Publiée une fois par année, la Revue électronique suisse de science de l'information (RESSI) a pour but principal le développement scientifique de cette discipline en Suisse.
Présentation de la revue
Contenu du site
Se connecter
Haute Ecole de Gestion (Genève)
Une bibliothécaire et une stagiaire bibliothécaire au pays des volcans
Ressi — 29 mars 2006
Céline Bize, Haute Ecole de Gestion, Genève
Résumé
Une bibliothecaire et une stagiaire bibliothecaire au pays des volcans
Introduction
trop de récits d'aventures…
peut-être est-ce la fenêtre ouverte
du service de prêt et renseignements de la Médiathèque Valais…
je suis partie loin, longtemps…
(Rosemarie Fournier)
Tout a commencé un jour d'automne 1998 à Bienne. Là se trouve Cinfo http://www.cinfo.ch/, centre d'information, de conseil et de formation sur les professions de la coopération internationale et de l'aide humanitaire. Cinfo organise périodiquement des journées d'information destinées aux personnes intéressées par une expérience de travail à l'étranger. Mon mari et moi avons assisté à l'une des ces journées et avons ainsi fait la connaissance d'E-Changer http://www.e-changer.ch/. Nous avons été immédiatement séduits par sa philosophie, par le sérieux de la préparation au départ et du suivi sur le terrain.
Mouvement d'envoi de volontaires au Sud, plus particulièrement en Amérique latine, E-Changer a son siège à Fribourg, Suisse. Son activité principale est la formation et l'accompagnement de personnes qui s'engagent pour une expérience de vie dans un pays où leurs compétences professionnelles et personnelles peuvent appuyer un projet. C'est avec eux que nous sommes partis trois ans en Bolivie et que nous avons signé un nouveau contrat pour deux ans à Managua, Nicaragua.
Nous avons mis sur pied un groupe de soutien à notre projet. C'est une exigence d'E-Changer: le travail de fourmi que nous accomplissons au Sud doit être relayé en Suisse. Ce groupe de soutien est constitué de toutes les personnes -connues ou inconnues- qui ont envie de suivre notre travail et d'en savoir plus sur un pays qu'ils ne visiteront peut-être jamais. Nous l'avons appelé "hormiga", qui veut dire "fourmi" en espagnol. Pourquoi? Parce qu'une fourmi toute seule ne peut pas faire grand-chose mais mettez-en quelques centaines ensemble et vous verrez qu'elles sont capables de changer leur monde! Le travail d'information et de sensibilisation se fait à travers de notre site Internet www.hormiga.ch, d'articles d'information dans différents médias et de lettres circulaires adressées aux membres.
Les bibliothèques des pays en voie de développement
Vous pouvez bien l'imaginer: une bibliothèque bolivienne ou nicaraguayenne n'a pas grand-chose à voir avec ses homologues helvétiques. La plupart du temps, les livres sont rares, obsolètes, en mauvais état. Les bibliothécaires sont peu ou pas formés. Les locaux sont vieillots, petits, mal adaptés. Le public est rare… Quant la propre bibliothèque nationale d'un pays n'a AUCUN budget d'acquisitions, on peut imaginer à quel point la situation est grave. Il y a heureusement quelques exceptions. A Managua, par exemple, la Banque centrale (el Banco Central) a sa propre bibliothèque qui ferait bonne figure dans une ville européenne: catalogue en ligne, libre-accès, collections actualisées http://biblioteca.bcn.gob.ni/. L'arbre qui cache la forêt…
La coopération internationale, pourtant très active dans le domaine de l'éducation, appuie très peu de projets bibliothéconomiques. Pourquoi? Il serait intéressant de faire une étude sur ce thème. Personnellement, je pense que les bibliothèques du Sud souffrent d'un manque de visibilité. Elles ne sont pas reconnues par les instances qui gèrent l'aide au développement. Il faut dire à leur décharge que le thème n'est pas très spectaculaire et que personne ne souligne son importance. Les bibliothécaires du Nord ont certainement une part de responsabilité dans cette indifférence. Il n'est pas dans leur tradition de collaborer et d'appuyer leurs collègues moins bien lotis.
Mon travail en Bolivie (1)…
Mon premier contact avec une bibliothèque bolivienne fut à Tarija, au centre pour enfants handicapés où mon mari appuyait l'équipe éducative. Ce centre possède une petite bibliothèque de quelque 200 titres sur les thèmes de l'éducation spécialisée et du handicap. Même les étudiants de la Faculté de psychologie ou ceux de l'Ecole normale viennent consulter ces livres car nulle part ailleurs à Tarija, ville de 150'000 habitants, on n'en trouve l'équivalent. La Bibliothèque municipale de Tarija n'a ni catalogue, ni budget d'acquisitions, ni service de prêt. En Bolivie, si un lecteur ne rend pas un livre emprunté, on retient le prix dudit livre sur le salaire du bibliothécaire. La photocopie est une véritable industrie: faute d'argent pour acheter les livres, on les photocopie à tour de bras dans l'une des nombreuses officines qui entourent chaque université. Le piratage est également florissant. Comment les blâmer? Quand plus de 60% de la population est en dessous du seuil de pauvreté (moins de deux dollars par jour), l'achat d'un livre est simplement impossible.
J'ai collaboré de manière bénévole à différents projets de bibliothèques, à Tarija et à La Paz. Je me suis heurtée à chaque fois au manque crucial de moyens matériels. Même l'achat de crayons, de papier ou d'étiquettes peut se révéler problématique. Par bonheur, la motivation et l'envie d'en savoir plus ne coûtent rien. Le personnel de ces bibliothèques m'a toujours accueillie avec enthousiasme. Il m'a fallu du temps pour comprendre leur situation. Je découvrais une nouvelle réalité, celle d'un pays tellement pauvre que le moindre bout de papier prenait de la valeur. Paradoxalement, pour pouvoir leur offrir mon aide, je me suis appuyée sur eux. C'est ensemble que nous avons cherché des solutions raisonnables pour améliorer leur bibliothèque. Bien sûr, il y eut des moments de découragement, des désillusions, des déceptions… Le plus difficile pour moi, ce fut peut-être la force d'inertie de certains organismes ou de certaines personnes et le temps fou que prend l'accomplissement de la moindre tâche. Ma notion du temps et celle des Boliviens ne se sont jamais bien accordées, malgré tous nos efforts.
Durant mon séjour bolivien, j'estime avoir reçu bien plus qu'apporté, tant du point de vue professionnel que personnel. J'ai appris à exercer mon métier de manière différente et j'ai appris que le cœur peut plus que la raison. Je garde un souvenir lumineux de ces trois années au pays des lamas.
… et au Nicaragua
J'étais encore en Bolivie quand j'ai entendu parler d'un poste de coopérante au Nicaragua. Premiers contacts électroniques avec la directrice, premiers échanges de vue, premiers rêves… L'idée s'est avérée irrésistible, la réalité aussi. A la fin de notre contrat, nous avons fait escale à Managua avant de rentrer en Suisse afin d'examiner de près le projet et le lieu de vie. La décision fut vite prise: après la Bolivie , vive le Nicaragua !
María de los Ángeles Chirino Ramos , la directrice de la bibliothèque et archives de l'IHNCA (2), que nous appelons familièrement Marielos, se désespérait de trouver un jour une bibliothécaire coopérante pour former son personnel. Elle est cubaine et vit au Nicaragua depuis une vingtaine d'années. C'est la seule personne diplômée en bibliothéconomie de l'institut et elle se rend parfaitement compte de l'importance d'une formation. Elle m'a donc accueillie à bras ouverts. C'est ainsi que, depuis janvier 2005, je me rends chaque jour à la Universidad Centroamericana où se trouve l'IHNCA, Instituto Histórico de Nicaragua y Centroamérica . Mon travail porte essentiellement sur deux axes:
- la formation en bibliothéconomie: deux heures de cours par semaine donné à tout le personnel de bibliothèque et archives, ainsi qu'un soutien plus individuel le reste du temps
- un appui en renforcement institutionnel: ce dernier s'est révélé nécessaire pour dynamiser et rationaliser les procédures de travail.
Ce projet est atypique pour différentes raisons. Normalement, la plupart des volontaires travaillent dans des milieux populaires, avec des mouvements de base, avec une population défavorisée, dans des conditions qui peuvent être difficiles. Je suis dans un institut faisant partie d'une université; mes collègues sont toutes licenciées universitaires. De plus, la plupart sont attentives à ce qui se passe dans le pays et les discussions que nous avons sont enrichissantes et éclairantes pour moi.
Autre point vital: les partenaires du sud accueillent généralement les volontaires avec beaucoup d'enthousiasme mais les problèmes ne tardent pas. Le décalage entre la description du projet et la réalité du terrain est un fait quasi incontournable et peut causer de sérieux problèmes. Rien de tel à l'IHNCA. Je me sens acceptée et reconnue. Je crois que mes collègues apprécient mes cours (du moins me le font-ils savoir à travers les évaluations). Je ne voudrais pas sembler présomptueuse mais réellement j'ai l'impression d'apporter une petite pierre utile à cet édifice.
Ce type de projet, relativement nouveau pour E-Changer, possède un potentiel de développement très important. Le fait que le partenaire sud soit aussi solide, fiable et motivé est un gage de progrès. Le fait que mes collègues soient capables de propager l'enseignement reçu est un gage de durabilité. Le fait que la direction de l'IHNCA soit convaincue de l'importance de l'apport d'une coopérante et qu'elle le valorise est un gage de succès.
Une stagiaire de la HEG à l'IHNCA
En 2004, lors de mon séjour en Suisse, j'avais signalé à la HEG que, si un(e) étudiant(e) parlant espagnol souhaitait faire son stage pratique au Nicaragua, j'étais tout à fait disposée à l'accueillir et à suivre son stage.
C'est ainsi que Céline Bize a séjourné trois mois à Managua, accomplissant son stage au sein de l'équipe de l'IHNCA. Cette expérience fut tout à fait positive. Je me sentais responsable car, après tout, c'est moi qui avais offert cette possibilité à la HEG. Par bonheur, Céline est une personne très compétente, très professionnelle. Son stage s'est bien déroulé et l'IHNCA est tout à fait prêt à examiner un autre dossier de stagiaire pour l'an prochain!
Le séjour de Céline à l'IHNCA s'inscrit parfaitement dans la philosophie de mon travail de coopérante. C'est un élément de plus dans la sensibilisation Nord-Sud. Maintenant, Céline, sa famille, ses amis, ses camarades de classe connaîtront un peu mieux la réalité nicaraguayenne.
Différence de mentalités
Dans une entrevue récente (3), une travailleuse sociale brésilienne qui collabore avec E-Changer donnait une réponse intéressante à la question de savoir ce qui avait attiré son attention lors de son voyage en Suisse:
"En premier lieu, j'ai découvert la frénésie helvétique. Ici tout est très rapide. Les heures sont millimétriquement calculées. L'horloge fonctionne intensément. Tout est très méthodique et j'ai pu constater l'attention énorme au travail dans les endroits où je me suis rendue. Les Suisses sont très objectifs et sérieux. Comprendre ce rythme a été un apprentissage important. J'ai été très étonnée de la relation des gens avec le temps. Je l'ai ressenti par moments comme quelque chose de stressant. J'ai senti parfois le risque que la qualité de vie soit menacée par le fait de courir et de courir. Le temps conditionne tout. Une certaine rigidité des corps, la tension de l'embrassade comme salutation, si on s'embrasse..."
De quoi faire réfléchir, non? Depuis que je vis dans le Sud, j'ai eu maintes occasions de constater à quel point nos priorités diffèrent. Si pour nous, l'heure est sacro-sainte, ici c'est la rencontre. Donc, si je suis avec un ami et que l'heure tourne, ce n'est pas grave. Si j'arrive en retard (ou pas du tout) à mon prochain rendez-vous, tant pis. L'important, c'est ici et maintenant. A la bibliothèque, cela se traduit par des piles de livres partout, des plans de travail annuels qui ressortent plus du domaine du rêve que de la réalité, un flou dans les procédures de travail qui ferait le désespoir de n'importe quelle direction de bibliothèque suisse. Comment trouver ma place là-dedans? Je l'avoue, j'ai souffert et je souffre encore! Les mots clés sont s'adapter et relativiser. S'adapter à une autre culture et arriver à se fondre dans le paysage sans perdre ses propres repères. Il ne s'agit pas d'effacer ce qui fait ma différence mais de faire en sorte qu'elle cohabite le plus harmonieusement possible avec l'autre. Relativiser est aussi essentiel: est-ce vraiment si important si le tableau des statistiques du prêt n'est pas d'une clarté éblouissante? Ce qui compte, c'est que l'on mette sur pied des statistiques, même si elles ne sont pas parfaites. La comparaison entre là-bas et ici est stérile, la transposition impossible. C'est ce qui fait toute la richesse du défi: inventer quelque chose de nouveau en s'appuyant sur une expérience professionnelle acquise dans des conditions totalement différentes, et en tenant compte d'une réalité à mille lieues de la Suisse.
Efficacité et rendement
La quantité de travail accomplie ici ne peut en aucun cas se référer aux normes suisses. Tout prend tellement de temps! La faute à la bureaucratie que l'on retrouve partout. Un exemple: si je veux disposer du beamer le vendredi après-midi pour mon cours, je dois faire à chaque fois une demande écrite au moyen d'un formulaire ad hoc. Je l'envoie par courrier électronique et de plus j'en apporte une copie imprimée, signée, au responsable du service informatique. Quelqu'un viendra tout exprès installer et désinstaller le beamer (chose que je pourrais très bien faire moi-même). Le temps passé à ce genre d'exercice et la paperasse accumulée (on ne jette rien) font que le rendement est assez bas.
La difficulté à rationaliser les procédures de travail est réelle. Je suis chargée de l'appui à la réalisation d'un manuel de procédures. On m'avait dit qu'il était déjà quasiment terminé et qu'il manquait juste le peaufinage de quelques détails. Nous sommes en décembre et il n'est toujours pas fini… C'est un peu ma faute: mes suggestions de simplification et de rationalisation de certaines tâches ont demandé une longue réflexion. C'est un peu leur faute aussi: il est très difficile de prendre des décisions relatives à la politique de la bibliothèque et de s'y tenir. On décide que l'IHNCA est une bibliothèque de consultation, sans prêt à domicile, mais on multiplie les exceptions; la finance d'inscription est de 10 dollars mais c'est vraiment "à la tête du client" et au bon vouloir de la direction. On ne s'en sort plus. Toutefois il faut souligner qu'un manuel de procédures est encore quelque chose de relativement nouveau au Nicaragua. C'est tout à l'honneur de l'IHNCA de vouloir se doter d'un tel instrument de travail.
Mieux vaut en rire
L'humour est un support de premier plan dans la rencontre des cultures. Il aide à éviter les frictions. Si on parvient à rire de ses propres travers, on se gagne déjà un grand capital de sympathie. Quand mes collègues me mettent en boîte à propos de ma ponctualité jamais en faille, je me sens acceptée, reconnue dans ma différence.
L'humour est un excellent instrument de travail dans la coopération. On ne sait jamais comment quelqu'un prendra une remarque ou une critique même constructive. Il y a toujours le risque de tomber dans le stéréotype de l'étranger qui sait (normal, il vient d'un pays développé ) et qui a la bonté de faire bénéficier l'indigène de ses connaissances. Une manière d'éviter cette attitude paternaliste, c'est de ne pas se prendre trop au sérieux.
L'enseignement peut être très vertical dans ce pays. C'est quelque chose de sérieux, qui ne laisse pas beaucoup de place à l'élève. La pédagogie du prof-qui-sait et de l'élève-qui-écoute-et-apprend est encore très utilisée. Une de mes "élèves" m'a dit un jour qu'elle appréciait le fait de pouvoir dire une "bêtise" pendant mes cours, sans avoir peur que je me fâche. Cela m'a conforté dans ma conviction de laisser les cours ex-cathedra au vestiaire et de me lancer à fond dans les cours participatifs, multipliant les travaux de groupe, les présentations d'élèves, les jeux de rôle… Je ne finirai peut-être pas le programme de formation prévu pour ces deux ans mais je sais que les sujets abordés seront bien assimilés.
Bilan à mi-chemin
Je suis à l'IHNCA depuis une année. Je parle de l'IHNCA en disant "nous" parce que je me considère partie prenante de cette institution. Je prends chaque jour comme il vient, sans essayer de voir plus loin que le prochain cours ou la prochaine réunion de travail. Même si j'ai un plan de travail à suivre, j'apprends l'improvisation. Je perds chaque jour un peu plus de ma "raideur suisse". Je me surprends même à arriver en retard, c'est dire. Le climat de Managua y contribue certainement. La chaleur intense, la touffeur des jours, l'humidité ambiante durant la saison des pluies… c'est tout simplement impossible de garder le même rythme de travail qu'au Nord.
En 2006, je poursuivrai ma tâche: former mes collègues et collaborer au renforcement de l'institution. Si les catastrophes naturelles nous épargnent, si les élections présidentielles se déroulent sans émeutes, si l'université continue à financer l'IHNCA, si tout va bien, je terminerai mon contrat en décembre 2006. Je rentrerai en Suisse avec un bagage professionnel et personnel bien plus lourd que celui que j'avais en arrivant. J'aurai sûrement encore bien d'autres choses à vous raconter… En attendant, je passe le clavier à Céline Bize, afin qu'elle vous conte son expérience !
Rosemarie Fournier, décembre 2005
Notes
(1) Voir Lire, mais en Bolivie / Rosemarie Fournier. - Arbido, 2003, vol. 18, no 9, pp. 25 - 26.
(2) Institut d'histoire du Nicaragua et d'Amérique centrale (Managua)
(3) Una mirada a la cooperación suiza con ojos del sur / Sergio Ferrari. - Nov.2005
L'IHNCA
L'Institut d'histoire du Nicaragua et d'Amérique centrale à Managua est une institution de l'Université d'Amérique centrale (UCA) consacrée à la recherche, la diffusion de l'histoire et la gestion du patrimoine documentaire. Sa mission est de produire et de délivrer des connaissances nouvelles sur l'histoire du Nicaragua et de l'Amérique centrale; préserver, enrichir et diffuser le patrimoine culturel en appliquant les technologies de l'information et de la communication (TIC). Pour cela, il promeut la recherche et l'échange académique; il développe de nouvelles méthodes d'enseignement de l'histoire; il organise des cours, conférences et expositions; il publie des textes et des revues spécialisées et gère des fonds documentaires.
L'IHNCA possède une bibliothèque et un centre d'archives importants. Les collections furent initiées à partir de 1934 par les Jésuites. Il s'agissait de rassembler la documentation existante sur l'histoire du Nicaragua et de l'Amérique centrale. Cette tâche fut spécialement difficile dans un pays régulièrement dévasté par des révolutions, des guerres, des tremblements de terre, des inondations et autres catastrophes. Actuellement, l'Institut détient des livres, documents manuscrits, périodiques, cartes, photographies, vidéos, microfilms, cassettes sonores... Il possède même une importante collection de céramique précolombienne, de masques et de peintures. Le catalogue d'une partie de ces fonds est automatisé et consultable en ligne.
Tu pars au Nicaragua?
Novembre 2004, je rentre chez moi d'une journée de cours à la Haute École de gestion de Genève , où j'étudie en filière information documentaire. Dans le train, une de mes camarades me demande : «Alors Céline, tu vas faire ton stage au Nicaragua?». Je ne comprends pas sa question… je n'ai pas encore vu l'e-mail qui nous annonce qu'une bibliothécaire suisse qui part pour deux ans au Nicaragua est d'accord d'accueillir un/e stagiaire, mais mes amis savaient déjà que je serais intéressée. Aimant les voyages et ayant déjà l'idée dans un coin de ma tête de participer un jour à un projet de coopération, je me dis que c'est une occasion unique qui se présente à moi. Mon stage ne me permettrait pas seulement de mettre en pratique les connaissances acquises durant les deux premières années de mes études, mais aussi de me confronter à une réalité professionnelle différente de celle que je pourrais trouver en Suisse et de découvrir une nouvelle région du monde.
Septembre 2005, l'atterrissage est plutôt difficile. Quatre jours après la fin des examens, je me trouve loin de chez moi, dans un pays que je ne connais pas. Toutefois, je trouve tout de suite un environnement familier dans la bibliothèque et l'accueil est chaleureux. Après une semaine d'introduction où j'ai l'occasion de visiter tous les services, il est temps de commencer les tâches qui m'ont été confiées.
Recherches sur Internet
Une partie de mon activité a consisté à faire des recherches sur Internet pour élaborer un guide de ressources utiles aux utilisateurs mais aussi aux bibliothécaires qui sont peu habitués à utiliser Internet. Mes recherches se sont effectuées sur deux axes: des ressources utiles pour le personnel des services au public et d'autres ayant pour thème la bibliothéconomie. Je me suis vite rendu compte des difficultés qu'un tel travail peut comporter dans un pays comme le Nicaragua. La mauvaise connexion à Internet et certains ordinateurs obsolètes ont rendu le travail plus compliqué que prévu.
J'ai aussi été confrontée à un problème de langue. En effet, la plupart des bibliothécaires de l'Institut ne maîtrisent pas l'anglais. Il y a donc des ressources auxquelles ils ont plus difficilement accès. Cela a particulièrement été le cas dans le domaine de la bibliothéconomie. Il existe un certain nombre de portails consacrés à ce thème en espagnol, mais parfois même sur des sites hispanophones, tous les liens renvoient à des ressources en anglais. Je trouve aussi dommage que, par exemple, le portail de l'UNESCO pour les bibliothèques ne propose pas une version en espagnol.
A ces difficultés s'ajoute un sentiment de frustration, celui de ne pas pouvoir proposer un autre type de ressources qui pourraient être très utiles. En effet, durant la deuxième année de cours, nous avons appris à utiliser les bases de données commerciales. Il est évident qu'ici, il est impossible de pouvoir se les offrir. C'était donc à chaque fois une déception quand je tombais sur le site d'une banque de données ou d'un périodique électronique intéressant mais coûteux. Heureusement, les ressources non payantes se développent, comme les archives ouvertes ou les périodiques électroniques gratuits. Il y a aussi des bases de données bibliographiques gratuites mais dans ce cas la difficulté est de fournir le document lui-même. Il existe par exemple un projet d'archives ouvertes pour l'Amérique latine mais, malheureusement, il n'en est qu'à l'état de test pour le moment. Il faut donc apprendre à prendre son temps et oublier nos standards européens. Lors de mon travail, je me suis aussi demandé à quel point les ressources trouvées peuvent être utilisées. Parfois la connexion à Internet est tellement lente que l'on peut rapidement se décourager.
La collection Dariana
L'autre moitié de mon travail a consisté à corriger le catalogage de la collection «Dariana», selon les normes AACR2. La bibliothèque possède en effet une bonne partie des œuvres de et sur Rubén Darío, grand poète nicaraguayen. Je devais donc, à partir de l'inventaire de la collection, vérifier le catalogage de chaque ouvrage, lui attribuer des descripteurs pris dans une liste restreinte et lui allouer une cote basée sur la classification Dewey. Je devais aussi compléter certains champs non remplis ou encore assigner un numéro de registre, unique pour chaque exemplaire. Il fallait aussi vérifier que la même édition ne fasse pas l'objet de deux notices catalographiques, ce qui était parfois le cas quand l'ouvrage se trouvait dans plusieurs fonds. Il s'est avéré que certains livres n'avaient pas leur place dans la collection, comme par exemple les textes écrits par les fils et petit-fils de Darío. Dans ce cas, ils ont été sortis de la collection et intégrés dans un autre fonds. Dewey, AACR2 sont autant de points de repère , même loin de chez soi. L'utilisation de normes et de standards ne permet pas seulement un meilleur échange de données, mais aussi de se retrouver en milieu familier, même dans un environnement très différent et de pouvoir pratiquer ce que j'ai appris en Suisse au Nicaragua. Par contre, j'ai eu quelques problèmes avec CDS/ISIS, le logiciel utilisé pour le catalogue. L'interface est peu conviviale et il m'a fallu du temps pour maîtriser certaines fonctions.
Petit bilan
Lors de ce stage, j'ai pu mettre en pratique mes connaissances en matière de recherche sur Internet et faire profiter la bibliothèque de ma plus grande habitude de l'utilisation de cet outil. Évidement, le travail que j'ai effectué n'est qu'un point de départ. Les documents que j'ai rédigés sont amenés à évoluer, au fur et à mesure que de nouvelles sources apparaissent ou que d'autre disparaissent.
Sur un plan personnel, cela m'a permis de faire des découvertes, tant sur le domaine Amérique latine que dans le domaine de la bibliothéconomie, autant de ressources qui pourront m'être utiles dans le futur. Toutefois, ce travail m'a demandé beaucoup de patience, qui n'est normalement pas une de mes qualités, et de flexibilité. J'ai aussi eu la satisfaction d'avoir assez de temps pour terminer les tâches qui m'avaient été confiées, aussi bien pour le guide de ressources que pour la collection Dariana , qui est maintenant entièrement recataloguée.
En prenant la décision de partir au Nicaragua, mon but n'était pas seulement centré sur la pratique professionnelle ; je souhaitais évidemment aussi découvrir une autre partie du monde et pratiquer une langue étrangère. J'ai pu faire un peu mieux connaissance avec la réalité nicaraguayenne en voyageant dans le pays, en lisant la presse quotidienne et en assistant à des conférences sur des thèmes d'actualité. Il n'est pas impossible que dans quelques années, je parte pour un projet de coopération quelque part dans le monde, mais je ressens aussi le besoin d'acquérir de l'expérience en Suisse, pour pouvoir ensuite en faire bénéficier d'autres personnes. Une chose est sûre, cette aventure m'a renforcée dans le choix de ma formation. En effet, dans un contexte où l'accès aux ressources documentaires est rendu plus difficile pour plusieurs raisons (financière, linguistique, technique...), je me rends mieux compte de l'importance du rôle que les professionnels doivent jouer pour faciliter l'accès à l'information.
Je garderai un bon souvenir de mes collègues et de l'ambiance de cette bibliothèque, même si pour moi, trois mois ont été trop courts pour m'intégrer complètement dans ce pays si différent. Toutefois, je resterai attentive aux événements et à l'évolution de ce coin du monde.
Étudiante de 3e année
Haute École de gestion (Genève)
Filière Information documentaire
Décembre 2005
Retours sur le colloque "Partager pour gagner" à la Haute Ecole de Gestion (HEG) de Genève, 30 septembre 2004
Ressi — 22 janvier 2005
Hélène Madinier, Haute Ecole de Gestion, Genève
Retours sur le colloque "Partager pour gagner" à la Haute Ecole de Gestion (HEG) de Genève, 30 septembre 2004
Le 30 septembre 2004 s’est tenu à la Haute Ecole de Gestion (HEG) de Genève un colloque (1) sur la gestion des connaissances, qui a rassemblé plus de 100 participants, représentant des grandes entreprises, des PME, des associations et organismes à but non lucratif, ainsi que des administrations cantonales et communales.
Le thème de gestion des connaissances (connu surtout sous son nom anglais, knowledge management, abrégé en KM) a été choisi car il suscite actuellement un fort intérêt dans les domaines de la gestion, de l'informatique et de la gestion de l'information, tout en demeurant un peu abstrait, en Suisse romande.
Pourquoi partager des connaissances? Comment favoriser cette création et ce partage? Quels sont les modèles à suivre, les écueils à éviter, les outils, et les modes d’organisation à adopter? Quels sont les liens avec la veille, avec les réseaux? Quels sont les métiers les plus concernés? Telles étaient les questions auxquelles l’ensemble des interventions a tenté de répondre.
Le programme comportait une séance en plénière et des sessions parallèles, ce qui permettait à la fois de refléter la diversité des expériences, méthodes, formes et outils du KM, et d’offrir un plus grand choix aux participants.
Les sessions portaient respectivement sur les pratiques du KM, le management, les réseaux/communautés et les outils du KM.
La notion de KM
La séance plénière était animée par Jean-Yves Prax, expert français en KM et directeur de l’entreprise de conseil Polia Consulting.
Pour Jean-Yves Prax, le KM a comme intérêts majeurs de favoriser la transmission du savoir, et l'émergence de l'innovation.
La notion de KM trouve ses fondements théoriques notamment dans le corpus scientifique des sciences cognitives. Elle trouve également sa légitimité dans les pratiques: pratiques dues aux nouvelles technologies (Internet essentiellement) favorisant une meilleure information, de nouvelles formes de travail comme le travail à distance et asynchrone, bousculant les notions classiques de hiérarchie; pratiques liées aux changements économiques comme l'entreprise étendue (échanges avec fournisseurs, partenaires, clients), le développement du secteur tertiaire, et les perspectives prochaines de départs à la retraite massifs de cadres expérimentés (papy-boom).
Le knowledge management se rattache à deux notions fondamentales: la connaissance et les collectifs humains.
A partir de là, J.-Y. Prax a précisé:
- quels sont les supports de l'apprentissage: l'écoute, la pratique, l'échange etc,
- quels sont les types de communautés et leurs fonctions: échanger, capitaliser, travailler ensemble,
- quels sont les outils utiles pour les soutenir,
- quelles méthodes existent pour les faire vivre: capitalisation, communautés de pratiques, annuaires d'expertise, cartographie des compétences.
Le cercle du savoir se décline ainsi:
Créer les connaissances nouvelles (innovation), accéder aux connaissances existantes et les exploiter (améliorer les processus), pérenniser et transmettre les connaissances cruciales (construction d'un capital de connaissances), ce qui peut permettre de créer des connaissances nouvelles etc..
Mais il ne peut y avoir de partage des connaissances sans un management approprié: comme l'expliquait Paul Vanderbroeck dans son intervention, pour instaurer un réel partage de connaissances au sein de l'entreprise, il faut souvent faire évoluer les modes de management et se transformer en entreprise apprenante: entreprise qui favorise l'apprentissage à partir des erreurs, et qui permet de créer un climat de confiance.
Récits d'expériences
La dimension ressources humaines du KM a été présentée par la banque Lombard Odier Darier Hentsch et Cie au travers de son projet de gestion des compétences.
Le but du projet était d'offrir un outil unique et partagé pour les processus RH: d'une part rendre le collaborateur propriétaire de ses données et de l'autre, donner au manager un accès facilité aux données de son équipe.
Ce projet a permis une meilleure compréhension (et donc, intégration) des ressources humaines et de leur rôle dans l'entreprise.
L'utilisation du KM comme outil de résolution de problèmes a été exposée par le consultant André Boder, qui montrait qu'avant tout, le KM sert à mettre à plat des processus, à caractériser des situations, à amener les collaborateurs d'un ou de plusieurs services, à expliciter des modes de fonctionnement, à mieux communiquer, et à être plus performant.
Le KM c'est aussi et surtout des échanges entre communautés et autres réseaux. A cet égard, l'expérience récente de la Chambre de commerce et d'industrie de Grenoble, commentée par Isabelle Brun-Buisson, est représentative.
La CCI de Grenoble a mis en place et anime la plate-forme collaborative Ecobiz, permettant l’échange de connaissances et d'expériences entre entreprises et autres acteurs économiques de l’Isère. Cette plate-forme abrite une vingtaine de communautés thématiques, qui reçoivent régulièrement des informations ciblées et se rencontrent plusieurs fois par année.
L'expérience de Rezonance, entreprise organisatrice des «First Tuesday» est aussi intéressante. Elle organise régulièrement des rencontres-événements sur un thème spécifique et réunit tous les acteurs intéressés (entreprises, étudiants, administrations). Ces rencontres, qui sont prolongées par un site Internet, favorisent ainsi la création de réseaux. Sa responsable, Geneviève Morand, expliquait l'importance fondamentale des réseaux et du réseautage dans la réussite économique, ainsi que la façon de développer ses aptitudes en réseautage.
Enfin, la partie sur les outils comportait plusieurs démonstrations: de l'outil Knowings, de Mayetic Village, et de la plate-forme Wiki mise en place par des professeurs d'informatique à la HEG.
Mais tous ces intervenants s'accordaient sur le fait que l'outil doit être au service du projet de KM et non s'y substituer, ce qui est parfois une des causes d'échec des projets de KM.
Les liens entre gestion des connaissances et gestion de l'information
Les liens entre gestion des connaissances et gestion de l'information étaient mentionnés lors de l'exposé principal (Jean-Yves Prax), évidents dans l'exposé sur le projet de veille réalisé auprès de quelques PME de Suisse romande (Evelyne Deferr), et détaillés plus précisément dans la description des différents rôles intervenant lors d'un projet de gestion des connaissances (Hélène Madinier).
Si l'on résume l'exposé concernant les différents rôles et plus spécifiquement le rôle de gestionnaire de l'information dans un projet de KM, il faut rappeler que la gestion des connaissances est "un ensemble de modes d'organisation visant à créer, collecter, organiser, stocker, diffuser, partager, utiliser et transférer la connaissance dans l’entreprise" (CIGREF, 2000) (2). Cette connaissance est aussi bien représentée par des documents, internes ou externes à l'entreprise, que par des expériences et savoir-faire des collaborateurs.
Même si la connaissance explicite n'est qu'une partie de la connaissance -l'autre étant la connaissance tacite-, on voit nettement quel peut être le rôle des gestionnaires de l'information lorsqu'il s'agit de la collecte, de l'organisation, du stockage et de la diffusion des documents externes et internes à l'entreprise, et donc des connaissances explicites.
La gestion de ces connaissances est donc a priori une préoccupation permanente et ancienne des professionnels de l'information.
Malgré cela, force est de constater qu'ils ne sont pas -loin s'en faut- systématiquement associés aux projets de KM; souvent, ils doivent y revendiquer leur place.
La pratique amène à constater deux tendances:
Tout d'abord, les responsables de projets de KM font parfois appel à des professionnels de l'information pour leurs compétences en matière d'organisation, de classification de l'information, ou de recherche d'information.
Parallèlement, la profession se diversifie et élargit sa sphère d'activité. Si, traditionnellement, les gestionnaires de l'information intervenaient principalement sur l'information externe ou non directement opérationnelle, on constate désormais que le rôle du gestionnaire de l'information affecte également l'information stratégique de l'organisation, l'information directement utile, et cela en mettant en oeuvre des dispositifs correspondant au plus près à des besoins spécifiques, comme par exemple:
- l'organisation d'une veille,
- la mise en place d'un records management,
- la création d'un répertoire de ressources électroniques,
- la conception et réalisation d'un site Intranet ou Internet.
Son rôle évolue ainsi de support à un projet de gestion de connaissances, à celui de responsable d'un projet de gestion des connaissances explicites de l'organisation.
Conclusion
De l'ensemble des exposés, on retiendra ces quelques points qui caractérisent à la fois les conditions d’existence d'une gestion des connaissances et ses chances de succès:
- Le KM suppose l'existence et la structuration d'un collectif humain:
- ce collectif peut être aussi bien intra que inter-entreprise,
- il faut prendre conscience de ce collectif et exploiter ses possibilités en créant une culture d'entreprise appropriée.
- Le partage de connaissances nécessite une communication approfondie et structurée au sein de ce collectif, et en particulier:
- le partage d'expérience, l'explicitation du non-dit, sa verbalisation, qui induit légitimation, reconnaissance et motivation,
- des outils spécifiques au service de ce collectif (sites Intranet, Internet, portails...) structurant et prolongeant cette communication.
- Le KM suppose une gestion et une animation de ces collectifs, qui font le lien entre ses membres:
- tout d'abord une médiation, soit via un expert externe, ou un responsable de projet, qui met à plat, fait expliciter et coordonne
- ensuite via un animateur ou un coordinateur, qui fédère, coordonne, maintient les liens de manière continue au sein d'une communauté.
Ce sont à ces conditions que peut exister et se maintenir une gestion des connaissances efficace au sein d'une organisation, et donc une meilleure cohésion, reconnaissance, motivation, et finalement une amélioration des performances.
Notes
(1) Fichiers des présentations des interventions: http://campus.hesge.ch/symposiumkm/telechargement_skm.asp
(2) CIGREF: Club informatique des grandes entreprises françaises http://www.cigref.fr/cigref/

La revue Ressi
- N° Spécial DLCM
- N°21 décembre 2020
- N°20 décembre 2019
- N°Spécial 100ans ID
- N°19 décembre 2018
- N°18 décembre 2017
- N°17 décembre 2016
- N°16 décembre 2015
- N°15 décembre 2014
- N°14 décembre 2013
- N°13 décembre 2012
- N°12 décembre 2011
- N°11 décembre 2010
- N°10 décembre 2009
- N°9 juillet 2009
- N°8 décembre 2008
- N°7 mai 2008
- N°6 octobre 2007
- N°5 mars 2007
- N°4 octobre 2006
- N°3 mars 2006
- N°2 juillet 2005
- N°1 janvier 2005