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11ème Journées des archives de Louvain
Ressi — 1 décembre 2011
Gregory Nobs, Haute Ecole de Gestion, Genève
11ème Journées des archives de Louvain
Les 24 et 25 mars 2011 s’est tenu à Louvain-la-Neuve, en Belgique, la 11ème Journées des archives organisée par les Archives de l’Université catholique de Louvain. Le thème de cette édition était consacré à la dématérialisation des archives et à ses effets sur l’évolution des métiers occupés par l’archiviste(1). Ce sujet, qui a attiré plus de 200 participants provenant de nombreux pays dont une délégation très importante de professionnels suisses, s’inscrit au cœur des problématiques archivistiques actuelles [1]. En effet, le monde numérique bouleverse la production, la conservation, la description et la communication des informations, entraînant ainsi les services d’archives à se réorganiser et les professionnels à acquérir de nouvelles compétences [2]. Quinze intervenants ont partagé leurs expériences et leurs réflexions dans le but d’éclairer les implications occasionnées par la dématérialisation. Ce compte-rendu présentera leurs conférences selon trois angles :
- Situer la culture numérique dans ses rapports avec le domaine des archives.
- Confronter d’une part les fonctions et d’autre part les caractéristiques et les qualités relatives au domaine des archives à la réalité numérique.
- Situer la place de l’archiviste par rapport aux enjeux de la gestion des documents électroniques.
La culture numérique et le domaine des archives
Afin de saisir l’impact occasionné par l’avènement de l’ère numérique sur le domaine de l’archivistique, il est nécessaire de saisir le contexte unissant ces deux concepts. Dans ce but, deux éléments centraux ont été étudiés, soit d’une part les différents publics du numérique, ainsi que leurs pratiques culturelles, et d’autre part les aspects juridiques liés à la gestion et à la conservation des documents électroniques.
Au sein de ce nouveau contexte, les professionnels ne possèdent plus le monopole de la gestion documentaire et doivent se positionner par rapport aux amateurs, généralement spécialisés dans leur domaine, partageant des informations souvent par plaisir. D’après Patrice Flichy, professeur de sociologie à l’Université Paris Est, cet état a pour conséquence de rendre le monde numérique éclaté, ouvert, collaboratif, démocratique et égalitaire offrant une multiplicité de contenu, constitué de documents papier et digitaux, constamment renouvelé. Ce nouvel univers en mouvement a par conséquent engendré six types de publics :
- Ceux qui utilisent la télévision comme média principal ;
- Ceux qui se réfèrent à internet plutôt qu’à la télévision pour s’informer ;
- Ceux qui ne se basent que sur la télévision et internet pour s’informer ;
- Ceux pour qui l’imprimé reste la source d’information principale ;
- Ceux qui ne s’intéressent ni aux média, ni à la culture ;
- Et les fans qui collectionnent les archives populaires.
Ces différents publics n’éprouvent pas la même sensibilité vis-à-vis des produits culturels, si bien que l’archiviste est contraint de repérer, puis de gérer le public réceptif aux archives, afin de répondre à ses attentes.
Toutefois, l’archiviste ne doit pas uniquement se contenter de servir son public cible. Il est également obligé de prendre en considération, en plus des aspects techniques et technologiques, les exigences légales, la maintenance et l’accès relatifs à la conservation des documents électroniques. Face à cette situation, l’archiviste se doit d’être attentif, car une mauvaise gestion des archives numériques pourrait entraîner la perte d’un procès, des sanctions administratives, voire des amendes pénales. Afin de se prémunir contre ces risques, Marie Dumoulin, juriste, chercheuse et doctorante au Centre de recherche informatique et droit (CRID), a proposé quelques clés. Elle suggère par exemple d’identifier, de lister puis de comprendre les obligations légales relatives aux documents, avec leurs caractéristiques. Elle conseille également d’augmenter la sensibilité des créateurs de documents afin qu’ils puissent saisir les concepts et les enjeux liés à la conservation des documents électroniques et les utiliser de manière uniforme.
Il a été établi précédemment que tant au niveau social que légal, l’archiviste est contraint de se conformer à l’ère numérique. En outre, la dématérialisation des documents a déjà provoqué plusieurs impacts dans le métier, comme l’informatisation des procédures ou encore l’automatisation des processus de travail. Malgré ces changements, Françoise Banat-Berger, archiviste à la Direction des Archives de France, a déclaré que le monde numérique ne remet pas en cause les principes fondamentaux de l’archivistique. En revanche, ces derniers doivent être traduits sous forme de programme informatique. Bien que les principes de base ne soient pas affectés, le mode d’organisation des services d’archives et le métier d’archiviste devront évoluer. De même, certaines grandes fonctions de l’archivistique seraient profondément impactées.
Les fonctions, les caractéristiques et les qualités relatives au domaine des archives face à la réalité numérique
La dématérialisation des archives modifie la manière d’appréhender les grandes fonctions archivistiques. En effet, le monde numérique impose aux archivistes d’adapter les outils et les méthodes aux nouveaux fonctionnements et exigences engendrés par la réalité numérique. L’équation est d’autant plus complexe que des instruments différents sont utilisés selon l’étape de vie des documents à gérer. Afin de mettre en lumière les solutions proposées pour aborder les fonctions et les concepts archivistiques, les paragraphes suivants traiteront des divers projets exposés selon le cycle de vie des documents.
Solutions de gestion des documents courants et intermédiaires
Dès la création et l’enregistrement des documents, il est nécessaire de s’assurer que l’authenticité, la fiabilité, l’intégrité et l’exploitabilité des « records » soient préservés. L’InterPARES, l’une des plus grandes recherches internationales en archivistique, intervient dans cette étape puisque le but ciblé consiste à fournir des solutions pour garantir la préservation à long terme de l’authenticité des archives électroniques. Afin d’atteindre cette mission, Luciana Duranti, professeure à l’Université de Colombie britannique, a démontré l’importance d’établir une définition commune des concepts informatiques en impliquant aussi bien la diplomatique, que l’archivistique contemporaine, l’expertise informatique et la preuve juridique. En effet, ces visions différentes doivent être considérées pour certifier que la notion de preuve soit préservée durablement dès la création des documents [3].
Les documents produits et reçus doivent ensuite être classés selon un plan de classification. À la suite de la découverte d’un décalage entre les schémas de classements hiérarchiques institutionnels et personnels, des chercheurs du Québec ont créé le projet de services d’infrastructure sémantique pour l’information (ISIS). Cette étude pilote, présentée par Sabine Mas, professeure adjointe à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI) de l’Université de Montréal, propose d’utiliser une classification par facettes, permettant à l’employé de décrire et d’organiser les informations selon ses propres catégories sous la gouvernance de l’archiviste. Les premiers tests démontrent que l’utilisateur s’approprie déjà cette méthode de classification après une semaine d’utilisation [4].
Activité transversale, la dématérialisation des documents physiques représente un procédé complexe, mais capital, lorsqu’il s’agit d’appréhender la gestion des archives courantes et intermédiaires. Selon Sébastien Soyez, archiviste aux Archives de l’État en Belgique, pour assurer la probité et la conservation à long terme des documents, un projet de numérisation relève des défis légaux, techniques et organisationnels. Afin de conseiller les professionnels pour faire face à ces difficultés, les Archives de l’État de Belgique ont décidé de mettre librement à disposition sur son site internet des guides, des directives et des outils en matière de gestion et de conservation des documents électroniques [5].
Solutions pour la diffusion et la valorisation de fonds d’archives définitives
Deux interventions ont mis en lumière des fonctionnalités permettant de diffuser et de valoriser les fonds d’archives définitives. La première, présentée par Olivier Buisson et Marie-Luce Viaud, collaborateurs de l’Institut national d’audiovisuel (INA), concernait le développement de nouveaux outils de recherche pour les documents audiovisuels. Ces instruments ont été adaptés aux attentes des usagers qui ne désirent plus seulement chercher, mais souhaitent pouvoir observer, détecter ou prévoir certaines tendances [6]. Le deuxième exposé, rapporté par Jean-Claude Genoud, chef de projet dans le domaine documentaire à la Ville de Lausanne, relate la gestion d’une recherche fédérée réunissant des archives papier, visuelles, sonores, des informations sur le territoire et les données sur la culture. Ce modèle proactif permet ainsi de regrouper les sources documentaires d’un grand nombre d’institutions culturelles d’une région sur un site web [7].
Dans le même ordre d’idée, le programme Leuvens Integraal Archiveringssystem (LIAS) décrit par Jan De Maeyer, professeur à la Katholieke Universiteit Leuven, suggère d’utiliser trois logiciels (Digitool-Rosetta, Scopearchiv et Aleph) simultanément grâce au langage XML. Cette solution permet de gérer à la fois des fonds d’archives définitives et des collections de bibliothèques tout en assurant la pérennité des documents numériques. La finalité consiste à organiser une sorte de salle de consultation virtuelle agrémentée d’un moteur de recherche fédérée [8]. Il est intéressant de noter que cette méthode permet d’intégré d’autres bases de données, comme par exemple Europeana, la bibliothèque numérique européenne [9].
Solution pour gérer tout le cycle de vie des documents
L’application de gestion automatique des documents et des instances (GAUDI), élaborée aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et exposée par Jean-Daniel Zeller, archiviste de l’institution, est un modèle intégré de gestion automatique des documents courants. Ce système assure les fonctions principales d’archivage des documents depuis leur enregistrement jusqu’à leur diffusion via un portail web. Il présente plusieurs avantages. En premier lieu, le workflow des documents institutionnels impose un cadre que les collaborateurs doivent suivre. Ensuite, l’ensemble du processus décisionnel d’une affaire peut être suivi par les utilisateurs. Enfin, l’application engendre un gain de temps puisque les tâches sont automatisées et que les boîtes mails sont désengorgées [10].
La place de l’archiviste par rapport aux enjeux de la gestion des documents électroniques
Étant donné que les fonctions archivistiques ont subi un bouleversement significatif, la place et la formation de l’archiviste sont également touchés. En effet, les professionnels devront faire face à l’évolution actuelle en acquérant de nouvelles compétences et en se chargeant de nouvelles tâches. Deux experts ont précisément détaillé ces changements.
À travers son intervention touchant à la constitution de collections numériques sur le patrimoine scientifique et culturel du Québec, Martin Boucher, collaborateur au Centre de l’édition numérique (CEN) de l’Université de Montréal, a démontré l’importance de la collaboration interinstitutionnelle. Cette expérience a illustré le fait que la préservation et l’archivage font de plus en plus partie des préoccupations des projets informatiques. Il a par conséquent été soulevé qu’un archiviste est nécessaire et doit être intégré dans des projets appartenant à d’autres domaines. En ce sens, il est important de continuer et d’entretenir les collaborations interinstitutionnelles.
Lorsque nous mentionnons l’évolution d’un métier, il est incontournable d’évoquer l’enseignement. Dans ce domaine, Jean-Marie Yante, professeur à l’Université catholique de Louvain, propose en premier lieu de préciser et d’adapter les théories de base de l’archivistique aux nouveaux environnements. Il suggère ensuite que l’archiviste sache maîtriser les aspects liés au contenu et au contenant, comme la typologie des documents, les procédures et les normes, et les notions d’intégrité, de fiabilité et d’authenticité. Enfin, les futurs professionnels doivent élargir leurs connaissances, c’est-à-dire acquérir de nouveaux vocabulaires et renforcer leurs compétences dans les nouvelles technologies, car ils se profilent de plus en plus comme des médiateurs et des formateurs.
Conclusion
Bruno Delmas, professeur à l’École des Chartes, a clôturé cette 11ème édition des Journées des archives de Louvain en expliquant que le rôle de l’archivistique devient de plus en plus important et central, car de nouveaux usages juridiques sont parus, des normes de qualité sont à respecter, et enfin de nouveaux besoins de gestion, de conservation et de recherche ont été créés. Cependant, l’archiviste ne doit pas craindre la dématérialisation des documents et le monde numérique. En effet, le domaine des archives gagne en richesse grâce aux collaborations s’effectuant avec d’autres secteurs. De plus, la demande de consultation d’archives existe et s’accroît. Ainsi, bien que les défis techniques, juridiques et politiques restent nombreux, l’avenir de la discipline et de la profession archivistiques se révèle radieux.
En conclusion, cette manifestation a apporté de nombreux éclairages sur la façon d’appréhender les problèmes archivistiques issus de l’informatique. Il est toutefois regrettable que les normes et les standards aient été aussi peu abordés. En effet, un certain nombre de textes, comme le système ouvert d’archivage d’information (OAIS, ISO 14721 : 2003) [11], la mise en œuvre du processus de gestion des informations et documents d’activité (ISO 23081-1 : 2006) [12], le guide pour la mise en œuvre de la numérisation des documents d’activité (ISO/TR 13028 : 2010) [13] sont parus ces dernières années dans le but de définir un cadre permettant de perfectionner et d’uniformiser les pratiques archivistiques. De plus, les logiciels cités dans les différents projets étaient soit propriétaires, soit des solutions maison. En partant du principe que les services d’archives possèdent en général peu de ressources, il aurait été intéressant d’évoquer également des exemples de programmes open source. En revanche, les projets décrits démontrent que des solutions existent et que chaque institution peut développer des applications efficaces et intéressantes par rapport à ses besoins. Suites à ces journées, il n’aurait pas été incongru d’apercevoir quelques participants, rassurés sur les perspectives futures de leur métier, trinquer autour d’une excellente bière trappiste belge!
Bibliographie
[1] ARCHIVES DE L’UNIVERSITE CATHOLIQUE DE LOUVAIN. Journées des Archives 2011 : un grand merci à tous. In : Site des Archives de l’Université catholique de Louvain [en ligne]. Publié en avril 2011. http://www.uclouvain.be/364396.html (consulté le 02.11.2011)
[2] ARCHIVES DE L’UNIVERSITE CATHOLIQUE DE LOUVAIN. Dématérialisation des archives et métiers de l’archiviste : les chantiers du numérique. In : Site des Archives de l’Université catholique de Louvain [en ligne]. Publié en 2011. http://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/arcv/documents/JDA11_Programme.pdf
(consulté le 02.11.2011)
[3] THE INTERPARES PROJECT. Site de l’InterPARES project [en ligne]. http://www.interpares.org/ (consulté le 02.11.2011)
[4] MAS, Sabine, MARLEAU, Yves. Vers une décentralisation et une démocratisation encadrées du records management au sein des grandes entreprises : le projet ISIS. In : CONFERENCE DU DLM-FORUM (2008, Toulouse). La gestion de l’information et des archives électroniques en Europe : réalisations et nouvelles directions : actes de la Ve conférence du DLM-Forum : Toulouse, 10, 11 et 12 décembre 2008 [en ligne]. Paris : Direction des archives de France, 2009. 244 p. http://www.archivesdefrance.culture.gouv.fr/static/2735 (consulté le 02.11.2011)
[5] SOYEZ, Sébastien. La numérisation en marche… : les étapes de la dématérialisation des processus de travail. In : Site des Archives de l’État en Belgique [en ligne]. Mis à jour le 3 août 2011. http://extranet.arch.be/arch/brochures/la_numerisation_en_marche.pdf (consulté le 02.11.2011)
[6] INSTITUT NATIONAL D’AUDIOVISUEL. Site de l’Institut national d’audiovisuel [en ligne]. http://www.ina.fr/ (consulté le 02.11.2011)
[7] GENOUD, Jean-Claude, DEGLISE, Liliane. Le système d’information des musées lausannois, une vision documentaire inscrite dans la transversalité et le multibases. In : COLLOQUE DES JOURNEES PROFESSIONNELLES AMS/ICOM (Lausanne, 2007). Systèmes d’information et synergies entre musées, archives, bibliothèques, universités, radios et télévisions : les bases de données et les médias numériques au service des patrimoines historique, culturel, naturel et scientifique : actes du colloque des Journées professionnelles AMS/ICOM : Palais de Rumine de Lausanne, 22 et 23 mars 2007 [en ligne]. Zurich : Association des musées suisses ; Lausanne : Musée historique de Lausanne, 2008. P. 57-75. http://www.lausanne.ch/Tools/GetLinkedDoc.asp?File=11634.pdf&Title=Actes+du+colloque+de+mars+2007 (consulté le 02.11.2011)
[8] LIAS ARCHIVES TODAY. Site du LIAS [en ligne]. http://www.libis.be/lias.php (consulté le 02.11.2011)
[9] EUROPEANA. Site d’Europeana [en ligne]. http://www.europeana.eu/portal/ (consulté le 02.11.2011)
[10] ZELLER, Jean-Daniel. Un workflow décisionnel dématérialisé : l’application GAUDI des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG). In : Arbido, 2010, no 2, p. 56-59
[11] ORGANISATION INTERNATIONALE DE NORMALISATION. Système de transfert des informations et données spatiales : système ouvert d’archivage d’information : modèle de référence. Genève : ISO, 2003. 140 p. Norme internationale ISO 14721 : 2003.
[12] ORGANISATION INTERNATIONALE DE NORMALISATION. Information and documentation : records management processes : metadata for records : part 1 : principles. Genève : ISO, 2006. 20 p. Norme internationale ISO 23081-1 : 2006.
[13] ORGANISATION INTERNATIONALE DE NORMALISATION. Information and documentation : implementation guidelines for digitalization of records. Genève : ISO, 2010. 32 p. Norme internationale ISO/TR 13028 : 2010.
Note
(1) Le terme archiviste regroupe les professionnels chargés de la gestion d’archives courantes, intermédiaires et définitives
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