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Faciliter et soutenir le travail des chercheurs : état des lieux, perspectives et réflexions sur l’exemple de la Haute école de travail social de Genève
Ressi — 30 décembre 2019
Claire Wuillemin, Haute Ecole de Gestion, Genève
Résumé
Open science, diffusion et archivage en open access, gestion des données de recherche ; c’est cet immense mur de thématiques qui se dresse devant les chercheurs. Pour la plupart, ces enjeux sont les fruits de lentes, mais sûres transformations de la recherche vers une forme toujours plus collaborative et axée sur les données. De plus, les chercheurs doivent faire face à une compétitivité toujours plus féroce où le nerf de la guerre réside dans la capacité à sécuriser des financements. Or, dans la continuité du foisonnement des nouveaux enjeux, les bailleurs de fonds durcissent leurs exigences d’année en année. Pris en tenaille entre leurs responsabilités et un temps limité, les chercheurs sont souvent débordés et désarmés pour faire face à tous ces aspects. Pourtant, les chercheurs possèdent des alliés de taille autour d’eux qui peuvent les épauler sur ces divers sujets : les services institutionnels.
Synthèse d’un travail de master réalisé sur mandat de la Haute école de travail social de Genève (HETS-GE), le présent article se propose d’explorer la notion de soutien à la recherche dans un premier temps à travers la définition de ce concept et de ces enjeux, couplée à une brève revue de la littérature spécialisée. Celle-ci est ensuite complétée par les éléments marquants d’entretiens individuels et de focus groups menés sur le terrain qui ont permis de dresser un tour d’horizon de la situation actuelle du soutien à la recherche à la HETS-GE.
La combinaison de ces deux types de données a mené à la formulation de propositions ancrées dans le contexte de la HETS-GE. Ces propositions se veulent toutefois applicables aux institutions préoccupées par les enjeux actuels de la recherche, et par les manières d’embrasser les transformations résultantes, afin de pouvoir faire évoluer l’offre de services et d’assurer un soutien adéquat et pérenne à la communauté de recherche.
Zusammenfassung
Open Science, Open Access Verbreitung und Archivierung, Forschungsdatenmanagement; es ist diese riesige Themenwand, die vor den Forschern steht. Diese Herausforderungen sind zum größten Teil das Ergebnis langsamer, aber sicherer Transformationen der Forschung in Richtung einer zunehmend kollaborativen und datengesteuerten Form. Zusätzlich stehen die Forscher in einem immer härteren Konkurrenzumfeld, in dem der Schlüssel zum Erfolg in der Fähigkeit zur Finanzierung liegt. Allerdings verschärfen die Geldgeber im Zuge der zunehmenden neuen Herausforderungen ihre Anforderungen von Jahr zu Jahr. Die Forscher, die zwischen ihrer Verantwortung und der begrenzten Zeit gefangen sind, sind oft überfordert und enttäuscht, um sich mit all diesen Fragen zu befassen. Dennoch haben Forscher starke Verbündete um sich herum, die sie bei diesen verschiedenen Themen unterstützen können: institutionelle Dienstleistungen.
Dieser Artikel ist eine Synthese einer Masterarbeit im Auftrag der Haute école de travail social de Genève (HETS-GE) und zielt darauf ab, den Begriff der Forschungsförderung in einem ersten Schritt durch die Definition dieses Konzepts und dieser Themen, verbunden mit einem kurzen Überblick über die Fachliteratur, zu erforschen. Diese werden dann durch die wichtigsten Elemente der Einzelinterviews und Fokusgruppen vor Ort ergänzt, die einen Überblick über die aktuelle Situation der Forschungsförderung an der HETS-GE geben.
Die Kombination dieser beiden Arten von Daten hat dazu geführt, dass die Formulierung von Vorschlägen, die im Rahmen von HETS-GE. Diese Vorschläge sollen jedoch auf Einrichtungen anwendbar sein, die sich mit aktuellen Forschungsfragen und mit Möglichkeiten zur Bewältigung der daraus resultierenden Transformationen befassen, um das Dienstleistungsangebot entwickeln und eine angemessene und nachhaltige Unterstützung der Forschungsgemeinschaft gewährleisten zu können.
Abstract
Open science, open access dissemination and archiving, research data management; it is that wide range of topics that researchers must currently address. These challenges are largely the result of slow but sure transformations of the research process into an increasingly collaborative and data-driven form. In addition, researchers face an increasingly competitive environment where the key to success lies in the ability to secure funding. However, as new challenges grow, research funders are tightening their requirements. Researchers caught between their responsibilities and their limited time are often overwhelmed and unprepared for dealing with these issues. Nevertheless, researchers can count on institutional services to help and support them through these issues.
This article is a synthesis of a master's thesis commissioned by the Haute école de travail social de Genève (HETS-GE) and aims to explore the concept of research support firstly by defining it. Then it proceed with a brief review of the literature complemented by the most important elements selected from the individual interviews and focus groups conducted in the field. The crossing of these data gives an overview of the current state of research support at the HETS-GE.
The combination of these data has led to the formulation of proposals fitted to the HETS-GE’s context. However, these proposals should be applicable to institutions dealing with current research issues and seeking ways to manage the resulting transformations, develop adequate services and sustainable support for the research community.
Faciliter et soutenir le travail des chercheurs : état des lieux, perspectives et réflexions sur l’exemple de la Haute école de travail social de Genève
Introduction
La recherche scientifique connaît actuellement une grande période de bouleversements : déluge de données, numérisation des méthodes et outils de travail, diversité des produits de la recherche et des nouveaux canaux pour leur diffusion… Voilà autant de thématiques appelant la mise à niveau des compétences et le développement de nouveaux savoirs. Les contextes économiques et réglementaires ne sont pas en reste et possèdent également une force de pression non négligeable, en particulier au travers des institutions de financement de la recherche qui développent leurs exigences au diapason de ces évolutions. Les chercheurs, qui souffrent déjà d’une démultiplication de leurs tâches tout au long du processus de recherche, sont amenés à devoir satisfaire de plus en plus d’exigences.
Ces transformations touchent bien évidemment les chercheurs, mais aussi toutes les parties prenantes qui participent, soutiennent et facilitent l’épanouissement de leurs projets. Comment s’attaquer à une entreprise si grande et hétéroclite alors que l’on est soi-même en plein apprentissage face à la nouveauté de ces enjeux ? Que faire en particulier lorsque l’on est une institution possédant des ressources humaines et financières plus modestes que les universités ?
Portée par ces questionnements, la Haute école de travail social de Genève (HETS-GE), sous l’impulsion de la responsable de son Infothèque, a confié à un mandat de travail de master en Sciences de l’information le soin de prendre la mesure de la situation institutionnelle actuelle ainsi que celle dans les autres écoles du domaine et de proposer des pistes de réflexion voire des solutions implémentables. Les résultats de cette recherche sont synthétisés dans le présent article.
Le soutien et la facilitation de la recherche dans la littérature
Cette partie propose un condensé des principaux éléments retenus dans la littérature : en premier lieu la définition du concept de soutien à la recherche, des types de prestations résultantes, mais aussi des bonnes pratiques de design de services, suivies de la présentation des principaux éléments de contexte à considérer pour obtenir une compréhension globale du sujet et, pour finir, une brève revue des parties prenantes généralement engagées dans les activités de soutien.
Définitions
La littérature spécialisée traite rarement du soutien à la recherche de manière holistique ; on trouve plutôt des ressources se concentrant sur quelques activités contenues au sein de ce processus. C’est pourquoi il est important d’en proposer avant tout une définition.
Dans sa compréhension la plus globale, le soutien à la recherche ou research support en anglais peut se définir comme :
« L’ensemble des activités, des personnes, des compétences et des ressources permettant de rendre possible ou de faciliter le travail entrepris par les diverses parties prenantes de la recherche scientifique – en particulier les chercheurs – lors de l’élaboration, du financement, de la conduite et de la valorisation de leurs projets de recherche » (Wuillemin 2018, p.18)
La recherche étant un cycle, le soutien et la facilitation prennent plusieurs formes selon la ou les étape(s) où ils interviennent. Des aides pourront par exemple être apportées lors de l’élaboration de dossiers de demande de subsides, ou pour la recherche d’information dans le but d’alimenter une revue de littérature ; une main-forte pourra aussi être prêtée pour mettre en place des infrastructures pour collecter ou pérenniser les données.
Figure 1: Cycle de la recherche
(Adapté de Nicholas, Rowlands et Wamae 2012; School of Clinical Sciences at Monash Health 2019 et Queen’s university Library 2019)
Quelle que soit l’étape à laquelle ils apparaissent, les services de soutien à la recherche sont le plus souvent séparés en deux catégories majeures : les services techniques et les services d’expert-conseil (Cox et al. 2017 ; Koltay, Spiranec, Karvalics 2015 ; Latham 2017 ; Tenopir et al. 2017 ; Yu 2017). On entend par la première appellation des services prodigués grâce à des compétences ou des connaissances spécialisées et opérationnelles, par exemple la mise en place d’une archive ouverte à l’échelle institutionnelle comme ce fût le cas pour ArODES (Archive ouverte des domaines de la HES-SO) en 2015 – pour stocker de manière pérenne les travaux des chercheurs – ou encore d’un dépôt pour les données de recherche. Les services expert-conseil se focalisent principalement sur la mise à disposition ou la dispense d’information, par exemple les Foires aux Questions (FAQ), les guides d’utilisation ou tout autre support permettant de rediriger les intéressés vers des ressources pertinentes. Cette catégorie de service inclut également les formations et les ateliers qui promeuvent une approche plus pédagogique et plus chaleureuse. Les participants bénéficient d’un contact humain dans la transmission des connaissances et peuvent poser directement leurs questions à l’animateur de la séance. Finalement, le dernier type de service d’expert-conseil le plus répandu sont les séances de coaching personnalisé. Celles-ci ont l’avantage de prodiguer des informations sur mesure aux chercheurs qu’ils peuvent donc inclure directement à leur projet.
Il va de soi que cette typologie dichotomique appelle naturellement le rassemblement de savoir-faire pluriels et hétéroclites. Soutenir et faciliter la recherche mobilise ainsi un éventail d’acteurs hétéroclites (Coomb et al. 2017) – aussi bien du fait de leurs compétences que de leur appartenance aux divers services institutionnels, voire à des entités externes, transversales ou nationales. Ces parties prenantes aidantes peuvent intervenir ponctuellement durant certaines étapes du cycle de recherche, concentrer leurs efforts sur une étape particulière ou, plus rarement, superviser l’intégralité de ce processus. Ces interventions sont fortement différenciées et font appel à des compétences qui ne peuvent être détenues par un individu, un métier ou un service singulier. La raison principale de cet état de fait est que la recherche scientifique a été influencée par plusieurs enjeux distincts qui ont à leur tour soulevé des problèmes pour la communauté de recherche et donc créé des besoins de soutien.
Un phénomène au diapason des transformations et des évolutions
Le soutien à la recherche est de toute évidence façonné par les différents courants qui agitent son environnement. Les aspects présentés ci-après ne sont pas exhaustifs. Il s’agit des enjeux les plus marquants dans le contexte HES et majeurs pour la problématique de la présente recherche, à savoir : le phénomène du publish or perish, la gestion des données de recherche et l’évolution des exigences de bailleurs de fonds.
Payer et publier ou publier et payer : telle est la question
Les enjeux – et surtout les difficultés – autour de la publication des productions scientifiques ne sont pas récents, car la conduite de la recherche scientifique a toujours été intimement liée à la publication de ses résultats. Un problème particulier a fait couler beaucoup d’encre durant ces dernières décennies : le publish or perish. L’injonction est simple à comprendre : les chercheurs doivent publier au risque de voir leur carrière s’étioler irrémédiablement. En effet, la publication scientifique est le moyen principal pour gagner la reconnaissance de leurs pairs et de leur discipline ainsi qu’obtenir des fonds pour poursuivre leurs recherches (Bertaud et Magron 2013). Ce phénomène est bien connu des disciplines scientifiques, techniques et médicales, mais touche également les sciences humaines et sociales. Dans le cas des HES, la contrainte des indicateurs bibliométriques est peut-être plus légère, mais la publication reste un facteur limitant pour la nomination et la conservation des postes appartenant au corps enseignant.
Par ailleurs, il ne suffit pas de publier occasionnellement pour survivre. Le publish or perish encourage une publication régulière, surtout dans des revues bien cotées par divers indicateurs bibliométriques. Puisque les revues deviennent des objets prisés et de convoitise, leur pouvoir de pression est considérable. En plus de devoir déjà se battre pour être publiés, les chercheurs peinent à accéder aux articles nécessaires pour rester informés des tendances et des dernières avancées de leur domaine. En effet, les institutions se retrouvent à devoir payer des frais d’abonnement astronomiques pour accéder aux revues et aux bases de données. Comme si cela ne suffisait pas, ces coûts augmentent chaque année de l’ordre d’environ 8% (Minet 2017).
Cette pression constante a contraint certaines institutions à chercher des alternatives. Ainsi est notamment née l’édition en libre-accès ou en open access, qui se décline en deux alternatives : la voix verte, qui consiste à publier (ou archiver) ses travaux sur une plateforme ouverte (ou institutionnelle) et la voix dorée, qui consiste à publier – parfois contre rémunération pour la prise en charge des frais de publication – dans des revues open access, c’est-à-dire accessibles gratuitement aux lecteurs. Bien évidemment, les grands éditeurs de revues sont conscients du potentiel latent du virage vers la publication en libre accès. C’est pourquoi ils proposent désormais leurs propres revues au format open access. Toutefois cette manière de publier est encore relativement récente et donc encore mal implantée dans les habitudes des chercheurs, qui la citent souvent dans leurs préoccupations (Muller 2014 & Bent 2016). En outre, l’open access s’inscrit dans le plus grand mouvement de l’open science qui cherche à proposer une nouvelle approche de la conduite des projets scientifiques placée sous le signe de la collaboration et la transparence.
Des données et des recherches
La gestion des données de recherche est un sujet très représenté dans la littérature spécialisée, ce qui reflète son actualité. Jusqu’à récemment, seules les publications scientifiques étaient valorisées et protégées comme produits de la recherche scientifique. Cependant, avec la numérisation de la science et le déluge des données, celles-ci commencent maintenant à être considérées comme des éléments angulaires faisant figure de preuves que les chercheurs doivent pouvoir présenter pour appuyer la véracité de leurs résultats. En effet, le mouvement de l’open science a souligné qu’une part non négligeable des projets de recherche étaient financés par des fonds publics. Dans cette même veine, il estime que les contribuables sont en droit de savoir comment est investi leur argent. D’autres prises de position de ce mouvement dénoncent la conduite de projets de recherche de nature similaire qui coûtent du temps et de l’argent aux contribuables, mais aussi aux équipes de recherche. Il est argumenté qu’une gestion plus adéquate et plus transparente ainsi qu’une ouverture des données de la recherche permettraient à des projets de pouvoir s’appuyer sur des résultats et des données antérieures pour éviter de refaire les manipulations nécessaires à la reproduction des données pour une autre application ou une autre recherche. Ainsi, une part de ce mouvement demande que les chercheurs subventionnés par des fonds publics mettent à disposition leurs données en libre-accès.
Ces revendications de transparence sur la gestion et la circulation des données se sont également reflétées dans les évolutions des exigences des institutions de recherche (voir chapitre suivant). Cependant, les chercheurs peinent à embrasser la gestion des données de recherche tout d’abord en raison du manque de temps et de moyens. En effet, pour les chercheurs affiliés aux universités, il est souvent complexe de combiner les activités d’enseignement et celles de recherche, qui sont intrinsèquement déjà complexes et chronophages entre le dépôt de dossiers pour les subventions, la conduite de la recherche proprement dite, la rédaction d’articles, la diffusion et la valorisation des résultats, etc. Malheureusement, plusieurs exemples de la littérature (Corrall 2012 & Delaney et Bates 2015) mettent en avant que les professionnels de l’information ne se sentent pas armés pour prendre en charge la gestion de cette thématique. Pour Sheila Corrall (2012), la source de ce manque de confiance se trouve dans les cursus des enseignements en bibliothéconomie et en sciences de l’information. En effet, bien que les programmes aient pris conscience de l’importance de la gestion des données de recherche, peu d’entre eux forment les professionnels aux compétences techniques requises pour gérer les données. Les formations sont aussi appelées à évoluer et inclure les transformations du monde de la science, qui sont des enjeux tout à fait neufs pour elles aussi. On se trouve donc encore dans une période d’ajustement avant que le personnel ne puisse aider plus efficacement les chercheurs, voire les délester d’une part importante de ce travail.
Des institutions de financement toujours plus exigeantes
À l’extérieur des établissements, plusieurs acteurs sont mobilisés par le soutien à la recherche, mais les plus puissantes sont les institutions de financement de la recherche, appelées aussi bailleurs de fonds. En Suisse, les deux plus connues sont le Fonds National Suisse (FNS) et Innosuisse (anciennement CTI). Ces institutions détiennent un pouvoir de pression non négligeable en ce qu’elles tiennent « les cordons de la bourse » ; sans elles, le financement de nombreux projets de recherche serait compromis, car bien que les institutions mettent à disposition de leurs chercheurs des fonds, ceux-ci sont souvent insuffisants. Les chercheurs les complètent ainsi à l’aide des subventions accordées par ces institutions. Leur caractère irremplaçable leur permet de modifier ou d’introduire unilatéralement de nouvelles exigences pour l’attribution de fonds que les chercheurs peuvent difficilement refuser ou contourner (voir plus bas).
L’émergence de la publication numérique en libre accès et de la gestion des données a agité le milieu scientifique, et les institutions subventionnant la recherche ont également pris position en conséquence, encourageant ainsi le changement. De plus en plus d’institutions, comme le FNS par exemple, exigent désormais qu’un plan de gestion des données de recherche ou Data Management Plan (DMP) soit systématiquement joint aux demandes de subvention. D’autre part, le FNS ne délivre plus de subside pour la publication autre qu’en open access. Les chercheurs sont donc astreints à publier dans des revues ou des bases de données en libre-accès (1). L’objectif est que tous les travaux soient publiés en open access d’ici à 2020. Ces mesures visent à augmenter la validité des résultats des projets scientifiques ainsi que leur reproductibilité (Latham 2017).
Déploiement de services : mode d’emploi et acteurs mobilisés
À la lumière de la diversité des thèmes susmentionnés, on pourra comprendre la nécessité de mobiliser un large éventail d’acteurs – qui constituent par ailleurs la raison d’être de la pluridisciplinarité de ce processus – et de les présenter ci-après. Mais avant tout, il est important de mettre en exergue quelques éléments de bonnes pratiques pour l’implémentation de services au sein des établissements d’enseignement de niveau tertiaire et tout particulièrement l’inclusion de ceux-ci au sein de leur stratégie.
Étant donné que ces différents services sont composés de différentes professions et manières de faire ainsi que de collaborateurs appartenant à un vaste éventail de départements, la littérature souligne que les universités souffrent souvent de la présence de structures en silos (Bent 2016). Les parties prenantes évoluent en groupements étanches et spécialisés sur des thèmes et compétences précis. Il n’y a pas de communication proactive hors de cet écosystème ni d’alliance. Cela constitue un frein à l’effort de soutenir et faciliter la recherche, car cet effort se doit d’être fondamentalement collectif et pluridisciplinaire. La coopération et la collaboration entre les services sont donc cruciales. D’autre part, et cela est intimement lié à la problématique susmentionnée, le soutien à la recherche souffre souvent d’un manque de leadership (Soehner et al. 2010, Cox et Pinfield 2014, Pryor 2014 & Yu 2017). La littérature propose plusieurs raisons à cette lacune, mais Moira Bent (2016) met en exergue l’importance lexicale propre à l’expression de soutien à la recherche, research support en anglais : le terme de support est intrinsèquement passif. Pourtant, la recherche ne pourrait s’accomplir sans l’implication des différents acteurs présentés. Moira Bent propose donc de préférer le terme « faciliter » pour y remettre un rôle plus actif et ainsi renvoyer une image plus fidèle de cette cohorte d’activités et de l’implication réelle et angulaire des unités facilitatrices. L’introduction de nouveaux services doit en outre suivre une approche bottom-up ; c’est-à-dire partir de l’identification des besoins de la communauté de recherche et les confronter ensuite aux ressources humaines et financières disponibles (Schöpfel et al. 2017). En outre, il faut que ceux-ci soient alignés sur la stratégie institutionnelle afin d’en pouvoir justifier la création et de bénéficier du soutien des instances décisionnelles. Il est finalement primordial de s’appuyer sur les expertises disponibles à l’interne et bien souvent disséminées au sein des divers départements mobilisés par le soutien à la recherche.
Un autre aspect à prendre en compte mis en avant par Moira Bent (2016) est que les chercheurs ne forment pas une communauté homogène. Effectivement, tous ne travaillent pas sur des thématiques identiques, ni même voisines, et possèdent des niveaux d’expérience variés. De plus, contrairement à ce que sous-entend la généralité de l’appellation “communauté”, on a plutôt affaire à plusieurs communautés. En effet, les chercheurs tendent à former des groupements hétérogènes dépendants de leurs centres d’intérêt et de leurs expertises de recherche, plutôt qu’un ensemble soudé. Il est donc important de prendre en compte les différents profils et intérêts de chercheurs avant de développer des services. Par exemple, tous les chercheurs ne bénéficient pas de subsides de fonds de tiers.
« It takes a village » : parties prenantes mobilisées
Au sein des institutions, plusieurs acteurs détiennent les compétences nécessaires pour faciliter et soutenir la recherche. Leur ordre d’apparition ci-après est aléatoire ; il ne reflète en aucun cas un ordonnancement par ordre de valeur ou d’importance.
Figure 2: Parties prenantes mobilisées par le soutien à la recherche
- Maison d’édition/presses universitaires
Certaines institutions tertiaires ont la chance de posséder des maisons d’édition au sein même de leurs murs. Les chercheurs peuvent donc choisir de publier directement par leur biais ou de se tourner vers des éditeurs externes. En raison de ses compétences éditoriales, ce genre de département a un rôle prééminent à jouer dans la relecture de manuscrits ou l’encouragement, l’information et l’accompagnement pour la publication en open access.
- Services institutionnels centraux de soutien à la recherche
Au sein des institutions d’enseignement tertiaire actives dans la recherche, il existe dans la plupart des cas un comité de pilotage formé de représentants des diverses sous-communautés de recherche ou de chercheurs confirmés, ainsi que des services de soutien à la recherche. Le rôle principal de cette entité est de coordonner les activités de recherche et d’accompagner les autres chercheurs durant les différentes étapes du cycle de la recherche. Il lui revient également la responsabilité d’appliquer les directives institutionnelles liées à la recherche.
- Services informatiques et des technologies de l’information
Les services dédiés à l’informatique et aux technologies de l’information assurent la mise en place et l’intégrité des infrastructures nécessaires au travail et au bon fonctionnement des autres services institutionnels. Dans le cadre des efforts pour soutenir et faciliter la recherche, ce type de service peut mettre en place des solutions sur mesure et/ou à la demande des chercheurs, ou collaborer avec d’autres services pour la mise en place de projets comme une archive ouverte institutionnelle par exemple.
- Instances décisionnelles
Sous l’appellation « instances décisionnelles » sont compris tous les organes d’une institution qui fédèrent et décident des orientations stratégiques à l’instar des comités de direction ou du rectorat. En leur qualité de tête de file, ce sont à elles que revient le devoir de mettre en place des objectifs et des politiques qui tissent les canevas sur lesquels doivent évoluer les chercheurs. Elles ont donc la responsabilité de prendre position sur les thématiques d’actualité pour donner une direction à leur stratégie et leur culture de recherche. Ce sont ces entités qui produiront des politiques et des directives afin d’entraîner ce changement, ou qui alloueront des ressources nécessaires aux services compétents.
- Les bibliothèques et centres de documentation
Les bibliothèques sont parfois mises à l’écart du reste de la communauté de recherche, tout d’abord, spatialement ; les bibliothèques n’étant souvent pas dans le même bâtiment ou zone du campus universitaire en raison de leur double-usage étudiants et chercheurs, mais également vis-à-vis du rôle que celles-ci ont joué dans le processus de recherche. En effet, les bibliothèques sont encore bien trop souvent perçues comme des lieux où l’on va chercher des livres ou où l’on peut travailler en silence. Pourtant, leur place traditionnelle et centrale dans l’accès et la diffusion du savoir – qui fait par ailleurs partie de leur êthos – s’inscrit tout à fait dans les enjeux actuels de publication en open access et de gestion des données de recherche (Corrall 2012 & Tenopir et al. 2017). Toutefois, elles souffrent de leur manque de visibilité, de la méconnaissance par les publics des services et des compétences qu’elles mettent à leur disposition, et de l’effritement de leur budget engendré par les tensions du tissu économique. En outre, certains bibliothécaires peinent à être convaincus que leur métier doit évoluer pour s’ouvrir vers le nouveau paradigme de l’e-science et ainsi inclure de nouveaux objets et thématiques tels que la gestion des données de recherche ou la publication et la diffusion des produits scientifiques en open access.
Perspectives pour les bibliothèques et autres services d’information documentaire
Pour clore cette première section, il semblait à propos de s’arrêter un instant sur les bibliothèques et autres services d’information pour une mise en perspective bien méritée. À l’heure où les bibliothèques doivent de plus en plus prouver leur valeur et leur utilité pour la collectivité, les professionnels prennent conscience qu’un changement de direction est nécessaire. De nouveaux modèles pour guider le métier sont à identifier. La littérature mentionne depuis quelques années l’idée des professionnels de l’information comme partenaires de recherche. Toutefois, certains peinent à croire à la viabilité de cette solution et les preuves empiriques de celle-ci sont rares, voire inexistantes. Assurément, un équilibre est à trouver entre partenaires et simples colocataires de locaux auxquels on fait vaguement et ponctuellement appel comme ultime recours. La bibliothèque ne doit pas être qu’une solution alternative pour les chercheurs, mais bien un acteur incontournable.
La bibliothèque ne peut plus se permettre de n’être qu’un lieu où l’on va consulter des livres et les bibliothécaires de n'être que les gardiens de contenus papier, ainsi que le laissent penser les clichés et la vision étriquée qu’on porte sur eux. Il est vital que les professionnels saisissent l’opportunité du tournant de la numérisation des savoirs, faute de quoi le changement se fera sans eux et les nouvelles thématiques, notamment la publication numérique en open access et la gestion des données de recherche, seront portées par d’autres peut-être historiquement moins équipés, mais qui auront été au bon endroit ou au bon moment. Du reste, cela devrait devenir l’adage des professionnels de l’information : la bonne information, au bon endroit au bon moment.
Finalement, il faut apprendre à jouer en équipe et chercher activement à tisser des relations avec les autres services impliqués dans le soutien. Il s’agit de changer de perspective et d’aller dans le sens du nouveau paradigme collaboratif de la recherche : une partie des efforts de facilitation peut être réorganisée ou faite en collaboration avec des collègues d’autres services dans l’idée de mise en commun des expertises. Pour reprendre un argument de Starr Hoffman (2016) – sur les bibliothèques académiques, mais qui peut tout à faire être étendu aux autres services de soutien – avec d’un côté la pression actuelle sur les ressources budgétaires et humaines, et de l’autre, la création de nouveaux besoins par les évolutions de l’environnement de recherche, les acteurs se sentent coincés et pensent devoir « faire plus avec moins ». Néanmoins, il s’agit plutôt de “do less, but deeper”, c’est-à-dire qu’il faut trouver les forces et les spécificités de chaque service et identifier ce dont la communauté de recherche a réellement besoin.
Méthodologie de la recherche
Partant des constats énumérés ci-dessus, l’institution mandante genevoise cherchait à déterminer comment soutenir et faciliter le travail de ses chercheurs tout en se positionnant en adéquation avec les exigences et les tendances de la recherche scientifique. Cette entreprise venait avec la difficulté supplémentaire de prendre en compte le contexte et l’organisation particuliers et typiquement suisses des hautes écoles spécialisées (HES). La Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO) est une institution de niveau tertiaire – soit le même que les universités – constituée d’un réseau de plusieurs écoles réparties dans sept cantons romands. Dans le cas du Travail social, il existe quatre écoles dispensant des enseignements dans cette matière à Genève, Fribourg, Sierre et Lausanne. Ces quatre écoles forment le domaine Travail social de la HES-SO. Néanmoins, elles sont également et avant tout rattachées à des regroupements régionaux. En conséquence, les écoles conservent une certaine indépendance les unes des autres et tendent à ne pas mutualiser leurs services de soutien. Il est à noter que certains services sont proposés de manière transversale par la HES-SO et donc accessibles à tous les collaborateurs, quel que soit leur établissement d’attache.
Pour répondre aux attentes du mandant tout en prenant en considération le contexte susmentionné, le travail s’est articulé en trois axes : tout d’abord la conduite d’un état de l’art pour mettre en exergue le contexte de la recherche scientifique ainsi que les tendances actuelles du soutien à la recherche, en particulier dans les services d’information et de bibliothèques. Cette étape visait à obtenir des informations qui ont servi de base comparative avec les données qui ont été recueillies lors de la deuxième étape du travail. Cette dernière a consisté en la conduite d’entretiens à différents niveaux de la HETS : d’une part de manière individuelle avec les responsables des différents services actuellement impliqués dans la recherche et son soutien, et d’autre part au moyen de groupes de discussion focalisée avec différents chercheurs de l’institution. À la suite des collectes, des synthèses des entretiens ont été rédigées et soumises aux répondants pour validation. Ce moyen a été préféré à la rédaction de verbatim pour des considérations de gain de temps, mais aussi en raison du fait que certains répondants souhaitaient rester anonymes dans le rapport écrit. Avec une transcription mot à mot, cet anonymat n’aurait pas pu être garanti, car certaines informations ou le recoupement de groupes informations auraient permis l’identification du répondant. L’analyse des données contenues dans ces synthèses et leur comparaison avec les données compilées depuis l’état de l’art ont permis de réaliser l’ultime étape du travail : un diagnostic de l’écosystème du soutien à la recherche scientifique à la HETS-GE et la formulation de recommandations ainsi que de pistes d’optimisation et de développement de celui-ci.
Afin de pouvoir dresser le bilan de la situation actuelle du soutien à la recherche HES-SO en Travail social, il avait été prévu de rencontrer deux populations phares de cette thématique : les prestataires, soit les divers services impliqués, et les bénéficiaires, soit les chercheurs.
Au début de la recherche, il avait été planifié de rencontrer des membres des deux populations au sein des quatre écoles susmentionnées dans le but de mener une étude comparative de la situation actuelle et de la maturité du soutien à la recherche entre les quatre sites. Un autre objectif était d’évaluer s’il existait des recoupements dans les besoins et les volontés de développement afin de déterminer la faisabilité de la mise en place d’un centre ou de toute autre structure de soutien à la recherche commune à l’échelle du domaine Travail social. Néanmoins, en dehors de l’institution mandante genevoise, les personnes et les entités interrogées n’ont pas répondu par la positive à nos sollicitations. La recherche a donc été réorientée sur un état des lieux institutionnel tout en gardant dans les investigations la question d’un intérêt pour un centre ou des services mutualisés de soutien à la recherche.
Au total, cinq prestataires de services ont été rencontrés : la direction de l’école, de la bibliothèque et des éditions institutionnelles, ainsi qu’un responsable de l’unité de soutien de la recherche HES-SO. Pour la communauté de recherche, deux groupes de discussion focalisée ont pu être organisés et ont permis de rencontrer un quart des chercheurs actifs à la HETS-GE : l’un avec les membres du comité du centre de recherches sociales (CERES) – comité en charge de la coordination de la recherche à la HETS-GE formé de chercheurs expérimentés – et un second avec des chercheurs moins expérimentés ou appartenant au corps intermédiaire.
Résultats et discussion
Les données obtenues lors des différentes rencontres avec les responsables et membres des services impliqués dans la dispense de prestations ont mis en lumière que des efforts étaient déjà entrepris en termes de soutien et de facilitation de la recherche. En revanche ceux-ci ne sont ni formalisés, ni coordonnés. Ce chapitre s’arrête sur les points saillants mis en valeur par la collecte de données sur le terrain, puis propose un bilan global du soutien à la recherche au sein de la HETS-GE.
Éléments préexistants et facteurs limitants institutionnels
Avant de passer aux éléments tangibles, il est nécessaire de souligner quelques éléments de contexte qui permettront d’apporter une dimension supplémentaire aux résultats présentés ci-dessous.
Tout d’abord, les représentants des services institutionnels sont unanimes sur le fait que les ressources financières sont un facteur limitant majeur. Cela s’explique par le climat économique commun à la plupart des institutions d’enseignement supérieur, mais également par le fait que la position de directrice adjointe en charge des finances est restée longtemps vacante – jusqu’à septembre 2018, date à laquelle ce poste a été pourvu – ; ajoutant ainsi une difficulté supplémentaire à ce climat inconfortable. Du côté des responsables des éditions et de l’Infothèque, il est rapporté que le budget et les ressources humaines sont tout juste satisfaisants en l’état pour remplir leurs missions. Un investissement dans ces deux pans serait nécessaire pour améliorer le confort de travail et surtout pour accueillir plus de demandes et développer de nouvelles prestations. Il est logique que ce facteur rende considérablement incompatibles les stratégies rapides et spontanées d’accroissement du soutien à la recherche ; en particulier si elles nécessitent l’investissement de temps de travail et engendrent des coûts non négligeables – ce qui est invariablement le cas pour en assurer la qualité.
Un deuxième point à mettre en exergue est que, préalablement à la présente recherche, le CERES s’est engagé dans un projet pilote initié par le Dicastère Qualité d’évaluation de la recherche institutionnelle de la HES-SO. Celui consistait à mener une auto-évaluation sur les activités et les prestations existantes de recherche à la HETS-GE ; tâche qui a été menée par le responsable de la recherche et complétée par les membres du comité du CERES. Bien que la présente étude se soit déployée indépendamment de cet effort, elle a pu bénéficier des réponses et des réflexions mobilisées par l’auto-évaluation, laquelle possédait des similarités dans ses objectifs et questions de recherche, notamment sur les aspects de besoins des chercheurs et de l’évolution des exigences des bailleurs de fonds et de l’environnement de recherche.
Impacts de la tendance de la publication en open access
Les nouvelles exigences des bailleurs de fonds ont d’ores et déjà eu des retombées en particulier pour la publication en open access. En effet, lors des entretiens individuels, les représentants de la plupart des services rencontrés ont dit avoir mis en place de nouvelles infrastructures pour répondre à cet enjeu. Les éditions IES – maison d’édition institutionnelle de la HETS-GE – ont souscrit à OpenEdition Books, une plateforme de publication en libre-accès où elles publient désormais la majorité de leurs nouveaux ouvrages au format numérique. À noter que la publication papier est pour le moment maintenue, car les éditions sont d’avis que ce medium a encore une raison d’être dans le domaine. Néanmoins, les responsables sont conscientes que le dédoublement des coûts de publication n’est pas une solution viable sur le long terme. Elles s’inquiètent également de la place de la rémunération du travail d’édition au sein d’un modèle de publication en open access, ainsi que des enjeux liés à la visibilité des productions engendrées par ce modèle à l’heure où les plateformes de diffusion se multiplient et que leur interopérabilité n’est pas encore monnaie courante.
À l’échelle de l’institution, une politique sur la publication en open access a été adoptée. En revanche, il n’existe pas encore de service ou de comité formalisé chargé d’endosser la responsabilité de cette thématique au sein de la HETS-GE ou même au niveau régional ou de la HES-SO.
En ce qui concerne les chercheurs rencontrés, bien que la vaste majorité ait été informée de l’évolution de ces exigences – soit car ils en dépendent directement, soit parce qu’ils en ont eu vent à travers leurs lectures ou d’autres contacts avec l’environnement de recherche – il est néanmoins apparu que la compréhension de ces enjeux est inégale et imparfaite. Cette tendance a été observée dans les deux focus groups menés auprès des chercheurs seniors et des chercheurs plus novices. Les deux groupes de répondants ont fait part d’un désir qu’un accompagnement et des moyens de formation soient mis en place pour les armer et les aider à se conformer aux attentes qui pèsent ou vont peser sur eux.
(Bonnes) pratiques de la gestion des données de recherche
La gestion des données de recherche n’est pas encore une préoccupation majeure de la communauté de recherche HETS-GE. Les chercheurs seniors du premier focus group ont relaté qu’en dehors du devoir de fournir un plan de gestion des données (DMP), le reste de la gestion des données est laissé à leur discrétion. Les bailleurs de fonds auxquels ces chercheurs font appel, notamment des fondations privées et d’autres organismes actifs en travail social, n’ont pas encore établi d’exigences sur la gestion ou l’archivage des données issues de leur parrainage, contrairement aux publications découlant des recherches. Ainsi, les chercheurs ont chacun des méthodes et des outils ad hoc pour gérer leurs données : qu’il s’agisse de les stocker sur une mémoire externe ou dans le cloud à l’aide de SwitchDrive ou de Dropbox. De plus, il a été mentionné par le groupe composé principalement de membres du corps intermédiaire, que la plupart d’entre eux ne bénéficiaient pas de fonds de tiers et donc d’aucune obligation de rendre des comptes sur la gestion de leurs données de recherche.
C’est pourquoi une des premières conclusions de la présente étude est que la mise en place d’un centre institutionnel de soutien à la recherche n’est pas une proposition plausible en l’état. Cela reviendrait à sauter une étape dans le développement du processus. Le soutien à la recherche institutionnel doit auparavant bétonner un certain nombre de fondations critiques afin de s’inscrire dans la stratégie globale de l’institution. Il faut également qu’il s’enracine davantage au sein des différents services mobilisés. Le développement inter-institutionnel ne pourra être envisagé qu’une fois que ce processus se sera parfaitement intégré au sein de l’institution.
Expression des besoins et propositions de développement de services
Lors des entretiens semi-dirigés et des deux focus groups, les participants ont eu l’occasion d’exprimer des propositions d’amélioration des services existants ou de développement de nouvelles prestations en réponse à des besoins encore insatisfaits. Sont présentés ici les éléments jugés majeurs et entrant en résonance avec ceux identifiés dans la revue de littérature.
Pour commencer, les responsables du CERES, de la direction et de l’Infothèque tombent tous d’accord sur le fait que la visibilité via les sites internet, peu satisfaisante, et leur ergonomie, sont des éléments à revoir. En effet, pour les premiers, il s’agit d’un frein conséquent à la visibilité des activités de recherche, et pour l’Infothèque cela limite la visibilité de ses prestations et de ses compétences. Par ailleurs, il existe une volonté de développer un lien plus fort entre l’Infothèque et le CERES en raison de la sous-utilisation des ressources et savoir-faire de cette première, volonté appuyée par la direction.
Du côté des chercheurs, plusieurs besoins ont été mis en lumière ; parfois uniquement lors d’un des deux focus groups et d’autres fois faisant consensus auprès de tous les profils rencontrés. D’abord, il est nécessaire que les chercheurs restent informés des dernières nouveautés liées à leurs objets de recherche. C’est pourquoi, certains répondants appartenant au premier focus group faisaient part de l’intérêt de pouvoir confier leur veille à un service interne – notamment à l’Infothèque. Toujours à ce sujet, la veille média actuellement assurée par l’Infothèque, et dont les résultats sont envoyés régulièrement sous forme de PDF par courriel, a été mentionnée. En effet, les participants ont salué l’utilité de cette démarche, mais soulignent le côté inadéquat du support PDF, qui engendre un délaissement regrettable de leur part. Ils souhaiteraient donc voir modifiés les résultats de cette veille vers une forme de livrable plus aisément et rapidement consultable.
Les membres du premier focus group ont mentionné devoir réaliser dans le cadre de dépôt de dossier des revues de littérature exhaustives, qui sont par conséquent exigeantes et chronophages. C’est pourquoi il leur serait utile de pouvoir déléguer en partie, voire entièrement, ce travail. À l’heure actuelle, certains répondants confient déjà cette tâche à des personnes externes à leurs frais. Étant donné le consensus autour de ce besoin, les répondants soulignaient donc que la mise en place d’une telle prestation sponsorisée par l’institution, ou mutualisée à l’échelle du domaine Travail social serait appréciable. Dans cette même veine, certains chercheurs exprimaient aussi leur intérêt pour une prestation de relecture de manuscrits avant publication, tout particulièrement pour les aspects de conformité des bibliographies et des citations – et mentionnent l’adéquation de cette requête avec les compétences naturelles de l’Infothèque.
Pour leur part, les membres du second focus group – principalement affiliés au corps intermédiaire – ont expressément demandé l’accroissement de la visibilité des ressources et des aides actuellement proposées par les différents services institutionnels pour les activités de recherche. Bien qu’ils imaginent qu’une offre non-négligeable existe, elle leur est totalement méconnue. Un vœu est donc exprimé pour accroître la visibilité et l’accessibilité de cette offre qui rejoint la faiblesse précédemment identifiée par les services institutionnels.
Finalement, un besoin unanime des deux focus groups est celui d’être informé et soutenu vis-à-vis des nouvelles exigences (open access et gestion des données de recherche, mais pas uniquement) de l’environnement de recherche. Directement concerné ou non à travers leurs activités de recherche actuelles, l’ensemble des répondants sait que ces évolutions doivent être embrassées et comprises, car elles sont des éléments angulaires de l’environnement dans lequel ils évoluent. Leur souhait est d’être munis du savoir adéquat pour faire des choix éclairés et de posséder des connaissances suffisantes pour choisir des outils fiables et efficaces.
Bilan du soutien à la recherche à la HETS
L’ensemble des éléments précédemment mis en exergue permettent de dresser un bilan général du soutien à la recherche actuellement proposé au sein de la HETS-GE.
Le premier constat du présent mandat a été que, bien que des services de soutien existent déjà au sein de la HETS-GE, ceux-ci souffrent d’un manque de visibilité qui entraîne souvent leur non-utilisation. Par ailleurs, le personnel des divers services rencontrés s’est montré très conscient de son rôle à jouer, mais s’étonnait que les chercheurs ne fassent pas davantage appel à ses compétences et ses expertises sur des sujets pointus (open access, veille, gestion des données de recherche). De leur côté, les chercheurs ignoraient effectivement l’existence de certaines prestations internes, mais aussi proposées par la HES-SO (notamment le Research Data Coordination Desk et l’unité d’appui Ra&D) ainsi que les compétences détenues par le personnel encadrant la recherche.
Cette méconnaissance est imputable à plusieurs facteurs :
Tout d’abord, l'absence d’une structure claire et formalisée destinée à soutenir et faciliter la recherche qui permettrait aux différents acteurs de se rassembler ainsi que de coordonner leurs efforts et de créer un groupement de compétences transversales prêt à répondre aux multiples enjeux du soutien à la communauté scientifique. À l’heure actuelle, chaque acteur agit de manière indépendante et propose des solutions sur mesure, ad hoc pour donner suite aux sollicitations. Cette situation entache la visibilité des compétences, mais également des services, tout en entraînant le risque d’une redondance dans les efforts de deux services différents s’attaquant à une thématique. De plus, cette carence d’organisation entraîne une certaine informalité et une absence totale de stratégie – dont le rôle devrait être de motiver et de donner une raison d’être à ces services.
Dans un deuxième temps, une caractéristique unique à la HETS-GE, et dont résultent les constats susmentionnés, est son organisation. En effet, les services et les chercheurs sont dispersés dans divers bâtiments localisés à plusieurs endroits. Tout naturellement, cela limite considérablement les rencontres fortuites. Il s’agit donc d’occasions manquées pour les chercheurs d’exprimer leurs besoins, et pour les membres d’un service d’affirmer leurs compétences et de mentionner l’existence de services ou d’une ressource. Cette structure en silo est donc un frein à la communication entre les acteurs qui poursuivent parfois des buts communs chacun de leur côté – démultipliant ressources et temps investis.
Conséquence directe de la remarque précédente, il n’y a actuellement que peu de communication entre les services et les chercheurs, et également inter-services. Le travail de promotion des services et des compétences reste souvent timide, voire presque absent. Les pages web des services ne mentionnent par exemple pas quelles prestations sont ou peuvent être proposées aux chercheurs.
Les répondants n’étaient pas au courant de l’existence de services de soutien à l’échelle de la HES-SO, notamment la présence d’une archive ouverte (ArODES) ou les diverses unités de soutien à leur disposition : l’unité d’appui Ra&D, spécialiste des questions d’acquisition de fonds de tiers, et le Data coordination Desk. Il semble que leur non-utilisation soit également imputable à un manque de communication. Cependant, ces services s’adressent à l’ensemble de la HES-SO. Par conséquent, leur promotion n’est pas du ressort direct de la HETS-GE, même si on peut s’attendre à ce qu’elle diffuse et promeuve un peu ces prestations.
Pour conclure, lors des rencontres, une question était posée sur l’intérêt des répondants vis-à-vis de la mutualisation de certains services de soutien, voire de la mise en place d’un centre dédié au soutien à la recherche, mutualisé à l’échelle du domaine Travail social de la HES-SO. À la lumière du bilan institutionnel et des facteurs limitants liés aux ressources, mutualiser à l’échelle du domaine s’impose comme une solution intelligente et efficiente puisqu’elle permet d’en faire plus sans devoir investir toutes les ressources nécessaires individuellement. L’ensemble des répondants des focus groups et des entretiens abondait dans ce sens. Toutefois en l’absence de réponses des trois autres écoles, il a été impossible d’en juger la faisabilité. Nonobstant ce manque et les limitations existantes, des dispositions ont déjà été mises en place et des améliorations demandant un investissement maigre en ressources peuvent être envisagées, comme proposé ci-après.
Propositions et recommandations
En prenant en compte le contexte HES – en particulier celui de la HETS de Genève – ainsi que les résultats de la collecte de données, une proposition théorique ainsi que cinq recommandations ont été formulées. Bien que ces recommandations soient avant tout des pistes de solutions aux difficultés constatées à la HETS-GE, leur pertinence peut s’étendre à toutes les institutions faisant face aux mêmes enjeux environnementaux ou souhaitant simplement mettre en place un soutien à la recherche efficient et adéquat.
Les trois piliers du soutien et de la facilitation de la recherche
Les résultats des investigations sur le terrain, croisés avec les informations recueillies dans la littérature, ont permis de déterminer que la facilitation de la recherche dépendait étroitement de l’équilibre de trois piliers :
- La communication ; on entend par là autant les échanges entre les prestataires de soutien entre eux qu’avec les bénéficiaires de leurs efforts. Ces derniers doivent également transmettre leurs suggestions et leurs besoins de manière proactive et itérative.
- La coordination ; c’est-à-dire l’organisation formelle de tous les efforts, services et activités de facilitation mis à l’œuvre dans le but de réduire la redondance et d’augmenter l’efficience et l’adéquation avec les besoins de la communauté de recherche.
- La collaboration ; cela implique que le soutien et la facilitation ne peuvent être dispensés par un service ou un profil de compétences unique. Étant donné l’hétérogénéité des enjeux mobilisés par ce processus, une pluralité d’acteurs est nécessaire pour y répondre et trouver des solutions efficaces.
Figure 3: Les trois piliers du soutien à la recherche
(Wuillemin 2018, p.53)
Ces trois points devront donc être utilisés comme leviers lors du déploiement d’un effort de facilitation de la recherche transversal et commun à l’ensemble de l’institution afin de permettre d’ancrer celui-ci dans la culture institutionnelle et stratégique de l’institution.
Unifier pour régner : création d’un organe de coordination
La présence d’une entité réunissant l’ensemble des parties prenantes mobilisées par le soutien à la recherche – à savoir : l’Infothèque, les éditions IES, le centre de recherche sociale (CERES) et un représentant des chercheurs et de la direction des établissements – est cruciale. Cette entité pourrait par exemple prendre la forme d’un comité.
Les missions de cet organe devraient inclure les points suivants :
- Observer et coordonner les activités institutionnelles de soutien et de facilitation de la recherche.
- Mettre en place des objectifs stratégiques pour développer le soutien à la recherche qui soient cohérents et en continuité avec les objectifs de l’institution et de la HES-SO.
- Rédiger et diffuser des politiques, des guides ou des règlements pour orienter, encadrer et uniformiser les divers aspects de la facilitation de la recherche notamment autour des questions de publication des résultats de recherche et de gestion des données de recherche.
- Créer un espace permettant l’échange entre les représentants des services et les chercheurs, afin que les besoins de ces derniers soient entendus et que les services puissent mettre en avant leurs compétences, et le partage autour des thématiques/enjeux/nouveautés de la recherche scientifique et de son environnement.
Mise en place d’un modèle de maturité du processus et d’un tableau de bord
En matière de gestion des données de recherche, la littérature propose à plusieurs reprises d’aborder cette thématique sous l’angle d’un modèle de maturité. L’avantage d’un tel dispositif est qu’il permet de détailler la qualité et l’avancée du processus de manière visuelle. Chaque niveau peut donc être exprimé en objectifs stratégiques à atteindre.
Le but de la recherche n’était pas la création d’un tel dispositif. Toutefois, les résultats ont mis en lumière une maturité encore insuffisante au sein de la HETS-GE pour la mise en place d’un centre de soutien à la recherche institutionnel ou commun au domaine Travail social. L’utilisation d’un modèle de maturité semblait ainsi toute indiquée, car elle permettrait à l’institution de se développer et d’atteindre la maturité nécessaire à une telle entreprise. Une brève revue de la littérature a été menée afin de s’inspirer et de développer le prototype ci-dessous. Celui-ci a suivi le style graphique d’une figure proposée par Cox et al. dans un article de 2017 et a été alimenté par 2 modèles centrés sur la gestion des données de recherche, celui de Cox et al. (2017) et du Australian national data service (2018), ainsi que par le constat précédemment formulé sur les trois piliers de la recherche.
Figure 4: Modèle de maturité pour le soutien à la recherche
(Wuillemin 2018, p.59)
Niveau 1
Ce niveau de maturité est le plus bas et il se caractérise par une certaine passivité institutionnelle en ce qui concerne le processus de soutien à la recherche dans sa globalité. Pour en revenir aux trois piliers, la collaboration et la coordination sont pour ainsi dire inexistantes. Les chercheurs trouvent des solutions par leurs propres moyens.
Niveau 2
À ce palier, les divers acteurs commencent à prendre conscience de leurs compétences et les besoins de leurs bénéficiaires ainsi que de l’importance du processus de soutien et des activités qu’il implique. Ces changements sont une réaction aux évolutions de l’environnement (comme la gestion des données de recherche, l’open access etc.), mais sont aussi motivés par la lecture d’articles ou de retours d’expériences. Les activités sont principalement ad hoc et peu ordonnées. La qualification de ce niveau est celle de phase réactive : l’institution ne prend pas encore des décisions par elle-même, mais met en place des services à usage unique sur la demande des chercheurs. Cette phase coïncide également avec la conduite d’enquêtes et d’évaluation de l’existant afin de dresser un portrait des compétences et des ressources exploitables.
Niveau 3
Arrivés à cette étape, les efforts de soutien deviennent proactifs. Le processus fait désormais partie intégrante du plan stratégique de l’établissement. Les efforts deviennent plus systématiques : les prestations ne sont plus ad-hoc mais s’adressent à des profils divers et le rôle de chacun des prestataires est défini précisément. Les parties prenantes communiquent plus efficacement sur leurs prestations et entre elles. L’offre de services commence donc à s’étoffer. Des politiques, des marches à suivre et des règlements sont en production afin de formaliser les activités et d’unifier les pratiques.
Niveau 4
Ce niveau est placé sous le signe de l’intégration. Les politiques susmentionnées sont disséminées et s’intègrent progressivement à l’ADN de l’institution. L'offre de service est conséquente et s’optimise. Du côté des trois piliers, la collaboration est satisfaisante et la coordination et la communication sont optimales.
Niveau 5
Le point culminant du modèle est atteint lorsque l’ensemble des activités associées au processus sont implantées et formalisées de sorte qu’elles fassent pleinement partie de la culture institutionnelle et stratégique de l’entité concernée. Tout le monde travaille de concert et les efforts sont ajustés aux besoins et rationalisés. L’institution peut maintenant s’ouvrir vers l’extérieur et chercher à créer des partenariats ou des services mutualisés avec d’autres institutions. Dans le contexte HES-SO, ces alliances peuvent se faire avec d’autres écoles de travail social ou avec un ou des services à l’échelle de la HES-SO.
La faiblesse du présent modèle de maturité est qu’il représente le processus comme une activité unique. Or, la revue de la littérature couplée aux rencontres sur le terrain a montré qu’une pléthore d’activités est concernée par la facilitation de la recherche et que chacune d’entre elles peut se décomposer en sous-activités.
Ainsi le modèle de maturité devrait surtout jouer le rôle d’un “pense-bête” ou d’une feuille de route pour orienter globalement les efforts stratégiques.
En revanche, il est nécessaire pour les aspects opérationnels de compléter le prototype par un tableau de bord. Celui-ci devrait directement découler des différentes phases du modèle de maturité (ici cinq), et détailler les différentes activités par étape. On peut éventuellement décliner et séparer le tableau de bord par domaines d’activité (par exemple gestion des données de la recherche, publication des articles scientifiques, stimulation de la communauté de recherche, etc.). Pour chacune de ces activités il est nécessaire de lister les prérequis du palier et les tâches et les paramètres qui doivent être mis en place pour valider l’obtention du niveau de maturité.
Figure 5: Exemple de tableau de bord de suivi de la maturité du soutien à la recherche
(Wuillemin 2018, p.60 – adapté du Australian Data Service 2018, p.3-4)
Cet outil conserve non seulement la force visuelle du modèle de maturité, mais possède aussi une réelle plus-value opérationnelle. Ces deux outils de pilotage, il va sans dire, doivent impérativement être développés par toutes les parties prenantes mobilisées. C‘est pourquoi l’une des recommandations émises lors de ce travail est de charger l’organe de coordination du soutien institutionnel à la recherche de cette responsabilité.
Développer la compréhension des exigences de l’environnement de recherche
La revue de littérature ainsi que les actualités récentes ont mis en exergue l’importance et le poids des nouvelles exigences de l’environnement de la recherche. À l’ère numérique, dans un contexte où la production de données croît de manière exponentielle, et à la lumière de célèbres cas de falsification de résultats de recherche (voir notes (2) et (3)) qui ont parfois des retombées négatives mais surtout durables dans l’esprit collectif, il est crucial pour toutes les parties prenantes de prendre les nouvelles exigences à bras le corps et de se les approprier en les intégrant à terme dans leurs propres politiques et règlements internes. En effet, même si les changements réglementaires ont principalement été ressentis par les bénéficiaires des institutions de financement de la science, ces changements sont les symptômes d’une transformation générale et profonde dans la manière de mener la recherche scientifique. Le contrôle et la transparence autour de la recherche sont donc des enjeux phares et les exigences vont dans ce sens.
Dès lors, les services de soutien à la recherche ont la responsabilité de répandre les connaissances autour de ce nouveau paradigme au sein de la communauté de recherche afin de l’accompagner activement dans cette période de transformation. L’enjeu est de lui donner les ressources ainsi que le soutien nécessaires pour que cette transition se fasse en douceur et non sous la contrainte ou la peur d’une perte de financement de tiers.
Dans le contexte des institutions d’enseignement tertiaire, il existe généralement des unités et des services institutionnels spécialisés sur les différentes thématiques touchées par ces changements. Au sein de la HES-SO, on citera notamment l’unité Ra&D, et le Research Data Coordination Desk. En l’absence de telles unités ou à titre complémentaire, on peut également faire appel à des experts extérieurs comme ceux du projet DLCM, groupe spécialisé sur le cycle de vie des données de la recherche.
Visibilité des services et de leurs prestations
Travailler sur la visibilité des services et de leurs prestations est également un point crucial pour l’accroissement des trois piliers du soutien à la recherche. La littérature soulignait la présence de silos institutionnels qui pouvaient freiner la mise en place de services, et l’accroissement de la maturité du processus, mais parfois les services déjà existants sont eux-mêmes méconnus, voire inutilisés. Les chercheurs rencontrés dans le cadre de l’étude avaient des besoins auxquels des prestations préexistantes auraient pu répondre, mais dont ils ignoraient l’existence. Cette non-utilisation implique que les besoins des chercheurs ne sont pas satisfaits et que les services dédient des ressources à entretenir des prestations qui ne sont pas utilisées. Tout le monde est ainsi perdant.
Il est donc nécessaire, avant d’accroître l’offre, de mettre en place des solutions pour renforcer la visibilité de l’existant. Pour cela, il n’est pas forcément nécessaire de réinvestir des ressources particulières ; on peut bien développer des choses que l’on a déjà sans avoir à faire appel à des compétences nouvelles. Une chose aisée à mettre en place est une page dédiée au support à la recherche sur le site institutionnel. Celle-ci devrait regrouper les règlements et politiques institutionnels, mais aussi la liste des prestations dispensées par chaque service, ainsi que des liens renvoyant vers leurs pages. Les pages web des services devraient aussi mettre en exergue leurs offres de prestations. Des renvois vers des ressources externes comme le fameux Research Data Coordination Desk et l’unité Ra&D seraient également judicieux.
Cette centralisation de toutes les ressources à disposition faciliterait la vie aux chercheurs et augmenterait leur connaissance des prestations offertes et, on peut l’espérer, l’utilisation de celles-ci.
Encourager l’entraide et participer à l’épanouissement de la communauté de recherche
Bien que la communauté de recherche soit au centre de toutes les préoccupations, il peut arriver que les parties prenantes oublient que des actions peuvent également être entreprises pour la stimuler. C’est pourquoi, il est important de connaître son « état de santé » et la façon dont les relations interpersonnelles s’y cartographient. L’hétérogénéité de la communauté de recherche, soulevée dans la revue de littérature, a par ailleurs été vérifiée par les données recueillies sur le terrain. Les niveaux d’expérience et les domaines d’intérêt sont variés et un manque de cohésion a malheureusement été rapporté. Certains des chercheurs nouvellement engagés et qui n’ont pas une grande expérience de recherche se sentent parfois isolés, ou du moins pas très intégrés. La principale raison est que les informations ont de la peine à circuler, notamment concernant les projets sur lesquels les chercheurs travaillent. La diffusion ou la mise en place d’une base de données des projets en cours et passés accessible aux chercheurs, mais aussi au personnel administratif et technique (PAT), permettrait la propagation de ces informations cruciales pour créer des liens entre les chercheurs. Par exemple, un nouveau chercheur pourrait prendre contact avec un chercheur expérimenté travaillant sur une thématique voisine afin de discuter de sa méthodologie ou de demander des contacts. Cette proposition serait également bénéfique pour les relations entre les chercheurs et les membres du soutien à la recherche. En effet, les services de soutien seront ainsi au courant du quotidien des chercheurs et des nouveautés liées à leurs recherches et pourront effectuer des tâches comme de la veille informationnelle, technologique et réglementaire sur les sujets étudiés.
Conclusion
Cet article a fait état de l’écosystème de la recherche et des difficultés rencontrées par les services institutionnels pour soutenir les activités des chercheurs. Le milieu de la recherche a subi des évolutions majeures telles qu’un changement de paradigme – toujours en cours –vers un fonctionnement placé sous le signe de la collaboration, de la promotion de l’open access, du durcissement des exigences des bailleurs de fonds, mais aussi d’une réduction significative des budgets. On a rappelé ensuite l’importance de s’appuyer sur les services institutionnels et sur leur capacité à épauler les chercheurs dans leur travail grâce à des outils et compétences adaptés. Les données présentées dans cet article convergent vers une demande croissante de création et d’utilisation de ce genre de services.
En effet, du fait du foisonnement des activités de recherche, de l’hyper compétitivité et des activités d’enseignement, les chercheurs sont débordés. Les nouveaux aspects de la recherche scientifique, comme la gestion des données de recherche et la diffusion en open access des résultats, sont des soucis supplémentaires qu’il leur revient de gérer alors que le temps et les compétences leur manquent. Or, la littérature et les résultats de la recherche démontrent que les services institutionnels cherchent à prêter main-forte aux chercheurs pour les soulager là où il est possible de le faire. Néanmoins la communication peine bien souvent à aboutir. Cette volonté reste ainsi votive et les chercheurs se démènent en silence.
Les données montrent que la HETS-GE traverse les changements identifiés dans la littérature : les chercheurs HETS sont aussi en contact avec les transformations de l’environnement. Même s’ils ne subissent pas tous les contraintes des bailleurs de fonds, ils reconnaissent les enjeux portés par ces thématiques et la responsabilité de les endosser. Du côté des services, une volonté existe d’être plus proactif dans le soutien et de s’aligner sur les tendances. Mais la bonne volonté ne suffit pas ; il manque encore un maillon pour connecter les prestataires et les bénéficiaires. Il est donc primordial de le créer afin de suivre le paradigme de la recherche et donc de travailler ensemble. Le soutien et la facilitation de la recherche devraient se développer autour de deux pôles : les évolutions des exigences de l’environnement de recherche et les besoins de la communauté de recherche – qui du reste sont intimement liées aux premières.
Suivant ce constat, des pistes de réflexion et des recommandations ont pu être formulées pour surmonter les difficultés constatées et encourager l’épanouissement du soutien institutionnel à la recherche au sein de la HETS de Genève. Un premier constat général est que le soutien à la recherche doit s’efforcer de trouver un équilibre entre trois piliers : la communication, la collaboration et la coordination entre toutes les parties prenantes concernées et mobilisées. Ainsi, la première recommandation pour l’institution mandante est de mettre en place un organe de coordination institutionnel du soutien à la recherche composé d’au moins un représentant de toutes les parties prenantes concernées. Cet organe est incité à se charger d’élaborer un modèle de maturité du processus ainsi qu’un tableau de bord pour en suivre les évolutions et mesurer les progrès. L’avantage de ces deux outils est d’aider à la fois à la planification stratégique de la maturation des activités ainsi qu’à la mise en place des aspects opérationnels et des tâches nécessaires pour y parvenir – le tout en tirant parti de leur force intrinsèquement visuelle.
En parallèlement à ces efforts, il est aussi important de développer la compréhension des chercheurs et des entités qui les soutiennent au sujet des exigences de l’environnement de la recherche. Il s’agit là de comprendre autant les thématiques émergentes que les nouvelles exigences des bailleurs de fonds. La visibilité des services institutionnels et leurs prestations est également un point qui mérite un investissement particulier. Finalement, il est crucial de favoriser un environnement fécond et encourageant l’entraide mutuelle pour que la communauté de recherche puisse s’épanouir au mieux.
L’étude dont le présent article fait la synthèse se voulait être comparative. Or, faute de répondants, elle s’apparente davantage à une étude de cas. C’est pourquoi il serait intéressant d’explorer les divers éléments soulevés par sa méthodologie au sein des trois autres écoles du domaine. Cela permettrait de déterminer si la situation à Genève est un cas isolé ou si elle est commune au reste des institutions de formation et de recherche en travail social, et tout particulièrement de détecter un intérêt potentiel pour la mutualisation de services de soutien.
Plus globalement encore, il est intéressant de constater que les enjeux de soutien à la recherche – pourtant objet des réflexions de la littérature spécialisée depuis plusieurs années déjà – continuent à animer les débats entre professionnels et à faire couler de l’encre, sans pour autant qu’une solution ou une réponse finale ne s’impose. Plus qu’un tournant appuyé par l’évolution du paradigme de la science ou par les pressions financières, les interrogations mises en lumière par le soutien à la recherche dénotent un profond et irrémédiable changement de société vis-à-vis de l’utilisation des médias, de la relation aux données et à la vie privée, ainsi que des exigences de transparence, notamment à propos des investissements de l’argent du contribuable dans le financement de la recherche. Tous ces enjeux n’épargnent pas les métiers de l’information documentaire, qui vont devoir tôt ou tard se positionner sur la nécessité de s’approprier des compétences traditionnellement rattachées à d’autres corps de métiers, avec le risque de remettre en question des savoir-faire historiques ou leur identité même.
Notes
[*] Veuillez noter que cet article reflète uniquement l’opinion de son autrice et n’engage nullement la Haute école de travail social de Genève ou toute autre entité mentionnée.
[**] L’italique dans le texte ne sert qu’à signaler les mots issus de langues étrangères.
(1) Davantage d’informations sur la politique d’open access du FNS sont disponibles à l’adresse:http://www.snf.ch/fr/leFNS/points-de-vue-politique-de-recherche/open-access/Pages/default.aspx
(2) Une étude publiée en 1998 dans la revue anglaise The Lancet argumentait qu’un lien de causalité existait entre la vaccination contre la rougeole et le développement de l’autisme. L’Organisation mondiale de la Santé a néanmoins publié un rapport en 2003 qui dénonçait la fraude scientifique véhiculée par cette publication et The Lancet a depuis réfuté l’article. Néanmoins, cette étude a eu un impact durable sur l’opinion publique et alimente aujourd’hui encore l’argumentaire des personnes en défaveur de la vaccination.
(3) Un exemple plus récent, mais d’un même phénomène est une étude publiée en 2018 dans la revue GSC Biological and Pharmaceutical Studies et co-signée par deux chercheurs suisses. Cependant, celle-ci a été récemment réfutée et retirée de la revue, car un examen a mis en lumière que les données avancées pour corroborer les résultats étaient frauduleuses et avait été manipulées. Voir l’article du Temps : le vaccin Ebola co-signé par des chercheurs suisses
Bibliographie
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N°Spécial 100ans ID
Ressi — 4 avril 2019
Editorial
En 2018, la filière Information documentaire de la HEG-Genève a fêté ses 100 ans !
C’est en effet en octobre 1918 que s’ouvraient les premiers cours de formation au métier de bibliothécaire, dans le cadre de l’École d’études sociales pour femmes. Que de chemin parcouru de ces quelques cours pour futures « secrétaires-bibliothécaires –libraires » aux enseignements de Master en Sciences de l’information actuels !
Outre une brève rétrospective des grandes étapes de ce parcours, la filière a souhaité marquer cet anniversaire par la tenue, du 18 au 22 juin, d’une session de l’école d’été internationale francophone en sciences de l’information. Pendant cinq jours ont été proposés aux participants conférences, ateliers, témoignages, visites, et même un escape game ! Plusieurs centaines de professionnel-le-s et d’étudiant-e-s de toute la francophonie ont ainsi eu l’opportunité de réfléchir sur l’évolution des métiers de l’information documentaire et d’envisager les grandes mutations à venir.
L’équipe de RESSI a souhaité marquer cet événement par la parution d’un numéro spécial, le premier du genre, entièrement consacré à cette commémoration. Il débute par une revue des grandes étapes parcourue en un siècle, avec un accent tout particulier sur l’enseignement de l’informatique documentaire, intégrée dès 1968 par l’École de bibliothécaires, par petites touches d’abord puis de façon de plus en plus intensive.
C’est ensuite l’École d’été qui fait l’objet de résumés, qui pour certaines sessions sont complétés par les présentations powerpoint des intervenants et des vidéos Youtube filmées lors de leur intervention.
Enfin, et pour définitivement ancrer la formation dans l’avenir, ce numéro se termine par une synthèse de travaux de recherche menés dans le domaine si prometteur de la gouvernance informationnelle, un domaine en plein développement auquel notre filière tient à former solidement les futur-e-s professionnel-le-s.
Nous vous souhaitons une très bonne lecture et nous remercions vivement toutes celles et ceux qui ont contribué à ce numéro spécial.
Le Comité de rédaction
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Cinquante ans de numérique en bibliothèque
Ressi — 20 décembre 2018
Alexis Rivier, Conservateur Ressources numériques et périodiques, BGE
Cinquante ans de numérique en bibliothèque
Dans l’essai d’Yves Desrichard, conservateur des bibliothèques et ancien rédacteur en chef du Bulletin des bibliothèques de France, les professionnels actifs depuis une vingtaine d’années ou davantage reconnaîtront des personnes, des sigles, des événements politiques qui ont façonné le destin numérique des bibliothèques françaises.
En France, l’histoire est une discipline prestigieuse et valorisée. Nombre d’historiens ont occupé de hautes fonctions à la Bibliothèque nationale, comme Jean-Noël Jeanneney, président de la BnF de 2002 et 2007 et préfacier de l’ouvrage. Pour autant le parcours rétrospectif sur ce facteur fondamental de transformation des bibliothèques qu’a représenté l’arrivée de l’informatique a été plutôt négligé, ou cantonné à l’intérieur d’ouvrages au périmètre plus large .
Cinquante ans de numérique en bibliothèque s’articule en cinq « temps », couvrant chacun approximativement une décennie. Suivre les faits et les avancées dans ce continuum chronologique s’avère efficace et très parlant.
Le premier temps est celui des pionniers, qui mettent au point les premiers formats de catalogage. Peu après, les premières politiques d’ «automatisation» des bibliothèques voient le jour.
S’ensuit le temps des découvreurs qui consolident les acquis, développent les fonctionnalités et s’emparent de technologies qui semblaient prometteuses : Minitel, CD-Rom, vidéodisque.
Le temps des bâtisseurs concrétise les chantiers d’informatisation de la BnF, la rétroconversion des catalogues, les réseaux informatisés.
Le temps des expérimentateurs suggère une nouvelle étape de tâtonnements. La montée en puissance des ressources numériques entraîne des stratégies de rassemblement autour des consortiums, puis une mobilisation en faveur de l’open access. Des services d’Internet affichent une croissance surprenante, les bibliothèques s’y adaptent : Web 2.0, archivage du numérique, grands programmes de numérisation.
Le dernier temps appartient aux médiateurs : la mise en concurrence des bibliothèques les oblige à repenser leurs fondamentaux, principalement dans la mise en relation des usagers avec des sources et des contenus d’information. Un certain renversement de perspective s’opère : l’usager devient prioritaire et non plus la collection, dont le statut doit être revisité. On ne peut s’empêcher de voir dans ce titre un hommage au dernier opus d’un grand nom de la bibliothéconomie française, disparu prématurément : Les bibliothèques et la médiation des connaissances de Bertrand Calenge.
Chaque partie relate de façon très complète les initiatives, les structures institutionnelles et les personnages qui ont forgé cette histoire, générant une floraison de sigles dont peu ont subsisté jusqu’à nos jours. La concision du livre (132 pages) en fait une excellente synthèse. Non sans modestie, Yves Desrichard estime cependant qu’une histoire complète de l’informatisation des bibliothèques reste à écrire…
Une fois posé à gros traits les étapes, quels sont les principaux enseignements de cette rétrospective ? Nous en proposons quelques-uns.
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A ses débuts, l’informatisation des bibliothèques apparaît presque simultanément dans les pays développés. Mais l’avance des Etats-Unis est réelle. C’est à la Bibliothèque du Congrès que le format Marc, pierre angulaire de l’informatique en bibliothèque, a été défini en 1966. Le prétendu retard français est cependant minime : cette même année, Henri-Jean Martin travaille à la Bibliothèque municipale de Lyon sur un format de catalogage pour le livre ancien et en 1968 Marc Chauveinc conçoit le format Monocle à Grenoble. C’est également dans ces années-là que l’aventure commence en Grande-Bretagne , mais aussi en Suisse avec les projets Sibil à Lausanne et Ethics à Zurich. Il y a là une remarquable convergence, tant il apparut très tôt que l’informatique était un outil essentiel pour les bibliothèques.
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On s’en doute, l’informatisation n’est pas une route paisible. Les réussites y côtoient les échecs. Ce n’est pas le moindre mérite de ce livre d’y faire place. Certaines idées viennent trop tôt, d’autres fois la réalisation est laborieuse. Enfin certaines technologies n’ont pas été confirmées. Parfois les bibliothèques sont confrontées à des temporalités qui les dépassent, le volontarisme ne suffit pas toujours. "Ceux qui ont réussi ne savaient pas qu'ils allaient réussir; ceux qui ont échoué ne savaient pas qu'ils allaient échouer." (p. 11). Deux cas sont symptomatiques. Le système centralisé Libra, voulu et conçu par le Ministère de la culture entre 1982 et 1989 pour combler le retard des bibliothèques centrales de prêt n’a jamais fonctionné correctement, et les lois de décentralisation ont précipité son abandon. Le projet d’informatisation de la BnF, aussi ambitieux dans son genre que celui de la construction du nouveau bâtiment sur le site de Tolbiac, a été émaillé de difficultés qui ont beaucoup ému la profession. Le système n’a été véritablement opérationnel qu’en 2002, soit 4 ans après les prévisions. Plus récemment le projet Relire, complexe montage technico-juridique au bénéfice d’une noble idée : la remise à disposition du public d’œuvres protégées par le droit d’auteur mais plus commercialisées, n’a pas eu l’effet désiré. Le dispositif a été décrié par les auteurs et invalidé par l’Union européenne.
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Se pencherait-on sur le passé parce que le présent et surtout le futur inquiètent ? Yves Desrichard se défend de se prêter au jeu de la prophétie, mais sait que l’on attend de lui qu’il dise ce que l’examen du passé lui inspire pour l’avenir des bibliothèques. Le numérique a pris partout une telle place qu’il n’est plus perçu comme aussi désirable qu’au temps des pionniers.
A ses débuts l’informatisation est un facteur de modernisation accueilli avec enthousiasme. C’est un moyen de gérer un « monde physique » qui ne remet aucunement en cause la position de la bibliothèque, ni même son fonctionnement, ses instruments. L’informatique aide d’abord à mettre sur pied des outils de travail comme les catalogues sur fiches ou des bibliographies. Dans les années 1970, le groupe Gibus (Groupe informatiste de bibliothèques universitaires et spécialisées) prône un accès direct par les usagers aux données informatisées, mais c’est bien plus tard que le catalogue sera mis à disposition en ligne via les Opac.
La véritable fracture, et nous suivons l’auteur sur ce point, survient avec le développement de l’information primaire – les contenus – sous forme numérique. Les bibliothèques ont gardé le monopole de l’information imprimée mais ne maîtrisent qu’une petite partie des ressources numériques, celle de la numérisation de leurs fonds. Les ressources sont pour l’essentiel commercialisées et difficiles à acquérir par les bibliothèques. En témoigne la délicate mise en place de la plate-forme Prêt numérique en bibliothèques (PNB) permettant de prêter des ebooks. Malgré tout, cela stimule aussi les capacités d’adaptation des institutions, à l’instar de la création des consortiums Couperin et Carel, respectivement pour les bibliothèques universitaires et pour les bibliothèques de lecture publique. « La profession a toujours été aux avant-postes de l'expérimentation et de l'appropriation des outils informatiques et numériques » (p. 12). Elle a investi Internet avec enthousiasme et continue de le faire, dans la bataille pour l’open access et des contenus gratuits de qualité. Mais le public est capté par d’autres acteurs, puissants et très performants sur le plan des technologies, qui mettent en suspicion l’utilité des bibliothèques, même au niveau politique. J.-N. Jeanneney souligne dans sa préface « l’inquiétude » des professionnels et n’hésite pas à qualifier cette mutation de leur métier comme « la plus violente, en somme, depuis l’invention de l’imprimerie » (p. 10). A cela s’ajoutent des tendances contradictoires qui rendent peu lisibles l’évolution numérique. Le cas le plus typique est celui du livre électronique, dont Desrichard rappelle que « plus de 15 ans après sa première apparition », en 2000, il « continue à provoquer questionnements, enthousiasmes, critiques et incertitudes » (p. 84). C’est donc sur un optimisme prudent qu’il clôt son ouvrage.
Au fil de ce parcours de Cinquante ans de numérique en bibliothèque, on prend la mesure des conditions spécifiques liées au développement informatique de ce secteur en France : influence déterminante de l’Etat central et des ministères concernés, poids de la Bibliothèque nationale, volontarisme technologique. Mais au final, en raison de la globalisation des technologies, la situation des bibliothèques françaises n’est pas si différente de celle d’autres pays. Yves Desrichard a tracé une voie prometteuse.
Bibliographie
Yves Desrichard. Cinquante ans de numérique en bibliothèque. Paris: Electre-Ed. du Cercle de la Librairie, 2017 (collection Bibliothèques)
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Les bibliothèques de la Communauté du savoir
Ressi — 20 décembre 2018
Agnès Dervaux-Duquenne, bibliothécaire-responsable, Haute Ecole Arc Ingénierie
Les bibliothèques de la Communauté du savoir
Des solutions simples pour des défis complexes
Un des derniers livres blancs partagés sur le site http://www.archimag.com/ [1] nous propose une étude intitulée « Les défis des bibliothèques universitaires au cœur de l’enseignement, de l’apprentissage et de la recherche » [2].
Notre métier change, c’est une évidence, notre profession évolue, et nous aussi, les professionnel-le-s. Les défis identifiés se posent donc autant au niveau des lieux, des institutions et des objectifs que des ressources, des outils et enfin des compétences des personnels.
C’est une chance dès lors de faire partie d’une des institutions membres de la Communauté du savoir et de bénéficier des encouragements et des infrastructures mises en place pour se rencontrer, partager sur nos pratiques, nos savoir-faire, nos questions et nos solutions et tenter de développer des projets à haute valeur ajoutée avec nos collègues régionaux transfrontaliers.
Mais qu’est-ce que cette Communauté du savoir ?
La Communauté du savoir : historique et composantes
La Communauté du savoir (Cds) est un réseau visant à renforcer, valoriser et stimuler les collaborations franco-suisses dans l'Arc jurassien en matière d'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation.
D'abord sous l'égide de la Conférence TransJurassienne, la Communauté du savoir a organisé tous les deux ans (2012, 2014, 2016) un colloque transfrontalier afin de permettre aux acteurs de la collaboration transfrontalière dans les domaines de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation de se rencontrer et d'échanger sur les solutions à apporter aux problématiques inter-régionales générées par les frontières. Les colloques se sont tenus alternativement en France et en Suisse afin de permettre aux participant-e-s de visiter un établissement partenaire.
Le premier colloque de 2012 a été organisé à l'’École Nationale Supérieure de Mécanique et des Microtechniques (Besançon, France) et a réuni une centaine d'acteurs des échanges franco-suisses. Il a donné lieu à la signature d'une déclaration d'intention signée par 17 partenaires présents et a permis de créer les prémices d’une communauté du savoir, de la recherche et de l’innovation de l’Arc jurassien.
Le deuxième colloque de 2014 s’est tenu à la Haute Ecole Arc (Neuchâtel, Suisse) et a réuni environ 150 participant-e-s autour de la thématique : "La collaboration transfrontalière : aller au-delà des outils existants". C’est lors de ce colloque qu’ont été proposées de nouvelles pistes d'actions franco-suisses structurantes dans plusieurs domaines - dont les bibliothèques, et que le nom de cette communauté a été validé par les participant-e-s.
Le troisième colloque de 2016 a eu lieu à l'Atria de Belfort (France) sur le thème "Frontières : dynamique et enjeux d'un territoire transfrontalier", et a permis de mettre en lumière les avantages (également pour les acteurs publics et politiques) liés à la coopération au sein du réseau de la Communauté du savoir. La signature d’un accord-cadre entre sept membres académiques est venue consolider cette volonté de travailler ensemble et de soutenir activement le développement de leurs collaborations.
Les sept membres académiques sont les suivants :
- l’Ecole Nationale Supérieure de Mécanique et des Microtechniques (ENSMM) - Besançon
- la Haute Ecole Arc (HE-Arc) – Neuchâtel
- la Haute Ecole d’Ingénierie et de Gestion du canton de Vaud (HEIG-VD) - Yverdon
- la Haute Ecole Pédagogique des cantons de Berne, Jura et Neuchâtel (HEP-BEJUNE)
- l’Université de Franche-Comté (UFC)
- l’Université de Neuchâtel (UniNE)
- l’Université de Technologie de Belfort-Montbéliard (UTBM)
Inscrite dans un territoire de coopération qui couvre actuellement la Franche-Comté côté français et les cantons de Berne, Jura, Neuchâtel et Vaud côté suisse, la Cds est, par son existence et son développement, un facteur de dépassement de la frontière au profit d’une mise en commun de potentiels scientifiques, académiques, culturels et économiques de l’entier de l’Arc jurassien franco-suisse.
Depuis 2014, ce projet est soutenu par le programme européen de coopération transfrontalière Interreg V France-Suisse 2014-2020 et a bénéficié à ce titre d'un soutien financier du Fonds européen de développement régional (FEDER). Grâce à ces fonds, les premiers objectifs de la Cds ont pu être atteints, à savoir un soutien direct à la mobilité des personnes engagées, à l’organisation d’actions, de journées thématiques, de mises en réseau des structures d’innovation et de groupes comme celui des bibliothèques.
Actuellement, la dernière phase du projet Cds est en préparation et son objectif est de pérenniser les acquis et les actions de ce réseau dont l'autonomie de fonctionnement doit être atteinte au 1er janvier 2020.
Dans cette perspective, le projet se développera en 2019 autour de trois nouveaux objectifs qui rassemblent et prolongent ceux de la période 2015-2018 :
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Un campus transfrontalier à même de poursuivre et d’impulser des projets de collaborations ;
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Un incubateur de projets transfrontaliers destiné à accompagner au cas par cas la structuration et le montage de projets de collaborations ;
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La pérennisation du réseau en vue de préparer le transfert des responsabilités et des financements aux établissements membres à l’horizon 2020.
Bilan Cds 2015-2018
Une évaluation globale réalisée en octobre 2018 a montré que, entre les projets et groupes de travail prospectifs, séminaires et journées thématiques, réunions de gouvernance et de coordination du réseau, webcasts et stages, 118 rencontres franco-suisses ont eu lieu entre 2015 et 2018 et 4263 personnes ont participé à ces échanges. Ces chiffres ont fini de convaincre les partenaires engagés de pérenniser leur soutien pour maintenir actifs les groupes engagés et tenter de poursuivre les démarches encore en réflexion.
Voici à quoi ressemble aujourd’hui le bilan de ces actions et préconisations.
Les groupes de travail dits de "proposition"
Cotutelles de thèse
A l'issue de ses séances de travail, la principale préconisation du groupe a été d’élaborer une procédure pilote entre les établissements partenaires de la Communauté du savoir en ciblant 3-4 diplômes de masters éligibles à l’inscription d’une formation doctorale donnée. L’idée est de démontrer la valeur ajoutée d'un réseau comme la Cds et notamment sa capacité à favoriser des synergies interdisciplinaires.
Formations continues
Le groupe de travail a livré les préconisations suivantes :
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Proposer des partages d’expérience pédagogique entre les acteurs du réseau ;
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Faciliter les échanges de pratiques en termes d’activités métier opérationnelles (intitulé des offres de formation, partenariats dans les formations continues, mise à disposition de ressources en ligne) ;
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Constituer un annuaire des personnes-ressources dans chaque établissement.
Formations initiales
Sur la base d’une analyse des situations de formations bi ou tri-nationales existantes, de la typologie de ces situations sur la base de leur organisation (doubles diplômes, élaboration de titres commun, …), quelques recommandations ont été proposées :
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combiner des formations existantes afin de déboucher sur des "doubles diplômes " ;
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intégrer dans des programmes au sein de différents établissements des modules de cours/formations construits en communs ;
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développer un « annuaire » d’enseignant-e-s (par discipline/compétence) qui pourrait faciliter l’émergence d’un tel ensemble de cours;
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développer un référentiel d'aides à la mobilité des étudiant-e-s (identification de lieux de stages, ...).
Offensive Sciences
Ce groupe a orienté ses travaux sur trois niveaux :
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Etudier le fonctionnement du programme de financement des travaux de recherche « Offensive Sciences » de la Région Métropolitaine Trinationale (RMT);
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Explorer des pistes de réflexions autour de nouveaux outils de financement pour la recherche dans le réseau de la Communauté du savoir;
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Exprimer des recommandations pour les futures programmations de la Communauté du savoir sur le sujet.
Toutefois, il était impossible pour ce groupe de produire des résultats directement exploitables, les enjeux évoqués étant plutôt de nature "politique". Les discussions devront donc se poursuivre au sein du comité de pilotage et des responsables d'établissements de la Cds, la mise en place éventuelle d'un fonds de ressources mutualisées relevant de ce niveau de décision.
En parallèle à ces différents groupes de travail, des études et actions ont été menées qui ont permis de proposer des guides de financements, un soutien à la mobilité des collaborateurs et collaboratrices des structures académiques de la Cds, la mise en place de stages et séminaires communs, l'identification d'expert-e-s pour la constitution de jurys et l'offre d'une solution de visioconférence flexible pour les membres de la Cds.
Un accent important a également été mis sur les actions de communication : site internet, cartographie en ligne des acteurs du territoire, Webcastings et captations d’événements organisés par les partenaires de la Cds, plateforme de partage de fichiers/documents (GED), nouveaux outils de communication (flyers, livrets) pour faciliter la diffusion des objectifs du réseau auprès des différents publics-cibles et pour favoriser l'appropriation des différents financements proposés par les enseignant-e-s et les étudiant-e-s.
Les groupes de travail dits "actifs"
Jurassic Labs
Les FabLabs mettent à disposition de nouveaux dispositifs de fabrication numérique et la connaissance de leur utilisation.
L'intérêt de ces ateliers est de faire sortir la créativité des bureaux d’études et des laboratoires universitaires en ouvrant à la population des lieux d'expérimentation accessibles.
L’autre force des FabLabs est de mettre en relation des types de personnes qui ne se rencontrent généralement pas, ou peu : étudiant-e-s et spécialistes de différents domaines ; universitaires et industriel-le-s, artistes et ingénieur-e-s, générations différentes.
Jurassic Labs propose d’étendre ces mises en réseaux, internes à chaque FabLab, à tous les FabLabs et structures de créativité (existants ou futurs) du territoire de la Communauté du savoir. Il propose également que ce réseau devienne le lien naturel de tous ces territoires pour ce qui est des questions de créativité et d’innovation. Les FabLabs offrent en outre l’avantage d’être neutres, entre industries et universités, entre économie publique, économie privée et économie collaborative, un territoire commun où tout le monde se sent à l’aise pour interagir.
L’objectif de Jurassic Labs est ainsi résumé : créer des ponts verticaux entre trois niveaux identifiés :
Sphère «maker» = espace citoyen ( Fablabs, HackerSpaces, MakerSpaces etc.).
Sphère «professionnelle» = espace de l’économie privée (réseau des centres créatifs [sens large], pépites, etc., connecté aux entreprises, start-ups, chambres de commerce, etc.).
Sphère «institutionnelle» = espace de l’économie publique (réseau des institutions [hautes écoles, universités], connecté au monde politique).
Deux actions principales ont pu être développées par ce groupe :
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un FabLab mobile transfrontalier dans l'Arc jurassien, plus particulièrement à destination des publics scolaires, via des modules pédagogiques; une version expérimentale de ce FabLab mobile circulera côté France d’ici la fin 2018;
-
une forte implication au Crunch à Belfort en mai 2018, apportant ainsi un soutien « maker » aux 1'500 participant-e-s de ce hackathon universitaire et industriel.
ArcLab
Projet pilote et expérimental, l'action ArcLab a été mise en place à la rentrée 2018 avec pour objectifs l’identification et la définition de compétences pour des professions emblématiques du territoire, en lien avec les enjeux du 4.0 identifiés comme prioritaires par le Comité de pilotage.
Deux ateliers ont permis aux enseignant-e-s/chercheurs et chercheuses de la Cds d’identifier les professions sur lesquelles travailler et de poser les bases des compétences-clefs présentes et à venir, et profils-types qui les composent. A cette occasion, quatre professions emblématiques ont été identifiées (e-firmier-ère, community commerçant-e, digital transgénieur-e et digital transformateur-trice).
Cette expérimentation permettra la réalisation de vidéos thématisées sur chacune des quatre professions étudiées, à destination des établissements membres du réseau et des collectivités publiques.
Les bibliothèques de la Cds
Chacune des 7 institutions partenaires dispose d'une (ou d'un réseau de) bibliothèque(s) que l’on peut identifier sur cette carte :
Ces bibliothèques partagent 20 lieux physiques et emploient 150 collaborateurs et collaboratrices environ. Certaines sont rassemblées en un seul lieu (pour des domaines différents), d'autres sont réparties sur un territoire géographique de type campus. Elles ont également en commun d'avoir comme principal public les étudiant-e-s et enseignant-e-s de leur établissement, ainsi que des chercheurs et chercheuses orientés "métier". Mais les personnes privées et professionnelles sont également bienvenues et présentes dans ces structures.
Toutes ensemble ces bibliothèques conservent et mettent à disposition de leurs publics environ 1.000.000 de documents papier et elles traitent environ 420.000 prêts par an. Organisées en consortiums dans leurs pays respectifs, elles proposent en outre un nombre imposant de ressources en ligne aux membres de leurs institutions.
Dès les balbutiements du réseau, ces mêmes bibliothèques se sont regroupées et ont immédiatement perçu l'intérêt qu'elles auraient à collaborer. Non seulement elles sont toutes pilotées au sein d'une institution d'enseignement supérieur mais en plus, les thématiques qu'elles couvrent sont parfois proches, voire très proches et donc complémentaires en terme de fonds documentaires (bibliothèques « jumelles » de part et d’autre de la frontière).
Très rapidement, elles ont mis en place des actions simples de collaborations basées sur une charte qui part du principe de base de réciprocité et qui favorise la mise en réseau de bibliothèques membres. Cette charte s’établit sur une base d’égalité et d’avantages mutuels.
Dès avant la signature de l'«accord-cadre» validé par les responsables des institutions partenaires en juillet 2017, les différentes actions prévues ont immédiatement été mises en œuvre ou en chantier. Il s'agit de :
1 : Accueil réciproque des étudiant-e-s des établissements membres de la Cds
Cela signifie que toute personne inscrite dans une de ces bibliothèques bénéficie gratuitement d’une carte de bibliothèque dans un autre établissement membre.
Ainsi les étudiant-e-s qui optent pour un parcours mixte (voir par exemple le partenariat mis en place entre la HE-Arc ingénierie et l'UTBM) ont accès aussi bien aux ressources de la bibliothèque de leur institution d'affiliation qu'aux ressources de la bibliothèque du lieu sur lequel ils poursuivent leur formation.
2 : Prêts entre bibliothèques
Les bibliothèques ont établi une procédure très simple qui permet, grâce à la mutualisation des liens vers les catalogues en ligne (voir plus loin), de demander en prêt entre bibliothèques un ouvrage détenu par une bibliothèque partenaire de l'autre côté de la frontière. La communication se fait par e-mail et une plateforme collaborative permet d'enregistrer les échanges ainsi convenus. Les prêts sont accordés gratuitement par les bibliothèques partenaires et les frais de livraison par poste sont centralisés et pris en charge par le budget Cds du groupe de travail. En effet, afin de favoriser les prêts transfrontaliers entre bibliothèques partenaires, les frais engagés pour la bonne marche de ces échanges de documents sont pris en charge par le réseau Cds.
3 : Mutualisation des catalogues
Par le biais d’une carte des bibliothèques partenaires publiée sur le site web de la Cds, les membres ont accès à tout moment aux catalogues des bibliothèques et à leurs coordonnées.
Un document interne partagé permet également de disposer des contacts-clés dans cette organisation pour que la communication se fasse directement avec la bonne personne (essentiellement les collaborateurs et collaboratrices qui gèrent le prêt entre bibliothèques).
Cet aspect de la collaboration entre bibliothèques est bien sûr évolutif : si la plupart des fonds documentaires des partenaires français sont accessibles en interrogeant un seul catalogue (le Sudoc donne accès aux collections des bibliothèques de l’enseignement supérieur et de la recherche et permet de visualiser la localisation des exemplaires et donc leur disponibilité dans les bibliothèques participantes), les partenaires suisses sont membres soit du réseau Nebis, soit du réseau RERO dont l’interrogation est un peu plus complexe pour les collègues français. On s’aperçoit que dans ce cadre, la solution Worldcat peut être plus intéressante mais on se réjouit surtout de voir les bibliothèques académiques suisses rassemblées prochainement dans un seul réseau SLSP à l’horizon 2021.
4 : Cartographie des thématiques
En cours de réalisation, cette carte permettra de visualiser rapidement les thématiques fortes de chaque bibliothèque partenaire. Cet outil est conçu pour assister aussi bien les personnels concernés que les publics intéressés et leur permettra d’identifier plus facilement les catalogues à interroger en priorité pour obtenir des réponses précises et immédiates à leurs recherches documentaires. Il permet également de visualiser rapidement quelles bibliothèques sont complémentaires en termes de fonds et d’orienter ainsi immédiatement le public vers la bibliothèque qui répondra le mieux à ses attentes selon le lieu où il se trouve.
Une chargée de mission a été engagée par la Communauté du savoir pour une période de 7 mois afin de réaliser ce projet qui demande une analyse plus précise des partenaires, de leurs fonds et de leurs services parallèlement à leur offre de formation.
Une version beta de cette carte est publiée sur le site web de la Cds. Elle pourra être mise à jour au fur à mesure de l'évolution des politiques documentaires des bibliothèques partenaires et sera relayée également sur les sites web de ces mêmes bibliothèques.
5 : Mutualisation de supports de communication
Un ensemble de supports ont été réalisés sur budget de la Cds pour permettre aux bibliothèques participantes d’informer
- d'une part les équipes en charge de la mise en pratique des échanges convenus,
- et d'autre part leurs publics selon un processus « réseau » clairement identifié.
Pour leurs équipes, les membres du groupe ont élaboré des affiches qui permettent d'identifier clairement le rôle du groupe du travail et le cadre dans lequel il évolue. Ces affiches ont pour thèmes :
- Les systèmes éducatifs en France et en Suisse ;
- Le réseau de bibliothèques et notamment : les lieux, les personnels, les environnements de travail, les publics, les catalogues et réseaux documentaires des uns et des autres ;
- Les collections et chiffres-clés des bibliothèques ;
- La carte des bibliothèques des établissements partenaires.
Ainsi les personnels des bibliothèques qui, sur le terrain, mettent en œuvre les échanges convenus entre les membres du groupe de travail ont une meilleure compréhension des situations des bibliothèques et de leurs réseaux dans leurs pays respectifs, et peuvent à leur tour promouvoir les services de la Communauté du savoir en exploitant les avantages de ces échanges au bénéfice de leurs lecteurs et lectrices.
Un élément important de cette communication interne est évidemment l'engagement des parties à respecter la législation nationale et les règlements intérieurs de chaque structure en matière de propriété intellectuelle et commerciale, y compris en matière de reproduction des œuvres. Elles s’engagent également à les faire respecter par leurs publics.
Pour communiquer cette fois avec ces mêmes publics, existants ou potentiels, et les informer des services que ce réseau peut leur offrir, le groupe de travail a également conçu des supports d'information mutualisés qui peuvent être partagés sur les sites web des bibliothèques et/ou institutions partenaires ainsi que sur les réseaux sociaux quand les bibliothèques disposent de tels supports de communication. Faire connaître les accès supplémentaires aux ressources documentaires que permet l’affiliation des bibliothèques à la Communauté du savoir est également un enjeu important de cette communication.
Enfin, dans l’idée de profiter de retours d'expériences entre elles, les bibliothèques ont également en projet le partage entre professionnel-le-s uniquement d'une newsletter par laquelle chaque membre peut informer les autres d'une initiative ou d'une animation particulière et de ses résultats. Cet échange de bonnes pratiques permet aux partenaires d'exploiter à leur façon des formats d'expériences nouvelles en les adaptant à leur propre structure.
6 : Projet de service questions-réponses
Selon l'évolution de la prise en charge du réseau par ses partenaires en 2019, le groupe bibliothèques a pour projet de mettre sur pied un service de questions-réponses à l'échelle transfrontalière. Il fait actuellement l'objet d'une étude de faisabilité et devrait bénéficier du soutien ponctuel d'une personne externe pour la mise en place et la réalisation concrète de cette action. Il pourrait dans un premier temps être intégré pour une phase test dans les bibliothèques de l’UFC à Besançon et, dans un deuxième temps, fédérer les unes après les autres toutes les bibliothèques affiliées à la Cds. Un tel service serait d’une grande richesse pour tous les publics de nos bibliothèques quelle que soit leur localisation géographique.
En conclusion, le groupe de travail «bibliothèques» de la Communauté du savoir est fier d’avoir pu mettre en place très rapidement des services documentaires transfrontaliers simples tout en poursuivant une réflexion de fond sur les projets qui pourraient profiter aux publics des bibliothèques participantes, qu’ils soient étudiant-e-s, enseignant-e-s, chercheurs, chercheuses ou membres à quelque titre que ce soit des institutions partenaires.
Et même si immédiatement, au sein de cette communauté, notre démarche collaborative nous a permis d’enrichir nos services par un prêt entre bibliothèques au niveau international, d’enrichir nos connaissances « métier » par le partage de nos bonnes pratiques et de réfléchir à la faisabilité d’un service transfrontalier de questions-réponses, nous abordons également ensemble toutes les questions que l'évolution de notre métier va nous amener à nous poser dans un proche avenir et notamment :
-
La définition de thématiques partagées puisque développer nos partenariats permet de mutualiser les ressources et de miser sur des points forts dans une optique de complémentarité (réduire les coûts, gagner en efficacité, exploiter les compétences expertes) et de se tourner vers une économie d’accès plutôt qu’une économie de stock ;
-
L’identification d’un service commun et uniformisé pour un public de plus en plus mobile qui pourra bénéficier du développement des synergies particulièrement encouragées dans un environnement géographique européen;
-
La promotion des résultats de la recherche et de la valorisation des données en partageant nos archives institutionnelles et nos ressources en open access ;
-
L’accès aux ressources documentaires et la prise en charge de nouvelles responsabilités dans le domaine des données de la recherche;
-
La communication via les réseaux sociaux qui permettent de faire connaître nos services et activités et participent au rayonnement des bibliothèques.
Si les défis à relever se nomment « recentrer les bibliothèques au cœur de l’apprentissage » pour qu’elles soient le relais des savoirs, « connecter les chercheurs et chercheuses avec leur bibliothèque » afin qu’ils bénéficient d’une expertise à leur service et qu’ils puissent utilement préciser leurs besoins, « rendre visibles les bibliothèques et en simplifier l’accès » grâce au développement de solutions réciproques, alors nous sommes au bon endroit avec les bonnes personnes pour les relever !
Pour le groupe de travail des bibliothèques de la Communauté du savoir :
Agnès Dervaux-Duquenne, bibliothécaire-responsable
Haute Ecole Arc Ingénierie
Notes
[1][Consulté le 20.06.2018]
[2] ©Ex Libris
Sources et liens utiles :
http://www.communautedusavoir.org/
http://www.conference-transjurassienne.org/
http://www.communautedusavoir.org/nos-actions/les-bibliotheques-arc-jurassien/
Groupe de travail des bibliothèques - documents internes
© des illustrations : Cds
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Rechercher l’information stratégique sur le web : sourcing, veille et analyse à l’heure de la révolution numérique
Ressi — 20 décembre 2018
Claire Wuillemin, Haute Ecole de Gestion, Genève
Rechercher l’information stratégique sur le web : sourcing, veille et analyse à l’heure de la révolution numérique
À la suite de la co-direction d’un cabinet spécialisé en veille technologique et de plusieurs années à l’Infothèque du pôle universitaire Léonard de Vinci, Véronique Mesguich est depuis 2012 consultante et formatrice freelance pour les domaines de la maitrise de l’information, de la veille stratégique et de l’intelligence économique. Ce dernier livre constitue une mise à jour bienvenue des différentes éditions de Net Recherche (rédigées alors en collaboration avec Armelle Thomas), le dernier datant de 2013. Elle propose ici théorie, méthodes, outils et études de cas sur la recherche d’information sur le web et la mise en place d’une veille efficace. Bien que ce sujet ait déjà fait l’objet de nombreux ouvrages de qualité, ce livre va plus loin en remettant la recherche d’information et la veille dans le contexte actuel du numérique –Big data, internet des objets, intelligence artificielle et nouveaux supports comme les smartphones – et actualise les outils, sources et compétences nécessaires pour sa mise en œuvre.
Publié en 2018, Rechercher l’information stratégique sur le web : sourcing, veille et analyse à l’heure de la révolution numérique s’inscrit dans la préoccupation très actuelle de développer les compétences informationnelles afin que tout un chacun puisse développer une véritable littératie numérique et évoluer en homo numericus. Comme l’indique son titre, ce livre s’attache à des questions de recherche d’information et de veille, et cherche en particulier à fournir des réponses aux questions suivantes :
-
Comment optimiser la recherche d’information afin de minimiser la redondance et la perte d’information ?
-
Comment et où collecter de l’information stratégique ?
-
Comment juger la qualité de l’information recueillie ?
À cette fin, le lecteur est accompagné à travers un cheminement logique sur les vastes thèmes de la recherche d’information et la veille à l’aide d’une structure solide de cinq chapitres qui s’enchainent avec cohérence. Son livre s’ouvre ainsi sur un chapitre qui pose de manière étendue le paysage du web en 2018 c’est-à-dire les enjeux qui se posent aujourd’hui pour les utilisateurs et les professionnels de l’information mais définit également tous les aspects techniques qui y sont liés ainsi que les principales tendances qui se profilent pour ses usages et ses évolutions.
Quelles sont donc ces forces qui agitent le web ? Pour commencer, on notera l’avènement du mobile first au sein de Google, qui dans un avenir proche privilégiera la version mobile des pages web pour son indexation. Ce tournant est le témoin d’une utilisation du web de plus en plus nomade. Les veilleurs et autres professionnels de l’information devront également prendre en compte les nouveaux usagers des réseaux sociaux. Apparus il y a une quinzaine d’années, ces derniers sont devenus incontournables dans la panoplie des sources d’informations. Les questions politiques et économiques s’introduisent également dans le paysage du web : neutralité du web, contenus ouverts, gratuits ou payants, le droit à l’oubli numérique et le fameux RGPD (règlement général européen sur la protection des données personnelles). L’auteure n’entre pas forcément dans le détail de ces diverses actualités, choisissant parfois de les développer dans des chapitres ultérieurs ou de laisser le soin au lecteur de trouver davantage de réponses par lui-même. La force de cette partie est indéniablement la pertinence et la quasi-exhaustivité des thématiques qui y sont abordées, qui permettent au lecteur d’entrer dans le sujet de l’ouvrage avec la connaissance des forces et des tendances qui s’y exercent. On saluera finalement la présence d’un lexique sur le jargon et les grands concepts du web, fort utile pour déchiffrer les nombreux acronymes courants.
Véronique Mesguich se lance ensuite dans le vif du sujet à travers un chapitre conséquent qui se propose d’explorer le vaste sujet qu’est la recherche d’information. À l’instar de la partie précédente, l’auteure commence par un point de théorie en présentant les typologies et le fonctionnement de la recherche d’information ainsi que les différents outils mobilisés par celle-ci, en particulier les moteurs de recherche. Il est appréciable que le fonctionnement et les attributs de ces derniers soient expliqués en détail, car si un grand nombre d’internautes suit la devise du « je Google donc je sais », une minorité est au courant des subtilités du page ranking et autres algorithmes et des biais que ceux-ci peuvent amener dans les résultats. Une liste d’alternatives à Google plus respectueuses de la vie privée est d’ailleurs proposée. La seconde grande section de ce chapitre décrit en détail les subtilités du choix des mots-clés de recherche et de la construction de requêtes, notamment à l’aide d’opérateurs et des fonctions de recherche avancée additionnés aux techniques d’optimisation de la recherche. Là encore, un certain nombre d’opérateurs et d’astuces sont proposés pour les recherches sur Google, mais également sur Qwant, Facebook, Twitter, Linkedin, ResearchGate et Academia. Un tableau récapitulatif permet d’obtenir en un coup d’œil les principaux opérateurs, étayés d’une définition ainsi qu’une liste des différents outils qui les utilisent. Le chapitre s’achève avec une brève typologie des sources d’information, des outils de bookmarking et d’une synthèse sur la méthodologie générale de la recherche d’information.
Suite à cette présentation des méthodes, sources et outils pour satisfaire un besoin d’information ponctuel, le lecteur est ensuite invité à se plonger dans la veille proprement dite. Tout d’abord, il est question de définir la veille, c’est-à-dire sa typologie et son fonctionnement. Puis, il est brièvement question du plan de veille, de son rôle et de son utilité. On regrette que cette section ne soit pas allée un peu plus loin pour présenter cet outil, ni n’en n’ait fourni un exemple, qui se serait avéré utile pour illustrer le propos et donner une idée au néophyte de la forme que peut avoir ce tableau de bord essentiel de la veille.
Cette partie se poursuit avec l’automatisation de la collecte d’information. Sont bien évidemment mentionnés les flux RSS, les agrégateurs et générateurs de flux, les alertes dans les bases de données (pour douze bases de données différentes) sans oublier les agents d’alerte et de surveillance. Un précieux tableau proposé en fin de chapitre résume l’ensemble de ces outils en listant leur intérêt pour la veille, leurs avantages et inconvénients et leur coût. Un focus est ensuite fait sur la veille des réseaux sociaux. En effet, ceux-ci sont des sources relativement nouvelles dans la panoplie des veilleurs et l’hétérogénéité de leurs fonctionnements appelle à des outils et approches spécifiques pour en tirer les pépites informationnelles qu’elles contiennent. Dans cette idée, l’auteure propose des conseils et des ressources pour surveiller Twitter, Facebook, Linkedin, Instagram, Pinterest et Youtube.
L’avènement des réseaux sociaux n’a néanmoins pas que des avantages, car les fake news rôdent. Comment s’assurer de la qualité et l’authenticité de l’information dans ces conditions ? La masse de l’information, appelée parfois infobésité ajoute une seconde difficulté à cet effort. L’analyse de l’information n’est pas toujours naturellement évoquée dans la veille, pourtant il s’agit d’une étape importante de ce processus. Véronique Mesguich passe en revue les ressources et les méthodes manuelles et automatiques à disposition pour évaluer l’information. Une fois l’information validée, le travail n’est pas encore terminé : il faut encore faire parler les données afin de rendre leur essence intelligible pour une audience sans pour autant y apporter de modifications. À cet effet, un rapide panorama de la data-visualisation est proposé et illustré à l’aide d’un tableau qui fait correspondre à des types de représentation les outils existants pour les créer.
L’ultime chapitre de cet ouvrage est un ensemble d’études de cas. À travers dix exemples communs de besoin d’information, l’auteure guide le lecteur à travers enjeux, ingrédients et étapes nécessaires pour y répondre. Ces besoins vont de l’étude documentaire pour une étude de marché, à la navigation anonyme, la surveillance de la concurrence en passant par la recherche de contenus académiques pour la rédaction d’une bibliographie. Évidemment, tous les besoins informationnels ne seront pas couverts par ces exemples, mais leur diversité devrait répondre aux attentes les plus courantes. Cela est par ailleurs une bonne façon de passer en revue et de mettre en pratique l’ensemble des approches, méthodes et outils vus dans les chapitres précédents.
En guise de conclusion, Véronique Mesguich catalogue une fois encore les tendances pour le web et la recherche d’information observables au premier trimestre 2018 et s’interroge sur la révolution numérique et les paradoxes que celle-ci a engendrés : l’explosion de la quantité d’informations disponibles versus sa qualité, la mémoire du web ou comment sauvegarder ses contenus dans ce contexte de big data et de revendication croissante du droit à l’oubli numérique ? L’auteure clôt son livre avec un plaidoyer pour la littératie numérique, soulignant l’importance pour tout un chacun de développer ses compétences, et espère que les nouvelles générations de digitial natives sauront prendre ce virage et montrer le chemin à suivre.
Critique
Le livre de Véronique Mesguich tient les promesses de son titre. On soulignera la richesse indéniable des thématiques abordées et le fait que le propos ne se limite pas à des méthodes et des outils, mais donne une place méritée au contexte et à ses tendances. On saluera aussi l’équilibre entre les différentes thématiques et la manière logique dont les propos s’enchaînent. Le lecteur n’est jamais laissé à lui-même, mais bien accompagné au long du cheminement du livre.
On peut se demander quel sont les publics cibles de cet ouvrage. En effet, si le paysage est vastement posé en termes d’hétérogénéité complémentaire des thématiques abordées, l’auteur ne rentre pas toujours suffisamment dans les détails pour permettre aux néophytes de comprendre les enjeux profonds de certains sujets. En ce sens, le livre semble s’adresser davantage à un public d’étudiant en sciences de l’information ou à des amateurs éclairés. De leur côté, les professionnels ne seront peut-être pas (toujours) surpris par les contenus abordés, car un certain nombre de connaissances leur seront déjà acquises, ou ils pourraient être laissés sur leur faim vis-à-vis de certaines thématiques pour lesquelles on aurait pu espérer une prise de position de l’auteur. Toutefois, l’intérêt du livre réside dans la réelle et consciencieuse mise à jour des savoirs, des connaissances et des outils, qui sera toujours utile pour les professionnels de la veille et de la recherche d’information, mais également dans le fait que celle-ci se fait de manière neutre, mais critique. De plus, la qualité synthétique des contenus, ses nombreuses astuces et ses tableaux récapitulatifs en fait un excellent support de cours dans le cadre d’une formation en sciences de l’information.
Le seul point noir de cet ouvrage est à imputer à l’éditeur : l’impression en noir et blanc des pages altère la qualité des captures d’écran et des illustrations contenues dans le livre et surtout en freine la compréhension par le lecteur.
Rechercher l’information stratégique sur le web : sourcing, veille et analyse à l’heure de la révolution numérique est un ouvrage à mettre entre les mains de toutes les personnes qui cherchent à parfaire leurs compétences de recherche d’information et/ou de veille, ou qui souhaitent mettre à jour leurs connaissances sur ces sujets. On en encouragera également la lecture par les étudiants, quel que soit leur domaine, afin de les sensibiliser aux écueils du net à l’heure de la toute-puissance des GAFAM et de leur donner les armes nécessaires pour les éviter.
Bibliographie
MESGUICH, Véronique, 2018. Rechercher l’information stratégique sur le web : sourcing, veille et analyse à l’heure de la révolution numérique. Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur. Information & stratégie. ISBN 978-2-8073-1578-5.
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Consommer l’information : de la gestion à la médiation documentaire
Ressi — 20 décembre 2018
Siham Alaoui, M.S.I., Étudiante au doctorat en archivistique, Département des sciences historiques, Université Laval, Québec (QC), Canada
Consommer l’information : de la gestion à la médiation documentaire
Les développements technologiques ont changé les rapports entre les archivistes, les archives et le grand public. La fonction des archives se modifie dans la société, d’autant plus que l’archiviste, ce gardien de la mémoire, jouit désormais de nouveaux rôles socioculturels dans la médiation documentaire. Les usagers changent de positionnement : autrefois des simples récepteurs passifs de l’information documentaire, ils deviennent des sujets numériques qui participent activement à la chaîne archivistique. Une telle participation oriente l’archivistique vers une nouvelle posture épistémologique, celle de la collaboration et de l’ouverture. Elle dicte la révision des mécanismes de la diffusion des archives et les modalités de leur exploitation. Cet ouvrage est un recueil des réflexions d’un ensemble de spécialistes, issues des présentations faites sur la thématique abordée au 45ème congrès de l’Association des archivistes du Québec (AAQ), tenu le 13, 14 et 15 juin 2017 sous le thème : Consommer l’information, de la gestion à la médiation documentaire. Il est édité par Martine Cardin et Anne Klein, respectivement professeures titulaire et agrégée en archivistique au département des sciences historiques de l’Université Laval. L’ouvrage est structuré en deux grandes parties : la première, plus courte, aborde les postures épistémologiques et éthiques de l’archivistique collaborative, tandis que la deuxième traite de la médiation documentaire entre les institutions, les archivistes, les archives et les usagers.
Martine Cardin et Christian Desîlets, en exposant le cas des archives de la publicité, abordent une nouvelle perspective de l’archivistique à l’ère du numérique, soit celle de l’archivistique ouverte. Cette nouvelle approche retrouve ses bases dans les fondements du marketing ouvert. Elle est issue d’un besoin de valorisation des archives, intervention qui nécessite désormais l’implication de l’usager et qui induit une médiation documentaire multidirectionnelle entre les parties prenantes d’un système d’exploitation des archives. Didier Devriese s’attarde sur la valeur du document d’archive et considère qu’elle n’est pas jugée seulement par le producteur de celui-ci, mais aussi par son usager. Il rappelle que les métadonnées documentant le contexte de création des documents d’archives favorisent leur réexploitation et leur restitution par les usagers actuels et potentiels. Il conclut que l’archiviste n’est pas le seul acteur à intervenir dans la médiation documentaire, puisque c’est aussi à l’usager qu’incombent la responsabilité de l’évaluation des archives et l’interprétation de leur signification. Jean-Philippe Legois rejoint la même conception de médiation collaborative, mais se positionne plutôt dans la sphère des témoignages oraux. Il se sert de l’exemple de la Cité des mémoires pour illustrer les particularités de la mémoire collective estudiantine en France et les enjeux liés à sa préservation. Dans ce sens, il évoque l’expression de l’archivistique intégrale pour mettre en avant le rôle de l’archiviste dans la constitution et la préservation de la mémoire sociétale à travers la collecte d’archives privées en lien avec les activités des institutions publiques. Toutefois, l’archiviste n’y est pas un intervenant unique puisque la gestion et la sauvegarde de la mémoire collective orale fait également appel à d’autres intervenants, dont les producteurs et les usagers.
Guillaume Boutard examine la médiation documentaire sous la loupe de la conservation collaborative et distribuée des œuvres musicales numériques. L’auteur souligne le principal défi lié à la conservation des œuvres musicales numériques : d’être en mesure d’étudier et de réinterpréter une œuvre, et non seulement de conserver une performance unique à travers la captation d’un événement. L’auteur explique la tension entre l’œuvre artistique et le cycle de vie de sa conservation, et souligne l’importance d’une médiation documentaire adaptée à la nature de telles œuvres. Après l’exposé d’une étude de cas, il met l’accent sur la collaboration dans les pratiques de la conservation des œuvres musicales numériques, et ce, dans un contexte de médiations technologiques.
Sylvain Senécal aborde une autre facette de la médiation documentaire, celle de la tension entre la préservation et l’oubli. Il postule que la mémoire revêt des aspects sociaux qui soutiennent les processus de la réinvention des connaissances. Elle constitue aussi un fruit de la transaction entre l’individu et la société. Son intelligibilité et sa valeur sont déterminées non seulement par l’archiviste, mais aussi par les créateurs/producteurs des archives. Ainsi importe-t-il d’établir une chaîne de médiation documentaire continue entre ces divers acteurs.
À l’ère du numérique, la médiation documentaire collaborative fait naître de nouvelles responsabilités pour les institutions culturelles et les archivistes à l’égard des usagers. C’est dans ce contexte que Paul Servais s’interroge sur l’avenir de la profession de l’archiviste et la relation de celui-ci avec les usagers. Les réflexions de l’auteur mobilisent les constats tirés d’un projet nommé : Archives et archivistes dans 15 ans. Selon lui, l’archiviste n’est plus perçu comme un simple gardien du trésor des archives : ses missions vont au-delà du périmètre des institutions publiques pour englober patrimoine et mémoire au service de la société. Il endosse un rôle plus actif dans la médiation documentaire avec les usagers, et ce, dans la diversité de leurs profils.
Stéphan La Roche fait le portrait de l’expérience du Musée de la civilisation dans la médiation documentaire/culturelle à l’ère du numérique. Il s’attarde sur les enjeux du numérique dans le milieu de la culture et du patrimoine, et met l’emphase sur la réingénierie culturelle des rôles et fonctions associés à la conservation de la mémoire publique. Il postule que la mise en ligne des œuvres ne garantit pas leur intelligibilité : c’est le point sur lequel les musées sont appelés à redéfinir leurs rôles. Le numérique autorise une dimension supplémentaire : il ouvre les portes au grand public pour s’impliquer dans le processus de l’établissement des interactions entre les contenus et les contextes. L’auteur expose ensuite l’expérience du Musée de la civilisation et ses interventions dans le cadre de la transition vers le numérique et la redéfinition des responsabilités qu’il implique pour les archivistes et les conservateurs du patrimoine.
Laure Amélie Guitard, en présentant les résultats de sa recherche doctorale, définit la médiation culturelle dans un contexte différent, celui de l’entrevue de référence entre l’archiviste et l’usager. Inspirée de la conception muséologique, l’auteure voit la référence comme un acte de communication. Elle liste et décrit les étapes et l’entrevue de référence et les concrétise par des exemples pertinents. Elle démontre que, finalement, l’archiviste est à la fois un agent de médiation culturelle (i.e. transmission des archives) et sémantique (i.e. transmission du sens en décortiquant la portée du besoin informationnel de l’usager et en lui suggérant les sources d’archives qui répondent le mieux à ses attentes).
Annaëlle Winand discute de l’exploitation des archives audiovisuelles numériques par les artistes dans le cadre du cinéma de réemploi, et plus précisément dans l’optique de la production des films expérimentaux. Elle projette un regard archivistique sur le travail du cinéaste Bill Morrison. Elle analyse l’œuvre Decasia sous quatre facettes, soit la matérialité, le contexte, le dispositif et le rôle assigné au public. Sa réflexion débouche sur le constat selon lequel la dimension affective de l’archive intervient dans le processus de la médiation documentaire, et ce, dans la mesure où elle incite le spectateur à devenir une partie intégrante de l’œuvre artistique.
Anne Klein et Yvon Lemay s’intéressent à la question de la diffusion et de l’exploitation des archives. Ils mettent tout d’abord le point sur l’évolution de l’archivistique, de la conception classique à la vision postmoderne. Cette transition redéfinit les missions de l’archiviste dans un vecteur sociétal plutôt qu’institutionnel. Les auteurs présentent le projet Archives et création (de 2013 à 2016) visant à étudier l’exploitation des archives numériques comme un levier à la construction de l’espace de médiation à créer entre l’archiviste et l’usager. Afin de valoriser l’exploitation dans la chaîne archivistique, ils proposent une révision du modèle australien de la gestion documentaire, soit le Records Continuum, en ajoutant cette fonction (i.e. exploitation) aux quatre autres dimensions comme dimension dialectique.
Le sujet de l’ouvrage s’inscrit dans la continuité de la polémique sur le repositionnement de l’archiviste dans une perspective de transition entre les sphères institutionnelle et sociétale, de même que sur le numérique et l’essor des pratiques culturelles. Aussi, il devient de plus en plus crucial de se focaliser sur l’usager qui est désormais perçu comme un acteur numérique actif dans la médiation documentaire. La diversité des perspectives adoptées par les auteurs constitue la richesse de l’ouvrage: les contributeurs se positionnent tantôt dans la perspective des sciences historiques, tantôt dans celle des sciences de l’information, de la muséologie, voire même des sciences sociales connexes, telles que la communication, les études cinématographiques et la musique. Toutefois, tous se rejoignent dans la même idée : percevoir l’usager au centre de la médiation documentaire, valoriser le rôle de l’archiviste dans la société et encourager l’esprit de collaboration archivistique. La variété des approches épistémologiques justifie bien à quel point l’archivistique est une discipline souple qui s’insère dans l’interdisciplinarité avec les autres sciences humaines et sociales.
L’aspect novateur de cet ouvrage réside dans la nouvelle approche de l’archivistique, soit celle de l’archivistique ouverte. Elle résulte de l’interdisciplinarité entre l’archivistique et le marketing ouvert. Cette nouvelle conception axée sur la collaboration, témoigne de la nécessité de la concertation des interventions archivistiques d’un ensemble d’acteurs, et non seulement l’archiviste. Aussi, elle implique le sens multidirectionnel selon lequel la médiation documentaire se réalise, où le consensuel en devient la pierre angulaire. Cet ouvrage est ainsi une référence incontournable pour la communauté archivistique – scientifique et professionnelle – qui s’intéresse aux mutations archivistiques actuelles, notamment dans une perspective sociétale.
Bibliographie
Cardin, Martine et Anne Klein. 2018. Consommer l’information : de la gestion à la médiation documentaire. Québec : Presses de l’Université Laval, 181p. ISBN : 139782763739243
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La Perspective du Continuum des archives illustré par l’exemple d’un document personnel
Ressi — 20 décembre 2018
Viviane Frings-Hessami, Monash University, Australie
Résumé
La théorie du Continuum des archives développée en Australie peut apparaître complexe et difficile à appliquer à des exemples concrets. Certains parmi ses écrits de base sont denses et compliqués, et la littérature archivistique n’offre pas beaucoup d’exemples pratiques de son application. Dans les pays non anglophones, la situation est exacerbée par des problèmes de traduction et par le manque de textes écrits par des auteurs qui se placent dans la tradition du Continuum. Cet article écrit par un auteur francophone qui a étudié et enseigné le Continuum en Australie s’efforce de combler cette lacune dans la littérature archivistique francophone. Il présente une explication du Continuum des archives illustrée par un exemple simple, celui d’une photo de famille. Il discute différentes utilisations de cette photo par des utilisateurs divers à des moments et dans des endroits divers et pour des fins diverses afin de montrer comment une perspective de Continuum peut être appliquée à des documents personnels aussi bien qu’à des documents d’affaires et comment elle peut encourager un système de gestion des archives efficace, orienté vers l’avenir et qui permettra de remplir les besoins de tous les utilisateurs.
Abstract
The Continuum theory developed in Australia may appear complex and hard to apply to concrete cases. Some of its core writings are dense and complicated, and there are not many practical examples of its applications in the archival literature. In countries where the main language is not English, the situation is compounded by problems of translations and by the paucity of texts written by authors who position themselves in the Continuum tradition. This article, written by a Francophone author who has studied and taught the Continuum in Australia, aims to address this gap in the Francophone literature. It presents an explanation of the Records Continuum illustrated by a simple example, that of a family photograph. It discusses multiple uses of the photograph by multiple users in different times and places and with different aims in order to illustrate how a Continuum perspective can be applied to personal records as well as to business records and how it can foster a records management system that is effective and forward-looking and that will meet the needs of all the users.
La Perspective du Continuum des archives illustré par l’exemple d’un document personnel
Introduction
La théorie du Continuum des archives développée en Australie peut apparaît complexe. Certains parmi les écrits de base sont compliqués, denses et parfois difficiles à suivre (Piggot, 2010 ; p. 180), et la littérature n’offre pas beaucoup d’exemples pratiques de son application. Dans les pays non-anglophones, la situation est exacerbée par des problèmes de traduction qui entraînent des confusions et par le manque de textes écrits par des auteurs qui se placent dans la tradition du Continuum. Dans cet article, je m’efforce de combler cette lacune dans la littérature archivistique francophone. Je me base sur mon expérience personnelle de six années passées à étudier, enseigner et faire des recherches sur le Continuum des archives à l’Université Monash où le modèle fut développé. Je présente une explication du Continuum des archives illustrée par un exemple simple que tous les lecteurs peuvent facilement relier à leur expérience personnelle, celui d’une photo de famille. Je discute différentes utilisations de cette photo par des utilisateurs divers à des moments et dans des endroits divers et pour des fins diverses et je montre comment une perspective de Continuum peut être appliquée à des documents personnels aussi bien qu’à des documents d’affaires et comment elle peut encourager un système de gestion des archives efficace, orienté vers l’avenir et qui permettra de remplir les besoins de tous les utilisateurs.
Le modèle du Continuum des archives
Le modèle du Continuum des archives (Records Continuum) fut développé à l’Université Monash à Melbourne en Australie dans les années 1990 par Frank Upward et ses collègues Sue McKemmish, Livia Iacovivo et Barbara Reed afin d’expliquer les contextes complexes dans lesquels les documents sont créés et gérés à l’ère du numérique et de représenter les différentes perspectives selon lesquelles des documents peuvent être perçus (McKemmish 2017; Upward, 1996, 1997). Il s’appuie sur une tradition qui remonte à la notion d’un continuum entre les documents et les archives articulée pour la première fois dans les années 1950 par Ian Maclean, le directeur de la section des archives de la Bibliothèque nationale d’Australie (Maclean 1959, McKemmish, 2017). Le modèle met l’accent sur la continuité entre les documents et les archives et conteste la notion que les archives ne comprennent que les documents qui ont été sélectionnés pour être préservés à perpétuité. Dans la tradition du Continuum, les archives sont considérées comme archives dès le moment de leur création (McKemmish et al., 2010) et le concept de recordkeeping (écrit en un mot) englobe la création et la gestion des documents et des archives durant toute la durée de leur existence et quels que soient les usages qui en sont faits (McKemmish 2017; McKemmish et al., 2010).
Étant donné que le terme « archives » en français peut aussi être appliqué aux documents d’archives dès le moment de leur création[1], j’ai choisi de traduire Records Continuum par « Continuum des archives » et recordkeeping par « gestion des archives »[2]. Ces deux expressions représentent bien l’idée que les documents qui ont le potentiel de devenir un jour des archives permanentes doivent être traités avec soin dès le moment de leur création. Le recordkeeping, dans la tradition du Continuum, inclut aussi la gestion des systèmes d’archivage qui doivent être développés en tenant compte des besoins de l’organisme et des exigences législatives et mis en place avant que les archives ne soient créées de sorte que quand les archives sont créées, elles peuvent être immédiatement captées dans des systèmes qui préserveront leurs caractéristiques essentielles (McKemmish, 2017). La captation dans des systèmes archivistiques et l’attribution de métadonnées situent les archives dans un contexte précis à un moment précis et leur donnent un caractère fixe. Cependant, les archives sont perçues comme étant « toujours en devenir » (always in a process of becoming) (McKemmish, 1994 : p. 200), c’est-à-dire qu’elles sont toujours susceptibles d’être transformées par des nouveaux utilisateurs dans des contextes nouveaux.
Les caractéristiques fondamentales du Continuum des archives qui le distinguent d’autres modèles sont ses quatre dimensions. Les quatre dimensions ne sont pas des phases ou des étapes et elles ne se suivent pas dans un ordre déterminé, contrairement aux étapes du cycle de vie ou aux trois âges des archives. Elles coexistent parce que les archives sont impactées par les actions de différents acteurs et parce qu’elles peuvent être perçues de manières différentes par des utilisateurs différents.
Les quatre dimensions du Continuum des archives sont généralement représentées par quatre cercles concentriques (figure 1). Dans la première dimension, celle de la Création, des transactions prennent place et laissent des traces sous la forme de documents ou d’inscriptions[3]. Dans la deuxième dimension, celle de la Captation, les documents sont captés dans des systèmes d’archivage qui les situent dans un contexte précis et ajoutent les métadonnées nécessaires pour qu’ils puissent être utilisés comme preuves des transactions qui ont été performées. Les documents deviennent ainsi des records, des documents d’archives[4]. Dans la troisième dimension, celle de l’Organisation, les documents d’archives de différents services sont intégrés dans un système d’archivage au niveau d’un organisme de sorte qu’ils constituent des archives qui pourront être utilisées comme preuve des fonctions performées par l’organisme. Dans la quatrième dimension, celle de la Pluralisation, les archives sortent en dehors des confins de l’organisme qui les a créées et gérées de sorte qu’elles peuvent contribuer à la mémoire collective de la communauté générale et être réutilisées de façons multiples.
Figure 1 : Les quatre dimensions du Continuum des archives
Étant donné que les dimensions coexistent dans le temps et l’espace, une représentation tridimensionnelle en forme de cône ou de sphère serait mieux appropriée pour représenter le Continuum des archives, mais elle serait plus difficile à dessiner et à utiliser comme un outil pédagogique. La représentation plate du Continuum des archives avec ses quatre cercles concentriques permet de représenter sur un diagramme différentes perspectives selon lesquelles un document peut être perçu et les voies diverses qu’il peut suivre comme Barbara Reed (2005b) l’a fait dans un des textes clés du Continuum des archives et comme je vais le faire dans la section suivante.
Une photo de famille
Tout document, que ce soit un document personnel ou un document politique de la plus haute importance, peut être interprété différemment par des personnes différentes. Le même document peut être utilisé de diverses façons ou peut être analysé selon des perspectives diverses. Je vais illustrer ceci par un simple exemple, celui d’une photo de mariage.
Figure 2 : Une photo de mariage
La photo présentée ci-dessus (figure 2) fut prise au mariage de Daniel et Sophie au mois de septembre 1996 par le photographe engagé pour prendre les photos du mariage avec un appareil photographique argentique. Plusieurs exemplaires furent imprimés pour le jeune couple qui choisit d’en garder un pour eux et de donner les autres à quelques-uns de leurs parents et amis. Chacune de ces photos est un document différent qui va suivre une trajectoire différente. Toutes ces trajectoires peuvent être représentées sur le diagramme du Continuum des archives. Prenons quelques exemples :
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Les mariés : Daniel et Sophie insèrent la photo dans leur album de mariage avec les autres photos de leur mariage. Pour chaque photo, ils indiquent les noms des personnes présentes et parfois ajoutent quelques commentaires. Pendant les premiers mois après leur mariage, ils gardent l’album sur une petite table dans leur salon et le feuillettent souvent. Après quelques mois, l’album trouve sa place définitive sur une étagère à côté de leurs autres albums photos.
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Les parents : Les parents de Sophie reçoivent une photo. Ils la mettent dans un de leurs albums photos avec d’autres photos du mariage et d’autres photos de Sophie. Ils indiquent la date du mariage, mais pas les noms des personnes présentes. Ils gardent cet album avec leurs autres albums qui contiennent des photos de famille.
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Une cousine : Daniel envoie une photo par courrier à sa cousine qui habite en Australie. Elle la garde dans l’enveloppe avec laquelle elle est arrivée. Quoiqu’elle soit contente de la recevoir, elle ne prend pas le temps de la mettre dans un album photo et n’écrit pas la date, l’endroit ou les noms des personnes derrière la photo. Elle garde cette enveloppe dans une boîte avec les lettres envoyées par sa famille.
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Une amie : Sophie donne une photo à une de ses amies qui l’insère dans un album de souvenirs qui contient des photos de ses amies d’école. Elle indique le lieu, la date et le nom des personnes qu’elle connaît et décore la page avec des petits dessins. Elle garde cet album sur une étagère dans sa chambre.
Représentons maintenant ces actions sur le diagramme du Continuum des archives. Chacune des trajectoires commence dans la première dimension, mais chacune suit un chemin séparé puisque les photos sont captées dans des systèmes différents. La photo en possession de Daniel et de Sophie est insérée dans leur album de mariage (ligne rouge sur la figure 3). La copie donnée aux parents de Sophie est incluse dans un album de photos de Sophie (ligne verte), la copie donnée à l’amie de Sophie dans un album de souvenirs (ligne orange) et la photo envoyée à la cousine de Daniel dans une enveloppe (ligne bleue).
Figure 3 : Quatre utilisations de la photo
Aucune de ces photos n’est pluralisée. Aucune n’est rendue accessible en dehors du cercle de la famille et des amis proches du couple de jeunes mariés. Le mariage a eu lieu en 1996. Personne n’a utilisé un appareil photographique numérique.
Toutefois, en 2016, Sophie décide de numériser la photo, de la télécharger sur sa page Facebook et de la mettre en publication publique. Ceci constitue un nouvel usage de la photo qui, à son tour, rend d’autres usages possibles. L’acte de numériser la photo crée un nouveau document et implique un retour à la première dimension et le début d’une nouvelle trajectoire pour ce nouveau document qui est représentée en rouge sur la figure 4. La disponibilité de la photo sur Facebook, à son tour, rend d’autres usages de la photo possibles pour d’autres utilisateurs. Des amis de Sophie peuvent télécharger la photo et la partager sur un autre média social. Des personnes qui ne connaissent pas Sophie, mais s’intéressent à la mode des années 1990 ou qui collectionnent les photos de mariage, ou les photos de chapeaux, etc., peuvent copier la photo et l’inclure sur leur site. Deux exemples sont représentés en bleu et en vert sur la figure 4. Dès lors que la photo est rendue publique, particulièrement si elle est disponible sur Internet, il est difficile de mettre des limites à sa réutilisation pour des usages variés.
De nos jours, il est courant de prendre des photos et de les télécharger immédiatement sur des médias sociaux. Dans ces cas-là, les photos peuvent passer de la première à la quatrième dimension en une nanoseconde (Upward et al., 2018). Les quatre dimensions peuvent être passées d’une manière pratiquement simultanée, ou la deuxième et la troisième dimensions peuvent être sautées. Des photos peuvent être rendues publiques sans avoir été proprement captées dans un système, c’est-à-dire sans que des métadonnées leur aient été ajoutées (automatiquement ou manuellement) et sans qu’un système de classification leur ait été appliqué.
Figure 4 : Téléchargement de la photo sur des médias sociaux
Tous les exemples dont nous avons parlés jusqu’ici regardent la photo comme un souvenir du mariage. Cependant, il est possible d’envisager qu’elle pourrait être utilisée comme preuve de quelque chose d’autre. Par exemple, supposons que la dame derrière les mariés sur la photo, cousine Anita, est accusée d’avoir tué son mari ce jour-là. Elle pourrait présenter la photo comme preuve qu’elle a assisté au mariage et par conséquent qu’elle n’aurait pas pu être à ce moment-là à l’endroit où son mari a été tué, à 200 kilomètres de là. Dans ce cas, la photo serait reçue comme preuve par les policiers en charge de l’enquête qui l’incluraient dans le dossier de l’enquête. La capture de la photo dans ce dossier serait accompagnée de l’ajout de métadonnées différentes de celles que l’on peut trouver dans des albums photos privés pour la relier à l’enquête judiciaire. En particulier, le moment exact où la photo fut prise serait un élément crucial pour son utilisation comme preuve et le sort d’Anita pourrait dépendre de la présence ou de l’absence de ces métadonnées. Le nom du photographe serait également important parce qu’il pourrait être appelé à témoigner. La photo serait captée dans le système de gestion des documents de la police judicaire et pourrait être présentée au tribunal si la police décide de lancer des poursuites judiciaires contre Anita. Elle serait aussi organisée dans les archives de la police et du tribunal et, après un certain temps pourrait être transférée aux archives nationales (ou cantonales, départementales, etc.) selon la procédure en place dans la juridiction concernée (figure 5). L’utilisation de la photo dans des reportages médiatiques sur l’enquête pourrait aussi l’amener dans la quatrième dimension du Continuum (ligne pointillée sur la figure 5).
Figure 5 : Utilisation de la photo comme preuve
Les albums de photos de mariage, par contre, ne seront vraisemblablement jamais transférés dans un service d’archives. A moins que Sophie ou Daniel ne devienne un jour une célébrité et que quelqu’un ne décide de constituer des archives sur eux !
Il serait aussi intéressant de considérer ce qui adviendrait des photos en cas de divorce, celle en possession de Sophie et Daniel, et celles données à leurs parents et amis. Elles pourraient être détruites, ou déchirées en deux, ou enlevées des albums, ou les albums pourraient être mis au grenier. Elles pourraient donc commencer chacune une nouvelle trajectoire dans un nouveau contexte.
Une autre utilisation de la photo qui n’aurait pas pu être prévue au moment du mariage est celle que j’en fait dans cet article. J’ai pris la photo que Daniel m’avait envoyée en 1996 et je l’ai numérisée pour l’inclure dans cet article. Cette copie numérique de la photo est un nouveau document qui commence une nouvelle trajectoire dans la première dimension du Continuum des archives. Elle est utilisée pour un but totalement différent de celui pour lequel elle avait été créée puisque je l’utilise dans une fin pédagogique, pour expliquer le Continuum des archives. Je l’ai copiée et captée dans un document sur mon ordinateur et organisée avec les autres documents dont j’ai besoin pour écrire cet article. Son inclusion dans l’article, quand il est publié en accès libre, la porte dans la quatrième dimension puisqu’il la rend accessible à tout le monde. Dès lors, la réutilisation à fin pédagogique d’une photo qui n’était pas destinée à être vue en dehors du cercle de la famille et des amis du jeune couple en fait un exemple de réutilisation et de pluralisation d’une archive et la rend susceptible d’être réutilisée par les lecteurs de l’article pour la même fin ou pour d’autres fins.
Figure 6 : Utilisation de la photo dans cet article
L’exemple de cette photo de mariage et de ses réutilisations illustre comment un document peut être perçu et utilisé différemment par différents utilisateurs à des moments différents et dans lieux différents. Toutes les utilisations de la photo peuvent être représentées séparément ou conjointement sur le diagramme du Continuum des archives. Chaque utilisation et réutilisation commence un nouveau parcours pour un nouveau document dans la première dimension du Continuum des archives, celle de la Création. La plupart de ces réutilisations de la photo passent par la deuxième et la troisième dimension, celles de la Captation et de l’Organisation, quand les archives sont captées dans un système (formel ou informel) et des métadonnées leurs sont ajoutées et quand elles sont organisées en fonction d’un système de classification (formel ou informel) qui permettra de les localiser. Mais seulement certaines d’entre elles atteignent la quatrième dimension, celle de la Pluralisation, parce que la décision de rendre les archives publiques est un choix que les utilisateurs peuvent faire dans chaque cas (tout en respectant les contraintes légales, réglementaires ou socio-culturelles qui peuvent s’appliquer).
Les dimensions du Continuum des archives
Les exemples d’utilisations de la photo de mariage détaillés ci-dessus ont présenté une explication linéaire de la trajectoire suivie par chacune des photos. Cependant, les quatre dimensions du Continuum des archives sont toujours présentes à tout moment et peuvent impacter sur les archives à tout moment (Reed, 2005a : p. 179). La création d’archives est influencée par des considérations qui proviennent de la troisième et de la quatrième dimensions. Pour que les archives soient gérées d’une manière efficace, il doit y avoir en place un système prêt à accueillir ces archives. Ce système doit avoir été développé de manière à ce que la création et la gestion d’archives puissent se conformer aux obligations légales, réglementaires, contractuelles et socioculturelles que les archives doivent respecter. Ces obligations proviennent soit de la quatrième dimension (les lois que l’organisme doit respecter et les attentes sociales et culturelles de la communauté), soit de la troisième dimension (les règles établies par l’organisme pour la création et la gestion de ses archives).
Les obligations que les organismes publics et les entreprises privées doivent respecter sont généralement évidentes et clairement articulées. Les organismes publics et privés doivent respecter les lois qui requièrent qu’ils produisent et conservent certains documents d’archives pour une période déterminée ou, dans certains cas, à perpétuité, comme preuves de leurs activités, et ils doivent respecter les lois sur l’accès à l’information et sur la protection des données à caractère personnel. Ces lois émanent de la quatrième dimension. D’autre part, les organismes qui produisent et gèrent de larges quantités de documents doivent avoir des règles en place au niveau de l’organisme pour régler la gestion de ces documents. Ces règles font partie de la troisième dimension. Ainsi des lois de la quatrième dimension et des règles de la troisième dimension déterminent quelles archives les organismes créent (dans la première dimension), comment ils les absorbent dans leurs systèmes (dans la deuxième dimension) et comment ils les gèrent (dans la deuxième et la troisième dimensions).
La façon dont des considérations de la troisième et de la quatrième dimensions impactent sur les documents personnels n’est pas aussi évidente, mais certaines de ces considérations exercent aussi une influence. Par exemple, les considérations de protection des données à caractère personnel (qui viennent de la quatrième dimension) peuvent aussi influencer la gestion des archives personnelles (dans les 3 autres dimensions) et la décision de les partager ou de ne pas les partager. En outre, la manière dont un individu ou une famille organisent leurs archives et les raisons pour lesquelles ils les gardent (qui sont des facteurs qui relèvent de la troisième dimension) peuvent aussi influencer leur décision de créer ou de ne pas créer des archives (dans la première dimension) et de les capter ou de ne pas les capter dans un système formel ou informel (dans la deuxième dimension). Inversement, la manière dont les archives ont été créés et captées (dans les deux premières dimensions) influence les utilisations futures de ces archives (dans la troisième et la quatrième dimensions).
Les axes du Continuum des archives
Les diagrammes présentés ci-dessus ont omis les axes et les 16 éléments que l’on trouve sur la représentation originelle du modèle du Continuum des archives. Cette omission est intentionnelle. L’inclusion des axes et des noms des éléments à l’intersection des axes et des dimensions compliquent le modèle et engendrent de nombreuses confusions à propos de la signification de ces éléments qui détractent l’attention des caractéristiques fondamentales du modèle. Néanmoins, dans cette section, je vais maintenant expliquer brièvement les quatre axes.
Figure 7 : Le Continuum des archives
(adapté de Upward, 1996 et Upward et al., 2018)
L’axe de l’identité représente les acteurs et les organismes qui jouent un rôle dans la création et la gestion des archives : les acteurs dans la première dimension, les unités administratives dans la deuxième dimension, l’organisme dans la troisième dimension et l’institution qui accueille les archives quand elles sortent de l’organisme dans la quatrième dimension. L’axe de l’opérationnalité permet de représenter les actions et les processus qui sont appliqués aux archives et les interactions de toutes sortes entre les acteurs et les institutions : les transactions dans la première dimension, les activités auxquelles ces transactions se rapportent dans la deuxième, les fonctions que l’organisme effectue dans la troisième, et la fonction ambiante que les archives servent quand elles sont partagées dans la quatrième dimension. Sur l’axe des contenants d’archivage, sont représentés les documents et leurs agrégations: les documents ou inscriptions dans la première dimension, les documents d’archives (records) dans la deuxième dimension, les fonds d’archives dans la troisième dimension et les collections d’archives dans la quatrième dimension. Sur l’axe de l’évidentialité sont représentées les qualités probantes des archives : la trace qu’elles laissent qu’une transaction a eu lieu dans la première dimension, qui devient une preuve quand le document d’archives est capté dans un système d’archivage dans la deuxième dimension, puis contribue à la mémoire organisationnelle de l’organisme (ou à la mémoire personnelle d’un individu) dans la troisième dimension et enfin à la mémoire collective de la communauté dans la quatrième dimension.
Les noms des éléments inclus sur le diagramme ne sont pas importants. Ce qui est important, c’est de comprendre ce qu’ils représentent et où ils se situent dans les dimensions du Continuum. Il peut être difficile de les traduire et de trouver des équivalents dans des contextes archivistiques et culturels différents. Les quatre éléments sur l’axe des contenants d’archivage sont les plus difficiles à traduire en français parce que la tradition archivistique francophone est basée sur une conception différente de la tradition anglophone de ce que constitue des « archives » (Ketelaar, 2006) et parce qu’il n’y a pas d’équivalent exact en français pour le terme records. Cependant, quels que soient les termes qu’on utilise pour traduire les quatre termes document, record, archive et archives, ce qui importe c’est leur association avec les processus de création, de captation dans un système, d’organisation au niveau de l’organisme et d’incorporation dans un système plus large en dehors de l’organisme. Je les ai traduits ici par « document », « document d’archives », « fonds d’archives » et « collections d’archives ». En outre, il est aussi important de noter que ces termes font référence à des documents et à des agrégations de documents, et non pas à des lieux. La notion de lieu est une notion qui n’est pas considérée importante dans la théorie du Continuum. Les archives sont des archives quel que soit l’endroit où elles se trouvent (Cunningham, 2017; Upward, 1996).
La Perspective du Continuum des archives
La perspective du Continuum des archives peut être appliquée dans des domaines très divers, des documents personnels aux archives d’État, en passant par des documents d’affaires de toutes sortes, et dans des contextes culturels variés (Frings-Hessami, 2017, 2018a, 2018b). Elle est basée sur l’idée que nous devons penser, avant même que des archives ne soient créées, à toutes les personnes qui pourront avoir besoin de ces archives et à toutes les utilisations possibles dont elles pourront faire l’objet. Dès lors, les systèmes archivistiques qui seront développés pour gérer ces archives devront permettre la création des archives dont les utilisateurs pourront avoir besoin, la captation des métadonnées nécessaires pour les situer dans leur contexte et pour les trouver quand les utilisateurs en auront besoin, et la conservation des archives pour aussi longtemps qu’elles seront nécessaires. Les systèmes devront aussi protéger les droits que tous les acteurs pourront avoir sur ces archives, c’est-à-dire qu’ils devront protéger leurs droits sur les données à caractère personnel, leurs droits d’utiliser ces archives, mais aussi leurs droits de trouver dans ces archives les informations dont ils auront besoin, ce qui implique que des archives qui contiennent ces informations auront été créés et préservés de manière appropriée[5].
L’exemple d’une photo de mariage présenté dans cet article montre comment la perspective du Continuum des archives peut être appliquée à un document personnel et aux multiples utilisations et réutilisations dont il peut faire l’objet. Ce faisant, il illustre l’importance de prendre en considération toutes ces utilisations possibles quand un document est créé et, préférablement avant qu’il ne soit créé. L’importance d’avoir un système en place qui pourra absorber et gérer les archives est exacerbée dans le cas des archives numériques qui sont plus fragiles que les archives analogiques. Les archives numériques ne peuvent pas être négligées de la même manière que les documents papiers le pouvaient autrefois. Les copies analogiques de la photo dont nous avons parlé auraient pu être oubliées pendant des années dans les albums photos, mais, excepté en cas d’incendie ou d’une autre catastrophe, elles auraient toujours été disponibles quand la famille aurait voulu les regarder. Par contre, s’il s’agissait d’une photo numérique, il aurait été bien probable que vingt ans plus tard, ou même cinq ans plus tard, son propriétaire n’aurait plus eu accès à la technologie nécessaire pour la regarder. Quoi qu’il en soit, si personne n’avait pensé à engager un photographe pour le mariage ou si personne n’avait fait les efforts nécessaires pour conserver les photos, nous n’aurions pas de preuve photographique du mariage, pas de photos que la famille pourrait regarder comme des souvenirs, et plus sérieusement dans le cas d’Anita, pas de preuve qu’elle avait assisté au mariage. L’exemple de la photo de mariage illustre donc la nécessité de penser aux futurs usages et aux futurs utilisateurs d’un document dès le moment de sa création et de le capturer dans un système qui permettra de répondre aux besoins des utilisateurs futurs.
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Notes
[1] Je me base ici sur la définition des archives dans la loi française du 3 janvier 1979 comme étant : « [l]’ensemble des documents, quelque soient leur date, leur forme at leur support matériel, produits ou reçus par toute personne physique ou morale, et par tout service ou organisme public ou privé, dans l’exercice de leur activité » (Loi n° 79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives, Article 1).
[2] Recordkeeping est traduit par « archivage » dans la norme internationale ISO 15489 et dans la norme européenne MoReq2. Toutefois, j’ai choisi de ne pas utiliser cette traduction parce que dans la pratique française le terme est généralement utilisé spécifiquement pour désigner les opérations physiques de mise en archives et non pas la gestion des archives depuis le moment de leur création et au cours de tous les usages qui en sont faits.
[3] Les écrits récents de Frank Upward parlent d’« inscriptions » (Upward et al., 2018 : p. 193), plutôt que de documents, un terme plus englobant qui capture l’idée que l’action de création peut laisser une trace sur des supports divers.
[4] Dans cet article, je traduis généralement le terme records par « archives ». Cependant, quand je fais une référence spécifique à la deuxième dimension du modèle du Continuum des archives et que je veux rendre l’idée que des documents sont captés dans un système pour être préservés comme archives, je le traduis par « document d’archives ».
[5] De sérieux problèmes peuvent résulter du fait que les documents que des utilisateurs potentiels voudraient consulter n’ont jamais été créés parce que les organismes qui géraient les fonctions auxquels ces documents devraient se rapporter ne pensaient pas qu’il était utile de les créer. Telle est la situation du secteur de la protection de l’enfance en Australie au vingtième siècle (Golding, 2016 ; Swain & Musgrove, 2012).
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Ressi — 20 décembre 2018
Tullio Basaglia, Chef de section, Bibliothèque du CERN
Service Science and the Information Professional
Yvonne de Grandbois a été coordinatrice de la Bibliothèque des Library and Information Networks for Knowledge (LINK) de l’Organisation Mondiale de la Santé. Ensuite, elle a enseigné au sein des programmes de Bachelor et de Master de la filière Information documentaire de la Haute Ecole de Gestion de Genève et elle a été responsable du programme de Master en Sciences de l’Information, qui était alors commun à la HEG-Genève en Suisse et à l’Université de Montréal au Canada (EBSI).
Il est important de souligner, comme le fait l’auteure au début du livre, que la science des services ne traite pas seulement de la gestion des services d’Information.
La science des services est plutôt l’étude des services, des systèmes de services et des « propositions de valeur », c’est-à-dire des promesses de la valeur que vous allez délivrer à vos utilisateurs. La proposition de valeur représente la raison pour laquelle les utilisateurs devraient utiliser vos services. Ses origines sont récentes, car on peut en situer la naissance en 2006 ; IBM a contribué d’une manière décisive à la naissance cette discipline, IBM qui a vécu l’évolution généralisée vers l’informatisation des services dans les années 90.
Ce livre propose une synthèse de l’état des études dans la science des services appliquée au contexte des sciences de l’information, et il s’articule en cinq parties: la première vise à fournir une délimitation du concept de science des services, la deuxième dresse un historique succinct de cette discipline, qui a connu un développement important surtout à partir des années 70 du siècle passé, avec le passage d’un modèle économique dominé par l’industrie manufacturière à une société dominée par l’ « économie de la connaissance ».
La science des services est de par sa nature interdisciplinaire, car elle analyse les quatre éléments qui forment un système de services, les personnes, la technologie, les organisations et l’information, qui sont respectivement étudiés par les sciences sociales, l’informatique et l’ingénierie, la gestion des organisations et la science de l’information.
Le troisième chapitre examine les rapports entre la science des services et la science de l’information. Etant donné que le service est la raison d’être de chaque bibliothèque et service de documentation, les rapports entre les deux disciplines sont évidents et étroits. En tant que professionnel de l’information, nous appliquons déjà certains principes de la science des services. Toutefois celle-ci peut aider le professionnel de l’information à concevoir d’une manière plus efficace des systèmes pour l’évaluation des services, la mesure de l’impact et l’analyse des besoins. En un mot, elle peut stimuler l’innovation dans les services de documentation.
Evidemment, les parcours de formation des futurs professionnels de l’information et documentation doivent être adaptés aux besoins de la société de l’information.
Dans le quatrième chapitre, l’auteure souligne l’importance de la science des services dans le contexte d’une société et d’une planète qui est de plus en plus interconnectée, grâce à l’Internet des objets, au big data et à l’informatique «cloud». De nouvelles opportunités s’ouvrent pour montrer la valeur sociale du travail des spécialistes de l’information.
Le livre offre un aperçu succinct mais complet de la discipline, et il a le mérite de souligner l’importance de la science des services pour les professionnels de l’information, dont la plupart n’est même pas au courant de l’existence de ce domaine d’études. En plus, l’autrice met justement en évidence le fait que la science des services souvent n’est pas enseignée au sein des facultés universitaires des Sciences de l’Information.
Le livre est très focalisé sur les études et les expériences aux Etats Unis. Plus d’attention aurait pu être consacrée au contexte européen.
Le chapitre final est consacré aux réseaux professionnels, aux associations et aux écoles spécialisées dans l’enseignement de la science des services. Les références bibliographiques et la webographie de cette section sont très exhaustives.
Bibliographie
Yvonne de Grandbois. Service Science and the Information Professional. Cambridge, MA, United States : Elsevier, Chandos Publishing, 2016 ; 117 p., (Chandos Information Professional Series) ISBN 978-1-84334-649-4
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Conserver et valoriser les archives de la Société des Arts de Genève
Ressi — 20 décembre 2018
Sylvain Wenger, Directeur de projet : Valorisation du patrimoine et promotion de la recherche auprès de la Société des Arts
Résumé
À l’instar des innombrables sociétés d’émulation créées en Europe aux 18e et 19e siècles, la Société pour l’Avancement des Arts, de l’Agriculture et des Manufactures de Genève est fondée, en 1776, dans l’intention de soutenir l’économie locale en promouvant activement le développement de la nouveauté technique et commerciale. Cette institution, mieux connue sous son nom actuel de Société des Arts de Genève, a produit et acquis une masse considérable de documents et d’objets constituant aujourd’hui une richesse historique et culturelle unique pour nourrir l’histoire des beaux-arts, des techniques et des sciences à Genève. Ses responsables ont entrepris fin 2015 de dresser un inventaire détaillé de ses archives, conservées dans son Palais de l’Athénée, au cœur de la cité genevoise, et de mettre en place des actions de valorisation destinées à la communauté de la recherche et à un public plus large. Cet article se penche sur les enjeux et sur les étapes intermédiaires de cet ambitieux projet dont les résultats sont attendus pour 2019-2020.
Conserver et valoriser les archives de la Société des Arts de Genève
Enjeux et genèse du projet
La Société des Arts de Genève, créée en 1776 sous le nom de Société pour l’Avancement des Arts, de l’Agriculture et des Manufactures, a produit et acquis tout au long de son histoire une masse considérable de documents et d’objets constituant aujourd’hui une richesse patrimoniale unique pour nourrir l’histoire des beaux-arts, des techniques et des sciences à Genève.
Dès ses débuts, l’institution met en place une importante diversité d’opérations d’encouragement industriel et artistique incluant la distribution de récompenses, l’instauration d’enseignements gratuits et la publication d’informations techniques, commerciales et autres[1]. Originellement composée de groupes de travail appelés « comités »[2], l’association est réformée au début des années 1820 pour adopter une structure en trois « classes », toujours actives de nos jours, dédiées respectivement à l’agriculture, à l’industrie et au commerce, et aux beaux-arts. Une part importante des traces écrites et matérielles de leurs activités nous sont parvenues en très bon état. Des caves aux combles de son siège – le Palais de l’Athénée, situé au cœur de la cité genevoise – l’institution abrite des ressources historiques très recherchées, qui font actuellement l’objet d’une attention particulière en termes de catalogage et de pérennisation.
Fin 2015, les responsables de la Société des Arts ont entrepris de dresser un catalogue complet des archives de l’association, tout en menant des actions de valorisation destinées à la communauté de la recherche et au grand public. Les opérations, actuellement en cours, comprennent l’inventoriage numérique du fonds, l’optimisation des conditions de dépôt et de consultation ainsi que la mise en ligne d’un certain nombre de documents digitalisés sur une plateforme Internet dédiée.
Ce vaste projet patrimonial a vu le jour sous l’impulsion d’Etienne Lachat, secrétaire général de la Société des Arts depuis 2013. A l’automne 2015, il a formé une Commission des archives constituée de membres de l’association et d’autres personnes ayant un intérêt et des compétences dans le domaine des archives et, plus largement, du patrimoine genevois[3]. Dans un premier temps, ce groupe de travail a prodigué ses conseils et recommandations quant aux objectifs et aux orientations du projet, avant de jouer un rôle de conseil consultatif entre les instances dirigeantes de la Société et les acteurs du projet.
Figure 1 : Archives en cours de traitement / Image Collection Société des Arts - Greg Clément 2018
De l’inventaire sommaire à l’inventaire détaillé
Le projet d’inventaire a été conçu en deux phases principales. La première a consisté à procéder à une évaluation globale du volume et de la typologie des ressources historiques conservées au Palais de l’Athénée. Cette analyse de l’existant, réalisée en 2016 en collaboration avec l’entreprise Docuteam, a résulté sur un inventaire sommaire des archives. L’analyse s’est concentrée sur les ressources écrites, manuscrites et imprimées, tandis que le mobilier et les œuvres d'art n’ont pas été pris en compte car l’information à leur propos est déjà relativement bien maîtrisée. Des éléments importants ont été mis en évidence pour élaborer la stratégie de traitement du matériel, à commencer par la distinction entre les volumes d’archives et de collections d’ouvrages. Ainsi sait-on depuis lors que les archives de la Société des Arts et de ses sections représentent environ 141 mètres linéaires (ml), soit 42% du total des biens écrits conservés au Palais de l’Athénée[4], tandis que les collections d’imprimés extérieurs – des revues, essais et manuels théoriques et pratiques, pour l’essentiel – comptent pour 187 ml (55%), selon la distribution suivante : 95 ml pour la Classe d'Agriculture[5], 49 ml pour la Classe d’Industrie et Commerce, 43 ml pour la Classe des Beaux-Arts. L’analyse a aussi révélé que les collections d’imprimés comptent environ 6'800 volumes[6], et que les archives de tiers représentent environ 8 ml[7]. On a constaté, enfin, que le plus ancien document d'archives conservé à l’Athénée date de 1388, tandis que la publication la plus ancienne remonte à 1578.
Du point de vue typologique, l’analyse a montré que les archives comprennent principalement des procès-verbaux de séances, des dossiers personnels de présidents, de la correspondance, des documents comptables, des statuts et règlements, des listes de membres, ainsi que des documents de grand format tels que des plans et dessins architecturaux, des affiches, des programmes de concours ou des diplômes. Sur le plan thématique, le matériel porte sur l’ensemble des domaines d’intérêt de la Société des Arts, à savoir l’artisanat, l’industrie, l’agriculture et les beaux-arts, mais ne s’y limite pas[8]. Notons encore la présence de nombreux objets tels que des échantillons de plantes, de textiles ou de visserie, ainsi que des coins de médailles, des rubans et des bannières en tissu, des instruments de mesure anciens, des photographies et des diapositives. En synthèse, la phase d’évaluation a permis de quantifier l’importance matérielle de ces ressources historiques et de mettre en évidence leur contenu thématique, rappelant que la Société fût par le passé une incontournable plateforme d’acquisition, de production et de diffusion de savoir pour sa région.
En janvier 2017 a été lancée la seconde phase, consistant au traitement proprement dit des archives (nettoyage, conditionnement, description numérique). A cet effet, un manuel définissant les normes de traitement a été établi en étroite collaboration avec l’entreprise Docuteam et avec la participation active de la Commission des archives, tenant compte des différents types de pièces et cas particuliers rencontrés au fur et à mesure du dépouillement. Ce document d’une vingtaine de pages commence par exposer les principes généraux de traitement, dont le périmètre et le système de normes adopté[9], avant de détailler les choix relatifs à l’évaluation, au niveau de description, au reconditionnement, à la cotation et à la numérisation des archives. Pour définir ces éléments, la stratégie a consisté à traiter en priorité les rayons présentant la plus forte hétérogénéité et le plus faible degré de maîtrise de l’information, de sorte à faire émerger un maximum de cas problématiques : les liasses fermées, les boîtes diverses et les papiers entreposés pêle-mêle ont ainsi été traités avant les procès-verbaux et autres imprimés parfaitement reliés et rangés chronologiquement depuis des décennies.
Du point de vue du niveau de traitement, il a été décidé de traiter le dossier ou la série de dossiers. Cependant, même dans le cas d'une notice concernant un dossier, à moins que l'intitulé suffise à décrire clairement le contenu (dans le cas d'une publication, par exemple, ou d'un dossier très homogène sans pièces particulières), le contenu du dossier est décrit dans un champ spécifique, et les pièces importantes ou singulières sont indiquées. Cette formule, relativement flexible, permet d’enrichir l’inventaire de nombreux mots clefs indexés, sans toutefois astreindre l’ensemble du processus aux opérations par trop chronophages de la description à la pièce.
Une fois le manuel de traitement établi, à l’automne 2017, les opérations de traitement ont trouvé leur vitesse de croisière. Au mois de novembre 2018, près de 75 mètres linéaires avaient été traités, et près de 150 dossiers avaient fait l’objet de photographies indicatives ou de reproductions scannées en haute définition.
Figure 2 : Capture d’écran de la base de données de travail : divers documents et objets numérisés
Faciliter la consultation physique et virtuelle
L’amélioration des conditions de consultation physique et virtuelle des archives de la Société des Arts constitue un axe prioritaire du projet. Entre mars 2016 et novembre 2018, l’institution a traité près de 120 demandes de renseignements historiques provenant de la communauté de la recherche, de musées, de bibliothèques, de médias, ainsi que de privés[10]. Environ 30% des demandes ont débouché sur des consultations sur place, tandis que le reste a été traité à distance.
Il est prévu que dans le courant de l’année 2019, l’inventaire détaillé soit progressivement mis en ligne sur une nouvelle plateforme Internet, enrichi d’un certain nombre de documents scannés. L’outil de recherche par mots-clefs de la plateforme sera élémentaire, offrant des critères tels qu’un ou plusieurs termes à exclure, un filtre par types de pièces (manuscrit, tapuscrit, imprimés, objet), ainsi qu’une échelle temporelle. Le site permettra par ailleurs de refléter d’un coup d’œil la variété des types de pièces comprises dans les ressources historiques de la Société des Arts au moyen d’un damier de vignettes disposées de manière aléatoire sur la page d’accueil, donnant accès à des notices comportant un document digitalisé.
Figure 3 : Plateforme de consultation de l’inventaire des archives : projet de page d’accueil
Dans un premier temps, l’objectif est de mettre à disposition en ligne environ 5 à 10% des archives de la Société des Arts, en ciblant le matériel le plus fréquemment demandé. A cet effet, le projet tient compte des besoins régulièrement exprimés par les chercheurs. A terme, la prise en charge des requêtes nécessitera sans doute l’engagement de ressources spécialisées et l’aménagement de conditions appropriées, actuellement à l’étude.
L’importance d’un programme d’activités annexes
En marge de la production de l’inventaire détaillé, colonne vertébrale du projet, des activités scientifiques et culturelles ont été programmées et organisées au Palais de l’Athénée en 2016, 2017 et 2018. Outre leur rôle de réflexion et d’émulation, ces activités ont donné la visibilité nécessaire pour, d’une part, faciliter l’émergence et le développement de partenariats avec des institutions scientifiques et patrimoniales (universités suisses et étrangères, musées, etc.), et d’autre part, souligner l’importance des ressources patrimoniales de la Société des Arts.
Une première exposition organisée du 9 au 26 novembre 2016, intitulée Lumière ! Incursions dans les collections de la Société des Arts, proposait ainsi d’interroger le rôle de l’institution dans le développement économique, social et politique de la région genevoise et plus largement européen dans la longue durée, depuis la fin du 18e siècle[11]. A celle-ci a succédé, du 12 septembre au 11 novembre 2018, l’exposition intitulée L’héritage insoupçonné d’Alfred Dumont (1828-1894), accompagnée de la proposition Point d’ombre du plasticien Benoît Billotte. Cette exposition retraçant la trajectoire artistique et institutionnelle d’un peintre et collectionneur, membre important de la Société, quasiment absent de l’historiographie, mais fort reconnu de son temps, a été l’occasion de procéder à la mise à niveau de l’inventaire des quelques 3'000 dessins léguées à la Société des Arts et aujourd’hui conservés au Cabinet d’arts graphiques des Musées d’art et d’histoire de Genève.
Par ailleurs, trois rencontres scientifiques couvrant des champs d’intérêt particuliers de la Société des Arts ont été organisées : les journées d’étude Penser/Classer les collections des sociétés savantes les 24 et 25 novembre 2016, le colloque Produire du nouveau ? Arts – Techniques – Sciences en Europe (1400-1900) (23-25 novembre 2017), et enfin du colloque Regards croisés sur les arts à Genève (1846-1896). De la Révolution radicale à l’Exposition nationale, les 2 et 3 février 2018. Chacune de ces manifestations est assortie d’une publication des actes.
Conclusion
L'intérêt des archives de la Société des Arts pour l’histoire de l’économie et des arts de la région genevoise a été mis en lumière grâce aux résultats intermédiaires du projet d'inventaire lancé fin 2015. Une fois réorganisé, décrit, et rendu plus facilement accessible, dès 2019-2020, ce riche matériel offrira la possibilité d’interroger plus avant des champs historiques liés, par exemple, au développement de la formation professionnelle, des instruments d’encouragement artistique ou de multiples aspects de l’agriculture.
Si une histoire de la Société des Arts de Genève dans la longue durée reste à écrire, c'est avant tout en replaçant cette plateforme de savoir dans son paysage institutionnel historique et contemporain, qu’elle mérite de l’attention. C’est en ce sens qu’est profilé le projet de valorisation et de conservation actuellement en cours.
Notes
[1] Sur l’histoire de l’association voir notamment : Jean-Daniel Candaux, R. Sigrist, « Saussure et la Société des Arts », in R. Sigrist (éd.), H.-B. de Saussure (1740-1799), Genève, Georg, 2001, p. 431‑452 ; Danielle Buyssens, La question de l’art à Genève : du cosmopolitisme des Lumières au romantisme des nationalités, Genève, La Baconnière Arts, 2008, p. 181 ; Serge Paquier, « La Société des Arts, transition entre deux ères », in Marc J. Ratcliff, Laurence-Isaline Stahl-Gretsch (dir.), Mémoires d’instruments, Genève, S. Hurter, 2011, p. 114-123 ; Sylvain Wenger, « Innover, pratique ‘connectée’. Regards sur la Genève du début du xixe siècle », in Bernard Lescaze (dir.), Genève 1816, une idée, un canton, AEHR, Carouge, 2017, p. 119-147, et Sylvain Wenger, « Encourager la nouveauté ? Aux origines de la Société pour l’avancement des arts, de l’agriculture et des manufactures de Genève », xviii.ch, Annales de la Société suisse pour l'étude du XVIIIe siècle, vol. 9/2018, numéro thématique La Suisse manufacturière au 18e siècle, éd. par Rossella Baldi et Laurent Tissot. Pour d’autres références nourries directement ou indirectement par les archives de la Société des arts, voir la bibliographie proposée dans la brochure Lumière ! éditée à l’occasion de l’exposition du même nom : Vanessa Merminod, S. Wenger, Lumière ! Incursions dans les collections de la Société des arts, Genève, Société des arts de Genève, 2016.
[2] Les premiers comités institués furent les Comités des arts, et de l’agriculture, avant que n’apparaissent dès 1787 le Comité de dessin, le Comité de mécanique, le Comité de chimie et le Comité rédacteur.
[3] Les membres de la Commission des archives sont Jean-Daniel Candaux, Fabia Christen Koch, Olivier Fatio, Barbara Roth-Lochner, Dominique Zumkeller et Etienne Lachat.
[4] Le solde est composé, notamment, de dossiers administratifs courants.
[5] Cette section a été rebaptisée Classe d'Agriculture et Art de Vivre à partir de 1976.
[6] Les volumes sont répartis entre les collections de la Classe d’Agriculture (environ 3'630 volumes), celles de la Classe des Beaux-Arts (environ 1'650) et celles de la Classe d'Industrie et Commerce (environ 1'480).
[7] Il s’agit de la Société genevoise d'utilité publique (SGUP) et la Société des Amis des Beaux-Arts, par exemple.
[8] On trouve en effet par exemple des essais et autres types de pièces sur la musique, la littérature, ou la poésie.
[9] Le périmètre initial correspond aux archives produites par la Société des Arts, ses classes ou des tiers, depuis les plus anciennes jusqu'à 1990 – cette borne temporelle étant provisoire. Les autres ressources historiques, telles que les imprimés de tiers réunis par les classes, ne sont à ce stade pas pris en compte. Par ailleurs, les références employées pour la description archivistique et les notices d’autorité sont, respectivement, les suivantes : Conseil international des archives (ICA), « ISAD(G) : Norme générale et internationale de description archivistique - Deuxième édition » (Ottawa, 2000), http://www.ica.org/fr/node/15291, et Conseil international des archives (ICA), « ISAAR (CPF) : Norme internationale sur les notices d’autorité utilisées pour les Archives relatives aux collectivités, aux personnes ou aux familles - Deuxième édition », 2004, http://www.ica.org/fr/node/15298 (Consultation le 12 décembre 2018).
[10] Environ 70 % des demandes proviennent de Suisse, le reste d’Allemagne, d’Angleterre, d’Italie, du Japon, d’Espagne, et de France.
[11] L’exposition a donné lieu à l’édition d’une brochure du même nom, disponible auprès du secrétariat de la Société des Arts.
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Apprentissage et classification automatiques pour améliorer la pertinence d’un corpus d’articles
Ressi — 20 décembre 2018
Julien Gobeill, Haute École de Gestion, Genève, Institut Suisse de Bioinformatique (SIB), Genève, Suisse
Matthias van den Heuvel, École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL)
Laura Minu Nowzohour, Institut de Hautes Études Internationales et du Développement (IHEID)
Joëlle Noailly, Institut de Hautes Études Internationales et du Développement (IHEID)
Gaétan de Rassenfosse, École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL)
Patrick Ruch, Haute École de Gestion, Genève, Institut Suisse de Bioinformatique (SIB), Genève, Suisse
Résumé
Dans le cadre d’un projet étudiant le développement des politiques environnementales et climatiques sur les quatre dernières décennies, l’un des moyens envisagés par des chercheurs en sciences économiques est de construire puis exploiter un corpus d’articles de presse relatifs à cette thématique. La première année du projet s’est concentrée sur les seules archives du New York Times. Ce sont néanmoins 2,6 millions d’articles qui étaient à traiter – une masse trop importante pour l’homme. Des chercheurs en sciences de l’information et en fouille de texte ont donc été associés à cette tâche de recherche d’information. Dans un premier temps, les 2,6 millions d’articles ont été moissonnés depuis le Web, puis indexés dans un moteur de recherche. La conception d’une équation de recherche complexe a permis de sélectionner un corpus intermédiaire de 170 000 articles, dont la précision (taux d’articles pertinents) a été évaluée à 14%. Dans un deuxième temps, un algorithme d’apprentissage automatique a donc été entraîné et utilisé pour prédire la pertinence ou non d’un article. Pour nourrir l’algorithme, un échantillon de 700 articles a été manuellement étiqueté par les chercheurs en sciences économiques. L’application du classifieur à l’ensemble du corpus intermédiaire a produit un corpus final de 15 000 articles, dont la précision a été évaluée à 83%. Nos résultats montrent qu’une centaine d’articles étiquetés semble ici une quantité suffisante pour maximiser les performances du classifieur, et obtenir un corpus final de qualité proche de celle obtenue par des experts humains. La fouille de texte n’est plus une discipline émergente, ni extérieure aux sciences de l’information ; c’est une discipline mature qui peut dès à présent être utilisée pour assister le spécialiste de recherche documentaire dans une tâche de construction de corpus ou de classification de documents, tout spécialement avec des masses d’informations importantes.
Apprentissage et classification automatiques pour améliorer la pertinence d’un corpus d’articles
La construction d’un corpus de documents pertinents pour un besoin d’information donné, à l’aide d’un outil de recherche, est une tâche qui relève de la recherche d’information (RI). La RI peut être considérée selon deux points de vue en sciences de l’information : celui du spécialiste en recherche documentaire, et celui du spécialiste en sciences informatiques. Selon le point de vue adopté, les interactions entre l’outil de recherche et son utilisateur sont complémentaires. Le spécialiste de recherche documentaire s’attache à construire la meilleure équation de recherche possible pour un besoin d’information donné ; dans son travail, l’outil reste inchangé et la requête évolue afin d’obtenir un maximum de documents pertinents. L’informaticien spécialiste en fouille de texte (de l’anglais text mining) s’attache quant à lui à construire le meilleur outil de recherche possible ; dans son travail, la requête reste inchangée et l’outil évolue afin de prédire correctement et renvoyer un maximum de documents pertinents (Weiss, 2015). Les travaux que nous allons présenter ici combinent les deux approches.
Cette étude se déroule dans le cadre du Projet National de Recherche 73 sur l’économie durable, financé par le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique. Un groupe de chercheurs en sciences économiques, provenant de l’ Institut de Hautes Études Internationales et du Développement (IHEID) et de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), travaille sur l’investissement dans les technologies propres, et cherche à quantifier le développement des politiques environnementales et climatiques sur les quatre dernières décennies. L’un des moyens envisagés est l’exploitation d’articles de presse relatifs à cette thématique. A terme le but est de construire un indice mesurant le degré d’incertitude dans les politiques économiques liées au changement climatique. Cet indicateur devrait pouvoir refléter des pics et changements brusques dans les politiques climatiques, comme par exemple la sortie des Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat sous la présidence de Donald Trump.
Description générale de la tâche et de l’approche
Une tâche fondamentale du projet consiste donc à construire un corpus d’articles, issus d’une dizaine de revues généralistes de différents pays, relatifs aux politiques économiques liées au changement climatique. C’est pour cette tâche que l’expertise de chercheurs de la filière Information Documentaire de la Haute École de Gestion (HEG) a été mobilisée. Nous avons décomposé cette tâche en deux sous-tâches successives :
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Sous-tâche 1, filtrage par équation de recherche : construire une équation de recherche large dans une base de données documentaire, pour ramener un corpus intermédiaire contenant le plus grand nombre d’articles pertinents possible ;
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Sous-tâche 2, classification automatique : filtrer ce corpus intermédiaire grâce à un classifieur, utilisant des techniques de d’apprentissage et de classification automatiques de documents, afin d’obtenir le corpus final.
Enchaînement des deux sous-tâches de construction du corpus final
Le classifieur que nous avons développé pour la sous-tâche (2) a donc pour fonction de prédire automatiquement si un article est pertinent ou non pour un besoin d’information donné. Ce classifieur s’appuie sur l’apprentissage automatique. Dans les sciences informatiques, l’apprentissage automatique est un champ de l’intelligence artificielle dont le principe est d’entraîner un algorithme avec des exemples déjà étiquetés (pertinents ou non), pour lui donner la capacité d’étiqueter lui-même de nouveaux exemples. Contrairement à un système expert dans lequel le comportement de l’algorithme est régi par des règles explicites spécifiées par l’humain (comme la présence dans l’article de certains termes), un algorithme d’apprentissage artificiel généralise à partir de données d’entraînement pour adopter un comportement non explicitement programmé.
Études précédentes
L’étude (Baker et al., 2016) est fondatrice, car elle est la première de grande ampleur à essayer de mesurer l’incertitude de politique économique (EPU) avec des outils bibliométriques. Contrairement à notre projet NRP, l’étude de Baker et al. s’intéresse à tous les domaines économiques (pas seulement liés au réchauffement climatique) et remonte jusqu’au début du 19ème siècle, étudiant des faits comme la première guerre mondiale ou la crise de 1929. Une dizaine de revues américaines majeures sont considérées dans cette étude. Un premier corpus d’articles – appelé par les auteurs « computer-generated » – est construit grâce à une équation de recherche relativement simple : (“economic” OR “economy”) AND (“uncertain” OR “uncertainty”) AND (“congress” OR “deficit” OR “Federal Reserve” OR “legislation” OR “regulation” OR “White House”). Un second corpus d’articles (appelé human-generated) est construit après lecture et évaluation de 12 000 articles. La construction manuelle de ce second corpus a nécessité un effort conséquent : des équipes d’étudiants de l’université de Chicago ont lu et sélectionné des articles pendant dix-huit mois, s’appuyant sur un guide de 65 pages, et étant supervisés toutes les semaines par les auteurs de l’étude. Les deux corpus ainsi construits montrent une forte corrélation. Quant à l’indice d’incertitude de politique économique ainsi généré, il présente des corrélations avec plusieurs autres indicateurs économiques (comme la volatilité des marchés). De plus, l’indicateur généré présente des pics lors d’événements comme le 11 septembre, ou la faillite de Lehman Brothers.
Parmi les études inspirées par ces travaux, (Tobback et al., 2016) est tout à fait intéressante. Le point de départ est que l’équation de recherche utilisée par Baker et al. induit probablement des erreurs de type 1 et 2, qui doivent fausser l’indice. Les erreurs de type 1 sont des faux positifs : des articles qui satisfont l’équation de recherche mais ne sont pas pertinents. Les erreurs de type 2 sont des faux négatifs : des articles pertinents mais non ramenés car ils traitent du sujet en d’autres termes que ceux spécifiés dans l’équation de recherche. Les exemples suivants illustrent les deux types d’erreur.
Exemple de faux positif : retourné par la recherche mais non pertinent
Exemple de faux négatif : pertinent mais non retourné par la recherche
Dans leur publication, Tobback et al. proposent d’améliorer la qualité du corpus d’articles en le filtrant grâce à un outil de classification automatique. La collection initiale comprend 210 000 articles issus de cinq revues flamandes, collectées gratuitement sur le Web. Un échantillon de 400 articles est d’abord étiqueté (pertinent ou non-pertinent) manuellement, puis utilisé pour entraîner l’algorithme d’apprentissage. L’algorithme utilisé est une Machine à Support de Vecteurs, ou SVM (Joachims, 1998). Comparée à l’approche naïve de Baker et al., l’approche de Tobback et al. montre une précision (ou spécificité) comparable (97% contre 99%), mais un rappel (ou sensitivité) beaucoup plus élevé (68% contre 21%). En d’autres termes, l’équation de recherche ramène seulement 21% des articles pertinents, contre 68% pour le classifieur. Quant à l’indice d’incertitude de politique économique ainsi généré, les auteurs le présentent comme meilleur, et lui accordent même un pouvoir prédictif sur certains indicateurs économiques. Des fortes limites sont toutefois que l’étude de Tobback et al. se limite à l’économie belge, et ne remonte pas avant 2000.
Revues étudiées, Factiva, et New York Times
Comme nous devions accéder à des articles de revues de différents pays du monde, nous nous sommes naturellement tournés vers une base de données documentaires. Le consortium des bibliothèques universitaires suisses détient notamment des licences pour Factiva. Factiva est un outil de recherche d’information professionnel, détenu par Dow Jones & Company, et agrégeant plus de 32 000 sources différentes de 200 pays.
Les experts en économie de notre équipe ont donc construit méthodiquement une équation de recherche complexe dans l’interface de Factiva, ayant pour but de ramener le plus de documents possible traitant de politiques économiques liées au changement climatique. L’équation de recherche finale contient près de 6 000 caractères. Elle se compose de 297 opérateurs OR, 7 opérateurs AND, 150 opérateurs de proximité NEAR, 19 troncatures, et 215 paires de guillemets pour chercher des expressions exactes. C’est une équation de recherche largement plus complexe que celle utilisée par Baker et al., ce qui reflète aussi le fait que les politiques environnementales et climatiques couvrent des domaines plus variés que la politique monétaire économique. Le tableau suivant donne une indication des concepts considérés comme pertinents.
Environment |
Policy |
Renewable Energy Generation |
Regulation |
Energy Storage |
Standards & Certification |
Energy Infrastructure & Efficiency |
Feed-in tariffs & premiums |
Transportation |
Taxes & Subsidies |
Water & Wastewater |
Emissions trading schemes |
Air & Environment |
International agreements |
Recycling & Waste |
Loan guarantees |
Clean Manufacturing |
Green & Climate bonds |
Concepts considérés pour l’élaboration la requête
Dans la dizaine de revues étudiées, cette équation ramène dans Factiva environ un million d’articles. Malheureusement, il nous est vite apparu que si l’interface de Factiva permettait à un humain de consulter et télécharger autant d’articles qu’il le voulait, elle l’interdisait techniquement à une machine. En fait, la licence du consortium interdit explicitement le text mining, et plus généralement toute lecture des articles par une machine. Ce genre de clauses peut être vu comme abusif, voire illégal ; toutefois, dans le cadre d’un projet, il est difficile d’entrer en confrontation avec une telle source de données. Nous sommes donc entrés en négociation avec Dow Jones pour une licence nous permettant de télécharger ce million d’articles et de les traiter avec du text mining.
Parallèlement aux négociations, nous avons décidé pour la première année du projet de télécharger les archives du New York Times, en libre accès, pour faire une première étude sur la classification d’articles. En juin 2018, nous avons donc téléchargé 2,6 millions de pages Web pour récupérer les archives du New York Times. 5% des pages n’ont pas pu être téléchargées à cause de dysfonctionnements techniques du côté de la revue. Le texte des articles a ensuite été extrait de ces pages Web.
Première sous-tâche : Filtrage par équation de recherche
Pour construire notre corpus intermédiaire, nous avons déployé un moteur de recherche dans les 2,6 millions d’articles du New York Times, en utilisant la solution open source Elasticsearch Lucene. Nous avons ensuite appliqué l’équation de recherche construite dans l’interface de Factiva. Les langages de requêtes n’étant pas parfaitement identiques (notamment pour l’opérateur de proximité NEAR qui est plus puissant dans l’interface de Factiva), nous avons dû légèrement modifier l’équation de recherche initiale. Nous verrons que cela aura une forte incidence sur le ratio de documents pertinents dans le corpus intermédiaire. Nous avons finalement obtenu notre corpus intermédiaire de 174 000 articles potentiellement pertinents.
Pour préparer la deuxième étape (élaboration du corpus final par classification automatique), nous avons étiqueté – c’est-à-dire jugé chaque élément comme pertinent ou non – un échantillon représentatif d’articles. En effet, les méthodes d’apprentissage automatique requièrent des données d’entraînement. Trois membres de l’équipe experts en économie ont donc parcouru un échantillon représentatif de 700 articles présents dans notre corpus intermédiaire. Sur ces 700 articles, 94 étaient pertinents. Ce ratio de 14% est très inférieur au ratio de 50% observé empiriquement dans les résultats de Factiva. Cette différence s’explique par la puissance de l’opérateur de proximité NEAR dans Factiva, qui peut être utilisé entre des expressions complexes, là où il ne peut être utilisé qu’entre deux termes simples dans le langage Lucene Elastisearch.
Prétraitement des articles
Avant d’être utilisés par le classifieur, les articles doivent être prétraités par des méthodes de fouille de texte. En effet, les algorithmes de classification reposent sur des méthodes statistiques, et prennent généralement en entrée des exemples décrits par des attributs qui ont des valeurs numériques ou catégorielles. Ce type de données structurées peut typiquement se représenter dans un tableau, où les attributs sont des colonnes et les exemples sont des lignes. Par exemple, pour des données médicales d’un dossier patient, des attributs peuvent être la tension artérielle ou le poids (des nombres), ou bien le sexe ou la présence de codes maladies (des catégories). L’algorithme va alors apprendre à établir des seuils et des liens entre chaque attribut pour inférer ses décisions.
De leur côté, les articles de revues sont du texte : par nature, ils ne peuvent pas être représentés tels quels dans un tableau. Pour avoir une représentation compatible, la première chose à faire est d’obtenir l’ensemble des mots apparaissant dans le corpus d’articles. Cet ensemble de mots est appelé le dictionnaire, et chaque mot du dictionnaire va devenir un attribut. Dans les 700 articles que nous avons étiquetés, il y a ainsi 38 300 mots différents, donc potentiellement 38 300 colonnes dans un tableau représentant nos données. Pour remplir les lignes, la représentation la plus simple consiste à donner, pour chaque article et chaque mot, la valeur 1 si le mot apparaît dans l’article, ou la valeur 0 dans le cas contraire. Une représentation plus évoluée, que nous nommerons « count » dans les résultats présentés, consiste à donner le nombre de fois où le mot apparaît dans l’article ; l’hypothèse sous-jacente est qu’un mot répété plusieurs fois dans un article a plus de chances d’être représentatif de l’article. Enfin, une représentation pondérée et habituellement utilisée en fouille de texte est « term frequency inverse document frequency » (tfidf). Cette pondération prend en compte la fréquence d’un mot dans un article (tf), mais aussi l’inverse de la fréquence du mot dans tout le corpus (df). L’hypothèse sous-jacente est ici que plus un mot est présent dans tout le corpus, moins il est représentatif d’un article.
Dans cette étude, nous avons considéré les représentations count et tfidf.
Deuxième sous-tâche : classification automatique
L’algorithme de classification que nous avons choisi pour cette sous-tâche est une Machine à Vecteurs de Supports (SVM). L’approche par SVM est largement répandue dans la classification automatique de documents, et obtient généralement de très bons résultats (Sun et al., 2009). Une SVM cherche des régularités dans des articles déjà étiquetés, et sélectionne des combinaisons de mots qui ont les plus grands pouvoirs de discrimination. C’est l’algorithme utilisé par Tobback et al.
Nous avons entraîné et évalué le classifieur avec le jeu de 700 articles étiquetés : 94 positifs (pertinents) et 606 négatifs (non pertinents), soit un ratio de 14%, comme dans le corpus intermédiaire obtenu avec Elasticsearch. Mais nous avons aussi construit un deuxième jeu de données avec un ratio de 50%, pour étudier les performances du classifieur dans le futur corpus intermédiaire obtenu avec Factiva : les 94 positifs, et 94 négatifs. Le classifieur a donc été évalué avec deux jeux de données présentant des ratios différents. Pour chaque jeu de données, nous avons constitué quatre sous-jeux de taille croissante, pour étudier comment les performances du classifieur évoluaient avec la taille des données d’entraînement. L’évaluation s’est faite selon la méthode de « leave one out crossvalidation ». Pour chaque article étiqueté, un classifieur est entraîné avec tous les autres ; ensuite, le classifieur est évalué sur sa capacité à prédire correctement la classe (pertinent ou non) de l’article retiré des données d’entraînement. Le classifieur est ainsi entraîné sur un maximum de données ; d’autre part, il est évalué sur tous les articles du jeu de données, ce qui maximise la significativité de l’évaluation. Des valeurs de précision et de rappel peuvent ainsi être calculées pour tous les jeux de données.
La figure suivante indique les performances du classifieur pour deux ratios d’articles pertinents (50% et 14%), en utilisant deux représentations de documents (count ou tfidf). Les valeurs reportées sont les F-mesures du classifieur ; la F-mesure est calculée en effectuant la moyenne harmonique de la précision et du rappel.
Concernant le jeu de données avec un ratio de 50% (courbes bleues), les courbes montrent un plafonnement rapide des performances. Une centaine d’articles étiquetés semble ici une quantité suffisante pour entraîner de manière optimale le classifieur. La différence entre les deux représentations (count et tfidf) apparaît comme minime. La meilleure F-mesure reportée est de 84%, ce qui est comparable à celle reportée par Tobback et al. (80%). Dans cette configuration, la précision du classifieur est de 80% et le rappel de 90%.
En revanche, concernant le jeu de données avec un ratio de 14% (courbes oranges), les courbes ne plafonnent pas encore. Ici, les articles positifs sont noyés dans le bruit, et obtenir une classification correcte est plus difficile, et demande plus de données d’entraînement. La différence entre les deux représentations est toujours minime, mais la représentation tfidf (marqueurs triangulaires) pourrait se montrer plus efficace avec plus de données. La meilleure F-mesure reportée est de 63%. Dans cette configuration, la précision du classifieur est de 83% mais le rappel seulement de 51%.
La figure suivante indique les mots les plus discriminants selon le classifieur, que ce soit pour prédire qu’un article est non-pertinent (en rouge) ou pertinent (en bleu). Les termes reportés sont majoritairement cohérents.
Enfin, pour interpréter les résultats, il est nécessaire de prendre en compte l’accord inter-annotateur. La pertinence d’un article est une notion subjective, qui dépend de l’expert jugeant l’article ; le même article peut ainsi être jugé comme pertinent ou non selon l’expert. Trois cents articles ont donc été jugés en parallèle par deux experts différents. Sur la totalité des 300 articles, les experts montrent un accord de 89%. Le calcul du kappa (mesure statistique pour mesurer l’accord inter-annotateur) donne une valeur de 0,63, ce qui est interprété comme un accord assez fort (Baeza-Yates et al., 2011). Ces valeurs sont à mettre en perspective avec les résultats du classifieur : si les experts s’accordent à 89% sur la pertinence d’un document, la performance du classifieur évalué sur leurs jugements ne peut théoriquement dépasser ce plafond. La F-mesure obtenue (84%) pour le jeu de données avec un ratio de 50% indique donc que le classifieur montre des performances assez proches de celles d’un expert humain, tout en étant bien sûr incomparablement plus rapide pour juger des milliers d’articles.
Corpus final
Nous avons entraîné un classifieur avec un échantillon de 700 articles, présentant un ratio de 14% d’articles positifs. Puis, nous l’avons appliqué sur un corpus intermédiaire de 174 000 articles potentiellement pertinents issus de la première sous-tâche (qui présente lui aussi un ratio de 14% d’articles pertinents). Nous avons ainsi généré le corpus final, qui ne contient plus que 15 000 articles. Ce corpus final affiche théoriquement une précision de 83%, mais un rappel de seulement 51% par rapport au corpus intermédiaire.
Le corpus final a été indexé dans un nouveau moteur de recherche Elasticsearch. Il est ainsi possible de faire des recherches dans le corpus final, comme le montre la figure suivante. Ici, une recherche est faite avec la requête « earth summit », qui ramène 195 articles. Les archives du site officiel du New York Times en comptent 438, mais on sait que le rappel de notre corpus final est d’environ 50%, et tous les articles du New York Times ne sont pas pertinents pour notre étude.
Il est aussi possible avec Elasticsearch de visualiser l’évolution du nombre d’articles mentionnant « earth summit », comme illustré dans la figure suivante. On observe ici un maximum pour 1992, année du sommet de la Terre à Rio, puis une diminution, hormis lors de pics en 1997 (année de signature du protocole de Kyoto déroulant de la conférence de Rio), 2002 (conférence de Johannesburg), 2012 (conférence de Rio+20) et 2015 (conférence de Paris).
Conclusion
Nous avons construit un corpus d’articles du New York Times relatifs aux politiques économiques liées au changement climatique, en enchaînant deux étapes : la construction d’une équation de recherche ramenant un maximum de documents potentiellement pertinents, et l’application d’un outil de classification automatique pour filtrer les résultats précédents. Pour un ratio de 50% d’articles pertinents issus de la première étape, une centaine d’articles étiquetés (en comparaison des 12 000 de Baker et al.) semble ici une quantité suffisante pour maximiser les performances du classifieur et obtenir un corpus final de qualité proche de celle obtenue par des experts humains. Dans la suite de l’étude, une fois obtenu de Factiva le million d’articles potentiellement pertinents issus d’une dizaine de revues, nous devrons ré-étiqueter de nouveaux articles pour entraîner et évaluer le classifieur avec les nouvelles revues.
Dans l’article de Baker et al., les auteurs écrivent qu’il est intéressant de noter que des archives de revues sont accessibles pour tous les pays du monde, et pour des dizaines d’années selon les pays. Ils clament que cette ubiquité, couplée avec les outils informatiques, offre des possibilités gigantesques d’approfondir notre compréhension des développements économiques, politiques et historiques, à travers des démarches scientifiques empiriques. Malheureusement, ces possibilités ne s’offrent que si les données sont accessibles aux chercheurs. Si cette accessibilité paraît encouragée par quelques revues, elle ne l’est clairement pas par les agrégateurs de contenu, qui différencient encore dans leurs licences d’utilisation l’utilisateur humain de l’utilisateur machine.
La fouille de texte n’est plus une discipline émergente, ni extérieure aux Sciences de l’Information ; c’est une discipline mature qui peut dès à présent être utilisée pour assister le spécialiste de recherche documentaire dans une tâche de construction de corpus ou de classification de documents, tout spécialement avec des masses d’informations importantes.
Bibliographie
Baeza-Yates, R., & Ribeiro, B. D. A. N. (2011). Evaluation in Information Retrieval. In Modern information retrieval. New York: ACM Press; Harlow, England: Addison-Wesley.
Baker, S. R., Bloom, N., & Davis, S. J. (2016). Measuring economic policy uncertainty. The Quarterly Journal of Economics, 131(4), 1593-1636.
Joachims, T. (1998). Text categorization with support vector machines: Learning with many relevant features. In European conference on machine learning (pp. 137-142). Springer, Berlin, Heidelberg.
Sun, A., Lim, E. P., & Liu, Y. (2009). On strategies for imbalanced text classification using SVM: A comparative study. Decision Support Systems, 48(1), 191-201.
Tobback, E., Naudts, H., Daelemans, W., de Fortuny, E. J., & Martens, D. (2016). Belgian economic policy uncertainty index: Improvement through text mining. International journal of forecasting.
Weiss, S. M., Indurkhya, N., & Zhang, T. (2015). Fundamentals of predictive text mining. Springer.
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