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Records Management
Technologies et normes archivistiques : La norme ISO 15489 sur le records management
Ressi — 31 août 2005
Daniel Ducharme, Archives Nationales, Québec
Résumé
Cet article succinct portera essentiellement sur la norme ISO 15489 sur le records management et ses conséquences sur la gestion des dossiers dans un environnement technologique. Après avoir présenté la norme ISO 15489, nous ferons un bref historique du records management en explicitant pourquoi l’adoption de normes, de politiques et de procédures pour la gestion des dossiers est devenue une nécessité incontournable en ce début du 21e siècle.
Technologies et normes archivistiques : La nome ISO 15489 sur le records management (1)
La norme ISO 15489
Issue d’un consensus obtenu au bout de plusieurs années de travaux en comité – travaux auxquels ont participé des archivistes du monde entier –, la norme ISO 15489 sur le records management est élaborée sous l’égide de l’Organisation internationale de normalisation (ISO) dans le but de servir de ligne directrice de bonne pratique professionnelle (Pelletier 2001, p. 81). Autrement dit, on a voulu faire de cette norme un code de best practice pour la gestion des dossiers. Elle est adoptée au cours de l’automne 2001. Bien qu’elle soit rapidement entérinée par le Conseil d’administration de l’Association des archivistes du Québec, elle ne suscite pas beaucoup d’enthousiasme au Québec et au Canada.
Cependant ce n’est pas le cas en France et, plus largement, en Europe continentale, où la diffusion de sa version française en avril 2002 a l’effet d’une petite bombe dans le milieu de la documentation et des archives. En effet, depuis l’annonce de la diffusion de cette norme, les publications se succèdent à un rythme sans précédent, et plusieurs formations continues sont organisées, qui par la Direction des Archives de France, qui par l’Association des archivistes français, qui par l’Association des archivistes suisses, et même par des regroupements privés. Des manuels en français (Drouhet 2000) sont publiés, et d’autres, traduits de l’anglais (Hare et McLeod 2003), font l’objet d’un tapage promotionnel assez important.
Aux yeux des Européens, il est temps de se mettre au records management… Pour eux, il s’agit d’une résurgence qu’a mis l’ordre du jour la diffusion de la norme ISO 15489 au début des années 2000.
Si l’adoption de cette norme a suscité un véritable engouement dans les milieux documentaires européens, le milieu archivistique québécois s’avère beaucoup moins touché par ce phénomène. Cela s’explique sans doute par le fait que les archivistes québécois, en dépit de quelques querelles de vocabulaire (mais nous adorons les débats linguistiques au Québec), intègrent l’archivistique et le records management dans leur pratique depuis plus de trente ans déjà alors que, en Europe continentale, la gestion documentaire est laissé aux mains des documentalistes.
La norme ISO 15489 porte spécifiquement sur le records management, et non sur les systèmes de gestion des archives comme l’auraient souhaité les archivistes australiens (Pelletier 2001, p. 82). En cela très originaux, les membres du comité du CIA « Archives courantes et intermédiaires » ont décidé de traduire « records management » par records management… et non par « gestion des documents » ou par « gestion des archives courantes et intermédiaires », comme l’auraient sans doute voulu certains archivistes québécois, voire quelques archivistes suisses puisque les Archives fédérales adoptent le terme « gestion des documents » dans ses publications de large diffusion (Eicher 2000).
En fait, le principal problème que soulève l'adoption du terme « records management » par la norme ISO 15489 (2001a) pour désigner la gestion des archives courantes et intermédiaires, ou si l’on préfère, la gestion des documents, n’est pas d’ordre linguistique, mais plutôt disciplinaire : elle laisse supposer que le records management (RM) est une discipline « nouvelle » et distincte de l'archivistique.
Or le RM est pratiqué depuis de nombreuses années dans les organisations, y compris dans la francophonie. On peut même, si l’on en a envie, faire remonter ses origines à la naissance de la civilisation occidentale. Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter aux « considérations historiques » de Jean-Yves Rousseau et de Carol Couture (1994) au début des Principes fondamentaux de la discipline archivistique. On peut aussi consulter l’étude de Luciana Duranti (1989) sur les origines de la gestion des documents intitulé : « The Odyssey of the Records Manager ». Quant au retrait du RM de l’archivistique, il s’agit sans doute d’une évidence dans les pays anglo-saxons où les concepts de records et d’archives recouvrent deux réalités différentes, mais ce n’est pas le cas dans le monde francophone où la plupart des législations nationales sur les archives insistent sur le fait que la définition du mot « archives » englobe la notion de « records ».
A titre d’exemple, citons la Loi sur les archives du Québec qui définit les archives comme « l’ensemble des documents, quelle que soit leur date ou leur nature, produits ou reçus par une personne ou un organisme pour ses besoins ou l’exercice de ses activités et conservés pour leur valeur d’information générale. » Même chose pour la loi française de 1979 qui stipule que « les archives sont l’ensemble des documents, quels que soient leur date […], produits ou reçus par toute personne physique ou morale […], dans l’exercice de leur activité ».
Cela dit, nous n’en sommes pas à une contradiction près : plusieurs de nos institutions disposent de service de gestion des documents et des archives et, par le fait même, marquent cette distinction... pourtant inexistante dans la législation!
La gestion des dossiers dans les organisations : 1950-2000
Avant les années 1960, le records management est souvent associé aux régimes autoritaires, voire aux États totalitaires. En effet, ceux-ci imposent des procédures de gestion des dossiers qui sont souvent perçues par le personnel comme des mesures de contrôle. C’est le cas notamment en Allemagne et en Suisse alémanique où les procédures de registratur sont appliquées dans la plupart des administrations publiques.
Pour illustrer mon propos, je vous ferai part d’une expérience. Au début des années 1990, j’ai eu l’immense privilège d’exercer ma profession dans une ancienne colonie du Portugal – le Cap-Vert. En traitant les fonds de l’ancienne administration portugaise, mes collègues et moi avons découvert des plans de classification fort précis. Dans la plupart des cas, ces plans étaient accompagnés de directives très claires sur la gestion des dossiers, et ce bien avant les années 1950. Des sanctions étaient même prévues pour les fonctionnaires qui ne respectaient pas les procédures mises en place par l’administration de l’Empire portugais. Il s’agissait donc de records management bien avant que cette pratique ait été prétendument inventée par les Américains au tournant de la Deuxième guerre mondiale…
Dans années 1960, sans doute en réaction à ces mesures autoritaires, on a progressivement abandonné la gestion systématique des dossiers. D’aucuns estiment alors que l'introduction massive des photocopieurs dans les organisations ne rend plus nécessaire l'élaboration et la mise en œuvre de politiques et de procédures de gestion de l'information archivistique. Par ailleurs, l’effet désastreux des photocopieurs dans la constitution des dossiers et, surtout, dans l’accroissement exponentiel des documents, est signalé avec justesse par Marianne Chabin (1999, p. 80-82).
Cette tendance se renforce dans les années 1980 alors que l'ordinateur est devenu un outil de travail quotidien qui permet de créer et de diffuser des documents avec une rapidité et une facilité inconnues jusqu'alors. Cela occasionne une désorganisation assez spectaculaire de l'information archivistique... au point que d'aucuns jugent cette période comme étant une des plus catastrophiques de l'histoire contemporaine pour la sauvegarde du patrimoine archivistique des organisations.
En l'an 2000, les technologies bercent nos vies tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel. Cependant, elles nous obligent à revenir aux années 1950, en ce sens qu’elles rendent nécessaire le recours à des procédures de contrôle. En effet, dans un environnement technologique, seule l'introduction de normes, de politiques et de procédures permet aux documents générés par les organisations :
- d’assurer la continuité de leur gestion
- de satisfaire les exigences de leur environnement réglementaire
- d’assumer leurs responsabilités.
Pourquoi avons-nous besoin de normes pour gérer les dossiers ?
Voici la question qui est au cœur de mon propos. En effet, pourquoi des normes ? Tout simplement parce que seul un haut degré de normalisation permet aux systèmes de gestion des dossiers mis en œuvre dans les organisations d’être fiable, intègre, conforme et systématique, quatre caractéristiques que devrait posséder tout système de gestion des dossiers. Ces caractéristiques représentent en fait les quatre exigences archivistiques, et c’est justement ce respect de ces exigences que les normes rendent possible.
Passons rapidement en revue ces exigences.
Fiabilité. Une gestion des dossiers réputée « fiable » devrait être en mesure de constituer la première source d’information sur les activités de l’organisation. Pour cela, elle doit :
- permettre l’intégration, la classification et l’identification immédiate de l’ensemble des documents produits ou reçus par l’organisation dans le cours de ses activités ainsi que de leurs métadonnées.
- protéger les documents et leurs métadonnées contre toute modification ou élimination abusive.
Intégrité. Une gestion des dossiers considérée comme « intègre » devrait être en mesure :
- d’assurer la protection des documents essentiels à la bonne marche et à la survie de l’organisation en cas de sinistre.
- de contrôler la circulation et l’accès aux documents.
Pour assurer la sécurité des documents essentiels, il est nécessaire de les identifier puis d’élaborer un plan d’urgence en fonction de l’évaluation des risques encourus (inondation, incendie, vol, etc.) et des coûts liés à la perte de ces documents et aux éventuelles possibilités de les recréer. Les mesures de contrôle sont, quant à elles, censées parer aux risques liés à la perte, au déplacement inapproprié et à toute modification abusive des documents d’archives et de leurs métadonnées.
Conformité. Une gestion des dossiers « conforme » devrait respecter l’environnement réglementaire – interne et externe – dans lequel évolue l’organisation. Il s’agit donc de prendre en compte :
- les exigences mises en exergue par les règlements, les politiques et les procédures en vigueur au sein de l’organisation.
- l’ensemble des textes législatifs, émis tant par le fédéral, le provincial et le municipal, qui affectent directement ou indirectement la gestion des dossiers dans l’organisation (législation sur les archives, sur la transparence administrative, sur la protection des données à caractère personnel mais aussi sur le personnel, la santé et la sécurité, etc.)
Systématisation. Une gestion des dossiers « systématique » devrait assurer le traitement complet des documents dès leur création ou leur réception par l’organisation. Cette opération comprend :
- l’identification du document ;
- l’intégration du document dans le dossier auquel il réfère ; la détermination du délai de conservation et du sort final du dossier (élimination, conservation ou tri) ;
- la localisation du dossier au stade courant, intermédiaire et, le cas échéant, définitif (bureau, dépôt d’archives intermédiaires, institution cantonale d’archives).
Conclusion
Dans les années 1950, la gestion de l'information archivistique était associée au totalitarisme alors qu'aujourd'hui on l'associe volontiers à la transparence administrative et à la démocratie. Cela n'est pas si étrange... car le contrôle des technologies par les citoyens constitue une exigence démocratique, et seule l'introduction de normes dans notre gestion peut nous permettre de rencontrer cette autre exigence.
Quant à la norme ISO 15489 sur le records management, les compromis de toutes sortes qu’a exigé son élaboration ont considérablement nui à sa portée réelle dans les milieux documentaires du Québec. À notre avis, la voie australienne du records keeping system s’avérait beaucoup plus adaptée au changement de paradigme que notre profession est en train de vivre. En fait, elle seule nous rappelle la réalité du quotidien : les technologies de l’information et des communications nous obligent à gérer des « archives », et non des documents ou des archives historiques, car la réunion des expertises du records manager, de l’archiviste, du manager et de l’informaticien est indispensable à la gestion des dossiers dans les organisations au 21e siècle
Notes
(1) Ce texte est une version remaniée d’une conférence faite le 28 mai 2004 dans le cadre du 33e congrès de l’Association des archivistes du Québec – « Changement de paradigme en gestion de l’information : Impacts sur nos façons de faire » (Sainte-Adèle, 27-29 mai 2004).
Chabin, Marie-Anne (1999). Je pense donc j’archive : L’archive dans la société de l’information. Paris : L’Harmattan.
Drouhet, Geneviève, Keslassy, Georges, et Elisabeth Morineau (2000). Records management: mode d’emploi. Paris, ADBS Editions (Sciences de l’information : Etudes et techniques).
Duranti, Luciana (1989). « The odissey of records manager », Records Management Quarterly. 23, p. 3-11
Eicher, André (2000). Prescriptions pour organiser la gestion des documents, Berne, Archives fédérales suisses.
Hare, Catherine et Julie McLeod (2003). Mettre en place le records management dans son organisation : Guide pratique / trad. Geoffrey Hare, Paris, Archimag, 47 p.
ISO 15489 (2001a). Norme internationale: Information et documentation – « Records management ». Partie 1 : Principes directeurs, [Genève], ISO.
ISO 15489 (2001b). Rapport technique: Information et documentation – « Records management ». Partie 2 : Guide pratique, [Genève], ISO.
Loi n° 79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives. Adresse URL : http://www.cnrs.fr/Archives/archives/lois/loi1979.html. Page consultée le 18 février 2003.
Loi sur les archives (1983), in Site de l’Éditeur officiel du Québec. Adresse URL : http://www.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/home.php. Page consultée le 21 mai 2004.
Pelletier, Johanne (2001). « Normalisation internationale : l’émergence des normes sur la gestion des documents », in : Pour que survive la mémoire vive… 29e congrès de l’ Association des archivistes du Québec, Montréal, 1-3 juin 2000. Québec : AAQ, p. 81-89
Rousseau, Jean-Yves, Carol Couture et al. (1994). Les fondements de la discipline archivistique, Québec, Presses de l’Université du Québec.
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