Enquête 2018 sur les besoins non documentaires du public du site Riponne de la BCUL : méthodologie et principales conclusions

Françoise Simonet, responsable des renseignements et formation des usagers, BCUL

Christophe Bezençon, responsable du service des collections, BCUL

Enquête 2018 sur les besoins non documentaires du public du site Riponne de la BCUL : méthodologie et principales conclusions

Contexte et objectifs de l’enquête

La Bibliothèque cantonale et universitaire - Lausanne est une institution publique à vocation patrimoniale, culturelle et académique. Elle déploie ses activités sur six sites complémentaires : les sites Unithèque et Internef, à vocation académique, le site HEP Vaud qui s’adresse aux futurs enseignants, les sites Renens et Provence situés dans des gymnases, et le site Riponne, localisé au centre-ville.

Fin 2018, la BCUL comptait, pour ne citer que quelques chiffres, 19'138 usagers actifs, 425'014 prêts, 1'680'235 visites, 2'683'455 documents imprimés, 15'552 heures d'ouvertures, 1'712 places de travail, 12'959'921 consultations numériques, 222 collaborateurs (Bibliothèque cantonale et universitaire (Lausanne) 2018).

Contexte du site Riponne de la BCUL

Situé au sein du Palais de Rumine, bâtiment abritant également les Musées cantonaux d’archéologie et d’histoire, de géologie et de zoologie, le site Riponne, ouvert à tous, se caractérise par l'hétérogénéité de ses publics et la diversité de ses collections. Son public est composé d’étudiants de diverses universités et hautes écoles, d'élèves des gymnases et des écoles professionnelles, de mélomanes ainsi que d'usagers que l'on qualifie, faute de terme plus précis, de grand public.

Au niveau de ses collections, le site Riponne propose une collection de plus de 800'000 livres, journaux, CD, DVD et e-books dans tous les domaines du savoir et de la littérature. Seul 10% de la collection est accessible directement dans le libre-accès, le reste étant stocké dans des magasins souterrains. En tant que bibliothèque cantonale, l’ensemble des documents en rapport avec le canton sont mis à disposition et les publications éditées ou imprimées dans le canton depuis 1938 en format papier et numérique sont conservées au titre du dépôt légal. La musique est également au cœur des activités avec une collection importante de CD de musiques classique et actuelles, de partitions et d’ouvrages de musicologie, ainsi que par des archives musicales. Des collections numériques sont également proposées, que ce soit via la plateforme de livres numériques eLectures, ou d’autres plateformes, par exemple d’auto-apprentissage en ligne.

Au niveau des espaces et des services, le site Riponne propose une étendue horaire de 43 heures (guichets) et 79 heures (locaux) hebdomadaire du lundi au samedi ; elle offre 240 places de travail. De nombreuses manifestations culturelles y sont organisées, de même que des ateliers d'accompagnement aux outils proposés par la bibliothèque.

Alors qu'une extension est en cours de réalisation sur le site Unithèque avec des travaux qui débuteront en 2020, l'avenir du site Riponne est également en discussion. En effet, pour répondre aux départs successifs du Grand Conseil en avril 2017 puis du Musée cantonal des Beaux-Arts en 2018, qui avaient leurs locaux dans le Palais de Rumine, le Conseil d’Etat vaudois a mandaté les services concernés afin de réfléchir à l’utilisation future et au réaménagement du Palais de Rumine. En collaboration avec les musées cantonaux, la BCUL a poursuivi ses réflexions sur l’avenir de son site grand public et patrimonial au centre-ville de Lausanne. La volonté de la BCUL serait de proposer aux Vaudois une bibliothèque pleinement de son siècle, capable de suivre différents développements et de répondre aux nouvelles habitudes de consommation documentaire ainsi qu’aux nouvelles formes de sociabilité. Elle s’organiserait comme une bibliothèque connectée qui accompagne ses usagers dans la découverte des nouvelles technologies de l’information, une bibliothèque dans la cité ouverte à tous, un lieu d’apprentissage tout au long de la vie, une institution culturelle qui rapproche le livre et la culture du plus grand nombre. Cette nouvelle organisation de la BCUL site Riponne se traduirait par la mise à disposition d’espaces de convivialité et d’échanges, de salles polyvalentes pour la formation, la médiation et les partenariats, ainsi que de salles de travail en groupe et d’espaces de présentation de ses collections hybrides. Pour réaliser cette ambition, au service de la population vaudoise, la BCUL souhaiterait, dans un premier temps, utiliser les espaces libérés au sein du Palais de Rumine. A plus long terme, la progression démographique nécessitera la construction d’un bâtiment moderne et adapté, qui seul permettrait de répondre aux évolutions des besoins du public vaudois, ainsi qu’à la conservation adéquate du patrimoine vaudois dont elle a la charge, dans le cadre des « Lignes directrices de la politique culturelle vaudoise » (basé sur Bibliothèque cantonale et universitaire (Lausanne) 2017, p. 10).

Objectifs de l’enquête

Dans cette optique de changement et d’évolution, il était nécessaire que le site Riponne puisse sonder ses usagers et préciser ou vérifier leurs besoins et attentes en lien avec les locaux, les espaces et les prestations actuelles ou futures, ce afin de pouvoir fixer des orientations et stratégies pour les années à venir.

Concrètement, l'objectif de cette enquête était de pouvoir répondre aux questions suivantes:

  • quel est le profil des publics qui fréquentent le site Riponne de la BCUL?
  • pourquoi viennent-ils sur le site de la Riponne ?
  • quels sont leurs besoins en termes d'espace de travail et de services (hors prêt) ?

Les enquêtes à la BCUL

"[L'étude des publics] est riche d'enseignements, mais doit être intégrée à un projet plus global de pilotage d'un établissement et ne peut être une fin en soi" (Rosenberger, Chékib 2008). La BCU Lausanne, pour remplir au mieux sa mission d’intérêt public, effectue régulièrement des enquêtes afin de mesurer la satisfaction mais surtout répondre aux besoins et attentes de son public. Le plan directeur de la BCUL pour les années 2015-2020 prévoit ainsi, dans son plan d'actions, de "Conduire des enquêtes pour actualiser les connaissances sur les besoins et usages de ses divers publics" (Bibliothèque cantonale et universitaire (Lausanne) 2015).

Sur les sites académiques, une grande enquête avait été menée en 2011 et l’analyse avait été faite par Olivier Moeschler, présentée dans le numéro 13 de cette même revue (Moeschler 2012). Du côté du site Riponne, plusieurs enquêtes sectorielles ont été effectuées ces 10 dernières années : sur les manifestations culturelles organisées par la BCUL, en 2010, sur les non-usagers, en 2011, sur l’utilisation et les attentes relatives à l’offre numérique grand public, en 2012. La dernière enquête généraliste, quant à elle, remontait à 2008 (Wullyamoz 2008). Elle portait sur le profil, les pratiques et les attentes de son public.

Boîte à outils existante

La BCUL s'est dotée de plusieurs outils permettant la mise en place d’enquêtes de type quantitatif. À la suite des enquêtes de 2011, un groupe de travail a été mandaté par la direction pour traiter la question du monitoring des futures enquêtes. Ce travail a permis de valider des options et des principes de base pour l’élaboration et la mise en place des enquêtes. Il a principalement abouti à la création d’un guide interne de l’élaboration de questionnaires pour les enquêtes quantitatives, dont le but est de simplifier la rédaction de futurs questionnaires d’enquêtes, destiné à toute personne susceptible de mener ou participer à des enquêtes BCUL.

Ce guide a été élaboré à l’aide, notamment, du questionnaire réalisé pour l’enquête 2011 de la BCUL Dorigny (Moeschler 2012). Il propose une formalisation à la fois sur des questions de formulations (phrases introductives, nomenclature BCUL) que sur des modèles de questions selon les thématiques (fréquentation, notoriété, utilisation, satisfaction, attentes, etc.). Les questions des échelles de valeurs et celles portant sur le profil socio-démographique ont aussi été traitées, éléments indispensables pour pouvoir exploiter et comparer les résultats entre des enquêtes successives.

Conception de l'enquête

Méthodologie

L'existence de ce questionnaire-type ne devait pourtant pas nous limiter à une démarche identique. Encore fallait-il que nous utilisions le meilleur format possible pour obtenir des réponses aux questions que l'on se posait. Il s'agissait aussi de tenir compte des données déjà connues pour concentrer l'enquête sur ce qu'on souhaitait apprendre ou vérifier. Comme l'écrit Evans (2012), "une enquête de public ne se déploie jamais dans un espace vierge de toute information". Nous avons pris en compte les données du SIGB (Alma de Ex Libris) pour les statistiques de prêt ou les profils des emprunteurs. D'autres données locales ont également été collectées, comme les passages aux portillons antivol et les accès aux ordinateurs publics.

En définitive, le choix s'est porté sur une approche quantitative avec quelques questions ouvertes se rapprochant de l'entretien semi-directif. C'était la méthode qui nous permettait le mieux de faire des liens avec les résultats de l'enquête de 2008.

Elaboration / adaptation du questionnaire

Comme le point fort de l’enquête était lié aux questions d’espaces, un certain nombre de rubriques du questionnaire-type, plus directement liées à l’utilisation des collections, ont été omises, ainsi que celles dont les résultats pouvaient être obtenus par d’autres canaux (par exemple le volume d’emprunt). Des questions spécifiques ont été ajoutées, soit en lien avec des services et prestations introduites au cours des dernières années, soit en lien direct avec la problématique actuelle (priorité d’utilisation des espaces - plus de places de travail ou plus de collections, priorité d’action de développement, perception des bornes de prêt automatiques, etc.). Au final, le questionnaire totalisait 22 questions (Simonet, Bezençon, 2018, pp. 45 à 53). Il a été intégré à l'outil LimeSurvey, afin de faciliter sa passation ainsi que le suivi de l'avancée de l'enquête et l'exploitation des résultats.

Population de référence – échantillonnage

Le sujet de l’enquête a eu une influence sur la population de référence concernée. S'adresser par mail à tous les lecteurs BCUL ? Seule une partie d'entre eux sont usagers du site Riponne. Contacter les usagers ayant emprunté un document sur le site Riponne dans l'année en cours? Oui mais alors on ne touche pas les personnes qui utilisent nos prestations sans être inscrits respectivement sans emprunter de document.

La population de référence définie correspond à l’ensemble des personnes qui fréquentent le site Riponne de la BCUL. Le fait que la personne soit inscrite ou non n’était pas pertinent dans notre cas (on peut accéder aux places de travail, lire sur place la presse et les documents par exemple sans être inscrit). Le lieu d’habitation n’a pas non plus été un critère puisque nous supposions que nos visiteurs n'étaient pas tous lausannois (ce qui s'est vérifié).

L'échantillon, lui, ne visait pas à garantir une représentativité des usagers de la BCUL site Riponne de type quotas, qui n’aurait pas été adéquate pour ce type d’enquête (Evans 2011, p. 67). On a donc procédé par sondage aléatoire simple, en nous adressant aux usagers entrant dans la bibliothèque, en veillant à aborder tous les publics présents ces jours-là, pour éviter des biais comme par exemple interroger des usagers connus pour leur régularité ou leur intérêt pour la bibliothèque (Evans 2011, p. 63).

La mise en place et la phase terrain

Calendrier de l’enquête

Comme les besoins en espaces divergent au cours de l'année, l’enquête a été menée selon le principe des semaines test, 3x 1 semaine : la première fin mai, période où les étudiants sont présents en nombre pour réviser en vue de leurs examens, la deuxième en août, pendant les vacances scolaires, et la troisième en novembre, pour une période qu’on peut qualifier d’« ordinaire ». Chaque semaine, une présence de 50 à 75 heures a été organisée sur 6 jours, couvrant différents horaires de la journée, de l’ouverture à la fermeture des locaux.

Passation des questionnaires

Nous avons décidé de privilégier l'enquête via enquêteur, avec une passation de questionnaires administrés en face à face, afin de valoriser les échanges oraux et les réponses données aux questions ouvertes, en se rapprochant pour ces dernières de la technique des entretiens directifs. Comme le signale Evans (2011, pp. 67-68), le recours à des enquêteurs formés et encadrés est préférable à la simple distribution de questionnaires. « La sollicitation de l’enquêteur permet […] d’expliquer l’intérêt de l’enquête, son contexte et ses modalités bien plus sûrement et efficacement que toutes les introductions écrites figurant sur un questionnaire. L’enquêteur peut aussi motiver à répondre les personnes ayant certaines réticences à se prêter au jeu […]» .

Les entretiens ont été menés par plusieurs collaborateurs volontaires, ainsi que par des étudiants de l'Unil par ailleurs déjà engagés sur le site en tant que surveillants ou pour des tâches de classement. Comme cela a également été organisé dans l'enquête genevoise (Sardi, Aellig 2017), des réunions d’information des enquêteurs ont permis d’expliquer le contexte et les objectifs de l'enquête, de passer en revue la structure du questionnaire, discuter des modes de contact et des aspects pratiques. Un document a été mis à disposition des enquêteurs et un suivi a été proposé tout au long des trois semaines concernées.

Après quelques jours, nous avons également distribué une version papier du questionnaire afin de toucher les visiteurs pressés (en particulier le public étudiant employé fin mai à réviser). Ces questionnaires ont été remplis de manière auto-administrée, retournés dans une boîte à suggestions puis introduits dans le logiciel.

Données récoltées

Nous nous étions fixé un objectif en terme de nombre de retours qui s’est avéré trop optimiste. Notre calcul se basait sur le nombre d’enquêteurs x le temps consacré avec une moyenne de 15 minutes par questionnaire. Dans la pratique, il s’est avéré que certaines heures étaient plus creuses que d'autres et que si 3 enquêteurs étaient présents simultanément ils ne pouvaient pas contacter plus de lecteurs qu’il y en avait de disponibles dans nos locaux. D’autre part même si la réception des usagers était souvent positive, certains n'ont pas souhaité participer à l'enquête. Enfin, certaines personnes interviewées étaient intarissables sur ce qu’elles souhaitaient nous transmettre, et les 15 minutes calculées en test se sont parfois transformées en 30 minutes ou plus.

Au final, nous avons récolté 462 retours (189 en mai, 104 en août et 169 en novembre). La taille de l'échantillon est similaire à celle de l'enquête de 2008 qui avait produit 465 réponses.

Principes dans le traitement et l'exploitation des résultats

Les données récoltées dans Limesurvey ont été ensuite exportées et traitées dans Excel. Afin de vérifier certaines hypothèses en termes d'usages, l'échantillon complet a été divisé, pour comparaison, en deux sous-groupes : celui des apprenants (dont l'activité actuelle était "en formation") et les autres (à savoir les personnes ayant mentionné être en emploi, recherche d'emploi, retraité ou rentier, homme/femme au foyer ou autre). Lors de l'analyse, les résultats ont été comparés lorsque c'était possible avec ceux des enquêtes précédentes et aux chiffres obtenus par d'autres canaux.

Analyses des résultats

Parmi la vingtaine de questions posées dans cette enquête, il nous a paru intéressant de faire ressortir ici trois analyses qui nous semblent plus particulièrement significatives pour d’autres professionnels.

Public assidu

Le premier élément qui nous a frappé et réjoui à la lecture des résultats est la fréquence des visites de nos usagers. En effet, ceux-ci montrent que 25% des usagers interrogés nous visitent plus d’une fois par semaine, ce taux monte à 44% si on ajoute ceux qui viennent une fois par semaine.

Cela signifie que pour une personne sur quatre qui entre dans notre bibliothèque tous les jours, le site Riponne est un lieu qui a intégré sa vie quotidienne. La BCUL, site Riponne, fait partie de ses habitudes et de son environnement familier. En cela, nous nous rapprochons du concept de « third place » décrit par le sociologue Ray Oldenburg en 1989 et adapté en français aux bibliothèques par Mathilde Servet (2010) : « Ainsi, [le troisième lieu] procure aux individus un ancrage physique autour duquel s’articule leur existence quotidienne […] ». Alors que notre bibliothèque n’est pas le prototype-même de la « bibliothèque troisième lieu » telle que décrite dans cet article, force est de constater que, de fait, elle en est un pour une partie très importante de nos usagers.

Ce sentiment est conforté par le fait que 66% des usagers nous rendent visite plus d’une fois par mois, soit plus fréquemment que la durée standard d’un prêt de 28 jours. Il y a donc un attrait qui dépasse simplement le service de prêt de documents.

A noter que ces proportions restent les mêmes également lorsqu’on se focalise sur les réponses des personnes en formation – qu’on aurait pu imaginer a priori venir fréquemment pour utiliser des places de travail – ou sur celles venant des usagers qui ne le sont pas.

Si l’on compare ces chiffres avec d’autres institutions ayant récemment mené ce genre d’enquêtes, on constate que le taux de personnes les visitant plusieurs fois par semaine est généralement largement inférieur. Dans l’étude sur les usages des bibliothèques du Département de la culture et du sport (DCS) de la Ville de Genève (Sardi, Aellig 2017), tout comme dans l’étude sur les bibliothèques municipales en France (Ministère de la Culture (France) 2017), ce taux s’élève seulement à 3%. Ces différences importantes peuvent s’expliquer au moins partiellement par la méthode de récolte des réponses. Dans notre cas, nous avons très largement privilégié des interviews sur site en vis-à-vis. Dans ces deux études, des entretiens ont également été menés par questionnaire et par téléphone pour arriver à une représentativité des publics des bibliothèques concernées. Notre enquête s’intéressant prioritairement aux personnes se rendant physiquement sur notre site, nous aurons logiquement moins capté les usagers moins actifs.

Public non-cloisonné

Dans notre site grand-public et patrimoine faisant partie d’une bibliothèque cantonale et universitaire, nous avons la tendance arbitraire à vouloir cloisonner notre public entre les étudiants d’un côté, qui passent leur temps à des places de travail et qui n’utilisent pas ou peu les ressources documentaires de la bibliothèque, et les autres (en emploi, au foyer, à la retraite, au chômage, etc.) qui empruntent sans jamais vraiment s’arrêter pour « bouquiner ».

Un des enseignements que l’on peut tirer des réponses des usagers va justement à l’encontre de cet a priori. D’abord seuls 18% ne viennent que pour emprunter (9%) ou que pour les besoins de leur formation (9%) (Simonet, Bezençon 2018, p. 17). L’énorme majorité des répondants a donc plusieurs objectifs de visite. Ensuite, la différentiation entre lecture loisirs et d’accompagnement de l’apprentissage n’est pas nette. En effet, près de 60% de toutes les personnes interrogées citent la lecture loisirs dans les usages des documents empruntés ou consultés et 72% se documentent sur des sujets qui les intéressent ou dans le cadre de leur formation. Aucun des deux publics n’a d’usage exclusif pour l’un ou l’autre. Par exemple, plus d’un étudiant sur quatre emprunte également pour ses loisirs (p. 29) et 61% du public non-apprenant utilisent les documents à des fins de formations personnelles, de documentation ou d’auto-formation.

Là où la différence d’usage est la plus marquée, c’est probablement dans l’usage de places de travail. Les ¾ des étudiants les utilisent à pratiquement chacune de leurs visites. Ils ne sont que 6% à ne jamais les utiliser, alors que la moitié des personnes qui ne sont pas en formation n’utilisent jamais ces places. Mais en conclure que seuls les apprenants utilisent ces places serait un raccourci trop rapide car ¼ des personnes non-apprenantes les utilisent à chacune de leur visite. Ce n’est pas négligeable (p.28).

La comparaison avec les bibliothèques de la Ville de Genève est intéressante. En effet, dans cette étude, les raisons de la fréquentation des bibliothèques municipales sont à 89% liées aux loisirs et seulement 24% pour des raisons professionnelles et 16% pour de la formation personnelle (Sardi, Aellig 2017, p. 41). A l’inverse, à l’exception de la Bibliothèque La Musicale, les usagers des bibliothèques scientifiques de la Ville de Genève invoquent des raisons professionnelles ou de formation pour plus de 80% et de loisirs pour plus de 30% (p. 69). Cela veut dire que le public apprenant du site Riponne a le même genre d’usage que les usagers des bibliothèques scientifiques et patrimoniales genevoises, mais que notre public non-apprenant ne peut pas se comparer à celui quasi exclusivement porté sur les loisirs des bibliothèques municipales grand-public genevoises. Cela revient à confirmer l’utilité et le rôle d’institution formatrice de la BCU Lausanne.

Public conservateur

Le troisième constat qu’il nous semblait important de partager, c’est une caractéristique que nous avons également retrouvée à la lecture du rapport d’enquête du DCS (Sardi, Aellig, 2017) : le public de nos bibliothèques semble être assez conservateur. Cela transparait dans les réponses à plusieurs questions.

En effet, à la question libre « Quel est à votre avis le rôle principal d’une bibliothèque aujourd’hui ? » (Simonet, Bezençon 2018, p. 40) – notez que cette question ne concernait pas que la BCU Lausanne mais les bibliothèques au sens large – 55% des personnes y ayant répondu évoquaient l’accès à la culture, à la documentation ; 31% l’offre d’un lieu de travail et 23% la richesse des collections. « Pouvoir prendre un livre dans les mains » ou « Rendre accessible tout support à toutes les couches sociales » (Simonet, Bezençon 2018, p. 40) sont des exemples concrets des réponses obtenues. Ce sont presque systématiquement des services traditionnels de bibliothèques qui sont évoqués.

Ce constat est le même pour les bibliothèques de la Ville de Genève concernant les attente vis-à-vis de ces bibliothèques : « Quatre attentes qui sont selon nous le « cœur de métier » ou la « fonction première » de la bibliothèque occupent nettement le haut du classement totalisant plus de 77% des mentions » (Sardi, Aellig 2017, p. 56) ou pour les bibibliothèques et médiathèques du Val d’Oise : « Nombreuses sont les personnes interrogées qui continuent à conférer à la bibliothèque une symbolique culturelle de changement social, d’éveil, de savoir et d’information. » (Conseil général du Val d’Oise, 2012, p. 64).

La même réflexion peut être faite lorsqu’on analyse les questions liées à l’ouverture des guichets (Simonet, Bezençon 2018, p. 38) ou l’usage de bornes de prêt automatique (p. 39) : le statu quo est satisfaisant.

Il semble donc bien que ce n’est pas du côté des usagers que nous trouverons des propositions disruptives pour placer les bibliothèques dans un nouveau paradigme de leurs interactions avec leurs publics. Si elles veulent se renouveler, les bibliothèques doivent essayer, innover et créer des besoins dont leurs usagers n’ont peut-être pas conscience. Ce n’est en tout cas pas d’eux que va venir spontanément le changement.

Quelques exemples de résultats d’intérêt plus local

Outre ces 3 éléments d’analyses importants issus de cette enquête, on peut encore proposer deux considérations intéressantes mais avec une portée peut-être plus limitée :

Satisfaction

La satisfaction générale envers le site Riponne de la BCUL est bonne avec une note moyenne de 5.9/7 (93% de l’échantillon donne une note supérieure ou égale à 5). Un ensemble de questions de satisfaction ayant trait plus spécifiquement à différents aspects de notre bibliothèque ont été posées avec des notes sur 7 allant de 5.6 pour le confort à 6.5 pour l’évaluation de la compétence des collaborateurs. Il est par contre intéressant de noter que les étudiants notent généralement plus sévèrement que les autres répondants tous les différents critères. Est-ce que cette relative intransigeance est liée au statut d’étudiant ou à une question de génération ? Cette enquête ne peut malheureusement pas y répondre.

L’étude des usagers des bibliothèques municipales et scientifiques genevoises montre également une satisfaction globale très bonne (98% d’usagers très satisfaits ou plutôt satisfaits) avec une satisfaction encore plus grande chez les personnes fréquentant les bibliothèques depuis longtemps et les personnes les plus âgées (Sardi, Aellig 2017, p. 53). C’est peut-être un début de réponse.

A noter que dans les bibliothèques municipales françaises, un taux de satisfaction générale de 82% à 91% est constaté (Ministère de la Culture (France) 2017, p. 54)

Connaissance des services spécifiques

Nous avons soumis les personnes interrogées à des questions portant sur leurs connaissances de l’existence de cinq prestations différentes allant de notre service de prêt de e-books eLectures au fait qu’une majorité de nos collections empruntables sont stockées dans des magasins fermés. La question était posée de savoir s’ils connaissaient ce service, s’ils l’utilisaient ou dans le cas où ils ne le connaissaient pas, s’ils étaient intéressés par un tel service.

Cette question nous a permis de conclure que même avec une communication adéquate (les usagers en ont déjà entendu parler), leur matérialisation et leur localisation dans le libre-accès ont une importance pour convertir les usagers à ces services. Autrement dit, les services uniquement en ligne souffrent de ne pas avoir de présence physique pour convertir à leur utilisation des gens qui pourraient être intéressés.

Groupe de travail

Une fois l’analyse des résultats et le rapport (Simonet, Bezençon 2018) validés par le Conseil de direction de la BCUL, un groupe de travail a été constitué afin de conclure le travail autour de cette enquête. Ce groupe de travail s’est composé de 5 collaborateurs ayant différentes fonctions dans l’institution : deux responsables de collection, une personne de l’équipe des renseignements, un collaborateur du prêt et une stagiaire du prérequis au Master de la HEG. Les discussions ont été menées par les deux responsables de l’enquête.

Ce groupe de travail s’est réuni avec 3 objectifs :

-          Exploiter l’analyse et les conclusions de l’enquête.

Le but premier de cette enquête était de mieux percevoir les besoins de nos usagers, c’est pourquoi le rapport d’enquête a été proposé pour validation avant la mise sur place de ce groupe. Mais il paraissait évident que nous devions ensuite prendre acte de ses conclusions et proposer des améliorations dans la configuration actuelle de la bibliothèque et dans le cadre d’une éventuelle extension de nos locaux dans la Palais de Rumine.

-          Montrer à nos usagers une réactivité.

Après avoir passé une quinzaine de minutes avec plus de 400 usagers, il nous paraissait normal de ne pas simplement diffuser un rapport mais de pouvoir, par la suite, communiquer sur des actions à venir.

-          Autocritique.

Ce genre d’exercice d’analyse en profondeur et en groupe de travail permet aussi de faire ressortir encore des éléments qu’il aurait été intéressant de voir évoquer avec les usagers – par exemple, la durée de chaque visite qui aurait complété notre perception des besoins en équipement des places de travail – ou des imprécisions qui n’auraient pas été perçues au moment de l’enquête – c’est le cas notamment d’une question demandant les autres institutions visitées durant l’année écoulée au Palais de Rumine sans demander la fréquence de ces visites, ce qui ne permet pas de savoir si le site Riponne de la BCUL est la raison principale de la visite dans le Palais de Rumine. C’est donc également une base de connaissance importante à exploiter pour la constitution éventuelle de focus group.

Déroulement

Ce groupe de travail s’est réuni à trois reprises pour des séances de 2 heures environ.

La première session a pris la forme d’un brainstorming où les participants inscrivaient des mots-clés inspirés de leur lecture du rapport d’analyse. Cet exercice a permis de thématiser les notes d’étonnement rapportées et de rapidement les différencier entre celles découlant sur des propositions d’actions et celles devant fournir des lignes directrices sous-tendant les réflexions stratégiques de l’institution. Les notes au sein de ces deux catégories ont ensuite été regroupées en thématique pour continuer de structurer le travail : fonctionnalités des espaces et équipement, mise en valeur des collections et services, pour les propositions d’actions ; et nouveaux publics/fidélisation, attentes des publics et institution pour les éléments de réflexion stratégique.

Les deuxième et troisième séances ont servi à concrétiser en propositions d’actions ces notes et d’évaluer ensuite la temporalité de ces actions : faisables rapidement avec les ressources adéquates mais limitées (par exemple, proposer des places de travail en groupe ou augmenter le nombre de prises électriques) ou à proposer dans le cadre d’une éventuelle extension car impliquant parfois des travaux d’aménagement trop conséquents pour être imaginés immédiatement (création d’une cafétéria ou augmentation du nombre de places de travail).

Les notes portant sur des aspects stratégiques – difficilement transposables en actions à l’échelle d’un seul site – ont été reformulées et seront transmises au Conseil de direction.

Ce qui en ressort

Au moment où un point final est mis à ce retour d’expérience, les responsables de cette enquête sont en cours de rédaction d’une note interne destinée au Conseil de direction de la BCUL reprenant les notes sur des aspects stratégiques ainsi que les propositions d’actions et les mettant en contexte par rapport aux analyses issues de l’enquête.

Pour ce faire, les actions seront présentées dans un tableau décisionnel précisant pour chaque action : ce qui existe déjà, ce qui doit être fait, quelles ressources engagées et la temporalité proposée. Ce sont les critères qui permettront à la Direction de se positionner et de valider ou non ces actions.

Conclusion

En se reportant aux objectifs de l’enquête décrits au début de cet article, il est possible d’affirmer qu’ils ont été remplis et qu’ils donnent les éléments de réponse attendus par la Direction. Cette enquête a ainsi permis de confirmer un attachement à la bibliothèque par ses usagers ainsi que de mieux cerner leurs attentes et leurs profils.

Les résultats à proprement parler sont positifs car ils montrent qu’un public assidu constitue un socle important de nos usagers et que ceux-ci sont généralement satisfaits de l’environnement offert par le site Riponne. Cela dit, le fait qu’il ressorte que de catégoriser les usagers comme étudiants – donc non emprunteur uniquement intéressé par des places de travail – d’un côté et non étudiants – donc emprunteur mais n’occupant pas de place de travail – de l’autre est une généralisation abusive car il apparaît une mixité plus grande qu’imaginée entre les usages travail et loisirs. Cela sonne un peu comme un rappel à l’ordre.

Au-delà des résultats présentés ici et dans le rapport à la direction, une enquête de ce type a surtout permis une prise de contact directe avec nos usagers. Nous avons mené plus de 400 entretiens individuels d’une durée moyenne de 15 minutes avec eux. Cela représente plus de 2 semaines de travail cumulé de tête à tête avec nos usagers. C’est précieux pour les réponses factuelles aux questions posées mais aussi pour « prendre le pouls » de ceux-ci et pour les échanges indirects qu’elles ont générées.

Pour terminer, l’analyse des données et les discussions dans le groupe de travail ont confirmé le besoin de voir ces actions d’enquête menées régulièrement et comparées entre elles pour percevoir l’évolution des usages des publics de bibliothèque que ce soit sur un même site ou entre les sites. Cette répétition permet aussi de mesurer l’impact des changements dans l’environnement des bibliothèques que ce soit dû à des changements technologiques ou à des travaux d’importance.

Bibliographie

BIBLIOTHEQUE CANTONALE ET UNIVERSITAIRE (LAUSANNE), 2015. Plan directeur 2015-2020. Document interne à l’entreprise

BIBLIOTHEQUE CANTONALE ET UNIVERSITAIRE (LAUSANNE), 2018. Rapport annuel 2017 [en ligne]. Lausanne : Bibliothèque cantonale et universitaire. [Consulté le 12.08.2019]. Disponible à l’adresse : https://www.bcu-lausanne.ch/wp-content/uploads/2018/06/20180523_RA2017-BCUL_a.pdf

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