Publiée une fois par année, la Revue électronique suisse de science de l'information (RESSI) a pour but principal le développement scientifique de cette discipline en Suisse.
Présentation de la revue
Contenu du site
Se connecter
Intelligence économique
La veille et l’intelligence économique dans le marché de l’emploi en Suisse romande
Ressi — 15 décembre 2015
Raphaël Rey, Haute Ecole de Gestion, Genève
Résumé
Cet article donne les résultats d'une enquête sur le marché de l'emploi en Suisse romande pour des postes comportant des tâches de veille et d'intelligence économique. Entre juillet et octobre 2015, plusieurs centaines d'annonces ont été relevées dans divers portails d'offres d'emplois. Les résultats ont montré que la mention de la veille est assez fréquente (un peu moins de 2% du nombre total des offres), mais en général pour des tâches annexes. La veille technologique est particulièrement fréquente, notamment dans le descriptif des postes d’informaticiens et d’ingénieurs. Concernant les offres avec des responsabilités relevant majoritairement de la veille et de l'intelligence économique, nous en avons relevé 70. Presque tous les secteurs sont représentés, mais les milieux bancaires et pharmaceutiques occupent une place prédominante (veille marché et veille réglementaire). Du côté des formations en lien avec l’intelligence économique ou la veille, très peu d’attentes sont exprimées. Seules 5 offres ont été repérées au cours de l’enquête.
Zusammenfassung
Dieser Artikel gibt die Ergebnisse einer Untersuchung über den Arbeitsmarkt im Westen der Schweiz für Stellen mit Competitive Intelligence Aufgaben. Zwischen Juli und Oktober 2015 wurden mehrere hunderte Arbeitsangebote gefunden und analysiert. Die Ergebnisse zeigen, dass Competitive Intelligence durchaus üblich ist (etwas weniger als 2% der Gesamtzahl der Anzeigen), aber meistens für Nebenaufgaben. Technology Monitoring ist sehr häufig, insbesondere in der Beschreibung der Arbeitspflichten von Informatikern und Ingenieuren. Wir haben 70 Arbeitsangebote gefunden, die am meisten mit Competitive intelligence zu tun haben. Fast alle Sektoren kommen vor, aber der Bankensektor und die Pharmaindustrie sind häufiger (Market Intelligence und Legal Intelligence). Wir haben auch bemerkt, dass die Arbeitsangebote ganz selten Competitive Intelligence Ausbildungen erwähnen: nur 5 Angebote wurden im Rahmen der Untersuchung identifiziert.
La veille et l’intelligence économique dans le marché de l’emploi en Suisse romande
1 Introduction
En Suisse romande, une part importante des dirigeants de PME (Petites et Moyennes Entreprises) affirment avoir mis en place une démarche d’intelligence économique (IE) comme en témoigne une enquête de 2014 menée par Alexandre Racine et Amanda Morina(1). Les résultats ont montré qu’un peu moins de 60% des CEO (Chief Executive Officer) interrogés se disent déjà engagés sur cette voie et que près des trois quarts des entreprises pratiquent la veille, ne serait-ce que de manière informelle.
Selon ces chiffres, une majorité d’entre elles consacreraient donc des ressources à cette question, ce qui devrait logiquement se répercuter au niveau du cahier des charges affichés dans les offres d’emploi.
Du côté des grandes multinationales, ces pratiques sont souvent anciennes et bien implantées dans la mesure où leur taille et leur zone d’activité rendent évidente l’impossibilité d’appréhender un environnement si vaste et si complexe sans y consacrer des ressources et adopter une méthode structurée. A ceci s’ajoute souvent l’influence de la culture de gestion anglo-saxonne qui a acquis depuis longtemps une sensibilité dans le domaine.
2 Objectifs
Si une majorité des entreprises en Suisse romande consacrent des ressources à l’IE et à la veille, les offres d’emploi devraient logiquement en constituer un bon indicateur avec la mention claire de tâches associées à ces domaines. Cette étude a pour principal objectif de vérifier ce fait et de proposer un panorama général du marché de l’emploi centré sur cette problématique. Il s’agira notamment de déterminer :
- les secteurs économiques qui recrutent le plus
- avec la veille ou l’IE en tâche annexe,
- avec la veille ou l’IE en tâche principale ;
- les types de veille pratiqués ainsi que la terminologie utilisée pour la désigner ;
- le rattachement au sein de l’entreprise (communication, marketing, direction générale, etc.) ;
- les profils et formations recherchées.
Ces données sont particulièrement utiles pour les acteurs de l’intelligence économique en Suisse. Elles rendent manifestes les secteurs, voire les entreprises les plus actives dans ce domaine. Elles constituent également une ressource précieuse pour le positionnement et la promotion de formations en IE afin de répondre aux besoins du marché.
Un objectif annexe à cette étude est de mettre en place un dispositif simple avec un minimum de traitement nécessaire pour relayer sur le site JVeille les annonces parues dans le domaine de l’IE : http://www.jveille.ch(2) .
3 Méthodologie
3.1 Périmètre de l’étude
Dès le début de cette étude, nous avons pris le parti de ne pas rechercher d’annonces spécifiques à l’influence (lobbying) ou à la sécurité. Outre le souci de restreindre le périmètre de récolte de données, nous voulions aussi préserver une certaine unité. En effet, la quasi-totalité des annonces observées concernant la sécurité s’adresse à des informaticiens spécialisés dans ce domaine et non à des personnes qui auraient suivi un cursus en IE. Pour le domaine de l’influence, les annonces sont peu nombreuses et difficile à distinguer des postes de relations publiques et de communication. Nous avons donc renoncé à tenter de les cibler spécifiquement.
3.2 Une recherche en trois phases
La recherche d’annonce d’emplois pour la veille et l’intelligence économique s’est déroulée en trois phases. La première avait pour but de faire différents tests de mots-clés et de sources (sites d’offres d’emplois) en vue de la mise en place d’un dispositif de surveillance permettant de détecter un maximum d’annonces en Suisse romande. Nous ciblions toutes les annonces du moment qu’elles mentionnaient des tâches même annexes en lien avec l’IE.
La seconde phase a consisté à exploiter le système mis en place et donc à récolter puis traiter les annonces détectées. Dans la dernière, nous avons davantage ciblé notre surveillance sur les offres dont la plus grande partie des tâches mentionnées relevaient directement de l’IE. Ce sont finalement surtout ces annonces-là qui permettent d’évaluer l’implantation de l’IE dans les entreprises.
3.3. Sélection des mots-clés et des sources (phases 1 et 2)
La sélection de ces derniers a été l’objet d’un choix difficile. Le terme « veille » est évidemment important, mais il désigne également l’action de « faire en sorte que » assez fréquente dans les annonces. On aurait donc pu associer ce mot-clé à des adjectifs comme « stratégique », « technologique » ou « concurrentielle », mais une exploration préliminaire nous a permis de constater que les expressions utilisées sont peu prévisibles et nous avons donc pris le parti d’accepter passablement de bruit et d’effectuer un tri manuel.
Le terme « intelligence » soulève des problèmes similaires. Fort heureusement, il n’apparaît que rarement pour désigner une caractéristique de la personne. Que ce soit dans les annonces francophones ou anglophones, il se retrouve majoritairement associé à « business » (« business intelligence »). Cette expression peut se rapporter à un champ d’activité proche de l’IE, mais dans la grande majorité des cas, il s’agit d’informatique décisionnelle. Par ailleurs, à côté d’expressions consacrées comme « competitive intelligence » tout à fait pertinentes pour notre étude, on trouve également des expressions moins caractéristiques comme « provide intelligence ». Au vu de cette diversité dans les usages nous avons donc décidé de suivre le terme « intelligence » quel que soit son contexte et de réaliser un tri par la suite.
A ces deux mots-clés, nous avons encore joint deux expressions anglophones que nous avons rencontrées à quelques reprises : « market insight » et « business insight ».
Au niveau des sources, en raison de l’abondance du bruit engendré par ces requêtes (environ 30%), nous ne pouvions naturellement pas viser l’exhaustivité. A défaut, nous avons multiplié les canaux : une agence de placement (Addeco), deux métamoteurs (Option carrière et Indeed), un réseau social (LinkedIn) et deux portails (JobUp et Monster).
Concernant le mode de récolte des données, nous avons naturellement dû nous adapter aux possibilités offertes par les différentes sources. Nous avons privilégié les flux RSS quand cela était possible, sinon nous avons recouru à des surveillances de pages de résultats en fonction de requêtes et à des alertes par email. Voici un tableau récapitulatif des surveillances :
3.4 Recentrage des surveillances (phase 3)
Après une période de surveillance où nous avons ratissé large et pu observer la diversité des annonces comportant une part d’activité en lien avec l’intelligence économique, il nous a paru pertinent de suivre sur une plus longue durée les offres beaucoup moins nombreuses avec majoritairement des tâches en lien avec l’IE.
Pour limiter le bruit et le temps de traitement, nous n’avons suivi qu’une seule source, la plus prolifique de la phase 2 : Indeed. Nous avons également pris des mesures pour réduire le bruit au risque d’un certain silence. Voici l’équation que nous avons appliqué à chaque canton romand (ou partiellement romand) :
(veille or intelligence or "market insight" or "business insight") -"business intelligence" -"veille technologique" -"veille à" -"veiller à" -"veille au" -"veiller au" |
Parmi les points notables, nous avons par exemple rejeté l’expression « business intelligence ». En effet, la première phase de récolte a révélé que l’immense majorité des annonces comprenant cette expression n’étaient pas pertinentes par rapport à l’IE. Plus discutable peut-être, nous avons pris la décision de rejeter la veille technologique. En effet, cette tâche est mentionnée dans de très nombreuses annonces pour des postes d’ingénieurs ou d’informaticiens. Ce ne sont pas des spécialistes de la veille, mais cela fait partie de leur métier de se tenir informés sur les innovations de leur domaine. De plus, cela ne représente qu’une part très limitée de leur temps de travail.
3.5 Outils de veille utilisés
L’ensemble du dispositif a été mis en place sur le logiciel français de veille stratégique Digimind. Cet outil s’est révélé pratique pour son tableau de bord qui permettait de vérifier l’ensemble des sources de manière systématique, ainsi que pour les possibilités de capitalisation des annonces en leur associant des mots-clés en fonction de listes : formation, type de veille, secteur économique, etc.
Pour la phase 3 et la seconde collecte, nous avons également recouru à Inoreader qui permet d’exporter des flux RSS avec un paramétrage fin ainsi que des codes html pour intégrer les résultats sur un site web. Cette dernière fonctionnalité nous a permis de rediffuser les offres pertinentes sur le site JVeille.
4 Résultats
4.1 Représentation de la veille et de l’IE dans les offres d’emploi
Nous commençons l’exposition des résultats avec une rapide analyse de la présence de la veille et de l’IE dans les offres d’emploi. Pour ce faire, nous avons effectué un pointage sur toutes offres ouvertes le 10 septembre à l’aide du métamoteur Indeed et de l’équation suivante :
(veille or intelligence or "market insight" or "business insight") -"business intelligence" -"veille à" -"veiller à" -"veille au" -"veiller au" |
Il s’agit de la même requête que celle présentée dans la section précédente à l’exception que nous n’excluons plus la veille technologique. Par commodité, nous désignerons dans les diagrammes cette équation par le sigle /veille/.
Sur l’ensemble des cantons romands à l’exclusion de Berne qui est majoritairement alémanique, nous obtenons les chiffres suivants :
On constate donc qu’en moyenne moins de 2% des offres mentionnent une activité en lien avec l’IE et cette proportion varie drastiquement selon les régions et semble diminuer à mesure que l’on s’éloigne de Genève et de l’Arc lémanique. En France, la même requête révèle qu’un peu plus de 5% des offres comportent des tâches de veille.
A titre de comparaison avec d’autres types de responsabilités ou fonctions, nous avons tenté les requêtes suivantes sur le canton de Genève :
Il ressort de ces chiffres que l’on manage à Genève au moins 8 fois plus que l’on ne fait de la veille. Une activité aussi transversale est moins demandée que des responsabilités en lien avec les ressources humaines ou la comptabilité. Quant aux ingénieurs, il n’y en a finalement qu’une partie assez faible dont l’annonce mentionne des activités de veille (9 sur 99).
Naturellement, les collaborateurs peuvent se voir confier des tâches de cet ordre, même si celles-ci ne sont pas annoncées dans l’offre. Toutefois ces chiffres semblent confirmer l’idée que les compétences en IE ne constituent que très rarement une priorité chez les recruteurs.
Ces résultats présentent une certaine stabilité dans le temps comme en témoignent deux autres sondages que nous avons effectués sur Indeed avec la même requête sur Genève (14 octobre et 4 décembre 2015).
Dans les sections suivantes, nous allons analyser plus en détail les offres repérées qui présentent tâches en lien avec l’IE.
4.2 Analyse globale des offres (juillet-août)
Sur les mois de juillet et août, nous avons retenu 277 offres comme comportant des tâches en lien avec l’IE : 24 où celles-ci occupent une place essentielle et 253 où elles sont annexes.
En plus de ces 24 offres repérées, on trouve également plusieurs stages avec des tâches relevant de l’IE prédominantes : 17 annonces dont la moitié pour des activités en lien avec le marketing. Si on cumule les chiffres pour les emplois et les stages, on constate que sur les 41 offres au total dans le domaine, 40% sont en réalité des activités non ou très peu rémunérés. Ces résultats soulèvent des questions quant à la reconnaissances des compétences propres à l’IE, si des stagiaires suffisent à couvrir une part si importante des besoins. Nous reviendrons plus loin sur ce point.
Concernant la terminologie utilisée dans les annonces pour désigner la veille, celui-ci dépend naturellement des requêtes utilisées. Néanmoins, nos équations étaient suffisamment larges pour laisser de l’intérêt à ce type d’analyse en mettant en évidence, par exemple, les termes les plus souvent associés à celui de « veille » :
En plus d’observer une grande diversité dans les domaines couverts par la veille, on ne peut que constater l’écrasante domination de la veille technologique. En effet, les offres pour des ingénieurs ou des informaticiens comportent régulièrement des tâches de veille. Celles-ci ne représentent toutefois presque jamais l’essentiel des postes.
Parmi les faits remarquables, on notera la faible représentation de la « veille stratégique » alors qu’il existe une affinité évidente entre stratégie et veille et que cette expression est très largement utilisée dans la littérature. Ces résultats tendent à montrer que la recherche d’information sert d’abord à répondre à des besoins très opérationnels.
Si on considère l’e-réputation, il n’y a que trois offres qui mentionnent cette spécialisation de l’IE (et essentiellement des entreprises françaises). Si la demande est bien marquée en France, on constate qu’elle peine à s’imposer en Suisse. Cela ne signifie pas que les organisations de ce pays ne se soucient pas de leur réputation en ligne, simplement cette tâche n’y est que rarement reconnue comme un métier en soi ou alors est désignée autrement : « analyste médias », par exemple.
En anglais, on constate une plus grande variété dans les expressions utilisées :
On observe que dans les annonces anglophones, la veille est beaucoup plus orientée sur les problématiques liées à la concurrence et à l’analyse de marché. L’influence des requêtes utilisées pour repérer les annonces est certaine, mais ne suffit pas à expliquer le fait.
A noter que « monitor(ing) » peut renvoyer à n’importe quel type de surveillance potentiellement sans aucun rapport avec de la veille (d’autres termes comme « analyse » ou « research » sont fréquents, mais non caractéristiques du type d’annonces recherchées). Les occurrences du terme « insight » sont, en revanche, très souvent pertinentes. Toutefois, il n’y a pas de combinaisons récurrentes. On trouve, par exemple, plusieurs fois des expressions comme « provide insights ».
Parmi les profils et métiers recherchés, la diversité est très importante, ce qui n’est guère surprenant dans la mesure où des besoins en veille et en IE peuvent se ressentir dans les organisations à tous les niveaux. Le diagramme suivant montre de manière sommaire pour toutes les annonces comportant des tâches de veille (prioritaires ou non) la répartition entre les différents métiers :
Premièrement, ce schéma montre la rareté des postes s’adressant spécifiquement aux spécialistes de l’information et de l’IE en Suisse romande. Nous reviendrons sur ce point par la suite.
Dans « marketing, communication, commerciaux », nous trouvons également les spécialistes des achats et les responsables de la stratégie commerciale. Ces métiers et ces fonctions n’appartiennent pas toujours à des postes différents, surtout dans les PME. Au niveau de la veille, l’ensemble de ces personnes pratique essentiellement la veille concurrentielle.
Concernant les informaticiens, une pratique de la veille est souvent attendue d’eux, mais ce n’est que très exceptionnellement que cette activité devient prioritaire par rapport au reste. Manifestement, on souhaite qu’ils mettent à jour leurs connaissances, mais cela se fait probablement le plus souvent de manière assez informelle et personnelle.
La situation est un peu différente dans les domaines commerciaux où la veille prend davantage d’importance. Toutefois elle semble également le plus souvent personnelle dans la mesure où elle sert directement les tâches que remplit le collaborateur. Par exemple, un responsable des achats va faire une veille fournisseurs.
Nous n’avons rangé parmi les « cadres dirigeants » que des directeurs généraux ou du moins des responsables de succursales. Les autres postes de cadre ont été rangés dans la catégorie correspondante à leur métier : « ressources humaines » pour un directeur des resources humaines.
Dans la catégorie « autres », nous trouvons une série de métiers comme des chefs de projet, des statisticiens, des responsables qualité, des employés administratifs, etc. Les cadres intermédiaires y sont particulièrement bien représentés.
Parmi les secteurs qui propose de plus d’emplois comportant des tâches de veille, on trouve en tête le milieu bancaire couplé à celui de la finance, ainsi que tout ce qui relève du domaine IT.
La forte présence du secteur bancaire et de la finance s’explique par le fait que ces sociétés ont un besoin important de veille à plusieurs niveaux. Ils utilisent beaucoup d’informatique et se doivent d’être absolument sécurisés à ce niveau, ce qui implique une veille technologique régulière.
D’autre part, la gestion de patrimoine représente des enjeux fiscaux et légaux importants, d’où le besoin pour une veille réglementaire. Par ailleurs, il y a aussi toute la question liée à la due diligence (devoir de vérification raisonnable) qui amène les intermédiaires financiers à enquêter sur leurs clients. Finalement, cet univers est concurrentiel comme les autres et ne peut donc pas s’épargner une veille marché.
Le deuxième secteur le plus représenté est l’IT. La veille y est surtout technologique et on la retrouve indifféremment dans de nombreux domaines d’activité : sécurité informatique, développement d’applications, solutions cloud, webdesign, gestion de systèmes d’information, etc.
On remarquera également la part importante des autres secteurs qui montre à quel point la veille, bien que rare (2% des offres environ), se retrouve dans la plupart des types d’activité.
4.3 Analyse des offres centrées sur l’IE (juillet-octobre)
Afin d’avoir davantage de données, nous avons étendu à quatre mois la période de récolte des offres qui comportent une part importante de tâches en lien avec de l’intelligence économique ou à de la veille. Dans cette partie, nous présentons donc des données datant de juillet à octobre 2015.
Nous avons retenu au total 70 offres où la part des tâches en relation directe avec l’IE nous semblait particulièrement importante. Parmi elles, la répartition des langues entre anglais et français est assez équilibrée avec un avantage pour la seconde.
La forte présence de l’anglais s’explique par la proportion significative des offres émanant de multinationales étrangères, mais pas uniquement.
Dans la section suivante, nous verrons que plusieurs secteurs d’entreprises dont le siège et l’essentiel des activités sont en Suisse proposent également des postes avec des besoins marqués en compétences IE.
Le diagramme suivant donne la répartition des offres par secteur sur les mois de juillet à octobre 2015 :
Nous pouvons tout d’abord constater une grande diversité. Après tout, le plus grand groupe est « autres secteurs » avec presque un tiers des offres. Il est toutefois intéressant de noter quelques différences avec la répartition que nous avions présentée plus haut quand nous analysions l’ensemble des annonces comportant des tâches d’IE :
- Le domaine IT a pour ainsi dire disparu ;
- Les secteurs medtech / pharma et banque / finance arrivent en tête, en particulier à cause du besoin massif de veille réglementaire ;
- La présence de cabinets de conseil que ce soit en IE, en marketing, en recrutement ou en technologie n’a rien d’étonnant dans la mesure où ce type de services requiert une recherche d’information souvent importante et actualisée ;
- Les ONG (Organisation Non-Gouvernementales) sont également bien représentées avec des tâches d'IE très diversifiées : veille médias et veille stratégique ;
- On retrouve également cette diversité dans l’horlogerie avec une dominance pour les problématiques liées au marketing.
On notera également une certaine fluctuation dans le rythme de publication des annonces. En effet, sur juillet et août, nous n’avions repéré dans le domaine de l’horlogerie aucune offre relevant majoritairement de l’IE, alors que pendant les deux mois suivants 6 paraissaient. Les autres secteurs affichent des répartitions un peu plus harmonieuses, mais le marché reste sujet à des fluctuations assez fortes.
Le diagramme suivant présente les domaines d’activité des 70 annonces retenues :
Le marketing et la conformité canalisent l’essentiel du marché de l’emploi. Ces résultats ne surprennent pas dans la mesure où le marketing est incontournable quel que soit le secteur d’activité. Quant à la conformité, elle est indispensable dans de nombreux secteurs bien représentés en Suisse romande comme les milieux bancaires ou pharmaceutiques.
La catégorie « prestation de veille » regroupe les emplois où la personne engagée n’effectue pas de la veille pour ses propres besoins ou un service donné dont elle fait partie (comme le marketing par exemple). Elle remplit au contraire un rôle de prestataire de services pour divers clients internes ou externes à l’organisation. Ces postes constituent des cibles particulièrement intéressantes pour celles et ceux qui souhaitent travailler activement dans la veille. Voici la liste des intitulés des dix annonces repérées :
A noter que pour seulement 4 de ces annonces, une formation dans le domaine de l’information est attendue (en orange dans le tableau). Quant à trois de ces offres, elles se contentent de rechercher des profils universitaires sans aucune formation spécifique à l’IE ou à la veille.
Si on ajoute encore une offre (absente de ce tableau) pour un poste à l’ONU dans le secteur des ressources humaines : JPO, HR Evaluation, Operational and Financial Analytics, il n’y a au total que 5 offres sur les 70 retenues qui expriment des attentes par rapport à une telle formation.
Comment interpréter cette situation ? On peut en déduire une certaine méconnaissance en Suisse pour les écoles et les filières qui intègrent la veille dans leur programme comme la HEG de Genève qui propose notamment un bachelor et un master en information documentaire ainsi qu’un DAS (Diploma of Advanced Studies) en intelligence économique et veille stratégique.
Toutefois, cette méconnaissance est probablement aussi le symptôme d’un manque de reconnaissance pour ce type de compétences. Parmi les emplois où la part de veille / IE est prédominante, nous avons aussi pu constater l’abondance des offres pour des stages avec près de la moitié des annonces. En particulier dans le domaine du marketing, la recherche d’information et la surveillance des médias sociaux apparaissent souvent comme des activités qu’on peut déléguer à des personnes peu formées ou du moins novices.
Pour aller au-delà de suppositions, la réalisation d’une enquête serait nécessaire. Toutefois, il est évident que pour une grande partie des travailleurs, la recherche d’information constitue une tâche quotidienne. Cette banalisation ainsi que la facilité d’accès et l’abondance de l’information masque probablement le besoin d’experts pour répondre à ces besoins. Et pourtant ceux-ci sont précieux pour coordonner les efforts d’une équipe et définir une véritable stratégie d’acquisition et de gestion de l’information. Aujourd’hui l’enjeu n’est plus tellement de trouver de l’information, mais de la trier et de cibler celle qui est véritablement utile.
5 Conclusion
Cette étude a mis en évidence un réel besoin du marché pour la veille. Avec environ 2% des offres mentionnant des tâches de ce type, il est évident que la question de l’information, de la mise à jour des connaissances est prise en compte par les recruteurs.
La plupart des secteurs d’activité sont représentés et parmi les plus demandeurs on trouve les banques, les medtechs et l'industrie pharmaceutique, puis dans une moindre mesure les ONG et l’horlogerie.
Toutefois, dans la majorité des cas, la veille ne constitue qu’une tâche annexe qui, dans les annonces, apparaît en général tout à la fin de la liste des responsabilités. Ceci est particulièrement fréquent pour les ingénieurs et les informaticiens qui comptabilisent à eux seuls un peu plus de 40% des offres repérées (112 sur 277 pour la période de juillet à août), mais uniquement dans 5 de ces offres, la veille occupe une place prédominante.
Parmi les types de veille pratiqués, l’analyse de la terminologie nous a montré qu’en français la veille technologique ou technique était très largement majoritaire (88 offres sur 277 en juillet et août), ce qui s’explique en partie par la forte proportion des annonces pour des postes d’ingénieurs ou d’informaticiens. Arrivent ensuite, la veille concurrentielle (26 sur 277) et la veille réglementaire (15 sur 277). Quant à l’e-réputation, elle n’a pas percé en Suisse malgré sa relative forte représentation en France (3 mentions dans les offres).
En anglais, la répartition est plus homogène et on trouve en tête competitive intelligence (20 sur 277) et market intelligence (12 sur 277). On ne trouve donc pas d’équivalent direct pour la veille technologique.
La présence récurrente de la veille dans les annonces constitue un premier pas, même si 2% des offres ne constitue qu’une proportion relativement faible si on la met en parallèle avec les trois quarts de dirigeants de PME qui prétendent qu’une pratique de veille existe au sein de leur entreprise (voir notre introduction).
Si une prise de conscience a eu lieu à propos de la nécessité de la veille, il s’agirait à l’avenir de généraliser et de professionnaliser sa pratique en rendant manifeste le fait que cela demande des compétences spécifiques et donc une formation.
En effet, cette étude met également en évidence un niveau d’attente très faible pour des formations en intelligence économique ou en sciences de l’information, même s’il ne fait pas de doute que des diplômes dans ces disciplines constituent un réel atout pour prétendre à des postes tels que ceux que nous avons identifiés comme comportant une part significative de tâches liées à l’IE.
Dans ce contexte, une formation telle que le DAS en intelligence économique et veille stratégique de la HEG de Genève fait particulièrement sens lorsqu’elle vient compléter un cursus dans des disciplines comme le droit, le marketing, la communication ou d’autres encore.
Néanmoins, il reste un long travail d’évangélisation à effectuer auprès des entreprises pour faire évoluer la reconnaissance des compétences d'IE et mettre en évidence l’importance d’une gestion professionnelle de l’information qui constitue aujourd’hui avec les ressources humaines, les biens les plus précieux des organisations.
Notes
(1) MORINA, Amanda., RACINE, Alexandre, 2014. Pratiques et besoins de veille dans les PME de Suisse romande. [En ligne]. Travail de bachelor. Genève : Haute école de gestion de Genève. [Consulté le 14 décembre 2015]. Disponible à l’adresse : https://doc.rero.ch/record/232941
(2) Site en lien avec l’organisation des journées franco-suisses de la veille en partenariat avec la HEG de Genève, la HE-Arc de Neuchâtel et l’Université de Franche-Comté.
- Vous devez vous connecter pour poster des commentaires
Maurizio Velletri, Haute Ecole de Gestion, Genève
Françoise Simonot, professeur, Département information-communication, IUT de Besançon, Université de Franche-Comté
La dimension humaine de l'intelligence économique : valeurs, organisation, réseaux et influence : compte-rendu de la 8ème Journée franco-suisse en intelligence économique et veille stratégique, 16 juin 2011, Haute école de gestion de Neuchâtel
La dimension humaine de l'intelligence économique préexiste à la dimension technologique. Aucun dispositif de veille ne peut valablement être mis en place sans qu'une stratégie d'entreprise ne soit définie et que des personnes l'animent en permanence : veilleurs, capteurs d'information, analystes, décideurs, etc.
Lors de cette journée, les participants ont découvert, au travers de témoignages d'entreprises suisses et françaises, la manière dont ces dernières ont appréhendé la dimension humaine de l'intelligence économique, dans des environnements essentiellement technologiques.
En préambule, messieurs Olivier Kubli, directeur de la HEG arc de Neuchâtel, Pascal Sandoz, conseiller communal ainsi que François Courvoisier, professeur HES et membre du comité d'organisation ont souhaité la bienvenue aux participants (environ 50) ainsi qu'aux 7 intervenants.
1. « Le facteur humain dans l’IE, utilisation des réseaux d’influence » Jean-Jacques Rechenmann
Jean-Jacques Rechenmann, consultant en marketing et développement international, directeur de SitesFederateurs.com, à Paris, a d’emblée rappelé l'importance de l'utilisation des réseaux d'influence, mettant le facteur humain au cœur de l'Intelligence économique.
Il nous a fait part de son scepticisme quant à l’utopie qui tendrait à l’automatisation complète du processus de veille. La réalité est selon lui toute autre. Reprenant une définition du Captain William S. Brei(1) sur l’intelligence (traduit par renseignement en français), il en ressort 2 composantes essentielles : le client et le facteur humain comme étant au cœur de l’IE.
Jean-Jacques Rechenmann expose trois retours d’expérience mettant en avant l’importance du facteur humain à travers les réseaux d’influence : dans les pays de l’Est par exemple, les études documentaires préalables et les rencontres avec les importateurs ne suffisent pas, il faut connaître « le réseau invisible » qui seul pourra « homologuer » le candidat à l’exportation et prendre les décisions. Au niveau international, l’identification et la cartographie des acteurs (officiels ou non) et des sphères d’influence, à partir du cycle de vie du produit, est donc une étape lourde, mais primordiale pour la conquête d’un marché.
Il faut exploiter les réseaux d’influence tout en protégeant l’information vitale (son savoir-faire et sa technologie) et en améliorant sa communication de manière intelligente : il faut communiquer sur la solution et non sur les moyens, sur le client et non sur le produit. De plus, aujourd’hui, une entreprise se doit d’optimiser sa communication afin d’anticiper les éventuelles attaques sur sa réputation : c’est le meilleur moyen de rendre non crédibles les informations nuisibles qui pourraient être divulguées sur elle et ses produits.
2. « Organisation de la veille marketing : convaincre les sceptiques » Philippe Jacot et Brice Renggli
Messieurs Jacot et Renggli, respectivement CEO et responsable marketing et intelligence marché de l’entreprise Tornos à Moutier, ont présenté l’organisation de leur veille marketing et la difficulté qu'ils avaient à convaincre les sceptiques à adopter cette démarche.
Tornos a mis en place en 2007 une démarche d’intelligence économique, qui est organisée autour de trois grands types de veille: Intelligence marché, concurrentielle et technologique. La direction, qui soutient la cellule de veille, s’évertue à convaincre les salariés de s’impliquer dans la veille et à leur montrer l’intérêt qu’ils ont à y participer.
Tornos mise tout particulièrement sur l’importance de bien connaître et servir sa clientèle : la connaissance du marché et des besoins des clients est donc la base sur laquelle sont établies les « roadmaps » produits et technologies, constitutives de la stratégie de l’entreprise.
Cela passe par l’art de se poser les bonnes questions, de développer sa clientèle, de bien répondre à leurs attentes, de bien positionner les problèmes qu’on a par rapport aux concurrents.
Les informations récoltées émanent de sources primaires (fournisseurs, clients, agents, filiales, office de la statistique…) et de sources secondaires (rapport annuel des concurrents, communiqués de presse des concurrents, tout ce qu’on peut trouver sur internet). Le travail de collecte, de tri, de clarification et de synthétisation de l’information aboutit notamment à l’élaboration de trois outils :
- Une base de données d’informations concurrentielles, qui permet de gérer correctement des échanges ritualisés d’informations, trois fois par an, avec les concurrents, selon une sorte de « gentleman agreement » ;
- Un indicateur intitulé « decolletage relevance », qui permet de suivre l’évoution de la taille du marché
- Une synthèse annuelle sous forme d’un slide par marché, établissant les prévisions jusqu’à l’année n+4, et des quelques informations diverses les plus importantes pour l’entreprise.
Selon Brice Renggli, toute cette démarche est donc orientée vers le « business forecast », faculté d’anticiper grâce à une information minutieusement décantée, avec pour résultat concret et vécu, la capacité de prévenir un défaut d’approvisionnement sur la supply chain (chaîne logistique), un licenciement économique ou une restructuration.
3. « L’animation d’une communauté d’entreprises » Stéphanie Barthélémi
Stéphanie Barthélémi a fait part de son expérience de community manager de Haute-Savoie Ecobiz, un réseau regroupant quatre communautés d’entreprises et d’ acteurs économiques de la Haute Savoie (ouverte également aux entreprises du Genevois).
Cette base de connaissances permet aux entreprises d’entrer en contact et de créer des synergies, de partager des expériences et savoir-faire, d’accéder à des informations élargies, pertinentes et ciblées selon leurs besoins et thématiques, de rencontrer les différents acteurs de leurs domaines ainsi que de créer des sous-réseaux de compétences et de coopération.Cependant, il reste encore difficile d’en mesurer les résultats.
La gestion de ce réseau se fait :
- de manière virtuelle à travers la plateforme collaborative en ligne, qui permet la mise à disposition de forums, flux RSS, alertes, ressources documentaires, etc.
- à travers des rencontres physiques régulières, sous forme d’ateliers pratiques, de petits déjeuners, tables rondes, ou encore de Speed Business Dating. Chaque mois, ces rencontres réunissent une vingtaine d’entreprises.
Pour qu’une communauté d’entreprises perdure, la présence de community managers est nécessaire, mais il y a d’autres facteurs de réussite : bien définir l’objectif d’une telle communauté, commencer petit mais prévoir grand, inciter les entreprises (à travers des experts) à participer de manière active, s’impliquer, bien connaître ses adhérents (notamment le petit noyau de participants motivés) et associer les activités en ligne et les rencontres physiques.
4 . « Veille en PME : l’humain comme facteur de réussite … ou comment utiliser au mieux les ressources de chacun » Fabien Noir
Fabien Noir a présenté l’organisation de l’intelligence économique au sein de l’entreprise Sonceboz sise à …Sonceboz.
L’intelligence économique y constitue une business unit, sur la base d’un processus écrit, audité régulièrement. Chacune des douze applications principales de l’entreprise fait l’objet d’une veille, organisée par un animateur particulier, et dont les résultats sont régulièrement consignés dans un tableau de bord : cartographie des acteurs, volumes et prix, indicateurs précis sur chacun des cinq axes de veille : tendances marché, normes, données factuelles, comparaisons technologiques, concurrents et clients. Les principales sources exploitées sont la presse et les portails BtoB, les expositions et conférences, les organismes professionnels et de recherche.
I’IE permet de surveiller l’évolution des champs d’activités stratégiques, de leurs applications les plus pertinentes afin d’identifier les éléments de rupture et donc les opportunités de marché pour Sonceboz. C’est un outil d’anticipation.
Pour optimiser la participation de tous au dispositif, Fabien Noir estime qu’il faut :
- cadrer : définir des rôles clairs et précis à tous ceux qui prennent part au processus de veille
- éveiller : faire régner le principe d’ignorance, inciter chacun à s’interroger
- lutter contre le filtre de l’interprétation personnelle en s’en tenant aux faits
- tenir compte du profil cognitif de chacun : auditif, visuel, tactile, dans la répartition des tâches de veille.
Enfin, Fabien Noir insiste sur l’importance du « feed-back » qui permet de réajuster le point de départ et la stratégie de veille.
Selon Fabien Noir, les trois facteurs-clés de succès sont, premièrement d’entretenir la motivation du veilleur par une reconnaissance tout aussi bien d’en « haut » (top down) que d’en « bas » (bottom up), deuxièmement, d’élaborer un processus permettant d’aller à l’essentiel selon le principe KISS (keep it simple and stupid), et enfin, pour l’animateur du processus, de couvrir les différentes facettes de sa fonction (à la fois facteur, médecin, policier, etc.).
5. « Organisation de la veille pour un fournisseur interne de technologies dans un groupe international » David Coudurier
David Coudurier a exposé comment s'effectuait la veille interne au sein du groupe Saint-Gobain (environ 200 000 employés) par l'entreprise SEVA (environ 300 employés), fournisseur interne de technologie.
Le groupe Saint-Gobain développe 20 à 30 usines nouvelles par an dans le monde, et pour chaque activité, sa stratégie est d’être leader mondial, ou leader européen, à défaut de quoi l’activité est supprimée.
Le rôle de SEVA est de permettre au groupe Saint-Gobain de déployer et d’exporter sa technologie. De ce but découlent plusieurs missions :
- La compréhension et la maîtrise des technologies utilisées par le groupe
- Un sourcing low cost et local
- La maîtrise de la supply chain
- La garantie de la confidentialité des informations.
La veille permet donc de répondre au mieux et en permanence à deux questions essentielles :
- Sur quelles technologies dois-je me positionner ? la réponse repose sur une veille technologique interne.
- Quel va être demain mon niveau d’activité ? sur cet axe, Seva organise une veille technologique et marketing, complétée par des actions internes: organisation de réunions internes pour collecter l’information sur les projets potentiels, interrogation systématique des acteurs techniques du groupe, suivi des mouvements de personnel, tenue annuelle d’un comité d’orientation technologique regroupant les directeurs techniques, et enfin démarchage des centres de R&D pour créer des opportunités de développement.
Le système de développement technologique de Saint-Gobain peut se lire ainsi: au centre, il y a des chercheurs qui font leur travail sans penser vraiment aux applications pratiques de ce qu’ils inventent. Autour d’eux, se trouvent des ingénieurs qui vont penser aux applications pratiques. Finalement, les exploitants (SEVA) de toutes ces applications vont ainsi créer la richesse de l’entreprise.
6. « SIG et sa veille stratégique et technologique » Swati Rastogi Mayor
La dernière intervention de la journée a été faite par Swati Rastogi Mayor qui a relaté le fonctionnement de la veille stratégique au sein des Services industriels genevois (SIG). Cette entreprise fournit l'eau, le gaz, l'électricité et l'énergie thermique, elle valorise les déchets, traite les eaux usées et met à disposition un réseau de fibres optiques. Le développement durable constitue un élément de base de sa stratégie.
La veille est apparue en 2001 lorsqu’il a été question de l’ouverture des marchés de l’électricité. Elle était principalement commerciale, puis elle s’est étendue pour devenir une veille stratégique. Il n’y avait alors qu’une personne affectée à la veille, qui produisait et maintenait environ dix documents accessibles à toute l’entreprise via l’intranet.
En 2010, Swati Rastogi Mayor a repris la responsabilité de la veille en y apportant certains changements : la création d’un réseau (7 personnes à temps partiel) décentralisé de veille, une fréquence plus grande des rapports de veille sur des thèmes généraux (4 fois l’an) et spécifiques (6 fois l’an), l’accessibilité de ces documents uniquement aux CA, direction générale et aux cadres.
Les composants de la veille stratégique ont eux aussi évolué : veille législative et réglementaire, ressources humaines, veille commerciale clients, comportement d’entreprise, économique et technologique.
La veille stratégique est située au niveau de l’état-major de la direction générale, elle doit être prospective, innovante, stratégique et transversale pour couvrir toute l’entreprise avec pour objectif d’orienter l’entreprise pour qu’elle soit pro-active et tournée vers les 30 à 40 prochaines années.
Une veille ne peut se faire qu’avec de bons veilleurs, cela passe par leurs profils respectifs (expertise dans leur domaine, excellentes connaissances de l’environnement SIG, curiosité, envie de communiquer et partager, capacité analytique, facilité de synthétiser les éléments parfois complexes), mais aussi au niveau de la motivation (soutien de la hiérarchie, feed-back, remerciement, etc.).
Synthèse et clôture de la journée par Pierre Achard
Pour clore la journée, Pierre Achard a délivré une synthèse de toutes les interventions de cette 8ème journée franco-suisse en intelligence économique et veille stratégique. Il a souligné l’importance de l’implication humaine pour passer de l’information à l’intelligence, qui est pour lui le facteur fondamental.
« Le plus dur pour l’activité de veilleur c’est la lecture ! Lorsque j’étais veilleur en entreprise, je lisais en moyenne 400 pages par matinée de veille technologique, et cela aucune machine ne pouvait le faire à ma place. »
A travers ces différentes présentations, cette journée a confirmé la nécessité et la valeur ajoutée du facteur humain dans le cycle de la veille. Les praticiens de la veille le savent bien, le facteur humain est parfois difficile à intégrer et à gérer, mais résolument irremplaçable dans la construction du sens. L’une des difficultés qui apparaît dans plusieurs des expériences relatées est la faible part du temps de travail consacrée à la veille: 10 à 20% en général pour chaque veilleur.
Pour Pierre Achard, l’information c’est bien, mais les entreprises n’ont pas besoin d’information, mais d’intelligence, c’est-à-dire de la transformation de cette information en une connaissance utile, exploitable, ce qui implique la dimension humaine.
Note
(1) Captain William S. Brei, Getting Intelligence Right: The Power of Logical Procedure, Occasional Paper Number Two (Washington, DC: Joint Military Intelligence College, January 1996), 4.
- Vous devez vous connecter pour poster des commentaires
« Intelligence économique et réseaux » Compte-rendu de la 2ème journée franco-suisse en intelligence économique et veille stratégique
Ressi — 31 août 2005
Résumé
Le 16 juin 2005, s’est tenue à la Haute école de gestion Arc de Neuchâtel la deuxième journée franco-suisse en intelligence économique et veille stratégique organisée en collaboration avec la Haute école de gestion de Genève et l’IUT de Besançon en Franche-Comté.
« Intelligence économique et réseaux »
Compte-rendu de la 2ème journée franco-suisse en intelligence économique et veille stratégique
Bref historique de la manifestation
En Suisse, l’intelligence économique et la veille stratégique sont des domaines d’enseignement émergents. Rattachés généralement aux sciences de l’information et de la communication, ces domaines sont de nature interdisciplinaire et font autant appel aux concepts de la science de l’information qu’à la gestion d’entreprise et à la communication. Dans les organisations comme les entreprises et les administrations, l’intelligence économique et la veille stratégique sont discrètes pour ne pas dire « secrètes ». Par rapport à nos voisines françaises, les PME helvétiques commencent seulement à y être sensibilisées et à intégrer dans leur stratégie managériale une approche plus systématique et intégrée de la récolte et de la gestion de l’information.
En mars 2003, les Hautes écoles de gestion de Genève et de Neuchâtel, avec les professeurs Jacqueline Deschamps et François Courvoisier, en collaboration avec Alain Vaucher, de Centredoc à Neuchâtel, ont ouvert une nouvelle filière d’études postgrades HES en intelligence économique et veille stratégique, la première en Suisse romande. Rapidement, des contacts ont été établis avec Françoise Simonot, professeur responsable de la Licence veille à l’Institut universitaire de technologie de l’Université de Franche-Comté à Besançon. Par ailleurs, le docteur Pierre Achard, intervenant dans la Licence veille à Besançon est venu se joindre à notre collège de professeurs.
Il s’est rapidement avéré que les trois Hautes écoles ci-dessus avaient bien des points d’intérêts communs, des réflexions à partager tant sur le plan des thématiques que de la pédagogie, et c’est ainsi qu’a germé l’idée d’une rencontre franco-suisse. Notre intention était de montrer de manière concrète les défis, possibilités et attentes de l’intelligence économique et de la veille, grâce à des intervenants du métier, praticiens comme enseignants et chercheurs. La première journée franco-suisse a eu lieu le 17 juin 2004 à la Haute école de gestion Arc de Neuchâtel sur le thème de « Comment anticiper, comment surveiller la concurrence ». Une soixantaine de participants suisses et français, responsables en entreprises, indépendants et étudiants ont participé à cette journée avec enthousiasme, nous confortant dans l’idée que l’intelligence économique et la veille sont des thèmes d’actualité.
La 2ème journée franco-suisse « Intelligence économique et réseaux »
Forts de cette première rencontre, nous avons décidé de reconduire la formule et c’est ainsi que les mêmes partenaires se sont retrouvés pour organiser la 2ème journée franco-suisse en intelligence économique et veille stratégique sur le thème « Intelligence économique et réseaux : comment collaborer en réseau dans l’entreprise et hors de l’entreprise ». Une nouvelle fois, quelques soixante participants se sont donc retrouvés à Neuchâtel jeudi 16 juin 2005 pour suivre deux conférences le matin, des cas d’entreprises et une table ronde l’après-midi.
Sous la houlette de Stéphane Benoît-Godet, rédacteur en chef adjoint du magazine économique Bilan, c’est Philippe Clerc qui ouvre les travaux. Directeur de l’intelligence économique auprès de l’Assemblée des Chambres françaises de commerce et d’industrie, Philippe Clerc fait un exposé sur l’intelligence économique et les réseaux institutionnels, en se basant sur sa longue expérience de l’intelligence économique et ses travaux qui l’ont amené à faire des études comparatives entre la France, la Grande-Bretagne, le Québec ou encore l’Indonésie. Par réseaux institutionnels, il faut entendre les institutions qui participent aux réseaux, c’est le point de vue de l’entreprise sous l’angle de l’entreprise étendue, posture déclarative sur l’efficacité issue de la collaboration en réseau. Nous sommes dans l’ère des réseaux, c’est un thème d’actualité, plus encore lorsqu’il s’agit d’intelligence économique.
La réalité des dispositifs nationaux ou locaux d’innovation est constituée et se développe dans un entrelacs de réseaux formels et informels. Philippe Clerc distingue les réseaux à liens forts produisant des signaux forts partagés sur le métier, les cultures et les rites (souvent des sources personnelles informelles) et les réseaux à liens faibles produisant des signaux faibles (souvent issus de la documentation spécialisée ou de l’administration). Une étude canadienne remet d’ailleurs en cause la croyance selon laquelle il y aurait prédominance des réseaux à liens forts et signaux forts et démontre la valeur ajoutée qu’apportent les réseaux à liens faibles.
Mais Philippe Clerc remarque que l’Etat français structure le corps social depuis le 17ème siècle avec l’obsession de la coordination qui en arrive à devenir une fin en soi : il faut passer d’une culture de silos à une culture de réseaux. Dans la seconde partie de son exposé, Philippe Clerc illustre ses propos par des exemples divers. Le Royaume Uni, dans son modèle d’intelligence économique d’Etat est très présent sur les dispositifs de réseaux d’excellence à composante institutionnelle. C’est un ensemble de réseaux qui possède une base de données avec une banque de cas de bonnes pratiques concurrentielles et de compétitivité. Avec l’exemple de la coopération franco-indonésienne, notre conférencier montre comment des stratégies d’influence basées sur l’exportation du savoir-faire de veille et d’intelligence économique peut servir de levier au développement des exportations. La diaspora des étudiants indonésiens venus étudier en France joue un rôle essentiel en appliquant les méthodes et les outils étudiés au cours de leurs études au contexte local. Avec l’exemple québécois, nous avons un cas de réseau gouvernemental de veille intégrée sur les politiques publiques de par le monde. Ainsi, les acteurs peuvent identifier, en un laps de temps assez court, les changements pour informer les décideurs. La motivation est aussi de proposer une vision commune entre les ministères et de positionner la stratégie de chaque réseau institutionnel. C’est grâce à quelque cinq cents veilleurs-coodinateurs travaillant sur des cibles sectorielles et des cibles de réseau, que l’on voit une réelle volonté de coopération.
Le second conférencier est Christian Marcon, maître de conférences à l’Institut de la communication et des nouvelles technologies de l’Université de Poitiers, sur le thème de l’intelligence économique et les réseaux relationnels. Ce thème est étudié depuis plusieurs années par Christian Marcon et son collègue Nicolas Moinet, qui ont récemment publié un ouvrage qui fait autorité en la matière[1]. Les travaux sur le réseau, outil de stratégie, sont encore peu nombreux alors que la démarche réseau s’impose d’elle-même de nos jours, car : qui peut innover seul ? qui peut encore penser que l’on peut vivre heureux en vivant caché ? L’union fait la force et si la compétence est individuelle, l’intelligence est collective, nous dit Christian Marcon. Dans l’opinion publique, le terme de réseau garde une connotation « louche » mais c’est une question d’éthique personnelle car si le réseau peut être la mafia c’est aussi l’aide sur laquelle on peut compter en cas de catastrophe.
Notre conférencier aborde ensuite le thème du réseau relationnel, espace d’intelligence économique. Le réseau c’est l’ensemble des canaux de communication existant dans un groupe et leur configuration : ce n’est pas un espace homogène support de stratégies individuelles mais c’est l’ensemble de relations, en principe durables, émergeant entre plusieurs partenaires, le plus souvent institutionnalisés, dans des alliances et ayant une finalité économique et stratégique.
Les réseaux contemporains d’intelligence économique sont les réseaux professionnels (de filières, d’associations professionnelles…) et les réseaux socioprofessionnels (famille, voisins, amis…). Le réseau relationnel c’est aussi l’ensemble de liens sociaux dont l’individu hérite ou qu’il se créé au hasard de sa vie personnelle ou professionnelle. Dans la dynamique de l’intelligence économique, c’est la facilitation du contact pour l’obtention d’information selon le concept « cure and care ».
Christian Marcon cite encore le cyber-réseau dont le maillage repose de manière déterminante sur les outils de communication issus des technologies de l’information et de la communication ce qui facilite les échanges mais aussi avec risque de paralysie stratégique. Le réseau professionnel, formel ou non a comme raison d’être sa relation directe avec l’activité professionnelle des membres quel que soit le fondement de cette relation : lobbying, dynamisation d’activité, information, apprentissage collectif et davantage de pertinence dans la prise de décision.
Selon Christian Marcon, les facteurs clés de succès du réseau sont :
- la volonté : la condition essentielle
- la raison d’être ensemble : association, etc.
- les règles du jeu : qui peut entrer, usages, langage, rythmes de fonctionnement, exclusion
- l’organisation : carnet d’adresses, etc.
- la matière à échanger : information, influence, réflexion, temps, relais, image, notoriété.
En termes stratégiques, tous les réseaux ne fonctionnent pas de la même façon ou du moins selon les mêmes ressorts stratégiques. La performance d’un réseau ne dépend pas de la taille du réseau mais du projet. Un réseau qui marche a souvent tendance au cloisonnement car « si on s’y sent bien on reste ensemble » ! A côté de cela certains réseaux sont créés par nécessité, comme par exemple un réseau bancaire. Un réseau a t-il un cycle de vie ? Sûrement, répond Christian Marcon bien que l’on n’ait pas de référence en la matière.
La deuxième partie de la journée est consacrée à la présentation de témoignages sur la manière dont le réseau est vécu et pratiqué, parfois avec ses limites, dans diverses entreprises et organisations suisses et françaises.
Les travaux sont ouverts par une présentation du nouveau cycle d’études postgrades HES en intelligence économique et veille stratégique, organisé par les Hautes écoles de gestion de Neuchâtel et de Genève. Plusieurs participants du premier cycle sont depuis peu diplômés, et l’un d’entre eux, Pierre Gfeller, présente plus tard les réseaux au sein de l’Observatoire de l’emploi. Un nouveau cycle d’études postgrades HES commencera en octobre 2005 pour s’achever en septembre 2007.
Marie Fuselier et Johanna Grombach présentent comment est mise en œuvre au Comité international de la Croix Rouge une démarche d’intelligence économique par la veille stratégique, en s’appuyant sur la gestion de l’information et en associant les thèmes stratégiques plutôt que les personnes ce qui permet à chaque employé de s’investir dans le système et de collaborer.
Marc Vuillet à Ciles, Directeur de l’Agence d’intelligence économique de Franche-Comté explique son travail avec les entreprises et comment il a pu mettre en place un dispositif d’intelligence économique collectif pour une filière industrielle. A partir de thématiques identifiées, l’information est partagée étant entendu que le veilleur, nous dit le conférencier, peut être n’importe qui.
Avec Michel Guinand, Directeur de la Fondation suisse pour les téléthèses, c’est la rencontre du réseau et du handicap. La seule possibilité de succès pour cette Fondation est le travail en réseau avec les associations de handicapés, de professionnels de la santé et des assurances sociales. Depuis quelques années, des collaborations ont été créées avec les Hautes écoles suisses.
Fabien Noir, responsable Market Intelligence et Forecasting chez Chicago Miniature Lighting, propose un retour d’expérience dans un domaine technologique spécialisé. Les objectifs du projet intelligence économique présentés par le conférencier sont au nombre de cinq :
- stratégiques (avantage concurrentiel)
- cyndiniques (protection du savoir-faire)
- marketing commercial (vente, image…)
- organisationnels (optimisation des flux d’informations internes)
- sociaux (motivation, appartenance).
L’intelligence économique est focalisée sur l’environnement économique de l’entreprise et sur la définition de thèmes clés de surveillance.
Pierre Gfeller, diplômé des études postgrades HES en intelligence économique et veille stratégique, fait part de son expérience de mise sur pied d’un processus de veille à l’Observatoire romand et tessinois de l’emploi. Il aborde divers aspects :
- De l’utilité de travailler en réseau
- Les bases du fonctionnement de l’ORTE en tant que mission, connue de tous avec des axes de travail définis en amont
- Les difficultés rencontrées : organisationnelles, le travail en lui-même, les techniques, la jeunesse de la structure qui a besoin de crédibilité.
Pour lui, le travail en réseau s’approche de l’intelligence collective.
En fin d’après-midi, Stéphane Benoît-Godet anime la table ronde, réunissant les intervenants de la journée auxquels s’est joint Stéphane Koch, président de l’Internet Society Geneva. Il propose à chaque panéliste de donner les mots clés qui caractérisent la journée. S’ensuit un échange avec l’auditoire, tous les participants à la journée s’accordant sur quelques éléments fondamentaux :
- Le réseau a une identité forte
- L’animation du réseau est problématique, il n’y a pas de solution universelle
- Le réseau, qu’il soit institutionnel ou relationnel, doit vivre et c’est un défi quasi quotidien
- Le réseau est basé sur l’humain, mais s’anime sur le principe de la bonne foi et de la volonté
- Le réseau est indéniablement associé à la stratégie que l’on poursuit et au phénomène d’influence que l’entreprise veut avoir.
Il ressort de cette deuxième journée que l’intelligence économique et la veille stratégique sont basées sur des solutions sur mesure mais dont le facteur humain est l’un des piliers sur lequel repose la réussite et la pérennité. L’entreprise ou l’organisation ne peut vivre sans réseaux, mais elle ne doit pas en être prisonnière. Le choix d’entrer dans les bons réseaux, la capacité de l’entreprise de les animer et de les utiliser dans un but stratégique est un élément fondamental de l’intelligence économique. L’aspect offensif du réseau reste encore en retrait car ce sont avant tout le travail collaboratif et le partage de l’information qui paraissent essentiels dans le processus.
La revue Ressi
- N° Spécial DLCM
- N°21 décembre 2020
- N°20 décembre 2019
- N°Spécial 100ans ID
- N°19 décembre 2018
- N°18 décembre 2017
- N°17 décembre 2016
- N°16 décembre 2015
- N°15 décembre 2014
- N°14 décembre 2013
- N°13 décembre 2012
- N°12 décembre 2011
- N°11 décembre 2010
- N°10 décembre 2009
- N°9 juillet 2009
- N°8 décembre 2008
- N°7 mai 2008
- N°6 octobre 2007
- N°5 mars 2007
- N°4 octobre 2006
- N°3 mars 2006
- N°2 juillet 2005
- N°1 janvier 2005