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Renouvaud : de la gestion de projet à la coordination du réseau vaudois des bibliothèques

Ressi — 20 décembre 2018

Jeannette Frey, Directrice BCU Lausanne, Présidente Renouvaud

Piergiuseppe Esposito, Chargé de missions BCU Lausanne

Résumé

En 2014, le Canton de Vaud décide de quitter RERO, le réseau des bibliothèques de Suisse occidentale, pour migrer vers de nouvelles technologies cloud. La Bibliothèque cantonale et universitaire - Lausanne va utiliser la méthode de gestion de projets HERMES, développée par la Confédération. Elle renonce à passer aux règles de catalogage RDA, conserve le format MARC21. Elle complète le cahier des charges GEMEVAL, élaboré par RERO, IDS et la BNS, pour lancer un appel d'offres qui aboutit à la sélection du système Alma de l’entreprise Ex Libris. Le contrat est signé à la fin de l'été 2015. Le programme, intitulé Renouvaud, se compose de trois sous-projets : organisationnel, informatique et bibliothéconomique. Il englobe, à peu d'exceptions près, toutes les bibliothèques du Canton de Vaud : patrimoniales, scientifiques, scolaires et lecture publique. Le réseau Renouvaud est opérationnel dès le 22 août 2016. Considérant que le projet national SLSP a choisi la même solution informatique (Alma), Renouvaud devrait être à même de coopérer avec lui. Renouvaud a tenu les délais fixés en respectant le budget voté. Fin 2017, il offre plus de 3,5 millions de documents imprimés et presque 1 million de documents numériques.

Renouvaud : de la gestion de projet à la coordination du réseau vaudois des bibliothèques [1]

Historique de la décision vaudoise

Le projet Renouvaud a été initié suite à la décision du canton de Vaud de quitter RERO (REseau ROmand, réseau des bibliothèques de Suisse occidentale). Le 14 mars 2014, la Conseillère d’État Anne-Catherine Lyon, cheffe du Département de la formation, de la jeunesse et de la culture (DFJC), annonçait à la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP), organe titulaire de RERO, que le canton de Vaud se dédisait de la convention intercantonale RERO à fin 2016[2]. Cette décision était motivée par l’impossibilité de trouver une nouvelle gouvernance pour RERO après 8 ans de tractations, ce qui bloquait l’investissement pour le passage à de nouvelles technologies cloud. Plusieurs solutions pour la gouvernance avaient été étudiées, le concordat intercantonal, puis l’option de créer une association, sans succès. Au terme de nombreuses discussions et de longs blocages, la Conseillère d’État constatait que RERO était devenu pénalisant pour le réseau vaudois et la Bibliothèque cantonale et universitaire – Lausanne, en particulier pour répondre aux demandes pressantes des utilisateurs universitaires. Le 17 mars 2014, la Direction de la BCU Lausanne répercutait la nouvelle de la dédite de la convention auprès de l’ensemble de ses collaborateurs ainsi qu’aux partenaires des bibliothèques vaudoises membres de RERO.

Mandat donné par le politique pour Renouvaud

Donnant suite à cette décision, le DFJC émettait en avril 2014 un mandat de reprise de la gestion du réseau vaudois par la BCU Lausanne à la sortie du canton de Vaud de RERO, soit au 1er janvier 2017. Le mandat détaille les objectifs généraux et spécifiques du projet Renouvaud. À la fin du projet, la BCU Lausanne devait se trouver en mesure d’offrir une solution de gestion effective et efficiente du réseau, au point de vue organisationnel, financier et métier et avoir mis en place un système de gestion intégré de bibliothèque (SIGB) dans le cloud, permettant aux bibliothèques vaudoises de collaborer entre elles et avec d’autres réseaux suisses et francophones, ainsi qu’avec la Bibliothèque Nationale Suisse (BNS). Le mandat prévoyait également que la BCU Lausanne propose au DFJC une gouvernance pour le réseau vaudois ainsi qu’un nouveau business model avec des flux d’argent simples et transparents. Le défi était de taille en raison des délais imposés.

La gestion de grands projets à la BCU Lausanne 

Pour la gestion de ses projets, la BCU Lausanne a recours à la méthode de gestion de projets HERMES, développée par l’Unité de pilotage informatique de la Confédération[3]. L’organigramme, les rôles, le phasage et planning ont donc été mis en place selon cette méthode. Le pilotage et la conduite reposent sur deux instances : un comité de pilotage (CoPil) et un comité de projet (CoPro).

Éléments de la méthode HERMES 5

Source : Manuel de référence HERMES 5.1 (repli cartonné de couverture)

Principes de base pour la mise en place du réseau Renouvaud

La BCU Lausanne a lancé le projet Renouvaud avec l’objectif d’implémenter les outils, services et processus de travail nécessaires à la reprise des fonctionnalités couvertes pour le réseau vaudois par les anciens outils de RERO, et de les compléter avec des fonctionnalités pour lesquelles le réseau vaudois n’avait pas reçu de réponses de RERO au cours des années précédentes – en particulier l’acquisition, la gestion et la mise à disposition des ressources numériques. Déjà au sein de RERO, la BCU Lausanne assurait pour les bibliothèques vaudoises la gestion d’un certain nombre de processus : bon nombre de formations dispensées, la participation aux groupes de travail et aux task forces, etc.).

La reprise complète de la gestion du réseau vaudois nécessitait cependant d’étudier les processus de travail partagés existants entre la Centrale RERO et la Coordination locale vaudoise, ainsi que de cartographier les processus de travail à créer pour compléter l’existant, un travail qui a été fait dans le cadre de la phase d’analyse préliminaire.

Plusieurs scénarios ont été élaborés, avec ou sans modification des règles de catalogage et du format de métadonnées lors de la migration des données.

Au-delà de leur utilisation au sein de RERO, les règles AACR2 (règles de catalogage anglo-américaines) constituaient alors l’ensemble structuré de règles de catalogage le plus usité dans le monde, traduit dans de nombreuses langues. Un mandat de veille prioritaire fut confié à un groupe de travail composé d’experts en catalogage afin d’évaluer l’impact et la faisabilité d’un passage aux normes RDA / FRBR durant la phase de conception du projet. Il en ressortit que le RDA n’était pas encore abouti, que la traduction française avait été interrompue et que la France ne prévoyait pas une transition dans un futur proche.

Finalement, ce fut le scénario impliquant un changement de SIGB sans passage aux règles de catalogage RDA, et sans modification du format des notices MARC21 vers un modèle FRBR qui fut choisi, en raison d’une part des délais de réalisation et de mise en œuvre très serrés et d’autre part parce que cela réduisait considérablement la complexité du projet.

Le cahier des charges Renouvaud

En ce qui concerne le cahier des charges, le projet Renouvaud ne partait pas de rien. De 2009 à 2012, RERO, IDS et la BNS avaient mené le projet GEMEVAL (Gemeinsame Evaluation eines neuen Bibliothekssystems), au cours duquel un cahier des charges commun avait été ébauché. Un appel d’offres commun n’avait cependant pas pu être envisagé, notamment en raison du fait que pour les partenaires IDS, chaque canton aurait dû être partenaire et valideur de l’appel d’offres public, ce qui semblait impraticable.

Après l’initialisation du projet Renouvaud, l’ébauche de cahier des charges issue de GEMEVAL a donc été reprise et complétée par un recueil exhaustif des besoins des membres du réseau vaudois, afin d’offrir un tableau synthétique des éléments principaux devant être couverts par un appel d’offres public. Les spécialistes de chaque domaine ont participé à la rédaction en détail de tous les points. La récolte des informations s’est déroulée par tandem de deux personnes : une personne en charge de la rédaction du besoin et une personne en charge de la relecture du besoin.

On remarquera que la description de la solution cible comprend des fonctions requises (obligatoires), des fonctions additionnelles souhaitables (optionnelles) et des fonctions facultatives (Nice to have). Cette différentiation résulte des conditions-cadres des appels d’offres publics. Les fonctions facultatives sont par exemple des points présentant un intérêt, mais hors périmètre du projet tel qu’évalué dans le cadre de l’appel d’offres public.

Les fonctionnalités standards étaient regroupées en sept modules pour décrire l’architecture fonctionnelle : acquisitions, catalogage, périodiques, lecteurs, circulation, statistiques et catalogue public. Les exigences du système, autant fonctionnelles que non fonctionnelles, ont été modélisées selon le formalisme UML des cas d’utilisation (Use Case). Les cas d’utilisation ainsi obtenus sont regroupés dans des modules qui eux-mêmes sont regroupés dans des thèmes. Pour chaque module précité, les exigences requises sont jugées indispensables pour le démarrage de l’exploitation du SIGB au 1er janvier 2017, tandis que les fonctionnalités souhaitées peuvent être mises à disposition des usagers dans un second temps.

L’appel d’offres public – état du marché du SIGB cloud en 2014

La rédaction du cahier des charges fut effectuée dans un temps record durant l’été 2014, ce qui permit de lancer l’appel d’offres public à l’automne 2014. L’objet du marché était d’acquérir et déployer un SIGB couvrant l’ensemble des besoins des bibliothèques du réseau vaudois ainsi que la fourniture de prestations associées. Le périmètre de l’offre comprenait la fourniture et la maintenance d’un SIGB dans le cloud, incluant la mise à disposition et la maintenance de deux environnements (soit production et test), ainsi que la formation de l’équipe de projet et des formateurs eux-mêmes.

Le marché a été adjugé sur la base des cinq critères d’évaluation suivants (avec leurs pondérations) : prix total de l’offre (30%), organisation pour l’exécution du marché (15%), qualité fonctionnelle et technique (30%), organisation de base du soumissionnaire (15%) et références du soumissionnaire (10%).

Négociations avec Ex Libris : quelques constats

La BCU Lausanne a reçu cinq offres dont deux durent être rejetées en raison du non-respect des conditions de forme et de participation. Sur les trois offres retenues, le choix de la solution Alma - Primo de la société Ex Libris présentait le rapport qualité-prix le plus avantageux. Alma est une solution cloud de SIGB dernière génération permettant une gestion unifiée de toutes les ressources documentaires, imprimées, multimédias et électroniques. Orienté processus, le logiciel propose des outils de gestion puissants et personnalisables, bien adaptés à un réseau de bibliothèques tel que le réseau vaudois. Primo est l’outil de découverte utilisé pour accéder au catalogue permettant l’accès direct à tout le contenu proposé par les bibliothèques du réseau ; cet outil était déjà connu des bibliothèques vaudoises dans la mesure où il s’agit de la solution à la base du portail Explore de RERO.

L’adjudication du marché fut suivie d’une assez longue phase de négociation. Pour ces formulations juridiques pointues, l’équipe de projet put s’appuyer sur le Service juridique et législatif (SJL) de l’État de Vaud, qui apporta une contribution fondamentale en termes de rédaction et de relecture du contrat. Après plusieurs tours de négociation, le contrat put être signé entre l’État de Vaud et Ex Libris à la fin d’été 2015, avec un démarrage officiel des activités de projet avec le fournisseur fixé au mois de septembre. En attendant, un premier workshop avec deux personnes d’Ex Libris – un chef de projet et un spécialiste de l’équipe d’implémentation du logiciel – fut organisé durant l’été 2015 à la BCU Lausanne, workshop au cours duquel le processus de migration des données fut discuté et la date du go-live confirmée au 22 août 2016.

Dès lors commença le long travail de description détaillée de l’implémentation. Une décision dut tout d’abord être prise sur l’architecture globale du système. Au premier niveau de définition, le système d’Ex Libris offre une « community zone » globale, agrégeant des données en provenance des éditeurs et de toutes les bibliothèques utilisant le système. Au second niveau, le réseau Renouvaud a acheté une zone réseau, qui génère pour le réseau un catalogue commun. Un troisième niveau regroupe toutes les bibliothèques scolaires et de lecture publique dans un ensemble, et toutes les bibliothèques scientifiques et patrimoniales dans un autre. Chaque ensemble partage ses fichiers lecteurs et d’autres paramétrages. Un quatrième niveau définit les bibliothèques, un cinquième respectivement leurs différents sites et dépôts.

L’affinage du paramétrage entraîna un grand nombre de discussions de détail : ainsi, pour le paramétrage de l’accès au catalogue des bibliothèques scolaires, l’équipe de projet exigea que dans ce catalogue n’apparaissent que les ouvrages disponibles dans la bibliothèque d’où était effectuée la recherche. Cette demande se justifie par le type de public qui fréquente les bibliothèques scolaires, peu apte à se déplacer physiquement dans une autre bibliothèque ou à effectuer un Prêt Entre Bibliothèques (PEB) pour emprunter un ouvrage. Aussi simple que cela puisse paraître, la question a posé de prime abord un problème de taille au fournisseur, pour qui ce type de développement allait à l’encontre de ceux prévus pour l’outil de découverte Primo. Finalement, les discussions portèrent leurs fruits et le problème fut réglé par la création d’un portail par bibliothèque scolaire.

Gestion du projet, structure du projet et personnels BCUL impliqués

  • le projet d’organisation permettait de constituer le nouveau réseau vaudois de bibliothèques et de formaliser sa gouvernance. Le projet d’organisation a également défini la structure de la centrale de coordination du réseau vaudois de bibliothèques, ses responsabilités et son business plan. Il a établi le cadre contractuel déterminant les relations entre la BCU Lausanne, les membres du réseau et ses partenaires (RERO, BNS, BNF, etc.). Il a aussi été chargé de créer les conditions-cadres pour assurer une collaboration active entre bibliothèques du réseau vaudois et, dans la mesure du possible, avec d’autres réseaux de bibliothèques (IDS, SUDOC, etc.) ;
  • le projet informatique comprenait l’acquisition du nouveau SIGB localisé dans le cloud, la migration des données et la recette du système qui devait permettre la gestion des ressources des bibliothèques du réseau vaudois, l’acquisition des ouvrages, le prêt, ainsi que l’accès aux contenus imprimés, multimédias et électroniques, dès le 1er janvier 2017 ;
  • le projet bibliothéconomique permit de formaliser les normes et les standards appliqués au sein du réseau vaudois dans tous les domaines d’activité des bibliothèques, c’est-à-dire l’acquisition, le catalogage, le bulletinage, le prêt, le prêt interurbain, respectivement l’indexation et l’importation de masse de notices, l’activation des ressources numériques ainsi que la livraison d’indicateurs statistiques. Ceci permit aussi de créer et de dispenser les formations, ainsi que de mettre en place un contrôle qualité.

Selon HERMES, le pilotage du projet Renouvaud reposait sur un comité de pilotage (CoPil), qui assumait collégialement la responsabilité du projet dans son ensemble. Présidé par Jeannette Frey, directrice de la BCU Lausanne, et composé de représentants des différents types de bibliothèques membres du réseau vaudois, le CoPil s’est réuni tous les deux mois. Il a surveillé et piloté le déroulement du projet de manière globale, assuré l’acquisition et la mise à disposition des moyens nécessaires et garanti leur utilisation optimale. Le CoPil traitait aussi des problèmes extraordinaires, et, last but not least, validait les différents points de décision, notamment la conclusion et la libération des différentes phases du projet. Afin d’avoir une gestion professionnelle et neutre de la qualité et des risques, une consultante externe fut mandatée par la BCU Lausanne et associée au CoPil.

La conduite du projet reposait ensuite sur un comité de projet (CoPro), présidé par Alexandre Lopes, responsable Technologies bibliothécaires de la BCU Lausanne, ce dernier assumant le rôle de chef de projet. Le CoPro se réunissait de façon hebdomadaire. Le chef de projet était épaulé par un consultant externe mandaté pour prendre en charge la conduite de la partie informatique du projet. Au bénéfice de compétences sénior en gestion de projet, il était le principal répondant pour l’appel d’offres public, les spécifications détaillées ainsi que la recette.

Le projet Renouvaud se composait de trois sous-projets afin de répondre aux exigences du mandat du DFJC :

Organigramme Renouvaud

Source : Rapport Annuel Renouvaud 2017, p. 15.

Les tâches des sous-projets ainsi que les activités transversales furent assurées par une dizaine de groupes de travail ad hoc : GT appel d’offres, GT migration, GT spécifications détaillées, GT recette, GT bibliothéconomie, GT fonctionnement du réseau, GT formation, GT gestion qualité, GT communication, GT gestion du changement et GT organisation de la coordination. Les objectifs des groupes de travail furent définis dans un mandat propre à chaque groupe. Chaque responsable gérait son GT comme un projet en tant que tel avec son propre planning, ses charges, ses délais et ses livrables. Il assurait la coordination des activités du groupe et était garant du respect des délais et des jalons fixés par le groupe. Il veillait également à la qualité des livrables de son groupe, avec le support de la responsable Qualité. Du côté de la BCU Lausanne, le chef de projet prit en charge le GT migration, tandis que le directeur adjoint du site Unithèque, Jean-Claude Albertin, dirigea le GT fonctionnement du réseau et le GT gestion du changement. Un apport majeur vint aussi de Jasmin Hügi (GT bibliothéconomie), de Jean-François Richer (GT formation) et de Fanny Peuker (GT organisation de la coordination). 80% des personnels impliqués dans les groupes de travail furent mis à disposition par la BCU Lausanne, 20 % par les autres membres du réseau, avec des provenances aussi diverses que les bibliothèques scolaires et les bibliothèques du CHUV.

Principaux défis dans la gestion du projet

Au cours de l’année 2015, le CoPil a pris l’une après l’autre les décisions nécessaires à la formulation du concept et à la réalisation du projet Renouvaud. Le CoPil a notamment validé les organigrammes pour les différentes phases du projet, les règles de catalogage au passage sur le nouvel outil, le plan de communication, le plan qualité, le suivi des risques, la topologie du futur réseau, les mesures de protection des données des lecteurs et l’interfaçage avec des applications tierces. De plus, le CoPil a validé le passage à une indexation avec RAMEAU précoordonnée, composé d’une chaîne de mots matières (en opposition à l’utilisation de mots matières individuels). Parmi les nombreux avantages de cette pratique, on doit mentionner l’exploitation des indexations des bibliothèques partenaires RAMEAU (p.ex. BNF, SUDOC) et une meilleure exploitation de Primo dans l’organisation hiérarchique des mots matières.

L’un des principaux défis dans la gestion du projet fut de tenir les délais tout en maintenant la motivation des collaborateurs sur la durée. Un planning détaillé du projet fut établi et mis à jour régulièrement, afin d’avoir une vue d’ensemble de l’avancement des travaux de chaque groupe de travail. Outre les rapports de phase produits à la fin de chaque phase HERMES, des documents de reporting permirent de jalonner la vie du projet Renouvaud avec une périodicité mensuelle : le rapport d’état du projet, le rapport d’évaluation des risques et l’état des lieux des groupes de travail.

Un autre défi de taille était de réussir à motiver les groupes de travail impliqués dans le projet, sous la contrainte d’un planning serré. Une grande importance fut accordée par le chef de projet au recrutement de membres des équipes et des groupes à la fois engagés, motivés et prêts à relever un défi sur une durée relativement longue. Pendant toute la durée du projet, les vacances furent accordées en fonction du calendrier du projet et des reports furent parfois nécessaires afin de tenir les délais. L’équipe de projet fit également preuve de souplesse et ne ménagea pas ses efforts en termes d’horaires, les séances pouvant se prolonger jusque dans la nuit.

La définition précise des configurations souhaitées, les tests et la préparation de la migration des données ont constitué un autre défi majeur pour l’équipe de projet. Un test de conformité des données à migrer relativement aux spécifications de migration fut suivi par un test de chargement des données dans le futur système informatique. Conformément à la loi sur la protection des données, au début du mois de décembre 2015 et avant de charger les données dans le système même test, une communication fut faite à l’ensemble des usagers les informant que leurs données seraient transmises au fournisseur du nouveau SIGB. La bonne préparation de la communication permit d’optimiser cette étape et seule une trentaine de personnes refusa que leurs données soient transmises, dont une quinzaine pour des raisons autres que la protection des données. En parallèle, les données extraites du catalogue de RERO furent transmises via un protocole sécurisé à Ex Libris le 14 décembre, date à laquelle commença donc la migration de test sur l’intégralité des données ; le but de cette opération était de faire une répétition générale de la migration de bascule prévue en août 2016. Ex Libris livra dans les délais prévus l’environnement de préproduction du logiciel Alma, le 8 février 2016. Dès la livraison effective, le groupe de travail chargé de la migration effectua des tests de manière à s’assurer que la qualité des données était bien conforme pour poursuivre les travaux. Aucun problème majeur nécessitant de refaire entièrement la migration de test ne fut rencontré. Quelques anomalies furent détectées et rigoureusement inventoriées, mais, de manière générale, la qualité des données migrées fut jugée très satisfaisante. En dépit du décalage en urgence du début de la phase de bascule (cutover) en raison d’une erreur de planification du fournisseur, la migration de bascule put être effectuée au moment du passage en production, soit le 22 août 2016.

La traduction des interfaces des outils Alma et Primo, qui faisait partie du cahier des charges pour l’appel d’offres, représenta un autre défi à gérer pour l’équipe de projet ainsi que pour les différents groupes de travail impliqués, et en particulier pour le GT6 formation. Lors de la livraison des interfaces en français, prévue relativement tardivement pour le printemps 2016, des problèmes de traduction de l’anglais, voire des oublis furent détectés. De plus, certaines traductions portaient parfois à confusion soit pour les professionnels, car le vocabulaire-métier ne se retrouvait pas dans Alma, soit pour les utilisateurs. Bien que des contrepropositions de traduction furent faites par la Coordination Renouvaud, il s’avérait parfois très laborieux d’obtenir l’intégration des modifications demandées. Concernant l’aide en ligne d’Alma, les textes furent traduits en français, mais les captures d’écran et les vidéos restèrent finalement en anglais, en raison du fait qu’elles sont mises à jour de manière centrale pour toutes les langues.  Cela ne fut pas sans poser problème au groupe de travail chargé de la formation de plus de 500 collaborateurs du réseau avant le lancement.

Renouvaud se lance !

À la veille du go-live, les résultats obtenus par les équipes et les groupes de travail furent considérés conformes aux attentes. Concernant la partie informatique du projet, la recette était terminée avec un bilan de 80% des besoins testés avec succès. Après de longs mois de préparation, Renouvaud fut lancé le 22 août 2016, comme prévu dès le montage du projet avec le fournisseur juste après l’adjudication du marché. En dehors d’un problème mineur avec le chargement des données « lecteurs » des bibliothèques scolaires, le démarrage fut fluide et les services proposés aux usagers furent actifs dans tout le réseau dès 14h00 ce jour-là, à l’heure prévue pour le début des activités de prêt. Pour l’anecdote, la première transaction fut effectuée à 14h01. Le service de prêt fut tout de suite fonctionnel, des dizaines de milliers d’utilisateurs purent se loguer pendant la première semaine et il y eut beaucoup de feedbacks positifs des bibliothèques du réseau. Certes, le 22 août ne fut qu’une étape et de nombreuses tâches attendaient encore l’équipe de projet. Les mois qui suivirent le lancement permirent néanmoins aux collaborateurs et aux utilisateurs de prendre en main l’outil et de l’utiliser quotidiennement dès avant la sortie effective du réseau RERO, soit au 31 décembre 2016.

Plusieurs actions de communication accompagnèrent le lancement. Outre les informations régulièrement mises à jour sur le site web de la BCU Lausanne, une charte graphique Renouvaud fut créée et déclinée, aussi bien sur les interfaces du SIGB que sur les imprimés, crayons et sacs distribués dans toutes les bibliothèques du réseau. À l’interne, plusieurs séances plénières réunirent les professionnels du réseau tandis que des messages informant les usagers et des présentations publiques permirent de préparer les usagers à ce changement.

Les travaux après le lancement

La migration des données étant désormais terminée et le changement de logiciel effectif, la Coordination Renouvaud reprit ses travaux. Lorsque les fonctionnalités offertes par les outils Alma et Primo ne répondaient pas aux besoins ou attentes, des développements informatiques furent faits en interne afin de se rapprocher au maximum du fonctionnement prévu. Pour gérer les demandes en provenance des bibliothèques du réseau, un outil de ticketing testé au préalable à la BCU Lausanne fut mis à disposition de tous les professionnels du réseau après le go-live. Dès lors, un important travail de stabilisation du système fut mené par la Coordination : elle repérait les dysfonctionnements des outils et les annonçait à l’équipe de support d’Ex Libris, afin qu’elle puisse les résoudre ou proposer une solution de contournement dans les meilleurs délais. Ex Libris acceptait de faire des développements s’il s’agissait d’un besoin partagé par un nombre suffisamment important de clients. Ainsi, Alma évolue très régulièrement avec des mises à jour mensuelles de l’outil contenant des améliorations et de nouvelles fonctionnalités. Le paramétrage fin de certaines fonctionnalités permit l’adoption progressive de « bonnes » pratiques et la prise en main d’Alma par les professionnels du réseau vaudois ; ceci s’accompagna de la mise à disposition de manuels sur mesure pour intégrer les processus.

À la fin de l’année 2016, la Coordination Renouvaud mit pour la première fois à disposition des bibliothèques du réseau toutes les statistiques habituellement fournies par la Coordination vaudoise ou par RERO. À noter que la nouvelle plateforme de gestion implique certaines différences dans la façon d’élaborer les chiffres, différences liées aux méthodes propres à chaque logiciel. Alma propose un outil très puissant de génération de produits et statistiques nommé Analytics (développé par Oracle) qui permet aux bibliothécaires-système de préparer des rapports et listages flexibles. Le tableau de bord « statistiques d’acquisitions » est par exemple destiné à faciliter le pilotage, la gestion des budgets et des commandes dans Alma. Il s’agit alors de définir les paramètres permettant la génération correcte de ces statistiques en fonction d’un certain nombre de critères choisis par les bibliothécaires du réseau. Parfois, des erreurs de calcul furent repérées et corrigées grâce au zèle des bibliothécaires – ce fut le cas par exemple des statistiques des prolongations de prêt.

Par ailleurs, un toilettage des processus de travail est amorcé au sein de la BCU Lausanne, aussi bien dans le cadre du circuit du document que dans celui des services au public, afin de revoir ou de redistribuer autrement certaines tâches. Pour ce faire, des réflexions approfondies sont engagées par les différents services sur la manière de fonctionner, le potentiel de collaboration entre les équipes, les sites et avec le réseau.

L’utilisation d’un système cloud permet en l’essence de partager et de réutiliser très facilement des métadonnées en provenance du monde entier. D’autres acteurs suisses avancent également dans la réinformatisation de leurs bibliothèques et réseaux. La Bibliothèque nationale suisse, tout comme le projet SLSP (pour Swiss Library Service Platform, géré maintenant par la SLSP S.A.) utiliseront à moyen terme les mêmes outils que le réseau Renouvaud. La question est donc maintenant de savoir comment ces différents acteurs suisses interagiront au niveau national sur la base d’un même outil plus global, quelles coopérations seront envisagées, respectivement quels services seront proposés par une plateforme commerciale comme SLSP S.A., à quel prix et avec quelle plus-value pour les éventuels clients.

Interconnexion des systèmes par APIs

Un des avantages d’un système comme Alma est son potentiel de connexion facilitée à d’autres systèmes par les APIs (Applications Programming Interfaces). À l’initiative de deux services centraux de la BCU Lausanne, l’interfaçage avec d’autres systèmes apporta rapidement une autre pierre à l’édifice Renouvaud. La 1re Assemblée annuelle Renouvaud du 29 septembre 2017 fut l’occasion de présenter GOBI de la maison EBSCO, un outil d’acquisition automatisée de livres numériques.

De son côté, le service Finances de la BCU Lausanne étudia le développement d’une interface permettant l’interconnexion avec le système de facturation de l’État de Vaud (SAP). Ensuite, les principaux fournisseurs furent contactés afin de leur proposer de passer au système d’importation automatique de factures en format EDI (Electronic Data Interchange). La mise en place de ce système permettra un gain de temps considérable au service Finances ; une extension de ce système à d’autres bibliothèques du réseau est envisagée à moyen terme. Ces deux réalisations permettent à la fois de travailler de manière plus efficace (réduction du temps), et plus efficiente, car elles permettent de diminuer le risque d’erreurs.

Gestion du réseau vaudois par la Coordination Renouvaud

Au début de l’année 2017, Renouvaud sortit peu à peu du mode projet et mit en place les différents organes pour garantir un fonctionnement efficient sur la durée. Le CoPil muta en Conseil Renouvaud et valida d’une part les missions, la structure et l’organisation de la Coordination Renouvaud et confirma d’autre part la mise en place des commissions techniques pour traiter les questions métier au sein du réseau. Un responsable de la Coordination Renouvaud put être recruté en la personne de Christian Bürki, dès le 1er mai 2017. Son engagement s’accompagna de la mise en place d’un plan d’action composé de trois axes stratégiques : stabiliser, optimiser et innover. Les deux premiers axes posèrent les bases pour la gestion du réseau les années à venir. D’abord, il s’agissait de consolider le fonctionnement du réseau après le lancement de la nouvelle plateforme. Ensuite, il s’agissait de simplifier et de standardiser les tâches afin d’augmenter la cadence de l’intégration des bibliothèques. En effet, la vitesse d’intégration des bibliothèques dépend non seulement des ressources financières et humaines à disposition, mais aussi de l’expérience acquise avec Alma.

Dès le mois de mai 2017, la Coordination se penchait sur le processus d’intégration des nouvelles bibliothèques et les paramétrages de base d’Alma. Le temps de paramétrage du prêt fut divisé par 10 après 5 mois. En parallèle, il fut établi que l’optimisation du processus d’intégration passera par une priorisation des bibliothèques à intégrer en fonction de leur degré de complexité d’intégration, selon les prestations sollicitées. Le principe est d’intégrer les bibliothèques par wagons, selon les paramétrages souhaités. Afin de les intégrer pleinement au réseau, la migration de leurs données, la formation des collaborateurs et le paramétrage de l’outil sont réalisés. L’année 2017 permit ainsi une première consolidation de la plateforme hébergeant déjà 109 bibliothèques du réseau vaudois. Ce fut l’occasion d’harmoniser un certain nombre de pratiques, par exemple au niveau des règles de prêt, de mettre en place des procédures et de développer des outils pour faciliter l’arrivée de nouveaux membres. Un des premiers outils développés permit de charger de manière semi-automatique les données des étudiants et écoliers avant chaque nouvelle rentrée scolaire. Une adaptation de l’outil de raccrochage pour les migrations permettra de concrétiser ultérieurement les efforts de la Coordination. En effet, ce seront plus de 50 nouvelles bibliothèques qui vont grossir le réseau Renouvaud entre 2018 et 2021.

Organes Renouvaud

Source : Rapport Annuel Renouvaud 2017, p. 11.

Bilan deux ans après le lancement

Lors du lancement du projet Renouvaud en 2014, la Conseillère d’État Anne-Catherine Lyon avait défini les objectifs généraux et spécifiques du projet. Deux ans après le lancement de la nouvelle plateforme de gestion, 95% des fonctionnalités ont été validées et les objectifs ont tous été atteints, sauf la validation formelle de gouvernance, qui est encore en attente. La publication du premier rapport annuel Renouvaud 2017 montre que les délais ont été tenus et le réseau Renouvaud dispose depuis le 1er janvier 2017 de toute l’infrastructure nécessaire au bon fonctionnement des bibliothèques le composant. Le budget a été respecté et le solde au 31 décembre 2017 du crédit d’investissement s’établit à CHF 85'494. A cette date, Renouvaud compte au total 109 bibliothèques, dont 53 scientifiques et/ou patrimoniales et 56 bibliothèques scolaires et de lecture publiques. Les chiffres de l’utilisation du réseau par les publics sont excellents et représentent une progression forte par rapport aux années précédentes : de l’offre imprimée totale (3'507'127) à l’offre de ressources électroniques (938'443), des recherches dans le catalogue (2'111’813), du nombre de prêts (1'843'627) au nombre de consultations des ressources électroniques (près de 3 millions). De toute évidence, l’intégration des outils Alma et Primo, permet aux publics d’accéder plus facilement aux ressources imprimées et numériques.

En 2017, Renouvaud est l’un des plus grands réseaux de bibliothèques suisses et le premier à utiliser une plateforme de dernière génération basée sur une technologie cloud. Pour relever les défis de la 4e révolution industrielle, qui touchent les bibliothèques de plein fouet, Renouvaud a mis en place une organisation structurelle agile au niveau des décisions stratégiques. Le réseau a aussi construit une équipe bicéphale, technique et métier, qui permet une gestion professionnelle de la plateforme technique tout en maintenant un lien métier fort avec les bibliothécaires, stimulant d’échanges intensifs et assurant la formation continue des bibliothécaires. Cette organisation s’appuie sur une bonne compréhension du terrain et permet une mise en place de processus et d’outils les plus adaptés possible aux besoins de plus de 500 professionnels du réseau qui travaillent quotidiennement au service d’environ 140’000 usagers de tous les âges. Renouvaud est un réseau jeune, dynamique et complexe qui est en train de mûrir grâce aux échanges entre professionnels du réseau. L’organisation d’assemblées annuelles et de tables rondes par la Coordination Renouvaud nourrit cette perspective. Ces plateformes d’échanges entre professionnels permettent la circulation des informations et des idées et font progresser l’ensemble du réseau, tout en ouvrant des perspectives de collaboration très réjouissantes dans les années à venir. 

Bibliographie

DFJC, Reprise de la gestion du réseau vaudois par la Bibliothèque cantonale et universitaire Lausanne (BCU Lausanne) au 1er janvier 2017, 8 septembre 2014

État de Vaud et BCU Lausanne, Appel d’offres marché public : procédure ouverte. Projet Renouvaud. Conditions et formes de participation, 11 novembre 2014

État de Vaud et BCU Lausanne, Appel d’offres marché public : procédure ouverte. Projet Renouvaud. Cahier des charges, 11 novembre 2014

État de Vaud, Exposé des motifs et projet de décret accordant au Conseil d’État un crédit d’investissement de CHF 2'307'000 pour financer la mise en œuvre du futur réseau vaudois des bibliothèques et du système d’information associé dans le cadre du programme de gestion des bibliothèques du réseau vaudois (RenouVaud), juin 2015

Lettre d’information Renovaud, années 2015-2018

Rapport annuel BCU Lausanne, années 2014-2017

Rapport annuel Renouvaud, année 2017

Notes

[1]Note méthodologique. La préparation de cet article se base sur la consultation de sources publiées et non publiées produites dans le cadre du projet Renouvaud. Certaines parties de l’article reprennent le contenu des rapports annuels de la BCU Lausanne et du premier rapport annuel Renouvaud, édités sous la direction de Jeannette Frey. Nous avons également repris et adapté certaines parties des sources non publiées (rapport d’initialisation, rapport d’analyse préliminaire et appel d’offres public du projet Renouvaud). Nous remercions vivement Alexandre Lopes, Christian Bürki et Jasmin Hügi pour leurs renseignements et suggestions. Le contenu de cet article reste bien sûr de la seule responsabilité de ses auteurs.

[2]Comme le stipule l’article 24 de la Convention RERO, adoptée le 25 novembre 1999, la sortie est effective au 31 décembre 2016, afin de respecter le délai de sortie de 24 mois à l’avance pour la fin d’une année civile.

[3]HERMES online : http://www.hermes.admin.ch. La version 5 a été lancée en 2013 et le release 5.1 en juin 2014.

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Des ebooks dans sa poche : projet de valorisation de la collection numérique de la Bibliothèque de l’UNIGE

Ressi — 20 décembre 2018

Pablo Iriarte

Aurélie Vieux

Marc Meury

Bibliothèque de l’Université de Genève, CODIS - Service de coordination de la DIS

Rue du Général-Dufour 24, 1211 Genève 4 - Suisse

Résumé

La valorisation des ressources en ligne, coûteuses et invisibles dans les rayons des bibliothèques, se fait souvent manuellement avec un grand nombre d’étapes chronophages nécessitant des compétences techniques. En 2017, la Bibliothèque de l’Université de Genève a mis sur pied un groupe de travail dont l’objectif est d’harmoniser les pratiques de promotion de leurs collections numériques, notamment les ebooks. Ce projet a abouti à la création de l’Application de valorisation numérique “Avalon”, qui simplifie le processus de création des supports de valorisation (collecte de métadonnées et d’images de couverture, création des URLs raccourcis et QR-codes) tout en respectant la charte graphique institutionnelle. L’accès aux ebooks est simplifié grâce à la lecture des QR-codes, fonctionnalité intégrée à l’application UNIGE mobile, et l’affichage des informations sur une page Web intermédiaire. L’usager peut ainsi littéralement “mettre un ebook dans sa poche”. Cet article a pour objectif de présenter le contexte du projet, la méthodologie employée, le fonctionnement d’Avalon et de proposer un retour d’expérience sur ce projet.

Abstract

The promotion of online resources, which are expensive and invisible on the library shelves, is often done manually with a lot of time-consuming steps requiring technical skills. In 2017, the Geneva University Library set up a working group whose objective is to harmonize the promotion practices of their digital collections, particularly e-books. This project has led to the creation of the digital resources promotion application “Avalon”, which optimizes the process of creating promotional materials (collection of metadata and cover images as well as the creation of shortened URLs and QR-codes) respecting the institutional visual identity. Access to ebooks is simplified by scanning the QR-codes, feature included in the mobile UNIGE application, and displaying the information on an intermediate web page. The user can literally “put an ebook in his pocket”. This article aims to present the context of the project, the methodology, the functionalities of Avalon and to provide experience feedback.

Des ebooks dans sa poche : projet de valorisation de la collection numérique de la Bibliothèque de l’UNIGE

L’impact du numérique dans les bibliothèques universitaires

La Bibliothèque de l’Université de Genève (UNIGE) évolue dans un contexte académique et social marqué par un très fort développement du numérique dans toutes les disciplines. L’impact de cette mutation est global et il a provoqué des changements majeurs dans les pratiques des publics et des professionnels des bibliothèques universitaires. En effet, en une génération nous sommes passés d’une collection exclusivement physique et locale à une autre hybride, dominée par une nouvelle offre des contenus en format numérique, hébergés majoritairement en dehors de la bibliothèque.

 

Figure 1 : Proportion des frais d’acquisition des documents électroniques par rapport aux frais d’acquisition totaux dans les bibliothèques universitaires suisses de 2004 à 2017
(Source : Statistique suisse des bibliothèques, Office fédéral de la statistique, https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/culture-medias-societe-information-sport/culture/bibliotheques.html)

Les avantages du numérique sont nombreux : pas d’espace de stockage physique nécessaire, ni de manutention, consultations simultanées possibles, etc. Ils répondent aux pratiques de plus en plus nomades du public universitaire (documents accessibles partout et en tout temps). Cependant, certaines caractéristiques des ebooks constituent aussi des inconvénients face au livre papier : la complexité liée à la multiplication des formats propriétaires et ouverts (EPUB, PDF, Mobipocket, iBook, Kindle, etc.), le contrôle des accès par DRMs ou soumis à des contrats, son absence dans les espaces physiques en sont quelques exemples.

Ce changement de paradigme documentaire, basé sur la location d’un service et l’accès à distance, nous éloigne de plus en plus du traitement traditionnel des documents, qui représentait le cœur du métier pendant plusieurs siècles. La maintenance d’une collection numérique en expansion constante est complexe, la nature instable des médias électroniques (formats, liens, etc.) et la multiplicité des modèles de services (licences, plateformes, Open Access, etc.) engendrent un bouleversement des pratiques professionnelles dans le monde des bibliothèques académiques. Ce caractère insaisissable provoque une certaine inconsistance dans le traitement documentaire et la mise en valeur de ce type de documents. En effet, cette difficulté à maîtriser le contenu et le flux des métadonnées de cette collection numérique, explique que les bibliothèques académiques se contentent souvent d’un signalement minimaliste au niveau de l’outil de découverte et de la liste de titres (liste A-Z générée par le résolveur des liens).

Si le livre en format papier reste majoritaire pour le type de document “Livre”, la collection d’ebooks continue de se développer très rapidement. Par exemple, à la Bibliothèque de l’UNIGE, la collection d’ebooks a dépassé la barre des 500'000 documents et elle s’est étoffée d’environ 5'000 nouveaux titres en 2017. Ainsi, les ebooks représentent 13% de la collection totale des livres (ISBNs uniques). Cependant la majorité de la collection numérique est invisible au rayon (87% des ISBNs en format électronique n’ont pas d’équivalent papier). Une partie de cette collection d’ebooks existe aussi en format papier, ce qui représente environ 13'000 titres actuellement.

Figure 2 : Comparaison des ISBNs uniques dans la collection de la
Bibliothèque de l’UNIGE selon le support

Le contexte numérique et technologique actuel ouvre de nouvelles perspectives pour les bibliothèques universitaires. Les catalogues et les solutions de découvertes exploitent et fournissent de nouvelles APIs (Applications programming interface) qui permettent le développement de nouveaux outils. Les données bibliographiques s’ouvrent de plus en plus (mouvement Open Data) pour favoriser l’échange de métadonnées entre les systèmes.

Ces 10 dernières années, l’usage d’Internet a été bouleversé par l’arrivée des smartphones qui sont devenus l’une des portes principales pour la consultation de l’information sous forme numérique. Ces objets sont de véritables « couteaux suisses » informatiques incluant une pléthore d’applications à exploiter par les bibliothèques. Par exemple, les QR-codes fournissent aux bibliothèques un pont entre le monde physique et virtuel. Longtemps considérés comme désuets et sous-exploités en dehors de l’usage industriel, les QR-codes sont récemment revenus sur le devant de la scène pour répondre à de nouveaux usages (micro-paiement, promotion, vente en ligne, etc.). De plus, la lecture des QR-codes est aujourd’hui facilitée par l’intégration de sa lecture par la caméra des nouveaux smartphones.

La Bibliothèque de l’UNIGE a décidé de participer au développement de l’application mobile institutionnelle et propose actuellement de nouvelles fonctionnalités telles que le calcul de l’occupation des salles en temps réel, la lecture des codes-barres (QR-codes et ISBNs), la recherche dans l’outil de découverte RERO Explore Genève.

Etat de la valorisation des ebooks à la Bibliothèque de l’UNIGE

La Bibliothèque de l’UNIGE met à disposition du public des collections papier et numériques déployées sur quatre sites répartis dans la ville : Uni Arve, Uni Bastions, Uni CMU et Uni Mail. La collection d’ebooks s’est largement développée dans tous les domaines mais sa mise en valeur dans les espaces physiques n’a pas fait l’objet d’une réflexion concertée. En 2017, le service de coordination de la Bibliothèque (CODIS) qui a pour mission de coordonner des projets transversaux et d’harmoniser les activités au sein de l’institution, a reçu pour mandat de se pencher sur cette problématique.

La valorisation des ebooks et des périodiques électroniques était déjà pratiquée sur certains sites via des affiches, flyers ou fantômes incluant des QR-codes. Cependant, il n’existait pas de pratiques ni de procédures communes. Certains sites menaient des actions de valorisation dans les espaces depuis plusieurs années, tandis que d’autres se contentaient d’une promotion en ligne uniquement. Les dispositifs de valorisation existants différaient d’un site à l’autre : certains utilisaient des étiquettes pour signaler l’existence de la version numérique sur l’exemplaire physique, d’autres des blocs en plexiglas avec des affiches, d’autres des fantômes. Le visuel (logos, couleurs, mise en page, etc.) variait également et ne respectait pas toujours la charte graphique de la Bibliothèque. Par ailleurs, ces supports de valorisation ne renvoyaient pas tous aux mêmes type de contenu (texte intégral ou catalogue des ebooks), et les QR-codes utilisés ne dirigeaient pas toujours sur des pages adaptées à la consultation sur dispositif mobile.

Du côté des collaborateurs, la création des URLs raccourcis et des QR-codes posait problème puisque les outils pour les générer étaient des sites commerciaux parfois peu fiables. Pour créer manuellement ces supports de valorisation, les collègues avaient besoin de plusieurs logiciels dont certains nécessitent des compétences techniques particulières et chronophages (environ 10 minutes pour créer un seul support). Ce procédé peu efficient ne permettait pas de faire face à une masse de ressources numériques toujours plus importante à valoriser. Contrairement à la chaîne de traitement documentaire des imprimés, bien maîtrisée, celle des ebooks n’était pas formellement intégrée dans les pratiques professionnelles.

Du point de vue des usagers, les statistiques d’utilisation des QR-codes récoltées ponctuellement montraient une faible utilisation de ces supports comme moyen d’accéder à ces ressources. En effet, la multiplicité des formats et des supports pouvait diminuer l’impact de ce type d’actions, qui ne bénéficiaient pas d’une identité visuelle commune et d’un accompagnement technique et promotionnel suffisant.

Fort de ce constat et considérant la volonté de la Bibliothèque de promouvoir plus efficacement les ressources numériques, le contexte s’avérait favorable à la mise en place d’un projet transversal qui a pu démarrer en 2017. Dans un premier temps, le périmètre a été circonscrit à la valorisation des ebooks dans les espaces physiques, écartant la valorisation des autres types de ressources (périodiques électroniques et bases de données). La mise en valeur de ces ressources sur des canaux numériques (site web, écrans d’information, etc.) est quant à elle prévue dans un projet futur.

Objectifs et coordination du projet

Les objectifs du projet étaient multiples. Ils visaient principalement à fournir aux collaborateurs en charge de la valorisation des ressources numériques sur les sites des procédures et un outil commun pour intégrer cette étape dans la chaîne de traitement documentaire, au même titre que les ressources papier. Le projet avait également pour but d’améliorer la visibilité de ces collections et de faciliter leur accès. Plus concrètement, il s’agissait de :

  • promouvoir plus systématiquement les collections d’ebooks auprès des usagers sur l’ensemble des sites de la Bibliothèque ;

  • faciliter la création et la gestion des supports communs de valorisation (affiches, fantômes, etc.) munis de QR-codes et de liens pérennes ;

  • rendre plus visibles ces collections immatérielles grâce à un visuel commun identifiable qui répond à la charte graphique institutionnelle ;

  • augmenter la consultation de ces ressources grâce à un accès facilité et plus direct sur dispositifs mobiles.

En début d’année 2017, une étude préalable au projet avait permis de réaliser un état de l’art de la valorisation des ressources électroniques en bibliothèque et d’identifier les différentes méthodes et outils mis en place. Cette étude a été complétée avec des retours d’expérience d’autres institutions.

Pour mener à bien cette réflexion transversale, un groupe de travail ponctuel a été créé. Il est composé d’une sélection de spécialistes en charge de la gestion des ebooks sur chaque site et au sein du CODIS, et d’un bibliothécaire système. Il est animé par le coordinateur du pôle Informatique documentaire et la coordinatrice du pôle Communication. Le groupe s’est réuni régulièrement tout au long du projet qui a duré pratiquement 2 ans et s’est articulé en trois temps. La première période, allant d’avril à septembre 2017, a été consacrée à la définition du cadrage du projet (état des lieux de la valorisation sur les sites, définition des besoins et des fonctionnalités de l’application). Les 8 mois suivants ont été dédiés au développement technique de l’application Avalon, à la rédaction de la documentation et à la personnalisation graphique des supports de valorisation. Une fois en ligne, l’application Avalon a été testée par les membres du groupe, ce qui a permis d’intégrer de nouvelles fonctionnalités et des améliorations afin d’affiner la logique du processus de valorisation. Enfin, la phase de déploiement sur les sites impliquant la formation des collègues, s’est articulée pendant l’été, de mai à août 2018. Lors de cette dernière étape, les membres du groupe de travail ont pris en charge l’organisation du travail sur leurs sites respectifs.

Avalon : réalisation de l’Application de Valorisation Numérique

L’objectif de la plateforme était double. Premièrement, Avalon a été conçue pour offrir aux collaborateurs de la Bibliothèque une interface ergonomique permettant la production efficiente de supports de valorisation homogènes et facilement identifiables dans les rayons. Ensuite, elle devait aussi faciliter l’accès aux ressources pour les usagers.

La réalisation dans son ensemble constitue un écosystème d’applications de gestion (applications web développées en PHP sur un serveur interne de l’UNIGE LAMP géré par la Bibliothèque) permettant de connecter entre eux les éléments suivants :

  • flux de données en provenance des base de données institutionnelles (RERO Explore et SFX) et commerciales (images de couverture issues de Google, Amazon, etc.),

  • interface d’administration pour la création et la gestion des supports de valorisation,

  • création et gestion des URLs raccourcis et QR-codes,

  • génération des pages web intermédiaires destinées au public

Figure 3 : Schéma de fonctionnement d’Avalon :
workflow de valorisation et d’accès pour une ressource.

L’interface d’administration permet de valoriser les ressources numériques en moins d’une minute. Elle se compose d’un formulaire de recherche communicant avec RERO Explore Genève, via l’API PNX Rest de Primo, qui récupère les principales métadonnées de l’ebook à valoriser.

Figure 4 : Etape 1, recherche du titre “apoptosis and cancer”

 

Figure 5 : Etape 2, collecte des données du titre “apoptosis and cancer”

Dans ce formulaire, l’ensemble des métadonnées de la ressource sélectionnée (titre, image de couverture, ISBN/ISSN, lien SFX, etc.) ont été récupérées automatiquement. Il est possible de les modifier, d’ajouter des éléments complémentaires (informations de gestion, résumé, cote, etc.). Un URL raccourci est également généré, celui-ci servira pour la création du QR-code. L’ensemble de ces métadonnées servira de contenu aux supports de valorisation.

Une fois complété, les données du formulaire sont stockées dans la base de données, et une nouvelle valorisation (entrée) apparait dans le tableau de gestion. A partir de ce tableau, il est possible de générer les supports de valorisation au format PDF.

Figure 6 : Etape 3, affichage de la valorisation pour le titre « apoptosis and cancer »
dans le tableau de gestion

Quelques fonctionnalités ont été développées pour donner plus d’autonomie aux créateurs des supports de valorisation, qui ne possèdent pas forcément de compétences techniques. Pour la mise en page, il est possible de choisir la taille des caractères dans les résumés, modifier les textes affichés, ajouter des commentaires et choisir une image de couverture autre que celle récoltée automatiquement. Des fonctionnalités spécifiques ont été ajoutées par la suite pour permettre l’impression en plusieurs fois d’un même code-barre pour les exemplaires multiples ou pour un lot de stickers sur une page d'étiquettes incomplète (déjà utilisée).

Pour répondre aux besoins des sites qui souhaitaient valoriser aussi bien des lots (ebooks, bouquets) que des titres à l’unité cinq modèles de supports ont été définis.

Un titre sera valorisé par le biais d’affiches en format A4 (portrait/paysage), de fantômes ou encore d’étiquettes. Un lot de ressources (collections, thématiques) sera mis en valeur par le biais d’affiches en format A3 ou de marques-page/échéancier dans le cadre de campagnes.

Ces 5 modèles de supports de valorisation ont une mise en page prédéfinie en accord avec la charte graphique de la Bibliothèque.

Figure 7 : supports de valorisation au titre

Figure 8 : supports de valorisation des lots

Par le biais de ces supports de valorisation générés avec Avalon (et en particulier du QR-code présent), l’usager peut accéder à la ressource numérique ou à une sélection thématique (recherche Explore pré-établie). Le flash d’un QR-Code amène sur une “page intermédiaire” (page web) également générée par Avalon.

Cette page permet de prendre connaissance des règles d’usage des ressources numériques, d’accéder à la ressource désirée et souvent au texte intégral, de partager la référence sur des réseaux sociaux mais aussi, et surtout, d’envoyer le lien de la “page intermédiaire” par email en vue d’une utilisation ultérieure. Cette dernière fonctionnalité a été développée pour offrir la possibilité à l’usager de consulter la ressource sur un appareil de lecture plus confortable et à un moment plus opportun.

Figure 9 : Vue de la page intermédiaire (ordinateur et tablette)

Figure 10 : Vue de la page intermédiaire (smartphone)

Cette page intermédiaire permet en outre de matérialiser le rôle de la Bibliothèque en tant que fournisseur des ressources numériques et offre une valeur ajoutée en proposant une solution technique en cas de problème d’accès.

Figure 11 : Fenêtre modale qui apparaît lorsque l’usager tente d’accéder à la ressource numérique sans être sur le réseau de l’Université.

Déploiement et communication sur le projet

Pour faciliter la coordination du déploiement sur l’ensemble des sites de la Bibliothèque, un calendrier global commun a été défini. Il prévoyait 4 mois de mise en œuvre avec comme échéance la rentrée universitaire de septembre 2018. Néanmoins, les sites ayant des fonctionnements propres, il était important que chacun puisse s’organiser de manière autonome. Cette mise en œuvre consistait en deux étapes principales :

  1. former les collègues des sites sur Avalon, organiser ou réorganiser (si déjà existant) le processus de traitement documentaire afin que l’étape de valorisation soit intégrée comme nouvelle tâche systématique,

  2. générer et imprimer les supports de valorisation à installer dans les rayons. Une étape supplémentaire qui consistait à enlever tous les anciens supports et à les remplacer par les nouveaux a été nécessaire pour certains sites.

Etant donné que ce projet allait toucher un très grand nombre de collaborateurs de la Bibliothèque, la gestion des communications au lancement, mais aussi tout au long du projet, était indispensable. Dès lors, des communications à deux niveaux, transversal et par site, ont été transmises à toute la Bibliothèque à des moments clés (séances de coordination du CODIS, réunions du comité de direction de la Bibliothèque, emails, newsletter interne, etc.). Au niveau des sites, les membres du groupe s’étaient chargés de relayer les informations (les procès-verbaux, séances d’équipe, lettres d’information des sites).

Lors de la dernière phase du projet, la communication interne s’est intensifiée afin de soutenir le déploiement sur les sites. Plusieurs documents ont été produits et ont servis de supports de communication :

  • un schéma de présentation de l’application (cf figure 1)

  • un guide d’utilisation

  • une vidéo de démonstration de l’interface “collaborateurs” d’Avalon

  • une vidéo de démonstration de l’utilisation de l’application UNIGE mobile pour accéder aux ressources (https://mediaserver.unige.ch/play/110505).

Six séances de présentation d’Avalon ont été organisées juste avant le lancement effectif. Ces réunions visaient à sensibiliser les collaborateurs de la Bibliothèque à la problématique de la valorisation des ressources numériques d’une part et à leur faire des démonstrations pratiques d’autre part. L’enjeu était que l’ensemble des collègues puissent prendre en main les fonctionnalités de l’application UNIGE mobile, notamment le lecteur de QR-codes et les fonctionnalités de la page intermédiaire. Au terme des présentations, les collègues devaient être familiers avec les nouveaux supports de valorisation installés dans les rayons afin de répondre aux questions des usagers et de les accompagner dans ces nouvelles pratiques.

Communication aux usagers

A l’occasion de la rentrée de septembre 2018, le lancement de ce nouveau service s’est accompagné de plusieurs actions de communication autour des fonctionnalités développées par la Bibliothèque dans l’application UNIGE mobile. En effet, une campagne de communication pour le lancement officiel de la version 2 de l’application mobile était prévue au même moment. Dès lors, il semblait plus pertinent de profiter de la visibilité offerte par cette campagne globale et décliner le visuel retenu pour la “Bibliothèque version mobile”.

Figure 12 : Affiches promotionnelles de l’application UNIGE mobile

Figure 13 : Flyer de promotion de « la Bibliothèque version mobile » (recto)

Figure 14 : Flyer de promotion de « la Bibliothèque version mobile » (verso)

Retour d’expériences

A ce stade du projet, l’un des premiers constats est l’importance de l’accompagnement et la communication, notamment dans la phase de déploiement. Malgré les efforts déployés, ces nouveaux supports de facilitation ne sont pas encore perçus par l’ensemble des collaborateurs comme un service à part entière de la Bibliothèque. Cela peut s’expliquer par un manque de temps ou d’intérêt face aux nouvelles technologies.

L’une des difficultés majeures rencontrées dans ce projet est inhérente à l’organisation interne et à la taille de la Bibliothèque de l’UNIGE qui fonctionne selon deux dimensions ; transversale et par site. Cette structure conditionne l’organisation de ce type de projet qui implique une gestion centralisée avec un groupe de travail multisites, mais un déploiement qui doit tenir compte des besoins et des contraintes au niveau local. Ce fonctionnement a l’avantage de laisser une grande autonomie aux sites tout en encourageant l’appropriation de l’application Avalon. A titre d’exemple, tous les sites ont pu déployer les supports de valorisation selon un processus et un rythme propres. Cette souplesse implique toutefois une perte de la vision d’ensemble et un déploiement décalé dans le temps.

Les retours des collègues impliqués sur l’application Avalon ont été très positifs. La formation et le matériel mis à leur disposition lors de la phase de déploiement ainsi que l’ergonomie et la simplicité d’utilisation de l’interface ont contribué à la prise en main rapide de l’outil et permis la création d’un grand nombre de supports en peu de temps.

Un facteur de réussite important du projet est lié à sa temporalité qui a coïncidé avec le développement de l’application mobile institutionnelle. Ainsi, il a été possible d’intégrer le lecteur de QR-codes parmi les fonctionnalités de la section “Bibliothèque” de l’application mobile de l’Université, anticipant son intégration sur les nouveaux smartphones.

Conclusion et suites du projet

A l’heure où nous écrivons ce texte, cela fait seulement 4 mois que les supports de valorisation ont été placés dans les rayons de la Bibliothèque et notre expérience se limite pour le moment aux étapes de conception, développement de l’application et déploiement. La collecte de statistiques d’utilisation de ces supports, consultables par les administrateurs sur l’application Avalon, a bien démarré à la rentrée universitaire de septembre 2018. À ce stade, la période observée est trop courte pour analyser l’impact de ce nouveau service auprès du public ainsi que sur le nombre de consultations des ressources valorisées.

Il est prévu de réaliser un bilan du projet une année après le lancement (septembre 2019). L’objectif sera de vérifier l’intégration de ces nouvelles pratiques de consultation des ressources numériques par les collègues et les publics de la Bibliothèque. Il est également planifié d’analyser les statistiques d’usage des QR-codes, en coopération avec le pôle Ressources documentaires, afin de connaître l’impact des actions de promotion sur l’usage réel des ressources numériques valorisées.

La deuxième étape du projet qui consiste désormais à intégrer de nouveaux types de ressources numériques dans Avalon, notamment les périodiques et les bases de données, a déjà démarré et se poursuit actuellement avec le même groupe de travail. Selon le calendrier en cours et les discussions actuelles, au printemps 2019, Avalon pourra être utilisé pour promouvoir des bases de données, des périodiques électroniques, des sites Web et d’autres ressources multimédias.

Par la suite, il sera question de lancer un nouveau projet qui traitera de la création d’une nouvelle solution technique de promotion en ligne des documents physiques et numériques. 

Bibliographie

Barron G. (2014) Intégrer des ressources numériques dans les collections. Villeurbanne: ENSSIB.

Jeanson A. (2013) Les services innovants liés au numérique: l’exemple des bibliothèques universitaires [Mémoire d’étude]. Villeurbanne: ENSSIB. Disponible sur: http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/notices/60394-les-services-i...

Meury M. (2013). Les QR codes en bibliothèque: un exemple de médiation numérique au service des usagers [Mémoire de Certificate of Advanced Studies (CAS)]. Université de Fribourg. Disponible sur: http://doc.rero.ch/record/209354/

Pouchot S, Vieux A, Peregrina R. (2016) Si proche, si loin: prêt de ebooks en bibliothèque: la situation en Suisse romande. In: Les Presses de l’ENSSIB. p. 37‑54. (Collection Les numériques). Disponible sur: https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01412659

Souchon, F. (2014). Faire vivre les ressources numériques dans la bibliothèque physique. Le cas des bibliothèques universitaires. [Mémoire d’étude]. Villeurbanne: ENSSIB; Disponible sur: http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/notices/64182-faire-vivre-le...

Vieux A. (2014). Signaler et valoriser les ressources documentaires numériques en bibliothèque universitaire: quels enjeux pour la Bibliothèque de l’Université de Genève? 2014; Disponible sur: https://archive-ouverte.unige.ch/unige:91498

Valoriser les ressources électroniques en bibliothèque. http://www.enssib.fr/offre-de-formation/formation-continue/18e34-valoris...

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Quelle veille pour les start-ups ? compte rendu de la 15ème journée franco-suisse sur la veille stratégique et l’intelligence économique, 14 juin 2018, Besançon

Ressi — 20 décembre 2018

Hélène Madinier, Haute Ecole de Gestion, Genève

 

Quelle veille pour les start-ups ? compte rendu de la 15ème journée franco-suisse sur la veille stratégique et l’intelligence économique, 14 juin 2018, Besançon

La 15ème journée franco-suisse en veille et intelligence économique s’est tenue jeudi 14 juin 2018 à Besançon à la Communauté d’universités Bourgogne-Franche-Comté (COMUE) sur le thème de «Quelle veille pour les start-ups ? ».

Cette journée, qui a rassemblé environ 60 personnes, était subventionnée par la Communauté du savoir, réseau de l’Arc jurassien franco-suisse, visant à «renforcer, valoriser et stimuler les collaborations franco-suisses en matière de recherche, d’enseignement et d'innovation ». [1]

Après des mots de bienvenue des représentants de cette communauté et de celle de l’Université de Bourgogne-Franche-Comté, Pascale Brenet, maître de conférences à l’IAE de Besançon, directrice de PEPITE BFC (et membre du comité des journées franco-suisses), exposait les objectifs et enjeux du thème de la journée dans l’intervention d’ouverture intitulée  Quelle veille pour les start-up : les besoins d’information associés au processus entrepreneurial .

Un startuppeur est confronté à 2 écueils : la difficulté de trouver l’information pour un produit ou un service qui n’existe pas et la menace de la surinformation si la recherche est trop large, d’où la nécessité de structurer ses questionnements.

Le futur entrepreneur a une idée précise, une intention, une envie d’entreprendre. Le processus entrepreneurial résulte d’une co-construction sur l’opportunité d’entreprendre avec les parties prenantes, de séquences et d’itération, puis de décisions et d’actions spécifiques. La veille doit aider à identifier s’il y a opportunité d’entreprendre.

L’idée est de s’inspirer de la lean start-up : fabriquer et vendre rapidement pour tester et mesurer le marché et adapter son offre en conséquence, plutôt que de faire une étude de marché.

Comme il existe une échelle de Technology Readyness Level, Pascale Brenet propose une échelle de Market Readyness Level avec 9 niveaux :

  1. Définition du concept

  2. Identification de l’OE (opportunité d’entreprendre) par données secondaires

  3. Etalonnage concurrentiel

  4. Définition de la proposition de valeur orientée utilisateur

  5. Etude qualitative du marché (test hors marché)

  6. Identification d’une liste de prospects

  7. Lancement test / MVP (minimum viable product)

  8. Lancement commercial sur un segment de marché

  9. Développement du marché.

La veille et la recherche d’information vont aider à étudier l’environnement stratégique, la dynamique de marché, l’étalonnage de la concurrence et les comportements et attentes des utilisateurs. Le startuppeur devra décider s’il procède lui-même à la recherche et à la veille ou s’il sous-traite, et il lui faudra être attentif à la fiabilité des sources, au coût et à l’actualité des informations identifiées, et enfin à analyser et sélectionner les données actionnables.

Ensuite, Frédéric Martinet, fondateur et gérant de Actulligence Consulting, consultant en systèmes de veille a proposé une méthode de veille en 10 minutes chaque jour et introduit l’atelier de l’après-midi: « Veillez en 10 mn par jour » : préparation de l’atelier de l’après-midi.

La vie d’un entrepreneur de start-up consiste à prendre des décisions. Il n’a en général pas le temps de faire de la veille, mais doit se tenir informé. Les responsables de start-up disent connaître leur domaine, mais ne savent pas toujours bien chercher l’information en fonction de leurs besoins et ne connaissent pas les outils. F. Martinet propose la méthode suivante : il s’agit de comprendre le besoin, d’identifier les acteurs-clés, demander leurs sources d’information incontournables, définir le champ lexical autour de leur activité (différent du lexique utilisé pour le marketing), en s’alignant sur le processus décisionnel et en faisant des priorités. Il demande alors au public des exemples de thématiques. Les 3 suivantes sont proposées :

  1. Le confort acoustique dans un avion-réducteur de bruit dynamique
  2. Un outil de liaison micromécanique pour les mouvements de rotation- pour l’horlogerie- l’énergie-
  3. L’immunothérapie pour soigner les tumeurs solides des cancers

La troisième intervention de la journée était assurée par Ali Yacin El Ayouch, chercheur postdoctoral, Institut FEMTO-ST, et Youssef Tejda, ingénieur de recherche, Institut FEMTO-ST. Ils ont présenté le projet innovant «Métabsorber» et leur démarche de recherche d’information.

La pollution sonore, avec les maladies qu’elle occasionne, coûte plus de 57 milliards d’euros par an. En ville, elle provient à 60% des transports. Les deux chercheurs proposent une technologie de rupture sur les méta-matériaux, c’est-à-dire faire qu’un méta-matériau soit ultra-réflecteur et ultra-absorbeur. Il faut pouvoir travailler sur du verre, du bois et des métaux.

Les marchés possibles sont l’ameublement, les transports, et l’industrie. Ils travaillent sur le mobilier acoustique, et la recherche d’information effectuée les a amenés à l’idée de structurer d’emblée le mobilier et non pas devoir ajouter des éléments anti-bruit.

Finalement, Sandy Wetzel, CEO de l’incubateur Neode, ancien directeur de Y-Parc à Yverdon-les-Bains, et Dr. Khalid Zahouily, fondateur et CEO de Horlovia Chemicals, ont conclu cette matinée.

Sandy Wetzel présentait : Quels outils et quels soutiens pour la veille des start-up technologiques à Neuchâtel ? Neode est l’incubateur du canton de Neuchâtel qui met en relation les start-ups avec des experts des industries concernées, qui les guide sur le terrain (dans des salons), leur permet d’avoir accès à des prestataires (comme Centredoc) et accompagne la collaboration entre startups et PME établies.

Il s’agit d’aider les start-ups à définir leur marché ; ces start-up ne doivent pas s’éparpiller mais bien veiller à rester sur leur «core business».

Il y a plusieurs dispositifs de soutien de la veille à Neuchâtel : quatre plateformes sectorielles, des missions économiques, une antenne à San Francisco (Neuchâtel innohub@san francisco), ainsi que des aides financières directes du canton.

Ensuite, Dr Khalid Zahouily, CEO de Horlovia Chemicals, a d’abord présenté sa société, qui a développé des matériaux polymères innovants pour l’horlogerie et l’industrie du luxe : elle propose des revêtements temporaires de protection des montres. Il a montré comment la veille effectuée sur la protection temporaire des montres l’avait aidé aussi bien à identifier des marchés, à affiner ses produits pour qu’ils correspondent à ce qui est recherché, à fixer ses prix qu’à trouver des informations technologiques lui permettant de trouver plusieurs méthodes d’application de son film protecteur. Les informations recherchées étaient notamment les solutions existantes, les volumes des marchés horlogers, les prix des protections concurrentes etc… Outre Google, ses sources ont été les manufactures horlogères, les sous-traitants, les fournisseurs de consommables, les foires et salons (comme EPHJ) ainsi que les clients.

En début d’après-midi, David Borel, directeur du développement à  Centredoc, a présenté les prestations proposées aux start-ups par son organisation Centredoc, société coopérative qui offre des prestations dans les domaines de la veille technologique, concurrentielle et stratégique ainsi que dans la recherche d’information brevets, techniques et économiques, et qui existe depuis plus de 50 ans (voir Quelles prestations pour les start-up clientes de Centredoc ?)

Centredoc se définit comme un opticien pour entrepreneurs, leur permettant de mieux anticiper. Il apparaît en effet que la plupart des responsables de start-up ne connaissent pas les sources d’information de brevets, et se reposent sur Google, ce qui est très insuffisant vu les quelques 12 millions de demandes de dépôt de brevets, d’enregistrement de marques et modèles par an ; cela revient à 5% de visibilité. Or le circuit est miné car des brevets peuvent exister sur ce que les start-ups proposent : à défaut de recherches ciblées et suffisantes, les entreprises peuvent être accusées de copie involontaire de brevet.

Centredoc accompagne les start-up avec une méthode en 3 étapes : idéation, business plan et financement.

L’étape d’idéation permet d’aider la start-up à faire sa recherche de brevets, et de démarrer une veille technologique plus large (y compris normes et publications scientifiques) sur le produit/service projeté. L’étape du business plan doit permettre d’aider à transformer l’idée en opportunité d’affaires : identification et segmentation des clients et partenaires, précision des marchés possibles ; et l’étape de financement permet de rassembler des preuves, de mettre en œuvre une veille brevet permanente pour rassurer les investisseurs.

Centredoc anime également des formations permettant d’apprendre à lire des brevets.

Finalement, pour illustrer son atelier de veille en 10 minutes par jour, Frédéric Martinet a traité un des exemples proposés le matin : l’isolation acoustique en aéronautique. Il s’agit tout d’abord d’arriver à formaliser un champ lexical, pour faire des requêtes complètes. Pour ce faire, il recherche cette expression en français et en anglais (Aeronautics acoustic insulation) sur Google, ce qui lui permet d’identifier des sources d’information et de trouver des synonymes ou des termes associés (comme vibration, par exemple), et cela lui permet de trouver des noms de sociétés, d’associations professionnelles, de fabricants comme Aerospace, Hutchinson, Dunmore, 3M ; il va ensuite sur les sites des fabricants pour voir leurs produits, leurs partenaires (laboratoires de recherche), ce qui donne des acteurs-clés. Il identifie des sources d’information comme des revues spécialisées (Journal of the acoustical society of America par exemple), des bases de données spécialisées et crée ensuite des alertes sur les sources pertinentes –attention à Google alerts, qui passe à côté de trop de choses, et filtre la langue et le pays qui correspondent au compte Google.
Il préconise de les agréger dans Inoreader et d’y adjoindre des filtres. Il suggère ensuite d’utiliser soit son Intranet ou Sharepoint ou alors Slack pour diffuser les résultats de sa veille.

Après cette brillante démonstration, François Courvoisier a synthétisé les points-clés de cette journée franco-suisse très instructive, riche en témoignages et en échanges.

Notes

[1]Voir l’article sur les bibliothèques de la communauté du savoir, dans ce même numéro

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Conférence nationale Open Access

Ressi — 20 décembre 2018

Benoît Epron, Haute école de Gestion, Genève

 

Conférence nationale Open Access

Le 26 octobre 2018, swissuniversities organisait une conférence nationale Open Access à l'Université de Lausanne.

A l'occasion de la semaine internationale de l'Open Access, cette journée souhaitait proposer un point sur l'Open Access dans un contexte suisse marqué par la mise en place de la stratégie nationale suisse sur l'Open Access et par l'annonce du Plan S (initiative de soutien à l’Open Access porté par la commission européenne et Science Europe).

Au travers des différentes interventions cette journée, qui a rassemblé 300 personnes environ, a permis de dresser un état des lieux des problématiques liées à la dynamique Open Access en Suisse.

Ces problématiques se retrouvent principalement à trois niveaux, académique, économique, politiques, repris par plusieurs intervenants. Nous proposons ici un compte rendu personnel de cette journée, il reflète notre propre lecture des enjeux et informations marquantes et ne prétend pas retranscrire l'intégralité des interventions et des débats.

Le premier plan est un plan académique. Tout au long de la journée ont été abordées deux facettes académiques de l'activité de publication scientifique. La première concerne la problématique de la diffusion et des usages. Souvent oublié, cet aspect des modèles OA de l'édition scientifique a été illustré lors de cette journée par la présentation de Mme Nouria Hernandez, rectrice de l'Université de Lausanne. Ainsi, lors de son intervention elle a évoqué la situation de Serval, dépôt institutionnel de l'Université de Lausanne et dont la fréquentation a quasiment doublé en septembre 2018 pour atteindre 100 000 consultations, notamment à l'occasion de l'intégration de Serval dans Google Scholar. Cette variation illustre par l'exemple un paradoxe des dépôts institutionnels, utilisés d'une part par les institutions universitaires comme infrastructures support pour l'Open Access et l'évaluation des chercheurs et dont d'autre part l'utilisation par les chercheurs eux-mêmes passe largement par Google Scholar, les rendant de fait peu visibles.

Sur le plan académique, la question des indicateurs de la recherche a également été largement abordée avec deux problématiques différentes s'y rattachant.

D'une part la nécessité d'imaginer de nouveaux indicateurs de la production scientifique permettant d'échapper à la dépendance actuelle vis-à-vis des plateformes fournissant actuellement les principaux indicateurs bibliométriques. Cette dépendance est donc double, elle concerne d'une part les indicateurs eux-mêmes qui restent uniquement quantitatifs et placent les revues et les éditeurs au centre des processus d'évaluation et de recrutement. Elle porte également sur les producteurs de ces indicateurs, plateformes d'éditeurs commerciaux qui s'appuient sur la maîtrise d'une part quasi-exhaustive des publications d'un domaine pour produire ces indicateurs.

Cette situation restreint le champ des possibles pour le développement de modèles Open Access pour la publication scientifique en rendant incontournables certaines revues et plateformes.

Sur le plan économique, la dynamique suisse de l'Open Access est confrontée à une situation de transition. Cette transition des modèles de publication académique est déjà bien avancée en Suisse. Ainsi d'après la présentation de Mme Angelina Kalt, Directrice générale du Fonds national suisse de la recherche scientifique, ce sont aujourd'hui 28% des publications scientifiques suisses qui sont disponibles en Green Open Access (auto-archivage de la publication par l’auteur dans une archive ouverte, souvent après une période d’embargo) et 11% disponibles en Gold Open Access (publication directement accessible en Open Access, souvent avec un financement en amont). Cela laisse donc 61% des publications non disponibles en Open Access en Suisse et place la Suisse devant les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l'Autriche, la France, l'Allemagne et l'Italie, qui atteignent un taux de publication indisponibles en Open Access compris entre 64% et 72%.

Ce développement fort de l'Open Access en Suisse laisse toutefois une réelle marge de progression pour laquelle le FNS souhaite se positionner comme un levier d'accompagnement des politiques OA, que ce soit pour les revues ou pour les monographies.

L'ambition suisse pour le développement de l'Open Access vise un passage de la totalité des publications en Open Access à l'horizon 2024, soit après l'échéance prévue au niveau de l’Union européenne en 2020.

Du point de vue financier, la présentation de M. Michael Hengartner, Président de swissuniversities et Recteur de l'Université de Zurich, s'appuyait en partie sur l'étude Financial Flows in Swiss Publishing produite en 2016 pour le FNS. Il en a présenté quelques données et notamment le coût total d'accès à l'information en Suisse, soit approximativement 109 millions de francs suisses. Ce montant se répartit de la façon suivante : 70 millions pour les abonnements à des revues, 31 millions pour l'achat de monographies, 6 millions pour les APC (Articles Processing Charges, financement amont par le chercheur ou son institution pour rendre son article disponible en Open Access sans embargo) et 2 millions pour les infrastructures.

Les enjeux financiers relevés dans cette étude rejoignent les interrogations de Mme Nouria Hernandez qui s'inquiète de la capacité des institutions comme la sienne de supporter le triple coût de la publication académique de ses chercheurs aujourd’hui pour lesquels elles doivent assurer à la fois le prix des abonnements, celui des APC et enfin le coût de développement et de maintenance des infrastructures nécessaires à la mise en place des dépôts institutionnels.

A ces coûts il convient enfin d'ajouter les efforts de pédagogie et d'acculturation portés par les institutions scientifiques à destination des chercheurs et qui apparaissent prioritaires dans l'étude annuelle sur l'Open Access réalisée par l'EUA (European University Association). En effet, les trois actions prioritaires d'après cette enquête sont, par ordre d'importance, la sensibilisation des chercheurs, la mise en place d'incitations supplémentaires à destination des chercheurs et enfin la mise en place de politiques nationales de soutien à l'Open Access.

Cette enquête européenne présentée par M. Jean-Pierre Finance, Président de l'Open Science Experts Group, au sein de European University Association, a permis d'apporter d'autres éléments financiers à la réflexion. En effet, l'enquête chiffre à plus de 421 millions d'euros les dépenses annuelles pour les périodiques, les bases de données et les livres numériques, dont plus de 383 millions d'euros pour les seuls périodiques.

Plusieurs intervenants ont enfin balayé plusieurs enjeux politiques relatifs à l'Open Access. Le premier de ces enjeux a été la nécessité d'une organisation cohérente et unifiée des différents acteurs. C'est dans cette logique que devrait se mettre en place d'ici le premier trimestre 2019 une Open Access Alliance pilotée par swissuniversities (programme P-5) et regroupant l'ensemble des parties prenantes : Académies, éditeurs suisses, CSS (Conseil suisse de la science), etc. mais également des membres de projets comme Sliner, le FNS ou la délégation recherche de swissuniversities.

La place des HES dans les modèles Open Access a également été soulignée avec notamment la nécessité de concevoir des solutions qui permettent de prendre en compte les partenaires économiques impliqués dans l'activité de recherche appliquée des HES et pour lesquels l'ouverture des résultats doit se construire de façon cohérente avec leurs enjeux économiques et commerciaux.

La journée s'est terminée sur une intervention rafraichissante de M. Jacques Dubochet, prix Nobel de Chimie en 2017, qui a replacé, à travers son expérience de chercheur, "la connaissance comme un bien commun pour le bénéfice de tous".

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Cinquante ans de numérique en bibliothèque

Ressi — 20 décembre 2018

Alexis Rivier, Conservateur Ressources numériques et périodiques, BGE

 

Cinquante ans de numérique en bibliothèque

Dans l’essai d’Yves Desrichard, conservateur des bibliothèques et ancien rédacteur en chef du Bulletin des bibliothèques de France, les professionnels actifs depuis une vingtaine d’années ou davantage reconnaîtront des personnes, des sigles, des événements politiques qui ont façonné le destin numérique des bibliothèques françaises.

En France, l’histoire est une discipline prestigieuse et valorisée. Nombre d’historiens ont occupé de hautes fonctions à la Bibliothèque nationale, comme Jean-Noël Jeanneney, président de la BnF de 2002 et 2007 et préfacier de l’ouvrage. Pour autant le parcours rétrospectif sur ce facteur fondamental de transformation des bibliothèques qu’a représenté l’arrivée de l’informatique a été plutôt négligé, ou cantonné à l’intérieur d’ouvrages au périmètre plus large .

Cinquante ans de numérique en bibliothèque s’articule en cinq « temps », couvrant chacun approximativement une décennie. Suivre les faits et les avancées dans ce continuum chronologique s’avère efficace et très parlant.

Le premier temps est celui des pionniers, qui mettent au point les premiers formats de catalogage. Peu après, les premières politiques d’ «automatisation» des bibliothèques voient le jour.

S’ensuit le temps des découvreurs qui consolident les acquis, développent les fonctionnalités et s’emparent de technologies qui semblaient prometteuses : Minitel, CD-Rom, vidéodisque.

Le temps des bâtisseurs concrétise les chantiers d’informatisation de la BnF, la rétroconversion des catalogues, les réseaux informatisés.

Le temps des expérimentateurs suggère une nouvelle étape de tâtonnements. La montée en puissance des ressources numériques entraîne des stratégies de rassemblement autour des consortiums, puis une mobilisation en faveur de l’open access. Des services d’Internet affichent une croissance surprenante, les bibliothèques s’y adaptent : Web 2.0, archivage du numérique, grands programmes de numérisation.

Le dernier temps appartient aux médiateurs : la mise en concurrence des bibliothèques les oblige à repenser leurs fondamentaux, principalement dans la mise en relation des usagers avec des sources et des contenus d’information. Un certain renversement de perspective s’opère : l’usager devient prioritaire et non plus la collection, dont le statut doit être revisité. On ne peut s’empêcher de voir dans ce titre un hommage au dernier opus d’un grand nom de la bibliothéconomie française, disparu prématurément : Les bibliothèques et la médiation des connaissances de Bertrand Calenge. 

Chaque partie relate de façon très complète les initiatives, les structures institutionnelles et les personnages qui ont forgé cette histoire, générant une floraison de sigles dont peu ont subsisté jusqu’à nos jours. La concision du livre (132 pages) en fait une excellente synthèse. Non sans modestie, Yves Desrichard estime cependant qu’une histoire complète de l’informatisation des bibliothèques reste à écrire…

Une fois posé à gros traits les étapes, quels sont les principaux enseignements de cette rétrospective ? Nous en proposons quelques-uns.

  1. A ses débuts, l’informatisation des bibliothèques apparaît presque simultanément dans les pays développés. Mais l’avance des Etats-Unis est réelle. C’est à la Bibliothèque du Congrès que le format Marc, pierre angulaire de l’informatique en bibliothèque, a été défini en 1966. Le prétendu retard français est cependant minime : cette même année, Henri-Jean Martin travaille à la Bibliothèque municipale de Lyon sur un format de catalogage pour le livre ancien et en 1968 Marc Chauveinc conçoit le format Monocle à Grenoble. C’est également dans ces années-là que l’aventure commence en Grande-Bretagne , mais aussi en Suisse avec les projets Sibil à Lausanne et Ethics à Zurich. Il y a là une remarquable convergence, tant il apparut très tôt que l’informatique était un outil essentiel pour les bibliothèques.

  2. On s’en doute, l’informatisation n’est pas une route paisible. Les réussites y côtoient les échecs. Ce n’est pas le moindre mérite de ce livre d’y faire place. Certaines idées viennent trop tôt, d’autres fois la réalisation est laborieuse. Enfin certaines technologies n’ont pas été confirmées. Parfois les bibliothèques sont confrontées à des temporalités qui les dépassent, le volontarisme ne suffit pas toujours. "Ceux qui ont réussi ne savaient pas qu'ils allaient réussir; ceux qui ont échoué ne savaient pas qu'ils allaient échouer." (p. 11). Deux cas sont symptomatiques. Le système centralisé Libra, voulu et conçu par le Ministère de la culture entre 1982 et 1989 pour combler le retard des bibliothèques centrales de prêt  n’a jamais fonctionné correctement, et les lois de décentralisation ont précipité son abandon. Le projet d’informatisation de la BnF, aussi ambitieux dans son genre que celui de la construction du nouveau bâtiment sur le site de Tolbiac, a été émaillé de difficultés qui ont beaucoup ému la profession. Le système n’a été véritablement opérationnel qu’en 2002, soit 4 ans après les prévisions. Plus récemment le projet Relire, complexe montage technico-juridique au bénéfice d’une noble idée : la remise à disposition du public d’œuvres protégées par le droit d’auteur mais plus commercialisées, n’a pas eu l’effet désiré. Le dispositif a été décrié par les auteurs et invalidé par l’Union européenne.

  3. Se pencherait-on sur le passé parce que le présent et surtout le futur inquiètent ? Yves Desrichard se défend de se prêter au jeu de la prophétie, mais sait que l’on attend de lui qu’il dise ce que l’examen du passé lui inspire pour l’avenir des bibliothèques. Le numérique a pris partout une telle place qu’il n’est plus perçu comme aussi désirable qu’au temps des pionniers.

A ses débuts l’informatisation est un facteur de modernisation accueilli avec enthousiasme. C’est un moyen de gérer un « monde physique » qui ne remet aucunement en cause la position de la bibliothèque, ni même son fonctionnement, ses instruments. L’informatique aide d’abord à mettre sur pied des outils de travail comme les catalogues sur fiches ou des bibliographies. Dans les années 1970, le groupe Gibus (Groupe informatiste de bibliothèques universitaires et spécialisées) prône un accès direct par les usagers aux données informatisées, mais c’est bien plus tard que le catalogue sera mis à disposition en ligne via les Opac.

La véritable fracture, et nous suivons l’auteur sur ce point, survient avec le développement de l’information primaire – les contenus – sous forme numérique. Les bibliothèques ont gardé le monopole de l’information imprimée mais ne maîtrisent qu’une petite partie des ressources numériques, celle de la numérisation de leurs fonds.  Les ressources sont pour l’essentiel commercialisées et difficiles à acquérir par les bibliothèques. En témoigne la délicate mise en place de la plate-forme Prêt numérique en bibliothèques (PNB) permettant de prêter des ebooks. Malgré tout, cela stimule aussi les capacités d’adaptation des institutions, à l’instar de la création des consortiums Couperin et Carel, respectivement pour les bibliothèques universitaires et pour les bibliothèques de lecture publique. « La profession a toujours été aux avant-postes de l'expérimentation et de l'appropriation des outils informatiques et numériques » (p. 12). Elle a investi Internet avec enthousiasme et continue de le faire, dans la bataille pour l’open access et des contenus gratuits de qualité. Mais le public est capté par d’autres acteurs, puissants et très performants sur le plan des technologies, qui mettent en suspicion l’utilité des bibliothèques, même au niveau politique. J.-N. Jeanneney souligne dans sa préface « l’inquiétude » des professionnels et n’hésite pas à qualifier cette mutation de leur métier comme « la plus violente, en somme, depuis l’invention de l’imprimerie » (p. 10). A cela s’ajoutent des tendances contradictoires qui rendent peu lisibles l’évolution numérique. Le cas le plus typique est celui du livre électronique, dont Desrichard rappelle que « plus de 15 ans après sa première apparition », en 2000, il « continue à provoquer questionnements, enthousiasmes, critiques et incertitudes » (p. 84). C’est donc sur un optimisme prudent qu’il clôt son ouvrage.

Au fil de ce parcours de Cinquante ans de numérique en bibliothèque, on prend la mesure des conditions spécifiques liées au développement informatique de ce secteur en France : influence déterminante de l’Etat central et des ministères concernés, poids de la Bibliothèque nationale, volontarisme technologique. Mais au final, en raison de la globalisation des technologies, la situation des bibliothèques françaises n’est pas si différente de celle d’autres pays.  Yves Desrichard a tracé une voie prometteuse.

Bibliographie

Yves Desrichard. Cinquante ans de numérique en bibliothèque. Paris: Electre-Ed. du Cercle de la Librairie, 2017 (collection Bibliothèques)

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Les bibliothèques de la Communauté du savoir

Ressi — 20 décembre 2018

Agnès Dervaux-Duquenne, bibliothécaire-responsable, Haute Ecole Arc Ingénierie

 

Les bibliothèques de la Communauté du savoir

Des solutions simples pour des défis complexes 

Un des derniers livres blancs partagés sur le site  http://www.archimag.com/ [1] nous propose une étude intitulée « Les défis des bibliothèques universitaires au cœur de l’enseignement, de l’apprentissage et de la recherche » [2].

Notre métier change, c’est une évidence, notre profession évolue, et nous aussi, les professionnel-le-s. Les défis identifiés se posent donc autant au niveau des lieux, des institutions et des objectifs que des ressources, des outils et enfin des compétences des personnels.

C’est une chance dès lors de faire partie d’une des institutions membres de la Communauté du savoir et de bénéficier des encouragements et des infrastructures mises en place pour se rencontrer, partager sur nos pratiques, nos savoir-faire, nos questions et nos solutions et tenter de développer des projets à haute valeur ajoutée avec nos collègues régionaux transfrontaliers.

Mais qu’est-ce que cette Communauté du savoir ?

La Communauté du savoir : historique et composantes

La Communauté du savoir (Cds) est un réseau visant à renforcer, valoriser et stimuler les collaborations franco-suisses dans l'Arc jurassien en matière d'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation.

D'abord sous l'égide de la Conférence TransJurassienne, la Communauté du savoir a organisé tous les deux ans (2012, 2014, 2016) un colloque transfrontalier afin de permettre aux acteurs de la collaboration transfrontalière dans les domaines de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation de se rencontrer et d'échanger sur les solutions  à apporter aux problématiques inter-régionales générées par les frontières. Les colloques se sont tenus alternativement en France et en Suisse afin de permettre aux participant-e-s de visiter un établissement partenaire.

Le premier colloque de 2012 a été organisé à l'’École Nationale Supérieure de Mécanique et des Microtechniques (Besançon, France) et a réuni une centaine d'acteurs des échanges franco-suisses. Il a donné lieu à la signature d'une déclaration d'intention signée par 17 partenaires présents et a permis de créer les prémices d’une communauté du savoir, de la recherche et de l’innovation de l’Arc jurassien.

Le deuxième colloque de 2014 s’est tenu à la Haute Ecole Arc (Neuchâtel, Suisse) et a réuni environ 150 participant-e-s autour de la thématique : "La collaboration transfrontalière : aller au-delà des outils existants". C’est lors de ce colloque qu’ont été proposées de nouvelles pistes d'actions franco-suisses structurantes dans plusieurs domaines - dont les bibliothèques, et que le nom de cette communauté a été validé par les participant-e-s.

Le troisième colloque de 2016 a eu lieu à l'Atria de Belfort (France) sur le thème "Frontières : dynamique et enjeux d'un territoire transfrontalier", et a permis de mettre en lumière les avantages (également pour les acteurs publics et politiques) liés à la coopération au sein du réseau de la Communauté du savoir. La signature d’un accord-cadre entre sept membres académiques est venue consolider cette volonté de travailler ensemble et de soutenir activement le développement de leurs collaborations.

Les sept membres académiques sont les suivants :

  • l’Ecole Nationale Supérieure de Mécanique et des Microtechniques (ENSMM) - Besançon
  • la Haute Ecole Arc (HE-Arc) – Neuchâtel 
  • la Haute Ecole d’Ingénierie et de Gestion du canton de Vaud (HEIG-VD) - Yverdon
  • la Haute Ecole Pédagogique des cantons de Berne, Jura et Neuchâtel (HEP-BEJUNE)
  • l’Université de Franche-Comté (UFC)
  • l’Université de Neuchâtel (UniNE)
  • l’Université de Technologie de Belfort-Montbéliard (UTBM)

Inscrite dans un territoire de coopération qui couvre actuellement la Franche-Comté côté français et les cantons de Berne, Jura, Neuchâtel et Vaud côté suisse, la Cds est, par son existence et son développement, un facteur de dépassement de la frontière au profit d’une mise en commun de potentiels scientifiques, académiques, culturels et économiques de l’entier de l’Arc jurassien franco-suisse.

Depuis 2014, ce projet est soutenu par le programme européen de coopération transfrontalière Interreg V France-Suisse 2014-2020 et a bénéficié à ce titre d'un soutien financier du Fonds européen de développement régional (FEDER). Grâce à ces fonds, les premiers objectifs de la Cds ont pu être atteints, à savoir un soutien direct à la mobilité des personnes engagées, à l’organisation d’actions, de journées thématiques, de mises en réseau des structures d’innovation et de groupes comme celui des bibliothèques.

Actuellement, la dernière phase du projet Cds est en préparation et son objectif est de pérenniser les acquis et les actions de ce réseau dont l'autonomie de fonctionnement doit être atteinte au 1er janvier 2020.

Dans cette perspective, le projet se développera en 2019 autour de trois nouveaux objectifs qui rassemblent et prolongent ceux de la période 2015-2018 :

  1. Un campus transfrontalier à même de poursuivre et d’impulser des projets de collaborations ;

  2. Un incubateur de projets transfrontaliers destiné à accompagner au cas par cas la structuration et le montage de projets de collaborations ;

  3. La pérennisation du réseau en vue de préparer le transfert des responsabilités et des financements aux établissements membres à l’horizon 2020.

Bilan Cds 2015-2018 

Une évaluation globale réalisée en octobre 2018 a montré que, entre les projets et groupes de travail prospectifs, séminaires et journées thématiques, réunions de gouvernance et de coordination du réseau, webcasts et stages, 118 rencontres franco-suisses ont eu lieu entre 2015 et 2018 et 4263 personnes ont participé à ces échanges.  Ces chiffres ont fini de convaincre les partenaires engagés de pérenniser leur soutien pour maintenir actifs les groupes engagés et tenter de poursuivre les démarches encore en réflexion.

Voici à quoi ressemble aujourd’hui le bilan de ces actions et préconisations.

Les groupes de travail dits de "proposition"

Cotutelles de thèse

A l'issue de ses séances de travail, la principale préconisation du groupe a été d’élaborer une procédure pilote entre les établissements partenaires de la Communauté du savoir en ciblant 3-4 diplômes de masters éligibles à l’inscription d’une formation doctorale donnée. L’idée est de démontrer la valeur ajoutée d'un réseau comme la Cds et notamment sa capacité à favoriser des synergies interdisciplinaires.

Formations continues

Le groupe de travail a livré les préconisations suivantes :

  • Proposer des partages d’expérience pédagogique entre les acteurs du réseau ;

  • Faciliter les échanges de pratiques en termes d’activités métier opérationnelles (intitulé des offres de formation, partenariats dans les formations continues, mise à disposition de ressources en ligne) ;

  • Constituer un annuaire des personnes-ressources dans chaque établissement.

Formations initiales

Sur la base d’une analyse des situations de formations bi ou tri-nationales existantes, de la typologie de ces situations sur la base de leur organisation (doubles diplômes, élaboration de titres commun, …), quelques recommandations ont été proposées :

  • combiner des formations existantes afin de déboucher sur des "doubles diplômes " ;

  • intégrer dans des programmes au sein de différents établissements des modules de cours/formations construits en communs ;

  • développer un « annuaire » d’enseignant-e-s (par discipline/compétence) qui pourrait faciliter l’émergence d’un tel ensemble de cours;

  • développer un référentiel d'aides à la mobilité des étudiant-e-s (identification de lieux de stages, ...).

Offensive Sciences

Ce groupe a orienté ses travaux sur trois niveaux :

  • Etudier le fonctionnement du programme de financement des travaux de recherche « Offensive Sciences » de la Région Métropolitaine Trinationale (RMT);

  • Explorer des pistes de réflexions autour de nouveaux outils de financement pour la recherche dans le réseau de la Communauté du savoir;

  • Exprimer des recommandations pour les futures programmations de la Communauté du savoir sur le sujet.

Toutefois, il était impossible pour ce groupe de produire des résultats directement exploitables, les enjeux évoqués étant plutôt de nature "politique". Les discussions devront donc se poursuivre au sein du comité de pilotage et des responsables d'établissements de la Cds, la mise en place éventuelle d'un fonds de ressources mutualisées relevant de ce niveau de décision.

En parallèle à ces différents groupes de travail, des études et actions ont été menées qui ont permis de proposer des guides de financements, un soutien à la mobilité des collaborateurs et collaboratrices des structures académiques de la Cds, la mise en place de stages et séminaires communs, l'identification d'expert-e-s pour la constitution de jurys et l'offre d'une solution de visioconférence flexible pour les membres de la Cds.

Un accent important a également été mis sur les actions de communication : site internet, cartographie en ligne des acteurs du territoire, Webcastings et captations d’événements organisés par les partenaires de la Cds, plateforme de partage de fichiers/documents (GED), nouveaux outils de communication (flyers, livrets) pour faciliter la diffusion des objectifs du réseau auprès des différents publics-cibles et pour favoriser l'appropriation des différents financements proposés par les enseignant-e-s et les étudiant-e-s.

Les groupes de travail dits "actifs"

Jurassic Labs

Les FabLabs mettent à disposition de nouveaux dispositifs de fabrication numérique et la connaissance de leur utilisation.
L'intérêt de ces ateliers est de faire sortir la créativité des bureaux d’études et des laboratoires universitaires en ouvrant à la population des lieux d'expérimentation accessibles.

L’autre force des FabLabs est de mettre en relation des types de personnes qui ne se rencontrent généralement pas, ou peu : étudiant-e-s et spécialistes de différents domaines ; universitaires et industriel-le-s, artistes et ingénieur-e-s, générations différentes.  

Jurassic Labs propose d’étendre ces mises en réseaux, internes à chaque FabLab, à tous les FabLabs et structures de créativité (existants ou futurs) du territoire de la Communauté du savoir. Il propose également que ce réseau devienne le lien naturel de tous ces territoires pour ce qui est des questions de créativité et d’innovation. Les FabLabs offrent en outre l’avantage d’être neutres, entre industries et universités, entre économie publique, économie privée et économie collaborative, un territoire commun où tout le monde se sent à l’aise pour interagir.

L’objectif de Jurassic Labs est ainsi résumé : créer des ponts verticaux entre trois niveaux identifiés :

Sphère «maker» = espace citoyen ( Fablabs, HackerSpaces, MakerSpaces etc.).

Sphère «professionnelle» = espace de l’économie privée (réseau des centres créatifs [sens large], pépites, etc., connecté aux entreprises, start-ups, chambres de commerce, etc.).

Sphère «institutionnelle» = espace de l’économie publique (réseau des institutions [hautes écoles, universités], connecté au monde politique).

Deux actions principales ont pu être développées par ce groupe :

  • un FabLab mobile transfrontalier dans l'Arc jurassien, plus particulièrement à destination des publics scolaires, via des modules pédagogiques; une version expérimentale de ce FabLab mobile circulera côté France d’ici la fin 2018;

  • une forte implication au Crunch à Belfort en mai 2018, apportant ainsi un soutien « maker » aux 1'500 participant-e-s de ce hackathon universitaire et industriel.

ArcLab

Projet pilote et expérimental, l'action ArcLab a été mise en place à la rentrée 2018 avec pour objectifs l’identification et la définition de compétences pour des professions emblématiques du territoire, en lien avec les enjeux du 4.0 identifiés comme prioritaires par le Comité de pilotage.

Deux ateliers ont permis aux enseignant-e-s/chercheurs et chercheuses de la Cds d’identifier les professions sur lesquelles travailler et de poser les bases des compétences-clefs présentes et à venir, et profils-types qui les composent. A cette occasion, quatre professions emblématiques ont été identifiées (e-firmier-ère, community commerçant-e, digital transgénieur-e et digital transformateur-trice).

Cette expérimentation permettra la réalisation de vidéos thématisées sur chacune des quatre professions étudiées, à destination des établissements membres du réseau et des collectivités publiques.

Les bibliothèques de la Cds

Chacune des 7 institutions partenaires dispose d'une (ou d'un réseau de) bibliothèque(s) que l’on peut identifier sur cette carte :

Ces bibliothèques partagent 20 lieux physiques et emploient 150 collaborateurs et collaboratrices environ.  Certaines sont rassemblées en un seul lieu (pour des domaines différents), d'autres sont réparties sur un territoire géographique de type campus. Elles ont également en commun d'avoir comme principal public les étudiant-e-s et enseignant-e-s de leur établissement, ainsi que des chercheurs et chercheuses orientés "métier". Mais les personnes privées et professionnelles sont également bienvenues et présentes dans ces structures.

Toutes ensemble ces bibliothèques conservent et mettent à disposition de leurs publics environ 1.000.000 de documents papier et elles traitent environ 420.000 prêts par an.  Organisées en consortiums dans leurs pays respectifs, elles proposent en outre un nombre imposant de ressources en ligne aux membres de leurs institutions.

Dès les balbutiements du réseau, ces mêmes bibliothèques se sont regroupées et ont immédiatement perçu l'intérêt qu'elles auraient à collaborer.  Non seulement elles sont toutes pilotées au sein d'une institution d'enseignement supérieur mais en plus, les thématiques qu'elles couvrent sont parfois proches, voire très proches et donc complémentaires en terme de fonds documentaires (bibliothèques « jumelles » de part et d’autre de la frontière). 

Très rapidement, elles ont mis en place des actions simples de collaborations basées sur une charte qui part du principe de base de réciprocité et qui favorise la mise en réseau de bibliothèques membres. Cette charte s’établit sur une base d’égalité et d’avantages mutuels.

Dès avant la signature de l'«accord-cadre» validé par les responsables des institutions partenaires en juillet 2017, les différentes actions prévues ont immédiatement été mises en œuvre ou en chantier.  Il s'agit de :

 1 : Accueil réciproque des étudiant-e-s des établissements membres de la Cds

Cela signifie que toute personne inscrite dans une de ces bibliothèques bénéficie gratuitement d’une carte de bibliothèque dans un autre établissement membre.

Ainsi les étudiant-e-s qui optent pour un parcours mixte (voir par exemple le partenariat mis en place entre la HE-Arc ingénierie et l'UTBM) ont accès aussi bien aux ressources de la bibliothèque de leur institution d'affiliation qu'aux ressources de la bibliothèque du lieu sur lequel ils poursuivent leur formation.

2 : Prêts entre bibliothèques

Les bibliothèques ont établi une procédure très simple qui permet, grâce à la mutualisation des liens vers les catalogues en ligne (voir plus loin), de demander en prêt entre bibliothèques un ouvrage détenu par une bibliothèque partenaire de l'autre côté de la frontière. La communication se fait par e-mail et une plateforme collaborative permet d'enregistrer les échanges ainsi convenus. Les prêts sont accordés gratuitement par les bibliothèques partenaires et les frais de livraison par poste sont centralisés et pris en charge par le budget Cds du groupe de travail. En effet, afin de favoriser les prêts transfrontaliers entre bibliothèques partenaires, les frais engagés pour la bonne marche de ces échanges de documents sont pris en charge par le réseau Cds. 

3 : Mutualisation des catalogues

Par le biais d’une carte des bibliothèques partenaires publiée sur le site web de la Cds, les membres ont accès à tout moment aux catalogues des bibliothèques et à leurs coordonnées.

Un document interne partagé permet également de disposer des contacts-clés dans cette organisation pour que la communication se fasse directement avec la bonne personne (essentiellement les collaborateurs et collaboratrices qui gèrent le prêt entre bibliothèques).

Cet aspect de la collaboration entre bibliothèques est bien sûr évolutif : si la plupart des fonds documentaires des partenaires français sont accessibles en interrogeant un seul catalogue (le Sudoc donne accès aux collections des bibliothèques de l’enseignement supérieur et de la recherche et permet de visualiser la localisation des exemplaires et donc leur disponibilité dans les bibliothèques participantes), les partenaires suisses sont membres soit du réseau Nebis, soit du réseau RERO dont l’interrogation est un peu plus complexe pour les collègues français.  On s’aperçoit que dans ce cadre, la solution Worldcat peut être plus intéressante mais on se réjouit surtout de voir les bibliothèques académiques suisses rassemblées prochainement dans un seul réseau SLSP  à l’horizon 2021.

4 : Cartographie des thématiques

En cours de réalisation, cette carte permettra de visualiser rapidement les thématiques fortes de chaque bibliothèque partenaire. Cet outil est conçu pour assister aussi bien les personnels concernés que les publics intéressés et leur permettra d’identifier plus facilement les catalogues à interroger en priorité pour obtenir des réponses précises et immédiates à leurs recherches documentaires. Il permet également de visualiser rapidement quelles bibliothèques sont complémentaires en termes de fonds et d’orienter ainsi immédiatement le public vers la bibliothèque qui répondra le mieux à ses attentes selon le lieu où il se trouve.

Une chargée de mission a été engagée par la Communauté du savoir pour une période de 7 mois afin de réaliser ce projet qui demande une analyse plus précise des partenaires, de leurs fonds et de leurs services parallèlement à leur offre de formation.

Une version beta de cette carte est publiée sur le site web de la Cds.  Elle pourra être mise à jour au fur à mesure de l'évolution des politiques documentaires des bibliothèques partenaires et sera relayée également sur les sites web de ces mêmes bibliothèques.

5 : Mutualisation de supports de communication

Un ensemble de supports ont été réalisés sur budget de la Cds pour permettre aux bibliothèques participantes d’informer

  • d'une part les équipes en charge de la mise en pratique des échanges convenus,
  • et d'autre part leurs publics selon un processus « réseau » clairement identifié.

Pour leurs équipes, les membres du groupe ont élaboré des affiches qui permettent d'identifier clairement le rôle du groupe du travail et le cadre dans lequel il évolue.  Ces affiches ont pour thèmes :

  • Les systèmes éducatifs en France et en Suisse ;
  • Le réseau de bibliothèques et notamment : les lieux, les personnels, les environnements de travail, les publics, les catalogues et réseaux documentaires des uns et des autres ;

  • Les collections et chiffres-clés des bibliothèques ;
  • La carte des bibliothèques des établissements partenaires.

Ainsi les personnels des bibliothèques qui, sur le terrain, mettent en œuvre les échanges convenus entre les membres du groupe de travail ont une meilleure compréhension des situations des bibliothèques et de leurs réseaux dans leurs pays respectifs, et peuvent à leur tour promouvoir les services de la Communauté du savoir en exploitant les avantages de ces échanges au bénéfice de leurs lecteurs et lectrices.

Un élément important de cette communication interne est évidemment l'engagement des parties à respecter la législation nationale et les règlements intérieurs de chaque structure en matière de propriété intellectuelle et commerciale, y compris en matière de reproduction des œuvres. Elles s’engagent également à les faire respecter par leurs publics.

Pour communiquer cette fois avec ces mêmes publics, existants ou potentiels, et les informer des services que ce réseau peut leur offrir, le groupe de travail a également conçu des supports d'information mutualisés qui peuvent être partagés sur les sites web des bibliothèques et/ou institutions partenaires ainsi que sur les réseaux sociaux quand les bibliothèques disposent de tels supports de communication. Faire connaître les accès supplémentaires aux ressources documentaires que permet l’affiliation des bibliothèques à la Communauté du savoir est également un enjeu important de cette communication.

Enfin, dans l’idée de profiter de retours d'expériences entre elles, les bibliothèques ont également en projet le partage entre professionnel-le-s uniquement d'une newsletter par laquelle chaque membre peut informer les autres d'une initiative ou d'une animation particulière et de ses résultats. Cet échange de bonnes pratiques permet aux partenaires d'exploiter à leur façon des formats d'expériences nouvelles en les adaptant à leur propre structure.

6 : Projet de service questions-réponses

Selon l'évolution de la prise en charge du réseau par ses partenaires en 2019, le groupe bibliothèques a pour projet de mettre sur pied un service de questions-réponses à l'échelle transfrontalière. Il fait actuellement l'objet d'une étude de faisabilité et devrait bénéficier du soutien ponctuel d'une personne externe pour la mise en place et la réalisation concrète de cette action. Il pourrait dans un premier temps être intégré pour une phase test dans les bibliothèques de l’UFC à Besançon et, dans un deuxième temps, fédérer les unes après les autres toutes les bibliothèques affiliées à la Cds. Un tel service serait d’une grande richesse pour tous les publics de nos bibliothèques quelle que soit leur localisation géographique.

En conclusion, le groupe de travail «bibliothèques» de la Communauté du savoir est fier d’avoir pu mettre en place très rapidement des services documentaires transfrontaliers simples tout en poursuivant une réflexion de fond sur les projets qui pourraient profiter aux publics des bibliothèques participantes, qu’ils soient étudiant-e-s, enseignant-e-s, chercheurs, chercheuses ou membres à quelque titre que ce soit des institutions partenaires.

Et même si immédiatement, au sein de cette communauté, notre démarche collaborative nous a permis d’enrichir nos services par un prêt entre bibliothèques au niveau international, d’enrichir nos connaissances « métier » par le partage de nos bonnes pratiques et de réfléchir à la faisabilité d’un service transfrontalier de questions-réponses, nous abordons également ensemble toutes les questions que l'évolution de notre métier va nous amener à nous poser dans un proche avenir et notamment :

  • La définition de thématiques partagées puisque développer nos partenariats permet de mutualiser les ressources et de miser sur des points forts dans une optique de complémentarité (réduire les coûts, gagner en efficacité, exploiter les compétences expertes) et de se tourner vers une économie d’accès plutôt qu’une économie de stock ;

  • L’identification d’un service commun et uniformisé pour un public de plus en plus mobile qui pourra bénéficier du développement des synergies particulièrement encouragées dans un environnement géographique européen;

  • La promotion des résultats de la recherche et de la valorisation des données en partageant nos archives institutionnelles et nos ressources en open access ;

  • L’accès aux ressources documentaires et la prise en charge de nouvelles responsabilités dans le domaine des données de la recherche;

  • La communication via les réseaux sociaux qui permettent de faire connaître nos services et activités et participent au rayonnement des bibliothèques.

Si les défis à relever se nomment « recentrer les bibliothèques au cœur de l’apprentissage » pour qu’elles soient le relais des savoirs, « connecter les chercheurs et chercheuses avec leur bibliothèque » afin qu’ils bénéficient d’une expertise à leur service et qu’ils puissent utilement préciser leurs besoins, « rendre visibles les bibliothèques et en simplifier l’accès » grâce au développement de solutions réciproques, alors nous sommes au bon endroit avec les bonnes personnes pour les relever !

Pour le groupe de travail des bibliothèques de la Communauté du savoir :

Agnès Dervaux-Duquenne, bibliothécaire-responsable

Haute Ecole Arc Ingénierie

Agnes.dervaux@he-arc.ch

Notes

[1][Consulté le 20.06.2018]

[2] ©Ex Libris

Sources et liens utiles : 

http://www.communautedusavoir.org/

http://www.conference-transjurassienne.org/

http://www.arcjurassien.ch/

http://jusassiclabs.org

http://www.communautedusavoir.org/nos-actions/les-bibliotheques-arc-jurassien/

http://www.communautedusavoir.org/nos-actions/les-bibliotheques-arc-jurassien/groupe-de-travail-des-bibliotheques/

Groupe de travail des bibliothèques - documents internes

© des illustrations : Cds

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Rechercher l’information stratégique sur le web : sourcing, veille et analyse à l’heure de la révolution numérique

Ressi — 20 décembre 2018

Claire Wuillemin, Haute Ecole de Gestion, Genève

 

Rechercher l’information stratégique sur le web : sourcing, veille et analyse à l’heure de la révolution numérique

À la suite de la co-direction d’un cabinet spécialisé en veille technologique et de plusieurs années à l’Infothèque du pôle universitaire Léonard de Vinci, Véronique Mesguich est depuis 2012 consultante et formatrice freelance pour les domaines de la maitrise de l’information, de la veille stratégique et de l’intelligence économique. Ce dernier livre constitue une mise à jour bienvenue des différentes éditions de Net Recherche (rédigées alors en collaboration avec Armelle Thomas), le dernier datant de 2013. Elle propose ici théorie, méthodes, outils et études de cas sur la recherche d’information sur le web et la mise en place d’une veille efficace. Bien que ce sujet ait déjà fait l’objet de nombreux ouvrages de qualité, ce livre va plus loin en remettant la recherche d’information et la veille dans le contexte actuel du numérique –Big data, internet des objets, intelligence artificielle et nouveaux supports comme les smartphones – et actualise les outils, sources et compétences nécessaires pour sa mise en œuvre.

Publié en 2018, Rechercher l’information stratégique sur le web : sourcing, veille et analyse à l’heure de la révolution numérique s’inscrit dans la préoccupation très actuelle de développer les compétences informationnelles afin que tout un chacun puisse développer une véritable littératie numérique et évoluer en homo numericus. Comme l’indique son titre, ce livre s’attache à des questions de recherche d’information et de veille, et cherche en particulier à fournir des réponses aux questions suivantes :

  • Comment optimiser la recherche d’information afin de minimiser la redondance et la perte d’information ?

  • Comment et où collecter de l’information stratégique ?

  • Comment juger la qualité de l’information recueillie ?

À cette fin, le lecteur est accompagné à travers un cheminement logique sur les vastes thèmes de la recherche d’information et la veille à l’aide d’une structure solide de cinq chapitres qui s’enchainent avec cohérence. Son livre s’ouvre ainsi sur un chapitre qui pose de manière étendue le paysage du web en 2018 c’est-à-dire les enjeux qui se posent aujourd’hui pour les utilisateurs et les professionnels de l’information mais définit également tous les aspects techniques qui y sont liés ainsi que les principales tendances qui se profilent pour ses usages et ses évolutions.

Quelles sont donc ces forces qui agitent le web ? Pour commencer, on notera l’avènement du mobile first au sein de Google, qui dans un avenir proche privilégiera la version mobile des pages web pour son indexation. Ce tournant est le témoin d’une utilisation du web de plus en plus nomade. Les veilleurs et autres professionnels de l’information devront également prendre en compte les nouveaux usagers des réseaux sociaux. Apparus il y a une quinzaine d’années, ces derniers sont devenus incontournables dans la panoplie des sources d’informations. Les questions politiques et économiques s’introduisent également dans le paysage du web : neutralité du web, contenus ouverts, gratuits ou payants, le droit à l’oubli numérique et le fameux RGPD (règlement général européen sur la protection des données personnelles). L’auteure n’entre pas forcément dans le détail de ces diverses actualités, choisissant parfois de les développer dans des chapitres ultérieurs ou de laisser le soin au lecteur de trouver davantage de réponses par lui-même. La force de cette partie est indéniablement la pertinence et la quasi-exhaustivité des thématiques qui y sont abordées, qui permettent au lecteur d’entrer dans le sujet de l’ouvrage avec la connaissance des forces et des tendances qui s’y exercent. On saluera finalement la présence d’un lexique sur le jargon et les grands concepts du web, fort utile pour déchiffrer les nombreux acronymes courants.

Véronique Mesguich se lance ensuite dans le vif du sujet à travers un chapitre conséquent qui se propose d’explorer le vaste sujet qu’est la recherche d’information. À l’instar de la partie précédente, l’auteure commence par un point de théorie en présentant les typologies et le fonctionnement de la recherche d’information ainsi que les différents outils mobilisés par celle-ci, en particulier les moteurs de recherche. Il est appréciable que le fonctionnement et les attributs de ces derniers soient expliqués en détail, car si un grand nombre d’internautes suit la devise du « je Google donc je sais », une minorité est au courant des subtilités du page ranking et autres algorithmes et des biais que ceux-ci peuvent amener dans les résultats. Une liste d’alternatives à Google plus respectueuses de la vie privée est d’ailleurs proposée. La seconde grande section de ce chapitre décrit en détail les subtilités du choix des mots-clés de recherche et de la construction de requêtes, notamment à l’aide d’opérateurs et des fonctions de recherche avancée additionnés aux techniques d’optimisation de la recherche. Là encore, un certain nombre d’opérateurs et d’astuces sont proposés pour les recherches sur Google, mais également sur Qwant, Facebook, Twitter, Linkedin, ResearchGate et Academia. Un tableau récapitulatif permet d’obtenir en un coup d’œil les principaux opérateurs, étayés d’une définition ainsi qu’une liste des différents outils qui les utilisent. Le chapitre s’achève avec une brève typologie des sources d’information, des outils de bookmarking et d’une synthèse sur la méthodologie générale de la recherche d’information.

Suite à cette présentation des méthodes, sources et outils pour satisfaire un besoin d’information ponctuel, le lecteur est ensuite invité à se plonger dans la veille proprement dite. Tout d’abord, il est question de définir la veille, c’est-à-dire sa typologie et son fonctionnement. Puis, il est brièvement question du plan de veille, de son rôle et de son utilité. On regrette que cette section ne soit pas allée un peu plus loin pour présenter cet outil, ni n’en n’ait fourni un exemple, qui se serait avéré utile pour illustrer le propos et donner une idée au néophyte de la forme que peut avoir ce tableau de bord essentiel de la veille.

Cette partie se poursuit avec l’automatisation de la collecte d’information. Sont bien évidemment mentionnés les flux RSS, les agrégateurs et générateurs de flux, les alertes dans les bases de données (pour douze bases de données différentes) sans oublier les agents d’alerte et de surveillance. Un précieux tableau proposé en fin de chapitre résume l’ensemble de ces outils en listant leur intérêt pour la veille, leurs avantages et inconvénients et leur coût. Un focus est ensuite fait sur la veille des réseaux sociaux. En effet, ceux-ci sont des sources relativement nouvelles dans la panoplie des veilleurs et l’hétérogénéité de leurs fonctionnements appelle à des outils et approches spécifiques pour en tirer les pépites informationnelles qu’elles contiennent. Dans cette idée, l’auteure propose des conseils et des ressources pour surveiller Twitter, Facebook, Linkedin, Instagram, Pinterest et Youtube.

L’avènement des réseaux sociaux n’a néanmoins pas que des avantages, car les fake news rôdent. Comment s’assurer de la qualité et l’authenticité de l’information dans ces conditions ? La masse de l’information, appelée parfois infobésité ajoute une seconde difficulté à cet effort. L’analyse de l’information n’est pas toujours naturellement évoquée dans la veille, pourtant il s’agit d’une étape importante de ce processus. Véronique Mesguich passe en revue les ressources et les méthodes manuelles et automatiques à disposition pour évaluer l’information. Une fois l’information validée, le travail n’est pas encore terminé : il faut encore faire parler les données afin de rendre leur essence intelligible pour une audience sans pour autant y apporter de modifications. À cet effet, un rapide panorama de la data-visualisation est proposé et illustré à l’aide d’un tableau qui fait correspondre à des types de représentation les outils existants pour les créer.

L’ultime chapitre de cet ouvrage est un ensemble d’études de cas. À travers dix exemples communs de besoin d’information, l’auteure guide le lecteur à travers enjeux, ingrédients et étapes nécessaires pour y répondre. Ces besoins vont de l’étude documentaire pour une étude de marché, à la navigation anonyme, la surveillance de la concurrence en passant par la recherche de contenus académiques pour la rédaction d’une bibliographie. Évidemment, tous les besoins informationnels ne seront pas couverts par ces exemples, mais leur diversité devrait répondre aux attentes les plus courantes. Cela est par ailleurs une bonne façon de passer en revue et de mettre en pratique l’ensemble des approches, méthodes et outils vus dans les chapitres précédents.

En guise de conclusion, Véronique Mesguich catalogue une fois encore les tendances pour le web et la recherche d’information observables au premier trimestre 2018 et s’interroge sur la révolution numérique et les paradoxes que celle-ci a engendrés : l’explosion de la quantité d’informations disponibles versus sa qualité, la mémoire du web ou comment sauvegarder ses contenus dans ce contexte de big data et de revendication croissante du droit à l’oubli numérique ? L’auteure clôt son livre avec un plaidoyer pour la littératie numérique, soulignant l’importance pour tout un chacun de développer ses compétences, et espère que les nouvelles générations de digitial natives sauront prendre ce virage et montrer le chemin à suivre.

Critique

Le livre de Véronique Mesguich tient les promesses de son titre. On soulignera la richesse indéniable des thématiques abordées et le fait que le propos ne se limite pas à des méthodes et des outils, mais donne une place méritée au contexte et à ses tendances. On saluera aussi l’équilibre entre les différentes thématiques et la manière logique dont les propos s’enchaînent. Le lecteur n’est jamais laissé à lui-même, mais bien accompagné au long du cheminement du livre.

On peut se demander quel sont les publics cibles de cet ouvrage. En effet, si le paysage est vastement posé en termes d’hétérogénéité complémentaire des thématiques abordées, l’auteur ne rentre pas toujours suffisamment dans les détails pour permettre aux néophytes de comprendre les enjeux profonds de certains sujets. En ce sens, le livre semble s’adresser davantage à un public d’étudiant en sciences de l’information ou à des amateurs éclairés. De leur côté, les professionnels ne seront peut-être pas (toujours) surpris par les contenus abordés, car un certain nombre de connaissances leur seront déjà acquises, ou ils pourraient être laissés sur leur faim vis-à-vis de certaines thématiques pour lesquelles on aurait pu espérer une prise de position de l’auteur. Toutefois, l’intérêt du livre réside dans la réelle et consciencieuse mise à jour des savoirs, des connaissances et des outils, qui sera toujours utile pour les professionnels de la veille et de la recherche d’information, mais également dans le fait que celle-ci se fait de manière neutre, mais critique. De plus, la qualité synthétique des contenus, ses nombreuses astuces et ses tableaux récapitulatifs en fait un excellent support de cours dans le cadre d’une formation en sciences de l’information.

Le seul point noir de cet ouvrage est à imputer à l’éditeur : l’impression en noir et blanc des pages altère la qualité des captures d’écran et des illustrations contenues dans le livre et surtout en freine la compréhension par le lecteur.

Rechercher l’information stratégique sur le web : sourcing, veille et analyse à l’heure de la révolution numérique est un ouvrage à mettre entre les mains de toutes les personnes qui cherchent à parfaire leurs compétences de recherche d’information et/ou de veille, ou qui souhaitent mettre à jour leurs connaissances sur ces sujets. On en encouragera également la lecture par les étudiants, quel que soit leur domaine, afin de les sensibiliser aux écueils du net à l’heure de la toute-puissance des GAFAM et de leur donner les armes nécessaires pour les éviter.

Bibliographie

MESGUICH, Véronique, 2018. Rechercher l’information stratégique sur le web : sourcing, veille et analyse à l’heure de la révolution numérique. Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur. Information & stratégie. ISBN 978-2-8073-1578-5.

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Consommer l’information : de la gestion à la médiation documentaire

Ressi — 20 décembre 2018

Siham Alaoui, M.S.I., Étudiante au doctorat en archivistique, Département des sciences historiques, Université Laval, Québec (QC), Canada

 

Consommer l’information : de la gestion à la médiation documentaire

Les développements technologiques ont changé les rapports entre les archivistes, les archives et le grand public. La fonction des archives se modifie dans la société, d’autant plus que l’archiviste, ce gardien de la mémoire, jouit désormais de nouveaux rôles socioculturels dans la médiation documentaire. Les usagers changent de positionnement : autrefois des simples récepteurs passifs de l’information documentaire, ils deviennent des sujets numériques qui participent activement à la chaîne archivistique. Une telle participation oriente l’archivistique vers une nouvelle posture épistémologique, celle de la collaboration et de l’ouverture. Elle dicte la révision des mécanismes de la diffusion des archives et les modalités de leur exploitation. Cet ouvrage est un recueil des réflexions d’un ensemble de spécialistes, issues des présentations faites sur la thématique abordée au 45ème congrès de l’Association des archivistes du Québec (AAQ), tenu le 13, 14 et 15 juin 2017 sous le thème : Consommer l’information, de la gestion à la médiation documentaire. Il est édité par Martine Cardin et Anne Klein, respectivement professeures titulaire et agrégée en archivistique au département des sciences historiques de l’Université Laval. L’ouvrage est structuré en deux grandes parties : la première, plus courte, aborde les postures épistémologiques et éthiques de l’archivistique collaborative, tandis que la deuxième traite de la médiation documentaire entre les institutions, les archivistes, les archives et les usagers.

Martine Cardin et Christian Desîlets, en exposant le cas des archives de la publicité, abordent une nouvelle perspective de l’archivistique à l’ère du numérique, soit celle de l’archivistique ouverte. Cette nouvelle approche retrouve ses bases dans les fondements du marketing ouvert. Elle est issue d’un besoin de valorisation des archives, intervention qui nécessite désormais l’implication de l’usager et qui induit une médiation documentaire multidirectionnelle entre les parties prenantes d’un système d’exploitation des archives. Didier Devriese s’attarde sur la valeur du document d’archive et considère qu’elle n’est pas jugée seulement par le producteur de celui-ci, mais aussi par son usager. Il rappelle que les métadonnées documentant le contexte de création des documents d’archives favorisent leur réexploitation et leur restitution par les usagers actuels et potentiels. Il conclut que l’archiviste n’est pas le seul acteur à intervenir dans la médiation documentaire, puisque c’est aussi à l’usager qu’incombent la responsabilité de l’évaluation des archives et l’interprétation de leur signification. Jean-Philippe Legois rejoint la même conception de médiation collaborative, mais se positionne plutôt dans la sphère des témoignages oraux. Il se sert de l’exemple de la Cité des mémoires pour illustrer les particularités de la mémoire collective estudiantine en France et les enjeux liés à sa préservation. Dans ce sens, il évoque l’expression de l’archivistique intégrale pour mettre en avant le rôle de l’archiviste dans la constitution et la préservation de la mémoire sociétale à travers la collecte d’archives privées en lien avec les activités des institutions publiques. Toutefois, l’archiviste n’y est pas un intervenant unique puisque la gestion et la sauvegarde de la mémoire collective orale fait également appel à d’autres intervenants, dont les producteurs et les usagers.

Guillaume Boutard examine la médiation documentaire sous la loupe de la conservation collaborative et distribuée des œuvres musicales numériques. L’auteur souligne le principal défi lié à la conservation des œuvres musicales numériques : d’être en mesure d’étudier et de réinterpréter une œuvre, et non seulement de conserver une performance unique à travers la captation d’un événement. L’auteur explique la tension entre l’œuvre artistique et le cycle de vie de sa conservation, et souligne l’importance d’une médiation documentaire adaptée à la nature de telles œuvres. Après l’exposé d’une étude de cas, il met l’accent sur la collaboration dans les pratiques de la conservation des œuvres musicales numériques, et ce, dans un contexte de médiations technologiques.

Sylvain Senécal aborde une autre facette de la médiation documentaire, celle de la tension entre la préservation et l’oubli. Il postule que la mémoire revêt des aspects sociaux qui soutiennent les processus de la réinvention des connaissances. Elle constitue aussi un fruit de la transaction entre l’individu et la société. Son intelligibilité et sa valeur sont déterminées non seulement par l’archiviste, mais aussi par les créateurs/producteurs des archives. Ainsi importe-t-il d’établir une chaîne de médiation documentaire continue entre ces divers acteurs.

À l’ère du numérique, la médiation documentaire collaborative fait naître de nouvelles responsabilités pour les institutions culturelles et les archivistes à l’égard des usagers. C’est dans ce contexte que Paul Servais s’interroge sur l’avenir de la profession de l’archiviste et la relation de celui-ci avec les usagers. Les réflexions de l’auteur mobilisent les constats tirés d’un projet nommé : Archives et archivistes dans 15 ans. Selon lui, l’archiviste n’est plus perçu comme un simple gardien du trésor des archives : ses missions vont au-delà du périmètre des institutions publiques pour englober patrimoine et mémoire au service de la société. Il endosse un rôle plus actif dans la médiation documentaire avec les usagers, et ce, dans la diversité de leurs profils.

Stéphan La Roche fait le portrait de l’expérience du Musée de la civilisation dans la médiation documentaire/culturelle à l’ère du numérique. Il s’attarde sur les enjeux du numérique dans le milieu de la culture et du patrimoine, et met l’emphase sur la réingénierie culturelle des rôles et fonctions associés à la conservation de la mémoire publique. Il postule que la mise en ligne des œuvres ne garantit pas leur intelligibilité : c’est le point sur lequel les musées sont appelés à redéfinir leurs rôles. Le numérique autorise une dimension supplémentaire : il ouvre les portes au grand public pour s’impliquer dans le processus de l’établissement des interactions entre les contenus et les contextes. L’auteur expose ensuite l’expérience du Musée de la civilisation et ses interventions dans le cadre de la transition vers le numérique et la redéfinition des responsabilités qu’il implique pour les archivistes et les conservateurs du patrimoine.

Laure Amélie Guitard, en présentant les résultats de sa recherche doctorale, définit la médiation culturelle dans un contexte différent, celui de l’entrevue de référence entre l’archiviste et l’usager. Inspirée de la conception muséologique, l’auteure voit la référence comme un acte de communication. Elle liste et décrit les étapes et l’entrevue de référence et les concrétise par des exemples pertinents. Elle démontre que, finalement, l’archiviste est à la fois un agent de médiation culturelle (i.e. transmission des archives) et sémantique (i.e. transmission du sens en décortiquant la portée du besoin informationnel de l’usager et en lui suggérant les sources d’archives qui répondent le mieux à ses attentes).

Annaëlle Winand discute de l’exploitation des archives audiovisuelles numériques par les artistes dans le cadre du cinéma de réemploi, et plus précisément dans l’optique de la production des films expérimentaux. Elle projette un regard archivistique sur le travail du cinéaste Bill Morrison. Elle analyse l’œuvre Decasia sous quatre facettes, soit la matérialité, le contexte, le dispositif et le rôle assigné au public. Sa réflexion débouche sur le constat selon lequel la dimension affective de l’archive intervient dans le processus de la médiation documentaire, et ce, dans la mesure où elle incite le spectateur à devenir une partie intégrante de l’œuvre artistique.

Anne Klein et Yvon Lemay s’intéressent à la question de la diffusion et de l’exploitation des archives. Ils mettent tout d’abord le point sur l’évolution de l’archivistique, de la conception classique à la vision postmoderne. Cette transition redéfinit les missions de l’archiviste dans un vecteur sociétal plutôt qu’institutionnel. Les auteurs présentent le projet Archives et création (de 2013 à 2016) visant à étudier l’exploitation des archives numériques comme un levier à la construction de l’espace de médiation à créer entre l’archiviste et l’usager. Afin de valoriser l’exploitation dans la chaîne archivistique, ils proposent une révision du modèle australien de la gestion documentaire, soit le Records Continuum, en ajoutant cette fonction (i.e. exploitation) aux quatre autres dimensions comme dimension dialectique.

Le sujet de l’ouvrage s’inscrit dans la continuité de la polémique sur le repositionnement de l’archiviste dans une perspective de transition entre les sphères institutionnelle et sociétale, de même que sur le numérique et l’essor des pratiques culturelles. Aussi, il devient de plus en plus crucial de se focaliser sur l’usager qui est désormais perçu comme un acteur numérique actif dans la médiation documentaire. La diversité des perspectives adoptées par les auteurs constitue la richesse de l’ouvrage: les contributeurs se positionnent tantôt dans la perspective des sciences historiques, tantôt dans celle des sciences de l’information, de la muséologie, voire même des sciences sociales connexes, telles que la communication, les études cinématographiques et la musique. Toutefois, tous se rejoignent dans la même idée : percevoir l’usager au centre de la médiation documentaire, valoriser le rôle de l’archiviste dans la société et encourager l’esprit de collaboration archivistique. La variété des approches épistémologiques justifie bien à quel point l’archivistique est une discipline souple qui s’insère dans l’interdisciplinarité avec les autres sciences humaines et sociales.

L’aspect novateur de cet ouvrage réside dans la nouvelle approche de l’archivistique, soit celle de l’archivistique ouverte. Elle résulte de l’interdisciplinarité entre l’archivistique et le marketing ouvert. Cette nouvelle conception axée sur la collaboration, témoigne de la nécessité de la concertation des interventions archivistiques d’un ensemble d’acteurs, et non seulement l’archiviste. Aussi, elle implique le sens multidirectionnel selon lequel la médiation documentaire se réalise, où le consensuel en devient la pierre angulaire. Cet ouvrage est ainsi une référence incontournable pour la communauté archivistique – scientifique et professionnelle – qui s’intéresse aux mutations archivistiques actuelles, notamment dans une perspective sociétale.

Bibliographie

Cardin, Martine et Anne Klein. 2018. Consommer l’information : de la gestion à la médiation documentaire. Québec : Presses de l’Université Laval, 181p. ISBN : 139782763739243

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La Perspective du Continuum des archives illustré par l’exemple d’un document personnel

Ressi — 20 décembre 2018

Viviane Frings-Hessami, Monash University, Australie

Résumé

La théorie du Continuum des archives développée en Australie peut apparaître complexe et difficile à appliquer à des exemples concrets. Certains parmi ses écrits de base sont denses et compliqués, et la littérature archivistique n’offre pas beaucoup d’exemples pratiques de son application. Dans les pays non anglophones, la situation est exacerbée par des problèmes de traduction et par le manque de textes écrits par des auteurs qui se placent dans la tradition du Continuum. Cet article écrit par un auteur francophone qui a étudié et enseigné le Continuum en Australie s’efforce de combler cette lacune dans la littérature archivistique francophone. Il présente une explication du Continuum des archives illustrée par un exemple simple, celui d’une photo de famille. Il discute différentes utilisations de cette photo par des utilisateurs divers à des moments et dans des endroits divers et pour des fins diverses afin de montrer comment une perspective de Continuum peut être appliquée à des documents personnels aussi bien qu’à des documents d’affaires et comment elle peut encourager un système de gestion des archives efficace, orienté vers l’avenir et qui permettra de remplir les besoins de tous les utilisateurs.

Abstract

The Continuum theory developed in Australia may appear complex and hard to apply to concrete cases. Some of its core writings are dense and complicated, and there are not many practical examples of its applications in the archival literature. In countries where the main language is not English, the situation is compounded by problems of translations and by the paucity of texts written by authors who position themselves in the Continuum tradition. This article, written by a Francophone author who has studied and taught the Continuum in Australia, aims to address this gap in the Francophone literature. It presents an explanation of the Records Continuum illustrated by a simple example, that of a family photograph. It discusses multiple uses of the photograph by multiple users in different times and places and with different aims in order to illustrate how a Continuum perspective can be applied to personal records as well as to business records and how it can foster a records management system that is effective and forward-looking and that will meet the needs of all the users.

La Perspective du Continuum des archives illustré par l’exemple d’un document personnel

Introduction 

La théorie du Continuum des archives développée en Australie peut apparaît complexe. Certains parmi les écrits de base sont compliqués, denses et parfois difficiles à suivre (Piggot, 2010 ; p. 180), et la littérature n’offre pas beaucoup d’exemples pratiques de son application. Dans les pays non-anglophones, la situation est exacerbée par des problèmes de traduction qui entraînent des confusions et par le manque de textes écrits par des auteurs qui se placent dans la tradition du Continuum. Dans cet article, je m’efforce de combler cette lacune dans la littérature archivistique francophone. Je me base sur mon expérience personnelle de six années passées à étudier, enseigner et faire des recherches sur le Continuum des archives à l’Université Monash où le modèle fut développé. Je présente une explication du Continuum des archives illustrée par un exemple simple que tous les lecteurs peuvent facilement relier à leur expérience personnelle, celui d’une photo de famille. Je discute différentes utilisations de cette photo par des utilisateurs divers à des moments et dans des endroits divers et pour des fins diverses et je montre comment une perspective de Continuum peut être appliquée à des documents personnels aussi bien qu’à des documents d’affaires et comment elle peut encourager un système de gestion des archives efficace, orienté vers l’avenir et qui permettra de remplir les besoins de tous les utilisateurs.

Le modèle du Continuum des archives

Le modèle du Continuum des archives (Records Continuum) fut développé à l’Université Monash à Melbourne en Australie dans les années 1990 par Frank Upward et ses collègues Sue McKemmish, Livia Iacovivo et Barbara Reed afin d’expliquer les contextes complexes dans lesquels les documents sont créés et gérés à l’ère du numérique et de représenter les différentes perspectives selon lesquelles des documents peuvent être perçus (McKemmish 2017; Upward, 1996, 1997). Il s’appuie sur une tradition qui remonte à la notion d’un continuum entre les documents et les archives articulée pour la première fois dans les années 1950 par Ian Maclean, le directeur de la section des archives de la Bibliothèque nationale d’Australie (Maclean 1959, McKemmish, 2017). Le modèle met l’accent sur la continuité entre les documents et les archives et conteste la notion que les archives ne comprennent que les documents qui ont été sélectionnés pour être préservés à perpétuité. Dans la tradition du Continuum, les archives sont considérées comme archives dès le moment de leur création (McKemmish et al., 2010) et le concept de recordkeeping (écrit en un mot) englobe la création et la gestion des documents et des archives durant toute la durée de leur existence et quels que soient les usages qui en sont faits (McKemmish 2017; McKemmish et al., 2010).

Étant donné que le terme « archives » en français peut aussi être appliqué aux documents d’archives dès le moment de leur création[1], j’ai choisi de traduire Records Continuum par « Continuum des archives » et recordkeeping par « gestion des archives »[2]. Ces deux expressions représentent bien l’idée que les documents qui ont le potentiel de devenir un jour des archives permanentes doivent être traités avec soin dès le moment de leur création. Le recordkeeping, dans la tradition du Continuum, inclut aussi la gestion des systèmes d’archivage qui doivent être développés en tenant compte des besoins de l’organisme et des exigences législatives et mis en place avant que les archives ne soient créées de sorte que quand les archives sont créées, elles peuvent être immédiatement captées dans des systèmes qui préserveront leurs caractéristiques essentielles (McKemmish, 2017). La captation dans des systèmes archivistiques et l’attribution de métadonnées situent les archives dans un contexte précis à un moment précis et leur donnent un caractère fixe. Cependant, les archives sont perçues comme étant « toujours en devenir » (always in a process of becoming) (McKemmish, 1994 : p. 200), c’est-à-dire qu’elles sont toujours susceptibles d’être transformées par des nouveaux utilisateurs dans des contextes nouveaux.

Les caractéristiques fondamentales du Continuum des archives qui le distinguent d’autres modèles sont ses quatre dimensions. Les quatre dimensions ne sont pas des phases ou des étapes et elles ne se suivent pas dans un ordre déterminé, contrairement aux étapes du cycle de vie ou aux trois âges des archives. Elles coexistent parce que les archives sont impactées par les actions de différents acteurs et parce qu’elles peuvent être perçues de manières différentes par des utilisateurs différents.

Les quatre dimensions du Continuum des archives sont généralement représentées par quatre cercles concentriques (figure 1). Dans la première dimension, celle de la Création, des transactions prennent place et laissent des traces sous la forme de documents ou d’inscriptions[3]. Dans la deuxième dimension, celle de la Captation, les documents sont captés dans des systèmes d’archivage qui les situent dans un contexte précis et ajoutent les métadonnées nécessaires pour qu’ils puissent être utilisés comme preuves des transactions qui ont été performées. Les documents deviennent ainsi des records, des documents d’archives[4]. Dans la troisième dimension, celle de l’Organisation, les documents d’archives de différents services sont intégrés dans un système d’archivage au niveau d’un organisme de sorte qu’ils constituent des archives qui pourront être utilisées comme preuve des fonctions performées par l’organisme. Dans la quatrième dimension, celle de la Pluralisation, les archives sortent en dehors des confins de l’organisme qui les a créées et gérées de sorte qu’elles peuvent contribuer à la mémoire collective de la communauté générale et être réutilisées de façons multiples.

Figure 1 : Les quatre dimensions du Continuum des archives

Étant donné que les dimensions coexistent dans le temps et l’espace, une représentation tridimensionnelle en forme de cône ou de sphère serait mieux appropriée pour représenter le Continuum des archives, mais elle serait plus difficile à dessiner et à utiliser comme un outil pédagogique. La représentation plate du Continuum des archives avec ses quatre cercles concentriques permet de représenter sur un diagramme différentes perspectives selon lesquelles un document peut être perçu et les voies diverses qu’il peut suivre comme Barbara Reed (2005b) l’a fait dans un des textes clés du Continuum des archives et comme je vais le faire dans la section suivante.

Une photo de famille

Tout document, que ce soit un document personnel ou un document politique de la plus haute importance, peut être interprété différemment par des personnes différentes. Le même document peut être utilisé de diverses façons ou peut être analysé selon des perspectives diverses. Je vais illustrer ceci par un simple exemple, celui d’une photo de mariage.

Figure 2 : Une photo de mariage

La photo présentée ci-dessus (figure 2) fut prise au mariage de Daniel et Sophie au mois de septembre 1996 par le photographe engagé pour prendre les photos du mariage avec un appareil photographique argentique. Plusieurs exemplaires furent imprimés pour le jeune couple qui choisit d’en garder un pour eux et de donner les autres à quelques-uns de leurs parents et amis. Chacune de ces photos est un document différent qui va suivre une trajectoire différente. Toutes ces trajectoires peuvent être représentées sur le diagramme du Continuum des archives. Prenons quelques exemples :

  1. Les mariés : Daniel et Sophie insèrent la photo dans leur album de mariage avec les autres photos de leur mariage. Pour chaque photo, ils indiquent les noms des personnes présentes et parfois ajoutent quelques commentaires. Pendant les premiers mois après leur mariage, ils gardent l’album sur une petite table dans leur salon et le feuillettent souvent. Après quelques mois, l’album trouve sa place définitive sur une étagère à côté de leurs autres albums photos.

  2. Les parents : Les parents de Sophie reçoivent une photo. Ils la mettent dans un de leurs albums photos avec d’autres photos du mariage et d’autres photos de Sophie. Ils indiquent la date du mariage, mais pas les noms des personnes présentes. Ils gardent cet album avec leurs autres albums qui contiennent des photos de famille.

  3. Une cousine : Daniel envoie une photo par courrier à sa cousine qui habite en Australie. Elle la garde dans l’enveloppe avec laquelle elle est arrivée. Quoiqu’elle soit contente de la recevoir, elle ne prend pas le temps de la mettre dans un album photo et n’écrit pas la date, l’endroit ou les noms des personnes derrière la photo. Elle garde cette enveloppe dans une boîte avec les lettres envoyées par sa famille.

  4. Une amie : Sophie donne une photo à une de ses amies qui l’insère dans un album de souvenirs qui contient des photos de ses amies d’école. Elle indique le lieu, la date et le nom des personnes qu’elle connaît et décore la page avec des petits dessins. Elle garde cet album sur une étagère dans sa chambre.

Représentons maintenant ces actions sur le diagramme du Continuum des archives. Chacune des trajectoires commence dans la première dimension, mais chacune suit un chemin séparé puisque les photos sont captées dans des systèmes différents. La photo en possession de Daniel et de Sophie est insérée dans leur album de mariage (ligne rouge sur la figure 3). La copie donnée aux parents de Sophie est incluse dans un album de photos de Sophie (ligne verte), la copie donnée à l’amie de Sophie dans un album de souvenirs (ligne orange) et la photo envoyée à la cousine de Daniel dans une enveloppe (ligne bleue).

Figure 3 : Quatre utilisations de la photo

Aucune de ces photos n’est pluralisée. Aucune n’est rendue accessible en dehors du cercle de la famille et des amis proches du couple de jeunes mariés. Le mariage a eu lieu en 1996. Personne n’a utilisé un appareil photographique numérique.

Toutefois, en 2016, Sophie décide de numériser la photo, de la télécharger sur sa page Facebook et de la mettre en publication publique. Ceci constitue un nouvel usage de la photo qui, à son tour, rend d’autres usages possibles. L’acte de numériser la photo crée un nouveau document et implique un retour à la première dimension et le début d’une nouvelle trajectoire pour ce nouveau document qui est représentée en rouge sur la figure 4. La disponibilité de la photo sur Facebook, à son tour, rend d’autres usages de la photo possibles pour d’autres utilisateurs. Des amis de Sophie peuvent télécharger la photo et la partager sur un autre média social. Des personnes qui ne connaissent pas Sophie, mais s’intéressent à la mode des années 1990 ou qui collectionnent les photos de mariage, ou les photos de chapeaux, etc., peuvent copier la photo et l’inclure sur leur site. Deux exemples sont représentés en bleu et en vert sur la figure 4. Dès lors que la photo est rendue publique, particulièrement si elle est disponible sur Internet, il est difficile de mettre des limites à sa réutilisation pour des usages variés.

De nos jours, il est courant de prendre des photos et de les télécharger immédiatement sur des médias sociaux. Dans ces cas-là, les photos peuvent passer de la première à la quatrième dimension en une nanoseconde (Upward et al., 2018). Les quatre dimensions peuvent être passées d’une manière pratiquement simultanée, ou la deuxième et la troisième dimensions peuvent être sautées. Des photos peuvent être rendues publiques sans avoir été proprement captées dans un système, c’est-à-dire sans que des métadonnées leur aient été ajoutées (automatiquement ou manuellement) et sans qu’un système de classification leur ait été appliqué.

Figure 4 : Téléchargement de la photo sur des médias sociaux

Tous les exemples dont nous avons parlés jusqu’ici regardent la photo comme un souvenir du mariage. Cependant, il est possible d’envisager qu’elle pourrait être utilisée comme preuve de quelque chose d’autre. Par exemple, supposons que la dame derrière les mariés sur la photo, cousine Anita, est accusée d’avoir tué son mari ce jour-là. Elle pourrait présenter la photo comme preuve qu’elle a assisté au mariage et par conséquent qu’elle n’aurait pas pu être à ce moment-là à l’endroit où son mari a été tué, à 200 kilomètres de là. Dans ce cas, la photo serait reçue comme preuve par les policiers en charge de l’enquête qui l’incluraient dans le dossier de l’enquête. La capture de la photo dans ce dossier serait accompagnée de l’ajout de métadonnées différentes de celles que l’on peut trouver dans des albums photos privés pour la relier à l’enquête judiciaire. En particulier, le moment exact où la photo fut prise serait un élément crucial pour son utilisation comme preuve et le sort d’Anita pourrait dépendre de la présence ou de l’absence de ces métadonnées. Le nom du photographe serait également important parce qu’il pourrait être appelé à témoigner. La photo serait captée dans le système de gestion des documents de la police judicaire et pourrait être présentée au tribunal si la police décide de lancer des poursuites judiciaires contre Anita. Elle serait aussi organisée dans les archives de la police et du tribunal et, après un certain temps pourrait être transférée aux archives nationales (ou cantonales, départementales, etc.) selon la procédure en place dans la juridiction concernée (figure 5). L’utilisation de la photo dans des reportages médiatiques sur l’enquête pourrait aussi l’amener dans la quatrième dimension du Continuum (ligne pointillée sur la figure 5).

Figure 5 : Utilisation de la photo comme preuve

Les albums de photos de mariage, par contre, ne seront vraisemblablement jamais transférés dans un service d’archives. A moins que Sophie ou Daniel ne devienne un jour une célébrité et que quelqu’un ne décide de constituer des archives sur eux !

Il serait aussi intéressant de considérer ce qui adviendrait des photos en cas de divorce, celle en possession de Sophie et Daniel, et celles données à leurs parents et amis. Elles pourraient être détruites, ou déchirées en deux, ou enlevées des albums, ou les albums pourraient être mis au grenier. Elles pourraient donc commencer chacune une nouvelle trajectoire dans un nouveau contexte.

Une autre utilisation de la photo qui n’aurait pas pu être prévue au moment du mariage est celle que j’en fait dans cet article. J’ai pris la photo que Daniel m’avait envoyée en 1996 et je l’ai numérisée pour l’inclure dans cet article. Cette copie numérique de la photo est un nouveau document qui commence une nouvelle trajectoire dans la première dimension du Continuum des archives. Elle est utilisée pour un but totalement différent de celui pour lequel elle avait été créée puisque je l’utilise dans une fin pédagogique, pour expliquer le Continuum des archives. Je l’ai copiée et captée dans un document sur mon ordinateur et organisée avec les autres documents dont j’ai besoin pour écrire cet article. Son inclusion dans l’article, quand il est publié en accès libre, la porte dans la quatrième dimension puisqu’il la rend accessible à tout le monde. Dès lors, la réutilisation à fin pédagogique d’une photo qui n’était pas destinée à être vue en dehors du cercle de la famille et des amis du jeune couple en fait un exemple de réutilisation et de pluralisation d’une archive et la rend susceptible d’être réutilisée par les lecteurs de l’article pour la même fin ou pour d’autres fins.

Figure 6 : Utilisation de la photo dans cet article

L’exemple de cette photo de mariage et de ses réutilisations illustre comment un document peut être perçu et utilisé différemment par différents utilisateurs à des moments différents et dans lieux différents. Toutes les utilisations de la photo peuvent être représentées séparément ou conjointement sur le diagramme du Continuum des archives. Chaque utilisation et réutilisation commence un nouveau parcours pour un nouveau document dans la première dimension du Continuum des archives, celle de la Création. La plupart de ces réutilisations de la photo passent par la deuxième et la troisième dimension, celles de la Captation et de l’Organisation, quand les archives sont captées dans un système (formel ou informel) et des métadonnées leurs sont ajoutées et quand elles sont organisées en fonction d’un système de classification (formel ou informel) qui permettra de les localiser. Mais seulement certaines d’entre elles atteignent la quatrième dimension, celle de la Pluralisation, parce que la décision de rendre les archives publiques est un choix que les utilisateurs peuvent faire dans chaque cas (tout en respectant les contraintes légales, réglementaires ou socio-culturelles qui peuvent s’appliquer).

Les dimensions du Continuum des archives

Les exemples d’utilisations de la photo de mariage détaillés ci-dessus ont présenté une explication linéaire de la trajectoire suivie par chacune des photos. Cependant, les quatre dimensions du Continuum des archives sont toujours présentes à tout moment et peuvent impacter sur les archives à tout moment (Reed, 2005a : p. 179). La création d’archives est influencée par des considérations qui proviennent de la troisième et de la quatrième dimensions. Pour que les archives soient gérées d’une manière efficace, il doit y avoir en place un système prêt à accueillir ces archives. Ce système doit avoir été développé de manière à ce que la création et la gestion d’archives puissent se conformer aux obligations légales, réglementaires, contractuelles et socioculturelles que les archives doivent respecter. Ces obligations proviennent soit de la quatrième dimension (les lois que l’organisme doit respecter et les attentes sociales et culturelles de la communauté), soit de la troisième dimension (les règles établies par l’organisme pour la création et la gestion de ses archives).

Les obligations que les organismes publics et les entreprises privées doivent respecter sont généralement évidentes et clairement articulées. Les organismes publics et privés doivent respecter les lois qui requièrent qu’ils produisent et conservent certains documents d’archives pour une période déterminée ou, dans certains cas, à perpétuité, comme preuves de leurs activités, et ils doivent respecter les lois sur l’accès à l’information et sur la protection des données à caractère personnel. Ces lois émanent de la quatrième dimension. D’autre part, les organismes qui produisent et gèrent de larges quantités de documents doivent avoir des règles en place au niveau de l’organisme pour régler la gestion de ces documents. Ces règles font partie de la troisième dimension. Ainsi des lois de la quatrième dimension et des règles de la troisième dimension déterminent quelles archives les organismes créent (dans la première dimension), comment ils les absorbent dans leurs systèmes (dans la deuxième dimension) et comment ils les gèrent (dans la deuxième et la troisième dimensions).

La façon dont des considérations de la troisième et de la quatrième dimensions impactent sur les documents personnels n’est pas aussi évidente, mais certaines de ces considérations exercent aussi une influence. Par exemple, les considérations de protection des données à caractère personnel (qui viennent de la quatrième dimension) peuvent aussi influencer la gestion des archives personnelles (dans les 3 autres dimensions) et la décision de les partager ou de ne pas les partager. En outre, la manière dont un individu ou une famille organisent leurs archives et les raisons pour lesquelles ils les gardent (qui sont des facteurs qui relèvent de la troisième dimension) peuvent aussi influencer leur décision de créer ou de ne pas créer des archives (dans la première dimension) et de les capter ou de ne pas les capter dans un système formel ou informel (dans la deuxième dimension). Inversement, la manière dont les archives ont été créés et captées (dans les deux premières dimensions) influence les utilisations futures de ces archives (dans la troisième et la quatrième dimensions).

Les axes du Continuum des archives 

Les diagrammes présentés ci-dessus ont omis les axes et les 16 éléments que l’on trouve sur la représentation originelle du modèle du Continuum des archives. Cette omission est intentionnelle. L’inclusion des axes et des noms des éléments à l’intersection des axes et des dimensions compliquent le modèle et engendrent de nombreuses confusions à propos de la signification de ces éléments qui détractent l’attention des caractéristiques fondamentales du modèle. Néanmoins, dans cette section,  je vais maintenant expliquer brièvement les quatre axes.

Figure 7 : Le Continuum des archives

(adapté de Upward, 1996 et Upward et al., 2018)

L’axe de l’identité représente les acteurs et les organismes qui jouent un rôle dans la création et la gestion des archives : les acteurs dans la première dimension, les unités administratives dans la deuxième dimension, l’organisme dans la troisième dimension et l’institution qui accueille les archives quand elles sortent de l’organisme dans la quatrième dimension. L’axe de l’opérationnalité permet de représenter les actions et les processus qui sont appliqués aux archives et les interactions de toutes sortes entre les acteurs et les institutions : les transactions dans la première dimension, les activités auxquelles ces transactions se rapportent dans la deuxième, les fonctions que l’organisme effectue dans la troisième, et la fonction ambiante que les archives servent quand elles sont partagées dans la quatrième dimension. Sur l’axe des contenants d’archivage, sont représentés les documents et leurs agrégations: les documents ou inscriptions dans la première dimension, les documents d’archives (records) dans la deuxième dimension, les fonds d’archives dans la troisième dimension et les collections d’archives dans la quatrième dimension. Sur l’axe de l’évidentialité sont représentées les qualités probantes des archives : la trace qu’elles laissent qu’une transaction a eu lieu dans la première dimension, qui devient une preuve quand le document d’archives est capté dans un système d’archivage dans la deuxième dimension, puis contribue à la mémoire organisationnelle de l’organisme (ou à la mémoire personnelle d’un individu) dans la troisième dimension et enfin à la mémoire collective de la communauté dans la quatrième dimension.

Les noms des éléments inclus sur le diagramme ne sont pas importants. Ce qui est important, c’est de comprendre ce qu’ils représentent et où ils se situent dans les dimensions du Continuum. Il peut être difficile de les traduire et de trouver des équivalents dans des contextes archivistiques et culturels différents. Les quatre éléments sur l’axe des contenants d’archivage sont les plus difficiles à traduire en français parce que la tradition archivistique francophone est basée sur une conception différente de la tradition anglophone de ce que constitue des « archives » (Ketelaar, 2006) et parce qu’il n’y a pas d’équivalent exact en français pour le terme records. Cependant, quels que soient les termes qu’on utilise pour traduire les quatre termes document, record, archive et archives, ce qui importe c’est leur association avec les processus de création, de captation dans un système, d’organisation au niveau de l’organisme et d’incorporation dans un système plus large en dehors de l’organisme. Je les ai traduits ici par « document », « document d’archives », « fonds d’archives » et « collections d’archives ». En outre, il est aussi important de noter que ces termes font référence à des documents et à des agrégations de documents, et non pas à des lieux. La notion de lieu est une notion qui n’est pas considérée importante dans la théorie du Continuum. Les archives sont des archives quel que soit l’endroit où elles se trouvent (Cunningham, 2017; Upward, 1996).

La Perspective du Continuum des archives

La perspective du Continuum des archives peut être appliquée dans des domaines très divers, des documents personnels aux archives d’État, en passant par des documents d’affaires de toutes sortes, et dans des contextes culturels variés (Frings-Hessami, 2017, 2018a, 2018b). Elle est basée sur l’idée que nous devons penser, avant même que des archives ne soient créées, à toutes les personnes qui pourront avoir besoin de ces archives et à toutes les utilisations possibles dont elles pourront faire l’objet. Dès lors, les systèmes archivistiques qui seront développés pour gérer ces archives devront permettre la création des archives dont les utilisateurs pourront avoir besoin, la captation des métadonnées nécessaires pour les situer dans leur contexte et pour les trouver quand les utilisateurs en auront besoin, et la conservation des archives pour aussi longtemps qu’elles seront nécessaires. Les systèmes devront aussi protéger les droits que tous les acteurs pourront avoir sur ces archives, c’est-à-dire qu’ils devront protéger leurs droits sur les données à caractère personnel, leurs droits d’utiliser ces archives, mais aussi leurs droits de trouver dans ces archives les informations dont ils auront besoin, ce qui implique que des archives qui contiennent ces informations auront été créés et préservés de manière appropriée[5].

L’exemple d’une photo de mariage présenté dans cet article montre comment la perspective du Continuum des archives peut être appliquée à un document personnel et aux multiples utilisations et réutilisations dont il peut faire l’objet. Ce faisant, il illustre l’importance de prendre en considération toutes ces utilisations possibles quand un document est créé et, préférablement avant qu’il ne soit créé. L’importance d’avoir un système en place qui pourra absorber et gérer les archives est exacerbée dans le cas des archives numériques qui sont plus fragiles que les archives analogiques. Les archives numériques ne peuvent pas être négligées de la même manière que les documents papiers le pouvaient autrefois. Les copies analogiques de la photo dont nous avons parlé auraient pu être oubliées pendant des années dans les albums photos, mais, excepté en cas d’incendie ou d’une autre catastrophe, elles auraient toujours été disponibles quand la famille aurait voulu les regarder. Par contre, s’il s’agissait d’une photo numérique, il aurait été bien probable que vingt ans plus tard, ou même cinq ans plus tard, son propriétaire n’aurait plus eu accès à la technologie nécessaire pour la regarder. Quoi qu’il en soit, si personne n’avait pensé à engager un photographe pour le mariage ou si personne n’avait fait les efforts nécessaires pour conserver les photos, nous n’aurions pas de preuve photographique du mariage, pas de photos que la famille pourrait regarder comme des souvenirs, et plus sérieusement dans le cas d’Anita, pas de preuve qu’elle avait assisté au mariage. L’exemple de la photo de mariage illustre donc la nécessité de penser aux futurs usages et aux futurs utilisateurs d’un document dès le moment de sa création et de le capturer dans un système qui permettra de répondre aux besoins des utilisateurs futurs.

Bibliographie

CUNNINGHAM, Adrian, 2017. Archives as a place. In : MACNEIL, Heather et EASTWOOD, Terry. Currents of archival thinking. 2ème éd. Santa Barbara, Californie : Libraries Unlimited, 2017, pp. 53-79. ISBN: 9781440839092

FRINGS-HESSAMI, Viviane, 2017. Looking at Khmer Rouge Archives Through the Lens

of the Records Continuum Model: Towards an Appropriated Archive Continuum Model,

Information Research [en ligne]. décembre 2017. Vol. 22, no 4, [Consulté le 28.09.2018]. Disponible à l’adresse: http://www.informationr.net/ir/22-4/paper771.html.

FRINGS-HESSAMI, Viviane, 2018a, Care Leavers’ records: a case for a Repurposed Archive Continuum Model. Archives and Manuscripts. juillet 2018. Vol. 46, no 2, pp.158-173

FRINGS-HESSAMI, Viviane, 20178b. Indigenous Archives through time and space:
Towards a Continuum Model to explain the complex contexts of Indigenous Archives. Article présenté à la conférence Ngā Taonga Tuku Iho: A conference on Māori Archives and Records, Rotorua, Nouvelle Zélande, 22-24 août 2018.

GOLDING, Frank, 2016. The Care Leaver’s Perspective. Archives and Manuscripts. novembre 2016. Vol. 44, no 3, pp. 161-164.

KETELAAR, Eric, 2006. (Dé)construire l’archive. Matériaux pour l’histoire de notre temps. avril-juin 2006, no 82, pp. 65-70. [Consulté le 29 septembre 2018]. Disponible à l’adresse : https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre-temps-2006-2-page-65.htm

Loi n° 79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives. Légifrance [en ligne]. 3 janvier 1979. Mise à jour le 28 février 1994. [Consulté le 28 septembre 2018]. Disponible à l’adresse :  https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=3DA3918B1389C13FBFAC47442565E30A.tpdjo16v_3?cidTexte=JORFTEXT000000322519&dateTexte=19940228.

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SWAIN, Shurlee and MUSGROVE, Nell, 2012. We are the stories we tell about ourselves: Child welfare records and the construction of identity among Australians who, as children, experienced out-of-home ‘care’. Archives and Manuscripts. avril 2012. Vol. 40, no1, pp. 4-14. 

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UPWARD, Frank, 1997. Structuring the Records Continuum Part 2: Structuration theory and recordkeeping. Archives and Manuscripts. mai 1997. Vol. 25, n°1, pp. 10-35.

UPWARD, Frank, REED, Barbara, OLIVER, Gillian et EVANS Joanne, 2018. Recordkeeping Informatics. Clayton, Victoria, Australie: Monash University Press. ISBN 9781925495881

Notes

[1] Je me base ici sur la définition des archives dans la loi française du 3 janvier 1979 comme étant : « [l]’ensemble des documents, quelque soient leur date, leur forme at leur support matériel, produits ou reçus par toute personne physique ou morale, et par tout service ou organisme public ou privé, dans l’exercice de leur activité » (Loi n° 79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives, Article 1).

[2] Recordkeeping est traduit par « archivage » dans la norme internationale ISO 15489 et dans la norme européenne MoReq2. Toutefois, j’ai choisi de ne pas utiliser cette traduction parce que dans la pratique française le terme est généralement utilisé spécifiquement pour désigner les opérations physiques de mise en archives et non pas la gestion des archives depuis le moment de leur création et au cours de tous les usages qui en sont faits.

[3] Les écrits récents de Frank Upward parlent d’« inscriptions » (Upward et al., 2018 : p. 193), plutôt que de documents, un terme plus englobant qui capture l’idée que l’action de création peut laisser une trace sur des supports divers.

[4] Dans cet article, je traduis généralement le terme records par « archives ». Cependant, quand je fais une référence spécifique à la deuxième dimension du modèle du Continuum des archives et que je veux rendre l’idée que des documents sont captés dans un système pour être préservés comme archives, je le traduis par « document d’archives ».

[5] De sérieux problèmes peuvent résulter du fait que les documents que des utilisateurs potentiels voudraient consulter n’ont jamais été créés parce que les organismes qui géraient les fonctions auxquels ces documents devraient se rapporter ne pensaient pas qu’il était utile de les créer. Telle est la situation du secteur de la protection de l’enfance en Australie au vingtième siècle (Golding, 2016 ; Swain & Musgrove, 2012).

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eLectures : la lecture numérique grand public à la BCUL

Ressi — 20 décembre 2017

Laurent Albenque, directeur adjoint

Charlotte de Beffort, responsable du service du prêt

Christophe Bezençon, responsable du service des collections

Françoise Simonet, responsable des renseignements et formation des usagers

Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne, site Riponne, Pl. de la Riponne 6, 1014 Lausanne

 

Résumé

Cet article a pour but de présenter un retour d’expérience après 2 ans d’exploitation de la plateforme eLectures à la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne (BCU Lausanne ou BCUL) qui permet à toute personne inscrite d’emprunter des livres numériques dans un catalogue d’environ 11'000 titres.

Après un historique du projet qui rappelle les difficultés de le mener en Suisse, si loin des éditeurs français, nous observerons l’offre documentaire de la plateforme, puis nous nous concentrerons sur une partie plus « marketing » en décrivant les options prises pour la promotion d’eLectures, le profil de ses usagers, la médiation à leur égard et les relations avec le fournisseur. Nous détaillerons ensuite quelques perspectives d’avenir pour ce service qui a trouvé son public mais qui en a encore à conquérir.

Summary

The aim of this article is to provide a feedback after 2 years of operations of the eLectures platform at the Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne (BCU Lausanne or BCUL). This platform allows every registered user of the library to borrow e-books in a catalogue of about 11'000 titles.

After a description of the project background, which is a reminder of the extra difficulties to lead it in Switzerland, so far away from French editors legislative context, we will discuss the documentary offer of the platform. Then we focus on the marketing side of the project describing options taken to promote eLectures, the profile of its users, the mediation towards them and the relationships with suppliers. Eventually, we will detail future prospects for this offer which found its audience but still has to reach a part of it.

eLectures : la lecture numérique grand public à la BCUL

Introduction : l’offre numérique à la BCUL

C’est tomber dans les poncifs que de dire que le numérique occupe de plus en plus de place dans l’offre documentaire d’une bibliothèque telle que la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne (BCU Lausanne ou BCUL pour la suite de cet article). Les ressources numériques représentaient, en 2016, 60% de ses dépenses d’acquisitions.

Mais c’est aussi un peu simplificateur de s’arrêter à ce chiffre-là. En effet, l’offre numérique est très majoritairement destinée à la communauté universitaire : 98% des dépenses pour ce type de collections ont été faites pour ce public particulier. Cette disproportion est le résultat de deux phénomènes dont on ne sait pas vraiment s’ils sont, ou non, dépendants l’un de l’autre : l’offre et les conditions d’accès à cette offre d’une part, la manière de « consommer » l’information de l’autre.

Concernant l’offre, la documentation numérique vulgarisée ou grand public francophone reste relativement anecdotique et essentiellement destinée à une vente directe auprès des particuliers [1]. L’offre numérique pour les usagers de bibliothèques est non seulement limitée mais souvent restreinte au territoire français. Cela ne nous empêche pas de fournir l’accès à plus d’une vingtaine de ressources numériques conçues pour le grand public. Le second barrage entre les usagers et ces collections sont les conditions d’accès. Souvent liées à une adresse IP, elles ne peuvent être consultées que sur site physique par le wifi ou par les postes fixes mis à disposition. A ce stade, tous les avantages liés à la mobilité et à la légèreté du numérique s’effondrent. En effet, malgré leur dématérialisation, les documents numériques nécessitent une présence sur place… comme pour les « bons vieux ouvrages de référence poussiéreux ». A ce jour, pour le grand public, nous ne pouvons offrir d’accès à distance que pour notre offre eLectures, objet de cet article, et à Vodeclic, plateforme d’auto-formation informatique. A noter que, grâce au VPN ou aux divers systèmes d’identification qui lui sont destinés, la communauté académique peut accéder à toutes les ressources numériques depuis n’importe quelle connexion internet.

Si on parle de la manière de consommer l’information, il est évident que les pratiques académiques se tournent vers le numérique pour échanger des informations, des données de recherche et leurs résultats, c’est une consommation dans un cadre professionnel qui se veut aussi efficace que possible. Pour la documentation ou la littérature « de loisirs », on remarque que même si les usagers en Suisse semblent largement équipés en terminaux mobiles [2], l’usage de ces derniers ne prend pas le dessus sur les livres papiers (c’est évidemment différent pour la musique, les films et, dans une certaine mesure, pour la presse). Ce n’est en tout cas pas une attente forte de la part de nos usagers. Il y a donc un travail important à réaliser pour faire connaître une offre et donner la possibilité d’un accès facile et intuitif. En clair, le lecteur « grand public » ne va pas se ruer sur cette offre, il va falloir la lui apporter et lui en démontrer les avantages.

Etude sur l’utilisation actuelle et les attentes vis-à-vis de l’offre numérique de la BCUL

Constatant la richesse de l’offre numérique universitaire, la BCUL a fait le choix de proposer de la lecture numérique à distance à l’intention du grand public vaudois. Ce choix s’inscrit dans la suite d’une enquête que le site Riponne de la BCUL avait menée en 2012 auprès de ses usagers et les attentes de ceux-ci relativement à l’offre numérique en bibliothèque.

Deux approches méthodologiques complémentaires avaient alors été mises en place : une enquête en ligne auprès des usagers actifs du site de la Riponne, lancée début septembre 2012, qui a reçu de très bons échos, le taux de participation s’étant élevé à 24%, suivie de 16 entretiens individuels en face-à-face organisés en octobre et novembre.

Les résultats de l’enquête ont montré que :

  • 85% des usagers possédaient un ordinateur portable, 57% un ordinateur de bureau, 47% un Smartphone, 17% une tablette et 7% une liseuse. En cela, ils rejoignaient le taux d’équipement constaté en Suisse (voir plus haut).
  • La plupart des usagers étaient curieux et ouverts à l'idée du numérique tout en restant encore très attachés à la version papier. L'offre numérique était vue comme importante avant tout en tant que complément de l'offre papier.
  • Les ressources numériques étaient perçues comme difficiles à repérer dans l'offre de la BCUL et leur utilisation difficile. Le souhait des répondants était de pouvoir accéder à des personnes de référence pour les renseigner et les aider.
  • L'accès à distance et le téléchargement étaient des conditions indispensables pour une utilisation fréquente et régulière d’une future offre numérique BCUL.

Mise en œuvre du projet

Exploration des solutions existantes

Suite à l’enquête de 2012 sur les ressources numériques grand public, un groupe de travail interne a établi un catalogue de propositions de suites à donner, avec une vingtaine d’actions réparties selon quatre axes : communiquer et accroître la visibilité, accompagner les usagers et les former, améliorer l’accès et réfléchir au développement de l’offre numérique.

C’est ce dernier point qui nous a conduit à étudier l’offre numérique consacrée à l’actualité littéraire.

Le choix – nous étions en 2013, rappelons-le – s’est porté assez rapidement sur la société française Numilog, un des seuls acteurs sur le marché francophone à l’époque proposant une collection numérique ET accessible à distance dans le segment principal qui nous intéressait.

Considérant l’expérience concluante de la Médiathèque Valais avec Numilog, nous avons fait part de notre intérêt à cette société du groupe Hachette. Suite au test de la ressource organisé durant le mois d’octobre 2013, nous avons conclu qu’il serait intéressant de travailler avec Numilog, au moins à titre transitoire. En effet, bien que le catalogue proposé n’ait pas été à la hauteur de nos attentes (principalement en termes d’étendue de l’offre), ni la plateforme suffisamment intuitive à notre appréciation, l’absence d’alternative francophone faisait alors de Numilog un fournisseur quasi-incontournable. Le dossier n’a finalement pas abouti, Numilog nous ayant annoncé début 2014 que, pour des raisons de « géoterritorialité », les éditeurs ne seraient plus en capacité de desservir la Suisse.

Nous avons ensuite cherché à identifier un partenaire commercial suisse romand. Lors d’une rencontre en janvier 2014, nos interlocuteurs de la librairie Payot se sont dits sensibles à notre souhait de travailler avec eux dans le domaine du livre électronique, sans toutefois être en mesure de nous faire une proposition.

Les recherches se sont alors tournées vers une plate-forme québécoise lancée en mars 2012, « pretnumerique.ca ». Une phase de test avait débuté dans plusieurs établissements de lecture publique en France avec le projet français Prêt Numérique en Bibliothèque (PNB). Ce projet apportait le double avantage d’un catalogue plus large avec une importante marge d’accroissement, particulièrement en langue étrangère ; et d’un accès public via une plateforme éprouvée (identique à pretnumerique.ca).

Nous avons donc finalement approché la société Feedbooks, Hadrien Gardeur, son directeur, nous ayant annoncé fin avril 2014 l’ouverture à la Suisse des catalogues d’éditeurs impliqués dans PNB, et un test a été lancé le 23 juillet 2014.

Choix et description de la solution Cantook-PNB-Feedbooks

Avant d’aborder la période de tests et d’implémentation à la BCU Lausanne, revenons quelques instants sur la formule choisie : PNB [3].

Le projet français PNB repose sur le hub de la société Dilicom, par lequel éditeurs, distributeurs, libraires et clients finaux (comme les bibliothèques) sont mis en relation. Ce projet, lancé en 2014, est coordonné par le ministère de la culture français. Pour ce projet, trois acteurs ont été choisis (au niveau national) :

  • Libraire (Feedbooks dans notre cas). Feedbooks possède deux offres distinctes en fonction du public (une offre plus fournie pour les particuliers que pour les bibliothèques)
  • Interface usager (Cantook de la société De Marque dans notre cas). Mise à disposition de l’interface usager permettant :
  • Le prêt de livres numériques par les lecteurs eux-mêmes,
  • La gestion des prêts et la mise en valeur des collections par les professionnels de la BCU Lausanne.
  • Tiers de confiance (Dilicom). Il constitue une garantie pour tous les acteurs : les bibliothèques et les distributeurs doivent avoir un correspondant qui atteste de la situation de leurs achats et de leurs prêts. C’est chez Dilicom que les libraires passent leurs achats, leurs lignes comptables avec les distributeurs et toutes les écritures nécessaires à la bonne fin d’une transaction. Au travers de Dilicom ne circule donc que de l’information. Dilicom comptabilise les achats de livres électroniques et les demandes de prêts.

Le processus est donc le suivant : Feedbooks transmet ses fichiers, les métadonnées associées, à Cantook. Cantook les met à disposition sur sa plateforme pour les rendre accessibles au public et permet le prêt. Les demandes de prêt sont ensuite transmises à Dilicom.

A ce stade, il est important de noter que la bibliothèque n’est jamais dépositaire des fichiers. Ceux-ci transitent directement du distributeur au lecteur. La bibliothèque ne possède pas, même temporairement les livres électroniques, elle ne possède que les métadonnées des titres et des licences qui sont constituées par des droits de prêt.

Implémentation à la BCUL

Les tests ont eu lieu durant l’été 2014, tests beaucoup plus concluants que ceux effectués quelques mois auparavant sur la solution Numilog.

Le contrat avec Feedbooks est alors signé au mois d’octobre, pour un lancement de la plateforme en mai 2015. Ce projet a nécessité la coordination et le travail de plusieurs entités au sein de la bibliothèque : le service des finances, celui des ressources électroniques, les responsables de collections, les services informatique, communication et les services publics. En voici les principales étapes :

Graphique 1 : Calendrier d’implémentation d’eLectures à la BCU Lausanne (2014 - 2015)

L’offre documentaire

Politique des éditeurs français

Ayant forcément constaté, à partir de la fin des années 1990, les ravages d’un passage au numérique non maîtrisé par rapport au chiffre d’affaires de l’industrie musicale mondiale, les éditeurs français sont aujourd’hui moins enthousiastes que leurs homologues anglo-saxons sur le sujet. Si leur prudence peut se comprendre, elle ne fait pas toujours l’affaire des bibliothèques.

Outre la question du piratage, la crainte principale des éditeurs est toujours la même, que le prêt numérique en bibliothèque cannibalise les ventes des livres physiques qui restent au cœur de leur modèle d’affaires. Cette volonté se retrouve dans les conditions d’achat et de prêt faites aux bibliothèques.

Avant tout, il est faux de penser qu’une bibliothèque (ou un particulier) « achète » un livre numérique. Ce que nous achetons, c’est le droit d’accéder à un texte et non pas le texte lui-même. Pour un particulier, ce droit d’accès est censé être sans limite une fois l’ouvrage acheté. Mais il ne peut ni le prêter ni le donner, au contraire de ce qui se fait avec un ouvrage papier. Pour une bibliothèque, les licences sont limitées dans le temps et comportent un nombre total de prêts autorisés par ouvrage acheté : la licence expire lorsque tous les prêts ont été consommés ou, si ce n’est pas le cas, lorsqu’elle arrive au terme de la durée fixée par l’éditeur. L’autre paramètre à prendre en compte dans une décision d’achat est le prix. Contrairement au modèle anglo-saxon, où le prix du livre numérique est significativement plus bas que celui de l’édition papier, les éditeurs français maintiennent un prix du numérique plus élevé que celui de la version papier (+ 30 ou 50%).

Enfin, le gros avantage du livre numérique est la possibilité de prêter simultanément à plusieurs lecteurs le même ouvrage. Techniquement, le nombre de prêts simultanés possibles est bien entendu illimité. Dans les faits, chaque éditeur intègre une limite dans la licence. C’est un avantage proposé par les groupes français comme Madrigall, Editis, La Martinière ou encore Actes Sud. Le prêt simultané n’existe par contre pas chez les éditeurs anglo-saxons.

Outre ces deux conditions de base, de nombreuses licences sont hybrides, Les éditeurs combinent ainsi des conditions différentes en fonction des titres. Par exemple, ils proposent des licences mono-utilisateur pour les nouveautés, multi-utilisateurs pour les titres plus anciens, voire illimitées pour les titres tombés dans le domaine public.

Pour résumer, ces licences sont relativement coûteuses pour les bibliothèques et les laissent face à un double verrou : un nombre limité de prêts sur une durée elle aussi limitée. Heureusement, sous la pression des bibliothèques, certains éditeurs ont fait évoluer leurs conditions dans un sens plus favorable aux besoins. Sans entrer dans les détails, la durée de licence a souvent été allongée pour les titres de fond et le nombre de prêts totaux possibles augmenté pour les nouveautés. Par contre, en parallèle, ces améliorations se sont aussi accompagnées d’une hausse du prix de la licence ou d’une baisse du nombre de prêts simultanés possibles.

Aujourd’hui, les licences proposées ont généralement une durée de 5 à 10 ans, avec un nombre de prêts totaux entre 25 et 60. Le nombre d’emprunts simultanés varie de 5 à 15 avec des exceptions : aucun chez Albin Michel, 50 chez Izneo (groupe Dargaud). Le groupe Hachette se singularise par des conditions plus proches de celles des grands groupes mondiaux dont il fait partie : une licence et un nombre de prêts illimités qui s’accompagnent d’un prix d’achat des nouveautés équivalent à trois fois le prix de la version papier et de l’impossibilité de faire des emprunts simultanés.

Les marges de négociation des bibliothèques sont limitées, hormis le boycott d’éditeurs dont les conditions sembleraient par trop extravagantes. Mais le système fonctionne et répond à un besoin naissant du public. Se posera néanmoins, à terme, la question du poids financier à donner à ces ressources au sein des budgets d’acquisitions et de la pérennité de l’offre. Ce sont là des questions que connaissent déjà les bibliothèques universitaires.

L’offre proposée par la BCUL.

La constitution de notre catalogue a été tributaire de l’offre de notre fournisseur qui, pour les bibliothèques suisses, se limitait à moins de 20'000 titres à la fin 2014, dont plus du quart en anglais. Depuis, l’offre pour la Suisse a rejoint celle de la France et de la Belgique avec plus de 128'000 références disponibles à l’été 2017.

Plusieurs choix guident la constitution de notre catalogue. Un équilibre entre une offre francophone de fiction (53% de nos titres) et une offre documentaire (31%) qui nous permet de répondre à notre vocation de bibliothèque grand public tout autant qu’universitaire. L’inscription à la BCUL étant limitée aux plus de 14 ans, nous avons naturellement exclu les livres jeunesse de nos achats. Enfin, souhaitant nous adresser au public allophone, bien présent dans le canton de Vaud, nous avons constitué un fonds de livres en anglais (fictions et documentaires) qui représente 16% de notre catalogue.

Après une première phase où notre catalogue s’est nourri principalement de l’achat de titres de fond pour constituer la base de notre catalogue, nous avons ensuite mis l’accent sur l’achat régulier de nouveautés. Cet équilibre permet à la fois de répondre à l’appétence bien connue du public pour les nouvelles publications (tout particulièrement pour la rentrée littéraire), tout autant qu’aux demandes plus pointues de certains de nos lecteurs.

Il est évident que la constitution récente de ce catalogue numérique (avec près de 11'000 titres pour eLectures à la BCUL) ne lui permet pas, et de loin, d’atteindre la richesse d’un fonds physique anciennement constitué qui compte plusieurs millions de documents. Plusieurs enseignements peuvent néanmoins être tirés de l’usage qu’en font nos lecteurs.

Les nouveautés de littérature et les policiers s’arrogent la plupart du temps la totalité du hit-parade des prêts. Il est rare qu’un essai s’y glisse. En cela, la lecture numérique suit la même tendance que les prêts physiques. La possibilité d’emprunts simultanés accentue d’ailleurs le poids des titres les plus prêtés dans le total des transactions. A l’opposé, une analyse plus fine montre que beaucoup d’ouvrages de fond sont aussi empruntés, même si ce n’est qu’une seule fois sur deux années d’exploitation d’eLectures. C’est moins visible, à première vue, que pour un titre emprunté plusieurs dizaines de fois sur la même période mais cela contribue tout autant au succès de l’offre.

Les outils statistiques mis à disposition ne nous permettent pas d’aller plus loin sur ce point. Ils restent pour l’instant assez généralistes : nombres de prêts, d’usagers et de connexions, livres les plus empruntés, répartitions des prêts par grandes thématiques. Il nous appartiendra de travailler avec Cantook pour en améliorer la souplesse d’utilisation et surtout les adapter à nos besoins. Une lecture plus fine des usages nous permettra ainsi de mieux adapter nos achats. C’est une volonté qui est d’ailleurs partagée par tous les acteurs, utilisateurs comme fournisseurs.

La fiction représente 70% des prêts, dont 15% de romans policiers et de science-fiction. Les documentaires constituent les 30% restants. Pour ces derniers, les domaines les plus représentés sont les sciences humaines (incluant l’Histoire), les biographies et le tourisme (guides de voyage). Ces chiffres incluent les ouvrages en anglais qui s’élèvent à environ 8% des prêts. On voit donc ici l’importance des collections dans les choix de nos lecteurs, même si les nouveautés et les titres les plus prêtés sortent du lot.

Quelle place pour les éditeurs suisses ?

Dans l’absolu, en tant que bibliothèque cantonale, nous souhaiterions pouvoir proposer à nos usagers du contenu d’auteurs ou d’éditeurs suisses, romands et vaudois afin de les mettre en valeur. En réalité, nous ne pouvons qu’offrir des auteurs suisses publiés en France et dont l’éditeur offre une version numérique. Les éditeurs romands, même les plus importants, semblent encore plus frileux que les Français vis-à-vis de l’édition numérique [4] et donc, si ce pas-là n’est pas encore franchi, celui de le proposer à des bibliothèques pour le prêt n’est pas non plus en ligne de mire.

Nous avons donc pris l’option de proposer ce qui était disponible auprès de notre fournisseur et des éditeurs français avec l’espoir que notre offre prenne de l’ampleur et fasse mieux connaître la lecture numérique dans nos contrées auprès de nos éditeurs. Le temps faisant, l’espoir de voir la littérature suisse mieux représentée sur ces plateformes se réalisera peut-être. Nous aurions alors avec nous l’expérience d’avoir déjà monté ce genre d’offres et un public réceptif et adepte de ces technologies.

Nécessité de faire connaître eLectures pour la faire vivre

Formation des professionnels : un nouveau dynamisme

Lancer une telle offre, pour un public généraliste, sans accompagnement, nous semblait téméraire. Or, pour accompagner, il fallait que les professionnels, et en particulier ceux travaillant dans les services au public, soient au point sur les différentes facettes de la prestation (contenu, fonctionnement de la plateforme et du prêt numérique, connaissance des supports, etc.)

Nous avons donc organisé, dans les mois précédant le lancement de la plateforme, une formation des collaborateurs, basée principalement sur l’expérimentation personnelle.

En 2014, l’offre de livres numériques de loisirs en français était peu développée. En revanche la BCUL a été pionnière dans le test de tablettes et de liseuses, en mettant à disposition des collaborateurs du matériel pour expérimenter. Les collègues étaient donc pour la plupart en possession d’une tablette et à l’aise avec son utilisation. Notre objectif principal était que tous se créent une pratique de lecture numérique, des compétences d’utilisation courante de la plateforme et du téléchargement sur des supports mobiles. Différents ateliers ont été proposés, touchant tous les collaborateurs du site Riponne ainsi que des personnes relais des autres sites de la BCUL. Des présentations ont également été organisées et ont concerné une part importante des collaborateurs des différents sites de la BCUL.

Ces actions ont été l’occasion de mettre en avant de nouvelles compétences, et ont servi de mise à niveau pour l’ensemble du personnel.

Enjeux et constat

Les formations ont permis à tous de se familiariser avec la plateforme et les outils nécessaires à l’emprunt de livres numériques, ce qui a facilité le transfert et donné une plus grande aisance aux collègues des guichets pour renseigner les usagers sur la prestation.

Un petit groupe de bibliothécaires, volontaires, a participé dès le départ aux ateliers et au support en ligne. L’expérience de résolution des problèmes des usagers a permis un approfondissement des connaissances au sein du groupe, et créé un appui à deux niveaux : les questions simples sont gérées par tous et, pour les plus compliquées, les usagers sont redirigés d’abord en interne, puis vers le support de la plateforme en cas de besoin.

Pour être efficace, il est néanmoins indispensable de rester au courant de l’évolution des technologies, en l’occurrence les différentes applications de lecture, les modèles de liseuses, les changements à venir au niveau des DRM. Le rythme n’est pas forcément facile à suivre, surtout si l’on souhaite assurer l’assimilation des informations par tous.

Du côté des bibliothécaires, c’est un constat très majoritairement positif. Ils ont été impliqués dès le départ, et le fait d’être « au front » au guichet a encouragé les uns et les autres à s’approprier la plateforme. Plusieurs se sont pris au jeu et se sont acheté des liseuses.

Plan de communication au lancement

Le lancement de l’offre nous semblait un moment crucial. Notre souhait était de marquer le coup et de créer le « buzz ».

Il fallait bien sûr informer nos usagers de cette nouvelle prestation, mais, offre numérique oblige, et la BCUL étant une bibliothèque cantonale ouverte à tous, il semblait important d’élargir la démarche à la population vaudoise a minima. Forts de ce constat, allait-on viser un lancement « classique », avec une présentation physique dans divers lieux du canton, ou une communication plus digitale ?

En partant du principe que la promotion devait être numérique, nous avons lancé une communication hybride, avec une part digitale importante, grâce au service de communication de la BCUL et d’une agence externe. Le budget de cette campagne n’a pas dépassé les quelques milliers de francs.

De petites vidéos ont ainsi été réalisées avec le message récurrent suivant :

« Jusqu’à l’été, suivez et partagez les aventures de l’homme-bulle eLectures à travers 6 vidéos de 30’’ décalées où les circonstances sont autant d’occasions de profiter de l’offre eLectures », avec pour chacune un slogan en lien avec une spécificité de la prestation:

  • eLectures - en toute légèreté ! à Le stockage important sur un support de 100 et quelques grammes 
  • eLectures vous suit partout à La lecture où que l’on se trouve
  • eLectures, à portée de clic ! à Le téléchargement à distance  
  • eLectures – avec vous tout le temps ! à L’accès 24/24, 7/7
  • eLectures - des livres toujours à la page ! à De nouveaux achats réguliers
  • eLectures - Nouvelle offre, toujours gratuite ! à La gratuité

Les vidéos ont été diffusées à une semaine d’intervalle sur la chaîne YouTube de la BCUL[5], le site web, Twitter et Facebook.

Pour la part classique de la promotion, un logo a été créé, des signets réalisés, et des affiches placardées dans plusieurs villes du canton. Un « homme sandwich » a distribué des signets au centre-ville et à la gare de Lausanne. Plus traditionnel aussi, un stand pour les cafés numériques a été installé à l’entrée du site Riponne, afin de pouvoir présenter l’offre aux lecteurs.

Formation des lecteurs, accompagnement, renseignements

La mise en place d’une offre numérique va de pair avec un accompagnement des utilisateurs, sur place et à distance, nous en étions convaincus dès le départ.

Un dispositif de formation a donc été mis en place, comprenant :

  • L’animation d’ateliers en présentiel,
  • Le support en ligne, par e-mail ou téléphone,
  • La mise à disposition de tutoriels et de FAQ.

Les ateliers de découverte et de prise en main :

Pendant les 6 premiers mois, une plage a été réservée tous les lundis, sur le site Riponne de la BCUL. Les ateliers sont allés de la présentation générale de la plateforme eLectures à un accompagnement pas à pas dans l'emprunt du premier livre numérique (création d'un adobe ID, réactualisation du mot de passe BCUL, installation des logiciels nécessaires…). Ces ateliers étaient également importants pour nous, à ce stade du projet, car ils nous ont permis de cibler quels étaient les points particulièrement problématiques. A partir de 2016, les ateliers ont été maintenus sur une base mensuelle.

Quelques personnes sont venues plusieurs fois, ayant entre-temps acheté une liseuse, ou amenant avec elles leur ordinateur portable pour débloquer un problème. De façon générale, les ateliers sont également l’occasion d’échanges, tant au niveau technique que du contenu de l’offre ou du plaisir de lire.

Un accompagnement sur place complète le support par e-mail ou par téléphone

Parallèlement à l'accompagnement sur place le support se fait également à distance, par e-mail et par téléphone. Les demandes sont parfois standards mais souvent dépendantes de la configuration des équipements personnels des usagers. Les problèmes ne sont pas toujours faciles à déceler mais, avec le temps, l’équipe qui répond aux questions en ligne a pu établir une sorte de catalogue des problèmes les plus fréquents et de leurs solutions.

Dans l’ensemble, nous avons eu très peu de cas pour lesquels nous n'avons pas trouvé de solution, et ceux-ci ont été transmis au support informatique de la plateforme.

L’aide en ligne et les FAQ

Nous n’avons pas créé de documentation propre, car la plateforme propose une aide en ligne [6]et une FAQ, en français et en anglais. Les guides de démarrage, très bien faits, permettent une entrée en matière pas à pas, et sont d’une grande utilité pour ceux qui se lancent. C’est aussi un bon outil vers lequel sont renvoyés les usagers qui prennent contact avec nous.

Constat

La majorité des usagers empruntent le numérique de manière autonome. Et si un obstacle est rencontré, c’est souvent relativement trivial, par exemple un mot de passe expiré, qui peut être réglé par e-mail.

Le support eLectures, que ce soit en présentiel ou à distance touche majoritairement des usagers très attirés par l'idée de lire sur liseuse ou tablette, mais pas (du tout) par les aspects techniques de la chose. Plusieurs nous interpellent régulièrement afin d'obtenir de l'aide. Pour certains, il suffit parfois d'une mise à jour du système d’exploitation ou du logiciel Adobe Digital Edition, ou d'un changement de paramètres de téléchargement des fichiers pour que le moteur se grippe… et que le lecteur se perde.

De nouveaux eLecteurs s’inscrivent chaque mois sur la plateforme. Il faut dès lors s'attendre à poursuivre cette médiation numérique dans le futur. Les solutions ne sont pas toujours évidentes, mais il est gratifiant de voir un lecteur repartir heureux d’avoir réussi à télécharger son livre, ou qui nous signale lors d'un passage à quel point sa tablette ou sa liseuse lui convient.

A noter que nous avons aussi eu une poignée d’usagers qui ont baissé les bras, et déclaré qu’ils préféraient passer du temps à lire un livre plutôt qu’à résoudre des problèmes informatiques.

Au niveau quantitatif

La part des personnes touchées par les ateliers est très minoritaire. Une septantaine d’ateliers ont été organisés depuis le lancement de l’offre, dont la moitié dans les 6 premiers mois.

Elle est en revanche beaucoup plus importante par e-mail. En deux ans, l’équipe qui gère les questions a répondu à plus de 570 messages. Pour l’année 2016, cela correspondait par exemple à 25% des questions d’usagers par e-mail sur l’adresse d’information du site Riponne.

Prêt de liseuses

Le prêt de matériel a tout de suite fait sens afin d’aider à la promotion de la lecture numérique. Le prêt de liseuses a plusieurs atouts. Tout d’abord, il offre une visibilité (non négligeable) à l’offre virtuelle de prêt numérique. De plus, cela valorise les compétences du personnel qui devient référence dans l’utilisation des différents outils.

La mise en place du prêt de liseuses a nécessité en amont :

  • L’achat du matériel (choix des liseuses, définition des conditions de prêt, commande, équipement, …),
  • L’ajout d’information sur le site web et sur eLectures directement pour en faire la promotion,
  • La formation des collaborateurs à l’utilisation de ce matériel (transfert de livres numériques mais aussi réinitialisation de l’appareil au retour de prêt).

Le prêt de liseuses a tout de suite été un succès, l’ensemble du parc a été prêté dès le premier jour et tous les appareils étaient réservés à leur retour.

Face à ce succès, nous avons essayé, 4 mois après le lancement de la plateforme eLectures, le prêt de liseuses pré-chargées. Cette offre était proposée dans une optique de faciliter le prêt de livres numériques, dont la création d’un identifiant Adobe nous paraissait être un frein. Cependant, cette offre n’a pas rencontré son public et n’a pas été reconduite.

Enfin, après deux ans de mise en service et sur les 13 liseuses mises en circulation, une seule liseuse a rencontré un problème et la garantie a couvert les frais de réparation. Aucune autre liseuse, malgré plus d’une trentaine de prêts chacune, n’a subi de dommage.

Investissement des professionnels dans l’animation d’eLectures

Passée la période de lancement d’eLectures et en plus de la promotion régulière qui en est faite auprès du public, il est crucial de faire vivre notre catalogue et de donner envie à nos eLecteurs de revenir sur notre plateforme. La spécificité de l’offre numérique, aussi bien en bibliothèque que pour les libraires en ligne, est le manque de visibilité de l’offre, au-delà des références présentées sur la page d’accueil.

Deux outils assez classiques, bien connus des bibliothécaires, sont ici à notre disposition pour nous aider à mettre en valeur le catalogue. Ainsi, on peut créer des sélections thématiques en s’appuyant sur l’actualité littéraire, l’actualité générale ou simplement nos envies, ou encore écrire des avis, « Bouche à oreille » à la BCUL, sur les titres au catalogue. Les sélections nous permettent ainsi de valoriser notre fonds. Les avis ont un effet plus ponctuel mais plus fort sur les prêts du titre concerné. Dans les deux cas, la recherche par auteur permet de redonner de la visibilité à toute une œuvre. Par la magie du clic, c’est un moyen immédiat de « faire » du prêt, mais aussi de mettre en valeur les compétences des bibliothécaires.

Dans le cadre d’une offre numérique, il est important de renouveler régulièrement ces sélections et ces coups de cœur afin de ne pas lasser l’utilisateur fréquent. Le succès de ce type de promotion est renforcé par une utilisation des médias sociaux. La newsletter BCUL fait ainsi systématiquement mention dans ses rubriques de titres eLectures. La promotion croisée avec les ressources documentaires physiques in situ est évidemment un plus. Enfin, une sélection ou un avis sur des titres eLectures sont réutilisés, quand cela est possible, pour faire la promotion de leur contrepartie physique.

Quel lectorat pour eLectures ?

Le public ciblé

Nos deux objectifs principaux, lorsque nous avons décidé de nous lancer dans une offre numérique, étaient qu’elle soit « grand public » et accessible à distance.

En tant que bibliothèque publique, nous souhaitions développer une offre « pour tous ». Cela n’excluait bien évidemment pas le public de l’université mais il s’agissait d’inclure nos « autres » usagers, principalement actifs sur le site du centre-ville, avec une offre d’actualité et de loisirs, pendant numérique de l’offre physique de la bibliothèque.

A partir de là, on ouvrait la possibilité d’élargir la population actuelle de nos lecteurs, en touchant :

  • Les plus distants, donnant ainsi à la BCUL l’occasion de jouer pleinement sa carte cantonale, en atteignant également les régions plus éloignées de Lausanne,
  • Ceux qui ne peuvent se déplacer physiquement à la BCUL, que ce soit pour des motifs professionnels, de santé ou de disponibilité.

On savait par ailleurs qu’une offre numérique intéresserait potentiellement d’autres types d’usagers, comme par exemple les grands lecteurs ou les pendulaires, qui allaient ainsi alléger leur sac.

Enfin, l’idée était à la fois d’attirer de nouvelles personnes, mais aussi de fidéliser nos lecteurs actuels avec une offre numérique accessible à distance et donc aussi disponible pour ceux qui ont quitté l’université ou disposent de moins de temps ou d’occasion de se déplacer dans une bibliothèque.

Analyse du lectorat deux ans après le lancement de l’offre

En l’état, nous pouvons nous baser uniquement sur les statistiques proposées par la plateforme (nombre de prêts, nombre d’usagers, liste des usagers) et sur quelques données observées soit au niveau des emprunts, soit dans les interactions que nous avons avec certains eLecteurs. Seule une enquête permettrait de fournir des données plus précises, notamment qualitatives, sur ce lectorat d’un service numérique.

Le profil d’usage

Dans son enquête dans les médiathèques en Auvergne-Rhône-Alpes, Mabel Verdi Rachemacher (Verdi Rachemacher, 2017) distingue trois types d’usagers : les convaincus, qui ont eu une expérience de lecture numérique satisfaisante et dont la pratique est stabilisée ; les dubitatifs, qui ont eu une expérience satisfaisante mais préfèrent lire en version imprimée ; et enfin les désenchantés, qui font un bilan négatif de leur expérience.

Dans l’utilisation d’eLectures, nous observons les deux postures extrêmes : des personnes qui s’inscrivent à la prestation, empruntent un ou deux livres et ne reviennent pas. Nous avons également un nombre assez important de grands lecteurs, qui empruntent par lot de 10 livres numériques chaque mois, et ceci depuis leur inscription numérique. Un de nos lecteurs emprunte un nouveau livre chaque jour, et nous a dit le lire dans ses déplacements durant la journée. Dans les usages cycliques, on remarque des lecteurs qui n’empruntent pas de manière régulière, mais intensivement à des périodes données, vraisemblablement avant un départ en vacances.

Sur le plan quantitatif ensuite.

Dans son article du Livres Hebdo paru en février 2017, Véronique Heurtematte (Heurtematte, 2017) donne les informations suivantes : à Montpellier Méditerranée Metropole, l’offre touche 1’000 lecteurs sur les 54’000 que compte le réseau (1,9%). A Grenoble, les prêts concernent 1’300 des 35’000 usagers (3.7%). La BCUL compte elle environ 29'000 lecteurs actifs, dont 1'800 sont inscrits à eLectures. Le ratio (6,2 %) est comparativement bon.

Le profil des usagers eLectures

Il faut mentionner que ces données de profil ne sont pas stockées dans la plateforme, qui n’enregistre que les données nécessaires à la gestion du compte : numéro de carte, mot de passe, adresse e-mail. Comme il faut être inscrit dans le réseau Renouvaud pour emprunter dans eLectures, les données ci-dessous proviennent du SIGB.

Selon le sexe : les inscrits sur la plateforme sont à 58% des femmes. Pour la lecture en général, l’enquête OFS 2014 sur les pratiques culturelles en Suisse (OFS, 2017) et la brochure présentant les premiers résultats de l’enquête (OFS, 2016) notent que les femmes sont plus nombreuses à lire des livres que les hommes, et particulièrement si on parle de la lecture pour les loisirs. En revanche, il semblerait que la parité se retrouve, au niveau Suisse, pour la lecture d’e-books pour les loisirs.

Selon l’âge : comme le montre le graphique ci-dessous, toutes les tranches d’âge sont représentées, avec une prédominance des quadragénaires et quinquagénaires. Assez réjouissante, la présence des trentenaires en troisième position, soit un public moins présent physiquement dans les bibliothèques. A titre de comparaison, les données de l’OFS (2017) montrent que les 30-44 ans sont de plus grands amateurs d’e-books. Pour l’anecdote, le lecteur « jeune depuis le plus longtemps » est né en 1925.

Selon le lieu : Un objectif initial était de toucher tout le canton. Force est de constater que l’utilisation pour l’instant reste bien concentrée sur les agglomérations vaudoises. Cela va dans le sens de l’enquête de l’OFS 2014 citée plus haut qui souligne que la plupart des activités culturelles sont pratiquées plutôt par des citadins et les habitants d’une agglomération.

Comme on peut le lire dans le graphique, la grande majorité des utilisateurs de la plateforme habite dans le district de Lausanne (46% des usagers « vaudois »). Les habitants du canton de Vaud représentent à eux seuls 82% des usagers de eLectures, les 18% restants étant composés d’autres cantons romands (16%), des cantons alémaniques et du Tessin (1%) et de l’étranger.

eLectures, produit de substitution ou gain de nouveaux lecteurs ?

Proposer une offre numérique apparaît pour de nombreuses bibliothèques comme un choix stratégique. La bibliothèque évolue, ses services aussi. Si l’on souhaite rester en phase, les bibliothèques doivent s’adapter. On est également dans une démarche de diversification des prestations offertes et des publics.

Il reste néanmoins très difficile de définir de manière précise si une telle offre est, au niveau du lectorat, plutôt un produit de substitution ou une opportunité d’attirer un nouveau lectorat et de renouveler les publics. C’est sans aucun doute un peu des deux.

Dans une bibliothèque comme la nôtre, le nombre de lecteurs actifs (c’est-à-dire qui emprunte physiquement au moins un document dans le cours d’une année civile) est stable. Cela signifie un équilibre entre ceux qui cessent d’emprunter, et les nouveaux lecteurs qui s’inscrivent. C’est un processus normal, surtout dans le cadre d’une bibliothèque qui touche des apprenants (gymnasiens, étudiants à l’UNIL) qui sont mobiles une fois leur formation terminée.

Même si le nombre de prêts effectués sur la plateforme eLectures est tout à fait satisfaisant, on ne peut pas dire qu’il y ait une percée au niveau des statistiques d’emprunts. On ne peut pas non plus lire dans les statistiques de prêts de documents physiques s’il y a substitution ou non. Il y a de toute façon une limite à ce que qu’un individu peut lire en un mois, même en étant un grand lecteur. Ce que l’on peut constater, c’est qu’une partie du public d’eLectures emprunte également des documents physiques sur nos sites. Certains se sont mis au numérique quand ils ont vu par exemple que le Prix Goncourt 2016 était disponible tout de suite en numérique et sans file d’attente...

A-t-on gagné des nouveaux lecteurs grâce à eLectures ? Oui clairement. Ce n’est pas chiffrable car certains sont venus s’inscrire sur place sans mentionner qu’ils s’intéressaient à eLectures. Cependant de nombreuses personnes nous ont contactés, parfois de loin, en nous disant s’inscrire pour le numérique uniquement.

Relations avec les fournisseurs

Fonctionnement quotidien de la plateforme et réponses du support technique

Les relations avec notre fournisseur se limitent surtout au support qu’il offre en cas de problèmes. Les acquisitions et les renouvellements d’abonnement (à la plateforme) sont des processus bien rodés qui se déroulent efficacement. En revanche, le support technique (c’est-à-dire, en cas de problème avec un appareil ou à l’ouverture d’un fichier), constitue le principal point faible de notre fournisseur et ce pour trois raisons principales.

La première, et la plus importante, est l’absence d’un interlocuteur clair et identifié. Dès lors, en cas de problème, nous envoyons, telle une bouteille à la mer, un e-mail à une adresse générique qui fait preuve de bien peu de réactivité. Le fournisseur répond à ce problème que la messagerie est bien relevée, qu’ils traitent la question, sans nécessairement répondre à l’interlocuteur qui l’a soulevé. La solution consiste donc à tester régulièrement pour savoir si oui ou non le problème est résolu.

La seconde raison est le manque de communication de notre fournisseur envers ses clients. Par exemple, lorsqu’un éditeur décide, pour les nouveaux titres, de réduire le nombre de prêts simultanés de ses documents nous n’en sommes pas informés. Cette problématique est réelle pour les acquéreurs qui découvrent alors qu’il faut acheter davantage d’« exemplaires » pour pallier le changement de pratique de l’éditeur mais rendre cela transparent pour l’usager ; la volonté étant de conserver un niveau de service équivalent.

La troisième raison est que les problématiques remontées ne concernent en général pas directement l’offre ou sa mise à disposition sur la plateforme. Pour preuve, les deux problèmes principaux rencontrés en 2017 ne relevaient pas de Cantook Station. Le premier problème est apparu avec la mise à jour 10.3.1 du système d’exploitation iOS d’Apple. En effet, le code comportait une erreur qui empêchait l’ouverture des fichiers avec les applications de lecture Bluefire Reader et Aldiko sur iOS (iPhone et iPad). Le second qui consistait en un message d’erreur incompréhensible à l’ouverture des livres résultait du fait que certains distributeurs de livres numériques transmettaient des fichiers qui contenaient des erreurs de validité au niveau du verrou numérique.

A la décharge de notre fournisseur, la qualité du support est aussi en lien avec sa position. En effet, celui-ci est toujours « entre deux feux » : il distribue des documents qu’il n’a pas générés (donc il n’a pas la main sur leur qualité) et les met à disposition sur des appareils qu’il ne développe pas (iPad, liseuses…). Là encore, il est tributaire des développements de ces sociétés.

Avantages et inconvénients de l’externalisation pour la BCUL

Le choix d’un service hébergé en local ou dans le cloud est d’ordre institutionnel. Il y a des avantages et des inconvénients aux deux solutions mais ce n’est pas le propos de l’article. Ainsi, nous vous proposons de détailler ici les avantages et inconvénients de la solution choisie, c’est-à-dire celle de l’hébergement à distance.

Tout d’abord, nous avons accès à un catalogue déjà constitué, dont l’ensemble des négociations avait été effectué par le diffuseur. Cette offre initiale évolue constamment, que ce soit avec l’intégration de nouveaux éditeurs ou par l’enrichissement d’une collection déjà existante. Ce dernier est le fruit du travail direct de notre distributeur, travail de négociation et de médiation pour lequel nous ne sommes pas qualifiés. La délégation de la négociation trouve toutefois ses limites et notamment pour de petits éditeurs locaux, peu représentatifs du besoin de l’ensemble des clients et pourtant tellement précieux pour les usagers des bibliothèques locales.

La souscription à une plateforme externe permet aussi de bénéficier du travail de tous les clients précédents et notamment des demandes d’amélioration qu’ils ont effectuées. Un des gros points forts de l’offre mise à disposition est l’aide, extrêmement complète et très bien structurée qui nous permet de minimiser les explications par e-mail avec nos lecteurs en renvoyant vers celle-ci.

Les autres clients sont donc un atout pour faire évoluer ce type d’offre car les besoins sont sensiblement les mêmes (contrairement à un SIGB par exemple où chaque bibliothèque a ses exigences particulières). En revanche, dès que l’on souhaite des développements spécifiques (ex. ajout de statistiques), le fait d’avoir un besoin « hors norme » par rapport aux autres clients est une réelle faiblesse et les chances de voir le développement aboutir sont minces.

Enfin, la BCUL aurait aimé pouvoir mettre à disposition ses livres numériques dans son catalogue de « livres papiers » et permettre ainsi aux lecteurs de découvrir cette offre. Malheureusement, et malgré l’utilisation de protocoles standards par les deux outils, cela reste, pour l’instant, une volonté non aboutie. Nous allons travailler avec nos fournisseurs, ExLibris et Cantook, afin de pouvoir offrir cette amélioration à nos lecteurs.

Perspectives d’avenir

Pérenniser notre fonction de médiation

La médiation autour de l’offre de livres numériques est indispensable, d’une part parce que ceux-ci sont peu, voire pas visibles dans l’espace physique de la bibliothèque (et difficiles à rendre visibles) et, d’autre part, parce que l’aspect technique peut rebuter certains usagers peu à l’aise avec ces questions, mais pour qui le numérique apporte des avantages certains (ex. grossissement des caractères, pour ne citer qu’un aspect).

La plupart des bibliothèques le remarquent : le numérique ne fonctionne pas tout seul. Florent Dufaux fait le même constat (Dufaux, 2016) pour l’expérience de Labo-Cités à Genève.

En présentiel, aux guichets du site Riponne, on observe déjà un déplacement du type de questions posées par les usagers : de plus en plus sont en lien avec les équipements techniques (wifi, impression, internet, bureautique). Ainsi, si on propose une offre comprenant une part technique importante on doit l’accompagner et avoir des bibliothécaires prêts à y répondre et cela même si la foire aux questions (FAQ) est bien construite. Une partie du lectorat numérique est autonome ou le devient, mais, on l’a vu, ce n’est pas le cas de tous. Chaque mois de nouveaux lecteurs découvrent eLectures. Nous continuerons donc de proposer cette fonction de médiation sur la durée.

S’adresser à toute la population vaudoise

Une telle offre numérique est une formidable opportunité pour notre institution de se rapprocher de son public  principal : l’ensemble de la population vaudoise. Alors que les institutions culturelles vaudoises sont encore concentrées dans l’agglomération lausannoise, eLectures est un médium qui permet de faire connaître la BCU Lausanne dans tout le Canton en proposant un offre accessible à l’ensemble de ses habitants. Le bouche-à-oreille prenant le relais, dans un second temps, de la promotion institutionnelle.

Pour l’équipe en charge de ce projet, on peut avancer qu’eLectures sera une vraie réussite lorsque, en plus d’une utilisation importante et régulière, les proportions d’usagers provenant des différents districts du Canton seront équilibrées.

Continuer à promouvoir eLectures

Un service de ce type-là doit rester vivant. La réalité des licences des livres numériques implique une vie active de cette « collection ». Alors que les collections physiques de la BCU Lausanne ont un taux de rotation annuel de 7% [7], il est évidemment ni intéressant ni rentable financièrement qu’un tel taux se retrouve sur une plateforme de prêt de livres numériques. Actuellement, le fonds eLectures est à plus de 100% de taux de rotation (chiffres de juillet 2016 à juin 2017).

Mais cela n’est possible que si la promotion d’eLectures se fait de manière continuelle à travers la communication institutionnelle ou une mise en valeur par l’intégration de ces documents dans notre outil de découverte public. Actuellement, cette solution n’a pas pu être mise en place à la BCU Lausanne mais ce travail de moissonnage de nos livres électroniques est en cours avec De Marque (via le protocole OPDS). La mise à disposition de l’offre eLectures via l’interface publique procure une visibilité sans égale et augmentera le public touché par celle-ci. 

La promotion passe également par l’animation de la plateforme avec des sélections régulières liées à l’actualité de la BCU Lausanne ou du monde ou par la rédaction de nos « Bouche-à-oreille », coups de cœur des bibliothécaires imprimés traditionnellement sur des signets, qui se voient ici offrir une nouvelle vie numérique.

Bref, la promotion d’eLectures doit être envisagée comme un continuum, année après année, et surtout, budget après budget.

Utilisation des réseaux sociaux

Qui dit numérique, dit réseaux sociaux, la BCUL est présente sur différentes plateformes mais principalement Twitter et Facebook [8]. Etant donné que la charge de faire vivre ces comptes est répartie sur une multitude de collaborateurs, nous avons facilement la possibilité de promouvoir une sélection de documents, un titre en particulier faisant écho à l’actualité ou de donner des informations pratiques sur le service. Il est cependant difficile d’évaluer l’impact de ce mode de communication sur les emprunts de e-books. Cela dit nous partons du principe que plus le nom du service circule, plus il y a de chance que l’effet « bouche à oreille » atteigne son public.

Nous savons par contre que des pics d’emprunts suivent de quelques heures l’envoi de la newsletter institutionnelle à tous nos usagers actifs. Cette dernière contient systématiquement au moins deux « avis du bibliothécaire » sur des documents de nos collections avec un lien, via notre blog, vers eLectures si nous en proposons une version numérique. Si on considère qu’entre juin 2015 et mai 2017, nous mesurions en moyenne 37 prêts par jour, cet indicateur pouvait monter à 60 ou 70 dans les jours qui suivaient l’envoi d’une newsletter.

Comme on l’a déjà souligné lorsque nous traitions de la médiation, un service numérique de ce type ne peut pas vivre tout seul et il est difficile de le rendre visible aux usagers. Les tentatives de promotion dans nos locaux par différents moyens aident à faire connaître l’offre mais il y a toujours une étape difficile à franchir : celle de convertir un usager potentiel se trouvant dans la bibliothèque en usager actif sur le net. La présence sur les réseaux sociaux est donc importante pour créer des liens vers la plateforme, la faire connaître et continuer d’attirer un public distant.

Conclusion

Après 27 mois d’exploitation, le bilan de l’expérience eLectures est plus que positif pour la BCUL, ses lecteurs et ses collaborateurs. En premier lieu, cette offre a trouvé son public avec 1'800 inscrits sur les 29’000 usagers actifs de la BCUL. Notre premier défi est, bien entendu, de continuer à la faire connaître auprès de notre public mais aussi d’en faire un outil permettant à la BCUL d’attirer de nouveaux lecteurs.

En second lieu, eLectures a été l’occasion, pour une partie des collaborateurs de l’institution, de se confronter aux nouvelles technologies de l’information à travers un projet concret au service de nos lecteurs. Des collaborateurs toujours plus compétents, capables de répondre aux questions variées et pointues des usagers, contribuent à changer l’image encore trop traditionnelle des bibliothèques auprès du grand public. C’est aussi un moyen, en répondant à ses nouveaux comportements, de garder ce public en bibliothèque. Enfin, le lancement de ce type d’offre numérique est aussi l’occasion d’attirer l’attention des médias, presse écrite et radio, et, là encore, de démontrer le dynamisme de nos institutions et de faire connaître la richesse d’une offre documentaire et de services qui est encore loin d’être connue de tous.

Bibliographie

CHARTIER, Mathieu (2017). Les ventes de livres numériques en baisse. Les Numériques, 02.05.2017, http://www.lesnumeriques.com/liseuse/ventes-livres-numeriques-en-baisse-n62603.html (consulté le 22.06.2017)

DUFAUX, Florent (2016). Labo-Cité : pourquoi une bibliothèque sans livres ?. Ressi. 2016.
http://www.ressi.ch/num17/article_124 (consulté le 14.08.2017)

GLAUS, Christoph (2016). Trois Suisses sur quatre ont adopté le smartphone. Comparis.ch. 2016. https://fr.comparis.ch/comparis/press/medienmitteilungen/artikel/2016/telecom/smartphone-studie-2016/smartphone-verbreitungsstudie-2016.aspx (consulté le 22.06.2017)

HEURTEMATTE, Véronique (2016). Prêt numérique, épisode 2, le réveil de la force. Livres Hebdo no 1071, 05.02.2016.
http://www.livreshebdo.fr/article/pret-numerique-episode-2-le-reveil-de-la-force (consulté le 10.08.2017)

OFFICE FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE (2017). Equipement TIC. 2017. https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/culture-medias-societe-information-sport/societe-information/indicateurs-generaux/menages-population/equipement-tic.html (consulté le 22.06.2017)

OFFICE FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE (2016). Pratiques culturelles et de loisirs en Suisse : premiers résultats de l’enquête 2014. 2016. https://www.bfs.admin.ch/bfsstatic/dam/assets/349945/master (consulté le 04.09.2017)

OFFICE FÉDÉRAL DE LA STATISTIQUE (2017). Pratiques culturelles en Suisse 2014: livres, ebooks, bandes dessinées et bibliothèques. 2017. https://www.bfs.admin.ch/bfsstatic/dam/assets/3243673/master (consulté le 11.09.2017)

RESEAU CAREL. Le PNB tel qu’on le parle. https://www.reseaucarel.org/page/le-pnb-tel-qu-le-parle-0 (consulté le 04.09.2017)

ROSSELET ; Marion (2017). Edition vaudoise : arrêt sur image, panorama général et enquête statistique sur l’activité éditoriale dans le canton de Vaud en 2015-2016. Ville de Lausanne et Etat de Vaud, août 2017. http://www.vd.ch/fileadmin/user_upload/themes/culture/aides_creation/fichiers_pdf/EtudeVD_MRosseletDEF_-_v.pit.pdf (consulté le 07.09.2017)

VERDI RADEMACHER, Mabel (2017). Le numérique et le lecteur, retour du nomade : une enquête dans les médiathèques en Auvergne-Rhône-Alpes. 2017.
http://www.enssib.fr/presses/catalogue/le-numerique-et-le-lecteur-retour-du-nomade (consulté le 10.08.2017)


Notes

[1] 2,5% du chiffre d’affaire global de l’industrie du livre en France. A un niveau plus global, les ventes de e-books semblent baisser y compris dans le monde anglophone. (Chartier, 2017)

[2] En 2014, presque 80% des ménages suisses possèdent au moins un ordinateur portable et 78% des 15-74 ans (2016) un smartphone. (OFS, 2017 et Glaus, 2016)

[3] Pour plus de détails sur le projet PNB, vous pouvez consulter le document rédigé par le réseau Carel (RESEAU CAREL, non daté)

[4] Le rapport de Marion Rosselet (Rosselet 2017) l’indique en tout cas pour les éditeurs vaudois en ne recensant que 12% de leurs catalogues en version numérique.

[5] https://www.youtube.com/playlist?list=PLRvUETy0qVh5SNtO-5RLr2T0gP12q0dcv

[6] http://bcu-lausanne.cantookstation.eu/aide

[7] Ce chiffre inclut également les ouvrages du dépôt légal et des collections précieuses qui ne s’empruntent pas.

[8] https://twitter.com/BCULausanne et https://www.facebook.com/BCULausanne

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