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La gouvernance des documents électroniques dans l’administration cantonale genevoise : genèse et mise en œuvre
Ressi — 18 décembre 2013
Anouk Dunant Gonzenbach, Archives d'État de Genève
Résumé
Les ressources documentaires d’une institution permettent sa bonne gouvernance. Les documents papier sont adéquatement gérés et conservés dans l’administration cantonale genevoise, mais les processus de travail changent profondément : les projets de cyberadministration se multiplient et les documents électroniques sont de plus en plus utilisés dans les transactions. Il était donc nécessaire de poser le cadre général d’une bonne gestion des documents électroniques au sein de l’Etat. Première synthèse de ce projet que nous poursuivons, cet article en expose la genèse et les principales étapes. Il présente le document Politique de gouvernance des documents électroniques dans l'administration genevoise, fruit de la collaboration entre les Archives d’Etat de Genève et la Direction générale des systèmes informatiques de l'Etat ainsi que les grands axes de la gestion des documents électroniques définis par cette Politique. Il fait également le point sur les questions relatives à la valeur probante du document électronique.
La gouvernance des documents électroniques dans l’administration cantonale genevoise : genèse et mise en œuvre
Le patrimoine informationnel d'une institution confirme les droits des personnes physiques ou morales, répond aux obligations légales, renseigne sur des questions essentielles, permet la prise de décision et appuie la réflexion et l'analyse. En bref, il permet une bonne gouvernance de l'Etat. Dans l’administration genevoise, les documents sous forme papier sont adéquatement traités, classés et conservés grâce aux outils de gestion de l'information mis en place par les archivistes de département et les Archives d'Etat.
Mais aujourd'hui, les processus de travail ont changé: les documents papier deviennent électroniques et ne sont plus systématiquement imprimés. Ils sont classés dans des systèmes de gestion électronique de documents (GED), des arborescences ou des systèmes d’information métier et conservés sur les serveurs de l'Etat. Néanmoins, l'administration doit pouvoir retrouver facilement ces documents et les traiter tout en garantissant leur authenticité pendant tout leur cycle de vie. La protection des données personnelles et la sécurité de l'information doivent également être assurées. Comment répondre à ces nouveaux défis? C'est le sujet de cet article, qui est une première synthèse de ce projet que nous continuons de poursuivre. Il présentera tout d'abord les Archives d'Etat de Genève, leur implication dans le projet de gestion des documents électroniques et enfin la politique de gouvernance des documents électroniques de l'administration cantonale.
1. Les Archives d'Etat de Genève
Les Archives d'Etat de Genève, institution d'archives cantonales, ont pour mission de veiller à la constitution, à la gestion et à la conservation des archives publiques dans leur ensemble et plus particulièrement à celles des archives historiques, et de les mettre à la disposition du public (chercheurs, généalogistes, journalistes, historiens, étudiants, politiques, etc.).
Au sein de leurs trois dépôts principaux, dont le principal est l'Ancien Arsenal, en face de l'hôtel de Ville, les Archives d'Etat conservent, du plus ancien au plus récent: les archives du Moyen Age provenant de l'époque précédant la Réforme, où les seigneuries exerçaient le pouvoir aussi bien temporel que spirituel dans la ville et dans ses possessions de la campagne, les mandements; les archives de l'ancienne République de Genève, depuis 1536 jusqu'en 1798; les archives de l'époque du Département du Léman, de 1798 à 1813 et enfin les archives du canton de Genève, dès 1814, issues des trois pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire. A cela s'ajoutent les documents de provenance privée, soit des archives de familles, de sociétés, d'associations ou d'entreprises.
Ces documents représentent un volume d'environ 29 km linéaires, depuis le plus ancien, daté de 913 jusqu'à aujourd'hui. Les Archives sont ouvertes gratuitement au public.
Une bibliothèque consultative abondamment fournie en ouvrages sur l’histoire de Genève et l'histoire régionale permet de faciliter les recherches et complète l’offre documentaire, avec comme autre point fort l'histoire de la Réforme.
2. La problématique des archives nées numériques
La transition vers le numérique est désormais effectuée. Aujourd'hui, l'information est créée, enregistrée et transmise électroniquement; les formats numériques remplacent les supports traditionnels tels que le papier. Or la conservation de l'information sous forme numérique est beaucoup plus complexe que la conservation sous forme papier ou microfilm. Les documents électroniques ont une grande vulnérabilité au temps et ont pour caractéristique les formats et supports les moins durables de l'histoire. Un cd par exemple a une durée de vie d’une dizaine d’années. On peut affirmer aujourd’hui qu'un objet numérique créé sans précautions particulières ne pourra plus être lu d'ici une quinzaine d'années.
La mission des Archives d'Etat, elle, n'a pas changé: les documents électroniques qui ont une valeur juridique, patrimoniale, économique ou historique doivent être conservés sur le très long terme. C’est un défi que doivent relever les Archives d’Etat, à l’instar de toutes les institutions d’archives. C’est ainsi qu’est né le projet Gal@tae.
3. Le projet Gal@atae d'archivage à long terme des documents électroniques
Les Archives d'Etat ont mené entre 2011 et 2013 un projet pilote d'archivage électronique à très long terme, nommé Gal@tae (Genève : archivage à long terme d’archives électroniques). L'objectif de ce projet était de mettre en place tous les éléments permettant un archivage électronique pérenne des documents, de la création dans un système d’information métier de paquets de données électroniques à archiver au dépôt sur la plate-forme de pérennisation des Archives fédérales suisses, en passant par les étapes de transfert et de contrôle de qualité aux Archives d’Etat. Ce projet pilote a permis de développer les compétences en matière d'archivage électronique pour les Archives d'Etat et les informaticiens, de mettre en place les procédures et processus permettant d'assurer cet archivage pérenne et de tester la solution technique. Il s'est conclu avec succès et la prochaine étape est la mise en production de la solution(1).
4. De l'archivage électronique à long terme à la gouvernance des documents
L'objectif de l'archivage à long terme des documents électroniques a été défini par l'ensemble des institutions d'archives suisses faisant partie du Centre de coordination pour l'archivage à long terme des documents électroniques (CECO): il s’agit de "[…] faire en sorte que les documents électroniques restent durablement compréhensibles et que leur authenticité, leur intégrité et leur accessibilité soient garanties"(2). Pour recevoir de la part de l'administration des documents et données électroniques archivables, c’est-à-dire intègres, authentiques, fiables et exploitables, intervenir en amont de la production documentaire est indispensable. En effet, il est important de s’assurer que les éléments nécessaires à la prise en charge du cycle de vie du document lors des étapes postérieures (de sa création à son archivage définitif en passant par sa modification et sa validation) sont pris en compte et complétés à chacune de ces interventions. Le rattrapage a posteriori s’avère lourd, parfois impossible. Le suivi de ces exigences tout au long du cycle de vie du document en facilitera grandement l’archivage définitif. Ce projet a donc mis en évidence l'importance de gérer correctement les documents et données électroniques dès leur création et de réfléchir au cycle de vie des documents dès la mise en place d’un nouveau système d'information.
Ainsi le projet d’archivage à très long terme des Archives d'Etat, prévu dans un but patrimonial et de recherche avec le souci d'assurer la conservation des sources électroniques pour l'avenir, a fait aborder l'angle du gestionnaire : comment l'Etat doit-il traiter ses données électroniques? Le document électronique, qu'il soit archivé ou non à la fin de son cycle de vie, doit être géré et conservé correctement pendant sa durée de vie dans l'administration. Les problématiques se recoupent en effet pour le moyen et le long terme: l'intégrité, l'authenticité, la gestion des droits d'accès, etc.
Les Archives d'Etat de Genève ont ainsi fait le choix de s'impliquer tout au long du cycle de vie du document, de la création des systèmes d'information à l'archivage des documents électroniques.
Genèse du projet
Pour mener à bien le projet d'archivage électronique Gal@tae, les Archives d'Etat ont décidé de travailler avec des groupes ayant des compétences et des responsabilités en matière de systèmes d'information. Elles ont ainsi fait valider chacune des étapes de leur projet par le Collège spécialisé des systèmes d'information, un organe de haut niveau réunissant les directeurs informatiques de chaque département, présidé par le directeur de la Direction générale des systèmes d'information de l’Etat (DGSI). Lorsque ce collège a mandaté un groupe de travail pour réfléchir aux questions liées à la GED dans l'administration, il l'a placé assez naturellement sous la présidence de l'archiviste d'Etat au vu des travaux précédents. Ce groupe de travail, composé d'archivistes et d'informaticiens, a reçu un cahier des charges dont l’un des objectifs initiaux était de réfléchir à un nouvel outil de GED. Il lui est cependant vite apparu qu'avant de fournir des solutions et des réponses techniques, il était indispensable d'établir un cadre général pour la gestion des documents électroniques au sein de l'administration cantonale.
5. La politique de gouvernance des documents électroniques
C'est ainsi qu'a été rédigée la politique de Bonne gouvernance des documents électroniques au sein de l'administration. Nous avons souhaité avoir la garantie que ce document soit conforme aux pratiques professionnelles en vigueur, c'est pourquoi nous l'avons soumis au comité Records Management de l'Association eCH, au comité Records Management de l'Association des archivistes suisses ainsi qu’au Centre suisse de coordination pour l'archivage à long terme des documents électroniques. Ces trois instances ont reconnu la conformité de ce document, qui a été validé en février 2013 par le Collège spécialisé des systèmes d'information. Depuis lors, l'administration cantonale est dotée d'une politique de gouvernance des documents électroniques.
Ce document définit tout d’abord plusieurs termes. En effet, le vocabulaire dans le domaine des systèmes et applications de gestion des documents électroniques est encore volatile et les prestataires de service et de solutions n'utilisent pas forcément les mêmes définitions que les professionnels en science de l'information ou les juristes. Ainsi en est-il du mot "archivage", utilisé couramment dans le domaine informatique pour signifier une durée de vie d'une dizaine d'années ou du mot « copie » qui n’a pas le même sens pour un juriste ou un informaticien.
La Gouvernance des documents électroniques a pour but d'exposer les objectifs d'une bonne gestion des documents électroniques pendant leur durée de vie administrative et légale (autrement dit de leur création à leur sort final, qui est la conservation ou l'élimination définitive). Elle vise également à démontrer les avantages liés à de bonnes pratiques ainsi que les risques encourus si celles-ci ne sont pas appliquées. Ce document présente le cadre légal et normatif ainsi que les éléments fondamentaux en matière de gestion des documents électroniques et en décrit le processus général. Nous allons détailler ces points ci-dessous. Il est également important de préciser que les exigences fonctionnelles et les directives techniques sont exclues du document mais en constituent des annexes, et que le texte ne se réfère pas à un outil existant.
Les objectifs sont formulés de la manière suivante:
- rendre l'administration plus performante
- faciliter le travail des collaborateurs
- garantir la valeur légale des documents qui le nécessitent
- répondre aux exigences légales.
Le cadre légal
Le cadre légal en matière de document numérique provient de différentes sources : le droit fédéral, le droit cantonal (dont la loi sur la protection des données) et les lois et règlements spécifiques aux métiers. Pour ce qui est de la valeur légale -ou probante- du document électronique, on se réfère aujourd'hui au code civil suisse, essentiellement aux articles 130 et 177 (accessoirement 139 et 143) qui définissent qu’un document électronique est recevable à titre de preuve. Ainsi, de facto, le document électronique possède la même valeur probante qu’un document papier. Dans l’Ordonnance concernant la tenue et la conservation des livres de comptes (OLICO), le législateur a consacré au niveau fédéral la valeur légale du document électronique, pour autant que certaines conditions soient remplies. Il faut retenir parmi ces conditions, et nous y reviendrons, l'importance de la documentation des processus, l'authenticité, la fiabilité et l'intégrité du document électronique.
Le cadre normatif
Il existe plusieurs normes relatives à la gestion des documents électroniques, dont trois sont essentielles: la norme ISO 15489 de records management, le recueil d’exigences MoReQ (Modular Requirements for Records Systems) spécifiant les exigences fonctionnelles pour un système d’archivage électronique à valeur probante et enfin la norme ISO 14641 sur l'archivage électronique, entendu ici comme archivage pendant la durée de vie légale d'un document. Les standards eCH en matière de cyberadministration suisse doivent également être pris en compte. Ces normes et standards sont brièvement exposés dans le document et détaillés dans une annexe.
Le processus général
La garantie de l'authenticité d'un document repose plus sur la qualité des procédures et processus mis en place, autrement dit de l'organisationnel, que sur l'outil technique. Il faut ainsi prévoir les processus dès le départ et éviter la tentation de choisir un outil et de se reposer entièrement sur lui. Il est néanmoins nécessaire de préciser que tous les documents n’ont pas la même portée. Ils ne relèvent donc pas tous des mêmes exigences légales et, par conséquent, des mêmes obligations en matière de conservation. Un travail d'analyse préalable pour chaque série de documents est indispensable.
Le processus général, qui doit être adapté à chaque besoin métier, peut de manière simplifiée se schématiser ainsi: le service produit et reçoit numériquement des documents électroniques ou dématérialise des dossiers papier. A la création du document, des métadonnées (dont la durée d'utilisation administrative et légale et le sort final) sont associées à ce document électronique; cette opération est généralement automatisée. A sa validation (stade définitif d'élaboration), le document est nommé correctement et son format transformé en un format d'archivage. S'il faut conserver à ce document sa valeur probante, il est alors transféré dans un coffre-fort électronique. Au terme de sa durée d'utilité administrative et légale, le document est soit détruit, soit versé aux Archives d'Etat, selon le sort final qui lui a été attribué.
6. Les clés d'une bonne gestion des documents électroniques
Notre document met en exergue les clés d'une bonne gestion des documents électroniques. Chaque point fait l'objet d'une directive, qui constitue une annexe.
Le calendrier de conservation
Le calendrier de conservation est un outil essentiel pour gérer le cycle de vie des documents. Il s'agit fondamentalement d'une liste déterminant pour chaque série de documents une durée de conservation et un sort final (destruction ou versement aux archives définitives). En déterminant ces deux éléments, le calendrier permet de libérer de la place dans les espaces de stockage et de répondre aux exigences de la Loi sur l'information du public, l'accès aux documents et la protection des données personnelles (LIPAD, A 2 08), qui requiert que les documents contenant des données personnelles sensibles soient détruits au terme de leur durée d'utilité légale.
Les métadonnées
Les Archives d'Etat et le secteur Environnement documentaire et collaboratif de la DGSI ont élaboré une liste de métadonnées résultant des besoins liés à la bonne gestion des documents électroniques dans l'administration et de ceux liés à l'archivage électronique à long terme. Cette liste comporte un jeu de vingt-neuf métadonnées dont huit sont obligatoires (parmi elles, la durée de conservation et le sort final); elle offre parallèlement la possibilité d'ajouter des métadonnées supplémentaires pour les besoins métier particuliers. Ces métadonnées sont conformes aux normes de Records Management et le format de date exigé répond à la norme ISO 8601. Ce "recueil de métadonnées Etat de Genève" est en vigueur depuis le mois d'octobre 2011; depuis lors, il est utilisé lors de tout nouveau projet de GED.
Les formats
La question des formats est critique, car elle constitue un point particulièrement difficile à résoudre dans la perspective de la conservation à moyen et à long terme de l'information. Les évolutions techniques sont si rapides qu'il est difficile de présager la solution qu'il faudra adopter. C'est pourquoi il est raisonnable de conserver les données dans des formats répondant à des critères définis. Les documents numériques doivent être enregistrés dans des formats les plus pérennes possibles dès leur production; ils seront ensuite au besoin migrés régulièrement. Les Archives d'Etat ont produit une liste de formats de fichiers adaptés à l'archivage électronique à moyen et long terme. Le nombre de formats acceptés est restreint. En effet, un petit nombre de formats soigneusement sélectionnés et contrôlables garantit de manière plus sûre leur lisibilité sur le long terme qu'une grande quantité de formats dont l'entretien sera complexe et onéreux. Les formats choisis dans notre liste correspondent principalement aux critères d'ouverture et d'indépendance. Un format ouvert doit avoir une documentation complète et accessible à tous. C'est à partir de cette documentation qu'il sera possible d'écrire un programme pour lire les données ou les convertir vers un autre format.
Le nommage des fichiers et des répertoires
Les contraintes d'ordre technique ainsi que l'utilisation d'arborescences informatiques communes ont permis de montrer les enjeux liés au choix du nom de dossier et de fichier. Des règles de nommage précises sont nécessaires pour repérer et identifier plus facilement les documents recherchés, éviter les problèmes lors de transfert et de partage et permettre leur conservation à moyen et long terme. Un nom doit être unique et significatif. Des règles doivent donc s'appliquer pour permettre à un document d'être reconnu dans les différents environnements existants et d'être identifiable (ce qui signifie qu'il n'est pas nécessaire d'ouvrir un document pour savoir de quoi il s'agit).
Nous avons alors établi une liste de règles et de recommandations découlant des objectifs suivants: garantir l'accessibilité du document, éviter les problèmes techniques, faciliter la recherche et assurer une bonne gestion des documents. Par exemple: éviter les caractères spéciaux, ne pas utiliser de mots vides comme "le, la, une", ne pas utiliser les signes diacritiques, choisir un nom court et significatif, etc.
Nous avons également produit une typologie des séries des principaux documents de l'administration genevoise en proposant une abréviation pour chacune (A pour "arrêté", AP pour « avant-projet », etc.).
La liste des recommandations peut être adaptée, et chaque département est libre de préconiser ses propres pratiques dans ce cadre.
Il faut relever ici que la validation de cette liste de règles et de recommandations par le Collège des directeurs informatiques a soulevé certaines réticences, notamment lorsqu'il s'est agi d'imposer le format de dates ISO (AAAAMMJJ ou AAAA_MM_JJ). Cette question touche des pratiques quotidiennes qu'il n'est pas facile de modifier ou de faire évoluer.
Le coffre-fort électronique
Le coffre-fort électronique est la seule façon d’assurer l’authenticité, la fiabilité et l'intégrité du document électronique, et donc sa valeur probante.
On entend par :
- authenticité : il peut être prouvé que le document est bien ce qu’il prétend être, qu’il a bien été créé ou envoyé par la personne qui l’a créé ou envoyé et qu’il a bien été créé ou envoyé à la date indiquée
- fiabilité : le document est bien la représentation complète et fidèle de l’opération ou des opérations qu’il atteste (traçabilité)
- intégrité : le document est complet, non altéré et protégé contre toute modification non autorisée ; il n’est pas modifié sans qu’on puisse le constater.
Tous les documents ne nécessitent pas de telles conditions de sécurité, c’est pourquoi l'évaluation des séries documentaires est indispensable. Il est important de bien comprendre ici la différence entre un système d'information métier ou une GED et coffre-fort électronique:
Un système d'information métier / une GED:
- permet la modification des documents, la production et la gestion de plusieurs versions
- permet des mises à jour constantes (données non figées)
- peut permettre la destruction des documents
- peut comprendre un contrôle des durées de conservation
- peut comprendre une structure organisée de stockage, sous le contrôle des utilisateurs
- est a priori dédié à la gestion quotidienne des documents pour la conduite des affaires
- ne garantit pas la valeur probatoire des documents.
Un coffre-fort électronique:
- interdit la modification des documents une fois ceux-ci validés
- contient des données figées
- interdit la destruction des documents
- comprend obligatoirement un contrôle rigoureux des durées de conservation
- comprend obligatoirement une structure rigoureuse de classement (plan de classement) gérée et contrôlée par l'administrateur
- garantit l'authenticité des documents et leur traçabilité.
Les fonctionnalités que doit couvrir un coffre-fort électronique sont décrites dans la norme ISO 14641-1.
Dématérialisation, chaîne de numérisation et mise en GED
Les processus de dématérialisation des documents et leur mise en GED doivent être documentés pour éviter tout conflit ultérieur et toutes les opérations doivent être tracées. Il est ainsi nécessaire de rédiger des procédures et protocoles couvrant toute la chaîne de numérisation afin de s'assurer que les dossiers sont intégralement numérisés et que le processus de numérisation est fiable dans son entier. Cette documentation doit être rassemblée au même endroit et tenue à jour.
Analyse des risques liés au document électronique et à sa sécurité
Les aléas auxquels sont exposés l'information et les systèmes de gestion des documents sont particulièrement nombreux. Afin de définir précisément ces risques, d'identifier leurs causes et de proposer des actions visant à les contrer ou à les limiter, nous avons établi, en collaboration avec le contrôle interne du département de la sécurité, une cartographie des risques liés au document électronique à tous les stades de son cycle de vie. Ces risques relèvent notamment des atteintes potentielles à la confidentialité, à l'intégrité, à la disponibilité et à l'authenticité des documents et données et cette cartographie met en évidence les enjeux financiers, légaux et d'image liés à ces risques.
7. La question de la valeur probante des documents électroniques
Une question récurrente se pose désormais pour la plupart des projets de gestion des documents : « mon service souhaite dématérialiser les processus et les documents et numériser les dossiers papier. Pouvons-nous ensuite détruire les documents papier pour gagner de la place ? » A ce stade, ni les Archives d’Etat ni la DGSI ne pouvaient répondre à cette question, qui sous-entend celle de la valeur probante des documents numérisés et nés-numériques. C’est pourquoi la DGSI a mandaté une société externe pour obtenir une évaluation de l’existant, en lui donnant la mission de valider la conformité des processus et procédures générales et des outils mis en place par rapport aux exigences légales et normatives en matière de numérisation et d’archivage électronique à valeur probante et, si nécessaire, de recommander les évolutions fonctionnelles, techniques et organisationnelles à mettre en œuvre.
Cette étude a permis de mettre en évidence que la plate-forme de dématérialisation et de GED de l’administration offre en standard une couverture fonctionnelle très complète qui répond parfaitement aux besoins métiers mais s’avère insuffisante pour garantir la valeur probante des documents à forte valeur légale. En effet, cette valeur probante ne peut être assurée en l’état que par l’utilisation d’une fonction de « coffre-fort électronique ». La conclusion de cette étude rappelle également l’importance de documenter les procédures et processus et de conserver soigneusement cette documentation, que ce soit la documentation technique ou les processus et la documentation métier.
Les résultats de cette étude, rendus en septembre 2013, ne sont au final que peu surprenants et confirment les besoins mis en évidence dans la Bonne gouvernance des documents électroniques. Il s’agit maintenant de mettre en œuvre ses recommandations afin de pouvoir garantir un archivage à valeur probante dans l’administration genevoise.
Il est nécessaire de relever à nouveau que ce niveau de sécurité n’est pas nécessaire pour toutes les séries documentaires produites et qu’il est donc important d’évaluer pour chacune s’il est nécessaire ou non de mettre en place de telles mesures.
8. Communication liée au projet de gouvernance des documents électroniques
Tout au long du projet, nous avons informé les différents intervenants des nouveaux documents mis à disposition (recueil de métadonnées, catalogue des formats d’archivage, etc.). Des séances ont eu lieu avec les chefs de projets de la DGSI. La problématique a fait l’objet de présentations devant divers publics : forum des archivistes genevois, Centre suisse de coordination de l’archivage (CECO), Groupe de coordination de l’archivage, Commission consultative LArch-LIPAD.
Retours sur les documents produits
Au fil des réunions et des échanges avec les chefs de projets, il ressort que ces derniers sont satisfaits de disposer des documents relatifs à la gestion des documents électroniques. Le recueil de métadonnées, par exemple, répondait à un besoin avéré et évite aux chefs de projets de se poser les mêmes questions lors de chaque projet et de chaque fois réinventer la roue.
Check-list relative à la gestion des documents électroniques
Pour simplifier le travail des chefs de projets et pour les orienter sur toutes ces questions, notre groupe de travail a produit à leur intention une liste de points relatifs à la gestion des documents électroniques. La méthode de gestion des projets dans le domaine des technologies de l'information utilisée à l'Etat de Genève est la méthode Hermès, développée par la Confédération. Nous avons obtenu qu'à un stade précis du développement du projet, au point dit "de cohérence", le chef de projet doive répondre aux questions posées par cette liste (par exemple: l'archiviste de département et/ou les AEG ont-ils été consultés sur ce projet? Le système d'information (SI) peut-il garantir l'authenticité, la fiabilité, l'intégrité et l'exploitabilité des documents à forte valeur légale? Les documents et/ou données concernés par le SI sont-ils pourvus de délais de conservation? Les métadonnées obligatoires sont-elles implémentées? Les Archives d'Etat ont-elles été consultées pour déterminer si le SI contient des documents et/ou données qui devront être conservés à long terme?).
9. La suite de nos travaux
Nous avons constaté qu’il n’est pas forcément évident pour un chef de projet informatique de définir les besoins en matière de gestion des documents électroniques lors de la mise en place d’un projet. C’est pourquoi nous nous attelons à la rédaction d’un vade-mecum rassemblant de manière très succincte l’ensemble des questions auxquelles un chef de projet est confronté lors de la mise en place d’un nouveau système d’information. Ce guide devra également permettre d’exprimer les besoins métier de manière claire et de choisir une solution adaptée aux besoins du service qui en fait la demande.
Il est également nécessaire de fournir un modèle de documentation de procédures de chaînes de dématérialisation et de mise en GED. En effet cette documentation est l’un des points principaux pour garantir la valeur probatoire d’un document et, à notre connaissance, il n’existe pas de modèle de ce type en Suisse, ou en tous les cas pas dans une administration cantonale.
Conclusion
En tant qu’institution cantonale d’archives, notre démarche relative à la conservation à très long terme des documents électroniques nous a donc conduits à la problématique de la gestion des documents électroniques au sein de l’administration. Ces réflexions, au départ théoriques, ne sont pas des priorités, il faut l’avouer, d’autant qu’il s’agissait au départ de questionnements sur des aspects qui ne posaient pas encore problème. Les premières réactions à nos actions, qui se voulaient anticipatrices, étaient plutôt de dire « on verra bien ». Il a fallu convaincre nos interlocuteurs.
Puis les chefs de projets informatiques se sont trouvés face à des problèmes concrets, notamment la question de la valeur probante des e-documents, et les ont relayées à leurs directeurs informatiques, qui se sont alors tournés vers nous. Des synergies se sont ainsi peu à peu créées et la compréhension de la problématique s’est propagée.
Une fois les acteurs convaincus de l’importance de gérer correctement les documents électroniques, il reste ensuite la question du financement, puisque la mise en place de la fonction de coffre-fort électronique représente un certain coût. Une analyse de risque doit maintenant être accomplie et des budgets devront alors peut-être être trouvés.
De tels projets doivent être menés de manière interdisciplinaire entre les métiers (services de l’administration), les juristes, les services informatiques et les Archives ; il n’est pas possible de travailler dans des silos séparés. En tant qu’institution d’archives, nous avons également dû réfléchir à notre positionnement – agir traditionnellement en bout de chaîne uniquement ? Notre choix s’est porté sur une présence durant toute la vie du document et même plus largement, depuis la création même des systèmes d’information. Nous pensons que c’est une question à laquelle toutes les institutions d’archives devront répondre ces prochaines années.
Notes
(1) Anouk Dunant Gonzenbach (coll. Emmanuel Ducry), « L’archivage des documents électroniques à Genève, aspects organisationnels et techniques : le projet Gal@tae », in Françoise Hiraux ( dir.), De la préservation à la conservation. Stratégies pratiques d'archivage, Louvain-la-Neuve, Academia, à paraître.
(2) Exigences de base en matière d'archivage électronique, version 1.0 du 28.09.2009, Centre de coordination à long terme de documents électroniques, Berne.
Bibliographie
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GRAND CONSEIL DE LA RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE, 2000. Loi sur les archives publiques (LArch) du 1er décembre 2000 [en ligne]. 1 décembre 2000. [Consulté le 26 novembre 2013]. Disponible à l’adresse : http://www.geneve.ch/legislation/rsg/f/s/rsg_b2_15.html
GRAND CONSEIL DE LA RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE, 2001. Loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles (LIPAD) du 5 octobre 2001 [en ligne]. 5 octobre 2001. [Consulté le 26 novembre 2013]. Disponible à l’adresse : http://www.ge.ch/legislation/rsg/f/s/rsg_a2_08.html
ORGANISATION INTERNATIONALE DE NORMALISATION, 2001. Information et documentation: « records management ». 1ère éd. 2001-09-15. Genève : ISO. Norme internationale ISO, 15489.
ORGANISATION INTERNATIONALE DE NORMALISATION, 2004. Éléments de données et formats d’échange -- Échange d’information -- Représentation de la date et de l’heure. 1ère éd. 1988. Genève : ISO. Norme internationale ISO, 8601.
ORGANISATION INTERNATIONALE DE NORMALISATION, 2012. Electronic archiving = Archivage électronique. 1st ed. 2012-02-01. Genève : ISO. International standard ISO, 14641-1.
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Le numérique : impact sur le cycle de vie du document
Ressi — 22 janvier 2005
Michel Gorin, Haute Ecole de Gestion, Genève
Le numérique : impact sur le cycle de vie du document
Premier colloque EBSI-ENSSIB du 13 au 15 octobre 2004, Montréal (Québec)
Introduction
« La numérisation, la diffusion des formats numériques originaux, les nouvelles méthodes d’indexation et d’analyse du document ainsi que le fonctionnement en réseau changent les données de base de la vie du document qui devient une sorte de phénix incessamment renaissant. Pourtant, le document demeure un concept central pour les professionnels de l’information, notamment parce que c’est l’élément commun entre l’univers du papier et l’univers technologique.
La préoccupation venue du numérique nous amène à réfléchir plus globalement sur le fait qu’un document, quels que soient sa nature, son âge et son utilisation s’inscrit dans le temps et non dans l’éternité, à l’inverse, symboliquement au moins, du monument. Cette dimension temporelle, fortement bouleversée par le numérique, implique des nouvelles façons de faire pour tous les spécialistes de l’information, quels que soient leurs domaines spécifiques d’expertise et les types de documents qu’ils manipulent ».
Cette assez longue citation, extraite du programme de la manifestation susmentionnée, situe bien son enjeu : le numérique continuera de modifier pendant longtemps encore le rapport qu’entretiennent les spécialistes en information documentaire avec les documents et, partant, avec les informations qu’ils contiennent. Dès lors, il est important qu’ils se créent des occasions de partage et de discussion autour de cette importante problématique professionnelle. Le colloque organisé par deux écoles francophones renommées, sous la présidence de Jean-Michel Salaün (ENSSIB)(1) et de Réjean Savard (EBSI)(1), dans le splendide bâtiment des Archives nationales du Québec à Montréal, a parfaitement rempli son rôle : plus d’une centaine de participantes et de participants issus d’une dizaine de pays – professionnels de l’information documentaire (bibliothécaires aussi bien qu’archivistes), étudiants de l’EBSI, chercheurs, professeurs - ont pu écouter une bonne vingtaine d’exposés intégrés dans sept tables rondes thématiques, qui les ont amenés à réfléchir aux défis posés par le numérique.
Les temps du numérique (2)
La conférence d’introduction que se sont partagée Florence Sédes (Université Paul Sabatier, Toulouse); Sylvie Calabretto (INSA, Lyon) et Geneviève Lallich-Boidin (URSIDOC, Lyon 1), s’est attachée à démontrer que la réflexion sur la dimension temporelle est indissociable du document numérique, en raison de la nécessaire et complexe prise en compte des diverses versions des documents. Elles ont également insisté sur le fait que de nombreux acteurs sont concernés par cette problématique : les « conservateurs » (bibliothécaires, archivistes, etc.), les « interprètes » (archéologues, historiens, etc.), les « réalisateurs » (informaticiens, créateurs de programmes de PAO, etc.) et les « diffuseurs » (responsables de portails, éditeurs, etc.). Enfin, elles ont tenté de définir les trois univers et les trois temps du document numérique, ainsi que leurs interactions, qui peuvent être résumés de la manière suivante : • Les trois univers sont l’espace documentaire, formé de documents et des relations qui existent entre eux ; l’univers socio-historique, celui dans lequel se trouvent les auteurs et les « lecteurs » ; l’univers du discours, à savoir l’univers reconstruit par le « lecteur » à partir des discours contenus dans les documents ; • Les trois temps sont le temps de l’espace documentaire ; le temps socio-historique, marqué par des périodes, des dates ; le temps du discours, inscrit par l’auteur et reconstruit par le « lecteur ».
Quelques réflexions sur le cycle de vie du document ont complété cet exposé relativement théorique, qui a bien introduit le sujet décliné ensuite en sept thématiques, évoquées ci-après sans volonté d’exhaustivité, plus ou moins succinctement et en fonction des intérêts particuliers de l’auteur de ce compte rendu - donc en toute subjectivité !
Le cycle de vie, ses dérives et sa régulation
Deux des exposés, consacrés pour l’un au « Cadre de référence gouvernemental en gestion intégrée des documents » au Gouvernement du Québec, et pour l’autre à la gestion des documents numériques dans les universités québécoises, ont démontré que « la belle province » a pris conscience du fait qu’une gestion documentaire rigoureuse est encore plus nécessaire aujourd’hui, en raison de la multiplication des documents numériques.
Le Gouvernement du Québec souhaite ainsi se doter d’une vision, de méthodes et d’outils pour mieux gérer ses documents, tous supports confondus, et le cadre de référence susmentionné est la réponse apportée à ce désir. L’objectif final est bien entendu d’intégrer la gestion documentaire (supports papier et électronique) dans tous les services gouvernementaux, tout en tenant compte des obstacles technologiques et de la culture organisationnelle existante, laquelle nécessite une prise en compte efficace de la notion de gestion du changement. L’exposé d’Yves Marcoux (Université de Montréal) a permis de découvrir que le Québec s’est doté, en juin 2001, d’une Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, qui donne, dans ses articles 3 et 4, une définition extrêmement intéressante et innovante du document, que je ne résiste pas à soumettre à votre réflexion :
3. Un document est constitué d'information portée par un support. L'information y est délimitée et structurée, de façon tangible ou logique selon le support qui la porte, et elle est intelligible sous forme de mots, de sons ou d'images. L'information peut être rendue au moyen de tout mode d'écriture, y compris d'un système de symboles transcriptibles sous l'une de ces formes ou en un autre système de symboles. Pour l'application de la présente loi, est assimilée au document toute banque de données dont les éléments structurants permettent la création de documents par la délimitation et la structuration de l'information qui y est inscrite. Un dossier peut être composé d'un ou de plusieurs documents. Les documents sur des supports faisant appel aux technologies de l'information visées au paragraphe 2º de l'article 1 sont qualifiés dans la présente loi de documents technologiques. 4. Un document technologique, dont l'information est fragmentée et répartie sur un ou plusieurs supports situés en un ou plusieurs emplacements, doit être considéré comme formant un tout, lorsque des éléments logiques structurants permettent d'en relier les fragments, directement ou par référence, et que ces éléments assurent à la fois l'intégrité de chacun des fragments d'information et l'intégrité de la reconstitution du document antérieur à la fragmentation et à la répartition. Inversement, plusieurs documents technologiques, même réunis en un seul à des fins de transmission ou de conservation, ne perdent pas leur caractère distinct, lorsque des éléments logiques structurants permettent d'assurer à la fois l'intégrité du document qui les réunit et celle de la reconstitution de chacun des documents qui ont été ainsi réunis (3).
Quant aux universités québécoises, celles-ci souhaitent se doter d’un modèle de gestion, de contrôle et de préservation des documents produits sous forme numérique. Elles ont ainsi mandaté le Sous-Comité des archivistes de la Conférence des recteurs et des principaux des Universités du Québec (CREPUQ) pour mener une réflexion approfondie, laquelle a débouché sur la publication, en février 2004, d’un volumineux rapport dont je ne peux que recommander la lecture (4). Ce dernier propose un état des lieux dans les universités québécoises suivi de nombreuses recommandations, puis commente un modèle de gestion des documents numériques et un plan d’action qui peuvent être mis en œuvre de manière personnalisée par chaque établissement universitaire. Le plan d’action, véritable marche à suivre qui se veut délibérément pragmatique, comporte sept étapes principales, que Carole Saulnier (Université Laval) et André Gareau (Université du Québec à Montréal) ont soumises à l’assemblée :
- Constitution d’une équipe pluridisciplinaire
- Identification des besoins spécifiques
- Sélection et acquisition d’un système
- Réalisation d’un projet-pilote
- Evaluation, ajustement et adoption du système
- Elaboration d’une politique institutionnelle et d’un programme
- Déploiement du système ».
Imprimé, visuel, numérique : interactions et harmonisation
Cette table ronde a proposé trois exposés qui se sont attachés à montrer les résultats de recherches menées, respectivement, par James Turner (EBSI), Clarisse Holik (Université de Paris 8) et Marie-Hélène Dougnac (ENSSIB). La première a consisté en une étude portant sur les images animées, plus spécifiquement sur la modélisation du processus de production de films numériques, afin d’identifier la documentation créée tout au long du processus de création. La deuxième s’est efforcée de décrire l’impact du numérique sur le cycle de vie du « conducteur » du Journal télévisé de TF1, le « conducteur » étant la liste de tout ce qui se passe durant le Journal (ordre des reportages, noms des intervenants, minutage, etc.) et devant être archivé au sens du dépôt légal. Le dernier exposé a, quant à lui, montré que le numérique a également un impact sur la durée de vie et sur les modalités d’accès aux documents destinés aux handicapés visuels ; grâce au numérique, ce public dispose désormais de trois modes d’appropriation d’un texte : sonore (voix de synthèse), écrit (grossissement, traduction en braille) et audionumérique (5).
Le document en mutations
Anne-Marie Bertrand (Rédactrice en chef du Bulletin des bibliothèques de France) s’est demandé si le document numérique et l’instabilité qui le caractérise n’impliquent pas, en définitive, que nous fassions le « deuil de la mémoire ». Son analyse des onze différentes éditions (1966 – 2003) de l’ouvrage de référence « Le métier de bibliothécaire » semble en effet démontrer que l’on peut considérer « l’accumulation, la sédimentation des différentes éditions du « Métier » comme une source majeure pour l’histoire de la profession de bibliothécaire – pour l’histoire de l’élaboration de sa culture professionnelle ». Or, « l’instabilité du document en ligne détruit l’idée même de trace » ; le « statut de témoignage » que le document possède pour l’historien se trouve ainsi, désormais, remis en question.
Claudette Hould, chercheuse et historienne de l’art (Université du Québec à Montréal) a, quant à elle, mis l’accent sur l’importance du numérique dans son domaine. L’accès physique aux œuvres d’art, quelles qu’elles soient, exige en effet beaucoup de patience et de moyens financiers, lorsqu’il n’est pas simplement rendu impossible pour des raisons de sécurité et de conservation. La diffusion d’images numérisées de ces œuvres d’art permet ainsi, en quelque sorte, de rentabiliser le coût induit par leur conservation.
Le traitement documentaire
Lyne Da Sylva (EBSI) s’est employée à démontrer que les traitements automatiques (indexation, condensation mono- ou multitextes, classification) sont dignes d’intérêt pour l’accès aux documents numériques éphémères (par exemple : documents momentanés que représentent les réponses obtenues suite à une recherche sur le Web, formulaires sur le Web, pages contenant la une des journaux en ligne, archives de courriels). En effet, même s’ils sont encore aujourd’hui, malgré les progrès enregistrés ces dernières années, de moindre qualité que les traitements réalisés par des professionnels, ils représentent une alternative intéressante pour ce type de documents.
Katarzyna Wegrzyn-Wolska (Ecole supérieure d’ingénieurs en informatique et génie des télécommunications, Fontainebleau) s’est, quant à elle, intéressée à la durée de vie, à l’accessibilité et à l’archivage des pages Web créées dynamiquement, c’est-à-dire pour une demande individuelle, lesquelles disparaissent après consultation (la dénomination d’« étoiles filantes dans l’espace documentaire » leur a d’ailleurs été attribuée par l’auteure de cet exposé, démontrant ainsi que les informaticiens peuvent être poètes à leurs heures !).
Complexité de la gestion des documents numériques
Deux exposés à mentionner ici. L’un présenté par Marc Lebel (Ville de Montréal, Section de la gestion des documents), qui a plaidé pour une conservation permanente, à long terme, de toutes les bases de données élaborées dans le cadre des administrations, étant donné leur importance pour ces dernières. Le second, proposé par Sabine Mas, candidate au doctorat (EBSI), qui a rendu compte d’un aspect de son projet de thèse. Elle a tenté de démontrer le lien qui existe entre le mode d’organisation personnelle des documents électroniques et leur interprétation, en insistant ensuite sur le fait qu’il paraît nécessaire, dans un organisme, de tendre à classer les documents conservés par les employés selon un plan de classification institutionnel.
Documents numériques : problématiques de disponibilité et d’accès
Deux autres exposés à mentionner ici. L’un présenté par quatre chercheurs français : Jean Casenave (Université de Bordeaux 3), Gaio Mauro (UFR Sciences et techniques, Pau), Dagorret Pantxika et Christophe Marquesuzaà (UIT de Bayonne), qui ont salué la « revitalisation » du patrimoine littéraire local et régional grâce la numérisation. A l’aide d’un exemple, ils ont montré que la numérisation puis l’analyse, le « marquage », l’exploitation des textes par des équipes multidisciplinaires (informaticiens, géographes, spécialistes d’une littérature, etc.), rend possible leur utilisation à diverses fins : usage savant, pédagogique ou même touristique.
Quant à Chérifa Boukacem (ENSSIB), elle a estimé que l’intégration des documents électroniques dans les fonds des bibliothèques universitaires françaises a donné une certaine visibilité aux collections papier et, ainsi, en quelque sorte, prolongé leur cycle de vie, grâce à la complémentarité existant désormais entre documents traditionnels et documents électroniques.
Numérique et perspectives africaines
Cette dernière table ronde a permis, une nouvelle fois, de mesurer l’écart existant entre les préoccupations des pays du Nord et celles des pays du Sud. On parle beaucoup de fracture numérique, en particulier depuis le Sommet mondial sur la Société de l’information : il convient, en l’occurrence, de réfléchir non seulement aux problèmes techniques rencontrés par les pays du Sud – en les aidant à rattraper leur retard en matière d’infrastructures - mais aussi aux réjouissantes perspectives, en termes de formation ou de pérennisation des traditions, que les documents numériques offrent aux populations.
Conclusion en style télégraphique (6)
- Le nombre et la qualité des questionnements que le colloque a suscités sont remarquables et témoignent de l’intérêt d’une réflexion permanente sur les nouveaux supports d’information
- L’information sous forme numérique est désormais une réalité, elle n’est plus virtuelle ! Le numérique fait partie de nos vies
- Il y a dix ou vingt ans, on parlait d’« information » et plus de « document », ce dernier terme étant devenu « ringard » ; aujourd’hui, on utilise l’expression « renouveau du document »…
- Le terme « document » a des acceptions très diverses, qui ont un point commun : tout document correspond à une mise en relation d’un auteur, d’un créateur, avec un « lecteur »
- Le « lecteur », justement, est au centre de tous les questionnements, car les réflexions autour du numérique tournent autour de son potentiel d’utilisation
- Le numérique prolonge la vie d’un document, lui confère une seconde vie, voire le « ressuscite » carrément ; ainsi, le numérique démocratise en quelque sorte
- Plusieurs défis peuvent être relevés, en termes
- de création (multiplicité des formats, des langages, des formes)
- d’organisation intellectuelle, de classification, d’indexation (inquiétudes au sujet de l’important écart qui existe entre le nombre de documents numériques produits et les possibilités réelles de mise en valeur de cette nouvelle masse documentaire)
- de préservation sur le long terme
- de crédibilité de l’information (inquiétudes au sujet de la fiabilité de l’information dans son format numérique)
- Le numérique est plein de promesses, mais il nécessite des moyens importants, une réflexion permanente et, surtout, la prise en compte des besoins des pays du Sud, qui ont eux aussi beaucoup à gagner de ces nouveaux supports.
l’accès à certains documents qui n’étaient pas, a priori, destinés à une large diffusion ; il influence alors le potentiel de développement du document
Notes
(1) Ecole de bibliothéconomie et des sciences de l’information, Université de Montréal – Ecole supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques, Lyon
(2) Les intertitres correspondent aux intitulés de la conférence introductive et des tables rondes
(3) http://www.autoroute.gouv.qc.ca/loi_en_ligne/loi/annindex.html [page consultée le 9.11.04]
(4) http://www.CREPUQ.qc.ca/documents/arch/Rapport-GGDN.htm [page consultée le 9.11.04]
(5) Pour un exemple concret d’initiative prise dans ce domaine, voir le site de DAISY (Digital Accessible Information SYstem), consortium créé par des bibliothèques proposant des livres parlés, dans le but d’accompagner la transition du livre parlé analogique vers le digital : http://www.daisy.org/about_us/default.asp [page consultée le 9.11.04]
(6) Merci à Jacques Grimard (EBSI) et à Jean-Michel Salaün (ENSSIB), qui ont conclu le colloque par une magistrale synthèse, qui m’a été bien utile pour rédiger ma propre conclusion !

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