires, de leurs fonds et de leurs services parallèlement à leur offre de formation.
Une version beta de cette carte est publiée sur le site web de la Cds. Elle pourra être mise à jour au fur à mesure de l'évolution des politiques documentaires des bibliothèques partenaires et sera relayée également sur les sites web de ces mêmes bibliothèques.
5 : Mutualisation de supports de communication
Un ensemble de supports ont été réalisés sur budget de la Cds pour permettre aux bibliothèques participantes d’informer
- d'une part les équipes en charge de la mise en pratique des échanges convenus,
- et d'autre part leurs publics selon un processus « réseau » clairement identifié.
Pour leurs équipes, les membres du groupe ont élaboré des affiches qui permettent d'identifier clairement le rôle du groupe du travail et le cadre dans lequel il évolue. Ces affiches ont pour thèmes :
- Les systèmes éducatifs en France et en Suisse ;
- Le réseau de bibliothèques et notamment : les lieux, les personnels, les environnements de travail, les publics, les catalogues et réseaux documentaires des uns et des autres ;
- Les collections et chiffres-clés des bibliothèques ;
- La carte des bibliothèques des établissements partenaires.
Ainsi les personnels des bibliothèques qui, sur le terrain, mettent en œuvre les échanges convenus entre les membres du groupe de travail ont une meilleure compréhension des situations des bibliothèques et de leurs réseaux dans leurs pays respectifs, et peuvent à leur tour promouvoir les services de la Communauté du savoir en exploitant les avantages de ces échanges au bénéfice de leurs lecteurs et lectrices.
Un élément important de cette communication interne est évidemment l'engagement des parties à respecter la législation nationale et les règlements intérieurs de chaque structure en matière de propriété intellectuelle et commerciale, y compris en matière de reproduction des œuvres. Elles s’engagent également à les faire respecter par leurs publics.
Pour communiquer cette fois avec ces mêmes publics, existants ou potentiels, et les informer des services que ce réseau peut leur offrir, le groupe de travail a également conçu des supports d'information mutualisés qui peuvent être partagés sur les sites web des bibliothèques et/ou institutions partenaires ainsi que sur les réseaux sociaux quand les bibliothèques disposent de tels supports de communication. Faire connaître les accès supplémentaires aux ressources documentaires que permet l’affiliation des bibliothèques à la Communauté du savoir est également un enjeu important de cette communication.
Enfin, dans l’idée de profiter de retours d'expériences entre elles, les bibliothèques ont également en projet le partage entre professionnel-le-s uniquement d'une newsletter par laquelle chaque membre peut informer les autres d'une initiative ou d'une animation particulière et de ses résultats. Cet échange de bonnes pratiques permet aux partenaires d'exploiter à leur façon des formats d'expériences nouvelles en les adaptant à leur propre structure.
6 : Projet de service questions-réponses
Selon l'évolution de la prise en charge du réseau par ses partenaires en 2019, le groupe bibliothèques a pour projet de mettre sur pied un service de questions-réponses à l'échelle transfrontalière. Il fait actuellement l'objet d'une étude de faisabilité et devrait bénéficier du soutien ponctuel d'une personne externe pour la mise en place et la réalisation concrète de cette action. Il pourrait dans un premier temps être intégré pour une phase test dans les bibliothèques de l’UFC à Besançon et, dans un deuxième temps, fédérer les unes après les autres toutes les bibliothèques affiliées à la Cds. Un tel service serait d’une grande richesse pour tous les publics de nos bibliothèques quelle que soit leur localisation géographique.
En conclusion, le groupe de travail «bibliothèques» de la Communauté du savoir est fier d’avoir pu mettre en place très rapidement des services documentaires transfrontaliers simples tout en poursuivant une réflexion de fond sur les projets qui pourraient profiter aux publics des bibliothèques participantes, qu’ils soient étudiant-e-s, enseignant-e-s, chercheurs, chercheuses ou membres à quelque titre que ce soit des institutions partenaires.
Et même si immédiatement, au sein de cette communauté, notre démarche collaborative nous a permis d’enrichir nos services par un prêt entre bibliothèques au niveau international, d’enrichir nos connaissances « métier » par le partage de nos bonnes pratiques et de réfléchir à la faisabilité d’un service transfrontalier de questions-réponses, nous abordons également ensemble toutes les questions que l'évolution de notre métier va nous amener à nous poser dans un proche avenir et notamment :
-
La définition de thématiques partagées puisque développer nos partenariats permet de mutualiser les ressources et de miser sur des points forts dans une optique de complémentarité (réduire les coûts, gagner en efficacité, exploiter les compétences expertes) et de se tourner vers une économie d’accès plutôt qu’une économie de stock ;
-
L’identification d’un service commun et uniformisé pour un public de plus en plus mobile qui pourra bénéficier du développement des synergies particulièrement encouragées dans un environnement géographique européen;
-
La promotion des résultats de la recherche et de la valorisation des données en partageant nos archives institutionnelles et nos ressources en open access ;
-
L’accès aux ressources documentaires et la prise en charge de nouvelles responsabilités dans le domaine des données de la recherche;
-
La communication via les réseaux sociaux qui permettent de faire connaître nos services et activités et participent au rayonnement des bibliothèques.
Si les défis à relever se nomment « recentrer les bibliothèques au cœur de l’apprentissage » pour qu’elles soient le relais des savoirs, « connecter les chercheurs et chercheuses avec leur bibliothèque » afin qu’ils bénéficient d’une expertise à leur service et qu’ils puissent utilement préciser leurs besoins, « rendre visibles les bibliothèques et en simplifier l’accès » grâce au développement de solutions réciproques, alors nous sommes au bon endroit avec les bonnes personnes pour les relever !
Pour le groupe de travail des bibliothèques de la Communauté du savoir :
Agnès Dervaux-Duquenne, bibliothécaire-responsable
Haute Ecole Arc Ingénierie
Notes
[1][Consulté le 20.06.2018]
[2] ©Ex Libris
Sources et liens utiles :
http://www.communautedusavoir.org/
http://www.conference-transjurassienne.org/
http://www.communautedusavoir.org/nos-actions/les-bibliotheques-arc-jurassien/
Groupe de travail des bibliothèques - documents internes
© des illustrations : Cds
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Demain sera mieux qu’aujourd’hui : évolution des rôles et missions du bibliothécaire
Ressi — 20 décembre 2018
Matthieu Cevey, Haute Ecole de Gestion, Geneve
Michel Gorin, Haute Ecole de Gestion, Geneve
Résumé
Cette contribution est le reflet d’une intervention faite par ses auteurs lors du Congrès des professionnels de l’information, organisé du 12 au 14 novembre 2018 à Montréal (http://congrescpi.com/programme-cpi/). Le thème du congrès était : « Les professionnel-le-s de l’information, actrices et acteurs de changement ».
Partant de la situation suisse actuelle, les auteurs font le constat des changements à venir dans le monde des bibliothèques publiques et de la nécessité d’adaptation des bibliothécaires, soutenus par les associations professionnelles et les institutions formatrices. En tirant un parallèle avec l’initiative « No Billag », ils font état de l’importance des bibliothèques en tant que garantes de la démocratie. Un modèle inédit de bibliothèque comme plateforme issu du travail de Bachelor de Michael Ravedoni est présenté comme solution possible en fin d’article.
Demain sera mieux qu’aujourd’hui : évolution des rôles et missions du bibliothécaire
Préambule
Que cela soit en Suisse ou dans le reste du monde, les habitudes des usagers évoluent, l’utilisation des bibliothèques n’est plus la même qu’il y a dix ans, et elle sera certainement différente dans le futur. A elles, par conséquent, de se réinventer, de s’adapter à de nouveaux usages, souvent très variés. Partant du concept de « modèle des quatre espaces » développé par nos collègues danois de l’Ecole royale de bibliothéconomie et des sciences de l’information de Copenhague (Jochumsen, Rasmussen et Skot-Hansen, 2012), nous avons eu comme objectif de croiser nos regards sur le rôle-clef des bibliothécaires comme acteurs de changement, afin de voir si les vingt-huit années qui séparent les deux auteurs génèrent ou non des divergences.
La bibliothèque de demain sera donc celle où l’on vient apprendre, où l’on peut bénéficier d’un programme de médiation culturelle étendu, où l’on séjourne et se rencontre, où l’on crée et conduit des expériences stimulantes, enrichissantes. Si le bibliothécaire est aujourd’hui aussi bien gestionnaire que créateur, double casquette parmi d’autres, il devra devenir un « homme-orchestre » en développant tout à la fois des compétences relationnelles, pédagogiques et informatiques, mais aussi en matière de communication, de marketing, de médiation (culturelle et numérique), et de lobbying.
Dès lors, quels sont les rôles actifs que les institutions formatrices ainsi que les milieux associatifs liés seront appelés à jouer dans ce contexte, tout particulièrement en lien avec la fonction des bibliothécaires et des bibliothèques publiques dans le cadre d’une démocratie vivante ? Quelles sont les missions traditionnellement assumées par ces acteurs qui devront être réinterprétées à la lumière des mutations en cours ? Quels sont les défis qu’ils devront relever ?
Autant de questions auxquelles il existe une multitude de réponses, raison pour laquelle nous nous proposons d’apporter un regard croisé sur l’évolution des compétences des professionnels de l’information en bibliothèque publique, regard croisé puisqu’issu d’une concertation intergénérationnelle.
Mutations, interrogations
Le monde de l’information évolue : des technologies aux publics, des besoins aux processus de traitement de l’information, chaque révolution, chaque progrès technique apporte son lot de nécessaires adaptations. Les pratiques culturelles, informationnelles et en termes de loisirs ne sont plus les mêmes qu’hier et seront encore différentes demain. Les technologies évoluent plus vite que leurs usagers, et les transformations sociétales continuent de nous surprendre : individualisme croissant, pratiques culturelles et informationnelles changeantes, sans oublier des mutations démographiques qui, au niveau politique, divisent plus que jamais.
Idéalement, la bibliothèque, qui se trouve presque malgré elle influencée par tous ces facteurs, devrait pouvoir jouer un rôle de pilier garant d’une démocratie véritablement au service de tous, mais elle est de plus en plus régulièrement confrontée à des formes de concurrence : directe avec Internet, mais également indirecte avec plusieurs acteurs du monde socio-culturel (ateliers d’insertion professionnelle, centres d’intégration pour réfugiés, clubs en tous genres, etc.). De nouveaux acteurs bouleversent évidemment la configuration dans laquelle prenaient place les bibliothèques publiques, ce qui fait dire à certains :
« Jusqu’à présent, les bibliothèques n’ont fait que rassembler des informations pour des gens. Ce concept ne fonctionne plus de nos jours. Il y a Internet. Celui qui cherche des contenus n’a plus besoin de bibliothèques […] Les bibliothèques sont surévaluées. Si une bibliothèque communale ferme, tout le monde prétend que c’est la fin du monde. On craint que les gens deviennent plus sots et arrêtent de lire s’il n’y a plus de bibliothèques. Ceci est complètement faux. » (Traduction libre) (Furger, 2012)
Rafael Ball est pourtant le directeur de la bibliothèque de l’une des hautes écoles suisses les plsu réputées, la Eidgenössische Technische Hochschule de Zürich (ETHZ). De tels propos sont courants à l’heure actuelle, mais rarement dans la bouche de bibliothécaires… Comment en sommes-nous arrivés là ? Mutations de la société, redistribution des cartes au niveau géopolitique et montée de l’individualisme expliquent en partie certaines prises de position proches de l’obscurantisme, mais il revient tout de même aux bibliothèques de s’adapter à un monde qui pense pouvoir se passer d’elles, de réinterpréter leurs missions encore très (trop ?) ancrées sur leurs collections.
Un exemple flagrant : « No Billag »
La SSR (Société suisse de radiodiffusion et télévision) est une « association privée régie par le droit des sociétés anonymes, qui exploite une entreprise média. Elle remplit un mandat sociétal découlant de la Constitution, de la loi et de la Concession et touche, pour ce faire, une partie des recettes issues de la redevance radio-tv » (SSR, 2018). Il s’agit donc d’un service public, comme les bibliothèques, soumis à la concurrence, comme les bibliothèques. Une société, Billag jusqu’au 31 mars 2018, est chargée de percevoir auprès des citoyens la redevance audiovisuelle de réception de radio et de télévision.
En mars 2018, une initiative populaire proposait de supprimer cette redevance bénéficiant également à 13 chaînes de télévision régionales et 21 chaînes de radio locales, pour un montant total et annuel de 67,5 millions de francs. Concernant quelques 13'500 emplois, le mandat de prestation octroyé par l’Office fédéral de la communication (Ofcom) vise à garantir un service public complet contre une part de la redevance. Si ce système a été mis en place, c’est que la Suisse, petit pays aux multiples langues, ne dispose pas de bassins d’audience suffisants pour permettre à une chaîne de télévision de subsister par ses propres moyens ; il a toutefois été jugé fort important de garantir la pluralité des opinions grâce à un paysage audiovisuel varié.
Gilles Marchand, le directeur général de la SSR ayant pris ses fonctions juste avant le lancement de l’initiative, résume bien la situation : « La Suisse est un petit marché extrêmement compétitif et entièrement couvert par les acteurs internationaux. Dans ce contexte, il y a une tension grandissante entre acteurs privés et publics. On aborde ici les questions de subsidiarité : le public ne devrait s’occuper que de ce que le marché ne peut pas financer. Une approche très compliquée dans un petit pays comme le nôtre, partagé en différents marchés linguistiques de puissance inégale. » (Guillaume, 2018a).
Le fait que le pays se partage en quatre langues nationales (français, allemand, italien et romanche) n’en fait pas un terrain propice à des entreprises audiovisuelles privées, ce d’autant plus que chaque bassin linguistique profite des infrastructures télévisuelles et radiophoniques des pays avoisinants. Dans un tel contexte, il est quasiment impossible de rassembler suffisamment d’audience pour assurer la survie économique d’une chaîne de télévision ou de radio. A cela s’ajoutent, comme déjà relevé, des pratiques culturelles en pleine mutation, de nouvelles habitudes de consommation et de nouveaux canaux de diffusion de l’information.
Un aspect parfois sous-estimé d’un service public national, surtout dans le cadre helvétique, est cette propension à rassembler, justement, des populations très différentes, de cultures parfois profondément dissemblables. L’organisation politique suisse, sous couvert de fédéralisme, laisse une très grande liberté à chaque canton, à chaque commune, mais offre quand même, sous la Coupole du Palais Fédéral, un sentiment d’unité que relève la devise (non-officielle) du pays : « Unus pro omnibus, omnes pro uno ».
L’on voit donc que par bien des aspects, les missions d’un service public audiovisuel rejoignent celles des bibliothèques publiques, et ce n’est pas étonnant que celles-ci, ainsi que le milieu des professionnels de l’information en général, se soient fortement mobilisées pour contrer cette initiative libertarienne. Les concepteurs de l’initiative évoluaient pour la plupart dans les milieux de la finance et de la banque, et avaient en commun de vouer une confiance sans limites aux lois du marché, en plus d’être jeunes. Cela révèle encore une fois la fracture qui se crée entre les générations dans les pratiques culturelles et de consommation (Zünd, 2018)
Ainsi, les services publics chargés de récolter et diffuser de l’information, dont la légitimité semblait aller de soi, ne sont pas à l’abri d’une remise en question. Il est certain que le système politique suisse, considéré comme l’un des plus proches de la démocratie directe au monde en permettant au peuple d’exercer directement son pouvoir politique en se prononçant régulièrement sur l’approbation de textes législatifs, voire constitutionnels, ouvre la porte à toutes sortes d’initiatives, pour peu qu’une certaine part de la population les soutienne. Ce contexte particulier, s’il comporte quelques désavantages, a le mérite de garantir une énorme liberté d’idées, et donc d’expression, ce qui en fait un terreau fertile pour toutes les formes de lobbyisme politiques, et donc encourage les milieux associatifs à faire entendre leur voix.
Milieux associatifs et « No Billag »
Après une certaine frayeur fin 2017 concernant un sondage pré-votations où l’initiative était donnée gagnante à 57% (Revello, 2017), plusieurs acteurs culturels se réveillent et s’organisent pour communiquer contre cette initiative, à commencer par le mouvement Opération Libero, créé lors d’une précédente votation sur l’immigration de masse portée par l’UDC (Union démocratique du centre, parti fortement ancré à droite). Acteurs, humoristes, musiciens, écrivains et bien d’autres entrent en campagne contre cette initiative, la grande difficulté étant l’impossibilité pour la SSR, en tant que service public, de se prononcer sur le sujet, et surtout la nécessité pour elle de veiller impérativement à ne pas favoriser, sur les ondes, l’un ou l’autre des avis.
Avec un peu de recul, cette campagne fut la plus agressive depuis celle de l’adhésion à l’Espace économique européen en 1992 (Guillaume, 2018b), allant jusqu’à la profération de menaces de mort à l’encontre de présidents d’associations ouvertement opposés à l’initiative. Rarement la Suisse n’avait vécu de périodes aussi mouvementées au niveau politique, et face à cette violence, beaucoup furent pris au dépourvu dans ce débat, à commencer par le monde des bibliothèques qui, assez logiquement, ne s’attendait absolument pas à ce qu’une initiative populaire remette en cause des institutions considérées comme des piliers de la démocratie, et ce surtout dans un pays où la participation active des citoyens dans les processus politiques est régulièrement mise en avant.
Au final, l’initiative a été rejetée par une écrasante majorité (71.6% de la population ainsi que la totalité des cantons), une victoire qui a été relayée par bon nombre de médias étrangers, comme Radio-Canada qui relève qu’au lendemain du vote, des mesures devront de toute façon être prises quant à l’avenir de la SSR (Rioux, 2018). Cette dernière, déjà durant le débat, avait commencé à effectuer une autocritique, admettant volontiers que le système actuel ne correspondait plus aux attentes des utilisateurs ni au contexte socio-économique. Il est certain que cet aveu a contribué à faire pencher la balance dans un vote qui, selon les premiers sondages, annonçait le « oui » gagnant.
Milieux associatifs et bibliothèques
Les débats autour de l’initiative « No Billag », ont généré une remise en question de la plupart des services publics, et les bibliothèques n’y échappent pas. Moins touchées par la concurrence, mais malgré tout soumises à un marché de l’information en pleine mutation, il est indispensable qu’elles anticipent au plus vite les profonds changements qui marquent notre société, non seulement sur les plans technologiques, mais aussi sociétaux. Repenser les collections, repenser les espaces, actualiser les missions, … il y a mille pistes de réflexions à emprunter, aussi bien au niveau pratique (aménagement, technologie, formation, …) qu’au niveau de réflexions à mener et de démarches à entreprendre (advocacy, service aux communautés, soutien à la liberté intellectuelle, …).
L’IFLA (International Federation of Library Associations and Institutions), dans un but d’unification et de reconnaissance des professionnels de l’information, propose une vision globale de nos buts et valeurs, régulièrement actualisée (IFLA, 2018). Ce genre de déclaration commune, portée par une association internationale, est à même d’asseoir une certaine légitimité de nos objectifs, et par là-même de nos actions. C’est dans cette optique que deux associations professionnelles suisses ont décidé en mars 2018 de se regrouper sous une bannière commune, en créant BiblioSuisse.
BiblioSuisse a pour vocation de défendre les intérêts des bibliothèques auprès des pouvoirs publics et des instances politiques, soutenir la formation et promouvoir les compétences des professionnels de l’information. En fonction à partir du 1er janvier 2019, l’association n’a pas encore de publications à son nom, mais elle reprend à son compte le Code d’éthique de l’un de ses prédécesseurs, Bibliothèque Information Suisse (BIS), et s’aligne évidemment sur la charte de bibliothèques suisses, élaborée par la Commission de la Bibliothèque Nationale Suisse (Commission de la Bibliothèque Nationale suisse, 2010). En préambule de celle-ci, l’on trouve des affirmations très générales permettant de définir les grandes lignes de développement de la profession :
« Les bibliothèques sont indispensables à la société de l'information, parce que
- elles préparent l'information nécessaire à leurs diverses communautés d'usagers, sous quelque forme qu'elle se présente,
- œuvrant en réseau, elles garantissent à l'ensemble de la population une excellente desserte de leurs services,
- elles offrent un large accès aux ressources électroniques,
- elles contribuent ainsi à réduire la fracture numérique,
- elles préservent pour le long terme le savoir et l'héritage culturel.
Pour que les bibliothèques puissent remplir au mieux leur mission publique, elles ont besoin d'une base légale, d'une définition claire de leur mission et de ressources en conséquence. »
Pour atteindre ces ambitieux objectifs, la réunion des professionnels en une seule association était indispensable, afin d’unir nos compétences et de permettre des actions fortes en faveur des bibliothèques, comme le stipule cet extrait du dépliant préparé en vue du vote de dissolution des anciennes associations BIS et CLP et adressé aux membres des deux associations : « Lobbying : BiblioSuisse défend les intérêts de tous les types de bibliothèques au niveau national et cantonal, et les soutient au niveau communal. Les bibliothèques doivent trouver leur place dans la stratégie « Suisse numérique » du Conseil Fédéral, de même qu’elles doivent trouver leur place dans le plan directeur d’une commune. ».
Mais, même réunis en association « faîtière », les bibliothécaires doivent s’engager en tant que membres individuels dans les différents organes et groupes de travail de BiblioSuisse à des fins de représentativité, de force de conviction, et ne serait-ce que pour des questions financières, car n’oublions pas qu’en l’état, BiblioSuisse n’est pas subventionné par les pouvoirs publics. Cet engagement des personnes permettra d’améliorer les actions concrètes entreprises aux différents niveaux politiques en mettant en place un lobbyisme « intelligent » axé sur trois principes.
Premièrement, il faut impérativement prendre en compte deux éléments déjà cités : le fédéralisme très poussé de notre pays, et le fait que celui-ci est composé de quatre cultures et langues différentes, ce qui rend les actions au niveau national difficile à réaliser. Dès lors, il est impératif de les décliner de diverses manières et dans les diverses régions, en prenant en compte les spécificités socioculturelles, économiques et linguistiques, ainsi que les singularités des bibliothèques.
En second lieu, il faut faire en sorte que les campagnes soient portées par la « base » des bibliothécaires actifs sur le terrain, de façon à éviter toute dichotomie entre le message et la réalité visible par les politiques et le grand public. Une « image » ne se décrète pas, elle doit être véhiculée par les acteurs de la profession.
Pour terminer, il est indispensable de donner une cohérence générale, un « fil rouge », à ces actions, afin de coller au mieux aux enjeux auxquels la Suisse est aujourd’hui confrontée, comme la plupart des démocraties. Le principal enjeu actuel est, à notre sens, l’inclusion sociale et comprend l’inclusion numérique, l’alphabétisation, l’intégration des immigrants et des populations spécifiques, tels les publics empêchés (personnes âgées, à mobilité réduite, à handicap, jeunes, etc.). C’est là un objectif essentiel en lien avec la mission des bibliothèques publiques.
Pour faire face à ces enjeux directement liés à l’utilité démocratique de nos institutions, il est nécessaire que leur personnel soit formé, et continue à se former tout au long de leur carrière. Nombre de petites et moyennes bibliothèques sont encore animées par des « bénévoles » ou du personnel non (ou pas suffisamment) qualifié, ce qui est un frein à la volonté de faire évoluer l’image des bibliothèques auprès des politiques et du grand public, de sortir du cliché « étagères à livres ». L’engagement des responsables des programmes de formation et des bibliothécaires dans une optique de formation continue est indispensable à la constitution d’une image valorisante et légitime de nos institutions : nous sommes, tous ensemble, des acteurs du changement.
Le bibliothécaire de demain
Un changement, d’accord, mais pour tendre vers quoi ? Le modèle du bibliothécaire de demain dépendra de l’évolution sociétale, mais de grands axes peuvent déjà donner quelques pistes, comme l’a relevé Pascal Desfarges (2014) lors de la journée d’étude « Bibliothécaire aujourd’hui, est-ce encore un métier ? ». Une lecture attentive du Manifeste de l’UNESCO pour la Bibliothèque publique permet également de catégoriser les compétences essentielles au futur des bibliothèques.
Le « bibliothécaire-médiateur » : il s’agit là d’un déplacement du centre de gravité du métier vers la médiation. Le bibliothécaire passe dès lors de simple intermédiaire à véritable « traducteur » en faisant comprendre, en explicitant et en traduisant les enjeux de la société de l’information, en jouant un rôle de facilitateur, d’accompagnateur des usagers dans les transformations en matière de culture et d’usages numériques et informationnels (Desfarges, 2014).
Le « bibliothécaire-créateur » : ce rôle touche la mise en place de dispositifs d’aide à la création, particulièrement en ce qui concerne l’appropriation du numérique et la création d’espaces de travail collaboratifs performants. Le bibliothécaire- « invente, expérimente, détourne et cherche à créer du sens à travers les savoirs hybrides associés aux technologies émergentes (jeux vidéo, jeux sérieux, design interactif, usages des technologies nomades, réalité augmentée etc.) » (Desfarges, 2014).
Le « bibliothécaire-gestionnaire » : de moins en moins d’interventions humaines sont nécessaires à la gestion des bibliothèques avec l’introduction de plus en plus fréquente d’automates de prêts, d’outils de catalogage et d’indexation externalisés, la robotisation de certains services, etc. Le bibliothécaire-gestionnaire pourra dès lors se consacrer au développement de véritables stratégies en matière de gestion, comme l’optimisation des structures et des procédures, le déploiement de nouveaux services et produits, et évidemment à l’activisme en termes de marketing et de plaidoyer (Desfarges, 2014).
Bien entendu, les centres de formation, à l’image de la filière Information documentaire de la Haute Ecole de gestion de Genève, s’appliquent depuis plusieurs années déjà à développer les cours existants et à en créer de nouveaux en adéquation avec les évolutions du métier et des besoins des usagers, ceci afin que les professionnels puissent mettre rapidement leurs nouvelles compétences au service des institutions documentaires. Ces compétences sont évidemment variées et se diversifient avec les mutations sociétales et il devient impossible, pour une seule et même personne, de se professionnaliser dans tous les domaines, d’où la nécessité de travailler tous ensemble pour créer la bibliothèque de demain. Les compétences relationnelles, pédagogiques, informatiques, en matière de médiation culturelle et numérique, en matière de communication et de marketing, en termes de gestion stratégique, sont autant d’éléments indispensables au bon fonctionnement de nos bibliothèques, mais seule la combinaison de divers profils professionnels permet de les couvrir.
Une bibliothèque plateforme
Ainsi le bibliothécaire de demain créera la bibliothèque de demain, celle qui sera une nouvelle agora, un pilier indispensable de la démocratie, un lieu d’échanges et de création. Soit, exactement ce que propose Michael Ravedoni dans son travail de Bachelor rédigé en 2018, à la Haute Ecole de gestion de Genève.
Pour véritablement saisir l’importance des bibliothèques en tant que berceau des démocraties, il faut en effet réaliser qu’une « démocratie implique d’avoir des citoyens informés et éduqués demandant de l’information et des procédures transparentes et accessibles. La bibliothèque en est généralement la garante par la promotion de la liberté d’expression et de la liberté intellectuelle » (Ravedoni, 2018, p.10).
Nous faisons nôtre le but fixé par Michael Ravedoni : « L’objectif est simple : mettre à disposition des communautés l’expérience des bibliothécaires et l’infrastructure physique ou virtuelle de la bibliothèque, afin de faciliter la création, le partage et la diffusion des connaissances, dans le but de pérenniser la culture de ces mêmes communautés. Une des missions d’une bibliothèque est de transmettre et pérenniser le patrimoine culturel de la société. Pourquoi ne pas offrir à ceux qui créent et vivent la culture, la possibilité de la transmettre directement ? Offrir la culture par ceux qui la créent. La bibliothèque agirait donc comme un facilitateur entre créateurs et utilisateurs de culture. Puis, comme un catalyseur ayant l’infrastructure et l’expertise nécessaires pour capitaliser et pérenniser cette culture. » (Ravedoni, 2018, p. 43).
Le schéma qui suit est principalement basé sur les modèles de la bibliothèque troisième lieu (Servet, 2009), des quatre espaces (Jochumsen, Rasmussen et Skot-Hansen, 2012), et du New librarianship de David Lankes (2011).
Ravedoni, 2018, p.44
Ce premier schéma en amène un second, le modèle développé par Michael Ravedoni, nous apparaît comme un modèle vers lequel tendre, afin d’assurer l’avenir de nos bibliothèques.
Ravedoni, 2018, p.58
« Le modèle voit la bibliothèque comme un outil faisant partie de l’institution ou de la communauté à laquelle elle appartient, ayant sa propre raison d’être et dont les bibliothécaires occupent une mission particulière : améliorer la société en facilitant la création de connaissances, le partage de culture et la diffusion de ressources dans leurs communautés. Parfois comme stimulateurs, parfois comme médiateurs ou accompagnateurs, ou encore comme partenaires, les bibliothécaires savent créer un environnement propice au partage, à la création et à l’apprentissage. Ils savent aussi thésauriser et pérenniser la culture qui se crée sous leurs yeux. Ils savent connecter les communautés entre elles et leur proposer des services leur facilitant la tâche tout en leur apprenant à devenir autonomes. Ils ne sont pas là, comme des savants prescripteurs, pour dicter une conduite ou privilégier une culture par rapport à l’autre. La bibliothèque se doit d’être un espace où l’exploration, la participation, le partage et l’inspiration s’entremêlent harmonieusement. Un espace motivant, où les membres se sentent appartenir à quelque chose de plus grand qu’eux, où ils se sentent impliqués, écoutés et libres, où leur responsabilité est engagée. De ce fait, la co-création d’une bibliothèque basée sur le respect et la confiance mutuelle devient possible. » (Ravedoni, 2018, p. 58)
Conclusion
L’on voit ainsi que nos missions évoluent en même temps que notre société, il est donc impensable pour des institutions défendant ce type de valeurs de se conforter dans une espèce d’immobilisme, à l’image des clichés encore aujourd’hui véhiculés au sujet des bibliothèques et de leur personnel. Et pourtant, il s’avère qu’il s’agit souvent de ce personnel qui freine le changement, par exemple en ce qui concerne l’ouverture le dimanche ou les horaires élargis. Or, en accord avec nos analyses, c’est au personnel des bibliothèques d’agir, d’être proactif pour devenir les actrices et acteurs des nécessaires changements induits par notre époque, par nos sociétés.
Par souci de cohérence, cette évolution doit se faire à l’unanimité, il est indispensable de faire front tous ensemble pour défendre la pérennisation de nos institutions, en leur faisant prendre tous les virages nécessaires pour arriver à la bibliothèque de demain, pour légitimer les centres d’information comme les piliers dont nos démocraties ont besoin, comme lieux de socialisation, de création, de partage et de diffusion des connaissances. Ainsi, le bibliothécaire est désormais investi d’un rôle politique, qui resterait négligeable sans le soutien d’associations professionnelles organisées.
Dans le cadre de cette intervention à Montréal, nous nous proposions de voir si les vingt-huit années qui nous séparent généraient ou non des divergences entre nous, maître d’enseignement et assistant fraîchement diplômé, entre nos visions. Désormais, nous pouvons résolument affirmer qu’il n’y en a pas, qu’il ne doit pas y en avoir, car le combat pour assurer la pérennisation de nos bibliothèques ne pourra être gagné que grâce à la collaboration de toutes et tous, quels que soient les profils. L’expérience d’une part, et la formation d’autre part, créent la convergence nécessaire entre les générations, afin que tous les bibliothécaires aient la capacité d’être des actrices et des acteurs du changement !
Bibliographie
COMMISSION DE LA BIBLIOTHEQUE NATIONALE SUISSE, 2010. Charte des bibliothèques suisses. Bibliothèque nationale suisse (BN) [en ligne]. [Consulté le 14 décembre 2018]. Disponible à l’adresse : https://www.nb.admin.ch/snl/fr/home/portrait/organisation/charte.html
DESFARGES, Pascal, 2014. Bibliothécaires du futur, futur des bibliothèques : identité, compétences, missions, métier ?. In : ARCHIVES DEPARTEMENTALES D’ILLE-ET-VILAINE. Journée d’étude « Bibliothécaire aujourd’hui, est-ce encore un métier ? », Rennes, 10 avril 2014 [en ligne]. Slideshare, 16 p. [Consulté le 14 décembre 2018]. Disponible à l’adresse : https://fr.slideshare.net/retiss/bibliothcaires-du-futur-et-futur-des-bibliothques
FURGER, Michael, 2012. Bibliotheken : weg damit ! NZZ am Sonntag [en ligne]. 7.2.2016. [Consulté le 14 décembre 2018]. Disponible à l’adresse : https://nzzas.nzz.ch/hintergrund/bibliotheken-und-buecher-weg-damit-meint-rafael-ball-ld.147683 [accès par abonnement]
JOCHUMSEN, Henryk, RASMUSSEN Casper Hvenegaard, SKOT-HANSEN, Dorte, 2012. The four spaces : a new model for the public library. New Library World [en ligne]. Vol. 113, issue 11/12, pp. 586-597. [Consulté le 14 décembre 2018]. Disponible à l’adresse : https://www.emeraldinsight.com/doi/full/10.1108/03074801211282948 [accès par abonnement]
GUILLAUME, Michel, 2018a. « Peut-être n’avons-nous pas assez dialogué avec la société ». Le Temps. 6 janvier 2018. ISSN 1423-3967
GUILLAUME, Michel, 2018b. « No Billag », la campagne des dérapages. Le Temps. 24 février 2018. ISSN 1423-3967
GUILLAUME, Michel, 2018c. Une SSR en mode « réforme permanente ». Le Temps. 5 mars 2018. ISSN 1423-3967
INTERNATIONAL FEDERATION OF LIBRARY ASSOCIATIONS AND INSTITUTIONS (IFLA), [2018]. Vision globale : résumé du rapport : top 10 des points-clés et des opportunités. IFLA [en ligne]. [Consulté le 14 décembre 2018]. Disponible à l’adresse : https://www.ifla.org/files/assets/GVMultimedia/publications/gv-report-summary-fr.pdf
LANKES, R. David, 2011. The atlas of new librarianship. Cambridge : MIT Press. ISBN 978-0-262-01509-7.
RAVEDONI, Michael, 2018. La bibliothèque plateforme : espace dédié à la création, au partage et à la diffusion de culture - exemple par la création d’un makerspace [en ligne]. Genève : Haute Ecole de gestion de Genève. Travail de bachelor. [Consulté le 14 décembre 2018]. Disponible à l’adresse : https://doc.rero.ch/search?ln=fr&sc=1&p=ravedoni&action_search=
REVELLO, Sylvia, 2017. Un sondage controversé donne « No Billag » gagnante. Le Temps. 5 décembre 2017. ISSN 1423-3967
RIOUX, Hubert, 2018. Victoire pour la Société suisse de radiodiffusion et télévision. Radio-Canada [en ligne]. 4 mars 2018, 17:23. Mis à jour le 4 mars 2018, 23:52. [Consulté le 17 décembre 2018¨. Disponible à l’adresse : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1087062/suisse-redevance-televisuelle-referendum
SERVET, Mathilde, 2009. Les bibliothèques troisième lieu [en ligne]. Villeurbanne : École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (ENSSIB). Travail de mémoire. [Consulté le 17 décembre 2018]. Disponible à l’adresse : https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/21206-les-bibliotheques-troisieme-lieu.pdf
SOCIÉTÉ SUISSE DE RADIODIFFUSION ET TÉLÉVISION (SSR), [2018]. Mandat. SRG SSR [en ligne]. [Consulté le 14 décembre 2018]. Disponible à l’adresse : https://www.srgssr.ch/fr/qui-nous-sommes/vision-et-stategie/mandat/
ZÜND, Céline, 2018. L’influence libertarienne à l’origine de l’initiative « No Billag ». Le Temps. 18 janvier 2018. ISSN 1423-3967
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Livres et presse numériques en bibliothèque de lecture publique : état de lieux de l’expérience menée par les bibliothèques de Carouge
Ressi — 20 décembre 2017
Yves Martina, directeur des bibliothèques de Carouge
Livres et presse numériques en bibliothèque de lecture publique : état de lieux de l’expérience menée par les bibliothèques de Carouge
Avec Lancy, Meyrin, Onex et Vernier, la Ville de Carouge (22'000 habitants) est l’une des cinq grandes communes suburbaines du canton, en périphérie de la Ville de Genève. Hormis Onex, ces communes possèdent toutes une ou plusieurs bibliothèques, indépendantes du réseau des Bibliothèques municipales de la Ville de Genève.
Ouverte en 1857, la Bibliothèque de Carouge s’est développée au fil des ans et des déménagements. Elle s’est informatisée en 1998 et fonctionne en réseau depuis 2009, date de l’ouverture de sa première « bibliothèque-relais ».
Les bibliothèques de Carouge [1] dépendent du SACC (Service des affaires culturelles et de la communication) et comptent 14,75 postes à plein temps pour 20 collaborateurs, dont 12 bibliothécaires et agents en information documentaire. Elles proposent à leurs usagers quelque 70'000 documents et génèrent plus de 215'000 prêts annuels.
Préambule
Les bibliothèques de Carouge ont introduit le multimédia dans leurs collections en 2009 et le numérique en 2012.
L’offre multimédia étant « tardive » (seul un petit fonds de CD musique existait avant 2009 et l’ère des cassettes VHS a été totalement ignorée), l’objectif était de ne pas manquer le virage du numérique. Au niveau politique, il a été plus facile de convaincre certains décideurs d’enrichir les collections des bibliothèques par des documents numériques que par des supports multimédias, soupçonnés de véhiculer des contenus trop axés sur le divertissement.
En 2012, l’offre numérique à l’intention des bibliothèques publiques est réduite. En Suisse romande, le Valais, qui fait ici office de pionnier, dispose d’un fonds alimenté par le fournisseur français Numilog [2]. Dans sa mise à disposition des documents, celui-ci présente l’inconvénient de demander un accès à l’intégralité du fichier des usagers de la bibliothèque et pas seulement à ceux intéressés par l’emprunt de livres numériques. La protection des données individuelles étant un problème sensible, les autorités politiques carougeoises ont renoncé à travailler avec Numilog (sans avoir préalablement testé la solution proposée par ce fournisseur) et ont souhaité la recherche d’une alternative. Une gageure sachant, qu’en 2012, Numilog est le seul fournisseur du marché francophone.
Les premiers pas
Pour sa première approche numérique, les bibliothèques de Carouge font l’acquisition de cinq liseuses (Sony et Kindle) et deux tablettes (iPad et Asus) dans lesquelles sont proposés des contenus différents, articulés autour d’un choix de documentaires et de romans (5 à 8 documentaires et 10 à 20 romans par support) à l’intention d’un public adulte.
Le choix a donc préalablement été fait par des bibliothécaires, sur la base d’ouvrages libres de droits proposés par des éditeurs qui, eux-mêmes, testaient une mise à disposition de titres issus de leur catalogue au format numérique. Les liseuses et les tablettes ont été mises gratuitement à disposition des usagers, mais une caution leur était demandée et restituée au retour du support. Ce qui était à la fois contraignant et inconfortable, tant du point administratif que pour l’usager.
Cette expérience a été suivie par une cinquantaine d’usagers, entre juin 2012 et septembre 2013 :
- 97% des usagers l’ont fait dans le but de découvrir le fonctionnement du support.
- 3% des usagers possédaient déjà une liseuse et se sont intéressés aux contenus proposés.
Après chaque emprunt, les usagers ont été sondés et invités à faire part de leurs remarques et suggestions pour façonner l’avenir du numérique dans leurs bibliothèques. Il en est ressorti que :
- 93% des usagers ont été séduit par le support et ont relevé les avantages suivants : capacité de stockage, faible encombrement et confort de lecture, notamment dans les transports publics.
- 100% des usagers indiquent que la liseuse est pour eux une alternative (selon les opportunités de lecture) et non un remplacement du livre traditionnel.
- 100% des usagers souhaitent avoir accès aux téléchargements de leur choix : ils ne reconduiraient pas l’expérience au travers de liseuses avec des contenus préétablis.
- 98% des usagers préfèrent disposer de leur propre liseuse et ne jugent pas pertinent d’en emprunter une en bibliothèque.
En conséquence de qui précède, dès novembre 2013, les bibliothèques de Carouge retirent les liseuses de leur offre et les projets en lien avec le numérique sont gelés, faute de trouver une alternative au fournisseur Numilog.
Le projet PNB : les éditeurs français font (enfin !) un effort envers les bibliothèques
En France, une offre numérique destinée aux bibliothèques publiques s’élabore et le projet PNB (Prêt numérique en bibliothèque) est présenté lors du congrès de l’IFLA 2014 à Lyon. Il s’agit d’une avancée significative qui fait intervenir l’ensemble des acteurs concernés : éditeurs, libraires, auteurs et bibliothèques. En 2015, le fournisseur Dilicom [3] est en mesure de proposer un premier catalogue de titres, accessible bien sûr en France, mais aussi aux bibliothèques suisses. La plateforme d’achat est assurée par la librairie de livres numériques Feedbooks[4].
Certes, ce catalogue à l’intention des bibliothèques est nettement moins riche que celui destiné au volet commercial, donc à l’achat de titres par des particuliers. Néanmoins, les bibliothèques y trouvent un intérêt : les prêts peuvent être simultanés (généralement entre 5 et 10 prêts) et la durée de vie d’un livre numérique se situe en moyenne à 5 ans et/ou à 50 prêts. La durée de l’emprunt est, quant à elle, de 4 semaines.
Cette opportunité va permettre aux bibliothèques de Carouge de rouvrir leur dossier numérique et de lancer deux offres à l’automne 2015. Elles sont rendues possibles par les améliorations de leur portail documentaire[5], qui donne désormais accès à des ressources externes :
- Livres numériques, via le fournisseur Dilicom : 1’020 titres sont proposés au catalogue [6] par téléchargement (750 romans « adultes », 150 documentaires « adultes » et 120 romans « jeunes »). Nombre d’emprunts sur l’année (3 mois) : 375.
- Presse numérique, via le fournisseur LeKiosk [7] : 750 titres sont proposés à la consultation en ligne [8] (720 titres « adultes » et 30 titres « jeunes »). Nombre de consultations sur l’année (3 mois) : 300.
En 2016, l’offre est enrichie et les fonds numériques portés à :
- 1’595 livres numériques (1’165 romans « adultes », 265 documentaires « adultes » et 165 romans « jeunes »). Nombre d’emprunts sur l’année : 375.
- 900 revues numériques (865 titres « adultes » et 35 titres « jeunes »). Nombre de consultations en ligne sur l’année : 390.
Il faut noter que, durant l’exercice 2016, de nombreux éditeurs modifient leurs conditions de prêt et abandonnent la simultanéité des emprunts : un seul prêt à la fois est moins intéressant et se rapproche trop du système en vigueur pour les livres traditionnels alors que le format numérique est justement intéressant s’il permet plus de souplesse à ce niveau.
En 2017, les bibliothèques de Carouge continuent à développer leur catalogue et la tendance suivante se dessine :
- 1'850 à 1’900 livres numériques au catalogue (75% fiction « adultes », 12% documentaires « adultes », 9% fiction « jeunes » et 4% bandes dessinées « adultes ».
Le nombre d’emprunts devrait approcher les 500 unités.
- 1’000 revues numériques proposées à la consultation (94% de titres « adultes » et 6% de titres « jeunes »).
Le nombre de consultations ne sera connu qu’en fin d’année (ce nombre est calculé directement par le fournisseur au terme de l’exercice et il n’y a pas, à ce stade, de données intermédiaires).
S’agissant des livres numériques, ce sont quelque 150 usagers distincts qui profitent de l’offre mise en place par les bibliothèques de Carouge, ce qui représente à peine plus de 3% des usagers actifs. Force est donc de constater qu’on se situe très nettement dans la marge, s’agissant du succès de la prestation.
Du côté des adultes, c’est vers la fiction que se portent sans surprise 95% des emprunts. Du côté des jeunes, seule la fiction est proposée au téléchargement.
S’agissant des revues numériques, les données récapitulatives se limitent pour l’instant au nombre de magazines consultés. Quelques sondages ont toutefois permis de dégager des préférences : actualité, féminin, bien-être et développement personnel, décoration d’intérieur sont les sujets qui génèrent le plus de consultations.
Quelles perspectives pour les deux années à venir ?
S’agissant des livres numériques :
- Disposer d’un fonds de 2'500 à 2’800 titres d’ici à 2020 (le fonds numérique représenterait alors 3% des collections).
- Améliorer l’outil de recherche et de présentation des ouvrages en 2019. En effet, dans sa prestation, le fournisseur Dilicom propose une notice bibliographique et des critères de recherche qui sont limités. Par importation de données fournies par d’autres fournisseurs, il sera possible de disposer de descriptifs et d’éléments de recherche plus proche de ce qui se fait pour les livres traditionnels (par exemple : indexation matière plus riche et plus rigoureuse s’agissant des genres littéraires, rebonds vers des ouvrages et des thématiques apparentés).
- En 2019, lancer une campagne de promotion des livres numériques et assurer leur visibilité en parallèle aux livres traditionnels, c’est-à-dire aussi dans le corps même des bibliothèques.
S’agissant des revues numériques :
- Maintenir la prestation en 2019 et 2020 au niveau des années précédentes, sachant que la marge de manœuvre sur le choix des magazines proposés est réduite puisqu’elle appartient à 95% au fournisseur.
- En 2019, adapter aux magazines numériques tout ou partie de la campagne de promotion qui sera mise en place pour les livres numériques.
Conclusion
Au moment d’adopter le projet PNB et de se lancer dans la mise en place d’une offre de livres numériques, les bibliothèques de Carouge disposaient de deux options :
- Rejoindre la plateforme suisse proposée par Bibliomedia [9] et bénéficier de la prestation et de la collection élaborée par cette institution, à savoir le partage des titres entre plusieurs bibliothèques.
- Disposer de son propre fonds et le gérer en propre, comme il est fait pour les livres traditionnels et le multimédia.
C’est cette deuxième option qui a été retenue parce qu’au moment du choix, l’offre e-Bibliomedia [10] n’était pas encore en place, bien que les deux organismes aient avancé en parallèle dès que Dilicom a ouvert son catalogue à la Suisse. D’autres critères sont certainement intervenus dans le choix du « cavalier seul », mais ils ne correspondaient pas une critique de la démarche proposée par Bibliomedia.
La « confidentialité » qui entoure la prestation numérique proposée par les bibliothèques de Carouge est-elle un point négatif ? On se permettra ici une réponse nuancée :
- Oui, parce que l’effort d’acquisition, notamment sur le plan financier, devrait se traduire par un succès plus probant.
- Non, parce qu’il faut se donner le temps nécessaire avant d’évaluer cette nouvelle prestation. Dès le début, il a été fixé un délai de 5 ans avant de tirer un bilan significatif. L’offre doit se faire connaître et les usagers l’apprivoiser, ce d’autant que la lecture sur un support électronique ne fait pas encore partie des mœurs usuelles des usagers des bibliothèques, notamment en Suisse. À noter aussi qu’aucune promotion du livre numérique n’a encore été faite de manière significative et que les usagers sont généralement amenés à découvrir par eux-mêmes (et parfois même par hasard) l’existence des documents numériques.
Le numérique n’est donc pas remis en cause et, à ce stade, l’objectif de base demeure : offrir aux usagers des bibliothèques de Carouge, par le biais du numérique, un complément et une alternative attractive aux supports traditionnels (livres et presse papier) ! Et, s’agissant des livres numériques, disposer d’un catalogue de 5'000 titres d’ici à 2025.
Notes
[1] bibliotheques-carouge.ch
[2] numilog.com
[3]dillicom.net
[4] fr.feedbooks.com (le volet dédié aux bibliothèques est accessible à l’adresse collectivites.feedbooks.com)
[5] Il s’agit de la solution nommée Syracuse, proposée par le fournisseur français Archimed (archimed.fr)
[6] Il s’agit bien ici du nombre des titres proposés par les bibliothèques de Carouge à leurs usagers et non de l’offre globale du fournisseur
[7]lekiosk.com ; le nombre de titres proposés par LeKiosk est variable (il dépend de l’offre éditoriale et des contrats passés avec les éditeurs) ; l’acheteur-bibliothèque peut façonner l’offre qu’il propose à ses usagers en biffant certains titres ou certains bouquets de titres
[8] Il s’agit bien ici du nombre des titres proposés par les bibliothèques de Carouge à leurs usagers et non de l’offre globale du fournisseur
[9] Fondation active dans le développement des bibliothèques de lecture publique et de la promotion de la lecture (bibliomedia.ch)
[10] e-Bibliomedia est une plateforme qui permet aux bibliothèques de lecture publique d’emprunter des ouvrages numériques, sans avoir elles-mêmes à en faire directement l’acquisition
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Les fondements de Bibliosuisse : état des discussions
Ressi — 20 décembre 2017
Halo Locher, secrétaire général BIS et CLP
Katia Röthlin, secrétaire générale adjointe BIS et CLP
Résumé
Les comités de BIS et de la CLP se sont penchés sur les fondements préalables à la fusion avec Bibliosuisse. Les quatre documents de base ont fait l’objet d’une discussion avec environ 100 membres lors d’une conférence. En décembre, les comités ont remanié ces documents fondamentaux sur la base des réactions, et les ont approuvés à l’intention des assemblées générales extraordinaires qui auront lieu toutes les deux le 12 mars 2018.
Les fondements de Bibliosuisse : état des discussions
En juin, avec 19 voix contre 1, les comités ont posé les jalons de la fusion et chargé le groupe de travail Bibliosuisse d’élaborer les fondements nécessaires. Ceux-ci sont composés d’une ébauche des statuts, d’un règlement pour les sections, d’un modèle de cotisation et du contrat de fusion prescrit par la loi (voir sites web de BIS et CLP). Dans le cadre d’un séminaire, les deux comités ont étudié ces fondements, réglé les questions encore en suspens et ont tout d’abord présenté ces bases à un cercle de personnes-clés, avant de les examiner début novembre avec les membres intéressés lors d’une deuxième conférence sur Bibliosuisse à Bienne. Les points centraux discutés ont été les suivants :
Nous faisons tous partie de Bibliosuisse
La modification structurelle principale (voir le diagramme BIS et Bibliosuisse) par rapport à la situation actuelle est le concept que tous les membres des groupes d’intérêts (GI) actuels deviennent également membres de l’association nationale Bibliosuisse. En tant que sections, ils peuvent continuer de s’engager dans la même voie ou adapter leur engagement aux nouvelles circonstances. Une structure telle qu’on la retrouve de manière standard dans la majorité des associations suisses est ainsi créée : l’on est membre d’une section cantonale, régionale ou défendant des intérêts spécifiques, et cette section est, à son tour, membre de l’association nationale. Les cotisations sont en partie payées à l’association nationale via la section ; la variante plus moderne est celle d’un encaissement central avec une distribution aux sections de la cotisation qui leur est destinée, comme cela est prévu chez Bibliosuisse.
Ce processus prendra du temps
Les comités sont conscients du fait que les anciens GI seront isolés s’ils ne sont pas intégrés à l’association en tant que sections. Actuellement, le processus concerne la fusion de BIS avec la CLP, qui est un GI du point de vue formel – mais de loin le plus important. Il est clair que les autres GI auront besoin de temps pour parcourir ce processus d’intégration et décider s’ils souhaitent s’y joindre. Une situation analogue a été vécue lors de la reconnaissance des GI ; en particulier, quand il a été question de la contribution financière aux frais de BIS. Les comités sont convaincus que ce modèle constitue une bonne base pour l’avenir. Ils aideront sans aucun doute à accompagner ce processus et à entretenir le contact jusqu’à ce que les GI prennent une décision. L’on se tient au principe que tous les centres d’information, bibliothèques ainsi que leur personnel deviennent membres de l’association nationale. Ce principe symbolise que seul un monde des bibliothèques en réseau sera capable de relever les défis d’un monde numérisé et globalisé.
Les sections : autonomie et coordination avec l’association centrale
Le règlement des sections a fait l’objet d’une discussion très approfondie. Celui-ci prévoit deux types : A avec personnalité morale, B sans personnalité morale. Le type A requiert un travail administratif important, car il exige une assemblée générale, un comité, une révision des comptes, etc. Le type B offre la possibilité d’agir en tant que partie de Bibliosuisse. Les discussions ont montré que les détails concernant la tenue des comptes et la création d’un actif requéraient encore une clarification pour cette forme. Les sections jouiront d’une grande autonomie quant à leurs tâches. Dans les domaines de la formation et de la formation continue, de la représentation d’intérêts et de la communication – les piliers fondamentaux de Bibliosuisse –, leurs activités doivent toutefois être coordonnées avec l’association centrale. La plupart des parties concernées sont conscientes du fait que cette idée doit encore être concrétisée. « Si nous souhaitons émettre un communiqué de presse, devons-nous demander à Bibliosuisse ?», a souhaité savoir quelqu’un. La réponse ne s’est pas fait attendre : « En cas de questions nationales, c’est Bibliosuisse qui s’exprime – en cas de questions cantonales, la section. » Le cas du projet Poste centrale ayant échoué à Saint-Gall montre en outre qu’il peut être opportun politiquement que l’association centrale prenne position parce que les responsables locaux ont les mains liées. De manière analogue, l’association centrale peut se positionner d’une autre manière vis-à-vis de la Confédération en ce qui concerne le tantième des bibliothèques que, p. ex., la Bibliothèque nationale, qui fait partie de l’administration fédérale.
Support administratif centralisé
La conférence de Bienne a attiré l’attention sur le fait que des clarifications importantes étaient nécessaires concernant les cotisations des sections. Il n’était manifestement pas assez clair que les sections décidaient elles-mêmes du montant de la cotisation de la section. Dans ce domaine également, elles jouissent d’une autonomie et de la proximité souhaitée vis-à-vis de leurs membres pour décider des fonds nécessaires à l’accomplissement de leurs tâches et combien leurs membres sont prêts à payer pour cela. Avec ses fonds, Bibliosuisse assume la responsabilité de la formation et formation continue, en particulier la représentation d’intérêts au niveau national (exemple : le tantième des bibliothèques) ainsi que la communication et la mise en réseau. Sa prestation principale pour les sections consiste en la prise en charge de la gestion des membres dans son ensemble ainsi que de l’encaissement, ce qui décharge celles-ci de travaux administratifs et représente une solution professionnelle à l’ère des TI. Il est inévitable que les cotisations de Bibliosuisse et de la section mènent à un cumul, mais cela est déjà aussi le cas aujourd’hui pour les personnes ou institutions qui sont membres de BIS et d’un GI. D’autres modèles sont envisageables, mais il s’agit en fin de compte de savoir combien les membres sont prêts à payer pour obtenir une association nationale puissante et une section régionale ou défendant des intérêts spécifiques.
Le conseil des bibliothèques en tant que chance
La composition du comité a également fait l’objet de discussions en ce qui concerne la représentation des régions, des langues, des types de bibliothèques et de leur importance, et des sexes. Un point incontesté a été que des experts externes sont utiles pour compléter les compétences de l’organe. En rapport avec l’organe proposé d’une assemblée des délégué-e-s, les uns ont mis en garde contre une confusion de compétences avec l’assemblée générale et le comité, d’autres ont exigé un élargissement, ce à quoi un troisième groupe a répondu en critiquant l’investissement qui y est lié. En revanche, la création d’un conseil des bibliothèques permettant d’améliorer le réseautage avec le monde politique à l’échelle nationale et cantonale, le monde de la formation, de la culture et des entités responsables (cantons et universités, villes et communes, écoles et autres entités responsables) a été unanimement approuvée : « Je me demande pourquoi nous n’avons pas pensé à cela plus tôt », a déclaré un membre de longue date. Il a été souligné que cela sera lié à un travail important et qu’il ne sera pas facile de gagner réellement le cercle de personnes visé. Bibliosuisse souhaitant améliorer la représentation d’intérêts pour les bibliothèques, le conseil des bibliothèques mérite au moins une chance.
Principe d’échelonnement des cotisations
Le modèle de cotisation a fait l’objet d’une discussion animée. L’idée que la cotisation des membres individuels dépende du salaire n’a pas été approuvée par tout le monde. Certaines personnes se sont montrées critiques en particulier parce que le salaire est un thème sensible ; et l’autodéclaration également n’a pas fait l’unanimité non plus. Tout le monde était toutefois d’accord sur le fait qu’un échelonnement était nécessaire. Par rapport aux autres associations professionnelles, les cotisations prévues pour Bibliosuisse sont plutôt peu élevées – cela est devenu clair pour beaucoup, car le GT a mis à disposition des chiffres d’autres associations. Une chose est claire : Bibliosuisse doit offrir une plus-value à ses membres, sinon, ceux-ci ne seront pas prêts à payer davantage. Cela est d’autant plus important que – comme déjà mentionné plus haut – les sections fixent elles-mêmes leurs cotisations et que celles-ci s’ajoutent à la cotisation Bibliosuisse. En ce qui concerne les membres institutionnels, la proposition de faire dépendre la cotisation du budget RH a été bien accueillie. BIS procède déjà ainsi ; pour la CLP, cela serait un changement. Des discussions ont uniquement concerné la question de savoir quels éléments font partie des frais de personnel. Les membres institutionnels apprécieraient de pouvoir jouir d’avantages dans le domaine de la formation continue – un système de bons sera envisagé.
Peu de discussions quant au contrat de fusion
Il n’y a guère eu de discussions quant au contrat de fusion, car de très nombreux points qui y figurent sont prescrits par la loi. Le contrat de fusion prévoit que Bibliosuisse débute son activité opérationnelle le 1er janvier 2019. Si les membres des deux associations disent donc « oui » à la nouvelle association le 12 mars, cela signifie que le travail de BIS et de la CLP se terminera à la fin de l’année 2018. Parallèlement, la nouvelle association sera mise sur pied. Les comités ont décidé qu’un groupe de travail serait créé à cet effet ; celui-ci sera composé de membres du comité directeur BIS et du comité central de la CLP. En cas d’un vote approuvant la fusion, le secrétariat central accompagnera tout autant la dissolution des deux associations actuelles que les travaux de mise sur pied de la nouvelle association.
Rappel des avantages de Bibliosuisse pour les membres individuels
1. Vous contribuez à ce que le monde des bibliothèques en Suisse ait une voix politique puissante s’engageant pour vos intérêts quant à la préservation d’emplois, au salaire et aux conditions de travail – par exemple, grâce à des normes, comme celles que la CLP publie déjà.
2. Vous obtenez un droit de vote vous permettant de participer aux décisions relatives à la politique de l’association. L’association vous informe au sujet des développements actuels et vous met en réseau avec des associations internationales.
3. Vous obtenez des réductions pour les services offerts par l’association : formations, conférences et congrès.
Rappel des avantages de Bibliosuisse pour les membres institutionnels
1. Vous assurez l’existence d’une association professionnelle dans le domaine des bibliothèques et des centres d’information. Sans une telle organisation du monde du travail, aucune formation professionnelle comme le certificat fédéral de capacité pour les professionnels I+D actuel n’existerait. De manière analogue, il convient de viser à ce que le cours de base actuel de la CLP soit reconnu en tant que certificat de capacité ; d’autres certificats de capacité peuvent être envisagés.
2. Lors de la représentation d’intérêts, l’association peut agir en tant que voix neutre des bibliothèques et défendre des positions que les membres individuels ne peuvent pas défendre, pour des raisons de loyauté vis-à-vis de l’organisme responsable.
3. Dans le domaine de la formation continue, l’association assure une offre spécifique tenant compte de l’évolution rapide des exigences posées à votre personnel.
Déroulement du vote du 12 mars 2018
En février, les membres de BIS et de la CLP recevront la convocation aux assemblées générales extraordinaires du lundi 12 mars 2018. Celles-ci auront lieu conjointement, à partir de 9.30 heures, dans la grande salle du Palais des Congrès de Bienne. Cette procédure permettra de garantir qu’après les délibérations, les décisions seront prises sur base de documents identiques et que les personnes qui sont membres des deux associations pourront exercer leur droit de vote dans les deux associations. La décision sera prise par écrit pour que le secret du vote soit gardé et qu’aucune influence ne soit exercée si une association votait avant l’autre. Pour la création de Bibliosuisse, l’approbation de trois quarts des voix présentes et valides des deux associations est requise : BIS tout comme SAB/CLP doivent obtenir 75 pour cent de voix pour que la fusion en Bibliosuisse devienne réalité.
En guise de conclusion : Les messages-clés de Bibliosuisse
De la « voix de toutes les bibliothèques » au modèle de cotisation échelonné
Lors d’une séance commune, les comités de BIS et de la CLP ont discuté ensemble des fondements de Bibliosuisse. Ce débat a donné lieu aux messages-clés suivants caractérisant la nouvelle association :
Bibliosuisse est la voix de toutes les bibliothèques, de tous les centres d’information et des collaboratrices et collaborateurs qui y travaillent. Pour cette raison, tous les membres des sections (les anciens groupes d’intérêts) sont également membres de l’association nationale Bibliosuisse. L’objectif est que tous les centres d’information, bibliothèques et l’ensemble du personnel deviennent membres.
Les sections (ancien nom : groupes d’intérêts) poursuivent des intérêts spécifiques et régionaux. Elles peuvent se constituer en tant que personnes morales propres ou en tant que parties de Bibliosuisse.
Le comité représente tous les types de bibliothèques et régions du pays, l’assemblée générale étant responsable de sa composition en tant qu’organe électeur. Des experts externes doivent en outre en faire partie.
La conférence de l’association garantit l’intégration de tous les intérêts particuliers ainsi que l’échange d’informations entre le comité, les sections et les autres organes tels que groupes de travail et commissions.
Le conseil des bibliothèques rassemble, au moins une fois par an, des représentant-e-s du monde politique, culturel, de la formation et des fondations. Son but primordial est de renforcer le réseautage avec ces domaines et de créer un réseau permettant de mieux représenter les intérêts de l’association.
Le modèle de cotisation prévoit des cotisations échelonnées selon le salaire mensuel ou le taux d’occupation. Tous les membres institutionnels paient leur cotisation sur base du budget RH. (SAB/CLP : jusqu’à présent, budget consacré aux acquisitions).
Le prix des offres (formations, congrès, conseil) est différent pour les membres individuels et institutionnels.
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Labo-Cité : pourquoi une bibliothèque sans livres ?
Ressi — 31 décembre 2016
Florent Dufaux, Bibliothèques municipales de la Ville de Genève
Labo-Cité : pourquoi une bibliothèque sans livres ?
Introduction
Entièrement dédié au numérique, le Labo-Cité a consisté en un espace temporaire public dans la salle d’exposition de la Bibliothèque de la Cité, principale succursale du réseau des Bibliothèques municipales de la Ville de Genève (BM) entre le 20 septembre 2014 et le 25 avril 2015.
Durant ce laps de temps, la bibliothèque allait faire peau neuve et ses collections seraient inaccessibles. Il s'agissait donc à la fois de proposer une prestation originale et d’évaluer les besoins et attentes des publics en matière de numérique afin d'alimenter le nouveau projet culturel de la Bibliothèque de la Cité. Cette expérience visait aussi un objectif de formation des collaboratrices et collaborateurs du réseau dans le domaine.
Bien que situé dans la « centrale » des BM, le projet a impliqué l’ensemble du réseau (6 bibliothèques de quartiers, le Bibliobus et les services de traitement des documents), ainsi que la Direction des systèmes d’information et de communication de la Ville de Genève. Une équipe de projet a vu le jour afin de s'occuper des différentes phases d’études et de mise en œuvre, mais aussi d’intégrer l’ensemble des services compétents. Ce groupe s’est penché sur la définition du périmètre du projet, sur l’organisation du Labo-Cité ainsi que sur la sélection des ressources numériques.
Afin d’obtenir un certain impact, il a été souhaité que cet espace soit ouvert toute la semaine (du mardi au samedi) de 10h à 17h et qu’un programme de médiation spécifique soit établi. Il fallait donc pouvoir accueillir le public et organiser des activités, tout en répondant à notre objectif de formation interne. Un appel à candidature a été lancé sur l’ensemble du réseau des BM, dont le résultat a dépassé nos attentes. 52 collaboratrices et collaborateurs se sont portés volontaires pour participer à la phase opérationnelle, soit un peu moins d’un tiers des employés. Parmi eux, 16 s’étaient annoncés pour participer à la mise en œuvre d’un programme de formation des usagers.
Un partenariat a été établi avec la Haute école d’art et de design (HEAD) pour la création de l’espace et de sa signalétique. Cette collaboration avec la HEAD a représenté une réelle plus-value. Sur le plan du rendu bien entendu, puisqu’elle nous a permis de bénéficier d’un travail de scénographie de qualité professionnelle, mais aussi grâce aux échanges qu’elle a impliqués. En effet, confronter notre idée de la bibliothèque numérique aux enseignants et étudiants d’autres domaines ainsi qu'à leurs propres représentations s’est avéré riche d’enseignements.
Ressources numériques proposées
La période du Labo-Cité a permis de développer, mais aussi de mettre en évidence les ressources numériques proposées par les BM. Les équipements et plateformes suivants ont été mis à disposition :
- 9 postes informatiques pour la bureautique et l’accès à Internet.
- 20 iPads
- 10 iPads avec une sélection d’applications jeunesse
- 10 tablettes Android
- 6 liseuses
- Réseau Wifi
- PlayStation 3
- Sélection de jeux vidéo sur PC
- Sélection de jeux vidéo sur tablettes (iPad et Android)
- LeKiosk : kiosque numérique sur tablette, à consulter sur place
- PressReader : kiosque numérique permettant le téléchargement de journaux et magazines
- Iznéo : bande dessinée numérique, à consulter sur place[i]
Un point critique du Labo-Cité aura été l’échec de la mise à disposition de la plateforme de prêt de livres numériques PNB. Notre communication, tant en interne qu’en externe, avait été largement axée sur ce point, puisqu’il représentait un levier évident de la question du numérique en bibliothèque. Malheureusement, le déploiement de notre nouveau catalogue qui devait permettre d’y accéder n’a pas pu être réalisé par le prestataire. Cela montre bien, s’il le fallait encore, le rôle central et critique de la technique dans ce domaine. Cet échec a touché l’ensemble des ressources numériques prévues pour être accessibles à distance :
- Autoformation (Toutapprendre, Orthodidacte et Vodeclic)
- Europresse, archives de presse.
- Livres jeunesse avec La Souris qui raconte
- Livres numériques.
La programmation et les activités de médiation
Des échanges que nous avions pu avoir avec des collègues ayant mené des expériences similaires auparavant, notamment au Labo BNF[ii], nous avaient convaincus de la nécessité d’animer un tel espace numérique. La programmation du Labo Cité avait donc pour objectif de proposer à un large public des activités permettant d’aborder les différents aspects de la culture numérique et d’en devenir des acteurs. Il s’agissait aussi de mettre en lumière les enjeux du numérique dans le domaine culturel en général et dans les bibliothèques en particulier, aussi bien pour les publics jeunesse qu’adultes.
La programmation se déclinait en 3 axes que nous avions décrits de la manière suivante dans notre note de cadrage du projet :
- Ateliers donnés par les bibliothécaires
Les ateliers proposés par les bibliothécaires des BM constituent le corps de la programmation. Dans le prolongement des missions et des collections « physiques » des bibliothèques, ils proposent un panorama des ressources en information, documentation, culture et loisirs auxquels le web donne accès, tout en offrant des outils très pratiques pour favoriser l’accès des toutes et tous.
- Ateliers créatifs
Des intervenants sont mandatés pour conduire des ateliers d’initiation à la création artistique ou d’information numérique. Leur objectif est de montrer que le numérique offre des outils accessibles tout en montrant l’importance du geste artistique ou d’une méthodologie pour la création d’information.
- Rencontres-débats
Les conférences donnent une perspective plus large sur les enjeux du numérique, dans le domaine culturel, mais aussi si possible dans la société en général.
Mise en œuvre : bilan de l’activité
Utilisation des ressources numériques proposées
L’augmentation du nombre de postes informatiques, de 4 auparavant dans la Bibliothèque de la Cité à 9 postes, a immédiatement suscité une fréquentation supplémentaire. Le nombre d’utilisations des postes a presque doublé pendant la période du Labo-Cité et est restée stable à la réouverture de la bibliothèque, où nous avons choisi de conserver le même nombre de machines. Sur la période du Labo-Cité, nous avions 78 sessions Internet par jour en moyenne.
Les tablettes et autres appareils mis à disposition ont été relativement moins sollicités pour ces usages individuels. Les iPads « adultes », qui ont été les plus utilisés (547 fois au total), ne l’ont été que 4 fois par jour en moyenne. Ces tablettes ont surtout servi aux séjourneurs les plus assidus à prolonger leurs sessions Internet, limitées sur les PC. Les tablettes Android ont été peu demandées par le public, en dehors de quelques personnes connaissant ce matériel et le préférant aux iPads. Nous n’avions par ailleurs pas choisi la meilleure méthode de mise à disposition des tablettes, fournies sur dépôt d’une pièce d’identité, ce qui s’est révélé lourd en termes de gestion et nuisait à la mise en valeur de la prestation. De même, les jeux vidéo, que ce soit sur tablette, PlayStation ou PC ont été très peu demandés pour une utilisation individuelle.
Programme de de médiation
58 activités ont été organisées pendant la période du Labo-Cité, qui ont réuni 648 participants[iii]. Le nombre de visiteurs uniques peut être évalué grâce aux inscriptions aux ateliers. 186 personnes se sont inscrites pour 250 places, soit pour 1,3 atelier en moyenne. Si l’on reporte ce ratio à l’ensemble des participants, on peut estimer que 500 personnes différentes environ ont participé aux activités du Labo.
Le programme de médiation du Labo-Cité aura probablement constitué l’aspect le plus riche du projet, tant en termes de relation avec le public que de nouveaux partenariats et d’enseignements.
Les ateliers donnés par les bibliothécaires
Cette offre (le livre numérique, la musique en ligne, les podcasts, la presse numérique...) a représenté à la fois un succès de fréquentation et de satisfaction du public et un échec en termes de développement du projet, puisque seules deux bibliothécaires sur les seize volontaires pour ce domaine ont donné deux ateliers, en plus des ateliers conduits par l’auteur et un externe.
Les principaux obstacles cités par les bibliothécaires ont été le manque de temps, le manque de connaissances techniques et compétences en formation des usagers. Bien que la question du temps reste évidemment centrale, celles des connaissances techniques est, de notre expérience, secondaire. Si elle peut constituer un facteur d’appel pour les usagers qui se montrent toujours reconnaissants d’obtenir quelques « trucs », ce sont surtout les contenus qui importent et qui permettent de mettre en avant les compétences des bibliothécaires dans la recherche d’information au sens large. Dans cette optique, l’atelier « Information juridique », proposé par Yves Muhlemann, juriste-bibliothécaire à la bibliothèque du Pouvoir judiciaire, est emblématique. Dans cet atelier, qui a été le plus sollicité par le public, c’est très clairement la connaissance du domaine et la maîtrise de la recherche d’informations ciblées qui étaient primordiales.
En ce qui concerne les compétences en matière de formation des usagers, cela constitue un réel enjeu. Nous avions organisé une brève formation en interne dans ce domaine, avec une demi-journée d’initiation, mais cela s’est révélé insuffisant. Un accompagnement sur le terrain pour la mise en œuvre aurait été nécessaire.
Ateliers créatifs
Ces ateliers organisés avec des partenaires ou mandataires ont demandé comme toutes les activités de médiation un travail de programmation et de définition du projet. La dimension technique apportait une complexité supplémentaire, les intervenants arrivant rarement avec des solutions « clés en main » ou devant s’adapter à nos possibilités techniques.
Le projet « Bouge ton son » proposé par Eklekto[iv] s’est révélé emblématique. S’agissant d’une installation musicale et audiovisuelle pilotée par iPad, plusieurs séances de travail et de tests ont été nécessaires pour déterminer les applications à utiliser et ajuster le projet en fonction du matériel audiovisuel disponible. Au final, avec un matériel relativement modeste, grâce aux compétences et à l’engagement des partenaires, un beau résultat a été obtenu. Cette installation permettait au public de manipuler plusieurs types d’interfaces programmées en midi pour créer ensemble un environnement sonore et visuel et donc, potentiellement, d’appréhender quelques fondamentaux de la musique électronique de manière ludique et artistique.
Des ateliers créatifs plus techniques pour enfants ont aussi été proposés. Ainsi « la Robotique avec Thymio » proposé par Paul Oberson[v] permettait en une après-midi de s’initier à la programmation de ces robots simples créés à l’EPFL[vi]. « Les Princes de l’impression 3D » mené par l’association Kidimake[vii] permettait, à travers une histoire, de découvrir la modélisation et l’impression 3D.
Une activité pédagogique a aussi été organisée par le Service écoles-médias (SEM) du Département de l’Instruction Publique. Il s’agissait d’un parcours en Vieille-Ville proposant des activités à partir d’une carte avec des QR-Codes renvoyant vers des énigmes à résoudre mais aussi des informations à collecter et des interviews à réaliser, le tout à partir d’un iPad. L’ensemble de ces ateliers ont rencontré un beau succès.
Les ateliers créatifs pour adultes, par contre, ont été relativement peu fréquentés (musique électronique, ateliers d’écriture numérique). Ce public se montre peut-être plus timide dans l’expérimentation. Dans ce domaine, seuls les ateliers Wikipermanences, menés par Wikimédia Suisse[viii] pour initier le public à enrichir l’encyclopédie libre ont rencontré un certain succès certainement dû en partie à leur régularité, un atelier ayant eu lieu chaque mois.
Ce type d’atelier nous semble toutefois riche de potentialité. L’Initiation à la musique électronique sur tablette du musicien genevois POL[ix] a donné de beaux moments de partage entre jeunes et âgés, tandis que les « Moulin à parole » portés par Pascal Cottin[xi] représentaient un exemple d’utilisation simple et élégante du numérique pour amener un public vers l’écriture, en utilisant des textes, des images et des sons du domaine public ou libres de droit.
Rencontres-débats
En-dehors de la conférence inaugurale donnée par Pierre Assouline, ce cycle a rencontré un succès mitigé. Il semble que ce format nécessite un travail sur la durée afin de constituer un public, ce que la relative brièveté de notre expérience ne nous a pas permis, malgré la qualité des contenus, comme par exemple le cycle « Questions de littérature numérique » proposé par Infolipo[xi].
Médiation documentaire
Dans cette bibliothèque sans livres, les seuls documents papiers ont paradoxalement été des fiches d’orientation consacrées à différents domaines de l’information numérique : les applications jeunesse, les jeux vidéo, la musique en ligne, la presse numérique et la recherche d’information juridique, proposée par la Bibliothèque du Pouvoir judiciaire. Ces fiches venaient soit compléter un atelier ou proposer un éclairage sur une des offres de ressources numériques. Assez généralistes, elles ont été appréciées des publics peu familiers du numérique. Par contre, le volet numérique de cette médiation documentaire est resté en grande partie négligé, alors qu’une stratégie de communication digitale efficace avait été proposée par le chargé de communication des BM.
Communication digitale
Le Labo-Cité représentait la première expérience d’ampleur des BM avec une communication coordonnée sur les canaux classiques et digitaux, ce qui semblait indispensable vu la thématique. Un blog dédié a été créé et les comptes Twitter et Instagram des BM consacrés prioritairement au Labo-Cité. Les efforts consentis en matière de communication ont porté leurs fruits. Un public non familier de la Cité a fréquenté le Labo-Cité. L’expérience a connu des échos positifs dans la presse avec une dizaine d’articles publiés, aussi bien sur l’ouverture du Labo-Cité que sur les différentes activités organisées. Toutefois, comme avec la formation des usagers, nous avons manqué la phase de transfert auprès des bibliothécaires pour que cette stratégie de communication puisse porter aussi sur la médiation documentaire qui aurait probablement pu prendre alors une autre dimension.
Public du Labo-Cité
La fréquentation du Labo-Cité a été mesurée en continu grâce à la présence d’un compteur de visites situé à son entrée. Une enquête auprès des publics a en outre été conduite en octobre 2014.
Sur la durée de son ouverture, 136 jours sur 7 mois[xii], la fréquentation est restée stable, si l’on excepte les mois partiels de septembre et décembre 2014 et avril 2015 :
Au fil de l’activité du Labo-Cité, il est apparu que celui-ci était en grande partie fréquenté par un public de séjourneurs, déjà présents à la bibliothèque, mais qui s’est trouvé concentré dans cet espace. Cette composition du public a largement été constatée sur place, avec des personnes y passant de longues heures, plusieurs fois par semaine. On le relevait aussi avec l’enquête, dans laquelle on pouvait voir, dès les premières semaines d’activité, un public déjà bien installé, un tiers venant déjà au moins une fois par semaine.
Le public du Labo-Cité était en partie seulement le public de la Bibliothèque de la Cité (79%), l’expérience a donc amené un public spécifique et la stratégie de communication a porté ses fruits. A l’inverse, certains habitués de la Cité n’étaient pas au courant de la fermeture et se sont déclarés peu intéressés par cet espace numérique et attendaient la réouverture de la bibliothèque, sans toutefois en comptabiliser le nombre d’occurrences.
Fig. 1 : fréquentation des BM dans les 12 derniers mois
Analyse
Attentes des publics
La partie consacrée aux attentes des personnes interrogées nous permet de mettre nos constats en perspectives et proposer quelques éléments d’interprétation. Elle montre des usages et modalités d’accès très similaires à celles de l'ensemble de la population suisse. Ainsi 88% des personnes interrogées au Labo-Cité déclaraient avoir accès à Internet à domicile, alors que cette proportion est de 82% pour la Suisse romande[xiii]. Les intervalles de confiance respectifs des enquêtes font que l’on peut rapprocher les deux populations sur ce point.
Les usages de type documentaire en numérique restent faibles, ce qui conforte le fait que la médiation, culturelle ou documentaire, de nos contenus digitaux s’avère indispensable.
Fig. 2 : activités et contenus consultés en numérique
Les attentes par rapport à une offre numérique sont toutefois précises : les journaux et l’autoformation sont les ressources les plus demandées, suivies de près par la vidéo (VOD – video on demand) et la musique :
Fig. 3 : attentes quant aux ressources numériques à proposer aux BM
Pour les personnes interrogées, une bibliothèque devrait plutôt les aider à se repérer dans les ressources numériques, plutôt qu’offrir des documents numériques remplaçant les supports physiques. Cela conforte notre point de vue sur l’importance d’une médiation documentaire numérique forteresse de la formation :
Fig. 4 : attente quant à la stratégie à adopter par les BM
L’enquête réalisée tôt, ne permet pas de distinguer clairement les publics des activités de médiation et le public de séjourneurs. Toutefois nos observations nous permettent d’affirmer qu'ils ont été très différents et peu mélangés. Les publics jeunesse étaient présents quasi exclusivement dans les animations et les accueils scolaires. Les séjourneurs n’ont pas participé aux activités de médiation qui étaient plutôt suivies par un public « d’usagers emprunteurs adultes », caractéristique particulièrement marquée dans les « ateliers BM ».
L’expérience du Labo-Cité a mis en lumière les caractéristiques, et parfois les problématiques, liées au public séjourneur n’utilisant que l’accès Internet. Le simple fait de pouvoir disposer d’une connexion gratuite dans un lieu sans obligation de consommation se révèle particulièrement attrayant pour ce public, parfois visiblement en situation de précarité. Il reste assez peu concerné par le reste de l’offre de la bibliothèque et en ignore parfois les règles. Une médiation spécifique pourrait constituer une piste et le numérique, un point de contact pertinent.
Formation interne
Les bibliothécaires du réseau constituaient un autre public du Labo-Cité puisqu’ils devaient pouvoir s’y former. Toutefois, comme nous l’avons relevé plus haut, le transfert dans la pratique ne s’est pas effectué, comme par exemple via une participation à la formation des usagers ou le développement d’une médiation documentaire spécifique. En outre, lors de l’enquête interne réalisée début 2015, l’un des principaux points négatifs relevé par les collaboratrices et collaborateurs impliqués avait été le manque de formation apporté par le Labo-Cité, notamment sur les ressources numériques. Pour corriger cela, une série d’ateliers thématiques destinés au personnel ont été programmés portant sur la littérature numérique, la musique sur le web, la veille, les applications jeunesse, le jeu vidéo et la culture numérique.
L’atelier « culture numérique » consistait, après la présentation des grandes tendances du domaine, en un brainstorming sur leurs applications dans le contexte des BM. Si, comme les autres, il a été riche en idées, celles-ci n’ont pas trouvé de prolongements dans la pratique. Tout cela montre bien, que le numérique cristallise une grande partie des enjeux liée à l’évolution des bibliothèques, qui s’étendent bien au-delà des questions techniques. Il s’agit de trouver un modèle nous permettant d’allier formation et transfert direct dans une pratique. Au-delà des connaissances en matière de numérique, cela implique surtout que les bibliothécaires puissent disposer du temps nécessaire pour développer des projets de médiation. Il s’agit donc d’un véritable enjeu pour l’institution, tant en termes de formation que d’organisation du travail et de gestion des priorités.
Constats quant aux activités de médiation
L’ajustement du projet (public cible, objectifs) et de sa communication, pour rendre clair et attractif le contenu de l’atelier, sont particulièrement importants. Cela paraîtra évident, mais des titres techniques, comme « découvrez le logiciel X », ou « apprenez à coder avec Y », sans parler de « perfectionnez votre recherche dans le catalogue » ne rencontrent aucun succès.
Au-delà du titre, qui doit déjà raconter une histoire, il est nécessaire de proposer une séquence pédagogique solide ou une dimension narrative dans l’atelier afin de tenir le public en haleine, mais aussi de proposer une approche dynamique. Le médiateur peut ainsi proposer des liens avec d’autres contenus et supports pour éviter de se noyer dans des considérations techniques.
Nous avons constaté que les tablettes étaient un support à privilégier. Largement utilisées aujourd’hui, elles permettent de se distancer du support ordinateur et des a priori qu’il peut encore susciter. Les tablettes proposent aujourd’hui des applications pointues (interfaces de musique électronique, application d’initiations à la programmation...) Cela demande toutefois des compétences techniques pour la préparation des ateliers et parfois un peu de bricolage, par exemple pour le partage des fichiers entre applications ou simplement de l’impression. Elles permettent aussi une relative autonomie de la bibliothèque et des médiateurs, ce qui n’est pas toujours possible avec les ordinateurs de bureau, souvent bridés par les services informatiques.
Focus sur le jeu vidéo
Le jeu vidéo représente à lui-seul une des grandes problématiques liées au numérique en bibliothèque. Bien qu’on puisse le situer dans la continuité des œuvres présentées traditionnellement en bibliothèque de par ses dimensions graphiques, narratives et musicales, il est aussi un pur produit de la culture numérique, avec des logiques et des usages propres qui restent encore mal connus ou parfois mal compris des bibliothécaires.
De fait, bien qu’on puisse en constituer des collections, comme cela a été fait lors du Labo-Cité, avec un axe sur l’édition indépendante et la création suisse, les possibilités en termes de prêt restent limitées ; cela en fait un champ hors-normes pour le bibliothécaire de lecture publique. De plus, comme indiqué plus haut, une offre de jeu en self-service n’est pas adoptée spontanément par un public non familier. Cela implique qu'une politique de médiation d’autant plus solide doive être engagée sur cette thématique. De par sa richesse et son aspect spectaculaire, le jeu vidéo peut constituer un champ idéal pour expérimenter et développer la médiation et la culture numérique en bibliothèque.
Lors du Labo-Cité plusieurs pistes ont été explorées : conférences (l’histoire, les métiers), rencontres (journée du jeu vidéo avec des éditeurs suisses-romands) et présentation de jeux (apéro jeux vidéo). Nous avons eu la chance pour cela de pouvoir nous appuyer sur les connaissances et le réseau d’un spécialiste de la question, Sandro Dall'Aglio[xiv]. Ces événements ont esquissé l’idée que le jeu vidéo est un domaine de création qui peut être accessible en Suisse et que cette thématique, au vu de la fréquentation de la journée jeu vidéo, semble intéresser le public.
Une médiation documentaire est aussi nécessaire dans ce domaine qui se révèle riche et varié. La sélection a été commentée et explicitée sous forme de fiches évoquées plus haut. D’autres mode de médiation documentaire sont certainement envisageables (liens avec d’autres œuvres de fiction ou documentaires, sélections thématiques, conseils personnalisés…).
Conclusion
L’expérience du Labo-Cité aura confirmé le rôle que les bibliothèques peuvent jouer dans l’accès aux nouvelles technologies mais aussi comme lieux de réflexion sur l’impact du numérique dans la culture et la société.
La médiation culturelle et documentaire que nous pouvons développer dans ce domaine peut aider des personnes aux profils variés à s’orienter dans une offre informationnelle et culturelle foisonnante, à mieux appréhender les enjeux du numérique et à en devenir acteur. Ces propositions sont à même d'intéresser nos publics actuels, mais aussi nous permettre d’en gagner de nouveaux. La médiation des cultures numériques peut se développer grâce à des partenariats. Il existe une réelle émulation dans ce domaine et les bibliothèques y possédent une certaine légitimité. Ces collaborations, quels que soient leurs termes, paraissent indispensables, la bibliothèque ne pouvant maîtriser toutes les compétences nécessaires pour animer un programme de médiation fourni. Les bibliothécaires de leur côté doivent quitter la logique des supports qui consiste à rechercher en numérique des copies de leur collections physiques – des ebooks, des disques et vidéos en téléchargement ou streaming – pour adopter les nouveau modes de diffusion du web et développer une véritable médiation documentaire numérique ou former leurs publics à la gestion de l’information, plus qu’à sa recherche.
Cette expérience a aussi montré que l’idée d’une « bibliothèque sans livres », exclusivement numérique, ne faisait pas sens dans notre contexte. Non seulement elle ne correspond pas à la représentation que le public se fait d’une bibliothèque, mais se couper de nos riches ressources « physiques » reviendrait à ignorer une part incontournable des contenus et surtout, de notre environnement culturel et de nos publics. Cette bibliothèque sans livres aura aussi, comme nous l’avons souligné, manqué de connexion avec les bibliothécaires eux-mêmes et un travail important reste encore à effectuer pour les former et instiller une « logique du numérique » dans leurs activités, sans que cela représente une rupture.
Stratégies pour l'avenir
Concrètement, nous avons identifié trois axes qui nous permettront de développer notre stratégie en matière de numérique pour la bibliothèque de la Cité, mais aussi l’ensemble du réseau des BM.
Les bibliothèques doivent rester un point d’accès au numérique en termes d’équipements et de ressources. Les usages mobiles deviennent majoritaires et l’accès au wifi doit donc être développé dans les bibliothèques. Toutefois certains publics, notamment les séjourneurs, apprécient encore de disposer d’équipement fournis par l’institution. Celle-ci doit toutefois les diversifier, notamment avec des tablettes qui représentent surtout des supports utiles à la médiation.
Par ailleurs, les publics attendent que les bibliothèques leur proposent des documents numériques spécifiques (journaux, autoformation, livres numériques) et il convient de disposer de terminaux pour les mettre à disposition sur place et les « matérialiser ». Cette offre doit être intégrée à la bibliothèque classique.
Une médiation documentaire numérique doit être développée, car le numérique ne fonctionne pas tout seul en bibliothèque comme l’ont montré les usages concrets au Labo-Cité. Jeux vidéo, applications sur tablettes ou ressources en ligne n’ont pas été utilisés spontanément, une grande partie du public se contentant de « surfer » sur des sites connus.
Cette médiation pose la question de la sélection des contenus qui devra se penser dans le cadre des modes de diffusion du web en s’intégrant dans la politique documentaire globale. Les seuls abonnements à des « ressources numériques » ne sauraient suffire pour refléter toute la variété des cultures numériques. De plus, le bibliothécaire ne doit pas uniquement penser portail, dossier documentaire ou service de référence en ligne, mais aussi intégrer les outils de la communication digitale : diffuser une veille, valoriser les traces des activités de médiation sur son blog, proposer ses sélections thématiques à des groupes d’intérêts sur les réseaux. Si ces modes de diffusion augmentent les possibilités, ils ajoutent aussi en complexité, et le bibliothécaire doit s’entourer et accepter l’expertise d’autres professionnels, afin de se concentrer sur les contenus et la mise en valeur des collections.
Les ateliers numériques devraient s’ancrer dans la politique de médiation des BM. L’intérêt du public est notable pour les ateliers liés à la gestion de l’information au sens large, mais aussi pour la création numérique, surtout pour les plus jeunes. Ces ateliers sont le lieu idéal pour faire émerger les besoins des publics, les confronter avec notre offre documentaire et, le cas échéant, l’enrichir. Les quelques mois d’activités du Labo-Cité ont montré que les possibilités de partenariats ou de mandats étaient potentiellement riches sur Genève.
On a vu que l’objectif de formation du personnel n’a pas entièrement été réalisé. Cette dimension doit être mieux prise en compte à l’avenir. Les décalages entre formation et mise en œuvre des projets sont sources de frustration pour les collaboratrices et collaborateurs et représentent une déperdition d’énergie pour l’institution. Il convient de fixer des objectifs réalistes permettant de forger un socle commun. Par exemple, pour le jeu vidéo, tous les bibliothécaires ne pourront rivaliser en termes de connaissances avec les publics de gamers, mais ils devraient posséder des connaissances de base, pour pouvoir au minimum informer les publics, comme ils le font pour les autres collections ou services.
L’expérience du Labo-Cité aura donc montré que les BM doivent dépasser la simple question des « ressources numériques » pour entrer dans les logiques d’usages du numérique de la société actuelle. Les possibilités sont nombreuses que ce soit en proposant des activités de médiation, des cultures numériques ou de la médiation d’information et de contenus culturels numériques, afin de donner une visibilité nouvelle à leurs collections, aux compétences de leur personnel, tout en les développant et en offrant des prestations adaptées à leurs publics actuels et potentiels.
Notes
[i] On trouvera des descriptions détaillées des ressources numériques évoquées sur le site du réseau Carel http://reseaucarel.org
[ii] Le blog du Labo BNF http://labobnf.blogspot.ch/
[iii] L’ensemble du programme de médiation du réseau des BM attire environ 30'000 personnes par année, visites de classes comprises, mais en dehors de la fréquentation des expositions.
[iv] Geneva Percussion Center – Eklekto http://eklekto.ch
[v] http://sem.unige.ch/oberson/homepage/
[vi] https://www.thymio.org/fr:thymio
[vii] http://www.social-in3.coop/kdmk/
[viii] https://www.wikimedia.ch/fr/
[x] http://pascalcottin.jimdo.com/m-p/
[xi] http://www.infolipo.org une partie des interventions peut être retrouvée sur la chaîne YouTube des BM https://www.youtube.com/user/genevebm
[xii] Au mois d’avril, le Labo-Cité n’a été ouvert que pour des activités de médiation.
[xiii] L’accès des ménages à internet et son utilisation par les individus en Suisse : enquête sur les technologies de l’information et de la communication 2014 auprès des ménages. Neuchâtel, Office fédéral de la statistique, 2015
http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/news/publikationen.html?publicationID=6595
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Bibliothèques et quête d’identité
Ressi — 31 décembre 2016
Elise Pelletier, Haute Ecole de Gestion, Genève
« Toute bibliothèque constitue en effet un relevé topographique, voire géologique, de l’identité de son possesseur. » (Sfez 2008)
Bien que décrivant les bibliothèques personnelles, cette citation de la philosophe Géraldine Sfez s’adapte aussi parfaitement aux bibliothèques publiques. Du moins, c’est ce que la réalisation d’un mémoire de master sur l’identité des bibliothèques m’a amenée à conclure. Ce travail se basait sur le cas des bibliothèques de la Ville de Genève et était mandaté par le Département de la Culture et du Sport (DCS) par l’intermédiaire de Marie-Aude Python, responsable de l’Unité Projets transversaux. Au fil de ces sept mois, il s’est avéré que le concept d’identité appliqué aux bibliothèques ouvrait un champ de thématiques (pour ne pas dire de problématiques) très actuel pour ces structures. L’intérêt et la difficulté de ce sujet résidait donc dans la sélection d’axes de réflexion à même de répondre aux attentes et besoins du mandant.
A la découverte des bibliothèques de Genève
Alors que certains travaux de master s’effectuent entre les quatre murs banals d’un bureau, ce mémoire m’a conduit dans des lieux extraordinaires, face à des trésors uniques et toujours accompagnée de personnes passionnées par leur métier…
Un « Plan directeur » comme premier pas
Au départ de ce travail se trouvait paradoxalement la fin de la rédaction d’un document : le « Plan directeur 2016-2020 des bibliothèques du Département de la Culture et du Sport de la Ville de Genève » (DCS et Commission 2016) (ci-après nommé Plan directeur). Validé par tous les directeurs-trices des bibliothèques et musées du DCS, il présente huit « axes stratégiques » détaillés en 29 projets, qui proposent des solutions concrètes pour le développement des bibliothèques dans les quatre années à venir. Paru en juin 2016, il est le fruit du travail de la Commission des bibliothèques. Composée de un ou deux représentants de chacune des structures, cette Commission est le lieu privilégié des échanges entre les bibliothèques et le DCS, représenté dans ce cadre par Marie-Aude Python. Ce Plan directeur est aussi le premier document commun publié par les bibliothèques et le DCS. Il est donc l’affirmation d’une volonté de travailler conjointement et se situe dans la lignée des politiques culturelles de la Ville proposées par Sami Kanaan, magistrat responsable du département de la culture et du sport (DCS).
Dans ce contexte, pourquoi venir interroger les fondements de cette collaboration en abordant la question de l’identité commune de ces bibliothèques ? Plusieurs raisons peuvent expliquer ce choix et la première, et aussi la plus simple, est que ce plan a une durée limitée. La notion d’identité organisationnelle, certes plus théorique, ne se limite pas à une période donnée. La deuxième raison est que derrière cette volonté aujourd’hui affichée de travailler ensemble se cachent des services qui « par leurs missions, leurs publics cibles et leur taille, [sont] de natures très différentes » (Bezençon 2014). En effet, quand on parle des bibliothèques administrativement gérées par la Ville de Genève, on compte six structures : le Service des bibliothèques municipales (BMU), la Bibliothèque de Genève (BGE), la Bibliothèque des Conservatoire et Jardin botaniques (CJB), la Bibliothèque d’Art et d’Archéologie (BAA), la Bibliothèque Marie-Madeleine Lancoux du Musée d’Ethnographie de Genève (MEG) et le Service d’information documentaire spécialisé du Muséum d’histoire naturelle et du Musée des sciences (SIDoS). Plus précisément, il s’agit de dix-sept sites de bibliothèques, qui sont souvent catégorisés en trois groupes : les bibliothèques de lecture publique, les bibliothèques patrimoniales (fonds anciens et encyclopédiques) et les bibliothèques scientifiques. Chacun de ces sites a développé une identité propre en fonction de ses particularités. La troisième et dernière raison, certainement la plus importante, est liée au contexte général dans lequel s’insère cette collaboration. Si depuis longtemps, les politiques culturelles souhaitent obtenir plus de transversalité entre les services, cette incitation est désormais motivée par une inquiétude croissante expliquée par Marie-Aude Python : « Il y a 20 ans, les bibliothèques n’étaient pas un enjeu politique. Le service n’était pas remis en cause et avait une certaine légitimité. Aujourd’hui, il faut argumenter cette légitimité. Ce service est populaire et est identifié mais il n’est plus à l’abri du débat politique »[1]. Sami Kanaan confirme qu’il existe aujourd’hui un « risque réel » pour la culture et que, dans ce contexte, « il est essentiel d’échanger autour de ces questions avec les politiques mais également avec la population »[2]. Ce « débat politique », et plus spécifiquement son issue positive pour les bibliothèques est « essentiel » : d’une part il conditionne les ressources financières allouées aux bibliothèques mais il questionne également la place accordée aux bibliothèques dans la cité. De là l’importance de fédérer ces structures autour d’une vision commune qui passe par une réflexion sur ce qu’elles sont « ensemble ».
L’objectif de ce mandat était donc de proposer des pistes de réflexion sur une identité commune des bibliothèques qui prenne à la fois en compte leur différence vue dans un sens de complémentarité et leur cohérence avec les politiques culturelles ou, plus largement, avec le territoire de la Ville de Genève.
Qu’est ce que l’identité ?
Puisqu’elle était le cœur de ce travail, il est important de définir brièvement cette notion apparemment simple. L’identité d’un individu est constituée d’un certain nombre de données : nom, origine, éléments d’appartenance… Ces données le caractérisent mais surtout permettent de le différencier de ses semblables. Ainsi, si on prend l’exemple d’une bibliothèque, les données sélectionnées seront différentes si son identité est confrontée à d’autres bibliothèques ou si elle est face à un cadre plus large d’acteurs culturels comprenant des musées, des archives, des théâtres… L’identité se construit en fonction de celles qui l’entourent et les données sélectionnées pour la définir seront différentes en fonction du contexte. L’identité organisationnelle fonctionne de la même manière mais répond à la question « qui sommes-nous en tant qu’organisation ? » (Gombault 2003) et les identités individuelles qui constituent cette identité commune impactent directement sa construction. Le philosophe et sociologue Alex Mucchielli explique que « L’identité est donc toujours plurielle » et qu’elle est « toujours en transformation, puisque les contextes de référence de cette identité (…) sont chacun en évolution du fait même des interactions. » (Mucchielli 2015 p. 10). De ce fait, les données constitutives de l’identité sont multiples. Il répartit ces données dans ce qu’il nomme des « référents identitaires » et propose cinq groupes : les référents historiques, écologiques, matériels et physiques, psychosociaux et culturels. Ces groupes sont ensuite déclinés en liste de déterminants (Mucchielli 2015, p12-14). L’auteur précise que pour spécifier une identité, il faut choisir certains de ces éléments et que « rares sont les définitions identitaires complètes qui utiliseraient tous les déterminants » (Mucchielli 2015, p 43). Le contexte conditionnant la sélection des référents identitaires, il est évident que poser la question « qui sommes-nous en tant qu’organisation ? » en tant que personne extérieure aura des conséquences sur l’identité organisationnelle qui ne peut être complétement définie qu’en interne. Ce constat pose la limite de ce travail de mémoire dont le cheminement était par conséquent dirigé vers des pistes de réflexion et des propositions d’outils à même d’être utilisées par la Commission des bibliothèques pour penser elle-même cette identité commune.
Méthodologie
En accord avec le mandant, l’approche s’est surtout concentrée sur le point de vue des directeurs des bibliothèques, de certains membres du DCS et du magistrat en charge de la Culture et du Sport, même si en réalité l’identité organisationnelle concernait un public beaucoup plus large (on pense ici à l’ensemble des professionnels qui travaillent directement ou indirectement pour les bibliothèques). Plusieurs jalons étaient nécessaires pour baliser cette démarche. Le premier était la visite de plusieurs structures, notamment pour repérer des référents écologiques, matériels et physiques. Le second jalon était l’organisation d’entretiens avec les membres de la Commission, avec certains professionnels du DCS et avec Sami Kanaan, le magistrat en charge du DCS. Le troisième jalon était une grille d’analyse basée sur les référents identitaires d’Alex Mucchielli. Ce cadre théorique permettait d’atténuer l’aspect subjectif de ce travail pour se concentrer sur l’apport d’outils concrets. Un cahier des charges présenté lors d’une séance de la Commission des bibliothèques a servi de guide tout au long de ce projet.
Vers une identité commune :
Le rapide panorama proposé dans la partie suivante a pour objectif de présenter quelques exemples de référents identitaires particulièrement représentatifs des enjeux liés à la construction d’une identité commune.
Déambulation d’un référent identitaire à l’autre…
Déterminer les référents historiques qui lient les bibliothèques de Genève constitue un travail d’envergure vu l’âge de la majorité d’entre elles. Il était difficile sans connaissance historique préalable de retracer parallèlement l’origine et l’histoire de chacune des structures. Pourtant, il est certain que le lien entre les bibliothèques et l’Histoire de la Ville de Genève est porteur de beaucoup de sens dans la réflexion sur leur identité. A titre d’exemple, Alain Jacquesson, ancien directeur de la Bibliothèque de Genève (BGE), relève que « on ignore généralement qu’elle [la BGE] fut à l’origine de la lecture publique à Genève » (Jacquesson 2015, p.9). Cette anecdote historique a un écho particulier aujourd’hui où il existe une séparation très visible entre bibliothèques scientifiques et bibliothèques de lecture publique. On peut également citer les traces historiques laissées par les nombreux mécènes et autres donateurs, qui ont grandement participé à la construction des bibliothèques de la Ville de Genève. Ce mémoire se concentre plus sur les « événements marquants » récents car ils étaient plus facilement identifiables et comparables. Par exemple, en à peine dix ans, sur les six structures, quatre ont changé de direction et sur les quatre nouveaux directeurs, trois n’ont pas de formation spécifique dans le domaine des bibliothèques. Face à ce constat, deux visions légitimes s’opposent. D’un côté, l’impression d’une remise en cause des compétences et de la formation des professionnels et de l’autre la volonté d’apporter de nouvelles compétences spécifiques pour mieux appréhender les changements liés à l’évolution de la société. Or ce débat ne peut pas se résoudre dans un positionnement manichéen du pour ou contre mais doit se réfléchir communément en prenant en compte les tenants et aboutissants des deux visions. Si les changements de direction sont des « événements marquants » porteurs d’une dichotomie, d’autres exemples ont des aspects très fédérateurs. L’arrivée du numérique est un événement qui a profondément modifié les bibliothèques de Genève et d’ailleurs. Souvent sources des débats sur leur avenir, le numérique s’avère un réel catalyseur pour la mise en place de projets transversaux. Pour preuve ; la Commission des bibliothèques est née de la volonté des professionnels de gérer les difficultés qui concernaient des questions informatiques. Cette même Commission est à l’origine du premier service transversal à l’ensemble des bibliothèques : InterroGE[3]. Né en 2013, ce service de renseignement à distance est une vitrine concrète de la complémentarité des structures. Plusieurs responsables le citent comme un « événement marquant » car il transforme l’accès aux ressources documentaires et pose la question du rôle du bibliothécaire. Les changements de direction ou l’arrivée du numérique sont des événements récents mais qui influencent déjà l’identité organisationnelle. En interrogeant la question des origines, les référents historiques anciens ou plus récents explicitent la composition et la structure actuelles des bibliothèques.
Les référents écologiques s’intéressent au contexte externe de l’identité et les deux approches présentées ici concernent la répartition et la visibilité des bibliothèques dans Genève. La carte des sentiers culturels « D’une bibliothèque à l’autre » (Ville de Genève et Service de la promotion culturelle 2016) offre un aperçu général du positionnement des dix-sept sites dans la ville. Cette carte récente montre une répartition équilibrée des structures sur l’ensemble du territoire. D’autant plus que ce maillage constitué par les bibliothèques est renforcé par les structures mobiles que sont les Bibliobus et la nouvelle « Mobithèque ». Le nombre important de bibliothèques sur un territoire relativement restreint garantit une relative proximité à toute personne souhaitant se rendre dans une de ces structures. Cependant, si le maillage de la ville est un avantage, il est minimisé par une absence de signalétique. En effet, très peu de panneaux indiquent visiblement la proximité d’une bibliothèque. La plupart s’affiche devant leur porte à l’aide de bannières, pancartes ou totems. La bibliothèque du Museum d’histoire naturelle est difficilement trouvable pour qui ne connaît pas préalablement son existence. Le site des BMU ponctue la présentation de la bibliothèque de la Jonction d’un « Mais où se cache-t-elle donc ? » (BMU 2014). L’exemple de la signalétique est révélateur du travail encore nécessaire pour mieux affirmer la présence des bibliothèques sur le territoire. Pourtant, leurs bâtiments hôtes sont parfois remarquables de par leur aspect historique ou architectural. Leur positionnement varié est également notable entre parcs et immeuble résidentiel. Le tableau suivant illustre cette variété :
Répartition des bibliothèques par environnement
Globalement, les bâtiments sont perçus par les professionnels rencontrés comme des points forts. Une des limitations évoquées est le manque de place qui devrait en partie se solutionner par la réalisation du projet de « dépôts patrimoniaux » de l’Ecoquartier de la Jonction (Ville de Genève et al. s.d.) évoqué dans le Plan directeur. Ces quelques référents écologiques montrent l’ancrage des bibliothèques dans leur territoire. Les différences entre les bâtiments et la variété des sites doivent être envisagées comme complémentaires pour s’intégrer pleinement à la notion d’identité commune.
Les collections sont logiquement l’élément majeur des référents matériels et physiques. Unanimement reconnues comme une réelle richesse, elles sont, par de nombreux aspects, emblématiques de l’identité organisationnelle des bibliothèques de la Ville de Genève. D’ailleurs, plusieurs bibliothèques (la BAA et la BGE notamment) valorisent déjà leur complémentarité par l’intermédiaire de politiques documentaires réfléchies conjointement. Sans détailler ces fonds aussi impressionnants par leur qualité que par leur quantité, un aperçu de ces collections est proposé dans la brochure des sentiers culturels consacrée aux bibliothèques (Ville de Genève et Service de la promotion culturelle 2016). Plusieurs bibliothèques ont pu proposer la photo d’un ouvrage. A côté des livres rares et anciens, la BAA présente « 600 pastilles noires : un livre pop-up pour les enfants de tous âges » de David A. Carter (Carter 2007). Ce petit détail est un signal de l’aspect perméable de la frontière entre le côté scientifique et celui de la lecture publique. Leur avantage, quand on parle d’identité, est qu’elles sont concrètement exploitables dans le sens de la complémentarité. Cependant, les collections sont aussi fortement marquées par l’identité propre de chacune des structures, qui s’est complètement approprié « ses » collections au fil des années. Parallèlement les services proposés aux usagers peuvent aussi être complémentaires mais sont moins empreints de cette identité. De plus, ils sont adaptables aux évolutions rapides de la société ce qui est moins le cas pour les collections. On a déjà évoqué à titre d’exemple le service InterroGE, qui a l’avantage de rassembler l’ensemble des bibliothèques autour d’un service commun. La médiation culturelle est également un service qui se développe de plus en plus mais elle reste un sujet de controverse. Pour certains, elle n’est pas assez présente quand pour d’autres, elle dépasse le cadre de compétences des bibliothécaires. Encore une fois, seul un dialogue pourra solutionner ce dilemme mais la réponse à apporter à cette problématique modifiera dans un sens ou dans un autre l’identité des bibliothèques.
Les référents psychosociaux des bibliothèques sont en lien direct avec leur environnement social. Liées à la fois aux collections et aux services, les missions sont largement diffusées au sein des structures ou sur leurs sites web. Si la comparaison des missions entre toutes les bibliothèques établit deux groupes distincts entre bibliothèques de lecture publique et bibliothèques scientifiques, on peut observer un certain glissement des bibliothèques de musée vers des missions plus traditionnellement réservées aux bibliothèques de lecture publique. Leur souhait de s’ouvrir à un plus large public modifie profondément leur organisation avec l’accroissement des espaces dédiés aux usagers. Ce nouveau signe de perméabilité entre ces deux types de bibliothèques est un axe à approfondir dans la réflexion sur l’identité commune. Autre référent psychosocial porteur de sens, la promotion des bibliothèques est un point de développement évoqué par l’ensemble des personnes rencontrées. Il apparaît d’ailleurs comme un axe stratégique dans le Plan directeur. Comme le constate Marie-Aude Python, « il faut une visibilité et une lisibilité plus claires des offres avec une stratégie de communication efficace ». La nécessité de renforcer la visibilité des bibliothèques n’est pas un point nouveau (petit écho au problème de signalétique) et c’est un problème assez récurrent et universel. Sami Kanaan voit dans cette difficulté des bibliothèques à communiquer une forme de « modestie » : « Leur travail est moins connu et moins mis en valeur (…). La valorisation de leur travail est essentielle. Le plan directeur d’ailleurs est aussi un instrument de communication qui va dans ce sens ». La promotion touche aussi à l’image des bibliothèques et « il est important d’un point de vue stratégique, de créer une image qui coïncide avec l’identité organisationnelle d’un établissement donné » (Stensaker 2007). Le manque de stratégie de communication générale est une opportunité pour la Commission des bibliothèques d’en construire une nouvelle apte à diffuser une image cohérente. Cela est d’autant plus nécessaire que cette identité commune des bibliothèques de la Ville de Genève est brouillée par des réseaux dans lesquels elles s’inscrivent indépendamment. Des conventions tissent des liens entre les bibliothèques du DCS et d’autres structures similaires, ce qui est essentiel à leur inscription dans le territoire. La Convention entre l’Université et la majorité des bibliothèques scientifiques de la Ville de Genève est très pertinente car elle vise à « Identifier les complémentarités dans les missions des institutions afin de les coordonner et d’éviter les redondances » (Convention 2010). Malheureusement, les BMU ne participent pas à cet accord, ce qui crée une faille dans une approche d’identité commune. Parallèlement, la « Convention de coopération culturelle » (Convention 1997) avec les villes frontalières concerne l’ensemble des bibliothèques. Ce partenariat offre la possibilité aux lecteurs inscrits dans certaines autres structures de profiter de l’ensemble de l’offre des bibliothèques de Genève. Néanmoins, c’est avant tout un partenariat administratif et malgré son réel potentiel, cette convention n’est pas encore utilisée activement par les structures. Pourtant, elle pourrait être un vrai facteur de rayonnement et contribuer indirectement à leur promotion.
Les référents culturels se sont avérés moins évidents à déterminer. L’un d’entre eux est apparu assez visiblement lors des visites et des entretiens et correspond à ce qu’Alex Mucchielli appelle les contre-modèles. Cela peut s’apparenter à une construction identitaire par opposition. Pour résumer, les professionnels présentaient souvent leur structure par ce qu’elles n’étaient pas ou ne cherchaient pas à être. L’opposition entre bibliothèques de lecture publique et scientifiques était particulièrement présente mais l’opposition entre « petite » et « grande » bibliothèque était également visible. Cette construction par opposition est normale puisque l’identité se construit par rapport à celle des autres. Toutefois, il ne faut pas que cela devienne un frein à l’idée d’identité commune entre des structures qui s’estiment très, voire trop, différentes. Au contraire, abordée dans un sens de complémentarité, ce qui était un point faible peut devenir un réel atout pour une construction pertinente de l’identité. De plus, cela est un point de convergence avec les discours de transversalité présent dans les politiques culturelles. Les valeurs sont un deuxième référent culturel, qui a la particularité d’avoir été directement abordé lors des entretiens par l’intermédiaire d’un tri par cartes. Le professionnalisme, l’innovation et la collaboration ressortent en tête de cet exercice. Au bilan, la méthodologie, qui nécessite encore des améliorations, est aussi intéressante que les résultats. C’est un exercice simple, toujours très bien accueilli, qui permet de déterminer des valeurs ou tout autre élément les plus représentatifs dans un groupe. La détection des référents identitaires majeurs aurait certainement gagné à utiliser plus largement ce tri.
Sortie de son contexte, cette liste de référents identitaires peut ressembler à un inventaire à la Prévert. Bien que non-exhaustive, elle a permis de faire ressortir les points de convergence et de divergence dans la construction identitaire commune. Le territoire et leur histoire sont des référents identitaires forts et incontournables pour les bibliothèques de la Ville de Genève. Cependant, cette distinction constante entre bibliothèques scientifiques et bibliothèques de lecture publique, enracinée dans leurs collections, les divisent. Pourtant, des services comme InterroGE sont le signe évident d’une complémentarité possible. De même, certaines incompréhensions persistent dans le dialogue entre professionnels et élus malgré un souhait ou plutôt une conviction mutuelle de la nécessité de collaborer avec pour enjeu, l’avenir des bibliothèques.
L’identité comme étendard
Le terme « étendard » peut sembler un peu belliqueux pourtant il s’agit pour les bibliothèques d’affirmer leur identité pour pouvoir mieux se positionner sur l’échiquier des politiques culturelles. Cette perspective justifie aussi l’importance de faire travailler des structures parfois si différentes dans l’objectif de trouver des arguments communs et pertinents dans le débat politique.
Continuer le dialogue
Ce dialogue nécessaire est décrit ainsi par Sami Kanaan : « Les professionnels ont leur place mais les responsables politiques doivent faire des choix, pour fixer les grandes orientations ou pour des questions budgétaires. Le défi est de trouver une harmonie entre les propositions, les desiderata des professionnels et les demandes des élus. ». Marie-Aude Python rappelle quelques-uns des enjeux futurs de ces discussions : « le positionnement des bibliothèques scientifiques vis-à-vis du grand public, la répartition des tâches entre la Ville et l’Etat de Genève, concernant directement la BGE et la transition du catalogue Rero ». Collaboratrice du DCS mais également issue du domaine des bibliothèques, elle a une vision globale qui lui permet de rappeler que « toutes ces questions doivent être pensées communément. Plus on anticipe, plus on sera prêt à toute éventuelle remise en cause politique, notamment en cas de changement de magistrat. Il faut préparer les discours. ». En effet, si Sami Kanaan, affiche dans le Plan directeur son soutien aux bibliothèques, il est pertinent de mentionner que dans la logique législative des villes en Suisse, l’exécutif politique change tous les cinq ans. Le dialogue est en quelque sorte cyclique et doit d’autant plus être fondé sur des bases solides car, comme le note Anne-Marie Bertrand, on doit passer par « cette influence mutuelle entre les acteurs qui déterminent une politique de l’offre » (Bertrand 2015, p. 63). Pour cela, l’identité est un bon outil de communication comme le souligne, dans son article « L’identité dans la communication » Edmond-Marc Lipiansky : « communiquer implique une définition corrélative du locuteur et de l’interlocuteur et de la relation qui les relie. Comment s’adresser à quelqu’un si on ne saisit pas, même confusément, quelle définition de soi va s’actualiser dans l’interaction, en rapport avec l’identité d’autrui ? » (Lipiansky 1993). "Il explique ici l’importance de prendre conscience de son identité et de celle de son interlocuteur pour adapter au mieux son discours. Or, de nombreux professionnels ont l’impression d’être incompris par les pouvoirs publics, pour qui les bibliothèques sont souvent un service noyé parmi tant d’autres. De même, la commission des bibliothèques, centre de ce dialogue, est soutenue par Sami Kanaan mais n’a pas d’existence administrative et certains directeurs de bibliothèque n’y participent plus directement. Pourtant, l'avenir des bibliothèques se joue sur cette prise de conscience mutuelle, qui est le moteur du dialogue entre elles et les élus. Cela passe par une explication du rôle des bibliothèques et du métier de bibliothécaire mais avec un discours adapté à ce contexte particulier, c’est-à-dire qui prenne en compte les enjeux du discours politique et plus largement les besoins spécifiques à la ville. Ce discours doit se nourrir d’indicateurs pertinents, choisis collectivement et mutuellement avec le DCS.
Quelques outils pour avancer
De nombreux outils issus du domaine des bibliothèques ou d’autres domaines sont régulièrement développés et peuvent être très efficaces pour alimenter le dialogue avec les élus. La sélection de ces outils dépend des besoins spécifiques mais aussi des compétences des professionnels, qui de par leur formation et leur expérience maîtriseront mieux l’un ou l’autre. Les deux outils suivants, la norme ISO 16439 et l’analyse PESTEL, sont donc présentés à titre d’exemple. En février 2016, la commission d’experts AFNOR/CN46-8 présidée par Nadine Delcarmine publie un livre blanc sous le titre « Qu’est-ce qui fait la valeur des bibliothèques ? ». Elle explique la norme ISO 16439 « Information and documentation – Methods and procedure for assessing the impact of libraries » parue en avril 2014. Comme les auteurs l’expliquent, « ce qui a intéressé ici les experts internationaux qui ont rédigé cette nouvelle norme, c’est d’évoquer la construction d’indicateurs qui parlent aux élus et aux autorités qui allouent les ressources nécessaires à la création et au fonctionnement des bibliothèques » (Delcarmine et al. 2016, p. 6). L’utilisation par les professionnels de cet outil est une réelle valeur ajoutée, cependant, les auteurs reconnaissent aussi sa complexité et la nécessité d’obtenir de l’aide extérieure pour mieux l’appréhender. Pour cela, les bibliothèques de la Ville de Genève peuvent profiter de la présence sur leur territoire d’associations professionnelles, des universités ou de la filière ID de la Haute école de gestion. Evoquer l’environnement de ces bibliothèques permet de faire le lien avec le deuxième outil : l’analyse PESTEL (Politique – Economique – Socioculturel – Technologique – Environnemental – Légal). « Chaque organisation agit comme un organisme au sein d’un écosystème qu’il contribue à modifier et qui le modifie en retour. L’analyse PESTEL va permettre de dresser un profil détaillé de cet écosystème. » (Moinet et Deschamps 2011). Si l’identité est impactée par le contexte, cette analyse permet de mieux l’appréhender et d’ainsi mieux anticiper les débats avec les élus. Se doter d’outils et de concepts du monde de l’entreprise, comme l’analyse PESTEL ou le management de la relève (Bezençon 2014), peut être bénéfique aux bibliothèques mais en respectant tout ce qui fait la particularité d’un service public. Au contraire, bien utilisés, ils peuvent valoriser le travail des bibliothécaires et permettre d’afficher clairement la valeur des bibliothèques pour la cité.
La fin n’est que le début…
Le cas des bibliothèques de la Ville de Genève a eu le double intérêt de poser la question de l’identité dans le cadre concret du dialogue entre professionnels et élus mais aussi d’être représentatif d’une réflexion plus générale sur la place des bibliothèques dans les politiques culturelles en Suisse. En effet, depuis 2011, la Confédération a lancé une réflexion élargie sur une « politique culturelle nationale » pour que la Confédération, les cantons et les communes se coordonnent mieux dans ce domaine. Le Dialogue culturel national (DCN), créé en octobre 2011, est un « instrument propre à développer les champs d'action et le contenu de cette politique culturelle nationale. » (OFC 2016). Pour la période 2016-2020, les bibliothèques font leur apparition comme un « des thèmes sur lesquels se pencheront des groupes de travail communs » (ibid.). Même si, pour l’instant, aucune réalisation concrète n’est encore visible, les bibliothèques doivent se tenir prêtes à s’emparer du sujet. Les récents propos du directeur de la Bibliothèque universitaire de l’École polytechnique fédérale à Zurich ou les fermetures de bibliothèques outre-manche sont autant de signaux qui doivent interpeller les professionnels. Un nouveau dialogue s’engage entre élus et bibliothécaires pour expliquer, justifier ou parfois défendre la place des bibliothèques au sein des villes. Loin du discours alarmiste, les échanges pourront être constructifs si chaque partie-prenante a bien conscience des enjeux de l’autre. Pour cela, les bibliothèques peuvent s’appuyer sur leur lien étroit avec leur territoire. Chaque bibliothèque a une identité unique qui s’est construite dans une imbrication étroite avec celle de la ville. Le dialogue entre élus et professionnels doit s’ancrer dans cette réalité où la bibliothèque est le miroir de la cité.
Notes
[1]Toutes les citations de Marie-Aude Python sont issues de l’entretien effectué avec elle en mai 2016 dans le cadre de ce mémoire.
[2]Toutes les citations de Sami Kanaan sont issues de l’entretien effectué avec lui en juin 2016 dans le cadre de ce mémoire.
[3]http://www.ville-geneve.ch/themes/culture/offre-culturelle/bibliotheques/interroge/
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BEZENÇON, Christophe, 2014. Le management de la relève dans les bibliothèques de la Ville de Genève [en ligne]. Haute école de gestion de Genève. [Consulté le 4 mars 2016]. Disponible à l’adresse : http://doc.rero.ch/record/232854
BMU (SERVICE DES BIBLIOTHEQUES MUNICIPALES DE LA VILLE DE GENEVE), 2014. Jonction | Bibliothèques Municipales | Ville de Genève : Sites des institutions. Bibliothèques municipales de la Ville de Genève [en ligne]. 2014. [Consulté le 9 août 2016]. Disponible à l’adresse : http://institutions.ville-geneve.ch/fr/bm/nos-bibliotheques/adresses-et-horaires/jonction/
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CONVENTION, 2010. Convention entre l’Université de Genève et la Ville de Genève fixant les modalités de collaboration de leurs bibliothèques [en ligne]. 2 février 2010. [Consulté le 15 mai 2016]. Disponible à l’adresse : https://www.unige.ch/dis/files/7414/1215/7642/Convention_UNIGE_VdG_02022...
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DELCARMINE, Nadine, MERCIER, Silvère, RIGEADE, Marine et TOUITOU, Cécile, 2016. Qu'est-ce qui fait la valeur des bibliothèques ? Livre blanc [en ligne]. Association française de normalisation (AFNOR), février 2016 [consulté le 10 août 2016]. Disponible sur le Web : http://portailgroupe.afnor.fr/public_espacenormalisation/AFNORCN46-8/Livre%20Blanc%20fev2016.pdf
DESCHAMPS, Christophe., MOINET, Nicolas, 2011. La boîte à outils de l'intelligence économique (La boîte à outils). Paris : Dunod. ISBN 9782100551125
JACQUESSON, Alain, 2015. Les bibliothèques à Genève: essai de chronologie, 1478 > 2014. Genève : L’Esprit de la Lettre. Bibliothéchos. ISBN 978-2-9700838-7-0.
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Barrelet, Jean-Marc (éd.). Entre lecture, culture et patrimoine. La Bibliothèque de la Ville de la Chaux-de-Fonds 1838-2013. Neuchâtel : Ed. Alphil, 2013. 241 p., ill., 29 cm. ISBN 9782940489237
Ressi — 19 décembre 2013
Alain Jacquesson, Ancien directeur de la Bibliothèque de Genève
Barrelet, Jean-Marc (éd.). Entre lecture, culture et patrimoine. La Bibliothèque de la Ville de la Chaux-de-Fonds 1838-2013. Neuchâtel : Ed. Alphil, 2013. 241 p., ill., 29 cm. ISBN 9782940489237
Ont contribué à l'ouvrage : Jean-Frédéric Jauslin, Jean-Marc Barrelet, Jacques Ramseyer, Sylvie Béguelin, Jacques-André Humair, Josiane Cetlin, Clara Grégori, Catherine Corthésy, Philippe Schindler, Michel Schlup, Jean-Henry Papilloud, Yolande Estermann Wiskott, Michel Gorin, Alain Jacquesson, Christian Gaiser.
A l'occasion de son 175ème anniversaire, la Bibliothèque de la Ville de la Chaux-de-Fonds a publié en janvier 2013 un ouvrage volumineux retraçant son histoire. Les dix-sept contributions mettent en perspective cette bibliothèque par rapport aux évolutions politiques, sociales et culturelles qui caractérisent la fin du XIXe siècle. L'ouvrage évoque la naissance de la bibliothèque dans un environnement scolaire (1838), puis son ouverture aux adultes vers 1901. Elle devient alors Bibliothèque de la Ville. Son développement est freiné par la crise horlogère des années trente, puis par la guerre. L'introduction du libre-accès est une étape importante. Progressivement sous la houlette de Fernand Donzé, son nouveau directeur, la Bibliothèque devient l'une des bibliothèques de lecture publique les plus en vue dans notre pays. Dans les années quatre-vingt, outre ses missions traditionnelles, l'institution intègre la conservation du patrimoine des montagnes neuchâteloises. Dès les années quatre-vingt, la Bibliothèque intègre les documents audio-visuels, l'informatique et le numérique.
Dès sa création l'institution s'est préoccupée de rassembler et organiser des fonds d'archives provenant de personnalités neuchâteloises, artistes, horlogers ou savants. A partir de 1910, la Bibliothèque acquit, par dons ou par legs, des fonds comprenant la bibliothèque et les manuscrits de personnalités de la ville. De nombreux écrivains, journalistes, artistes, hommes politiques, ainsi que de nombreuses sociétés (musique, commerce, sport) y déposèrent aussi leurs fonds. Le fonds bibliophilique de la bibliothèque est constitué d'éditions originales, d'éditions illustrées (Blaise Cendrars par Sonia Delaunay, par exemple), de livres d'artistes, de revues d'artistes, mais aussi d'incunables, de livres illustrés ou d'éditions d'imprimeurs prestigieux de la Renaissance. La Bibliothèque des jeunes ouverte en 1953 connaîtra une dynamique reconnue dans la Suisse entière. La Bibliothèque récolte des documents audio-visuels dès la fin des années soixante-dix. Une loi de 1981 la charge du Dépôt légal cantonal dans ce domaine. Ses fonds diversifiés, provenant de privés comme d'entreprises, n'ont pas d'équivalents en Suisse romande si ce n'est peut-être en Valais. L'informatisation se fait en deux temps, tout d'abord en local avec le système ALS, puis en rejoignant le réseau RERO. La Bibliothèque est également à l'origine du Bibliobus neuchâtelois qui fonctionne depuis 1974 dans les montagnes de la région. Le Réseau des bibliothèques neuchâteloises et jurassiennes (RBNJ), une structure administrative simple créée en 2002, vise à améliorer les services au public et de coordonner la gestion et la valorisation du patrimoine dont elle a la charge, agissant ainsi beaucoup plus largement que la coordination informatique.
La Bibliothèque a également adopté un programme PAC (Preservation And Conservation) tel qu'il a été mis en oeuvre dans le réseau romand, compte tenu de deux services aux missions contradictoires : la communication et la conservation. Le traitement de certains documents peut s'appuyer sur des structures fédérales comme Memoriav (Association dont la mission est la sauvegarde du patrimoine audiovisuel suisse).
Une contribution est consacrée à la formation et plus spécifiquement à la création en 1995 des Hautes écoles spécialisées (HES) et leurs conséquences sur la formation des bibliothécaires, des documentalistes et des archivistes, ainsi que des nouveaux métiers liés à l'évolution des sciences de l'information. Les titres qu'elles décernent (Bachelor, Master) sont désormais reconnus au niveau fédéral. Un dernier chapitre cherche à savoir quelle sera la place des bibliothèques dans un monde qui progressivement bascule vers le numérique. L'informatique a permis dans un premier temps de faire évoluer les catalogues sur fiches cartonnées vers des bases de données bibliographiques régionales (RERO), suisses (SwissBib) et planétaires (WorldCat), accessibles à tout un chacun depuis son domicile ; cette dernière réalisation permet de localiser théoriquement 1,9 milliard d'ouvrages dont ceux de la Chaux-de-Fonds. La nouvelle révolution concerne le numérique ; certains domaines de l'édition ont totalement basculé vers le numérique (physique, sciences de la vie). L'évolution est moins rapide dans les sciences humaines et la lecture loisir, mais le mouvement est lancé. On publie désormais sous forme immatérielle (ebooks) et on numérise des fonds entiers de bibliothèques patrimoniales. La gigantesque opération lancée par Google Livres (23 millions de volumes numérisés en 2013) met en évidence un nouveau danger : les fonds imprimés des bibliothèques étaient dans le domaine public et accessibles à tous, sous forme numérique ils retournent au secteur privé. Pour les bibliothèques les défis sont multiples ; ils touchent notamment les technologies, la conservation du patrimoine numérique, l'évolution des législations, les bouleversements commerciaux.
L'ouvrage publié par la Bibliothèque de la Ville de La Chaux-de-Fonds est remarquable par plusieurs aspects. Son graphisme, sa typographie, ses illustrations sont autant d'atouts qui mettent en valeur les textes. Tous les auteurs ont pris soin de placer les réalisations de la Chaux-de-Fonds dans un contexte plus général, suisse voire international. A l'occasion de cet anniversaire, ce livre rend hommage aux générations de professionnels qui ont œuvré au développement de cette bibliothèque. Un exemple pour tous.
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Une bibliothécaire et une stagiaire bibliothécaire au pays des volcans
Ressi — 29 mars 2006
Céline Bize, Haute Ecole de Gestion, Genève
Résumé
Une bibliothecaire et une stagiaire bibliothecaire au pays des volcans
Introduction
trop de récits d'aventures…
peut-être est-ce la fenêtre ouverte
du service de prêt et renseignements de la Médiathèque Valais…
je suis partie loin, longtemps…
(Rosemarie Fournier)
Tout a commencé un jour d'automne 1998 à Bienne. Là se trouve Cinfo http://www.cinfo.ch/, centre d'information, de conseil et de formation sur les professions de la coopération internationale et de l'aide humanitaire. Cinfo organise périodiquement des journées d'information destinées aux personnes intéressées par une expérience de travail à l'étranger. Mon mari et moi avons assisté à l'une des ces journées et avons ainsi fait la connaissance d'E-Changer http://www.e-changer.ch/. Nous avons été immédiatement séduits par sa philosophie, par le sérieux de la préparation au départ et du suivi sur le terrain.
Mouvement d'envoi de volontaires au Sud, plus particulièrement en Amérique latine, E-Changer a son siège à Fribourg, Suisse. Son activité principale est la formation et l'accompagnement de personnes qui s'engagent pour une expérience de vie dans un pays où leurs compétences professionnelles et personnelles peuvent appuyer un projet. C'est avec eux que nous sommes partis trois ans en Bolivie et que nous avons signé un nouveau contrat pour deux ans à Managua, Nicaragua.
Nous avons mis sur pied un groupe de soutien à notre projet. C'est une exigence d'E-Changer: le travail de fourmi que nous accomplissons au Sud doit être relayé en Suisse. Ce groupe de soutien est constitué de toutes les personnes -connues ou inconnues- qui ont envie de suivre notre travail et d'en savoir plus sur un pays qu'ils ne visiteront peut-être jamais. Nous l'avons appelé "hormiga", qui veut dire "fourmi" en espagnol. Pourquoi? Parce qu'une fourmi toute seule ne peut pas faire grand-chose mais mettez-en quelques centaines ensemble et vous verrez qu'elles sont capables de changer leur monde! Le travail d'information et de sensibilisation se fait à travers de notre site Internet www.hormiga.ch, d'articles d'information dans différents médias et de lettres circulaires adressées aux membres.
Les bibliothèques des pays en voie de développement
Vous pouvez bien l'imaginer: une bibliothèque bolivienne ou nicaraguayenne n'a pas grand-chose à voir avec ses homologues helvétiques. La plupart du temps, les livres sont rares, obsolètes, en mauvais état. Les bibliothécaires sont peu ou pas formés. Les locaux sont vieillots, petits, mal adaptés. Le public est rare… Quant la propre bibliothèque nationale d'un pays n'a AUCUN budget d'acquisitions, on peut imaginer à quel point la situation est grave. Il y a heureusement quelques exceptions. A Managua, par exemple, la Banque centrale (el Banco Central) a sa propre bibliothèque qui ferait bonne figure dans une ville européenne: catalogue en ligne, libre-accès, collections actualisées http://biblioteca.bcn.gob.ni/. L'arbre qui cache la forêt…
La coopération internationale, pourtant très active dans le domaine de l'éducation, appuie très peu de projets bibliothéconomiques. Pourquoi? Il serait intéressant de faire une étude sur ce thème. Personnellement, je pense que les bibliothèques du Sud souffrent d'un manque de visibilité. Elles ne sont pas reconnues par les instances qui gèrent l'aide au développement. Il faut dire à leur décharge que le thème n'est pas très spectaculaire et que personne ne souligne son importance. Les bibliothécaires du Nord ont certainement une part de responsabilité dans cette indifférence. Il n'est pas dans leur tradition de collaborer et d'appuyer leurs collègues moins bien lotis.
Mon travail en Bolivie (1)…
Mon premier contact avec une bibliothèque bolivienne fut à Tarija, au centre pour enfants handicapés où mon mari appuyait l'équipe éducative. Ce centre possède une petite bibliothèque de quelque 200 titres sur les thèmes de l'éducation spécialisée et du handicap. Même les étudiants de la Faculté de psychologie ou ceux de l'Ecole normale viennent consulter ces livres car nulle part ailleurs à Tarija, ville de 150'000 habitants, on n'en trouve l'équivalent. La Bibliothèque municipale de Tarija n'a ni catalogue, ni budget d'acquisitions, ni service de prêt. En Bolivie, si un lecteur ne rend pas un livre emprunté, on retient le prix dudit livre sur le salaire du bibliothécaire. La photocopie est une véritable industrie: faute d'argent pour acheter les livres, on les photocopie à tour de bras dans l'une des nombreuses officines qui entourent chaque université. Le piratage est également florissant. Comment les blâmer? Quand plus de 60% de la population est en dessous du seuil de pauvreté (moins de deux dollars par jour), l'achat d'un livre est simplement impossible.
J'ai collaboré de manière bénévole à différents projets de bibliothèques, à Tarija et à La Paz. Je me suis heurtée à chaque fois au manque crucial de moyens matériels. Même l'achat de crayons, de papier ou d'étiquettes peut se révéler problématique. Par bonheur, la motivation et l'envie d'en savoir plus ne coûtent rien. Le personnel de ces bibliothèques m'a toujours accueillie avec enthousiasme. Il m'a fallu du temps pour comprendre leur situation. Je découvrais une nouvelle réalité, celle d'un pays tellement pauvre que le moindre bout de papier prenait de la valeur. Paradoxalement, pour pouvoir leur offrir mon aide, je me suis appuyée sur eux. C'est ensemble que nous avons cherché des solutions raisonnables pour améliorer leur bibliothèque. Bien sûr, il y eut des moments de découragement, des désillusions, des déceptions… Le plus difficile pour moi, ce fut peut-être la force d'inertie de certains organismes ou de certaines personnes et le temps fou que prend l'accomplissement de la moindre tâche. Ma notion du temps et celle des Boliviens ne se sont jamais bien accordées, malgré tous nos efforts.
Durant mon séjour bolivien, j'estime avoir reçu bien plus qu'apporté, tant du point de vue professionnel que personnel. J'ai appris à exercer mon métier de manière différente et j'ai appris que le cœur peut plus que la raison. Je garde un souvenir lumineux de ces trois années au pays des lamas.
… et au Nicaragua
J'étais encore en Bolivie quand j'ai entendu parler d'un poste de coopérante au Nicaragua. Premiers contacts électroniques avec la directrice, premiers échanges de vue, premiers rêves… L'idée s'est avérée irrésistible, la réalité aussi. A la fin de notre contrat, nous avons fait escale à Managua avant de rentrer en Suisse afin d'examiner de près le projet et le lieu de vie. La décision fut vite prise: après la Bolivie , vive le Nicaragua !
María de los Ángeles Chirino Ramos , la directrice de la bibliothèque et archives de l'IHNCA (2), que nous appelons familièrement Marielos, se désespérait de trouver un jour une bibliothécaire coopérante pour former son personnel. Elle est cubaine et vit au Nicaragua depuis une vingtaine d'années. C'est la seule personne diplômée en bibliothéconomie de l'institut et elle se rend parfaitement compte de l'importance d'une formation. Elle m'a donc accueillie à bras ouverts. C'est ainsi que, depuis janvier 2005, je me rends chaque jour à la Universidad Centroamericana où se trouve l'IHNCA, Instituto Histórico de Nicaragua y Centroamérica . Mon travail porte essentiellement sur deux axes:
- la formation en bibliothéconomie: deux heures de cours par semaine donné à tout le personnel de bibliothèque et archives, ainsi qu'un soutien plus individuel le reste du temps
- un appui en renforcement institutionnel: ce dernier s'est révélé nécessaire pour dynamiser et rationaliser les procédures de travail.
Ce projet est atypique pour différentes raisons. Normalement, la plupart des volontaires travaillent dans des milieux populaires, avec des mouvements de base, avec une population défavorisée, dans des conditions qui peuvent être difficiles. Je suis dans un institut faisant partie d'une université; mes collègues sont toutes licenciées universitaires. De plus, la plupart sont attentives à ce qui se passe dans le pays et les discussions que nous avons sont enrichissantes et éclairantes pour moi.
Autre point vital: les partenaires du sud accueillent généralement les volontaires avec beaucoup d'enthousiasme mais les problèmes ne tardent pas. Le décalage entre la description du projet et la réalité du terrain est un fait quasi incontournable et peut causer de sérieux problèmes. Rien de tel à l'IHNCA. Je me sens acceptée et reconnue. Je crois que mes collègues apprécient mes cours (du moins me le font-ils savoir à travers les évaluations). Je ne voudrais pas sembler présomptueuse mais réellement j'ai l'impression d'apporter une petite pierre utile à cet édifice.
Ce type de projet, relativement nouveau pour E-Changer, possède un potentiel de développement très important. Le fait que le partenaire sud soit aussi solide, fiable et motivé est un gage de progrès. Le fait que mes collègues soient capables de propager l'enseignement reçu est un gage de durabilité. Le fait que la direction de l'IHNCA soit convaincue de l'importance de l'apport d'une coopérante et qu'elle le valorise est un gage de succès.
Une stagiaire de la HEG à l'IHNCA
En 2004, lors de mon séjour en Suisse, j'avais signalé à la HEG que, si un(e) étudiant(e) parlant espagnol souhaitait faire son stage pratique au Nicaragua, j'étais tout à fait disposée à l'accueillir et à suivre son stage.
C'est ainsi que Céline Bize a séjourné trois mois à Managua, accomplissant son stage au sein de l'équipe de l'IHNCA. Cette expérience fut tout à fait positive. Je me sentais responsable car, après tout, c'est moi qui avais offert cette possibilité à la HEG. Par bonheur, Céline est une personne très compétente, très professionnelle. Son stage s'est bien déroulé et l'IHNCA est tout à fait prêt à examiner un autre dossier de stagiaire pour l'an prochain!
Le séjour de Céline à l'IHNCA s'inscrit parfaitement dans la philosophie de mon travail de coopérante. C'est un élément de plus dans la sensibilisation Nord-Sud. Maintenant, Céline, sa famille, ses amis, ses camarades de classe connaîtront un peu mieux la réalité nicaraguayenne.
Différence de mentalités
Dans une entrevue récente (3), une travailleuse sociale brésilienne qui collabore avec E-Changer donnait une réponse intéressante à la question de savoir ce qui avait attiré son attention lors de son voyage en Suisse:
"En premier lieu, j'ai découvert la frénésie helvétique. Ici tout est très rapide. Les heures sont millimétriquement calculées. L'horloge fonctionne intensément. Tout est très méthodique et j'ai pu constater l'attention énorme au travail dans les endroits où je me suis rendue. Les Suisses sont très objectifs et sérieux. Comprendre ce rythme a été un apprentissage important. J'ai été très étonnée de la relation des gens avec le temps. Je l'ai ressenti par moments comme quelque chose de stressant. J'ai senti parfois le risque que la qualité de vie soit menacée par le fait de courir et de courir. Le temps conditionne tout. Une certaine rigidité des corps, la tension de l'embrassade comme salutation, si on s'embrasse..."
De quoi faire réfléchir, non? Depuis que je vis dans le Sud, j'ai eu maintes occasions de constater à quel point nos priorités diffèrent. Si pour nous, l'heure est sacro-sainte, ici c'est la rencontre. Donc, si je suis avec un ami et que l'heure tourne, ce n'est pas grave. Si j'arrive en retard (ou pas du tout) à mon prochain rendez-vous, tant pis. L'important, c'est ici et maintenant. A la bibliothèque, cela se traduit par des piles de livres partout, des plans de travail annuels qui ressortent plus du domaine du rêve que de la réalité, un flou dans les procédures de travail qui ferait le désespoir de n'importe quelle direction de bibliothèque suisse. Comment trouver ma place là-dedans? Je l'avoue, j'ai souffert et je souffre encore! Les mots clés sont s'adapter et relativiser. S'adapter à une autre culture et arriver à se fondre dans le paysage sans perdre ses propres repères. Il ne s'agit pas d'effacer ce qui fait ma différence mais de faire en sorte qu'elle cohabite le plus harmonieusement possible avec l'autre. Relativiser est aussi essentiel: est-ce vraiment si important si le tableau des statistiques du prêt n'est pas d'une clarté éblouissante? Ce qui compte, c'est que l'on mette sur pied des statistiques, même si elles ne sont pas parfaites. La comparaison entre là-bas et ici est stérile, la transposition impossible. C'est ce qui fait toute la richesse du défi: inventer quelque chose de nouveau en s'appuyant sur une expérience professionnelle acquise dans des conditions totalement différentes, et en tenant compte d'une réalité à mille lieues de la Suisse.
Efficacité et rendement
La quantité de travail accomplie ici ne peut en aucun cas se référer aux normes suisses. Tout prend tellement de temps! La faute à la bureaucratie que l'on retrouve partout. Un exemple: si je veux disposer du beamer le vendredi après-midi pour mon cours, je dois faire à chaque fois une demande écrite au moyen d'un formulaire ad hoc. Je l'envoie par courrier électronique et de plus j'en apporte une copie imprimée, signée, au responsable du service informatique. Quelqu'un viendra tout exprès installer et désinstaller le beamer (chose que je pourrais très bien faire moi-même). Le temps passé à ce genre d'exercice et la paperasse accumulée (on ne jette rien) font que le rendement est assez bas.
La difficulté à rationaliser les procédures de travail est réelle. Je suis chargée de l'appui à la réalisation d'un manuel de procédures. On m'avait dit qu'il était déjà quasiment terminé et qu'il manquait juste le peaufinage de quelques détails. Nous sommes en décembre et il n'est toujours pas fini… C'est un peu ma faute: mes suggestions de simplification et de rationalisation de certaines tâches ont demandé une longue réflexion. C'est un peu leur faute aussi: il est très difficile de prendre des décisions relatives à la politique de la bibliothèque et de s'y tenir. On décide que l'IHNCA est une bibliothèque de consultation, sans prêt à domicile, mais on multiplie les exceptions; la finance d'inscription est de 10 dollars mais c'est vraiment "à la tête du client" et au bon vouloir de la direction. On ne s'en sort plus. Toutefois il faut souligner qu'un manuel de procédures est encore quelque chose de relativement nouveau au Nicaragua. C'est tout à l'honneur de l'IHNCA de vouloir se doter d'un tel instrument de travail.
Mieux vaut en rire
L'humour est un support de premier plan dans la rencontre des cultures. Il aide à éviter les frictions. Si on parvient à rire de ses propres travers, on se gagne déjà un grand capital de sympathie. Quand mes collègues me mettent en boîte à propos de ma ponctualité jamais en faille, je me sens acceptée, reconnue dans ma différence.
L'humour est un excellent instrument de travail dans la coopération. On ne sait jamais comment quelqu'un prendra une remarque ou une critique même constructive. Il y a toujours le risque de tomber dans le stéréotype de l'étranger qui sait (normal, il vient d'un pays développé ) et qui a la bonté de faire bénéficier l'indigène de ses connaissances. Une manière d'éviter cette attitude paternaliste, c'est de ne pas se prendre trop au sérieux.
L'enseignement peut être très vertical dans ce pays. C'est quelque chose de sérieux, qui ne laisse pas beaucoup de place à l'élève. La pédagogie du prof-qui-sait et de l'élève-qui-écoute-et-apprend est encore très utilisée. Une de mes "élèves" m'a dit un jour qu'elle appréciait le fait de pouvoir dire une "bêtise" pendant mes cours, sans avoir peur que je me fâche. Cela m'a conforté dans ma conviction de laisser les cours ex-cathedra au vestiaire et de me lancer à fond dans les cours participatifs, multipliant les travaux de groupe, les présentations d'élèves, les jeux de rôle… Je ne finirai peut-être pas le programme de formation prévu pour ces deux ans mais je sais que les sujets abordés seront bien assimilés.
Bilan à mi-chemin
Je suis à l'IHNCA depuis une année. Je parle de l'IHNCA en disant "nous" parce que je me considère partie prenante de cette institution. Je prends chaque jour comme il vient, sans essayer de voir plus loin que le prochain cours ou la prochaine réunion de travail. Même si j'ai un plan de travail à suivre, j'apprends l'improvisation. Je perds chaque jour un peu plus de ma "raideur suisse". Je me surprends même à arriver en retard, c'est dire. Le climat de Managua y contribue certainement. La chaleur intense, la touffeur des jours, l'humidité ambiante durant la saison des pluies… c'est tout simplement impossible de garder le même rythme de travail qu'au Nord.
En 2006, je poursuivrai ma tâche: former mes collègues et collaborer au renforcement de l'institution. Si les catastrophes naturelles nous épargnent, si les élections présidentielles se déroulent sans émeutes, si l'université continue à financer l'IHNCA, si tout va bien, je terminerai mon contrat en décembre 2006. Je rentrerai en Suisse avec un bagage professionnel et personnel bien plus lourd que celui que j'avais en arrivant. J'aurai sûrement encore bien d'autres choses à vous raconter… En attendant, je passe le clavier à Céline Bize, afin qu'elle vous conte son expérience !
Rosemarie Fournier, décembre 2005
Notes
(1) Voir Lire, mais en Bolivie / Rosemarie Fournier. - Arbido, 2003, vol. 18, no 9, pp. 25 - 26.
(2) Institut d'histoire du Nicaragua et d'Amérique centrale (Managua)
(3) Una mirada a la cooperación suiza con ojos del sur / Sergio Ferrari. - Nov.2005
L'IHNCA
L'Institut d'histoire du Nicaragua et d'Amérique centrale à Managua est une institution de l'Université d'Amérique centrale (UCA) consacrée à la recherche, la diffusion de l'histoire et la gestion du patrimoine documentaire. Sa mission est de produire et de délivrer des connaissances nouvelles sur l'histoire du Nicaragua et de l'Amérique centrale; préserver, enrichir et diffuser le patrimoine culturel en appliquant les technologies de l'information et de la communication (TIC). Pour cela, il promeut la recherche et l'échange académique; il développe de nouvelles méthodes d'enseignement de l'histoire; il organise des cours, conférences et expositions; il publie des textes et des revues spécialisées et gère des fonds documentaires.
L'IHNCA possède une bibliothèque et un centre d'archives importants. Les collections furent initiées à partir de 1934 par les Jésuites. Il s'agissait de rassembler la documentation existante sur l'histoire du Nicaragua et de l'Amérique centrale. Cette tâche fut spécialement difficile dans un pays régulièrement dévasté par des révolutions, des guerres, des tremblements de terre, des inondations et autres catastrophes. Actuellement, l'Institut détient des livres, documents manuscrits, périodiques, cartes, photographies, vidéos, microfilms, cassettes sonores... Il possède même une importante collection de céramique précolombienne, de masques et de peintures. Le catalogue d'une partie de ces fonds est automatisé et consultable en ligne.
Tu pars au Nicaragua?
Novembre 2004, je rentre chez moi d'une journée de cours à la Haute École de gestion de Genève , où j'étudie en filière information documentaire. Dans le train, une de mes camarades me demande : «Alors Céline, tu vas faire ton stage au Nicaragua?». Je ne comprends pas sa question… je n'ai pas encore vu l'e-mail qui nous annonce qu'une bibliothécaire suisse qui part pour deux ans au Nicaragua est d'accord d'accueillir un/e stagiaire, mais mes amis savaient déjà que je serais intéressée. Aimant les voyages et ayant déjà l'idée dans un coin de ma tête de participer un jour à un projet de coopération, je me dis que c'est une occasion unique qui se présente à moi. Mon stage ne me permettrait pas seulement de mettre en pratique les connaissances acquises durant les deux premières années de mes études, mais aussi de me confronter à une réalité professionnelle différente de celle que je pourrais trouver en Suisse et de découvrir une nouvelle région du monde.
Septembre 2005, l'atterrissage est plutôt difficile. Quatre jours après la fin des examens, je me trouve loin de chez moi, dans un pays que je ne connais pas. Toutefois, je trouve tout de suite un environnement familier dans la bibliothèque et l'accueil est chaleureux. Après une semaine d'introduction où j'ai l'occasion de visiter tous les services, il est temps de commencer les tâches qui m'ont été confiées.
Recherches sur Internet
Une partie de mon activité a consisté à faire des recherches sur Internet pour élaborer un guide de ressources utiles aux utilisateurs mais aussi aux bibliothécaires qui sont peu habitués à utiliser Internet. Mes recherches se sont effectuées sur deux axes: des ressources utiles pour le personnel des services au public et d'autres ayant pour thème la bibliothéconomie. Je me suis vite rendu compte des difficultés qu'un tel travail peut comporter dans un pays comme le Nicaragua. La mauvaise connexion à Internet et certains ordinateurs obsolètes ont rendu le travail plus compliqué que prévu.
J'ai aussi été confrontée à un problème de langue. En effet, la plupart des bibliothécaires de l'Institut ne maîtrisent pas l'anglais. Il y a donc des ressources auxquelles ils ont plus difficilement accès. Cela a particulièrement été le cas dans le domaine de la bibliothéconomie. Il existe un certain nombre de portails consacrés à ce thème en espagnol, mais parfois même sur des sites hispanophones, tous les liens renvoient à des ressources en anglais. Je trouve aussi dommage que, par exemple, le portail de l'UNESCO pour les bibliothèques ne propose pas une version en espagnol.
A ces difficultés s'ajoute un sentiment de frustration, celui de ne pas pouvoir proposer un autre type de ressources qui pourraient être très utiles. En effet, durant la deuxième année de cours, nous avons appris à utiliser les bases de données commerciales. Il est évident qu'ici, il est impossible de pouvoir se les offrir. C'était donc à chaque fois une déception quand je tombais sur le site d'une banque de données ou d'un périodique électronique intéressant mais coûteux. Heureusement, les ressources non payantes se développent, comme les archives ouvertes ou les périodiques électroniques gratuits. Il y a aussi des bases de données bibliographiques gratuites mais dans ce cas la difficulté est de fournir le document lui-même. Il existe par exemple un projet d'archives ouvertes pour l'Amérique latine mais, malheureusement, il n'en est qu'à l'état de test pour le moment. Il faut donc apprendre à prendre son temps et oublier nos standards européens. Lors de mon travail, je me suis aussi demandé à quel point les ressources trouvées peuvent être utilisées. Parfois la connexion à Internet est tellement lente que l'on peut rapidement se décourager.
La collection Dariana
L'autre moitié de mon travail a consisté à corriger le catalogage de la collection «Dariana», selon les normes AACR2. La bibliothèque possède en effet une bonne partie des œuvres de et sur Rubén Darío, grand poète nicaraguayen. Je devais donc, à partir de l'inventaire de la collection, vérifier le catalogage de chaque ouvrage, lui attribuer des descripteurs pris dans une liste restreinte et lui allouer une cote basée sur la classification Dewey. Je devais aussi compléter certains champs non remplis ou encore assigner un numéro de registre, unique pour chaque exemplaire. Il fallait aussi vérifier que la même édition ne fasse pas l'objet de deux notices catalographiques, ce qui était parfois le cas quand l'ouvrage se trouvait dans plusieurs fonds. Il s'est avéré que certains livres n'avaient pas leur place dans la collection, comme par exemple les textes écrits par les fils et petit-fils de Darío. Dans ce cas, ils ont été sortis de la collection et intégrés dans un autre fonds. Dewey, AACR2 sont autant de points de repère , même loin de chez soi. L'utilisation de normes et de standards ne permet pas seulement un meilleur échange de données, mais aussi de se retrouver en milieu familier, même dans un environnement très différent et de pouvoir pratiquer ce que j'ai appris en Suisse au Nicaragua. Par contre, j'ai eu quelques problèmes avec CDS/ISIS, le logiciel utilisé pour le catalogue. L'interface est peu conviviale et il m'a fallu du temps pour maîtriser certaines fonctions.
Petit bilan
Lors de ce stage, j'ai pu mettre en pratique mes connaissances en matière de recherche sur Internet et faire profiter la bibliothèque de ma plus grande habitude de l'utilisation de cet outil. Évidement, le travail que j'ai effectué n'est qu'un point de départ. Les documents que j'ai rédigés sont amenés à évoluer, au fur et à mesure que de nouvelles sources apparaissent ou que d'autre disparaissent.
Sur un plan personnel, cela m'a permis de faire des découvertes, tant sur le domaine Amérique latine que dans le domaine de la bibliothéconomie, autant de ressources qui pourront m'être utiles dans le futur. Toutefois, ce travail m'a demandé beaucoup de patience, qui n'est normalement pas une de mes qualités, et de flexibilité. J'ai aussi eu la satisfaction d'avoir assez de temps pour terminer les tâches qui m'avaient été confiées, aussi bien pour le guide de ressources que pour la collection Dariana , qui est maintenant entièrement recataloguée.
En prenant la décision de partir au Nicaragua, mon but n'était pas seulement centré sur la pratique professionnelle ; je souhaitais évidemment aussi découvrir une autre partie du monde et pratiquer une langue étrangère. J'ai pu faire un peu mieux connaissance avec la réalité nicaraguayenne en voyageant dans le pays, en lisant la presse quotidienne et en assistant à des conférences sur des thèmes d'actualité. Il n'est pas impossible que dans quelques années, je parte pour un projet de coopération quelque part dans le monde, mais je ressens aussi le besoin d'acquérir de l'expérience en Suisse, pour pouvoir ensuite en faire bénéficier d'autres personnes. Une chose est sûre, cette aventure m'a renforcée dans le choix de ma formation. En effet, dans un contexte où l'accès aux ressources documentaires est rendu plus difficile pour plusieurs raisons (financière, linguistique, technique...), je me rends mieux compte de l'importance du rôle que les professionnels doivent jouer pour faciliter l'accès à l'information.
Je garderai un bon souvenir de mes collègues et de l'ambiance de cette bibliothèque, même si pour moi, trois mois ont été trop courts pour m'intégrer complètement dans ce pays si différent. Toutefois, je resterai attentive aux événements et à l'évolution de ce coin du monde.
Étudiante de 3e année
Haute École de gestion (Genève)
Filière Information documentaire
Décembre 2005
Knowledge Management et management de l’information : la dimension humaine des « communautés de pratiques »
Ressi — 22 janvier 2005
Jean-Philippe Accart, Bibliothèque Nationale Suisse
Knowledge Management et management de l’information : la dimension humaine des « communautés de pratiques »
Une recherche dans le cadre du Réseau des bibliothèques de Suisse occidentale (RERO) (1)
Les communautés de pratiques : création et transfert de connaissances
Une communauté de pratiques (comunities of practices ou best practices dans certaines organisations du savoir anglo-saxonnes) se définit comme « un groupe dont les membres peuvent partager leur savoir et apprendre les uns des autres sur tous les aspects de leur pratique » (Wenger, 2000). Un sondage réalisé en 2000 (Bartlett, 2000) a montré que les individus préfèrent le contact avec leurs collègues pour obtenir information et assistance dans leur travail. Les communautés de pratiques ont pour buts de mettre l’expertise en commun, de créer une synergie, d’identifier et de partager les meilleures pratiques, de discuter et d’analyser les leçons apprises et d’identifier les problèmes. Elles sont le lieu où l’innovation naît. Les valeurs de l’entreprise, le climat de travail, l’investissement personnel, la culture de l’entreprise jouent un rôle essentiel. Il s’agit de créer, au travers de ces communautés, un modèle de mentalité commune aux membres de l’organisation (2), un mode de fonctionnement partagé. L’individu n’est pas seul concerné : il évolue dans un ou plusieurs groupes eux-mêmes membres d’une organisation.
Une approche à trois niveaux
Trois niveaux d’approche peuvent être distingués : l’individu, la communauté et l’entreprise. L’approche globale qui en résulte permet de distinguer les stratégies d’acquisition de connaissances structurées de la part de spécialistes (Mc Graw, 1999) ; l’apprentissage avec l’analyse de tâche et de poste pour concevoir des « systèmes de soutien à la tâche » (Gery, 1991) ; et la gestion des connaissances qui cartographie les actifs intellectuels et analyse les échanges entre groupes d’intérêt. Dans une organisation, les structures de connaissance sont des constructions sociales qui se développent de façon dynamique. La socialisation des membres entre les communautés de pratiques est le fondement de ces constructions sociales (Haines, 2001).
Communauté de pratiques et échanges de connaissances
Concrètement, une communauté de pratiques se réunit lors d’ateliers de travail (workshops). Les séances sont préparées à partir d’informations disponibles, d’entrevues avec des personnes-clés et de synthèses sur les affaires en cours. Un certain nombre de points sont évoqués lors des ateliers, points qui permettent ensuite d’analyser « le réseau social ». Parmi ces points :
- A qui faites-vous appel lorsque vous n’arrivez pas à résoudre un problème ?
- A qui vous adressez-vous pour chercher de l’information ?
- Quelles sont les personnes proches à qui vous communiqueriez une nouvelle importante ?
Un point crucial : la résolution de problèmes L’atelier de travail est le lieu idéal pour traiter une situation problématique qui se pose à un ou plusieurs membres de la communauté. Elle peut faire l’objet d’une simulation et servir à produire un modèle d’étude de cas (cas de routine avec différents degrés : moyennement difficile ; difficile ; très difficile). Un consensus doit se dégager afin de converger vers un objectif : le résultat attendu par rapport à une situation problématique soulevée. Fréquence, durée et difficultés occasionnées sont parmi les points évoqués : c’est notamment le cas des pannes dans les ateliers de travail ; des pannes informatiques sur les réseaux. La documentation afférente à ce type de problème est très utile : notes de service, procès-verbaux, rapports... L’appel à d’autres spécialistes s’avère parfois nécessaire. Afin d’illustrer les communautés de pratiques, une étude de cas est proposée. En sciences de l’information, les exemples ne sont pas fréquents. Le cas du Réseau des bibliothèques de Suisse occidentale (RERO), outre le fait qu’il se situe dans le contexte suisse, est un cas d’étude intéressant car il rassemble les trois approches décrites précédemment et correspond à l’acceptation actuelle d’une communauté de pratiques professionnelle.
Le cadre conceptuel et le cadre de la recherche : étude d’une organisation du savoir, le Réseau des bibliothèques de Suisse occidentale (RERO)
Le Réseau des bibliothèques de Suisse occidentale (RERO), en tant que cadre de recherche, correspond à un choix personnel. Au cœur de cette organisation durant deux années (3), nous avons pu étudier de l’intérieur un réseau de bibliothèques constitué de par la volonté d’un groupe et qui met « l’accent sur le savoir » (4) . S’adressant à tout type de public en Suisse romande (universitaires, étudiants, chercheurs, grand public…), RERO est l’instrument d’une « bibliothèque romande » riche des collections, des compétences et du partage de ressources de plus de 200 bibliothèques universitaires et de référence de Suisse romande. Le réseau s’appuie sur une architecture à plusieurs niveaux, fondée sur l’échange de pratiques professionnelles ou communautés de pratiques.
Organisation et structure du réseau RERO (5) : quelques chiffres
Sous l’égide de la Conférence Universitaire de Suisse Occidentale (CUSO), le Réseau de bibliothèques de Suisse occidentale est constitué de cinq sites - Valais, Fribourg, Neuchâtel-Jura, Vaud, Genève - avec pour arrière-fond la structure politique des six cantons francophones (dont deux comprennent des minorités germanophones). 210 000 lecteurs sont inscrits dont 35 000 étudiants appartenant à cinq universités. Le réseau utilise un système de catalogage commun : 600 bibliothécaires dans plus de 200 bibliothèques de recherche et de références sont formés à son utilisation. Le catalogue collectif informatisé comprend plus de 3, 3 millions de notices bibliographiques. Il résulte de 20 ans de travail sur le système SIBIL, migré à VTLS en 1997 et à VTLS/VIRTUA depuis 2002. Hormis un catalogue collectif, les sites possèdent des catalogues locaux contenant en plus les cotes et les données nécessaires au prêt des documents (livres, documents sonores et vidéogrammes). La synchronisation des catalogues locaux est assurée par le mécanisme de distribution électronique EDIS avec mise à jour automatique des champs modifiés. L'interface Web pour l'Accès public (ou OPAC), le Catalogue collectif RERO (http://opac.rero.ch), permet de consulter aisément les catalogues locaux. La page d'accueil donne accès à l'ensemble des ressources du réseau.
La structure légale de RERO est une association : une convention a été signée entre les parties qui sont les cantons de Fribourg, Genève, Neuchâtel, Vaud, Valais et Jura, la Ville de Genève, l’Institut suisse de droit comparé (ISDC), la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO) et la Haute école spécialisée Santé-Social de Suisse romande (HES-S2). L'association est dirigée par un Conseil Exécutif composé de cinq membres dont deux sont nommés par le Comité des Directeurs des grandes bibliothèques ROMandes (CDROM) et trois par la Conférence Universitaire de Suisse Occidentale (CUSO) où siègent les ministres de l'éducation des cantons partenaires et les recteurs des universités membres. La clé de répartition des coûts du système (en cours de réévaluation) est fondée sur une contribution des bibliothèques membres.
L'organisation centrale – la « tête du réseau » installée à Martigny dans le canton du Valais - est constituée de spécialistes bibliothécaires et d’informaticiens. Elle assure différents types de prestations pour le réseau :
- le contrôle de la qualité des données bibliographiques ;
- la réalisation de produits tels qu’inventaires, bibliographies, statistiques pour les bibliothèques ;
- la maintenance en production du système informatique ;
- le support, la documentation ;
- la distribution du logiciel ;
- le développement d’outils ;
- la mise en place de projets…
Dans le modèle adopté par RERO, les machines sont la propriété des cantons mais le coût des logiciels est pris en charge par RERO qui contrôle les décisions concernant les systèmes Vtls et le système de gestion de base de données sous-jacent ORACLE. Les ingénieurs système des partenaires gèrent les machines locales.
Tous les aspects du travail bibliothéconomique sont présents dans RERO et suivent la chaîne documentaire traditionnelle. Même si les acquisitions de documents reposent sur le logiciel Virtua, celles-ci sont cependant propres à chaque site. Les fonctions courantes (catalogage, indexation-matières - l’intégration du thesaurus dans la base est récente -, gestion des périodiques, prêt, prêt inter) s’appuient également sur l’utilisation d’un logiciel commun, Vtls/VIRTUA. Les modules d’acquisition et du bulletinage sont, eux, en cours d’implémentation.
Le catalogage partagé est le principe fondateur du réseau (7). La qualité des données bibliographiques fait l’objet de soins constants de la part des bibliothécaires sur les sites et du coordinateur à la Centrale. Ce dernier contrôle les données, rédige les règles de catalogage (pour les données titre1, auteur(s), données bibliographiques) disponibles en ligne. Le Catalogue collectif RERO, mis à jour constamment, même s’il comprend des données en plusieurs langues, est un des plus importants à l’heure actuelle en langue française. Enfin, citons le prêt entre bibliothèques qui a fait l’objet d’un développement particulier avec l’application ILL RERO en 2003 tout en s’appuyant sur les données du Catalogue collectif et des catalogues locaux. Le dernier projet RERO est RERODOC, base de données de documents électroniques plein-texte (thèses et ouvrages anciens).
Hormis le Conseil Exécutif qui décide l’orientation générale, édicte la politique globale du réseau et dégage une vision prospective, le CDROM est une instance consultative qui propose les choix bibliothéconomiques. A ces deux commissions les plus élevées dans la hiérarchie du réseau, vient s’adjoindre une troisième commission, la COBASES, qui propose les évolutions techniques du réseau. Les autres commissions ou groupes de travail – il en existe une par module : catalogage, indexation matières, prêt inter, prêt, OPAC, bulletinage, acquisitions – sont pour leur part des communautés de pratiques où s’échangent, se partagent et se transmettent savoirs et connaissances théoriques et pratiques. Composées des coordinateurs locaux et centraux, elles sont chargées de résoudre les questions et problèmes qui se posent au quotidien dans les bibliothèques du réseau et touchant au logiciel. Dans la hiérarchie du réseau, ces commissions représentent le troisième échelon : elles sont le lien direct entre l’organisation centrale RERO à Martigny et l’ensemble des sites répartis en Suisse romande, d’où leur importance.
Il existe deux types de coordinateurs RERO et leur rôle est essentiel : - les coordinateurs locaux sur chaque site ont un mandat officiel de leur institution inscrit dans leur cahier des charges. Ils la représentent, doivent signaler les problèmes et travailler à leur résolution avec les coordinateurs centraux ; - les coordinateurs centraux (un par Commission) animent et dirigent les réunions des Commissions ; celles-ci ont lieu régulièrement (3 à 6 fois par année) et constituent ainsi de véritables communautés de pratiques. Ils rassemblent les problèmes et questions, les signalent dans une base de données de problèmes (RTS – Rero Tracking System), tentent de les résoudre avec l’équipe informatique centrale et rédigent les manuels de leur module. Ils préparent les dossiers qui serviront ensuite d’aide à la décision, notamment pour la COBASES.
Le suivi des problèmes à RERO
Les problèmes à résoudre sont généralement très concrets : une fonctionnalité préexistante disparaît lors de l’installation d’une nouvelle version du logiciel ; un lecteur ne se voit plus autorisé à avoir les mêmes droits ou il est « bloqué » par le système ; les caractères n’apparaissent plus correctement ; les résultats affichés lors d’une recherche ne sont plus dans l’ordre souhaité… Les exemples peuvent être multipliés. Plusieurs étapes sont alors nécessaires pour la résolution :
- annonce du problème, le plus souvent en le documentant (avec des copies d’écrans et des exemples) ;
- intégration dans la base de problèmes RTS et attribution d’un numéro d’enregistrement;
- lecture et analyse de la documentation professionnelle Vtls/Virtua ;
- analyse et essai de reproduction du problème ;
- tests sur une base de tests ;
- si le problème provient du logiciel Vtls/VIRTUA, transmission du cas à Vtls ;
- une fois le problème résolu, envoi de la solution sur les sites.
Voici schématiquement le suivi d’un problème à RERO. Coordinateurs locaux et centraux, informaticiens et experts collaborent pour résoudre le problème.
Structure organisationnelle du Réseau RERO

Comité des Directeurs des grandes bibliothèques ROMandes (CDROM) (organe consultatif) |
Conseil Exécutif RERO (organe décisionnel) |
Direction
Direction-Adjointe
Groupe de compétences Bibliothèques (bibliothécaires) |
Groupe de compétences Informatique (informaticiens) |
COBASES
Catalogage – Matières – Accès public (OPAC) - Prêt – Prêt inter – Bulletinage – Acquisitions
(bibliothécaires et ingénieurs système)
(200 bibliothèques)
Un organe de réflexion et de décision : la COBASES
Cette Commission est composée des chefs de projet des sites (soit cinq personnes) en prise directe avec les questions touchant à la mise en place et à l’évolution du logiciel Vtls/Virtua ; des directeurs adjoints RERO et de bibliothécaires. Il est à signaler que les chefs de projets sont des personnes d’expérience, pour certains ayant suivi et participé au passage du logiciel SIBIL à Vtls puis Vtls/Virtua. Leurs compétences sont élevées et leurs savoirs en matière informatique et pratique du système sont des savoirs d’experts. Les travaux de cette Commission sont orientés selon des thèmes généraux et des sujets d’actualité propres au réseau. Cette commission suit l’évolution du système informatique, véritable colonne vertébrale du réseau. Il est à signaler cependant que l’apport des travaux des différentes Commissions et l’avis des coordinateurs sont des moteurs essentiels pour le fonctionnement de cette Commission. Parallèlement, le fournisseur du logiciel Vtls/Virtua fait lui-même évoluer le système, en prenant en compte les souhaits de ses clients réunis au plan européen au sein d’un groupe d’utilisateurs, l’EUG. Pour RERO, c’est la Commission COBASES qui étudie et fait les propositions d’améliorations. Un thème est choisi et analysé par la Commission, suivi d’une étude réalisée par deux ou trois experts : ces experts ayant l’habitude de travailler avec le système, de suivre ses évolutions sont les plus à même de faire des propositions d’amélioration aux plans technique et technologique. La mise en commun de problèmes et solutions bénéficie au réseau dans son ensemble : il n’est pas rare en effet qu’un sujet qui intéresse un site soit aussi d’un grand intérêt pour d’autres sites et le réseau dans son ensemble. A titre1 d’exemple, la mise en place de la « recherche rapide » (type Google) qui a les faveurs des utilisateurs pour sa facilité et sa rapidité, a été réalisée dans un premier temps sur le site vaudois. A la demande des autres sites, la Commission a décidé d’étendre ce type de recherche à l’Accès public RERO (catalogue collectif RERO). Cinq types de recherches existent maintenant : rapide, par index, mots clés, recherche contextuelle et en mode expert. Cet exemple fait état d’une démarche concentrique propre à tout travail en réseau : de nombreuses autres propositions d’améliorations sont faites par les sites puis appliquées au réseau quand elles ont été testées avec succès. L’homogénéité du réseau préside à toute réflexion. Cela ne va pas sans heurts, chaque site ayant sa spécificité. L’intelligence des différents professionnels ayant opté pour une stratégie réseau est de faire en sorte que chaque site garde une certaine autonomie pour sa page d’accueil : ainsi, chaque catalogue local a une page Web personnalisée à ses couleurs et les langues d’interrogation du catalogue sont fonction des particularités locales (le français est la règle, suivi par l’allemand et l’anglais).
Analyse et conclusion
Bien que résumée, l’organisation hiérarchique du réseau RERO est un cas d’école intéressant pour la problématique qui nous occupe. Il apparaît en effet qu’un travail impliquant plusieurs centaines de personnes utilisant un même outil informatique ne peut que bénéficier d’une organisation hiérarchisée en commissions où les problèmes constatés à la base doivent remonter vers les experts chargés de les résoudre. Le découpage hiérarchique par commissions (la hiérarchie s’appliquant ici non pas au degré d’expertise des membres, mais aux différents niveaux possibles de résolution des problèmes selon les modules) décrit précédemment montre bien que des niveaux différents de résolution de problèmes sont nécessaires : les groupes d’intérêt qui se sont mis en place (les Commissions) traitent de ces problèmes, les résolvent pour certains ou les transmettent à d’autres experts. Il en est de même pour les évolutions attendues du système informatique qui sont des enjeux importants pour les sites confrontés directement aux attentes des lecteurs. Cette organisation complexe ne saurait fonctionner s’il n’y avait pas des intérêts communs représentés par les communautés de pratiques que sont les Commissions. Ces intérêts sont nombreux : le partage des ressources et du travail ; la volonté d’utiliser un outil commun pour toutes les opérations bibliothéconomiques ; le souhait de répondre aux exigences actuelles en matière bibliothéconomique (normes, standards et règles) ; le souhait de répondre à un public de plus en plus exigeant ; une volonté quasi « politique » de travailler en réseau. Il a été constaté que le fait, par exemple, de réduire le nombre des Commissions existantes ou de restreindre leurs réunions – pour des raisons parfois d’ordre pratique - était préjudiciable au bon fonctionnement du réseau. Un autre point essentiel à souligner est le niveau de compétences des différents experts (les coordinateurs) qui constituent les Commissions : le meilleur garant de l’expertise dans ce cas précis est d’avoir une connaissance approfondie du logiciel, une connaissance du terrain (besoins des utilisateurs et des bibliothèques) et pour certains d’avoir participé aux diverses évolutions du réseau. Sans cela, les Commissions ne fonctionneraient pas correctement. Dans le cas décrit ci-dessus, communautés de pratiques, groupes d’intérêts et expertise se conjuguent étroitement, avec une volonté exprimée de travailler ensemble. Cet exemple n’est évidemment pas le seul, mais il demeure suffisamment original pour constituer un cas d’étude actuel à l’heure où la gestion des connaissances (Knowledge Management) prend de plus en plus le pas sur la seule gestion de l’information.
Notes
(1) Cette recherche est menée dans le cadre d’une thèse de doctorat entreprise en 2002 à l’Université Lyon 1 – Enssib au sein du laboratoire de recherche GRESI. D’autres informations et un Dossier Knowledge Management sont consultables sur le site de l’auteur : .
(2) Le terme « organisation » rassemble indifféremment une entreprise ou une institution, privée ou publique.
(3) L’auteur a été de 2002 à 2004, coordinateur du Prêt, du Prêt inter et de l’OPAC à RERO.
(4) « L’accent sur le savoir » est la phrase-clé présente sur la page d’accueil du site Web RERO : http://www.rero.ch
(5) Cette partie s’inspire des documents officiels diffusés par RERO et de notre propre expérience de coordinateur.
(6) Nous n’évoquerons que quelques aspects des fonctions bibliothéconomiques dans RERO, car leur étude détaillée dépasserait le cadre de cet article.
(7) On lira avec intérêt les ouvrages de Pierre Gavin qui exposent aussi bien l’histoire du Réseau que les aspects techniques et informatiques (Ouvrages référencés dans le Catalogue collectif RERO). Voir également le site de Pierre Gavin : < http://www.pierregavin.ch >
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