N°19 décembre 2018

Sommaire - N° 19, Décembre 2018

Articles de recherche :

Comptes-rendus d'expériences :

Comptes-rendus d'événements :

Recensions :

Editorial

Comité RESSI

Editorial n°19

C’est un numéro 19 très riche en contributions que nous avons le plaisir de vous proposer.

Dans la rubrique « Etudes et Recherches », vous trouverez un premier article recensant la production scientifique sur la communication hospitalière. Intitulé La contribution suisse dans la recherche sur la communication institutionnelle dans les hôpitaux et signé Pablo Medina Aguerrebere et Emmanuel Kabengele, respectivement assistant de recherche et professeur à l’Institut de Santé Globale, de la Faculté de Médecine de l’Université de Genève, il arrive à la conclusion que la production suisse sur le sujet est encore peu présente.

La deuxième contribution est signée Viviane Frings-Hessami, chargée de cours à l’université de Monash, en Australie. Intitulé La Perspective du Continuum des archives illustré par l’exemple d’un document personnel, il explicite de manière très concrète une nouvelle approche du cycle de vie des données, le records continuum, au travers d’une photo de famille.

Dans la rubrique « Comptes rendus d’expérience », nous vous proposons six contributions.

La première est signée Jeannette Frey, Directrice de la BCU Lausanne, Présidente de Renouvaud et Piergiuseppe Esposito, chargé de mission à la BCU de Lausanne. Intitulé Renouvaud : de la gestion de projet à la coordination du réseau vaudois des bibliothèques, il détaille les étapes et les méthodes ayant permis à l’ensemble des bibliothèques vaudoises (plus de 100 jusqu’à présent), de migrer de Rero vers le système Alma au sein du réseau Renouvaud. C’est un projet mené en deux ans, d’une ampleur sans précédent, et qui a comporté plusieurs dimensions : organisationnelle, informatique et bibliothéconomique.

La deuxième, rédigée par Aurélie Vieux, Pablo Iriarte et Marc Meury, collaborateurs à la Division de l’information scientifique de l’Université de Genève, est intitulée Des e-books dans sa poche : projet de valorisation de la collection numérique de la Bibliothèque de l’Université de Genève. Elle décrit le projet d’harmonisation de la valorisation des ressources numériques entre les différents sites des bibliothèques de l’Université de Genève, grâce à la création de l’Application de valorisation numérique “Avalon”, qui simplifie le processus de création des supports de valorisation, optimisant ainsi la visibilité des ressources numériques.

La troisième contribution émane de Julien Gobeill et Patrick Ruch, respectivement chargé de cours et professeur ordinaire à la HEG-Genève, et membres de l’Institut suisse de bio-informatique, Matthias van den Heuvel et Gaétan de Rassenfosse, respectivement doctorant et professeur à l’EPFL, ainsi que Laura Minu Nowzohour et Joëlle Noailly, respectivement doctorante et professeure à l’IHEID à Genève. Intitulé Apprentissage et classification automatiques pour améliorer la pertinence d’un corpus d’articles, il explique avec un exemple comment utiliser la fouille de textes (text mining) pour aider le spécialiste en recherche documentaire dans une activité de constitution de corpus, tout spécialement avec des masses d’informations importantes.

La quatrième contribution est signée par Sylvain Wenger, Directeur de projet de la Valorisation du patrimoine et de la promotion de la recherche auprès de la Société des Arts et intitulée Conserver et valoriser les archives de la Société des Arts de Genève.  Il y décrit les enjeux et étapes du projet de mise en place, depuis 2016, des actions de valorisation de cette Société, fondée en 1776 pour la promotion de l’économie locale, actions destinées à la communauté de la recherche et à un public plus large, dont les résultats sont attendus pour 2019-2020.

La cinquième contribution, intitulée Les bibliothèques de la Communauté du Savoir, et signée Agnès Dervaux-Duquenne, bibliothécaire responsable de la Haute Ecole Arc Ingénierie à Neuchâtel, décrit les actions de collaboration – et leurs bénéfices - mises en œuvre par les bibliothèques de Communauté du savoir, réseau visant à renforcer, valoriser et stimuler les collaborations franco-suisses dans l'Arc jurassien (incluant la Franche-Comté et les cantons de Berne, Jura, Neuchâtel et Vaud côté Suisse), en matière d'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation.

La sixième contribution est due à Michel Gorin et Matthieu Cevey, respectivement maître d’enseignement et assistant d’enseignement à la Haute Ecole de Gestion de Genève. Intitulée Demain est mieux qu’aujourd’hui : évolution des rôles et missions des bibliothèques, elle constitue le reflet d’une intervention faite par ses auteurs lors du Congrès des professionnels de l’information de Montréal, organisé du 12 au 14 novembre 2018 et centré sur le thème : « Les professionnel-le-s de l’information, actrices et acteurs de changement ». Ils font tout d’abord état de l’importance des bibliothèques comme garantes de la démocratie en tirant un parallèle avec l’initiative populaire suisse « No Billag ». Ensuite, reconnaissant la nécessité, pour les bibliothécaires, de s’adapter aux mutations en cours, ils proposent un modèle de « bibliothèque-plateforme », basé sur le récent travail de bachelor d’un étudiant.

Dans la rubrique « Compte rendu d’événement », on trouvera deux contributions principales et la mention d’une recension à venir.

La première, signée Benoît Epron, professeur associé à la HEG-Genève et intitulée Conférence nationale Open access, rend compte de la journée organisée le 26 octobre 2018 par swissuniversities à l'Université de Lausanne, qui faisait le point sur l'open access en Suisse en abordant ses aspects académiques, économiques et politiques.

La deuxième contribution rend compte de la dernière Journée franco-suisse sur la veille stratégique et l'intelligence économique, la 15ème, qui a eu lieu le 12 juin 2018 à Besançon sur le thème: Quelle veille pour les start-ups ? Signée par Hélène Madinier, professeure associée à la HEG-Genève, il rend compte des différentes interventions de nature théorique et sous forme de témoignages de start-ups, ainsi que d’une démonstration de méthode de recherche d’information pour une start-up faite en direct par un consultant.

La troisième est une annonce du numéro spécial de RESSI, faite par le Comité de rédaction, à l’occasion des 100 ans de la filière Information documentaire de la HEG-Genève. Cet anniversaire a été l’occasion de diverses conférences et autres manifestations qui ont eu lieu en juin 2018, qui seront résumées, avec photos, chronologie, articles récapitulatifs, prospectifs et interviews, dans un numéro spécial de RESSI à paraître début 2019.

Finalement, on trouvera quatre recensions d’ouvrages.

La première recension est écrite par Alexis Rivier, Conservateur des ressources numériques et des périodiques à la Bibliothèque de Genève, et rend compte de l’ouvrage d’Yves Desrichard Cinquante ans de numérique en bibliothèque. Publié en 2017, ce livre  articule le numérique en bibliothèque en cinq « temps », couvrant chacun à peu près une décennie, et décrit les transformations des bibliothèques – encore à venir - induites par l’arrivée de l’informatique.

La deuxième recension émane de Claire Wuillemin, assistante d’enseignement à la HEG-Genève, et rend compte de l’ouvrage de Véronique Mesguich, Rechercher l’information stratégique sur le web : sourcing, veille et analyse à l’heure de la révolution numérique. Publié en 2018, ce livre fait un point essentiel sur l’évolution de Google et des moteurs de recherche. Il donne des clés pour la recherche d’information et l’évaluation de la qualité de l’information, en visant le développement d’une véritable littératie numérique.

Le troisième compte rendu d’ouvrage est signé Siham Alaoui, étudiante au doctorat en archivistique à l’Université Laval du Québec, et recense le livre Consommer l’information : de la gestion à la médiation documentaire, de Martine Cardin et Anne Klein, publié en 2018 aux Presses de l’Université Laval. Il décrit la nouvelle approche de l’archivistique, soit celle de l’archivistique ouverte, résultant de l’interdisciplinarité entre l’archivistique et le marketing ouvert.

Enfin, le quatrième compte rendu, sous la plume de Tullio Basaglia, chef de section de la bibliothèque du CERN à Genève, rend compte de l’ouvrage en anglais d’Yvonne de Grandbois - qui a fait sa carrière de professionnelle de l’information en Suisse romande- Service Science and the Information Professional, publié en 2016. Ce livre offre un aperçu succinct mais complet de la discipline qu’est la science des services, et il souligne l’importance de cette dernière pour les professionnels de l’information.

Nous vous souhaitons une très bonne lecture et nous remercions vivement les auteurs de cette édition, ainsi que les fidèles réviseurs, ainsi que ceux et celles qui ont contribué à la mise en ligne de RESSI.

Le Comité de rédaction

La contribution suisse dans la recherche sur la communication institutionnelle dans les hôpitaux

Pablo Medina Aguerrebere, Institut de Santé Globale, Faculté de Médecine – Université de Genève

Emmanuel Kabengele, Institut de Santé Globale, Faculté de Médecine – Université de Genève

La contribution suisse dans la recherche sur la communication institutionnelle dans les hôpitaux

Introduction

La gestion stratégique de la communication institutionnelle dans les hôpitaux est devenue un domaine prioritaire pour les institutions qui souhaitent optimiser leur fonctionnement interne et externe pour ainsi renforcer les rapports établis avec les différentes parties prenantes (employés, patients, médias, autorités publiques, etc.). Les synergies existantes entre ces deux milieux professionnels – hôpital et communication- ont mené plusieurs chercheurs à produire des travaux sur la communication médecin-patient, la communication interne et externe dans les hôpitaux, la gestion de l’image de marque, l’impact des réseaux sociaux sur la réputation de l’hôpital, etc. Ainsi, des revues scientifiques spécialisées dans ce domaine ont vu le jour à travers le monde, comme par exemple Health Communication, Journal of Health Communication ou Journal of Communication in Healthcare.  L’objectif de cet article est d’évaluer la contribution de la recherche suisse dans le domaine de la communication hospitalière. Dans cette perspective, nous avons réalisé une revue de littérature sur les principaux axes dans ce domaine (communication institutionnelle, communication interne et externe, réputation et réseaux sociaux) ; et, ensuite, nous avons analysé la production scientifique de 1997 à 2017 des principales revues dans ce domaine au niveau international (Journal of Health Communication, Health Communication, Journal of Communication in Healthcare et The American Journal of Public Health) et national (Swiss Medical Weekly, Revue Médicale Suisse) ainsi que la base de données Medline afin de repérer des travaux centrés sur le contexte hospitalier suisse.

La communication institutionnelle dans les hôpitaux

La communication est un facteur stratégique qui influence la pratique des professionnels de santé dans les hôpitaux (Brent, 2016 ; Burleson, 2014). Les relations synergiques entre la communication et la santé ont mené plusieurs chercheurs à s’intéresser à ce domaine ; ainsi, plusieurs travaux ont porté sur la gestion globale de l’information médicale, la communication médecin-patient ou encore l’impact des nouvelles technologies de la communication sur le fonctionnement de l’hôpital (Hannawa et al. 2015). L’influence de la communication sur les comportements et les résultats médicaux obtenus par les patients qui se rendent à l’hôpital a mené certains, comme Nazione et al. (2013), à affirmer que la communication hospitalière est un domaine de recherche stratégique pour l’avenir de la société. L’augmentation de la production scientifique dans ce domaine montre l’intérêt dans une meilleure connaissance sur le comportement du patient pour ainsi lui offrir un meilleur service médical (Kreps, Query, Bonaguro, 2007). Par ailleurs, ces recherches permettent aussi aux institutions sanitaires d’améliorer l’efficacité de leurs campagnes de communication et de promotion de la santé (Weberling, McKeever, 2014).

Même si les rapports entre la communication et les hôpitaux sont nombreux, nous pouvons souligner cinq domaines de recherche principaux : a) la communication entre le professionnel de la santé et le patient, b) la communication interne dans les hôpitaux, c) la communication externe hospitalière, d) la gestion de l’image de marque et de la réputation et e) l’impact des réseaux sociaux sur la communication institutionnelle des hôpitaux.

La communication entre le patient et le professionnel de la santé est un domaine stratégique pour le bon fonctionnement de l’hôpital. Selon Gilligan et al. (2016), les Facultés de Médecine doivent promouvoir les formations en communication interpersonnelle afin que les futurs professionnels de la santé sachent offrir aux patients un service médical efficace et centré sur les vrais besoins des patients en vue d’améliorer le fonctionnement de l’hôpital. L’empowerment  du patient est devenu une priorité pour les organisations hospitalières : ainsi, le patient apparaît comme un acteur autonome et responsable de sa propre santé et assume dorénavant un rôle très actif dans les rapports établis avec les professionnels de la santé (Bureau, Herman-Mesfen, 2014). Ce dernier doit développer des compétences en communication interpersonnelle, écoute et analyse du contexte afin de pouvoir adapter son discours à la situation personnelle de chaque patient (D’Agostino, Bylund, 2014). En ce qui concerne le patient, celui-ci assume un rôle de plus en plus actif dans les rapports établis avec le professionnel de la santé, d’où la nécessité de se former en communication interpersonnelle (Medina Aguerrebere, 2013). Lors d’une consultation médicale à l’hôpital, la satisfaction du patient est déterminée par les compétences en communication interpersonnelle du professionnel de la santé ; autrement dit, la courtoisie, le respect, les habilités linguistiques et la capacité pour expliquer clairement les informations scientifiques (Al-Abri, Al-Balushi, 2014). Pour faciliter les rapports communicationnels établis entre le professionnel de la santé et le patient, il est souhaitable que ces rapports se basent sur l’argumentation rationnelle, laquelle permet de renforcer le rôle prioritaire du patient (Labrie, Schulz, 2014) ; mais aussi sur le contrôle des émotions, pour ainsi éviter les tensions communicationnelles et, donc, les erreurs dans la diffusion d’informations médicales (Dean, Oetzel, 2014).

Dans le milieu hospitalier, la communication interne est devenue une activité stratégique qui influence la qualité du service médical proposé au patient. Selon Welch et Jackson (2007 : 193), « la communication interne est une activité communicationnelle, qui a lieu entre les managers stratégiques et les parties prenantes, et dont le but est la promotion chez l’employé de l’engagement avec l’organisation, le sentiment d’appartenance, la prise de conscience sur l’environnement changeant et la compréhension des objectifs collectifs ». Dans le domaine hospitalier, les professionnels de la communication interne font face à plusieurs défis : le manque d’experts dans le domaine, la difficulté à mettre en place certaines actions de communication interne et la difficulté à divulguer les informations scientifiques (Burleson, 2014). Ces professionnels doivent baser leurs plans d’actions sur une approche multi-stakeholders, autrement dit, ils doivent identifier et caractériser les différentes parties prenantes existant à l’organisation – managers stratégiques, superviseurs, employés, etc.- et adapter leur communication à chacun d’eux (Welch, Jackson, 2007). Dans un contexte médical caractérisé par le changement des attentes qu’ont les patients et par le rôle communicationnel de plus en plus important de l’employé, la communication interne devient un outil fondamental pour aider l’organisation à garder la cohérence entre l’image de marque et le comportement des employés (Naveen, Anil, Smruthi, 2014).

L’objectif de la communication institutionnelle externe est d’aider l’hôpital à établir des rapports satisfaisants avec ses différentes parties prenantes, notamment les patients, les médias et les autorités sanitaires –nationales ou internationales-. L’implantation d’une stratégie efficace de communication externe exige une phase préalable de recherche permettant à l’organisation d’évaluer les attitudes et les attentes des différentes parties prenantes (Moser, Greeman, 2014). Par ailleurs, les responsables de communication utilisent des outils de mesure pour expliquer la valeur ajoutée par la communication externe à l’organisation en terme de réputation, marque, identité, leadership, motivation des employés, prévention de crises et relations avec les parties prenantes (Zerfass, Viertmann, 2017). Dans le cadre de la communication institutionnelle externe, les hôpitaux peuvent avoir recours à la publicité et au marketing. Ces deux disciplines s’appliquent parfaitement dans le domaine hospitalier ; ainsi, par exemple, plusieurs études démontrent que le public est très réceptif aux informations médicales diffusées par les hôpitaux dans les campagnes de publicité (Moser, Greeman, 2014). D’ailleurs, la publicité réalisée par les hôpitaux influence le choix des patients ainsi que les résultats économiques de l’institution (Nanda, Telang, Bhatt, 2012). La communication institutionnelle externe, le marketing et la publicité permettent à l’hôpital de renforcer son image de marque, laquelle, selon Naveen, Anil et Smruthi (2014), détermine les décisions et les perceptions des patients sur l’organisation.

La création d’une image de marque solide constitue une priorité pour le Directeur de Communication de l’hôpital. La marque représente des qualités tangibles et intangibles qui apportent à l’organisation une valeur ajoutée (Esposito, 2017). Dans le domaine hospitalier, la marque ne fait pas référence uniquement au nom de l’organisation, mais aussi à toutes les expériences vécues par les patients à l’hôpital ainsi qu’à leurs attentes vis-à-vis de la promesse de l’organisation (Wang et al. 2011). Pour construire une marque solide, les hôpitaux doivent identifier leur niche de marché, analyser le comportement des parties prenantes et construire une marque basée sur la confiance suscitée par la qualité du service médical proposé au patient (Vinodhini, Kumar, 2010). En fonction de leur statut – public ou privé-, les hôpitaux doivent gérer leur marque d’une manière différente: ainsi, les hôpitaux publics doivent transmettre une image cohérente avec celle de l’administration dont ils dépendent afin que les usagers perçoivent les mêmes valeurs dans les deux institutions ; par contre, les hôpitaux privés doivent offrir une image différenciatrice, de qualité et attrayante pour ainsi attirer les différents publics (Ruiz-Granja, 2015).

Pour construire une marque solide et réputée, les hôpitaux utilisent actuellement les réseaux sociaux comme outil de communication institutionnelle. Ces plateformes facilitent les activités communicationnelles de l’hôpital et promeuvent l’empowerment du patient (Fischer, 2014 ; Househ, Borycki, Kushniruk, 2014), ce qui contribue à la construction d’une marque réputée. Néanmoins, il s’avère nécessaire que ces organisations règlent préalablement certains problèmes concernant les réseaux sociaux, comme par exemple la confidentialité, la sécurité, la gestion de l’identité et la désinformation (Househ, Borycki, Kushniruk, 2014). D’ailleurs, elles doivent parier sur la formation des patients et des professionnels de la santé dans l’usage efficace de ces outils (Moorhead et al. 2013). La stratégie sur les réseaux sociaux doit viser la satisfaction des besoins communicationnels ou cliniques des différentes parties prenantes dont dépend l’hôpital (McCarroll et al. 2014), d’où l’importance que ces organisations gèrent les conversations avec les patients pour ainsi mieux satisfaire lesdits besoins (Abramson, Keefe, Chou, 2015).

La gestion stratégique de la communication – interpersonnelle, interne, externe et online- contribue à la création d’une marque hospitalière solide, ce qui est fondamental pour renforcer le positionnement stratégique de l’organisation dans le marché des soins. La recherche sur ce domaine, notamment la communication médecin-patient, devient de plus en plus nécessaire pour les hôpitaux, mais aussi pour les institutions universitaires qui souhaitent mettre en valeur un domaine de recherche qui concerne toute la population. La réalisation de recherches qualitatives ou quantitatives sur la communication médecin-patient, la communication online ou la communication externe de l’hôpital est très présente dans certains pays, comme par exemple les États-Unis. Néanmoins, ces dernières années, nombreux chercheurs de différents pays se sont intéressés à ce milieu de recherche, ce qui met en évidence l’importance grandissante de la communication institutionnelle dans les hôpitaux.

Méthodologie

Afin de connaître la contribution des chercheurs suisses à la production scientifique sur la communication institutionnelle dans les hôpitaux, nous avons analysé individuellement toutes les publications relatives à ce domaine scientifique qui ont paru entre 1997 et 2017. Pour ce faire, nous avons consulté la base de données PubMed, ainsi que le site web individuel des principales revues de référence internationale dans ce domaine (Journal of Health Communication, Health Communication, Journal of Communication in Healthcare et The American Journal of Public Health). Les trois premières publications sont les revues spécialisées en communication santé les mieux classées dans le ranking JCR Thompson Reuters 2016; en ce qui concerne la quatrième revue, il s’agit d’une des revues les mieux classées dans le classement « public, environnemental and occupational health » (JCR Thompson Reuters 2016), et spécialement ouverte envers le domaine de la communication. Afin de trouver les informations précises concernant notre recherche, nous avons analysé le titre et le résumé de tous les articles publiés entre 1997 et 2017. Pour ce faire, nous avons eu recours à différents mots clés - en anglais- combinés de différentes manières : hospital, Switzerland, communication, interpersonal, internal, brand, reputation et social media. Nous avons réalisé toutes les combinaisons possibles afin de trouver les meilleures informations; ainsi, par exemple, pour le mot « hospital », nous avons mené sept recherche différentes : hospital et Switzerland, hospital et communication, hospital et interpersonal, hospital et internal, hospital et brand, hospital et reputation, et hospital et social media. Nous avons fait la même chose avec tous les mots. Une fois évaluées ces quatre revues, et afin de compléter cette étude, nous avons utilisé les mêmes mots clés – en français et en anglais- et les mêmes combinaisons pour analyser les articles publiés entre 1997 et 2017 par les deux revues scientifiques de référence en Suisse dans le domaine de la santé publique (Swiss Medical Weekly, Revue Médicale Suisse) et par la base de données Medline. Pour ce faire, nous avons eu recours à la base de données PubMed. L’analyse de 6 revues scientifiques et de la base de données Medline a été menée du 30 octobre 2017 au 10 décembre 2017.

Résultats

Depuis 1997 jusqu’à 2017, les trois journaux de référence internationale dans le domaine de la communication de santé (Journal of Health Communication, Health Communication et Journal of Communication in Healthcare) et l’un des journaux les plus représentatifs sur la santé publique (The American Journal of Public Health) ont publié 13.703 articles portant sur la communication, la santé publique, les organisations sanitaires, les pathologies, les traitements, etc. (voir Tableau 1. Production scientifique 1997-2017). Les auteurs de ces articles travaillent dans différentes universités internationales, notamment aux États-Unis, en Grande Bretagne et au Canada.


Malgré le volume élevé de production scientifique, il y a très peu de travaux qui analysent le rôle de la communication institutionnelle dans les hôpitaux de Suisse. Ainsi, parmi les 13.703 articles considérés, il n’a pas été trouvé des travaux centrés spécifiquement sur la communication institutionnelle dans les hôpitaux suisses : communication interpersonnelle, communication interne, communication externe, marque, réputation ou réseaux sociaux. Seules 8 articles ont été repérés en lien avec la communication institutionnelle hospitalière en Suisse (voir Tableau 2. Articles sur la communication hospitalière en Suisse).

Tableau 1. Production scientifique 1997-2017

Revue

Années

Périodicité

Nombre d’articles publiés

Nombre de volumes publiés

Nombre moyen d’articles publiés par volume

Journal of Health Communication

1997-2017

Mensuelle

1 707

179

 

9,5

Health Communication

1997-2017

Mensuelle

1 391

133

10,5

Journal of Communication in Healthcare*

2008-2017

Bimensuelle

335

38

8,8

The American Journal of Public Health

1997-2017

Mensuelle

10 270

 

277

37,1

 

* Le premier numéro de ce journal a été publié en 2008

Tableau 2. Articles sur la communication hospitalière en Suisse

 

Revue

Titre article

Année

Auteurs

Sujets analysés 

1

Journal of Health Communication

An International Comparison of the Association among Literacy, Education, and Health across the United States, Canada, Switzerland, Italy, Norway, and Bermuda: Implications for Health Disparities.

2015

Takashi Yamashita, Suzanne Kunkel

Santé, éducation, communication.

2

Journal of Health Communication

Empowering People and Organizations through Information

2012

Najeeb Al-Shorbaji

Communication interne, information, gestion des connaissances.

3

Health Communication

Discharge Communication in Patients Presenting to the Emergency Department With Chest Pain: Defining the Ideal Content

2015

Selina Ackerman et al.

Communication interne, diffusion d’informations, communication médecin-patient.

4

Health Communication

Physician-Perceived Contradictions in End-of-Life Communication: Toward a Self-Report Measurement Scale

2014

Rebecca Amati, Annegret Hannawa

Soins palliatifs, communication interne, communication interpersonnelle.

5

Health Communication

Relational Dialectics Theory: Disentangling Physician-Perceived Tensions of End-of-Life Communication

2013

Rebecca Amati, Annegret Hannawa

Soins palliatifs, communication interne, communication interpersonnelle.

6

Health Communication

Physicians' Communicative Strategies in Interacting With Internet-Informed Patients: Results From a Qualitative Study

2012

Maria Caiata, Peter Schulz

Hopital, communication interne, communication  interpersonnelle.

7

Health Communication

Health Communication Research in Europe: An Emerging Field

2010

Peter Schulz, Uwe Hartung

Recherche académique, communication santé, patients.

8

Journal of Communication in Healthcare

Differential appraisal of age thresholds for mammographic screening in Holland and Switzerland

2014

Peter Schulz, Bert Meuffels

Cancer de sein, communication interne, brochures.

Les sujets analysés sont une liste de sujets ad hoc nous permettant de clarifier les contenus analysés

L’analyse menée sur les 13.703 articles publiés par ces quatre journaux met en évidence certaines tendances. En premier lieu, l’absence marquée d’articles dans le domaine de la communication institutionnelle dans les hôpitaux, que ce soit dans le contexte suisse ou ailleurs. Même s’il y a quelques articles sur la communication interne et interpersonnelle dans le domaine hospitalier, nous n’avons trouvé aucun texte centré sur la communication institutionnelle qu’un hôpital peut mettre en place pour construire sa marque et améliorer ses rapports avec les parties prenantes. Néanmoins, il faut mettre en évidence le cas du Journal of Health Communication, qui a consacré un numéro spécial à la communication interpersonnelle dans le domaine du cancer (2009, vol. 14, sup. 1, State of the Sciences of Communication for Cancer Prevention and Control) ; celui de Health Communication, qui a publié plusieurs articles sur la communication interpersonnelle dans différentes situations - urgences, soins palliatifs, soins de premiers secours- ; et celui du Journal of Communication in Healthcare, qui a publié plusieurs recherches sur les campagnes de santé publique et le marketing sanitaire.

En deuxième lieu, la plupart des travaux analysent la réalité des États-Unis, la Grande Bretagne ou le Canada. Ainsi, par exemple, dans la revue American Journal of Public Health, nous avons trouvé plusieurs textes centrés sur les problèmes de santé publique dans certains états des États-Unis (Californie, Floride, etc.), l’impact sur la santé publique de certains évènements qui ont eu lieu dans le pays (Ouragan Katrina, attaques terroristes à l’anthrax, attentats du 11 Septembre, etc.) ou encore les comportements sanitaires des minorités habitant aux États-Unis – hispanos, africains, etc.- Néanmoins, le Journal of Health Communication a publié plusieurs articles sur les problèmes et défis de santé publique dans d’autres pays, comme par exemple le Kenya, l’Inde ou la Chine ; et le Journal Health Communication a consacré un numéro spécial au développement de la santé publique dans ce dernier pays.

En troisième lieu, les quatre revues analysées priorisent la publication d’articles centrés sur le cas concret de pathologies ou traitements. Ainsi, le Journal of Health Communication a publié plusieurs textes sur le tabac, le VIH, le cancer et la santé mentale ; la revue Health Communication, sur la santé sexuelle, les soins palliatifs, la santé mentale et le don d’organes ; le Journal of Communication in Healthcare, sur la gestion des informations concernant le patient, l’alimentation, la health literacy et le cancer ; et l’American Journal of Public Health, sur la drogue, la contraception, l’ alcool, les styles de vie et la contraception.

Et finalement, en quatrième lieu, le peu de textes qui s’intéressent à la communication en santé publique sont rédigés sous une approche journalistique (couverture médiatique d’un traitement ou une pathologie, campagnes médiatiques contre le tabac, impact de la presse sur la santé publique, etc.), et non pas sous une approche de communication institutionnelle qui vise l’analyse de sujets clés pour une organisation, comme par exemple l’image de marque, la réputation ou le rapport avec les parties prenantes.

Afin de compléter cette étude, nous avons analysé les travaux publiés par les deux meilleures revues de santé publique en Suisse (Swiss Medical Weekly, Revue Médicale Suisse) et par la base de données Medline. Nous avons trouvé des résultats qui confirment le manque de publications centrées spécifiquement sur la communication institutionnelle dans les hôpitaux de Suisse. Ainsi, de 1997 à 2017, la Swiss Medical Weekly a publié uniquement 5 articles en lien avec la communication institutionnelle dans les hôpitaux suisse (voir Tableau 3. Articles parus dans Swiss Medical Weekly) ; la Revue Médicale Suisse, 18 articles (voir Tableau 4. Articles parus dans la Revue Médicale Suisse); et la base de données Medline, 5 articles (voir Tableau 5. Articles parus dans Medline).

Tableau 3. Articles parus dans Swiss Medical Weekly

 

Revue

Titre article

Année

Auteurs

Sujets analysés

1

Swiss Medical Weekly

HIV screening: better communication instead of searching for a needle in a haystack?

2016

Pietro Vernazza

Communication interne, communication médecin patient, prévention.

2

Swiss Medical Weekly

Teaching communication skills: beyond wishful thinking

2015

Junod Perron et al.

Communication interpersonnelle, communication médecin patient, profils de patients.

3

Swiss Medical Weekly

Discharge communication in the emergency department: physicians underestimate the time needed

2012

Selina Ackermann et al.

Communication interne, communication médecin patient, service urgences.

4

Swiss Medical Weekly

Language difficulties in outpatients and their impact on a chronic pain unit in Northwest Switzerland.

2010

Ruppen W, Badschapp O, Urwyler A.

Hopital, communication interpersonnelle patients chroniques.

5

Swiss Medical Weekly

Communication training and antibiotic use in acute respiratory tract infections

2006

Mathias Brieck et al.

Communication interne, communication médecin patient, antibiotiques.

Les sujets analysés sont une liste de sujets ad hoc nous permettant de clarifier les contenus analysés

Tableau 4. Articles parus dans la Revue Médicale Suisse

 

Revue

Titre article

Année

Auteurs

Sujets analysés

1

Revue Médicale Suisse

Formation à la communication clinique : malaise dans la médecine

2017

Céline Bourquin, Friedrich Stiefel

Communication institutionnelle, communication interne, communication interpersonnelle

2

Revue Médicale Suisse

Enseignement prégradué à la communication et à la relation médecin-patient

2017

Alexandre Berney et al.

Communication, communication médecin patient, discours.

3

Revue Médicale Suisse

Vaccination de la personne âgée : quelques outils pour mieux communiquer

2017

Lisa Hentsch et al.

Communication, prévention, personnes âgées.

4

Revue Médicale Suisse

Communiquer, converser, s’émerveiller

2017

Marco Vannotti

Hopital, communication médecin-patient, accompagnement.

5

Revue Médicale Suisse

Communiquer à la femme enceinte: avantages, risques et incertitudesde la vaccination

2017

Aude Freiburghaus, Elena Ferro-Luzzi, Joël Krüll

Communication interne, communication interpersonnelle, femmes enceintes.

6

Revue Médicale Suisse

Communication du risque en médecine des voyages

2015

Reto Auer et al.

Communication, prévention, médecine de voyage

7

Revue Médicale Suisse

Gestion et communication de l’information en surveillance biologique: une approche éthique et interdisciplinaire

2015

Laetitia Pralong

Communication, gestion de l’information, surveillance biologique

8

Revue Médicale Suisse

Stratégies de communication au service de la formation : quelques outils pratiques

2015

David Gachoud, Sylvie Félix, Matteo Monti

Communication institutionnelle, communication externe, formation.

9

Revue Médicale Suisse

Réseaux sociaux : de nouveaux outils de communication et de formation pour les médecins ?

2015

François Bastardot, Peter Vollenweider, Pedro Marques-Vidal

Hopital, communication, médias sociaux.

10

Revue Médicale Suisse

Relation soignant-soigné : quand les blogs s’en mêlent

2014

Céline Rondi, Alexandre Berney

Hopital, communication, médias sociaux.

11

Revue Médicale Suisse

Communication lors de la consultation : une compétence qui s’apprend et... s’enseigne

2012

Louis Simonet

Hopital, communication médecin-patient, enseignement.

12

Revue Médicale Suisse

Menaces épidémiologiques : réflexions sur la communication

2011

Christian Chuard, Daniel Genné

Communication, prévention, épidémiologie

13

Revue Médicale Suisse

Perception et communication du risque : du diabète à la maladie cardiovasculaire

2010

Francesco Gianinazzi et al.

Communication interne, risque, maladie cardiovasculaires.

14

Revue Médicale Suisse

La communication médicale et les recommandations relationnelles : à contre-courant

2007

C. Luthy C. Cedraschi

Communication interne, communication médecin-patient, évaluation.

15

Revue Médicale Suisse

Améliorer les compétences communicationnelles : expérience «clinique» et évaluation scientifique

2006

F. Stiefel I. Rousselle J.-N. Despland P. Guex

Communication interne, communication interpersonnelle, profil patients.

16

Revue Médicale Suisse

Chaque praticien est aussi enseignant : la communication pédagogique

2006

J. Sommer N. Junod Perron

Communication interne, communication médecin-patient, enseignement.

17

Revue Médicale Suisse

Quelle place donner à la messagerie électronique dans la communication patients-médecins ?

2004

J.-L. Vonnez

Hopital, communication online, email.

18

Revue Médicale Suisse

La communication : un élément central en soins palliatifs

2002

F. Stiefel, I. Rousselle et P. Guex

Communication institutionnelle, communication médecin-patient, soins palliatifs.

Les sujets analysés sont une liste de sujets ad hoc nous permettant de clarifier les contenus analysés

Tableau 5. Articles parus dans Medline

 

Revue

Titre article

Année

Auteurs

Sujets analysés

1

Psychiatry Research

Informal coercion as a neglected form of communication in psychiatric settings in Germany and Switzerland.

2017

Elmer et al.

Communication interne, communication interpersonnelle, psychiatrie.

2

BMC Health Services Research

Use of email, cell phone and text message between patients and primary-care physicians : cross-sectional study in a French-speaking part of Switzerland.

2016

Dash et al.

Communication interne, communication online, email.

3

The UMSCH

Telemedicine in Switzerland

2015

Denz MD

Hôpital, communication, télémédecine.

4

Burns

Evaluation of the online-presence (homepage) of burn units/burn centers in Germany, Austria and Switzerland.

2012

Selig H. et al.

Hôpital, communication online, page d’accueil.

5

BMC Medical Education

Self-assessment of intercultural communication skills: a survey of physicians and medical students in Geneva, Switzerland.

2011

Hudelson P, Perron N, Perneger T.

Hôpital, communication médecin-patient, interculturalité.

Les sujets analysés sont une liste de sujets ad hoc nous permettant de clarifier les contenus analysés

Discussion

La communication institutionnelle dans le milieu hospitalier constitue une priorité stratégique pour toutes les organisations qui souhaitent renforcer leur image de marque (Medina, Lahmadi, 2012). Grâce à la communication, l’organisation peut améliorer ses rapports avec les parties prenantes dont elle dépend et renforcer son positionnement stratégique dans le marché (Anisimova, 2013). Malgré l’importance stratégique de la communication institutionnelle dans le milieu hospitalier, la communauté académique ne semble pas trop s’y intéresser. Plusieurs aspects permettent d’expliquer cette réalité.

En premier lieu, les Facultés de Communication des universités, qui sont très bien instaurées dans certains pays comme les Etats-Unis, ne sont pas très présentes dans d’autres pays, ce qui rend difficile le développement d’un axe de recherche portant sur la communication hospitalière. D’ailleurs, la plupart de ces Facultés proposent des formations en journalisme, lesquelles semblent ne pas répondre aux besoins des hôpitaux du point de vue de la communication institutionnelle. Par ailleurs, les autres Facultés de Médecine accusent un peu de retard dans l’instauration de cours obligatoires sur la communication institutionnelle, ce qui ne correspond pas avec les demandes des futurs professionnels de la santé. Ainsi, ces professionnels ont besoin de développer leurs habilités de communication interpersonnelle afin de mieux interagir avec les différents types des patients -différences culturelles, sociodémographiques, linguistiques, religieuses, etc.- et pouvoir ainsi leur offrir un service intégral du point de vue médical et humain (Dean, Oetzel, 2014). 

En deuxième lieu, la plupart des hôpitaux accusent un certain retard dans le développement de structures formelles de communication institutionnelle (Kemp, Jilipalli, Becerra, 2014). Pendant des années, plusieurs organisations hospitalières n’ont pas eu besoin de développer leur image de marque ni leurs rapports avec les différents parties prenantes (Maier, 2016). Néanmoins, depuis plus de vingt ans, de plus en plus d’hôpitaux doivent faire face à différents problèmes de management comme par exemple le déficit budgétaire ; le disfonctionnement dans les processus internes de travail ; la concurrence grandissante entre les hôpitaux privés, publics et les groupes hospitaliers internationaux présents dans différents pays ; les nouvelles technologies de la communication et la cybersanté ; ou encore le rôle de plus en plus actif du patient lors des consultations médicales. Le nouveau contexte hospitalier oblige ces organisations à renforcer la gestion professionnelle de la communication : il existe un écart entre la diffusion de certains contenus de communication (magazines, sites web, etc.) et le travail stratégique réalisé par un département de communication. La création de ces structures formelles constitue l’un des défis prioritaires pour ces organisations (Martini, 2010).

Et, en troisième lieu, l’effectif limité de revues scientifiques spécialisées dans le domaine de la communication hospitalière a rendu difficile le développement de cet axe de recherche. Ainsi, à part les revues scientifiques analysées dans cette étude (Journal of Health Communication, Health Communication, Journal of Communication in Healthcare), il y a très peu de revues académiques qui portent sur le domaine de la communication hospitalière. Ces dernières années, dans certains pays d’Europe et d’Amérique Latine, plusieurs universités ont créé des revues dans le domaine, comme par exemple Revista Española de Comunicación y Salud (Université Carlos III à Madrid, Espagne) ou l’International Journal of Communication and Health (Université de Bucarest, Roumanie); néanmoins, il s’agit de revues qui ne mobilisent pas encore la communauté académique puisqu’elles ne sont pas encore bien classées dans les bases de données (Thompson Reuters, Ebsco, etc.).

Ces trois aspects présents dans la plupart des pays rendent très difficile le développement de la communication hospitalière comme un axe stratégique de recherche scientifique. En Suisse, comme dans la plupart des pays, ces trois aspects sont aussi présents. Les données analysées dans cet article montrent que dans les quatre revues scientifiques de référence internationale, il n’y a aucune publication sur les stratégies de communication institutionnelle que les hôpitaux suisses mettent en place pour renforcer leur marque et ainsi l’image perçue par les différents parties prenantes (patients, médias, autorités publiques, etc.). Même si certains auteurs ont publié des articles sur la communication interpersonnelle ou la communication interne dans le milieu hospitalier suisse, le vrai enjeu de la communication hospitalière réside dans la définition de stratégies globales de communication institutionnelle qui visent la création d’une marque solide capable d’aider l’hôpital à renforcer son positionnement stratégique dans le marché des soins sur le long terme. En ce qui concerne les deux revues suisses (Swiss Medical Weekly, Revue Médicale Suisse) et la base de donnée Medline, la plupart des articles portent aussi sur la communication interne et, surtout, la communication médecin-patient, ce qui met en évidence une carence de travaux sur l’approche stratégique de la communication institutionnelle en milieu hospitalier.  

Malgré la situation actuelle, la Suisse constitue l’un des meilleurs pays au monde pour devenir une référence internationale dans la recherche sur la communication institutionnelle dans les hôpitaux. Trois raisons permettent d’asseoir cette affirmation. En premier lieu, la Suisse accueille de nombreuses organisations internationales dans le domaine de la santé, comme par exemple l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), Médecins Sans Frontières (MSF), le Comité International de la Croix Rouge (CICR), Alliance Mondiale pour les Vaccins et la Vaccination (GAVI), Fond Mondial ou encore OnuSida. Le leadership international de ces organisations peut contribuer favorablement au développement de cette recherche, non seulement en Suisse, mais aussi dans tous les pays où ces organismes internationaux sont présents. En deuxième lieu, les universités suisses sont très réputées au niveau international, ce qui facilite la mise en oeuvre de plans de recherche transversaux sur ce domaine. Ainsi, selon le Classement de Shanghai 2017, parmi les 100 meilleures universités au monde, il y a 5 universités helvétiques : Ecole Fédérale Polytechnique de Zurich (19), Université de Zurich (58), Université de Genève (60), Ecole Fédérale Polytechnique de Lausanne (76) et Université de Bale (95).  Et, en troisième lieu, depuis des années, le système hospitalier suisse est classé parmi les meilleurs systèmes de santé au monde (GBD, 2017). Les hôpitaux à renommée internationale, comme le Centre Hospitalier Universitaire Vaudois ou les Hopitaux Universitaires de Genève, peuvent mener, en collaboration avec les universités, des projets de recherche sur la communication institutionnelle des hôpitaux.

Malgré l’intérêt de cette étude, nous pouvons signaler quelques limitations. En premier lieu, l’absence d’informations sur la production scientifique d’autres pays dans le domaine de la communication institutionnelle dans les hôpitaux. Ce manque d’information rend difficile les comparaisons avec la situation de la Suisse. En deuxième lieu, le manque d’informations concernant les axes stratégiques de recherche dans les différentes universités de Suisse, autrement dit, les sujets d’analyse prioritaires, les approches suivies, les revues internationales où les chercheurs soumettent leurs travaux, etc. En troisième lieu, le manque d’informations sur l’origine géographique et les universités d’affiliation des chercheurs qui ont publié dans les différentes revues scientifiques considérées dans cette étude depuis 1997 jusqu’à 2017. Et, finalement, en quatrième lieu, il s’avère compliqué de bien utiliser les différents mots-clés pour trouver une liste précise des articles portant sur la communication santé en Suisse, vu que, souvent, les chercheurs ne sont pas très précis au moment de choisir les dits mots.

Conclusion

L’analyse de la production scientifique depuis 1997 jusqu’à 2017 par les revues de référence dans le domaine de la communication institutionnelle dans les hôpitaux, autant au niveau international (Journal of Health Communication, Health Communication, Journal of Communication in Healthcare, The American Journal of Public Health) que national (Swiss Medical Weekly, Revue Médicale Suisse), met en évidence l’absence de travaux scientifiques sur la communication institutionnelle dans les hôpitaux suisses. Afin de conclure ce texte, nous apportons trois dernières réflexions. En premier lieu, la recherche académique en Suisse sur la communication institutionnelle dans les hôpitaux n’est pas diffusée dans les meilleures revues scientifiques dans ce domaine au niveau international, ce qui rend difficile la visibilité des chercheurs travaillant sur ce domaine. En deuxième lieu, les quatre revues scientifiques de référence internationale analysées dans cet article, priorisent la publication d’articles portant sur des pathologies, traitements et problèmes de santé qui ont lieu dans certains pays, notamment les Etats-Unis, l’Angleterre et le Canada. Et, en troisième lieu, les deux revues suisses considérées dans cette étude montrent un intérêt marqué envers la communication interne et interpersonnelle, mais non pas envers la gestion stratégique de la communication institutionnelle dans le milieu hospitalier. Dans les prochaines années, les travaux des chercheurs devraient tendre à combler ces lacunes.

Bibliographie

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La Perspective du Continuum des archives illustré par l’exemple d’un document personnel

Viviane Frings-Hessami, Monash University, Australie

La Perspective du Continuum des archives illustré par l’exemple d’un document personnel

Introduction 

La théorie du Continuum des archives développée en Australie peut apparaît complexe. Certains parmi les écrits de base sont compliqués, denses et parfois difficiles à suivre (Piggot, 2010 ; p. 180), et la littérature n’offre pas beaucoup d’exemples pratiques de son application. Dans les pays non-anglophones, la situation est exacerbée par des problèmes de traduction qui entraînent des confusions et par le manque de textes écrits par des auteurs qui se placent dans la tradition du Continuum. Dans cet article, je m’efforce de combler cette lacune dans la littérature archivistique francophone. Je me base sur mon expérience personnelle de six années passées à étudier, enseigner et faire des recherches sur le Continuum des archives à l’Université Monash où le modèle fut développé. Je présente une explication du Continuum des archives illustrée par un exemple simple que tous les lecteurs peuvent facilement relier à leur expérience personnelle, celui d’une photo de famille. Je discute différentes utilisations de cette photo par des utilisateurs divers à des moments et dans des endroits divers et pour des fins diverses et je montre comment une perspective de Continuum peut être appliquée à des documents personnels aussi bien qu’à des documents d’affaires et comment elle peut encourager un système de gestion des archives efficace, orienté vers l’avenir et qui permettra de remplir les besoins de tous les utilisateurs.

Le modèle du Continuum des archives

Le modèle du Continuum des archives (Records Continuum) fut développé à l’Université Monash à Melbourne en Australie dans les années 1990 par Frank Upward et ses collègues Sue McKemmish, Livia Iacovivo et Barbara Reed afin d’expliquer les contextes complexes dans lesquels les documents sont créés et gérés à l’ère du numérique et de représenter les différentes perspectives selon lesquelles des documents peuvent être perçus (McKemmish 2017; Upward, 1996, 1997). Il s’appuie sur une tradition qui remonte à la notion d’un continuum entre les documents et les archives articulée pour la première fois dans les années 1950 par Ian Maclean, le directeur de la section des archives de la Bibliothèque nationale d’Australie (Maclean 1959, McKemmish, 2017). Le modèle met l’accent sur la continuité entre les documents et les archives et conteste la notion que les archives ne comprennent que les documents qui ont été sélectionnés pour être préservés à perpétuité. Dans la tradition du Continuum, les archives sont considérées comme archives dès le moment de leur création (McKemmish et al., 2010) et le concept de recordkeeping (écrit en un mot) englobe la création et la gestion des documents et des archives durant toute la durée de leur existence et quels que soient les usages qui en sont faits (McKemmish 2017; McKemmish et al., 2010).

Étant donné que le terme « archives » en français peut aussi être appliqué aux documents d’archives dès le moment de leur création[1], j’ai choisi de traduire Records Continuum par « Continuum des archives » et recordkeeping par « gestion des archives »[2]. Ces deux expressions représentent bien l’idée que les documents qui ont le potentiel de devenir un jour des archives permanentes doivent être traités avec soin dès le moment de leur création. Le recordkeeping, dans la tradition du Continuum, inclut aussi la gestion des systèmes d’archivage qui doivent être développés en tenant compte des besoins de l’organisme et des exigences législatives et mis en place avant que les archives ne soient créées de sorte que quand les archives sont créées, elles peuvent être immédiatement captées dans des systèmes qui préserveront leurs caractéristiques essentielles (McKemmish, 2017). La captation dans des systèmes archivistiques et l’attribution de métadonnées situent les archives dans un contexte précis à un moment précis et leur donnent un caractère fixe. Cependant, les archives sont perçues comme étant « toujours en devenir » (always in a process of becoming) (McKemmish, 1994 : p. 200), c’est-à-dire qu’elles sont toujours susceptibles d’être transformées par des nouveaux utilisateurs dans des contextes nouveaux.

Les caractéristiques fondamentales du Continuum des archives qui le distinguent d’autres modèles sont ses quatre dimensions. Les quatre dimensions ne sont pas des phases ou des étapes et elles ne se suivent pas dans un ordre déterminé, contrairement aux étapes du cycle de vie ou aux trois âges des archives. Elles coexistent parce que les archives sont impactées par les actions de différents acteurs et parce qu’elles peuvent être perçues de manières différentes par des utilisateurs différents.

Les quatre dimensions du Continuum des archives sont généralement représentées par quatre cercles concentriques (figure 1). Dans la première dimension, celle de la Création, des transactions prennent place et laissent des traces sous la forme de documents ou d’inscriptions[3]. Dans la deuxième dimension, celle de la Captation, les documents sont captés dans des systèmes d’archivage qui les situent dans un contexte précis et ajoutent les métadonnées nécessaires pour qu’ils puissent être utilisés comme preuves des transactions qui ont été performées. Les documents deviennent ainsi des records, des documents d’archives[4]. Dans la troisième dimension, celle de l’Organisation, les documents d’archives de différents services sont intégrés dans un système d’archivage au niveau d’un organisme de sorte qu’ils constituent des archives qui pourront être utilisées comme preuve des fonctions performées par l’organisme. Dans la quatrième dimension, celle de la Pluralisation, les archives sortent en dehors des confins de l’organisme qui les a créées et gérées de sorte qu’elles peuvent contribuer à la mémoire collective de la communauté générale et être réutilisées de façons multiples.

Figure 1 : Les quatre dimensions du Continuum des archives

Étant donné que les dimensions coexistent dans le temps et l’espace, une représentation tridimensionnelle en forme de cône ou de sphère serait mieux appropriée pour représenter le Continuum des archives, mais elle serait plus difficile à dessiner et à utiliser comme un outil pédagogique. La représentation plate du Continuum des archives avec ses quatre cercles concentriques permet de représenter sur un diagramme différentes perspectives selon lesquelles un document peut être perçu et les voies diverses qu’il peut suivre comme Barbara Reed (2005b) l’a fait dans un des textes clés du Continuum des archives et comme je vais le faire dans la section suivante.

Une photo de famille

Tout document, que ce soit un document personnel ou un document politique de la plus haute importance, peut être interprété différemment par des personnes différentes. Le même document peut être utilisé de diverses façons ou peut être analysé selon des perspectives diverses. Je vais illustrer ceci par un simple exemple, celui d’une photo de mariage.

Figure 2 : Une photo de mariage

La photo présentée ci-dessus (figure 2) fut prise au mariage de Daniel et Sophie au mois de septembre 1996 par le photographe engagé pour prendre les photos du mariage avec un appareil photographique argentique. Plusieurs exemplaires furent imprimés pour le jeune couple qui choisit d’en garder un pour eux et de donner les autres à quelques-uns de leurs parents et amis. Chacune de ces photos est un document différent qui va suivre une trajectoire différente. Toutes ces trajectoires peuvent être représentées sur le diagramme du Continuum des archives. Prenons quelques exemples :

  1. Les mariés : Daniel et Sophie insèrent la photo dans leur album de mariage avec les autres photos de leur mariage. Pour chaque photo, ils indiquent les noms des personnes présentes et parfois ajoutent quelques commentaires. Pendant les premiers mois après leur mariage, ils gardent l’album sur une petite table dans leur salon et le feuillettent souvent. Après quelques mois, l’album trouve sa place définitive sur une étagère à côté de leurs autres albums photos.

  2. Les parents : Les parents de Sophie reçoivent une photo. Ils la mettent dans un de leurs albums photos avec d’autres photos du mariage et d’autres photos de Sophie. Ils indiquent la date du mariage, mais pas les noms des personnes présentes. Ils gardent cet album avec leurs autres albums qui contiennent des photos de famille.

  3. Une cousine : Daniel envoie une photo par courrier à sa cousine qui habite en Australie. Elle la garde dans l’enveloppe avec laquelle elle est arrivée. Quoiqu’elle soit contente de la recevoir, elle ne prend pas le temps de la mettre dans un album photo et n’écrit pas la date, l’endroit ou les noms des personnes derrière la photo. Elle garde cette enveloppe dans une boîte avec les lettres envoyées par sa famille.

  4. Une amie : Sophie donne une photo à une de ses amies qui l’insère dans un album de souvenirs qui contient des photos de ses amies d’école. Elle indique le lieu, la date et le nom des personnes qu’elle connaît et décore la page avec des petits dessins. Elle garde cet album sur une étagère dans sa chambre.

Représentons maintenant ces actions sur le diagramme du Continuum des archives. Chacune des trajectoires commence dans la première dimension, mais chacune suit un chemin séparé puisque les photos sont captées dans des systèmes différents. La photo en possession de Daniel et de Sophie est insérée dans leur album de mariage (ligne rouge sur la figure 3). La copie donnée aux parents de Sophie est incluse dans un album de photos de Sophie (ligne verte), la copie donnée à l’amie de Sophie dans un album de souvenirs (ligne orange) et la photo envoyée à la cousine de Daniel dans une enveloppe (ligne bleue).

Figure 3 : Quatre utilisations de la photo

Aucune de ces photos n’est pluralisée. Aucune n’est rendue accessible en dehors du cercle de la famille et des amis proches du couple de jeunes mariés. Le mariage a eu lieu en 1996. Personne n’a utilisé un appareil photographique numérique.

Toutefois, en 2016, Sophie décide de numériser la photo, de la télécharger sur sa page Facebook et de la mettre en publication publique. Ceci constitue un nouvel usage de la photo qui, à son tour, rend d’autres usages possibles. L’acte de numériser la photo crée un nouveau document et implique un retour à la première dimension et le début d’une nouvelle trajectoire pour ce nouveau document qui est représentée en rouge sur la figure 4. La disponibilité de la photo sur Facebook, à son tour, rend d’autres usages de la photo possibles pour d’autres utilisateurs. Des amis de Sophie peuvent télécharger la photo et la partager sur un autre média social. Des personnes qui ne connaissent pas Sophie, mais s’intéressent à la mode des années 1990 ou qui collectionnent les photos de mariage, ou les photos de chapeaux, etc., peuvent copier la photo et l’inclure sur leur site. Deux exemples sont représentés en bleu et en vert sur la figure 4. Dès lors que la photo est rendue publique, particulièrement si elle est disponible sur Internet, il est difficile de mettre des limites à sa réutilisation pour des usages variés.

De nos jours, il est courant de prendre des photos et de les télécharger immédiatement sur des médias sociaux. Dans ces cas-là, les photos peuvent passer de la première à la quatrième dimension en une nanoseconde (Upward et al., 2018). Les quatre dimensions peuvent être passées d’une manière pratiquement simultanée, ou la deuxième et la troisième dimensions peuvent être sautées. Des photos peuvent être rendues publiques sans avoir été proprement captées dans un système, c’est-à-dire sans que des métadonnées leur aient été ajoutées (automatiquement ou manuellement) et sans qu’un système de classification leur ait été appliqué.

Figure 4 : Téléchargement de la photo sur des médias sociaux

Tous les exemples dont nous avons parlés jusqu’ici regardent la photo comme un souvenir du mariage. Cependant, il est possible d’envisager qu’elle pourrait être utilisée comme preuve de quelque chose d’autre. Par exemple, supposons que la dame derrière les mariés sur la photo, cousine Anita, est accusée d’avoir tué son mari ce jour-là. Elle pourrait présenter la photo comme preuve qu’elle a assisté au mariage et par conséquent qu’elle n’aurait pas pu être à ce moment-là à l’endroit où son mari a été tué, à 200 kilomètres de là. Dans ce cas, la photo serait reçue comme preuve par les policiers en charge de l’enquête qui l’incluraient dans le dossier de l’enquête. La capture de la photo dans ce dossier serait accompagnée de l’ajout de métadonnées différentes de celles que l’on peut trouver dans des albums photos privés pour la relier à l’enquête judiciaire. En particulier, le moment exact où la photo fut prise serait un élément crucial pour son utilisation comme preuve et le sort d’Anita pourrait dépendre de la présence ou de l’absence de ces métadonnées. Le nom du photographe serait également important parce qu’il pourrait être appelé à témoigner. La photo serait captée dans le système de gestion des documents de la police judicaire et pourrait être présentée au tribunal si la police décide de lancer des poursuites judiciaires contre Anita. Elle serait aussi organisée dans les archives de la police et du tribunal et, après un certain temps pourrait être transférée aux archives nationales (ou cantonales, départementales, etc.) selon la procédure en place dans la juridiction concernée (figure 5). L’utilisation de la photo dans des reportages médiatiques sur l’enquête pourrait aussi l’amener dans la quatrième dimension du Continuum (ligne pointillée sur la figure 5).

Figure 5 : Utilisation de la photo comme preuve

Les albums de photos de mariage, par contre, ne seront vraisemblablement jamais transférés dans un service d’archives. A moins que Sophie ou Daniel ne devienne un jour une célébrité et que quelqu’un ne décide de constituer des archives sur eux !

Il serait aussi intéressant de considérer ce qui adviendrait des photos en cas de divorce, celle en possession de Sophie et Daniel, et celles données à leurs parents et amis. Elles pourraient être détruites, ou déchirées en deux, ou enlevées des albums, ou les albums pourraient être mis au grenier. Elles pourraient donc commencer chacune une nouvelle trajectoire dans un nouveau contexte.

Une autre utilisation de la photo qui n’aurait pas pu être prévue au moment du mariage est celle que j’en fait dans cet article. J’ai pris la photo que Daniel m’avait envoyée en 1996 et je l’ai numérisée pour l’inclure dans cet article. Cette copie numérique de la photo est un nouveau document qui commence une nouvelle trajectoire dans la première dimension du Continuum des archives. Elle est utilisée pour un but totalement différent de celui pour lequel elle avait été créée puisque je l’utilise dans une fin pédagogique, pour expliquer le Continuum des archives. Je l’ai copiée et captée dans un document sur mon ordinateur et organisée avec les autres documents dont j’ai besoin pour écrire cet article. Son inclusion dans l’article, quand il est publié en accès libre, la porte dans la quatrième dimension puisqu’il la rend accessible à tout le monde. Dès lors, la réutilisation à fin pédagogique d’une photo qui n’était pas destinée à être vue en dehors du cercle de la famille et des amis du jeune couple en fait un exemple de réutilisation et de pluralisation d’une archive et la rend susceptible d’être réutilisée par les lecteurs de l’article pour la même fin ou pour d’autres fins.

Figure 6 : Utilisation de la photo dans cet article

L’exemple de cette photo de mariage et de ses réutilisations illustre comment un document peut être perçu et utilisé différemment par différents utilisateurs à des moments différents et dans lieux différents. Toutes les utilisations de la photo peuvent être représentées séparément ou conjointement sur le diagramme du Continuum des archives. Chaque utilisation et réutilisation commence un nouveau parcours pour un nouveau document dans la première dimension du Continuum des archives, celle de la Création. La plupart de ces réutilisations de la photo passent par la deuxième et la troisième dimension, celles de la Captation et de l’Organisation, quand les archives sont captées dans un système (formel ou informel) et des métadonnées leurs sont ajoutées et quand elles sont organisées en fonction d’un système de classification (formel ou informel) qui permettra de les localiser. Mais seulement certaines d’entre elles atteignent la quatrième dimension, celle de la Pluralisation, parce que la décision de rendre les archives publiques est un choix que les utilisateurs peuvent faire dans chaque cas (tout en respectant les contraintes légales, réglementaires ou socio-culturelles qui peuvent s’appliquer).

Les dimensions du Continuum des archives

Les exemples d’utilisations de la photo de mariage détaillés ci-dessus ont présenté une explication linéaire de la trajectoire suivie par chacune des photos. Cependant, les quatre dimensions du Continuum des archives sont toujours présentes à tout moment et peuvent impacter sur les archives à tout moment (Reed, 2005a : p. 179). La création d’archives est influencée par des considérations qui proviennent de la troisième et de la quatrième dimensions. Pour que les archives soient gérées d’une manière efficace, il doit y avoir en place un système prêt à accueillir ces archives. Ce système doit avoir été développé de manière à ce que la création et la gestion d’archives puissent se conformer aux obligations légales, réglementaires, contractuelles et socioculturelles que les archives doivent respecter. Ces obligations proviennent soit de la quatrième dimension (les lois que l’organisme doit respecter et les attentes sociales et culturelles de la communauté), soit de la troisième dimension (les règles établies par l’organisme pour la création et la gestion de ses archives).

Les obligations que les organismes publics et les entreprises privées doivent respecter sont généralement évidentes et clairement articulées. Les organismes publics et privés doivent respecter les lois qui requièrent qu’ils produisent et conservent certains documents d’archives pour une période déterminée ou, dans certains cas, à perpétuité, comme preuves de leurs activités, et ils doivent respecter les lois sur l’accès à l’information et sur la protection des données à caractère personnel. Ces lois émanent de la quatrième dimension. D’autre part, les organismes qui produisent et gèrent de larges quantités de documents doivent avoir des règles en place au niveau de l’organisme pour régler la gestion de ces documents. Ces règles font partie de la troisième dimension. Ainsi des lois de la quatrième dimension et des règles de la troisième dimension déterminent quelles archives les organismes créent (dans la première dimension), comment ils les absorbent dans leurs systèmes (dans la deuxième dimension) et comment ils les gèrent (dans la deuxième et la troisième dimensions).

La façon dont des considérations de la troisième et de la quatrième dimensions impactent sur les documents personnels n’est pas aussi évidente, mais certaines de ces considérations exercent aussi une influence. Par exemple, les considérations de protection des données à caractère personnel (qui viennent de la quatrième dimension) peuvent aussi influencer la gestion des archives personnelles (dans les 3 autres dimensions) et la décision de les partager ou de ne pas les partager. En outre, la manière dont un individu ou une famille organisent leurs archives et les raisons pour lesquelles ils les gardent (qui sont des facteurs qui relèvent de la troisième dimension) peuvent aussi influencer leur décision de créer ou de ne pas créer des archives (dans la première dimension) et de les capter ou de ne pas les capter dans un système formel ou informel (dans la deuxième dimension). Inversement, la manière dont les archives ont été créés et captées (dans les deux premières dimensions) influence les utilisations futures de ces archives (dans la troisième et la quatrième dimensions).

Les axes du Continuum des archives 

Les diagrammes présentés ci-dessus ont omis les axes et les 16 éléments que l’on trouve sur la représentation originelle du modèle du Continuum des archives. Cette omission est intentionnelle. L’inclusion des axes et des noms des éléments à l’intersection des axes et des dimensions compliquent le modèle et engendrent de nombreuses confusions à propos de la signification de ces éléments qui détractent l’attention des caractéristiques fondamentales du modèle. Néanmoins, dans cette section,  je vais maintenant expliquer brièvement les quatre axes.

Figure 7 : Le Continuum des archives

(adapté de Upward, 1996 et Upward et al., 2018)

L’axe de l’identité représente les acteurs et les organismes qui jouent un rôle dans la création et la gestion des archives : les acteurs dans la première dimension, les unités administratives dans la deuxième dimension, l’organisme dans la troisième dimension et l’institution qui accueille les archives quand elles sortent de l’organisme dans la quatrième dimension. L’axe de l’opérationnalité permet de représenter les actions et les processus qui sont appliqués aux archives et les interactions de toutes sortes entre les acteurs et les institutions : les transactions dans la première dimension, les activités auxquelles ces transactions se rapportent dans la deuxième, les fonctions que l’organisme effectue dans la troisième, et la fonction ambiante que les archives servent quand elles sont partagées dans la quatrième dimension. Sur l’axe des contenants d’archivage, sont représentés les documents et leurs agrégations: les documents ou inscriptions dans la première dimension, les documents d’archives (records) dans la deuxième dimension, les fonds d’archives dans la troisième dimension et les collections d’archives dans la quatrième dimension. Sur l’axe de l’évidentialité sont représentées les qualités probantes des archives : la trace qu’elles laissent qu’une transaction a eu lieu dans la première dimension, qui devient une preuve quand le document d’archives est capté dans un système d’archivage dans la deuxième dimension, puis contribue à la mémoire organisationnelle de l’organisme (ou à la mémoire personnelle d’un individu) dans la troisième dimension et enfin à la mémoire collective de la communauté dans la quatrième dimension.

Les noms des éléments inclus sur le diagramme ne sont pas importants. Ce qui est important, c’est de comprendre ce qu’ils représentent et où ils se situent dans les dimensions du Continuum. Il peut être difficile de les traduire et de trouver des équivalents dans des contextes archivistiques et culturels différents. Les quatre éléments sur l’axe des contenants d’archivage sont les plus difficiles à traduire en français parce que la tradition archivistique francophone est basée sur une conception différente de la tradition anglophone de ce que constitue des « archives » (Ketelaar, 2006) et parce qu’il n’y a pas d’équivalent exact en français pour le terme records. Cependant, quels que soient les termes qu’on utilise pour traduire les quatre termes document, record, archive et archives, ce qui importe c’est leur association avec les processus de création, de captation dans un système, d’organisation au niveau de l’organisme et d’incorporation dans un système plus large en dehors de l’organisme. Je les ai traduits ici par « document », « document d’archives », « fonds d’archives » et « collections d’archives ». En outre, il est aussi important de noter que ces termes font référence à des documents et à des agrégations de documents, et non pas à des lieux. La notion de lieu est une notion qui n’est pas considérée importante dans la théorie du Continuum. Les archives sont des archives quel que soit l’endroit où elles se trouvent (Cunningham, 2017; Upward, 1996).

La Perspective du Continuum des archives

La perspective du Continuum des archives peut être appliquée dans des domaines très divers, des documents personnels aux archives d’État, en passant par des documents d’affaires de toutes sortes, et dans des contextes culturels variés (Frings-Hessami, 2017, 2018a, 2018b). Elle est basée sur l’idée que nous devons penser, avant même que des archives ne soient créées, à toutes les personnes qui pourront avoir besoin de ces archives et à toutes les utilisations possibles dont elles pourront faire l’objet. Dès lors, les systèmes archivistiques qui seront développés pour gérer ces archives devront permettre la création des archives dont les utilisateurs pourront avoir besoin, la captation des métadonnées nécessaires pour les situer dans leur contexte et pour les trouver quand les utilisateurs en auront besoin, et la conservation des archives pour aussi longtemps qu’elles seront nécessaires. Les systèmes devront aussi protéger les droits que tous les acteurs pourront avoir sur ces archives, c’est-à-dire qu’ils devront protéger leurs droits sur les données à caractère personnel, leurs droits d’utiliser ces archives, mais aussi leurs droits de trouver dans ces archives les informations dont ils auront besoin, ce qui implique que des archives qui contiennent ces informations auront été créés et préservés de manière appropriée[5].

L’exemple d’une photo de mariage présenté dans cet article montre comment la perspective du Continuum des archives peut être appliquée à un document personnel et aux multiples utilisations et réutilisations dont il peut faire l’objet. Ce faisant, il illustre l’importance de prendre en considération toutes ces utilisations possibles quand un document est créé et, préférablement avant qu’il ne soit créé. L’importance d’avoir un système en place qui pourra absorber et gérer les archives est exacerbée dans le cas des archives numériques qui sont plus fragiles que les archives analogiques. Les archives numériques ne peuvent pas être négligées de la même manière que les documents papiers le pouvaient autrefois. Les copies analogiques de la photo dont nous avons parlé auraient pu être oubliées pendant des années dans les albums photos, mais, excepté en cas d’incendie ou d’une autre catastrophe, elles auraient toujours été disponibles quand la famille aurait voulu les regarder. Par contre, s’il s’agissait d’une photo numérique, il aurait été bien probable que vingt ans plus tard, ou même cinq ans plus tard, son propriétaire n’aurait plus eu accès à la technologie nécessaire pour la regarder. Quoi qu’il en soit, si personne n’avait pensé à engager un photographe pour le mariage ou si personne n’avait fait les efforts nécessaires pour conserver les photos, nous n’aurions pas de preuve photographique du mariage, pas de photos que la famille pourrait regarder comme des souvenirs, et plus sérieusement dans le cas d’Anita, pas de preuve qu’elle avait assisté au mariage. L’exemple de la photo de mariage illustre donc la nécessité de penser aux futurs usages et aux futurs utilisateurs d’un document dès le moment de sa création et de le capturer dans un système qui permettra de répondre aux besoins des utilisateurs futurs.

Bibliographie

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Loi n° 79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives. Légifrance [en ligne]. 3 janvier 1979. Mise à jour le 28 février 1994. [Consulté le 28 septembre 2018]. Disponible à l’adresse :  https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=3DA3918B1389C13FBFAC47442565E30A.tpdjo16v_3?cidTexte=JORFTEXT000000322519&dateTexte=19940228.

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PIGGOTT, Michael, 2012. Archives and Societal Provenance: Australia Essays. Oxford: Chandos Publishing. ISBN: 9781843347125

REED, Barbara, 2005a. Beyond Perceived Boundaries: Imagining the Potential of Pluralised Recordkeeping. Archives and Manuscripts. mai 2005. Vol. 33, no1, pp. 176-198.

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SWAIN, Shurlee and MUSGROVE, Nell, 2012. We are the stories we tell about ourselves: Child welfare records and the construction of identity among Australians who, as children, experienced out-of-home ‘care’. Archives and Manuscripts. avril 2012. Vol. 40, no1, pp. 4-14. 

UPWARD, Frank, 1996. Structuring the Records Continuum Part 1: Post custodial principles and properties. Archives and Manuscripts. novembre 1996. Vol. 24, n° 2, pp. 268-285. 

UPWARD, Frank, 1997. Structuring the Records Continuum Part 2: Structuration theory and recordkeeping. Archives and Manuscripts. mai 1997. Vol. 25, n°1, pp. 10-35.

UPWARD, Frank, REED, Barbara, OLIVER, Gillian et EVANS Joanne, 2018. Recordkeeping Informatics. Clayton, Victoria, Australie: Monash University Press. ISBN 9781925495881

Notes

[1] Je me base ici sur la définition des archives dans la loi française du 3 janvier 1979 comme étant : « [l]’ensemble des documents, quelque soient leur date, leur forme at leur support matériel, produits ou reçus par toute personne physique ou morale, et par tout service ou organisme public ou privé, dans l’exercice de leur activité » (Loi n° 79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives, Article 1).

[2] Recordkeeping est traduit par « archivage » dans la norme internationale ISO 15489 et dans la norme européenne MoReq2. Toutefois, j’ai choisi de ne pas utiliser cette traduction parce que dans la pratique française le terme est généralement utilisé spécifiquement pour désigner les opérations physiques de mise en archives et non pas la gestion des archives depuis le moment de leur création et au cours de tous les usages qui en sont faits.

[3] Les écrits récents de Frank Upward parlent d’« inscriptions » (Upward et al., 2018 : p. 193), plutôt que de documents, un terme plus englobant qui capture l’idée que l’action de création peut laisser une trace sur des supports divers.

[4] Dans cet article, je traduis généralement le terme records par « archives ». Cependant, quand je fais une référence spécifique à la deuxième dimension du modèle du Continuum des archives et que je veux rendre l’idée que des documents sont captés dans un système pour être préservés comme archives, je le traduis par « document d’archives ».

[5] De sérieux problèmes peuvent résulter du fait que les documents que des utilisateurs potentiels voudraient consulter n’ont jamais été créés parce que les organismes qui géraient les fonctions auxquels ces documents devraient se rapporter ne pensaient pas qu’il était utile de les créer. Telle est la situation du secteur de la protection de l’enfance en Australie au vingtième siècle (Golding, 2016 ; Swain & Musgrove, 2012).

Renouvaud : de la gestion de projet à la coordination du réseau vaudois des bibliothèques

Jeannette Frey, Directrice BCU Lausanne, Présidente Renouvaud

Piergiuseppe Esposito, Chargé de missions BCU Lausanne

Renouvaud : de la gestion de projet à la coordination du réseau vaudois des bibliothèques [1]

Historique de la décision vaudoise

Le projet Renouvaud a été initié suite à la décision du canton de Vaud de quitter RERO (REseau ROmand, réseau des bibliothèques de Suisse occidentale). Le 14 mars 2014, la Conseillère d’État Anne-Catherine Lyon, cheffe du Département de la formation, de la jeunesse et de la culture (DFJC), annonçait à la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP), organe titulaire de RERO, que le canton de Vaud se dédisait de la convention intercantonale RERO à fin 2016[2]. Cette décision était motivée par l’impossibilité de trouver une nouvelle gouvernance pour RERO après 8 ans de tractations, ce qui bloquait l’investissement pour le passage à de nouvelles technologies cloud. Plusieurs solutions pour la gouvernance avaient été étudiées, le concordat intercantonal, puis l’option de créer une association, sans succès. Au terme de nombreuses discussions et de longs blocages, la Conseillère d’État constatait que RERO était devenu pénalisant pour le réseau vaudois et la Bibliothèque cantonale et universitaire – Lausanne, en particulier pour répondre aux demandes pressantes des utilisateurs universitaires. Le 17 mars 2014, la Direction de la BCU Lausanne répercutait la nouvelle de la dédite de la convention auprès de l’ensemble de ses collaborateurs ainsi qu’aux partenaires des bibliothèques vaudoises membres de RERO.

Mandat donné par le politique pour Renouvaud

Donnant suite à cette décision, le DFJC émettait en avril 2014 un mandat de reprise de la gestion du réseau vaudois par la BCU Lausanne à la sortie du canton de Vaud de RERO, soit au 1er janvier 2017. Le mandat détaille les objectifs généraux et spécifiques du projet Renouvaud. À la fin du projet, la BCU Lausanne devait se trouver en mesure d’offrir une solution de gestion effective et efficiente du réseau, au point de vue organisationnel, financier et métier et avoir mis en place un système de gestion intégré de bibliothèque (SIGB) dans le cloud, permettant aux bibliothèques vaudoises de collaborer entre elles et avec d’autres réseaux suisses et francophones, ainsi qu’avec la Bibliothèque Nationale Suisse (BNS). Le mandat prévoyait également que la BCU Lausanne propose au DFJC une gouvernance pour le réseau vaudois ainsi qu’un nouveau business model avec des flux d’argent simples et transparents. Le défi était de taille en raison des délais imposés.

La gestion de grands projets à la BCU Lausanne 

Pour la gestion de ses projets, la BCU Lausanne a recours à la méthode de gestion de projets HERMES, développée par l’Unité de pilotage informatique de la Confédération[3]. L’organigramme, les rôles, le phasage et planning ont donc été mis en place selon cette méthode. Le pilotage et la conduite reposent sur deux instances : un comité de pilotage (CoPil) et un comité de projet (CoPro).

Éléments de la méthode HERMES 5

Source : Manuel de référence HERMES 5.1 (repli cartonné de couverture)

Principes de base pour la mise en place du réseau Renouvaud

La BCU Lausanne a lancé le projet Renouvaud avec l’objectif d’implémenter les outils, services et processus de travail nécessaires à la reprise des fonctionnalités couvertes pour le réseau vaudois par les anciens outils de RERO, et de les compléter avec des fonctionnalités pour lesquelles le réseau vaudois n’avait pas reçu de réponses de RERO au cours des années précédentes – en particulier l’acquisition, la gestion et la mise à disposition des ressources numériques. Déjà au sein de RERO, la BCU Lausanne assurait pour les bibliothèques vaudoises la gestion d’un certain nombre de processus : bon nombre de formations dispensées, la participation aux groupes de travail et aux task forces, etc.).

La reprise complète de la gestion du réseau vaudois nécessitait cependant d’étudier les processus de travail partagés existants entre la Centrale RERO et la Coordination locale vaudoise, ainsi que de cartographier les processus de travail à créer pour compléter l’existant, un travail qui a été fait dans le cadre de la phase d’analyse préliminaire.

Plusieurs scénarios ont été élaborés, avec ou sans modification des règles de catalogage et du format de métadonnées lors de la migration des données.

Au-delà de leur utilisation au sein de RERO, les règles AACR2 (règles de catalogage anglo-américaines) constituaient alors l’ensemble structuré de règles de catalogage le plus usité dans le monde, traduit dans de nombreuses langues. Un mandat de veille prioritaire fut confié à un groupe de travail composé d’experts en catalogage afin d’évaluer l’impact et la faisabilité d’un passage aux normes RDA / FRBR durant la phase de conception du projet. Il en ressortit que le RDA n’était pas encore abouti, que la traduction française avait été interrompue et que la France ne prévoyait pas une transition dans un futur proche.

Finalement, ce fut le scénario impliquant un changement de SIGB sans passage aux règles de catalogage RDA, et sans modification du format des notices MARC21 vers un modèle FRBR qui fut choisi, en raison d’une part des délais de réalisation et de mise en œuvre très serrés et d’autre part parce que cela réduisait considérablement la complexité du projet.

Le cahier des charges Renouvaud

En ce qui concerne le cahier des charges, le projet Renouvaud ne partait pas de rien. De 2009 à 2012, RERO, IDS et la BNS avaient mené le projet GEMEVAL (Gemeinsame Evaluation eines neuen Bibliothekssystems), au cours duquel un cahier des charges commun avait été ébauché. Un appel d’offres commun n’avait cependant pas pu être envisagé, notamment en raison du fait que pour les partenaires IDS, chaque canton aurait dû être partenaire et valideur de l’appel d’offres public, ce qui semblait impraticable.

Après l’initialisation du projet Renouvaud, l’ébauche de cahier des charges issue de GEMEVAL a donc été reprise et complétée par un recueil exhaustif des besoins des membres du réseau vaudois, afin d’offrir un tableau synthétique des éléments principaux devant être couverts par un appel d’offres public. Les spécialistes de chaque domaine ont participé à la rédaction en détail de tous les points. La récolte des informations s’est déroulée par tandem de deux personnes : une personne en charge de la rédaction du besoin et une personne en charge de la relecture du besoin.

On remarquera que la description de la solution cible comprend des fonctions requises (obligatoires), des fonctions additionnelles souhaitables (optionnelles) et des fonctions facultatives (Nice to have). Cette différentiation résulte des conditions-cadres des appels d’offres publics. Les fonctions facultatives sont par exemple des points présentant un intérêt, mais hors périmètre du projet tel qu’évalué dans le cadre de l’appel d’offres public.

Les fonctionnalités standards étaient regroupées en sept modules pour décrire l’architecture fonctionnelle : acquisitions, catalogage, périodiques, lecteurs, circulation, statistiques et catalogue public. Les exigences du système, autant fonctionnelles que non fonctionnelles, ont été modélisées selon le formalisme UML des cas d’utilisation (Use Case). Les cas d’utilisation ainsi obtenus sont regroupés dans des modules qui eux-mêmes sont regroupés dans des thèmes. Pour chaque module précité, les exigences requises sont jugées indispensables pour le démarrage de l’exploitation du SIGB au 1er janvier 2017, tandis que les fonctionnalités souhaitées peuvent être mises à disposition des usagers dans un second temps.

L’appel d’offres public – état du marché du SIGB cloud en 2014

La rédaction du cahier des charges fut effectuée dans un temps record durant l’été 2014, ce qui permit de lancer l’appel d’offres public à l’automne 2014. L’objet du marché était d’acquérir et déployer un SIGB couvrant l’ensemble des besoins des bibliothèques du réseau vaudois ainsi que la fourniture de prestations associées. Le périmètre de l’offre comprenait la fourniture et la maintenance d’un SIGB dans le cloud, incluant la mise à disposition et la maintenance de deux environnements (soit production et test), ainsi que la formation de l’équipe de projet et des formateurs eux-mêmes.

Le marché a été adjugé sur la base des cinq critères d’évaluation suivants (avec leurs pondérations) : prix total de l’offre (30%), organisation pour l’exécution du marché (15%), qualité fonctionnelle et technique (30%), organisation de base du soumissionnaire (15%) et références du soumissionnaire (10%).

Négociations avec Ex Libris : quelques constats

La BCU Lausanne a reçu cinq offres dont deux durent être rejetées en raison du non-respect des conditions de forme et de participation. Sur les trois offres retenues, le choix de la solution Alma - Primo de la société Ex Libris présentait le rapport qualité-prix le plus avantageux. Alma est une solution cloud de SIGB dernière génération permettant une gestion unifiée de toutes les ressources documentaires, imprimées, multimédias et électroniques. Orienté processus, le logiciel propose des outils de gestion puissants et personnalisables, bien adaptés à un réseau de bibliothèques tel que le réseau vaudois. Primo est l’outil de découverte utilisé pour accéder au catalogue permettant l’accès direct à tout le contenu proposé par les bibliothèques du réseau ; cet outil était déjà connu des bibliothèques vaudoises dans la mesure où il s’agit de la solution à la base du portail Explore de RERO.

L’adjudication du marché fut suivie d’une assez longue phase de négociation. Pour ces formulations juridiques pointues, l’équipe de projet put s’appuyer sur le Service juridique et législatif (SJL) de l’État de Vaud, qui apporta une contribution fondamentale en termes de rédaction et de relecture du contrat. Après plusieurs tours de négociation, le contrat put être signé entre l’État de Vaud et Ex Libris à la fin d’été 2015, avec un démarrage officiel des activités de projet avec le fournisseur fixé au mois de septembre. En attendant, un premier workshop avec deux personnes d’Ex Libris – un chef de projet et un spécialiste de l’équipe d’implémentation du logiciel – fut organisé durant l’été 2015 à la BCU Lausanne, workshop au cours duquel le processus de migration des données fut discuté et la date du go-live confirmée au 22 août 2016.

Dès lors commença le long travail de description détaillée de l’implémentation. Une décision dut tout d’abord être prise sur l’architecture globale du système. Au premier niveau de définition, le système d’Ex Libris offre une « community zone » globale, agrégeant des données en provenance des éditeurs et de toutes les bibliothèques utilisant le système. Au second niveau, le réseau Renouvaud a acheté une zone réseau, qui génère pour le réseau un catalogue commun. Un troisième niveau regroupe toutes les bibliothèques scolaires et de lecture publique dans un ensemble, et toutes les bibliothèques scientifiques et patrimoniales dans un autre. Chaque ensemble partage ses fichiers lecteurs et d’autres paramétrages. Un quatrième niveau définit les bibliothèques, un cinquième respectivement leurs différents sites et dépôts.

L’affinage du paramétrage entraîna un grand nombre de discussions de détail : ainsi, pour le paramétrage de l’accès au catalogue des bibliothèques scolaires, l’équipe de projet exigea que dans ce catalogue n’apparaissent que les ouvrages disponibles dans la bibliothèque d’où était effectuée la recherche. Cette demande se justifie par le type de public qui fréquente les bibliothèques scolaires, peu apte à se déplacer physiquement dans une autre bibliothèque ou à effectuer un Prêt Entre Bibliothèques (PEB) pour emprunter un ouvrage. Aussi simple que cela puisse paraître, la question a posé de prime abord un problème de taille au fournisseur, pour qui ce type de développement allait à l’encontre de ceux prévus pour l’outil de découverte Primo. Finalement, les discussions portèrent leurs fruits et le problème fut réglé par la création d’un portail par bibliothèque scolaire.

Gestion du projet, structure du projet et personnels BCUL impliqués

  • le projet d’organisation permettait de constituer le nouveau réseau vaudois de bibliothèques et de formaliser sa gouvernance. Le projet d’organisation a également défini la structure de la centrale de coordination du réseau vaudois de bibliothèques, ses responsabilités et son business plan. Il a établi le cadre contractuel déterminant les relations entre la BCU Lausanne, les membres du réseau et ses partenaires (RERO, BNS, BNF, etc.). Il a aussi été chargé de créer les conditions-cadres pour assurer une collaboration active entre bibliothèques du réseau vaudois et, dans la mesure du possible, avec d’autres réseaux de bibliothèques (IDS, SUDOC, etc.) ;
  • le projet informatique comprenait l’acquisition du nouveau SIGB localisé dans le cloud, la migration des données et la recette du système qui devait permettre la gestion des ressources des bibliothèques du réseau vaudois, l’acquisition des ouvrages, le prêt, ainsi que l’accès aux contenus imprimés, multimédias et électroniques, dès le 1er janvier 2017 ;
  • le projet bibliothéconomique permit de formaliser les normes et les standards appliqués au sein du réseau vaudois dans tous les domaines d’activité des bibliothèques, c’est-à-dire l’acquisition, le catalogage, le bulletinage, le prêt, le prêt interurbain, respectivement l’indexation et l’importation de masse de notices, l’activation des ressources numériques ainsi que la livraison d’indicateurs statistiques. Ceci permit aussi de créer et de dispenser les formations, ainsi que de mettre en place un contrôle qualité.

Selon HERMES, le pilotage du projet Renouvaud reposait sur un comité de pilotage (CoPil), qui assumait collégialement la responsabilité du projet dans son ensemble. Présidé par Jeannette Frey, directrice de la BCU Lausanne, et composé de représentants des différents types de bibliothèques membres du réseau vaudois, le CoPil s’est réuni tous les deux mois. Il a surveillé et piloté le déroulement du projet de manière globale, assuré l’acquisition et la mise à disposition des moyens nécessaires et garanti leur utilisation optimale. Le CoPil traitait aussi des problèmes extraordinaires, et, last but not least, validait les différents points de décision, notamment la conclusion et la libération des différentes phases du projet. Afin d’avoir une gestion professionnelle et neutre de la qualité et des risques, une consultante externe fut mandatée par la BCU Lausanne et associée au CoPil.

La conduite du projet reposait ensuite sur un comité de projet (CoPro), présidé par Alexandre Lopes, responsable Technologies bibliothécaires de la BCU Lausanne, ce dernier assumant le rôle de chef de projet. Le CoPro se réunissait de façon hebdomadaire. Le chef de projet était épaulé par un consultant externe mandaté pour prendre en charge la conduite de la partie informatique du projet. Au bénéfice de compétences sénior en gestion de projet, il était le principal répondant pour l’appel d’offres public, les spécifications détaillées ainsi que la recette.

Le projet Renouvaud se composait de trois sous-projets afin de répondre aux exigences du mandat du DFJC :

Organigramme Renouvaud

Source : Rapport Annuel Renouvaud 2017, p. 15.

Les tâches des sous-projets ainsi que les activités transversales furent assurées par une dizaine de groupes de travail ad hoc : GT appel d’offres, GT migration, GT spécifications détaillées, GT recette, GT bibliothéconomie, GT fonctionnement du réseau, GT formation, GT gestion qualité, GT communication, GT gestion du changement et GT organisation de la coordination. Les objectifs des groupes de travail furent définis dans un mandat propre à chaque groupe. Chaque responsable gérait son GT comme un projet en tant que tel avec son propre planning, ses charges, ses délais et ses livrables. Il assurait la coordination des activités du groupe et était garant du respect des délais et des jalons fixés par le groupe. Il veillait également à la qualité des livrables de son groupe, avec le support de la responsable Qualité. Du côté de la BCU Lausanne, le chef de projet prit en charge le GT migration, tandis que le directeur adjoint du site Unithèque, Jean-Claude Albertin, dirigea le GT fonctionnement du réseau et le GT gestion du changement. Un apport majeur vint aussi de Jasmin Hügi (GT bibliothéconomie), de Jean-François Richer (GT formation) et de Fanny Peuker (GT organisation de la coordination). 80% des personnels impliqués dans les groupes de travail furent mis à disposition par la BCU Lausanne, 20 % par les autres membres du réseau, avec des provenances aussi diverses que les bibliothèques scolaires et les bibliothèques du CHUV.

Principaux défis dans la gestion du projet

Au cours de l’année 2015, le CoPil a pris l’une après l’autre les décisions nécessaires à la formulation du concept et à la réalisation du projet Renouvaud. Le CoPil a notamment validé les organigrammes pour les différentes phases du projet, les règles de catalogage au passage sur le nouvel outil, le plan de communication, le plan qualité, le suivi des risques, la topologie du futur réseau, les mesures de protection des données des lecteurs et l’interfaçage avec des applications tierces. De plus, le CoPil a validé le passage à une indexation avec RAMEAU précoordonnée, composé d’une chaîne de mots matières (en opposition à l’utilisation de mots matières individuels). Parmi les nombreux avantages de cette pratique, on doit mentionner l’exploitation des indexations des bibliothèques partenaires RAMEAU (p.ex. BNF, SUDOC) et une meilleure exploitation de Primo dans l’organisation hiérarchique des mots matières.

L’un des principaux défis dans la gestion du projet fut de tenir les délais tout en maintenant la motivation des collaborateurs sur la durée. Un planning détaillé du projet fut établi et mis à jour régulièrement, afin d’avoir une vue d’ensemble de l’avancement des travaux de chaque groupe de travail. Outre les rapports de phase produits à la fin de chaque phase HERMES, des documents de reporting permirent de jalonner la vie du projet Renouvaud avec une périodicité mensuelle : le rapport d’état du projet, le rapport d’évaluation des risques et l’état des lieux des groupes de travail.

Un autre défi de taille était de réussir à motiver les groupes de travail impliqués dans le projet, sous la contrainte d’un planning serré. Une grande importance fut accordée par le chef de projet au recrutement de membres des équipes et des groupes à la fois engagés, motivés et prêts à relever un défi sur une durée relativement longue. Pendant toute la durée du projet, les vacances furent accordées en fonction du calendrier du projet et des reports furent parfois nécessaires afin de tenir les délais. L’équipe de projet fit également preuve de souplesse et ne ménagea pas ses efforts en termes d’horaires, les séances pouvant se prolonger jusque dans la nuit.

La définition précise des configurations souhaitées, les tests et la préparation de la migration des données ont constitué un autre défi majeur pour l’équipe de projet. Un test de conformité des données à migrer relativement aux spécifications de migration fut suivi par un test de chargement des données dans le futur système informatique. Conformément à la loi sur la protection des données, au début du mois de décembre 2015 et avant de charger les données dans le système même test, une communication fut faite à l’ensemble des usagers les informant que leurs données seraient transmises au fournisseur du nouveau SIGB. La bonne préparation de la communication permit d’optimiser cette étape et seule une trentaine de personnes refusa que leurs données soient transmises, dont une quinzaine pour des raisons autres que la protection des données. En parallèle, les données extraites du catalogue de RERO furent transmises via un protocole sécurisé à Ex Libris le 14 décembre, date à laquelle commença donc la migration de test sur l’intégralité des données ; le but de cette opération était de faire une répétition générale de la migration de bascule prévue en août 2016. Ex Libris livra dans les délais prévus l’environnement de préproduction du logiciel Alma, le 8 février 2016. Dès la livraison effective, le groupe de travail chargé de la migration effectua des tests de manière à s’assurer que la qualité des données était bien conforme pour poursuivre les travaux. Aucun problème majeur nécessitant de refaire entièrement la migration de test ne fut rencontré. Quelques anomalies furent détectées et rigoureusement inventoriées, mais, de manière générale, la qualité des données migrées fut jugée très satisfaisante. En dépit du décalage en urgence du début de la phase de bascule (cutover) en raison d’une erreur de planification du fournisseur, la migration de bascule put être effectuée au moment du passage en production, soit le 22 août 2016.

La traduction des interfaces des outils Alma et Primo, qui faisait partie du cahier des charges pour l’appel d’offres, représenta un autre défi à gérer pour l’équipe de projet ainsi que pour les différents groupes de travail impliqués, et en particulier pour le GT6 formation. Lors de la livraison des interfaces en français, prévue relativement tardivement pour le printemps 2016, des problèmes de traduction de l’anglais, voire des oublis furent détectés. De plus, certaines traductions portaient parfois à confusion soit pour les professionnels, car le vocabulaire-métier ne se retrouvait pas dans Alma, soit pour les utilisateurs. Bien que des contrepropositions de traduction furent faites par la Coordination Renouvaud, il s’avérait parfois très laborieux d’obtenir l’intégration des modifications demandées. Concernant l’aide en ligne d’Alma, les textes furent traduits en français, mais les captures d’écran et les vidéos restèrent finalement en anglais, en raison du fait qu’elles sont mises à jour de manière centrale pour toutes les langues.  Cela ne fut pas sans poser problème au groupe de travail chargé de la formation de plus de 500 collaborateurs du réseau avant le lancement.

Renouvaud se lance !

À la veille du go-live, les résultats obtenus par les équipes et les groupes de travail furent considérés conformes aux attentes. Concernant la partie informatique du projet, la recette était terminée avec un bilan de 80% des besoins testés avec succès. Après de longs mois de préparation, Renouvaud fut lancé le 22 août 2016, comme prévu dès le montage du projet avec le fournisseur juste après l’adjudication du marché. En dehors d’un problème mineur avec le chargement des données « lecteurs » des bibliothèques scolaires, le démarrage fut fluide et les services proposés aux usagers furent actifs dans tout le réseau dès 14h00 ce jour-là, à l’heure prévue pour le début des activités de prêt. Pour l’anecdote, la première transaction fut effectuée à 14h01. Le service de prêt fut tout de suite fonctionnel, des dizaines de milliers d’utilisateurs purent se loguer pendant la première semaine et il y eut beaucoup de feedbacks positifs des bibliothèques du réseau. Certes, le 22 août ne fut qu’une étape et de nombreuses tâches attendaient encore l’équipe de projet. Les mois qui suivirent le lancement permirent néanmoins aux collaborateurs et aux utilisateurs de prendre en main l’outil et de l’utiliser quotidiennement dès avant la sortie effective du réseau RERO, soit au 31 décembre 2016.

Plusieurs actions de communication accompagnèrent le lancement. Outre les informations régulièrement mises à jour sur le site web de la BCU Lausanne, une charte graphique Renouvaud fut créée et déclinée, aussi bien sur les interfaces du SIGB que sur les imprimés, crayons et sacs distribués dans toutes les bibliothèques du réseau. À l’interne, plusieurs séances plénières réunirent les professionnels du réseau tandis que des messages informant les usagers et des présentations publiques permirent de préparer les usagers à ce changement.

Les travaux après le lancement

La migration des données étant désormais terminée et le changement de logiciel effectif, la Coordination Renouvaud reprit ses travaux. Lorsque les fonctionnalités offertes par les outils Alma et Primo ne répondaient pas aux besoins ou attentes, des développements informatiques furent faits en interne afin de se rapprocher au maximum du fonctionnement prévu. Pour gérer les demandes en provenance des bibliothèques du réseau, un outil de ticketing testé au préalable à la BCU Lausanne fut mis à disposition de tous les professionnels du réseau après le go-live. Dès lors, un important travail de stabilisation du système fut mené par la Coordination : elle repérait les dysfonctionnements des outils et les annonçait à l’équipe de support d’Ex Libris, afin qu’elle puisse les résoudre ou proposer une solution de contournement dans les meilleurs délais. Ex Libris acceptait de faire des développements s’il s’agissait d’un besoin partagé par un nombre suffisamment important de clients. Ainsi, Alma évolue très régulièrement avec des mises à jour mensuelles de l’outil contenant des améliorations et de nouvelles fonctionnalités. Le paramétrage fin de certaines fonctionnalités permit l’adoption progressive de « bonnes » pratiques et la prise en main d’Alma par les professionnels du réseau vaudois ; ceci s’accompagna de la mise à disposition de manuels sur mesure pour intégrer les processus.

À la fin de l’année 2016, la Coordination Renouvaud mit pour la première fois à disposition des bibliothèques du réseau toutes les statistiques habituellement fournies par la Coordination vaudoise ou par RERO. À noter que la nouvelle plateforme de gestion implique certaines différences dans la façon d’élaborer les chiffres, différences liées aux méthodes propres à chaque logiciel. Alma propose un outil très puissant de génération de produits et statistiques nommé Analytics (développé par Oracle) qui permet aux bibliothécaires-système de préparer des rapports et listages flexibles. Le tableau de bord « statistiques d’acquisitions » est par exemple destiné à faciliter le pilotage, la gestion des budgets et des commandes dans Alma. Il s’agit alors de définir les paramètres permettant la génération correcte de ces statistiques en fonction d’un certain nombre de critères choisis par les bibliothécaires du réseau. Parfois, des erreurs de calcul furent repérées et corrigées grâce au zèle des bibliothécaires – ce fut le cas par exemple des statistiques des prolongations de prêt.

Par ailleurs, un toilettage des processus de travail est amorcé au sein de la BCU Lausanne, aussi bien dans le cadre du circuit du document que dans celui des services au public, afin de revoir ou de redistribuer autrement certaines tâches. Pour ce faire, des réflexions approfondies sont engagées par les différents services sur la manière de fonctionner, le potentiel de collaboration entre les équipes, les sites et avec le réseau.

L’utilisation d’un système cloud permet en l’essence de partager et de réutiliser très facilement des métadonnées en provenance du monde entier. D’autres acteurs suisses avancent également dans la réinformatisation de leurs bibliothèques et réseaux. La Bibliothèque nationale suisse, tout comme le projet SLSP (pour Swiss Library Service Platform, géré maintenant par la SLSP S.A.) utiliseront à moyen terme les mêmes outils que le réseau Renouvaud. La question est donc maintenant de savoir comment ces différents acteurs suisses interagiront au niveau national sur la base d’un même outil plus global, quelles coopérations seront envisagées, respectivement quels services seront proposés par une plateforme commerciale comme SLSP S.A., à quel prix et avec quelle plus-value pour les éventuels clients.

Interconnexion des systèmes par APIs

Un des avantages d’un système comme Alma est son potentiel de connexion facilitée à d’autres systèmes par les APIs (Applications Programming Interfaces). À l’initiative de deux services centraux de la BCU Lausanne, l’interfaçage avec d’autres systèmes apporta rapidement une autre pierre à l’édifice Renouvaud. La 1re Assemblée annuelle Renouvaud du 29 septembre 2017 fut l’occasion de présenter GOBI de la maison EBSCO, un outil d’acquisition automatisée de livres numériques.

De son côté, le service Finances de la BCU Lausanne étudia le développement d’une interface permettant l’interconnexion avec le système de facturation de l’État de Vaud (SAP). Ensuite, les principaux fournisseurs furent contactés afin de leur proposer de passer au système d’importation automatique de factures en format EDI (Electronic Data Interchange). La mise en place de ce système permettra un gain de temps considérable au service Finances ; une extension de ce système à d’autres bibliothèques du réseau est envisagée à moyen terme. Ces deux réalisations permettent à la fois de travailler de manière plus efficace (réduction du temps), et plus efficiente, car elles permettent de diminuer le risque d’erreurs.

Gestion du réseau vaudois par la Coordination Renouvaud

Au début de l’année 2017, Renouvaud sortit peu à peu du mode projet et mit en place les différents organes pour garantir un fonctionnement efficient sur la durée. Le CoPil muta en Conseil Renouvaud et valida d’une part les missions, la structure et l’organisation de la Coordination Renouvaud et confirma d’autre part la mise en place des commissions techniques pour traiter les questions métier au sein du réseau. Un responsable de la Coordination Renouvaud put être recruté en la personne de Christian Bürki, dès le 1er mai 2017. Son engagement s’accompagna de la mise en place d’un plan d’action composé de trois axes stratégiques : stabiliser, optimiser et innover. Les deux premiers axes posèrent les bases pour la gestion du réseau les années à venir. D’abord, il s’agissait de consolider le fonctionnement du réseau après le lancement de la nouvelle plateforme. Ensuite, il s’agissait de simplifier et de standardiser les tâches afin d’augmenter la cadence de l’intégration des bibliothèques. En effet, la vitesse d’intégration des bibliothèques dépend non seulement des ressources financières et humaines à disposition, mais aussi de l’expérience acquise avec Alma.

Dès le mois de mai 2017, la Coordination se penchait sur le processus d’intégration des nouvelles bibliothèques et les paramétrages de base d’Alma. Le temps de paramétrage du prêt fut divisé par 10 après 5 mois. En parallèle, il fut établi que l’optimisation du processus d’intégration passera par une priorisation des bibliothèques à intégrer en fonction de leur degré de complexité d’intégration, selon les prestations sollicitées. Le principe est d’intégrer les bibliothèques par wagons, selon les paramétrages souhaités. Afin de les intégrer pleinement au réseau, la migration de leurs données, la formation des collaborateurs et le paramétrage de l’outil sont réalisés. L’année 2017 permit ainsi une première consolidation de la plateforme hébergeant déjà 109 bibliothèques du réseau vaudois. Ce fut l’occasion d’harmoniser un certain nombre de pratiques, par exemple au niveau des règles de prêt, de mettre en place des procédures et de développer des outils pour faciliter l’arrivée de nouveaux membres. Un des premiers outils développés permit de charger de manière semi-automatique les données des étudiants et écoliers avant chaque nouvelle rentrée scolaire. Une adaptation de l’outil de raccrochage pour les migrations permettra de concrétiser ultérieurement les efforts de la Coordination. En effet, ce seront plus de 50 nouvelles bibliothèques qui vont grossir le réseau Renouvaud entre 2018 et 2021.

Organes Renouvaud

Source : Rapport Annuel Renouvaud 2017, p. 11.

Bilan deux ans après le lancement

Lors du lancement du projet Renouvaud en 2014, la Conseillère d’État Anne-Catherine Lyon avait défini les objectifs généraux et spécifiques du projet. Deux ans après le lancement de la nouvelle plateforme de gestion, 95% des fonctionnalités ont été validées et les objectifs ont tous été atteints, sauf la validation formelle de gouvernance, qui est encore en attente. La publication du premier rapport annuel Renouvaud 2017 montre que les délais ont été tenus et le réseau Renouvaud dispose depuis le 1er janvier 2017 de toute l’infrastructure nécessaire au bon fonctionnement des bibliothèques le composant. Le budget a été respecté et le solde au 31 décembre 2017 du crédit d’investissement s’établit à CHF 85'494. A cette date, Renouvaud compte au total 109 bibliothèques, dont 53 scientifiques et/ou patrimoniales et 56 bibliothèques scolaires et de lecture publiques. Les chiffres de l’utilisation du réseau par les publics sont excellents et représentent une progression forte par rapport aux années précédentes : de l’offre imprimée totale (3'507'127) à l’offre de ressources électroniques (938'443), des recherches dans le catalogue (2'111’813), du nombre de prêts (1'843'627) au nombre de consultations des ressources électroniques (près de 3 millions). De toute évidence, l’intégration des outils Alma et Primo, permet aux publics d’accéder plus facilement aux ressources imprimées et numériques.

En 2017, Renouvaud est l’un des plus grands réseaux de bibliothèques suisses et le premier à utiliser une plateforme de dernière génération basée sur une technologie cloud. Pour relever les défis de la 4e révolution industrielle, qui touchent les bibliothèques de plein fouet, Renouvaud a mis en place une organisation structurelle agile au niveau des décisions stratégiques. Le réseau a aussi construit une équipe bicéphale, technique et métier, qui permet une gestion professionnelle de la plateforme technique tout en maintenant un lien métier fort avec les bibliothécaires, stimulant d’échanges intensifs et assurant la formation continue des bibliothécaires. Cette organisation s’appuie sur une bonne compréhension du terrain et permet une mise en place de processus et d’outils les plus adaptés possible aux besoins de plus de 500 professionnels du réseau qui travaillent quotidiennement au service d’environ 140’000 usagers de tous les âges. Renouvaud est un réseau jeune, dynamique et complexe qui est en train de mûrir grâce aux échanges entre professionnels du réseau. L’organisation d’assemblées annuelles et de tables rondes par la Coordination Renouvaud nourrit cette perspective. Ces plateformes d’échanges entre professionnels permettent la circulation des informations et des idées et font progresser l’ensemble du réseau, tout en ouvrant des perspectives de collaboration très réjouissantes dans les années à venir.

Bibliographie

DFJC, Reprise de la gestion du réseau vaudois par la Bibliothèque cantonale et universitaire Lausanne (BCU Lausanne) au 1er janvier 2017, 8 septembre 2014

État de Vaud et BCU Lausanne, Appel d’offres marché public : procédure ouverte. Projet Renouvaud. Conditions et formes de participation, 11 novembre 2014

État de Vaud et BCU Lausanne, Appel d’offres marché public : procédure ouverte. Projet Renouvaud. Cahier des charges, 11 novembre 2014

État de Vaud, Exposé des motifs et projet de décret accordant au Conseil d’État un crédit d’investissement de CHF 2'307'000 pour financer la mise en œuvre du futur réseau vaudois des bibliothèques et du système d’information associé dans le cadre du programme de gestion des bibliothèques du réseau vaudois (RenouVaud), juin 2015

Lettre d’information Renovaud, années 2015-2018

Rapport annuel BCU Lausanne, années 2014-2017

Rapport annuel Renouvaud, année 2017

Notes

[1]Note méthodologique. La préparation de cet article se base sur la consultation de sources publiées et non publiées produites dans le cadre du projet Renouvaud. Certaines parties de l’article reprennent le contenu des rapports annuels de la BCU Lausanne et du premier rapport annuel Renouvaud, édités sous la direction de Jeannette Frey. Nous avons également repris et adapté certaines parties des sources non publiées (rapport d’initialisation, rapport d’analyse préliminaire et appel d’offres public du projet Renouvaud). Nous remercions vivement Alexandre Lopes, Christian Bürki et Jasmin Hügi pour leurs renseignements et suggestions. Le contenu de cet article reste bien sûr de la seule responsabilité de ses auteurs.

[2]Comme le stipule l’article 24 de la Convention RERO, adoptée le 25 novembre 1999, la sortie est effective au 31 décembre 2016, afin de respecter le délai de sortie de 24 mois à l’avance pour la fin d’une année civile.

[3]HERMES online : http://www.hermes.admin.ch. La version 5 a été lancée en 2013 et le release 5.1 en juin 2014.

Des ebooks dans sa poche : projet de valorisation de la collection numérique de la Bibliothèque de l’UNIGE

Marc Meury

Bibliothèque de l’Université de Genève, CODIS - Service de coordination de la DIS

Rue du Général-Dufour 24, 1211 Genève 4 - Suisse

Des ebooks dans sa poche : projet de valorisation de la collection numérique de la Bibliothèque de l’UNIGE

L’impact du numérique dans les bibliothèques universitaires

La Bibliothèque de l’Université de Genève (UNIGE) évolue dans un contexte académique et social marqué par un très fort développement du numérique dans toutes les disciplines. L’impact de cette mutation est global et il a provoqué des changements majeurs dans les pratiques des publics et des professionnels des bibliothèques universitaires. En effet, en une génération nous sommes passés d’une collection exclusivement physique et locale à une autre hybride, dominée par une nouvelle offre des contenus en format numérique, hébergés majoritairement en dehors de la bibliothèque.

 

Figure 1 : Proportion des frais d’acquisition des documents électroniques par rapport aux frais d’acquisition totaux dans les bibliothèques universitaires suisses de 2004 à 2017
(Source : Statistique suisse des bibliothèques, Office fédéral de la statistique, https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/culture-medias-societe-information-sport/culture/bibliotheques.html)

Les avantages du numérique sont nombreux : pas d’espace de stockage physique nécessaire, ni de manutention, consultations simultanées possibles, etc. Ils répondent aux pratiques de plus en plus nomades du public universitaire (documents accessibles partout et en tout temps). Cependant, certaines caractéristiques des ebooks constituent aussi des inconvénients face au livre papier : la complexité liée à la multiplication des formats propriétaires et ouverts (EPUB, PDF, Mobipocket, iBook, Kindle, etc.), le contrôle des accès par DRMs ou soumis à des contrats, son absence dans les espaces physiques en sont quelques exemples.

Ce changement de paradigme documentaire, basé sur la location d’un service et l’accès à distance, nous éloigne de plus en plus du traitement traditionnel des documents, qui représentait le cœur du métier pendant plusieurs siècles. La maintenance d’une collection numérique en expansion constante est complexe, la nature instable des médias électroniques (formats, liens, etc.) et la multiplicité des modèles de services (licences, plateformes, Open Access, etc.) engendrent un bouleversement des pratiques professionnelles dans le monde des bibliothèques académiques. Ce caractère insaisissable provoque une certaine inconsistance dans le traitement documentaire et la mise en valeur de ce type de documents. En effet, cette difficulté à maîtriser le contenu et le flux des métadonnées de cette collection numérique, explique que les bibliothèques académiques se contentent souvent d’un signalement minimaliste au niveau de l’outil de découverte et de la liste de titres (liste A-Z générée par le résolveur des liens).

Si le livre en format papier reste majoritaire pour le type de document “Livre”, la collection d’ebooks continue de se développer très rapidement. Par exemple, à la Bibliothèque de l’UNIGE, la collection d’ebooks a dépassé la barre des 500'000 documents et elle s’est étoffée d’environ 5'000 nouveaux titres en 2017. Ainsi, les ebooks représentent 13% de la collection totale des livres (ISBNs uniques). Cependant la majorité de la collection numérique est invisible au rayon (87% des ISBNs en format électronique n’ont pas d’équivalent papier). Une partie de cette collection d’ebooks existe aussi en format papier, ce qui représente environ 13'000 titres actuellement.

Figure 2 : Comparaison des ISBNs uniques dans la collection de la
Bibliothèque de l’UNIGE selon le support

Le contexte numérique et technologique actuel ouvre de nouvelles perspectives pour les bibliothèques universitaires. Les catalogues et les solutions de découvertes exploitent et fournissent de nouvelles APIs (Applications programming interface) qui permettent le développement de nouveaux outils. Les données bibliographiques s’ouvrent de plus en plus (mouvement Open Data) pour favoriser l’échange de métadonnées entre les systèmes.

Ces 10 dernières années, l’usage d’Internet a été bouleversé par l’arrivée des smartphones qui sont devenus l’une des portes principales pour la consultation de l’information sous forme numérique. Ces objets sont de véritables « couteaux suisses » informatiques incluant une pléthore d’applications à exploiter par les bibliothèques. Par exemple, les QR-codes fournissent aux bibliothèques un pont entre le monde physique et virtuel. Longtemps considérés comme désuets et sous-exploités en dehors de l’usage industriel, les QR-codes sont récemment revenus sur le devant de la scène pour répondre à de nouveaux usages (micro-paiement, promotion, vente en ligne, etc.). De plus, la lecture des QR-codes est aujourd’hui facilitée par l’intégration de sa lecture par la caméra des nouveaux smartphones.

La Bibliothèque de l’UNIGE a décidé de participer au développement de l’application mobile institutionnelle et propose actuellement de nouvelles fonctionnalités telles que le calcul de l’occupation des salles en temps réel, la lecture des codes-barres (QR-codes et ISBNs), la recherche dans l’outil de découverte RERO Explore Genève.

Etat de la valorisation des ebooks à la Bibliothèque de l’UNIGE

La Bibliothèque de l’UNIGE met à disposition du public des collections papier et numériques déployées sur quatre sites répartis dans la ville : Uni Arve, Uni Bastions, Uni CMU et Uni Mail. La collection d’ebooks s’est largement développée dans tous les domaines mais sa mise en valeur dans les espaces physiques n’a pas fait l’objet d’une réflexion concertée. En 2017, le service de coordination de la Bibliothèque (CODIS) qui a pour mission de coordonner des projets transversaux et d’harmoniser les activités au sein de l’institution, a reçu pour mandat de se pencher sur cette problématique.

La valorisation des ebooks et des périodiques électroniques était déjà pratiquée sur certains sites via des affiches, flyers ou fantômes incluant des QR-codes. Cependant, il n’existait pas de pratiques ni de procédures communes. Certains sites menaient des actions de valorisation dans les espaces depuis plusieurs années, tandis que d’autres se contentaient d’une promotion en ligne uniquement. Les dispositifs de valorisation existants différaient d’un site à l’autre : certains utilisaient des étiquettes pour signaler l’existence de la version numérique sur l’exemplaire physique, d’autres des blocs en plexiglas avec des affiches, d’autres des fantômes. Le visuel (logos, couleurs, mise en page, etc.) variait également et ne respectait pas toujours la charte graphique de la Bibliothèque. Par ailleurs, ces supports de valorisation ne renvoyaient pas tous aux mêmes type de contenu (texte intégral ou catalogue des ebooks), et les QR-codes utilisés ne dirigeaient pas toujours sur des pages adaptées à la consultation sur dispositif mobile.

Du côté des collaborateurs, la création des URLs raccourcis et des QR-codes posait problème puisque les outils pour les générer étaient des sites commerciaux parfois peu fiables. Pour créer manuellement ces supports de valorisation, les collègues avaient besoin de plusieurs logiciels dont certains nécessitent des compétences techniques particulières et chronophages (environ 10 minutes pour créer un seul support). Ce procédé peu efficient ne permettait pas de faire face à une masse de ressources numériques toujours plus importante à valoriser. Contrairement à la chaîne de traitement documentaire des imprimés, bien maîtrisée, celle des ebooks n’était pas formellement intégrée dans les pratiques professionnelles.

Du point de vue des usagers, les statistiques d’utilisation des QR-codes récoltées ponctuellement montraient une faible utilisation de ces supports comme moyen d’accéder à ces ressources. En effet, la multiplicité des formats et des supports pouvait diminuer l’impact de ce type d’actions, qui ne bénéficiaient pas d’une identité visuelle commune et d’un accompagnement technique et promotionnel suffisant.

Fort de ce constat et considérant la volonté de la Bibliothèque de promouvoir plus efficacement les ressources numériques, le contexte s’avérait favorable à la mise en place d’un projet transversal qui a pu démarrer en 2017. Dans un premier temps, le périmètre a été circonscrit à la valorisation des ebooks dans les espaces physiques, écartant la valorisation des autres types de ressources (périodiques électroniques et bases de données). La mise en valeur de ces ressources sur des canaux numériques (site web, écrans d’information, etc.) est quant à elle prévue dans un projet futur.

Objectifs et coordination du projet

Les objectifs du projet étaient multiples. Ils visaient principalement à fournir aux collaborateurs en charge de la valorisation des ressources numériques sur les sites des procédures et un outil commun pour intégrer cette étape dans la chaîne de traitement documentaire, au même titre que les ressources papier. Le projet avait également pour but d’améliorer la visibilité de ces collections et de faciliter leur accès. Plus concrètement, il s’agissait de :

  • promouvoir plus systématiquement les collections d’ebooks auprès des usagers sur l’ensemble des sites de la Bibliothèque ;

  • faciliter la création et la gestion des supports communs de valorisation (affiches, fantômes, etc.) munis de QR-codes et de liens pérennes ;

  • rendre plus visibles ces collections immatérielles grâce à un visuel commun identifiable qui répond à la charte graphique institutionnelle ;

  • augmenter la consultation de ces ressources grâce à un accès facilité et plus direct sur dispositifs mobiles.

En début d’année 2017, une étude préalable au projet avait permis de réaliser un état de l’art de la valorisation des ressources électroniques en bibliothèque et d’identifier les différentes méthodes et outils mis en place. Cette étude a été complétée avec des retours d’expérience d’autres institutions.

Pour mener à bien cette réflexion transversale, un groupe de travail ponctuel a été créé. Il est composé d’une sélection de spécialistes en charge de la gestion des ebooks sur chaque site et au sein du CODIS, et d’un bibliothécaire système. Il est animé par le coordinateur du pôle Informatique documentaire et la coordinatrice du pôle Communication. Le groupe s’est réuni régulièrement tout au long du projet qui a duré pratiquement 2 ans et s’est articulé en trois temps. La première période, allant d’avril à septembre 2017, a été consacrée à la définition du cadrage du projet (état des lieux de la valorisation sur les sites, définition des besoins et des fonctionnalités de l’application). Les 8 mois suivants ont été dédiés au développement technique de l’application Avalon, à la rédaction de la documentation et à la personnalisation graphique des supports de valorisation. Une fois en ligne, l’application Avalon a été testée par les membres du groupe, ce qui a permis d’intégrer de nouvelles fonctionnalités et des améliorations afin d’affiner la logique du processus de valorisation. Enfin, la phase de déploiement sur les sites impliquant la formation des collègues, s’est articulée pendant l’été, de mai à août 2018. Lors de cette dernière étape, les membres du groupe de travail ont pris en charge l’organisation du travail sur leurs sites respectifs.

Avalon : réalisation de l’Application de Valorisation Numérique

L’objectif de la plateforme était double. Premièrement, Avalon a été conçue pour offrir aux collaborateurs de la Bibliothèque une interface ergonomique permettant la production efficiente de supports de valorisation homogènes et facilement identifiables dans les rayons. Ensuite, elle devait aussi faciliter l’accès aux ressources pour les usagers.

La réalisation dans son ensemble constitue un écosystème d’applications de gestion (applications web développées en PHP sur un serveur interne de l’UNIGE LAMP géré par la Bibliothèque) permettant de connecter entre eux les éléments suivants :

  • flux de données en provenance des base de données institutionnelles (RERO Explore et SFX) et commerciales (images de couverture issues de Google, Amazon, etc.),

  • interface d’administration pour la création et la gestion des supports de valorisation,

  • création et gestion des URLs raccourcis et QR-codes,

  • génération des pages web intermédiaires destinées au public

Figure 3 : Schéma de fonctionnement d’Avalon :
workflow de valorisation et d’accès pour une ressource.

L’interface d’administration permet de valoriser les ressources numériques en moins d’une minute. Elle se compose d’un formulaire de recherche communicant avec RERO Explore Genève, via l’API PNX Rest de Primo, qui récupère les principales métadonnées de l’ebook à valoriser.

Figure 4 : Etape 1, recherche du titre “apoptosis and cancer”

 

Figure 5 : Etape 2, collecte des données du titre “apoptosis and cancer”

Dans ce formulaire, l’ensemble des métadonnées de la ressource sélectionnée (titre, image de couverture, ISBN/ISSN, lien SFX, etc.) ont été récupérées automatiquement. Il est possible de les modifier, d’ajouter des éléments complémentaires (informations de gestion, résumé, cote, etc.). Un URL raccourci est également généré, celui-ci servira pour la création du QR-code. L’ensemble de ces métadonnées servira de contenu aux supports de valorisation.

Une fois complété, les données du formulaire sont stockées dans la base de données, et une nouvelle valorisation (entrée) apparait dans le tableau de gestion. A partir de ce tableau, il est possible de générer les supports de valorisation au format PDF.

Figure 6 : Etape 3, affichage de la valorisation pour le titre « apoptosis and cancer »
dans le tableau de gestion

Quelques fonctionnalités ont été développées pour donner plus d’autonomie aux créateurs des supports de valorisation, qui ne possèdent pas forcément de compétences techniques. Pour la mise en page, il est possible de choisir la taille des caractères dans les résumés, modifier les textes affichés, ajouter des commentaires et choisir une image de couverture autre que celle récoltée automatiquement. Des fonctionnalités spécifiques ont été ajoutées par la suite pour permettre l’impression en plusieurs fois d’un même code-barre pour les exemplaires multiples ou pour un lot de stickers sur une page d'étiquettes incomplète (déjà utilisée).

Pour répondre aux besoins des sites qui souhaitaient valoriser aussi bien des lots (ebooks, bouquets) que des titres à l’unité cinq modèles de supports ont été définis.

Un titre sera valorisé par le biais d’affiches en format A4 (portrait/paysage), de fantômes ou encore d’étiquettes. Un lot de ressources (collections, thématiques) sera mis en valeur par le biais d’affiches en format A3 ou de marques-page/échéancier dans le cadre de campagnes.

Ces 5 modèles de supports de valorisation ont une mise en page prédéfinie en accord avec la charte graphique de la Bibliothèque.

Figure 7 : supports de valorisation au titre

Figure 8 : supports de valorisation des lots

Par le biais de ces supports de valorisation générés avec Avalon (et en particulier du QR-code présent), l’usager peut accéder à la ressource numérique ou à une sélection thématique (recherche Explore pré-établie). Le flash d’un QR-Code amène sur une “page intermédiaire” (page web) également générée par Avalon.

Cette page permet de prendre connaissance des règles d’usage des ressources numériques, d’accéder à la ressource désirée et souvent au texte intégral, de partager la référence sur des réseaux sociaux mais aussi, et surtout, d’envoyer le lien de la “page intermédiaire” par email en vue d’une utilisation ultérieure. Cette dernière fonctionnalité a été développée pour offrir la possibilité à l’usager de consulter la ressource sur un appareil de lecture plus confortable et à un moment plus opportun.

Figure 9 : Vue de la page intermédiaire (ordinateur et tablette)

Figure 10 : Vue de la page intermédiaire (smartphone)

Cette page intermédiaire permet en outre de matérialiser le rôle de la Bibliothèque en tant que fournisseur des ressources numériques et offre une valeur ajoutée en proposant une solution technique en cas de problème d’accès.

Figure 11 : Fenêtre modale qui apparaît lorsque l’usager tente d’accéder à la ressource numérique sans être sur le réseau de l’Université.

Déploiement et communication sur le projet

Pour faciliter la coordination du déploiement sur l’ensemble des sites de la Bibliothèque, un calendrier global commun a été défini. Il prévoyait 4 mois de mise en œuvre avec comme échéance la rentrée universitaire de septembre 2018. Néanmoins, les sites ayant des fonctionnements propres, il était important que chacun puisse s’organiser de manière autonome. Cette mise en œuvre consistait en deux étapes principales :

  1. former les collègues des sites sur Avalon, organiser ou réorganiser (si déjà existant) le processus de traitement documentaire afin que l’étape de valorisation soit intégrée comme nouvelle tâche systématique,

  2. générer et imprimer les supports de valorisation à installer dans les rayons. Une étape supplémentaire qui consistait à enlever tous les anciens supports et à les remplacer par les nouveaux a été nécessaire pour certains sites.

Etant donné que ce projet allait toucher un très grand nombre de collaborateurs de la Bibliothèque, la gestion des communications au lancement, mais aussi tout au long du projet, était indispensable. Dès lors, des communications à deux niveaux, transversal et par site, ont été transmises à toute la Bibliothèque à des moments clés (séances de coordination du CODIS, réunions du comité de direction de la Bibliothèque, emails, newsletter interne, etc.). Au niveau des sites, les membres du groupe s’étaient chargés de relayer les informations (les procès-verbaux, séances d’équipe, lettres d’information des sites).

Lors de la dernière phase du projet, la communication interne s’est intensifiée afin de soutenir le déploiement sur les sites. Plusieurs documents ont été produits et ont servis de supports de communication :

  • un schéma de présentation de l’application (cf figure 1)

  • un guide d’utilisation

  • une vidéo de démonstration de l’interface “collaborateurs” d’Avalon

  • une vidéo de démonstration de l’utilisation de l’application UNIGE mobile pour accéder aux ressources (https://mediaserver.unige.ch/play/110505).

Six séances de présentation d’Avalon ont été organisées juste avant le lancement effectif. Ces réunions visaient à sensibiliser les collaborateurs de la Bibliothèque à la problématique de la valorisation des ressources numériques d’une part et à leur faire des démonstrations pratiques d’autre part. L’enjeu était que l’ensemble des collègues puissent prendre en main les fonctionnalités de l’application UNIGE mobile, notamment le lecteur de QR-codes et les fonctionnalités de la page intermédiaire. Au terme des présentations, les collègues devaient être familiers avec les nouveaux supports de valorisation installés dans les rayons afin de répondre aux questions des usagers et de les accompagner dans ces nouvelles pratiques.

Communication aux usagers

A l’occasion de la rentrée de septembre 2018, le lancement de ce nouveau service s’est accompagné de plusieurs actions de communication autour des fonctionnalités développées par la Bibliothèque dans l’application UNIGE mobile. En effet, une campagne de communication pour le lancement officiel de la version 2 de l’application mobile était prévue au même moment. Dès lors, il semblait plus pertinent de profiter de la visibilité offerte par cette campagne globale et décliner le visuel retenu pour la “Bibliothèque version mobile”.

Figure 12 : Affiches promotionnelles de l’application UNIGE mobile

Figure 13 : Flyer de promotion de « la Bibliothèque version mobile » (recto)

Figure 14 : Flyer de promotion de « la Bibliothèque version mobile » (verso)

Retour d’expériences

A ce stade du projet, l’un des premiers constats est l’importance de l’accompagnement et la communication, notamment dans la phase de déploiement. Malgré les efforts déployés, ces nouveaux supports de facilitation ne sont pas encore perçus par l’ensemble des collaborateurs comme un service à part entière de la Bibliothèque. Cela peut s’expliquer par un manque de temps ou d’intérêt face aux nouvelles technologies.

L’une des difficultés majeures rencontrées dans ce projet est inhérente à l’organisation interne et à la taille de la Bibliothèque de l’UNIGE qui fonctionne selon deux dimensions ; transversale et par site. Cette structure conditionne l’organisation de ce type de projet qui implique une gestion centralisée avec un groupe de travail multisites, mais un déploiement qui doit tenir compte des besoins et des contraintes au niveau local. Ce fonctionnement a l’avantage de laisser une grande autonomie aux sites tout en encourageant l’appropriation de l’application Avalon. A titre d’exemple, tous les sites ont pu déployer les supports de valorisation selon un processus et un rythme propres. Cette souplesse implique toutefois une perte de la vision d’ensemble et un déploiement décalé dans le temps.

Les retours des collègues impliqués sur l’application Avalon ont été très positifs. La formation et le matériel mis à leur disposition lors de la phase de déploiement ainsi que l’ergonomie et la simplicité d’utilisation de l’interface ont contribué à la prise en main rapide de l’outil et permis la création d’un grand nombre de supports en peu de temps.

Un facteur de réussite important du projet est lié à sa temporalité qui a coïncidé avec le développement de l’application mobile institutionnelle. Ainsi, il a été possible d’intégrer le lecteur de QR-codes parmi les fonctionnalités de la section “Bibliothèque” de l’application mobile de l’Université, anticipant son intégration sur les nouveaux smartphones.

Conclusion et suites du projet

A l’heure où nous écrivons ce texte, cela fait seulement 4 mois que les supports de valorisation ont été placés dans les rayons de la Bibliothèque et notre expérience se limite pour le moment aux étapes de conception, développement de l’application et déploiement. La collecte de statistiques d’utilisation de ces supports, consultables par les administrateurs sur l’application Avalon, a bien démarré à la rentrée universitaire de septembre 2018. À ce stade, la période observée est trop courte pour analyser l’impact de ce nouveau service auprès du public ainsi que sur le nombre de consultations des ressources valorisées.

Il est prévu de réaliser un bilan du projet une année après le lancement (septembre 2019). L’objectif sera de vérifier l’intégration de ces nouvelles pratiques de consultation des ressources numériques par les collègues et les publics de la Bibliothèque. Il est également planifié d’analyser les statistiques d’usage des QR-codes, en coopération avec le pôle Ressources documentaires, afin de connaître l’impact des actions de promotion sur l’usage réel des ressources numériques valorisées.

La deuxième étape du projet qui consiste désormais à intégrer de nouveaux types de ressources numériques dans Avalon, notamment les périodiques et les bases de données, a déjà démarré et se poursuit actuellement avec le même groupe de travail. Selon le calendrier en cours et les discussions actuelles, au printemps 2019, Avalon pourra être utilisé pour promouvoir des bases de données, des périodiques électroniques, des sites Web et d’autres ressources multimédias.

Par la suite, il sera question de lancer un nouveau projet qui traitera de la création d’une nouvelle solution technique de promotion en ligne des documents physiques et numériques. 

Bibliographie

Barron G. (2014) Intégrer des ressources numériques dans les collections. Villeurbanne: ENSSIB.

Jeanson A. (2013) Les services innovants liés au numérique: l’exemple des bibliothèques universitaires [Mémoire d’étude]. Villeurbanne: ENSSIB. Disponible sur: http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/notices/60394-les-services-i...

Meury M. (2013). Les QR codes en bibliothèque: un exemple de médiation numérique au service des usagers [Mémoire de Certificate of Advanced Studies (CAS)]. Université de Fribourg. Disponible sur: http://doc.rero.ch/record/209354/

Pouchot S, Vieux A, Peregrina R. (2016) Si proche, si loin: prêt de ebooks en bibliothèque: la situation en Suisse romande. In: Les Presses de l’ENSSIB. p. 37‑54. (Collection Les numériques). Disponible sur: https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01412659

Souchon, F. (2014). Faire vivre les ressources numériques dans la bibliothèque physique. Le cas des bibliothèques universitaires. [Mémoire d’étude]. Villeurbanne: ENSSIB; Disponible sur: http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/notices/64182-faire-vivre-le...

Vieux A. (2014). Signaler et valoriser les ressources documentaires numériques en bibliothèque universitaire: quels enjeux pour la Bibliothèque de l’Université de Genève? 2014; Disponible sur: https://archive-ouverte.unige.ch/unige:91498

Valoriser les ressources électroniques en bibliothèque. http://www.enssib.fr/offre-de-formation/formation-continue/18e34-valoris...

Apprentissage et classification automatiques pour améliorer la pertinence d’un corpus d’articles

Julien Gobeill, Haute École de Gestion, Genève, Institut Suisse de Bioinformatique (SIB), Genève, Suisse

Matthias van den Heuvel, École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL)

Laura Minu Nowzohour, Institut de Hautes Études Internationales et du Développement (IHEID)

Joëlle Noailly, Institut de Hautes Études Internationales et du Développement (IHEID)

Gaétan de Rassenfosse, École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL)

Patrick Ruch, Haute École de Gestion, Genève, Institut Suisse de Bioinformatique (SIB), Genève, Suisse

Apprentissage et classification automatiques pour améliorer la pertinence d’un corpus d’articles

La construction d’un corpus de documents pertinents pour un besoin d’information donné, à l’aide d’un outil de recherche, est une tâche qui relève de la recherche d’information (RI). La RI peut être considérée selon deux points de vue en sciences de l’information : celui du spécialiste en recherche documentaire, et celui du spécialiste en sciences informatiques. Selon le point de vue adopté, les interactions entre l’outil de recherche et son utilisateur sont complémentaires. Le spécialiste de recherche documentaire s’attache à construire la meilleure équation de recherche possible pour un besoin d’information donné ; dans son travail, l’outil reste inchangé et la requête évolue afin d’obtenir un maximum de documents pertinents. L’informaticien spécialiste en fouille de texte (de l’anglais text mining) s’attache quant à lui à construire le meilleur outil de recherche possible ; dans son travail, la requête reste inchangée et l’outil évolue afin de prédire correctement et renvoyer un maximum de documents pertinents (Weiss, 2015). Les travaux que nous allons présenter ici combinent les deux approches.

Cette étude se déroule dans le cadre du Projet National de Recherche 73 sur l’économie durable, financé par le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique. Un groupe de chercheurs en sciences économiques, provenant de l’ Institut de Hautes Études Internationales et du Développement (IHEID) et de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), travaille sur l’investissement dans les technologies propres, et cherche à quantifier le développement des politiques environnementales et climatiques sur les quatre dernières décennies. L’un des moyens envisagés est l’exploitation d’articles de presse relatifs à cette thématique. A terme le but est de construire un indice mesurant le degré d’incertitude dans les politiques économiques liées au changement climatique.  Cet indicateur devrait pouvoir refléter des pics et changements brusques dans les politiques climatiques, comme par exemple la sortie des Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat sous la présidence de Donald Trump.

Description générale de la tâche et de l’approche

Une tâche fondamentale du projet consiste donc à construire un corpus d’articles, issus d’une dizaine de revues généralistes de différents pays, relatifs aux politiques économiques liées au changement climatique. C’est pour cette tâche que l’expertise de chercheurs de la filière Information Documentaire de la Haute École de Gestion (HEG) a été mobilisée. Nous avons décomposé cette tâche en deux sous-tâches successives :

  • Sous-tâche 1, filtrage par équation de recherche : construire une équation de recherche large dans une base de données documentaire, pour ramener un corpus intermédiaire contenant le plus grand nombre d’articles pertinents possible ;

  • Sous-tâche 2, classification automatique : filtrer ce corpus intermédiaire grâce à un classifieur, utilisant des techniques de d’apprentissage et de classification automatiques de documents, afin d’obtenir le corpus final.

Enchaînement des deux sous-tâches de construction du corpus final

Le classifieur que nous avons développé pour la sous-tâche (2) a donc pour fonction de prédire automatiquement si un article est pertinent ou non pour un besoin d’information donné. Ce classifieur s’appuie sur l’apprentissage automatique. Dans les sciences informatiques, l’apprentissage automatique est un champ de l’intelligence artificielle dont le principe est d’entraîner un algorithme avec des exemples déjà étiquetés (pertinents ou non), pour lui donner la capacité d’étiqueter lui-même de nouveaux exemples. Contrairement à un système expert dans lequel le comportement de l’algorithme est régi par des règles explicites spécifiées par l’humain (comme la présence dans l’article de certains termes), un algorithme d’apprentissage artificiel généralise à partir de données d’entraînement pour adopter un comportement non explicitement programmé.

Études précédentes

L’étude (Baker et al., 2016) est fondatrice, car elle est la première de grande ampleur à essayer de mesurer l’incertitude de politique économique (EPU) avec des outils bibliométriques. Contrairement à notre projet NRP, l’étude de Baker et al. s’intéresse à tous les domaines économiques (pas seulement liés au réchauffement climatique) et remonte jusqu’au début du 19ème siècle, étudiant des faits comme la première guerre mondiale ou la crise de 1929. Une dizaine de revues américaines majeures sont considérées dans cette étude. Un premier corpus d’articles – appelé par les auteurs « computer-generated » – est construit grâce à une équation de recherche relativement simple : (“economic” OR “economy”) AND (“uncertain” OR “uncertainty”) AND (“congress” OR “deficit” OR “Federal Reserve” OR “legislation” OR “regulation” OR “White House”). Un second corpus d’articles (appelé human-generated) est construit après lecture et évaluation de 12 000 articles. La construction manuelle de ce second corpus a nécessité un effort conséquent : des équipes d’étudiants de l’université de Chicago ont lu et sélectionné des articles pendant dix-huit mois, s’appuyant sur un guide de 65 pages, et étant supervisés toutes les semaines par les auteurs de l’étude. Les deux corpus ainsi construits montrent une forte corrélation. Quant à l’indice d’incertitude de politique économique ainsi généré, il présente des corrélations avec plusieurs autres indicateurs économiques (comme la volatilité des marchés). De plus, l’indicateur généré présente des pics lors d’événements comme le 11 septembre, ou la faillite de Lehman Brothers.

Parmi les études inspirées par ces travaux, (Tobback et al., 2016) est tout à fait intéressante. Le point de départ est que l’équation de recherche utilisée par Baker et al. induit probablement des erreurs de type 1 et 2, qui doivent fausser l’indice. Les erreurs de type 1 sont des faux positifs : des articles qui satisfont l’équation de recherche mais ne sont pas pertinents. Les erreurs de type 2 sont des faux négatifs : des articles pertinents mais non ramenés car ils traitent du sujet en d’autres termes que ceux spécifiés dans l’équation de recherche. Les exemples suivants illustrent les deux types d’erreur.

Exemple de faux positif : retourné par la recherche mais non pertinent

Exemple de faux négatif : pertinent mais non retourné par la recherche

Dans leur publication, Tobback et al. proposent d’améliorer la qualité du corpus d’articles en le filtrant grâce à un outil de classification automatique. La collection initiale comprend 210 000 articles issus de cinq revues flamandes, collectées gratuitement sur le Web. Un échantillon de 400 articles est d’abord étiqueté (pertinent ou non-pertinent) manuellement, puis utilisé pour entraîner l’algorithme d’apprentissage. L’algorithme utilisé est une Machine à Support de Vecteurs, ou SVM (Joachims, 1998). Comparée à l’approche naïve de Baker et al., l’approche de Tobback et al. montre une précision (ou spécificité) comparable (97% contre 99%), mais un rappel (ou sensitivité) beaucoup plus élevé (68% contre 21%). En d’autres termes, l’équation de recherche ramène seulement 21% des articles pertinents, contre 68% pour le classifieur. Quant à l’indice d’incertitude de politique économique ainsi généré, les auteurs le présentent comme meilleur, et lui accordent même un pouvoir prédictif sur certains indicateurs économiques. Des fortes limites sont toutefois que l’étude de Tobback et al. se limite à l’économie belge, et ne remonte pas avant 2000.

Revues étudiées, Factiva, et New York Times

Comme nous devions accéder à des articles de revues de différents pays du monde, nous nous sommes naturellement tournés vers une base de données documentaires. Le consortium des bibliothèques universitaires suisses détient notamment des licences pour Factiva. Factiva est un outil de recherche d’information professionnel, détenu par Dow Jones & Company, et agrégeant plus de 32 000 sources différentes de 200 pays.

Les experts en économie de notre équipe ont donc construit méthodiquement une équation de recherche complexe dans l’interface de Factiva, ayant pour but de ramener le plus de documents possible traitant de politiques économiques liées au changement climatique. L’équation de recherche finale contient près de 6 000 caractères. Elle se compose de 297 opérateurs OR, 7 opérateurs AND, 150 opérateurs de proximité NEAR, 19 troncatures, et 215 paires de guillemets pour chercher des expressions exactes. C’est une équation de recherche largement plus complexe que celle utilisée par Baker et al., ce qui reflète aussi le fait que les politiques environnementales et climatiques couvrent des domaines plus variés que la politique monétaire économique. Le tableau suivant donne une indication des concepts considérés comme pertinents.

Environment

Policy

Renewable Energy Generation

Regulation

Energy Storage

Standards & Certification

Energy Infrastructure & Efficiency

Feed-in tariffs & premiums

Transportation

Taxes & Subsidies

Water & Wastewater

Emissions trading schemes

Air & Environment

International agreements

Recycling & Waste

Loan guarantees

Clean Manufacturing

Green & Climate bonds

Concepts considérés pour l’élaboration la requête

Dans la dizaine de revues étudiées, cette équation ramène dans Factiva environ un million d’articles. Malheureusement, il nous est vite apparu que si l’interface de Factiva permettait à un humain de consulter et télécharger autant d’articles qu’il le voulait, elle l’interdisait techniquement à une machine. En fait, la licence du consortium interdit explicitement le text mining, et plus généralement toute lecture des articles par une machine. Ce genre de clauses peut être vu comme abusif, voire illégal ; toutefois, dans le cadre d’un projet, il est difficile d’entrer en confrontation avec une telle source de données. Nous sommes donc entrés en négociation avec Dow Jones pour une licence nous permettant de télécharger ce million d’articles et de les traiter avec du text mining.

Parallèlement aux négociations, nous avons décidé pour la première année du projet de télécharger les archives du New York Times, en libre accès, pour faire une première étude sur la classification d’articles. En juin 2018, nous avons donc téléchargé 2,6 millions de pages Web pour récupérer les archives du New York Times. 5% des pages n’ont pas pu être téléchargées à cause de dysfonctionnements techniques du côté de la revue. Le texte des articles a ensuite été extrait de ces pages Web.

Première sous-tâche : Filtrage par équation de recherche

Pour construire notre corpus intermédiaire, nous avons déployé un moteur de recherche dans les 2,6 millions d’articles du New York Times, en utilisant la solution open source Elasticsearch Lucene. Nous avons ensuite appliqué l’équation de recherche construite dans l’interface de Factiva. Les langages de requêtes n’étant pas parfaitement identiques (notamment pour l’opérateur de proximité NEAR qui est plus puissant dans l’interface de Factiva), nous avons dû légèrement modifier l’équation de recherche initiale. Nous verrons que cela aura une forte incidence sur le ratio de documents pertinents dans le corpus intermédiaire. Nous avons finalement obtenu notre corpus intermédiaire de 174 000 articles potentiellement pertinents.

Pour préparer la deuxième étape (élaboration du corpus final par classification automatique), nous avons étiqueté – c’est-à-dire jugé chaque élément comme pertinent ou non – un échantillon représentatif d’articles. En effet, les méthodes d’apprentissage automatique requièrent des données d’entraînement. Trois membres de l’équipe experts en économie ont donc parcouru un échantillon représentatif de 700 articles présents dans notre corpus intermédiaire. Sur ces 700 articles, 94 étaient pertinents. Ce ratio de 14% est très inférieur au ratio de 50% observé empiriquement dans les résultats de Factiva. Cette différence s’explique par la puissance de l’opérateur de proximité NEAR dans Factiva, qui peut être utilisé entre des expressions complexes, là où il ne peut être utilisé qu’entre deux termes simples dans le langage Lucene Elastisearch.

Prétraitement des articles

Avant d’être utilisés par le classifieur, les articles doivent être prétraités par des méthodes de fouille de texte. En effet, les algorithmes de classification reposent sur des méthodes statistiques, et prennent généralement en entrée des exemples décrits par des attributs qui ont des valeurs numériques ou catégorielles. Ce type de données structurées peut typiquement se représenter dans un tableau, où les attributs sont des colonnes et les exemples sont des lignes. Par exemple, pour des données médicales d’un dossier patient, des attributs peuvent être la tension artérielle ou le poids (des nombres), ou bien le sexe ou la présence de codes maladies (des catégories). L’algorithme va alors apprendre à établir des seuils et des liens entre chaque attribut pour inférer ses décisions.

De leur côté, les articles de revues sont du texte : par nature, ils ne peuvent pas être représentés tels quels dans un tableau. Pour avoir une représentation compatible, la première chose à faire est d’obtenir l’ensemble des mots apparaissant dans le corpus d’articles. Cet ensemble de mots est appelé le dictionnaire, et chaque mot du dictionnaire va devenir un attribut. Dans les 700 articles que nous avons étiquetés, il y a ainsi 38 300 mots différents, donc potentiellement 38 300 colonnes dans un tableau représentant nos données. Pour remplir les lignes, la représentation la plus simple consiste à donner, pour chaque article et chaque mot, la valeur 1 si le mot apparaît dans l’article, ou la valeur 0 dans le cas contraire. Une représentation plus évoluée, que nous nommerons « count » dans les résultats présentés, consiste à donner le nombre de fois où le mot apparaît dans l’article ; l’hypothèse sous-jacente est qu’un mot répété plusieurs fois dans un article a plus de chances d’être représentatif de l’article. Enfin, une représentation pondérée et habituellement utilisée en fouille de texte est « term frequency inverse document frequency » (tfidf). Cette pondération prend en compte la fréquence d’un mot dans un article (tf), mais aussi l’inverse de la fréquence du mot dans tout le corpus (df). L’hypothèse sous-jacente est ici que plus un mot est présent dans tout le corpus, moins il est représentatif d’un article.

Dans cette étude, nous avons considéré les représentations count et tfidf.

Deuxième sous-tâche : classification automatique

L’algorithme de classification que nous avons choisi pour cette sous-tâche est une Machine à Vecteurs de Supports (SVM). L’approche par SVM est largement répandue dans la classification automatique de documents, et obtient généralement de très bons résultats (Sun et al., 2009). Une SVM cherche des régularités dans des articles déjà étiquetés, et sélectionne des combinaisons de mots qui ont les plus grands pouvoirs de discrimination. C’est l’algorithme utilisé par Tobback et al.

Nous avons entraîné et évalué le classifieur avec le jeu de 700 articles étiquetés : 94 positifs (pertinents) et 606 négatifs (non pertinents), soit un ratio de 14%, comme dans le corpus intermédiaire obtenu avec Elasticsearch. Mais nous avons aussi construit un deuxième jeu de données avec un ratio de 50%, pour étudier les performances du classifieur dans le futur corpus intermédiaire obtenu avec Factiva : les 94 positifs, et 94 négatifs. Le classifieur a donc été évalué avec deux jeux de données présentant des ratios différents. Pour chaque jeu de données, nous avons constitué quatre sous-jeux de taille croissante, pour étudier comment les performances du classifieur évoluaient avec la taille des données d’entraînement. L’évaluation s’est faite selon la méthode de « leave one out crossvalidation ». Pour chaque article étiqueté, un classifieur est entraîné avec tous les autres ; ensuite, le classifieur est évalué sur sa capacité à prédire correctement la classe (pertinent ou non) de l’article retiré des données d’entraînement. Le classifieur est ainsi entraîné sur un maximum de données ; d’autre part, il est évalué sur tous les articles du jeu de données, ce qui maximise la significativité de l’évaluation. Des valeurs de précision et de rappel peuvent ainsi être calculées pour tous les jeux de données.

La figure suivante indique les performances du classifieur pour deux ratios d’articles pertinents (50% et 14%), en utilisant deux représentations de documents (count ou tfidf). Les valeurs reportées sont les F-mesures du classifieur ; la F-mesure est calculée en effectuant la moyenne harmonique de la précision et du rappel.

Concernant le jeu de données avec un ratio de 50% (courbes bleues), les courbes montrent un plafonnement rapide des performances. Une centaine d’articles étiquetés semble ici une quantité suffisante pour entraîner de manière optimale le classifieur. La différence entre les deux représentations (count et tfidf) apparaît comme minime. La meilleure F-mesure reportée est de 84%, ce qui est comparable à celle reportée par Tobback et al. (80%). Dans cette configuration, la précision du classifieur est de 80% et le rappel de 90%.

En revanche, concernant le jeu de données avec un ratio de 14% (courbes oranges), les courbes ne plafonnent pas encore. Ici, les articles positifs sont noyés dans le bruit, et obtenir une classification correcte est plus difficile, et demande plus de données d’entraînement. La différence entre les deux représentations est toujours minime, mais la représentation tfidf (marqueurs triangulaires) pourrait se montrer plus efficace avec plus de données. La meilleure F-mesure reportée est de 63%. Dans cette configuration, la précision du classifieur est de 83% mais le rappel seulement de 51%.

La figure suivante indique les mots les plus discriminants selon le classifieur, que ce soit pour prédire qu’un article est non-pertinent (en rouge) ou pertinent (en bleu). Les termes reportés sont majoritairement cohérents.

Enfin, pour interpréter les résultats, il est nécessaire de prendre en compte l’accord inter-annotateur. La pertinence d’un article est une notion subjective, qui dépend de l’expert jugeant l’article ; le même article peut ainsi être jugé comme pertinent ou non selon l’expert. Trois cents articles ont donc été jugés en parallèle par deux experts différents. Sur la totalité des 300 articles, les experts montrent un accord de 89%. Le calcul du kappa (mesure statistique pour mesurer l’accord inter-annotateur) donne une valeur de 0,63, ce qui est interprété comme un accord assez fort (Baeza-Yates et al., 2011). Ces valeurs sont à mettre en perspective avec les résultats du classifieur : si les experts s’accordent à 89% sur la pertinence d’un document, la performance du classifieur évalué sur leurs jugements ne peut théoriquement dépasser ce plafond. La F-mesure obtenue (84%) pour le jeu de données avec un ratio de 50% indique donc que le classifieur montre des performances assez proches de celles d’un expert humain, tout en étant bien sûr incomparablement plus rapide pour juger des milliers d’articles.

Corpus final

Nous avons entraîné un classifieur avec un échantillon de 700 articles, présentant un ratio de 14% d’articles positifs. Puis, nous l’avons appliqué sur un corpus intermédiaire de 174 000 articles potentiellement pertinents issus de la première sous-tâche (qui présente lui aussi un ratio de 14% d’articles pertinents). Nous avons ainsi généré le corpus final, qui ne contient plus que 15 000 articles. Ce corpus final affiche théoriquement une précision de 83%, mais un rappel de seulement 51% par rapport au corpus intermédiaire.

Le corpus final a été indexé dans un nouveau moteur de recherche Elasticsearch. Il est ainsi possible de faire des recherches dans le corpus final, comme le montre la figure suivante. Ici, une recherche est faite avec la requête « earth summit », qui ramène 195 articles. Les archives du site officiel du New York Times en comptent 438, mais on sait que le rappel de notre corpus final est d’environ 50%, et tous les articles du New York Times ne sont pas pertinents pour notre étude.

Il est aussi possible avec Elasticsearch de visualiser l’évolution du nombre d’articles mentionnant « earth summit », comme illustré dans la figure suivante. On observe ici un maximum pour 1992, année du sommet de la Terre à Rio, puis une diminution, hormis lors de pics en 1997 (année de signature du protocole de Kyoto déroulant de la conférence de Rio), 2002 (conférence de Johannesburg), 2012 (conférence de Rio+20) et 2015 (conférence de Paris).

Conclusion

Nous avons construit un corpus d’articles du New York Times relatifs aux politiques économiques liées au changement climatique, en enchaînant deux étapes : la construction d’une équation de recherche ramenant un maximum de documents potentiellement pertinents, et l’application d’un outil de classification automatique pour filtrer les résultats précédents. Pour un ratio de 50% d’articles pertinents issus de la première étape, une centaine d’articles étiquetés (en comparaison des 12 000 de Baker et al.) semble ici une quantité suffisante pour maximiser les performances du classifieur et obtenir un corpus final de qualité proche de celle obtenue par des experts humains. Dans la suite de l’étude, une fois obtenu de Factiva le million d’articles potentiellement pertinents issus d’une dizaine de revues, nous devrons ré-étiqueter de nouveaux articles pour entraîner et évaluer le classifieur avec les nouvelles revues.

Dans l’article de Baker et al., les auteurs écrivent qu’il est intéressant de noter que des archives de revues sont accessibles pour tous les pays du monde, et pour des dizaines d’années selon les pays. Ils clament que cette ubiquité, couplée avec les outils informatiques, offre des possibilités gigantesques d’approfondir notre compréhension des développements économiques, politiques et historiques, à travers des démarches scientifiques empiriques. Malheureusement, ces possibilités ne s’offrent que si les données sont accessibles aux chercheurs. Si cette accessibilité paraît encouragée par quelques revues, elle ne l’est clairement pas par les agrégateurs de contenu, qui différencient encore dans leurs licences d’utilisation l’utilisateur humain de l’utilisateur machine.

La fouille de texte n’est plus une discipline émergente, ni extérieure aux Sciences de l’Information ; c’est une discipline mature qui peut dès à présent être utilisée pour assister le spécialiste de recherche documentaire dans une tâche de construction de corpus ou de classification de documents, tout spécialement avec des masses d’informations importantes.

Bibliographie

Baeza-Yates, R., & Ribeiro, B. D. A. N. (2011). Evaluation in Information Retrieval. In Modern information retrieval. New York: ACM Press; Harlow, England: Addison-Wesley.

Baker, S. R., Bloom, N., & Davis, S. J. (2016). Measuring economic policy uncertainty. The Quarterly Journal of Economics, 131(4), 1593-1636.

Joachims, T. (1998). Text categorization with support vector machines: Learning with many relevant features. In European conference on machine learning (pp. 137-142). Springer, Berlin, Heidelberg.

Sun, A., Lim, E. P., & Liu, Y. (2009). On strategies for imbalanced text classification using SVM: A comparative study. Decision Support Systems, 48(1), 191-201.

Tobback, E., Naudts, H., Daelemans, W., de Fortuny, E. J., & Martens, D. (2016). Belgian economic policy uncertainty index: Improvement through text mining. International journal of forecasting.

Weiss, S. M., Indurkhya, N., & Zhang, T. (2015). Fundamentals of predictive text mining. Springer.

Conserver et valoriser les archives de la Société des Arts de Genève

Sylvain Wenger, Directeur de projet : Valorisation du patrimoine et promotion de la recherche auprès de la Société des Arts

Conserver et valoriser les archives de la Société des Arts de Genève 

Enjeux et genèse du projet

La Société des Arts de Genève, créée en 1776 sous le nom de Société pour l’Avancement des Arts, de l’Agriculture et des Manufactures, a produit et acquis tout au long de son histoire une masse considérable de documents et d’objets constituant aujourd’hui une richesse patrimoniale unique pour nourrir l’histoire des beaux-arts, des techniques et des sciences à Genève.

Dès ses débuts, l’institution met en place une importante diversité d’opérations d’encouragement industriel et artistique incluant la distribution de récompenses, l’instauration d’enseignements gratuits et la publication d’informations techniques, commerciales et autres[1]. Originellement composée de groupes de travail appelés « comités »[2], l’association est réformée au début des années 1820 pour adopter une structure en trois « classes », toujours actives de nos jours, dédiées respectivement à l’agriculture, à l’industrie et au commerce, et aux beaux-arts. Une part importante des traces écrites et matérielles de leurs activités nous sont parvenues en très bon état. Des caves aux combles de son siège – le Palais de l’Athénée, situé au cœur de la cité genevoise – l’institution abrite des ressources historiques très recherchées, qui font actuellement l’objet d’une attention particulière en termes de catalogage et de pérennisation.

Fin 2015, les responsables de la Société des Arts ont entrepris de dresser un catalogue complet des archives de l’association, tout en menant des actions de valorisation destinées à la communauté de la recherche et au grand public. Les opérations, actuellement en cours, comprennent l’inventoriage numérique du fonds, l’optimisation des conditions de dépôt et de consultation ainsi que la mise en ligne d’un certain nombre de documents digitalisés sur une plateforme Internet dédiée.

Ce vaste projet patrimonial a vu le jour sous l’impulsion d’Etienne Lachat, secrétaire général de la Société des Arts depuis 2013. A l’automne 2015, il a formé une Commission des archives constituée de membres de l’association et d’autres personnes ayant un intérêt et des compétences dans le domaine des archives et, plus largement, du patrimoine genevois[3]. Dans un premier temps, ce groupe de travail a prodigué ses conseils et recommandations quant aux objectifs et aux orientations du projet, avant de jouer un rôle de conseil consultatif entre les instances dirigeantes de la Société et les acteurs du projet.

Figure 1 : Archives en cours de traitement / Image Collection Société des Arts - Greg Clément 2018

De l’inventaire sommaire à l’inventaire détaillé

Le projet d’inventaire a été conçu en deux phases principales. La première a consisté à procéder à une évaluation globale du volume et de la typologie des ressources historiques conservées au Palais de l’Athénée. Cette analyse de l’existant, réalisée en 2016 en collaboration avec l’entreprise Docuteam, a résulté sur un inventaire sommaire des archives. L’analyse s’est concentrée sur les ressources écrites, manuscrites et imprimées, tandis que le mobilier et les œuvres d'art n’ont pas été pris en compte car l’information à leur propos est déjà relativement bien maîtrisée. Des éléments importants ont été mis en évidence pour élaborer la stratégie de traitement du matériel, à commencer par la distinction entre les volumes d’archives et de collections d’ouvrages. Ainsi sait-on depuis lors que les archives de la Société des Arts et de ses sections représentent environ 141 mètres linéaires (ml), soit 42% du total des biens écrits conservés au Palais de l’Athénée[4], tandis que les collections d’imprimés extérieurs – des revues, essais et manuels théoriques et pratiques, pour l’essentiel – comptent pour 187 ml (55%), selon la distribution suivante : 95 ml pour la Classe d'Agriculture[5], 49 ml pour la Classe d’Industrie et Commerce, 43 ml pour la Classe des Beaux-Arts. L’analyse a aussi révélé que les collections d’imprimés comptent environ 6'800 volumes[6], et que les archives de tiers représentent environ 8 ml[7]. On a constaté, enfin, que le plus ancien document d'archives conservé à l’Athénée date de 1388, tandis que la publication la plus ancienne remonte à 1578.

Du point de vue typologique, l’analyse a montré que les archives comprennent principalement des procès-verbaux de séances, des dossiers personnels de présidents, de la correspondance, des documents comptables, des statuts et règlements, des listes de membres, ainsi que des documents de grand format tels que des plans et dessins architecturaux, des affiches, des programmes de concours ou des diplômes. Sur le plan thématique, le matériel porte sur l’ensemble des domaines d’intérêt de la Société des Arts, à savoir l’artisanat, l’industrie, l’agriculture et les beaux-arts, mais ne s’y limite pas[8]. Notons encore la présence de nombreux objets tels que des échantillons de plantes, de textiles ou de visserie, ainsi que des coins de médailles, des rubans et des bannières en tissu, des instruments de mesure anciens, des photographies et des diapositives. En synthèse, la phase d’évaluation a permis de quantifier l’importance matérielle de ces ressources historiques et de mettre en évidence leur contenu thématique, rappelant que la Société fût par le passé une incontournable plateforme d’acquisition, de production et de diffusion de savoir pour sa région.

En janvier 2017 a été lancée la seconde phase, consistant au traitement proprement dit des archives (nettoyage, conditionnement, description numérique). A cet effet, un manuel définissant les normes de traitement a été établi en étroite collaboration avec l’entreprise Docuteam et avec la participation active de la Commission des archives, tenant compte des différents types de pièces et cas particuliers rencontrés au fur et à mesure du dépouillement. Ce document d’une vingtaine de pages commence par exposer les principes généraux de traitement, dont le périmètre et le système de normes adopté[9], avant de détailler les choix relatifs à l’évaluation, au niveau de description, au reconditionnement, à la cotation et à la numérisation des archives. Pour définir ces éléments, la stratégie a consisté à traiter en priorité les rayons présentant la plus forte hétérogénéité et le plus faible degré de maîtrise de l’information, de sorte à faire émerger un maximum de cas problématiques : les liasses fermées, les boîtes diverses et les papiers entreposés pêle-mêle ont ainsi été traités avant les procès-verbaux et autres imprimés parfaitement reliés et rangés chronologiquement depuis des décennies.

Du point de vue du niveau de traitement, il a été décidé de traiter le dossier ou la série de dossiers. Cependant, même dans le cas d'une notice concernant un dossier, à moins que l'intitulé suffise à décrire clairement le contenu (dans le cas d'une publication, par exemple, ou d'un dossier très homogène sans pièces particulières), le contenu du dossier est décrit dans un champ spécifique, et les pièces importantes ou singulières sont indiquées. Cette formule, relativement flexible, permet d’enrichir l’inventaire de nombreux mots clefs indexés, sans toutefois astreindre l’ensemble du processus aux opérations par trop chronophages de la description à la pièce.

Une fois le manuel de traitement établi, à l’automne 2017, les opérations de traitement ont trouvé leur vitesse de croisière. Au mois de novembre 2018, près de 75 mètres linéaires avaient été traités, et près de 150 dossiers avaient fait l’objet de photographies indicatives ou de reproductions scannées en haute définition.

Figure 2 : Capture d’écran de la base de données de travail : divers documents et objets numérisés

Faciliter la consultation physique et virtuelle

L’amélioration des conditions de consultation physique et virtuelle des archives de la Société des Arts constitue un axe prioritaire du projet. Entre mars 2016 et novembre 2018, l’institution a traité près de 120 demandes de renseignements historiques provenant de la communauté de la recherche, de musées, de bibliothèques, de médias, ainsi que de privés[10]. Environ 30% des demandes ont débouché sur des consultations sur place, tandis que le reste a été traité à distance.

Il est prévu que dans le courant de l’année 2019, l’inventaire détaillé soit progressivement mis en ligne sur une nouvelle plateforme Internet, enrichi d’un certain nombre de documents scannés. L’outil de recherche par mots-clefs de la plateforme sera élémentaire, offrant des critères tels qu’un ou plusieurs termes à exclure, un filtre par types de pièces (manuscrit, tapuscrit, imprimés, objet), ainsi qu’une échelle temporelle. Le site permettra par ailleurs de refléter d’un coup d’œil la variété des types de pièces comprises dans les ressources historiques de la Société des Arts au moyen d’un damier de vignettes disposées de manière aléatoire sur la page d’accueil, donnant accès à des notices comportant un document digitalisé.

Figure 3 : Plateforme de consultation de l’inventaire des archives : projet de page d’accueil

Dans un premier temps, l’objectif est de mettre à disposition en ligne environ 5 à 10% des archives de la Société des Arts, en ciblant le matériel le plus fréquemment demandé. A cet effet, le projet tient compte des besoins régulièrement exprimés par les chercheurs. A terme, la prise en charge des requêtes nécessitera sans doute l’engagement de ressources spécialisées et l’aménagement de conditions appropriées, actuellement à l’étude.

L’importance d’un programme d’activités annexes

En marge de la production de l’inventaire détaillé, colonne vertébrale du projet, des activités scientifiques et culturelles ont été programmées et organisées au Palais de l’Athénée en 2016, 2017 et 2018. Outre leur rôle de réflexion et d’émulation, ces activités ont donné la visibilité nécessaire pour, d’une part, faciliter l’émergence et le développement de partenariats avec des institutions scientifiques et patrimoniales (universités suisses et étrangères, musées, etc.), et d’autre part, souligner l’importance des ressources patrimoniales de la Société des Arts.

Une première exposition organisée du 9 au 26 novembre 2016, intitulée Lumière ! Incursions dans les collections de la Société des Arts, proposait ainsi d’interroger le rôle de l’institution dans le développement économique, social et politique de la région genevoise et plus largement européen dans la longue durée, depuis la fin du 18e siècle[11]. A celle-ci a succédé, du 12 septembre au 11 novembre 2018, l’exposition intitulée L’héritage insoupçonné d’Alfred Dumont (1828-1894), accompagnée de la proposition Point d’ombre du plasticien Benoît Billotte. Cette exposition retraçant la trajectoire artistique et institutionnelle d’un peintre et collectionneur, membre important de la Société, quasiment absent de l’historiographie, mais fort reconnu de son temps, a été l’occasion de procéder à la mise à niveau de l’inventaire des quelques 3'000 dessins léguées à la Société des Arts et aujourd’hui conservés au Cabinet d’arts graphiques des Musées d’art et d’histoire de Genève.

Par ailleurs, trois rencontres scientifiques couvrant des champs d’intérêt particuliers de la Société des Arts ont été organisées : les journées d’étude Penser/Classer les collections des sociétés savantes les 24 et 25 novembre 2016, le colloque Produire du nouveau ? Arts – Techniques – Sciences en Europe (1400-1900) (23-25 novembre 2017), et enfin du colloque Regards croisés sur les arts à Genève (1846-1896). De la Révolution radicale à l’Exposition nationale, les 2 et 3 février 2018. Chacune de ces manifestations est assortie d’une publication des actes.

Conclusion

L'intérêt des archives de la Société des Arts pour l’histoire de l’économie et des arts de la région genevoise a été mis en lumière grâce aux résultats intermédiaires du projet d'inventaire lancé fin 2015. Une fois réorganisé, décrit, et rendu plus facilement accessible, dès 2019-2020, ce riche matériel offrira la possibilité d’interroger plus avant des champs historiques liés, par exemple, au développement de la formation professionnelle, des instruments d’encouragement artistique ou de multiples aspects de l’agriculture.
Si une histoire de la Société des Arts de Genève dans la longue durée reste à écrire, c'est avant tout en replaçant cette plateforme de savoir dans son paysage institutionnel historique et contemporain, qu’elle mérite de l’attention. C’est en ce sens qu’est profilé le projet de valorisation et de conservation actuellement en cours.

Notes

[1] Sur l’histoire de l’association voir notamment : Jean-Daniel Candaux, R. Sigrist, « Saussure et la Société des Arts », in R. Sigrist (éd.), H.-B. de Saussure (1740-1799), Genève, Georg, 2001, p. 431‑452 ; Danielle Buyssens, La question de l’art à Genève : du cosmopolitisme des Lumières au romantisme des nationalités, Genève, La Baconnière Arts, 2008, p. 181 ; Serge Paquier, « La Société des Arts, transition entre deux ères », in Marc J. Ratcliff, Laurence-Isaline Stahl-Gretsch (dir.), Mémoires d’instruments, Genève, S. Hurter, 2011, p. 114-123 ; Sylvain Wenger, « Innover, pratique ‘connectée’. Regards sur la Genève du début du xixe siècle », in Bernard Lescaze (dir.), Genève 1816, une idée, un canton, AEHR, Carouge, 2017, p. 119-147, et Sylvain Wenger, « Encourager la nouveauté ? Aux origines de la Société pour l’avancement des arts, de l’agriculture et des manufactures de Genève », xviii.ch, Annales de la Société suisse pour l'étude du XVIIIe siècle, vol. 9/2018, numéro thématique La Suisse manufacturière au 18e siècle, éd. par Rossella Baldi et Laurent Tissot. Pour d’autres références nourries directement ou indirectement par les archives de la Société des arts, voir la bibliographie proposée dans la brochure Lumière ! éditée à l’occasion de l’exposition du même nom : Vanessa Merminod, S. Wenger, Lumière ! Incursions dans les collections de la Société des arts, Genève, Société des arts de Genève, 2016.

[2] Les premiers comités institués furent les Comités des arts, et de l’agriculture, avant que n’apparaissent dès 1787 le Comité de dessin, le Comité de mécanique, le Comité de chimie et le Comité rédacteur.

[3] Les membres de la Commission des archives sont Jean-Daniel Candaux, Fabia Christen Koch, Olivier Fatio, Barbara Roth-Lochner, Dominique Zumkeller et Etienne Lachat.

[4] Le solde est composé, notamment, de dossiers administratifs courants.

[5] Cette section a été rebaptisée Classe d'Agriculture et Art de Vivre à partir de 1976.

[6] Les volumes sont répartis entre les collections de la Classe d’Agriculture (environ 3'630 volumes), celles de la Classe des Beaux-Arts (environ 1'650) et celles de la Classe d'Industrie et Commerce (environ 1'480).

[7] Il s’agit de la Société genevoise d'utilité publique (SGUP) et la Société des Amis des Beaux-Arts, par exemple.

[8] On trouve en effet par exemple des essais et autres types de pièces sur la musique, la littérature, ou la poésie.

[9] Le périmètre initial correspond aux archives produites par la Société des Arts, ses classes ou des tiers, depuis les plus anciennes jusqu'à 1990 – cette borne temporelle étant provisoire. Les autres ressources historiques, telles que les imprimés de tiers réunis par les classes, ne sont à ce stade pas pris en compte. Par ailleurs, les références employées pour la description archivistique et les notices d’autorité sont, respectivement, les suivantes : Conseil international des archives (ICA), « ISAD(G) : Norme générale et internationale de description archivistique - Deuxième édition » (Ottawa, 2000), http://www.ica.org/fr/node/15291, et Conseil international des archives (ICA), « ISAAR (CPF) : Norme internationale sur les notices d’autorité utilisées pour les Archives relatives aux collectivités, aux personnes ou aux familles - Deuxième édition », 2004, http://www.ica.org/fr/node/15298 (Consultation le 12 décembre 2018).

[10] Environ 70 % des demandes proviennent de Suisse, le reste d’Allemagne, d’Angleterre, d’Italie, du Japon, d’Espagne, et de France.

[11] L’exposition a donné lieu à l’édition d’une brochure du même nom, disponible auprès du secrétariat de la Société des Arts.

Les bibliothèques de la Communauté du savoir

Agnès Dervaux-Duquenne, bibliothécaire-responsable, Haute Ecole Arc Ingénierie

Les bibliothèques de la Communauté du savoir

Des solutions simples pour des défis complexes 

Un des derniers livres blancs partagés sur le site  http://www.archimag.com/ [1] nous propose une étude intitulée « Les défis des bibliothèques universitaires au cœur de l’enseignement, de l’apprentissage et de la recherche » [2].

Notre métier change, c’est une évidence, notre profession évolue, et nous aussi, les professionnel-le-s. Les défis identifiés se posent donc autant au niveau des lieux, des institutions et des objectifs que des ressources, des outils et enfin des compétences des personnels.

C’est une chance dès lors de faire partie d’une des institutions membres de la Communauté du savoir et de bénéficier des encouragements et des infrastructures mises en place pour se rencontrer, partager sur nos pratiques, nos savoir-faire, nos questions et nos solutions et tenter de développer des projets à haute valeur ajoutée avec nos collègues régionaux transfrontaliers.

Mais qu’est-ce que cette Communauté du savoir ?

La Communauté du savoir : historique et composantes

La Communauté du savoir (Cds) est un réseau visant à renforcer, valoriser et stimuler les collaborations franco-suisses dans l'Arc jurassien en matière d'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation.

D'abord sous l'égide de la Conférence TransJurassienne, la Communauté du savoir a organisé tous les deux ans (2012, 2014, 2016) un colloque transfrontalier afin de permettre aux acteurs de la collaboration transfrontalière dans les domaines de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation de se rencontrer et d'échanger sur les solutions  à apporter aux problématiques inter-régionales générées par les frontières. Les colloques se sont tenus alternativement en France et en Suisse afin de permettre aux participant-e-s de visiter un établissement partenaire.

Le premier colloque de 2012 a été organisé à l'’École Nationale Supérieure de Mécanique et des Microtechniques (Besançon, France) et a réuni une centaine d'acteurs des échanges franco-suisses. Il a donné lieu à la signature d'une déclaration d'intention signée par 17 partenaires présents et a permis de créer les prémices d’une communauté du savoir, de la recherche et de l’innovation de l’Arc jurassien.

Le deuxième colloque de 2014 s’est tenu à la Haute Ecole Arc (Neuchâtel, Suisse) et a réuni environ 150 participant-e-s autour de la thématique : "La collaboration transfrontalière : aller au-delà des outils existants". C’est lors de ce colloque qu’ont été proposées de nouvelles pistes d'actions franco-suisses structurantes dans plusieurs domaines - dont les bibliothèques, et que le nom de cette communauté a été validé par les participant-e-s.

Le troisième colloque de 2016 a eu lieu à l'Atria de Belfort (France) sur le thème "Frontières : dynamique et enjeux d'un territoire transfrontalier", et a permis de mettre en lumière les avantages (également pour les acteurs publics et politiques) liés à la coopération au sein du réseau de la Communauté du savoir. La signature d’un accord-cadre entre sept membres académiques est venue consolider cette volonté de travailler ensemble et de soutenir activement le développement de leurs collaborations.

Les sept membres académiques sont les suivants :

Inscrite dans un territoire de coopération qui couvre actuellement la Franche-Comté côté français et les cantons de Berne, Jura, Neuchâtel et Vaud côté suisse, la Cds est, par son existence et son développement, un facteur de dépassement de la frontière au profit d’une mise en commun de potentiels scientifiques, académiques, culturels et économiques de l’entier de l’Arc jurassien franco-suisse.

Depuis 2014, ce projet est soutenu par le programme européen de coopération transfrontalière Interreg V France-Suisse 2014-2020 et a bénéficié à ce titre d'un soutien financier du Fonds européen de développement régional (FEDER). Grâce à ces fonds, les premiers objectifs de la Cds ont pu être atteints, à savoir un soutien direct à la mobilité des personnes engagées, à l’organisation d’actions, de journées thématiques, de mises en réseau des structures d’innovation et de groupes comme celui des bibliothèques.

Actuellement, la dernière phase du projet Cds est en préparation et son objectif est de pérenniser les acquis et les actions de ce réseau dont l'autonomie de fonctionnement doit être atteinte au 1er janvier 2020.

Dans cette perspective, le projet se développera en 2019 autour de trois nouveaux objectifs qui rassemblent et prolongent ceux de la période 2015-2018 :

  1. Un campus transfrontalier à même de poursuivre et d’impulser des projets de collaborations ;

  2. Un incubateur de projets transfrontaliers destiné à accompagner au cas par cas la structuration et le montage de projets de collaborations ;

  3. La pérennisation du réseau en vue de préparer le transfert des responsabilités et des financements aux établissements membres à l’horizon 2020.

Bilan Cds 2015-2018 

Une évaluation globale réalisée en octobre 2018 a montré que, entre les projets et groupes de travail prospectifs, séminaires et journées thématiques, réunions de gouvernance et de coordination du réseau, webcasts et stages, 118 rencontres franco-suisses ont eu lieu entre 2015 et 2018 et 4263 personnes ont participé à ces échanges.  Ces chiffres ont fini de convaincre les partenaires engagés de pérenniser leur soutien pour maintenir actifs les groupes engagés et tenter de poursuivre les démarches encore en réflexion.

Voici à quoi ressemble aujourd’hui le bilan de ces actions et préconisations.

Les groupes de travail dits de "proposition"

Cotutelles de thèse

A l'issue de ses séances de travail, la principale préconisation du groupe a été d’élaborer une procédure pilote entre les établissements partenaires de la Communauté du savoir en ciblant 3-4 diplômes de masters éligibles à l’inscription d’une formation doctorale donnée. L’idée est de démontrer la valeur ajoutée d'un réseau comme la Cds et notamment sa capacité à favoriser des synergies interdisciplinaires.

Formations continues

Le groupe de travail a livré les préconisations suivantes :

  • Proposer des partages d’expérience pédagogique entre les acteurs du réseau ;

  • Faciliter les échanges de pratiques en termes d’activités métier opérationnelles (intitulé des offres de formation, partenariats dans les formations continues, mise à disposition de ressources en ligne) ;

  • Constituer un annuaire des personnes-ressources dans chaque établissement.

Formations initiales

Sur la base d’une analyse des situations de formations bi ou tri-nationales existantes, de la typologie de ces situations sur la base de leur organisation (doubles diplômes, élaboration de titres commun, …), quelques recommandations ont été proposées :

  • combiner des formations existantes afin de déboucher sur des "doubles diplômes " ;

  • intégrer dans des programmes au sein de différents établissements des modules de cours/formations construits en communs ;

  • développer un « annuaire » d’enseignant-e-s (par discipline/compétence) qui pourrait faciliter l’émergence d’un tel ensemble de cours;

  • développer un référentiel d'aides à la mobilité des étudiant-e-s (identification de lieux de stages, ...).

Offensive Sciences

Ce groupe a orienté ses travaux sur trois niveaux :

  • Etudier le fonctionnement du programme de financement des travaux de recherche « Offensive Sciences » de la Région Métropolitaine Trinationale (RMT);

  • Explorer des pistes de réflexions autour de nouveaux outils de financement pour la recherche dans le réseau de la Communauté du savoir;

  • Exprimer des recommandations pour les futures programmations de la Communauté du savoir sur le sujet.

Toutefois, il était impossible pour ce groupe de produire des résultats directement exploitables, les enjeux évoqués étant plutôt de nature "politique". Les discussions devront donc se poursuivre au sein du comité de pilotage et des responsables d'établissements de la Cds, la mise en place éventuelle d'un fonds de ressources mutualisées relevant de ce niveau de décision.

En parallèle à ces différents groupes de travail, des études et actions ont été menées qui ont permis de proposer des guides de financements, un soutien à la mobilité des collaborateurs et collaboratrices des structures académiques de la Cds, la mise en place de stages et séminaires communs, l'identification d'expert-e-s pour la constitution de jurys et l'offre d'une solution de visioconférence flexible pour les membres de la Cds.

Un accent important a également été mis sur les actions de communication : site internet, cartographie en ligne des acteurs du territoire, Webcastings et captations d’événements organisés par les partenaires de la Cds, plateforme de partage de fichiers/documents (GED), nouveaux outils de communication (flyers, livrets) pour faciliter la diffusion des objectifs du réseau auprès des différents publics-cibles et pour favoriser l'appropriation des différents financements proposés par les enseignant-e-s et les étudiant-e-s.

Les groupes de travail dits "actifs"

Jurassic Labs

Les FabLabs mettent à disposition de nouveaux dispositifs de fabrication numérique et la connaissance de leur utilisation.
L'intérêt de ces ateliers est de faire sortir la créativité des bureaux d’études et des laboratoires universitaires en ouvrant à la population des lieux d'expérimentation accessibles.

L’autre force des FabLabs est de mettre en relation des types de personnes qui ne se rencontrent généralement pas, ou peu : étudiant-e-s et spécialistes de différents domaines ; universitaires et industriel-le-s, artistes et ingénieur-e-s, générations différentes.  

Jurassic Labs propose d’étendre ces mises en réseaux, internes à chaque FabLab, à tous les FabLabs et structures de créativité (existants ou futurs) du territoire de la Communauté du savoir. Il propose également que ce réseau devienne le lien naturel de tous ces territoires pour ce qui est des questions de créativité et d’innovation. Les FabLabs offrent en outre l’avantage d’être neutres, entre industries et universités, entre économie publique, économie privée et économie collaborative, un territoire commun où tout le monde se sent à l’aise pour interagir.

L’objectif de Jurassic Labs est ainsi résumé : créer des ponts verticaux entre trois niveaux identifiés :

Sphère «maker» = espace citoyen ( Fablabs, HackerSpaces, MakerSpaces etc.).

Sphère «professionnelle» = espace de l’économie privée (réseau des centres créatifs [sens large], pépites, etc., connecté aux entreprises, start-ups, chambres de commerce, etc.).

Sphère «institutionnelle» = espace de l’économie publique (réseau des institutions [hautes écoles, universités], connecté au monde politique).

Deux actions principales ont pu être développées par ce groupe :

  • un FabLab mobile transfrontalier dans l'Arc jurassien, plus particulièrement à destination des publics scolaires, via des modules pédagogiques; une version expérimentale de ce FabLab mobile circulera côté France d’ici la fin 2018;

  • une forte implication au Crunch à Belfort en mai 2018, apportant ainsi un soutien « maker » aux 1'500 participant-e-s de ce hackathon universitaire et industriel.

ArcLab

Projet pilote et expérimental, l'action ArcLab a été mise en place à la rentrée 2018 avec pour objectifs l’identification et la définition de compétences pour des professions emblématiques du territoire, en lien avec les enjeux du 4.0 identifiés comme prioritaires par le Comité de pilotage.

Deux ateliers ont permis aux enseignant-e-s/chercheurs et chercheuses de la Cds d’identifier les professions sur lesquelles travailler et de poser les bases des compétences-clefs présentes et à venir, et profils-types qui les composent. A cette occasion, quatre professions emblématiques ont été identifiées (e-firmier-ère, community commerçant-e, digital transgénieur-e et digital transformateur-trice).

Cette expérimentation permettra la réalisation de vidéos thématisées sur chacune des quatre professions étudiées, à destination des établissements membres du réseau et des collectivités publiques.

Les bibliothèques de la Cds

Chacune des 7 institutions partenaires dispose d'une (ou d'un réseau de) bibliothèque(s) que l’on peut identifier sur cette carte :

Ces bibliothèques partagent 20 lieux physiques et emploient 150 collaborateurs et collaboratrices environ.  Certaines sont rassemblées en un seul lieu (pour des domaines différents), d'autres sont réparties sur un territoire géographique de type campus. Elles ont également en commun d'avoir comme principal public les étudiant-e-s et enseignant-e-s de leur établissement, ainsi que des chercheurs et chercheuses orientés "métier". Mais les personnes privées et professionnelles sont également bienvenues et présentes dans ces structures.

Toutes ensemble ces bibliothèques conservent et mettent à disposition de leurs publics environ 1.000.000 de documents papier et elles traitent environ 420.000 prêts par an.  Organisées en consortiums dans leurs pays respectifs, elles proposent en outre un nombre imposant de ressources en ligne aux membres de leurs institutions.

Dès les balbutiements du réseau, ces mêmes bibliothèques se sont regroupées et ont immédiatement perçu l'intérêt qu'elles auraient à collaborer.  Non seulement elles sont toutes pilotées au sein d'une institution d'enseignement supérieur mais en plus, les thématiques qu'elles couvrent sont parfois proches, voire très proches et donc complémentaires en terme de fonds documentaires (bibliothèques « jumelles » de part et d’autre de la frontière). 

Très rapidement, elles ont mis en place des actions simples de collaborations basées sur une charte qui part du principe de base de réciprocité et qui favorise la mise en réseau de bibliothèques membres. Cette charte s’établit sur une base d’égalité et d’avantages mutuels.

Dès avant la signature de l'«accord-cadre» validé par les responsables des institutions partenaires en juillet 2017, les différentes actions prévues ont immédiatement été mises en œuvre ou en chantier.  Il s'agit de :

 1 : Accueil réciproque des étudiant-e-s des établissements membres de la Cds

Cela signifie que toute personne inscrite dans une de ces bibliothèques bénéficie gratuitement d’une carte de bibliothèque dans un autre établissement membre.

Ainsi les étudiant-e-s qui optent pour un parcours mixte (voir par exemple le partenariat mis en place entre la HE-Arc ingénierie et l'UTBM) ont accès aussi bien aux ressources de la bibliothèque de leur institution d'affiliation qu'aux ressources de la bibliothèque du lieu sur lequel ils poursuivent leur formation.

2 : Prêts entre bibliothèques

Les bibliothèques ont établi une procédure très simple qui permet, grâce à la mutualisation des liens vers les catalogues en ligne (voir plus loin), de demander en prêt entre bibliothèques un ouvrage détenu par une bibliothèque partenaire de l'autre côté de la frontière. La communication se fait par e-mail et une plateforme collaborative permet d'enregistrer les échanges ainsi convenus. Les prêts sont accordés gratuitement par les bibliothèques partenaires et les frais de livraison par poste sont centralisés et pris en charge par le budget Cds du groupe de travail. En effet, afin de favoriser les prêts transfrontaliers entre bibliothèques partenaires, les frais engagés pour la bonne marche de ces échanges de documents sont pris en charge par le réseau Cds. 

3 : Mutualisation des catalogues

Par le biais d’une carte des bibliothèques partenaires publiée sur le site web de la Cds, les membres ont accès à tout moment aux catalogues des bibliothèques et à leurs coordonnées.

Un document interne partagé permet également de disposer des contacts-clés dans cette organisation pour que la communication se fasse directement avec la bonne personne (essentiellement les collaborateurs et collaboratrices qui gèrent le prêt entre bibliothèques).

Cet aspect de la collaboration entre bibliothèques est bien sûr évolutif : si la plupart des fonds documentaires des partenaires français sont accessibles en interrogeant un seul catalogue (le Sudoc donne accès aux collections des bibliothèques de l’enseignement supérieur et de la recherche et permet de visualiser la localisation des exemplaires et donc leur disponibilité dans les bibliothèques participantes), les partenaires suisses sont membres soit du réseau Nebis, soit du réseau RERO dont l’interrogation est un peu plus complexe pour les collègues français.  On s’aperçoit que dans ce cadre, la solution Worldcat peut être plus intéressante mais on se réjouit surtout de voir les bibliothèques académiques suisses rassemblées prochainement dans un seul réseau SLSP  à l’horizon 2021.

4 : Cartographie des thématiques

En cours de réalisation, cette carte permettra de visualiser rapidement les thématiques fortes de chaque bibliothèque partenaire. Cet outil est conçu pour assister aussi bien les personnels concernés que les publics intéressés et leur permettra d’identifier plus facilement les catalogues à interroger en priorité pour obtenir des réponses précises et immédiates à leurs recherches documentaires. Il permet également de visualiser rapidement quelles bibliothèques sont complémentaires en termes de fonds et d’orienter ainsi immédiatement le public vers la bibliothèque qui répondra le mieux à ses attentes selon le lieu où il se trouve.

Une chargée de mission a été engagée par la Communauté du savoir pour une période de 7 mois afin de réaliser ce projet qui demande une analyse plus précise des partenaires, de leurs fonds et de leurs services parallèlement à leur offre de formation.

Une version beta de cette carte est publiée sur le site web de la Cds.  Elle pourra être mise à jour au fur à mesure de l'évolution des politiques documentaires des bibliothèques partenaires et sera relayée également sur les sites web de ces mêmes bibliothèques.

5 : Mutualisation de supports de communication

Un ensemble de supports ont été réalisés sur budget de la Cds pour permettre aux bibliothèques participantes d’informer

  • d'une part les équipes en charge de la mise en pratique des échanges convenus,
  • et d'autre part leurs publics selon un processus « réseau » clairement identifié.

Pour leurs équipes, les membres du groupe ont élaboré des affiches qui permettent d'identifier clairement le rôle du groupe du travail et le cadre dans lequel il évolue.  Ces affiches ont pour thèmes :

  • Les systèmes éducatifs en France et en Suisse ;
  • Le réseau de bibliothèques et notamment : les lieux, les personnels, les environnements de travail, les publics, les catalogues et réseaux documentaires des uns et des autres ;

  • Les collections et chiffres-clés des bibliothèques ;
  • La carte des bibliothèques des établissements partenaires.

Ainsi les personnels des bibliothèques qui, sur le terrain, mettent en œuvre les échanges convenus entre les membres du groupe de travail ont une meilleure compréhension des situations des bibliothèques et de leurs réseaux dans leurs pays respectifs, et peuvent à leur tour promouvoir les services de la Communauté du savoir en exploitant les avantages de ces échanges au bénéfice de leurs lecteurs et lectrices.

Un élément important de cette communication interne est évidemment l'engagement des parties à respecter la législation nationale et les règlements intérieurs de chaque structure en matière de propriété intellectuelle et commerciale, y compris en matière de reproduction des œuvres. Elles s’engagent également à les faire respecter par leurs publics.

Pour communiquer cette fois avec ces mêmes publics, existants ou potentiels, et les informer des services que ce réseau peut leur offrir, le groupe de travail a également conçu des supports d'information mutualisés qui peuvent être partagés sur les sites web des bibliothèques et/ou institutions partenaires ainsi que sur les réseaux sociaux quand les bibliothèques disposent de tels supports de communication. Faire connaître les accès supplémentaires aux ressources documentaires que permet l’affiliation des bibliothèques à la Communauté du savoir est également un enjeu important de cette communication.

Enfin, dans l’idée de profiter de retours d'expériences entre elles, les bibliothèques ont également en projet le partage entre professionnel-le-s uniquement d'une newsletter par laquelle chaque membre peut informer les autres d'une initiative ou d'une animation particulière et de ses résultats. Cet échange de bonnes pratiques permet aux partenaires d'exploiter à leur façon des formats d'expériences nouvelles en les adaptant à leur propre structure.

6 : Projet de service questions-réponses

Selon l'évolution de la prise en charge du réseau par ses partenaires en 2019, le groupe bibliothèques a pour projet de mettre sur pied un service de questions-réponses à l'échelle transfrontalière. Il fait actuellement l'objet d'une étude de faisabilité et devrait bénéficier du soutien ponctuel d'une personne externe pour la mise en place et la réalisation concrète de cette action. Il pourrait dans un premier temps être intégré pour une phase test dans les bibliothèques de l’UFC à Besançon et, dans un deuxième temps, fédérer les unes après les autres toutes les bibliothèques affiliées à la Cds. Un tel service serait d’une grande richesse pour tous les publics de nos bibliothèques quelle que soit leur localisation géographique.

En conclusion, le groupe de travail «bibliothèques» de la Communauté du savoir est fier d’avoir pu mettre en place très rapidement des services documentaires transfrontaliers simples tout en poursuivant une réflexion de fond sur les projets qui pourraient profiter aux publics des bibliothèques participantes, qu’ils soient étudiant-e-s, enseignant-e-s, chercheurs, chercheuses ou membres à quelque titre que ce soit des institutions partenaires.

Et même si immédiatement, au sein de cette communauté, notre démarche collaborative nous a permis d’enrichir nos services par un prêt entre bibliothèques au niveau international, d’enrichir nos connaissances « métier » par le partage de nos bonnes pratiques et de réfléchir à la faisabilité d’un service transfrontalier de questions-réponses, nous abordons également ensemble toutes les questions que l'évolution de notre métier va nous amener à nous poser dans un proche avenir et notamment :

  • La définition de thématiques partagées puisque développer nos partenariats permet de mutualiser les ressources et de miser sur des points forts dans une optique de complémentarité (réduire les coûts, gagner en efficacité, exploiter les compétences expertes) et de se tourner vers une économie d’accès plutôt qu’une économie de stock ;

  • L’identification d’un service commun et uniformisé pour un public de plus en plus mobile qui pourra bénéficier du développement des synergies particulièrement encouragées dans un environnement géographique européen;

  • La promotion des résultats de la recherche et de la valorisation des données en partageant nos archives institutionnelles et nos ressources en open access ;

  • L’accès aux ressources documentaires et la prise en charge de nouvelles responsabilités dans le domaine des données de la recherche;

  • La communication via les réseaux sociaux qui permettent de faire connaître nos services et activités et participent au rayonnement des bibliothèques.

Si les défis à relever se nomment « recentrer les bibliothèques au cœur de l’apprentissage » pour qu’elles soient le relais des savoirs, « connecter les chercheurs et chercheuses avec leur bibliothèque » afin qu’ils bénéficient d’une expertise à leur service et qu’ils puissent utilement préciser leurs besoins, « rendre visibles les bibliothèques et en simplifier l’accès » grâce au développement de solutions réciproques, alors nous sommes au bon endroit avec les bonnes personnes pour les relever !

Pour le groupe de travail des bibliothèques de la Communauté du savoir :

Agnès Dervaux-Duquenne, bibliothécaire-responsable

Haute Ecole Arc Ingénierie

Agnes.dervaux@he-arc.ch

Notes

[1][Consulté le 20.06.2018]

[2] ©Ex Libris

Sources et liens utiles : 

http://www.communautedusavoir.org/

http://www.conference-transjurassienne.org/

http://www.arcjurassien.ch/

http://jusassiclabs.org

http://www.communautedusavoir.org/nos-actions/les-bibliotheques-arc-jurassien/

http://www.communautedusavoir.org/nos-actions/les-bibliotheques-arc-jurassien/groupe-de-travail-des-bibliotheques/

Groupe de travail des bibliothèques - documents internes

© des illustrations : Cds

Demain sera mieux qu’aujourd’hui : évolution des rôles et missions du bibliothécaire

Matthieu Cevey, Haute Ecole de Gestion, Geneve

Michel Gorin, Haute Ecole de Gestion, Geneve

Demain sera mieux qu’aujourd’hui : évolution des rôles et missions du bibliothécaire

Préambule

Que cela soit en Suisse ou dans le reste du monde, les habitudes des usagers évoluent, l’utilisation des bibliothèques n’est plus la même qu’il y a dix ans, et elle sera certainement différente dans le futur. A elles, par conséquent, de se réinventer, de s’adapter à de nouveaux usages, souvent très variés. Partant du concept de « modèle des quatre espaces » développé par nos collègues danois de l’Ecole royale de bibliothéconomie et des sciences de l’information de Copenhague (Jochumsen, Rasmussen et Skot-Hansen, 2012), nous avons eu comme objectif de croiser nos regards sur le rôle-clef des bibliothécaires comme acteurs de changement, afin de voir si les vingt-huit années qui séparent les deux auteurs génèrent ou non des divergences.

La bibliothèque de demain sera donc celle où l’on vient apprendre, où l’on peut bénéficier d’un programme de médiation culturelle étendu, où l’on séjourne et se rencontre, où l’on crée et conduit des expériences stimulantes, enrichissantes. Si le bibliothécaire est aujourd’hui aussi bien gestionnaire que créateur, double casquette parmi d’autres, il devra devenir un « homme-orchestre » en développant tout à la fois des compétences relationnelles, pédagogiques et informatiques, mais aussi en matière de communication, de marketing, de médiation (culturelle et numérique), et de lobbying.

Dès lors, quels sont les rôles actifs que les institutions formatrices ainsi que les milieux associatifs liés seront appelés à jouer dans ce contexte, tout particulièrement en lien avec la fonction des bibliothécaires et des bibliothèques publiques dans le cadre d’une démocratie vivante ? Quelles sont les missions traditionnellement assumées par ces acteurs qui devront être réinterprétées à la lumière des mutations en cours ? Quels sont les défis qu’ils devront relever ?

Autant de questions auxquelles il existe une multitude de réponses, raison pour laquelle nous nous proposons d’apporter un regard croisé sur l’évolution des compétences des professionnels de l’information en bibliothèque publique, regard croisé puisqu’issu d’une concertation intergénérationnelle.

Mutations, interrogations

Le monde de l’information évolue : des technologies aux publics, des besoins aux processus de traitement de l’information, chaque révolution, chaque progrès technique apporte son lot de nécessaires adaptations. Les pratiques culturelles, informationnelles et en termes de loisirs ne sont plus les mêmes qu’hier et seront encore différentes demain. Les technologies évoluent plus vite que leurs usagers, et les transformations sociétales continuent de nous surprendre : individualisme croissant, pratiques culturelles et informationnelles changeantes, sans oublier des mutations démographiques qui, au niveau politique, divisent plus que jamais.

Idéalement, la bibliothèque, qui se trouve presque malgré elle influencée par tous ces facteurs, devrait pouvoir jouer un rôle de pilier garant d’une démocratie véritablement au service de tous, mais elle est de plus en plus régulièrement confrontée à des formes de concurrence : directe avec Internet, mais également indirecte avec plusieurs acteurs du monde socio-culturel (ateliers d’insertion professionnelle, centres d’intégration pour réfugiés, clubs en tous genres, etc.). De nouveaux acteurs bouleversent évidemment la configuration dans laquelle prenaient place les bibliothèques publiques, ce qui fait dire à certains :

« Jusqu’à présent, les bibliothèques n’ont fait que rassembler des informations pour des gens. Ce concept ne fonctionne plus de nos jours. Il y a Internet. Celui qui cherche des contenus n’a plus besoin de bibliothèques […] Les bibliothèques sont surévaluées. Si une bibliothèque communale ferme, tout le monde prétend que c’est la fin du monde. On craint que les gens deviennent plus sots et arrêtent de lire s’il n’y a plus de bibliothèques. Ceci est complètement faux. » (Traduction libre) (Furger, 2012)

Rafael Ball est pourtant le directeur de la bibliothèque de l’une des hautes écoles suisses les plsu réputées, la Eidgenössische Technische Hochschule de Zürich (ETHZ). De tels propos sont courants à l’heure actuelle, mais rarement dans la bouche de bibliothécaires… Comment en sommes-nous arrivés là ? Mutations de la société, redistribution des cartes au niveau géopolitique et montée de l’individualisme expliquent en partie certaines prises de position proches de l’obscurantisme, mais il revient tout de même aux bibliothèques de s’adapter à un monde qui pense pouvoir se passer d’elles, de réinterpréter leurs missions encore très (trop ?) ancrées sur leurs collections.

Un exemple flagrant : « No Billag »

La SSR (Société suisse de radiodiffusion et télévision) est une « association privée régie par le droit des sociétés anonymes, qui exploite une entreprise média. Elle remplit un mandat sociétal découlant de la Constitution, de la loi et de la Concession et touche, pour ce faire, une partie des recettes issues de la redevance radio-tv » (SSR, 2018). Il s’agit donc d’un service public, comme les bibliothèques, soumis à la concurrence, comme les bibliothèques. Une société, Billag jusqu’au 31 mars 2018, est chargée de percevoir auprès des citoyens la redevance audiovisuelle de réception de radio et de télévision.

En mars 2018, une initiative populaire proposait de supprimer cette redevance bénéficiant également à 13 chaînes de télévision régionales et 21 chaînes de radio locales, pour un montant total et annuel de 67,5 millions de francs. Concernant quelques 13'500 emplois, le mandat de prestation octroyé par l’Office fédéral de la communication (Ofcom) vise à garantir un service public complet contre une part de la redevance. Si ce système a été mis en place, c’est que la Suisse, petit pays aux multiples langues, ne dispose pas de bassins d’audience suffisants pour permettre à une chaîne de télévision de subsister par ses propres moyens ; il a toutefois été jugé fort important de garantir la pluralité des opinions grâce à un paysage audiovisuel varié.

Gilles Marchand, le directeur général de la SSR ayant pris ses fonctions juste avant le lancement de l’initiative, résume bien la situation : « La Suisse est un petit marché extrêmement compétitif et entièrement couvert par les acteurs internationaux. Dans ce contexte, il y a une tension grandissante entre acteurs privés et publics. On aborde ici les questions de subsidiarité : le public ne devrait s’occuper que de ce que le marché ne peut pas financer. Une approche très compliquée dans un petit pays comme le nôtre, partagé en différents marchés linguistiques de puissance inégale. » (Guillaume, 2018a).

Le fait que le pays se partage en quatre langues nationales (français, allemand, italien et romanche) n’en fait pas un terrain propice à des entreprises audiovisuelles privées, ce d’autant plus que chaque bassin linguistique profite des infrastructures télévisuelles et radiophoniques des pays avoisinants. Dans un tel contexte, il est quasiment impossible de rassembler suffisamment d’audience pour assurer la survie économique d’une chaîne de télévision ou de radio. A cela s’ajoutent, comme déjà relevé, des pratiques culturelles en pleine mutation, de nouvelles habitudes de consommation et de nouveaux canaux de diffusion de l’information.

Un aspect parfois sous-estimé d’un service public national, surtout dans le cadre helvétique, est cette propension à rassembler, justement, des populations très différentes, de cultures parfois profondément dissemblables. L’organisation politique suisse, sous couvert de fédéralisme, laisse une très grande liberté à chaque canton, à chaque commune, mais offre quand même, sous la Coupole du Palais Fédéral, un sentiment d’unité que relève la devise (non-officielle) du pays : « Unus pro omnibus, omnes pro uno ».

L’on voit donc que par bien des aspects, les missions d’un service public audiovisuel rejoignent celles des bibliothèques publiques, et ce n’est pas étonnant que celles-ci, ainsi que le milieu des professionnels de l’information en général, se soient fortement mobilisées pour contrer cette initiative libertarienne. Les concepteurs de l’initiative évoluaient pour la plupart dans les milieux de la finance et de la banque, et avaient en commun de vouer une confiance sans limites aux lois du marché, en plus d’être jeunes. Cela révèle encore une fois la fracture qui se crée entre les générations dans les pratiques culturelles et de consommation (Zünd, 2018)

Ainsi, les services publics chargés de récolter et diffuser de l’information, dont la légitimité semblait aller de soi, ne sont pas à l’abri d’une remise en question. Il est certain que le système politique suisse, considéré comme l’un des plus proches de la démocratie directe au monde en permettant au peuple d’exercer directement son pouvoir politique en se prononçant régulièrement sur l’approbation de textes législatifs, voire constitutionnels, ouvre la porte à toutes sortes d’initiatives, pour peu qu’une certaine part de la population les soutienne. Ce contexte particulier, s’il comporte quelques désavantages, a le mérite de garantir une énorme liberté d’idées, et donc d’expression, ce qui en fait un terreau fertile pour toutes les formes de lobbyisme politiques, et donc encourage les milieux associatifs à faire entendre leur voix.

Milieux associatifs et « No Billag »

Après une certaine frayeur fin 2017 concernant un sondage pré-votations où l’initiative était donnée gagnante à 57% (Revello, 2017), plusieurs acteurs culturels se réveillent et s’organisent pour communiquer contre cette initiative, à commencer par le mouvement Opération Libero, créé lors d’une précédente votation sur l’immigration de masse portée par l’UDC (Union démocratique du centre, parti fortement ancré à droite). Acteurs, humoristes, musiciens, écrivains et bien d’autres entrent en campagne contre cette initiative, la grande difficulté étant l’impossibilité pour la SSR, en tant que service public, de se prononcer sur le sujet, et surtout la nécessité pour elle de veiller impérativement à ne pas favoriser, sur les ondes, l’un ou l’autre des avis.

Avec un peu de recul, cette campagne fut la plus agressive depuis celle de l’adhésion à l’Espace économique européen en 1992 (Guillaume, 2018b), allant jusqu’à la profération de menaces de mort à l’encontre de présidents d’associations ouvertement opposés à l’initiative. Rarement la Suisse n’avait vécu de périodes aussi mouvementées au niveau politique, et face à cette violence, beaucoup furent pris au dépourvu dans ce débat, à commencer par le monde des bibliothèques qui, assez logiquement, ne s’attendait absolument pas à ce qu’une initiative populaire remette en cause des institutions considérées comme des piliers de la démocratie, et ce surtout dans un pays où la participation active des citoyens dans les processus politiques est régulièrement mise en avant.

Au final, l’initiative a été rejetée par une écrasante majorité (71.6% de la population ainsi que la totalité des cantons), une victoire qui a été relayée par bon nombre de médias étrangers, comme Radio-Canada qui relève qu’au lendemain du vote, des mesures devront de toute façon être prises quant à l’avenir de la SSR (Rioux, 2018). Cette dernière, déjà durant le débat, avait commencé à effectuer une autocritique, admettant volontiers que le système actuel ne correspondait plus aux attentes des utilisateurs ni au contexte socio-économique. Il est certain que cet aveu a contribué à faire pencher la balance dans un vote qui, selon les premiers sondages, annonçait le « oui » gagnant.

Milieux associatifs et bibliothèques

Les débats autour de l’initiative « No Billag », ont généré une remise en question de la plupart des services publics, et les bibliothèques n’y échappent pas. Moins touchées par la concurrence, mais malgré tout soumises à un marché de l’information en pleine mutation, il est indispensable qu’elles anticipent au plus vite les profonds changements qui marquent notre société, non seulement sur les plans technologiques, mais aussi sociétaux. Repenser les collections, repenser les espaces, actualiser les missions, … il y a mille pistes de réflexions à emprunter, aussi bien au niveau pratique (aménagement, technologie, formation, …) qu’au niveau de réflexions à mener et de démarches à entreprendre (advocacy, service aux communautés, soutien à la liberté intellectuelle, …).

L’IFLA (International Federation of Library Associations and Institutions), dans un but d’unification et de reconnaissance des professionnels de l’information, propose une vision globale de nos buts et valeurs, régulièrement actualisée (IFLA, 2018). Ce genre de déclaration commune, portée par une association internationale, est à même d’asseoir une certaine légitimité de nos objectifs, et par là-même de nos actions. C’est dans cette optique que deux associations professionnelles suisses ont décidé en mars 2018 de se regrouper sous une bannière commune, en créant BiblioSuisse.

BiblioSuisse a pour vocation de défendre les intérêts des bibliothèques auprès des pouvoirs publics et des instances politiques, soutenir la formation et promouvoir les compétences des professionnels de l’information. En fonction à partir du 1er janvier 2019, l’association n’a pas encore de publications à son nom, mais elle reprend à son compte le Code d’éthique de l’un de ses prédécesseurs, Bibliothèque Information Suisse (BIS), et s’aligne évidemment sur la charte de bibliothèques suisses, élaborée par la Commission de la Bibliothèque Nationale Suisse (Commission de la Bibliothèque Nationale suisse, 2010). En préambule de celle-ci, l’on trouve des affirmations très générales permettant de définir les grandes lignes de développement de la profession :

« Les bibliothèques sont indispensables à la société de l'information, parce que

  • elles préparent l'information nécessaire à leurs diverses communautés d'usagers, sous quelque forme qu'elle se présente,
  • œuvrant en réseau, elles garantissent à l'ensemble de la population une excellente desserte de leurs services,
  • elles offrent un large accès aux ressources électroniques,
  • elles contribuent ainsi à réduire la fracture numérique,
  • elles préservent pour le long terme le savoir et l'héritage culturel.

Pour que les bibliothèques puissent remplir au mieux leur mission publique, elles ont besoin d'une base légale, d'une définition claire de leur mission et de ressources en conséquence. »

Pour atteindre ces ambitieux objectifs, la réunion des professionnels en une seule association était indispensable, afin d’unir nos compétences et de permettre des actions fortes en faveur des bibliothèques, comme le stipule cet extrait du dépliant préparé en vue du vote de dissolution des anciennes associations BIS et CLP et adressé aux membres des deux associations : « Lobbying : BiblioSuisse défend les intérêts de tous les types de bibliothèques au niveau national et cantonal, et les soutient au niveau communal. Les bibliothèques doivent trouver leur place dans la stratégie « Suisse numérique » du Conseil Fédéral, de même qu’elles doivent trouver leur place dans le plan directeur d’une commune. ».

Mais, même réunis en association « faîtière », les bibliothécaires doivent s’engager en tant que membres individuels dans les différents organes et groupes de travail de BiblioSuisse à des fins de représentativité, de force de conviction, et ne serait-ce que pour des questions financières, car n’oublions pas qu’en l’état, BiblioSuisse n’est pas subventionné par les pouvoirs publics. Cet engagement des personnes permettra d’améliorer les actions concrètes entreprises aux différents niveaux politiques en mettant en place un lobbyisme « intelligent » axé sur trois principes.

Premièrement, il faut impérativement prendre en compte deux éléments déjà cités : le fédéralisme très poussé de notre pays, et le fait que celui-ci est composé de quatre cultures et langues différentes, ce qui rend les actions au niveau national difficile à réaliser. Dès lors, il est impératif de les décliner de diverses manières et dans les diverses régions, en prenant en compte les spécificités socioculturelles, économiques et linguistiques, ainsi que les singularités des bibliothèques.

En second lieu, il faut faire en sorte que les campagnes soient portées par la « base » des bibliothécaires actifs sur le terrain, de façon à éviter toute dichotomie entre le message et la réalité visible par les politiques et le grand public. Une « image » ne se décrète pas, elle doit être véhiculée par les acteurs de la profession.

Pour terminer, il est indispensable de donner une cohérence générale, un « fil rouge », à ces actions, afin de coller au mieux aux enjeux auxquels la Suisse est aujourd’hui confrontée, comme la plupart des démocraties. Le principal enjeu actuel est, à notre sens, l’inclusion sociale et comprend l’inclusion numérique, l’alphabétisation, l’intégration des immigrants et des populations spécifiques, tels les publics empêchés (personnes âgées, à mobilité réduite, à handicap, jeunes, etc.). C’est là un objectif essentiel en lien avec la mission des bibliothèques publiques.

Pour faire face à ces enjeux directement liés à l’utilité démocratique de nos institutions, il est nécessaire que leur personnel soit formé, et continue à se former tout au long de leur carrière. Nombre de petites et moyennes bibliothèques sont encore animées par des « bénévoles » ou du personnel non (ou pas suffisamment) qualifié, ce qui est un frein à la volonté de faire évoluer l’image des bibliothèques auprès des politiques et du grand public, de sortir du cliché « étagères à livres ». L’engagement des responsables des programmes de formation et des bibliothécaires dans une optique de formation continue est indispensable à la constitution d’une image valorisante et légitime de nos institutions : nous sommes, tous ensemble, des acteurs du changement.

Le bibliothécaire de demain

Un changement, d’accord, mais pour tendre vers quoi ? Le modèle du bibliothécaire de demain dépendra de l’évolution sociétale, mais de grands axes peuvent déjà donner quelques pistes, comme l’a relevé Pascal Desfarges (2014) lors de la journée d’étude « Bibliothécaire aujourd’hui, est-ce encore un métier ? ». Une lecture attentive du Manifeste de l’UNESCO pour la Bibliothèque publique permet également de catégoriser les compétences essentielles au futur des bibliothèques.

Le « bibliothécaire-médiateur » : il s’agit là d’un déplacement du centre de gravité du métier vers la médiation. Le bibliothécaire passe dès lors de simple intermédiaire à véritable « traducteur » en faisant comprendre, en explicitant et en traduisant les enjeux de la société de l’information, en jouant un rôle de facilitateur, d’accompagnateur des usagers dans les transformations en matière de culture et d’usages numériques et informationnels (Desfarges, 2014).

Le « bibliothécaire-créateur » : ce rôle touche la mise en place de dispositifs d’aide à la création, particulièrement en ce qui concerne l’appropriation du numérique et la création d’espaces de travail collaboratifs performants. Le bibliothécaire- « invente, expérimente, détourne et cherche à créer du sens à travers les savoirs hybrides associés aux technologies émergentes (jeux vidéo, jeux sérieux, design interactif, usages des technologies nomades, réalité augmentée etc.) » (Desfarges, 2014).

Le « bibliothécaire-gestionnaire » : de moins en moins d’interventions humaines sont nécessaires à la gestion des bibliothèques avec l’introduction de plus en plus fréquente d’automates de prêts, d’outils de catalogage et d’indexation externalisés, la robotisation de certains services, etc. Le bibliothécaire-gestionnaire pourra dès lors se consacrer au développement de véritables stratégies en matière de gestion, comme l’optimisation des structures et des procédures, le déploiement de nouveaux services et produits, et évidemment à l’activisme en termes de marketing et de plaidoyer (Desfarges, 2014).

Bien entendu, les centres de formation, à l’image de la filière Information documentaire de la Haute Ecole de gestion de Genève, s’appliquent depuis plusieurs années déjà à développer les cours existants et à en créer de nouveaux en adéquation avec les évolutions du métier et des besoins des usagers, ceci afin que les professionnels puissent mettre rapidement leurs nouvelles compétences au service des institutions documentaires. Ces compétences sont évidemment variées et se diversifient avec les mutations sociétales et il devient impossible, pour une seule et même personne, de se professionnaliser dans tous les domaines, d’où la nécessité de travailler tous ensemble pour créer la bibliothèque de demain. Les compétences relationnelles, pédagogiques, informatiques, en matière de médiation culturelle et numérique, en matière de communication et de marketing, en termes de gestion stratégique, sont autant d’éléments indispensables au bon fonctionnement de nos bibliothèques, mais seule la combinaison de divers profils professionnels permet de les couvrir.

Une bibliothèque plateforme

Ainsi le bibliothécaire de demain créera la bibliothèque de demain, celle qui sera une nouvelle agora, un pilier indispensable de la démocratie, un lieu d’échanges et de création. Soit, exactement ce que propose Michael Ravedoni dans son travail de Bachelor rédigé en 2018, à la Haute Ecole de gestion de Genève.

Pour véritablement saisir l’importance des bibliothèques en tant que berceau des démocraties, il faut en effet réaliser qu’une « démocratie implique d’avoir des citoyens informés et éduqués demandant de l’information et des procédures transparentes et accessibles. La bibliothèque en est généralement la garante par la promotion de la liberté d’expression et de la liberté intellectuelle » (Ravedoni, 2018, p.10).

Nous faisons nôtre le but fixé par Michael Ravedoni : « L’objectif est simple : mettre à disposition des communautés l’expérience des bibliothécaires et l’infrastructure physique ou virtuelle de la bibliothèque, afin de faciliter la création, le partage et la diffusion des connaissances, dans le but de pérenniser la culture de ces mêmes communautés. Une des missions d’une bibliothèque est de transmettre et pérenniser le patrimoine culturel de la société. Pourquoi ne pas offrir à ceux qui créent et vivent la culture, la possibilité de la transmettre directement ? Offrir la culture par ceux qui la créent. La bibliothèque agirait donc comme un facilitateur entre créateurs et utilisateurs de culture. Puis, comme un catalyseur ayant l’infrastructure et l’expertise nécessaires pour capitaliser et pérenniser cette culture. » (Ravedoni, 2018, p. 43).

Le schéma qui suit est principalement basé sur les modèles de la bibliothèque troisième lieu (Servet, 2009), des quatre espaces (Jochumsen, Rasmussen et Skot-Hansen, 2012), et du New librarianship de David Lankes (2011).

Ravedoni, 2018, p.44

Ce premier schéma en amène un second, le modèle développé par Michael Ravedoni, nous apparaît comme un modèle vers lequel tendre, afin d’assurer l’avenir de nos bibliothèques.

Ravedoni, 2018, p.58

« Le modèle voit la bibliothèque comme un outil faisant partie de l’institution ou de la communauté à laquelle elle appartient, ayant sa propre raison d’être et dont les bibliothécaires occupent une mission particulière : améliorer la société en facilitant la création de connaissances, le partage de culture et la diffusion de ressources dans leurs communautés. Parfois comme stimulateurs, parfois comme médiateurs ou accompagnateurs, ou encore comme partenaires, les bibliothécaires savent créer un environnement propice au partage, à la création et à l’apprentissage. Ils savent aussi thésauriser et pérenniser la culture qui se crée sous leurs yeux. Ils savent connecter les communautés entre elles et leur proposer des services leur facilitant la tâche tout en leur apprenant à devenir autonomes. Ils ne sont pas là, comme des savants prescripteurs, pour dicter une conduite ou privilégier une culture par rapport à l’autre. La bibliothèque se doit d’être un espace où l’exploration, la participation, le partage et l’inspiration s’entremêlent harmonieusement. Un espace motivant, où les membres se sentent appartenir à quelque chose de plus grand qu’eux, où ils se sentent impliqués, écoutés et libres, où leur responsabilité est engagée. De ce fait, la co-création d’une bibliothèque basée sur le respect et la confiance mutuelle devient possible. » (Ravedoni, 2018, p. 58)

Conclusion

L’on voit ainsi que nos missions évoluent en même temps que notre société, il est donc impensable pour des institutions défendant ce type de valeurs de se conforter dans une espèce d’immobilisme, à l’image des clichés encore aujourd’hui véhiculés au sujet des bibliothèques et de leur personnel. Et pourtant, il s’avère qu’il s’agit souvent de ce personnel qui freine le changement, par exemple en ce qui concerne l’ouverture le dimanche ou les horaires élargis. Or, en accord avec nos analyses, c’est au personnel des bibliothèques d’agir, d’être proactif pour devenir les actrices et acteurs des nécessaires changements induits par notre époque, par nos sociétés.

Par souci de cohérence, cette évolution doit se faire à l’unanimité, il est indispensable de faire front tous ensemble pour défendre la pérennisation de nos institutions, en leur faisant prendre tous les virages nécessaires pour arriver à la bibliothèque de demain, pour légitimer les centres d’information comme les piliers dont nos démocraties ont besoin, comme lieux de socialisation, de création, de partage et de diffusion des connaissances. Ainsi, le bibliothécaire est désormais investi d’un rôle politique, qui resterait négligeable sans le soutien d’associations professionnelles organisées.

Dans le cadre de cette intervention à Montréal, nous nous proposions de voir si les vingt-huit années qui nous séparent généraient ou non des divergences entre nous, maître d’enseignement et assistant fraîchement diplômé, entre nos visions. Désormais, nous pouvons résolument affirmer qu’il n’y en a pas, qu’il ne doit pas y en avoir, car le combat pour assurer la pérennisation de nos bibliothèques ne pourra être gagné que grâce à la collaboration de toutes et tous, quels que soient les profils. L’expérience d’une part, et la formation d’autre part, créent la convergence nécessaire entre les générations, afin que tous les bibliothécaires aient la capacité d’être des actrices et des acteurs du changement !

Bibliographie

COMMISSION DE LA BIBLIOTHEQUE NATIONALE SUISSE, 2010. Charte des bibliothèques suisses. Bibliothèque nationale suisse (BN) [en ligne]. [Consulté le 14 décembre 2018]. Disponible à l’adresse : https://www.nb.admin.ch/snl/fr/home/portrait/organisation/charte.html

DESFARGES, Pascal, 2014. Bibliothécaires du futur, futur des bibliothèques : identité, compétences, missions, métier ?. In : ARCHIVES DEPARTEMENTALES D’ILLE-ET-VILAINE. Journée d’étude « Bibliothécaire aujourd’hui, est-ce encore un métier ? », Rennes, 10 avril 2014 [en ligne]. Slideshare, 16 p. [Consulté le 14 décembre 2018]. Disponible à l’adresse : https://fr.slideshare.net/retiss/bibliothcaires-du-futur-et-futur-des-bibliothques

FURGER, Michael, 2012. Bibliotheken : weg damit ! NZZ am Sonntag [en ligne]. 7.2.2016. [Consulté le 14 décembre 2018]. Disponible à l’adresse : https://nzzas.nzz.ch/hintergrund/bibliotheken-und-buecher-weg-damit-meint-rafael-ball-ld.147683 [accès par abonnement]

JOCHUMSEN, Henryk, RASMUSSEN Casper Hvenegaard, SKOT-HANSEN, Dorte, 2012. The four spaces : a new model for the public library. New Library World [en ligne]. Vol. 113, issue 11/12, pp. 586-597. [Consulté le 14 décembre 2018]. Disponible à l’adresse : https://www.emeraldinsight.com/doi/full/10.1108/03074801211282948 [accès par abonnement]

GUILLAUME, Michel, 2018a. « Peut-être n’avons-nous pas assez dialogué avec la société ». Le Temps. 6 janvier 2018. ISSN 1423-3967

GUILLAUME, Michel, 2018b. « No Billag », la campagne des dérapages. Le Temps. 24 février 2018. ISSN 1423-3967

GUILLAUME, Michel, 2018c. Une SSR en mode « réforme permanente ». Le Temps. 5 mars 2018. ISSN 1423-3967

INTERNATIONAL FEDERATION OF LIBRARY ASSOCIATIONS AND INSTITUTIONS (IFLA), [2018]. Vision globale : résumé du rapport : top 10 des points-clés et des opportunités. IFLA [en ligne]. [Consulté le 14 décembre 2018]. Disponible à l’adresse : https://www.ifla.org/files/assets/GVMultimedia/publications/gv-report-summary-fr.pdf

LANKES, R. David, 2011. The atlas of new librarianship. Cambridge : MIT Press. ISBN 978-0-262-01509-7.

RAVEDONI, Michael, 2018. La bibliothèque plateforme : espace dédié à la création, au partage et à la diffusion de culture - exemple par la création d’un makerspace [en ligne]. Genève : Haute Ecole de gestion de Genève. Travail de bachelor. [Consulté le 14 décembre 2018]. Disponible à l’adresse : https://doc.rero.ch/search?ln=fr&sc=1&p=ravedoni&action_search=

REVELLO, Sylvia, 2017. Un sondage controversé donne « No Billag » gagnante. Le Temps. 5 décembre 2017. ISSN 1423-3967

RIOUX, Hubert, 2018. Victoire pour la Société suisse de radiodiffusion et télévision. Radio-Canada [en ligne]. 4 mars 2018, 17:23. Mis à jour le 4 mars 2018, 23:52. [Consulté le 17 décembre 2018¨. Disponible à l’adresse : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1087062/suisse-redevance-televisuelle-referendum

SERVET, Mathilde, 2009. Les bibliothèques troisième lieu [en ligne]. Villeurbanne : École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (ENSSIB). Travail de mémoire. [Consulté le 17 décembre 2018]. Disponible à l’adresse : https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/21206-les-bibliotheques-troisieme-lieu.pdf

SOCIÉTÉ SUISSE DE RADIODIFFUSION ET TÉLÉVISION (SSR), [2018]. Mandat. SRG SSR [en ligne]. [Consulté le 14 décembre 2018]. Disponible à l’adresse : https://www.srgssr.ch/fr/qui-nous-sommes/vision-et-stategie/mandat/

ZÜND, Céline, 2018. L’influence libertarienne à l’origine de l’initiative « No Billag ». Le Temps. 18 janvier 2018. ISSN 1423-3967

Conférence nationale Open Access

Benoît Epron, Haute école de Gestion, Genève

Conférence nationale Open Access

Le 26 octobre 2018, swissuniversities organisait une conférence nationale Open Access à l'Université de Lausanne.

A l'occasion de la semaine internationale de l'Open Access, cette journée souhaitait proposer un point sur l'Open Access dans un contexte suisse marqué par la mise en place de la stratégie nationale suisse sur l'Open Access et par l'annonce du Plan S (initiative de soutien à l’Open Access porté par la commission européenne et Science Europe).

Au travers des différentes interventions cette journée, qui a rassemblé 300 personnes environ, a permis de dresser un état des lieux des problématiques liées à la dynamique Open Access en Suisse.

Ces problématiques se retrouvent principalement à trois niveaux, académique, économique, politiques, repris par plusieurs intervenants. Nous proposons ici un compte rendu personnel de cette journée, il reflète notre propre lecture des enjeux et informations marquantes et ne prétend pas retranscrire l'intégralité des interventions et des débats.

Le premier plan est un plan académique. Tout au long de la journée ont été abordées deux facettes académiques de l'activité de publication scientifique. La première concerne la problématique de la diffusion et des usages. Souvent oublié, cet aspect des modèles OA de l'édition scientifique a été illustré lors de cette journée par la présentation de Mme Nouria Hernandez, rectrice de l'Université de Lausanne. Ainsi, lors de son intervention elle a évoqué la situation de Serval, dépôt institutionnel de l'Université de Lausanne et dont la fréquentation a quasiment doublé en septembre 2018 pour atteindre 100 000 consultations, notamment à l'occasion de l'intégration de Serval dans Google Scholar. Cette variation illustre par l'exemple un paradoxe des dépôts institutionnels, utilisés d'une part par les institutions universitaires comme infrastructures support pour l'Open Access et l'évaluation des chercheurs et dont d'autre part l'utilisation par les chercheurs eux-mêmes passe largement par Google Scholar, les rendant de fait peu visibles.

Sur le plan académique, la question des indicateurs de la recherche a également été largement abordée avec deux problématiques différentes s'y rattachant.

D'une part la nécessité d'imaginer de nouveaux indicateurs de la production scientifique permettant d'échapper à la dépendance actuelle vis-à-vis des plateformes fournissant actuellement les principaux indicateurs bibliométriques. Cette dépendance est donc double, elle concerne d'une part les indicateurs eux-mêmes qui restent uniquement quantitatifs et placent les revues et les éditeurs au centre des processus d'évaluation et de recrutement. Elle porte également sur les producteurs de ces indicateurs, plateformes d'éditeurs commerciaux qui s'appuient sur la maîtrise d'une part quasi-exhaustive des publications d'un domaine pour produire ces indicateurs.

Cette situation restreint le champ des possibles pour le développement de modèles Open Access pour la publication scientifique en rendant incontournables certaines revues et plateformes.

Sur le plan économique, la dynamique suisse de l'Open Access est confrontée à une situation de transition. Cette transition des modèles de publication académique est déjà bien avancée en Suisse. Ainsi d'après la présentation de Mme Angelina Kalt, Directrice générale du Fonds national suisse de la recherche scientifique, ce sont aujourd'hui 28% des publications scientifiques suisses qui sont disponibles en Green Open Access (auto-archivage de la publication par l’auteur dans une archive ouverte, souvent après une période d’embargo) et 11% disponibles en Gold Open Access (publication directement accessible en Open Access, souvent avec un financement en amont). Cela laisse donc 61% des publications non disponibles en Open Access en Suisse et place la Suisse devant les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l'Autriche, la France, l'Allemagne et l'Italie, qui atteignent un taux de publication indisponibles en Open Access compris entre 64% et 72%.

Ce développement fort de l'Open Access en Suisse laisse toutefois une réelle marge de progression pour laquelle le FNS souhaite se positionner comme un levier d'accompagnement des politiques OA, que ce soit pour les revues ou pour les monographies.

L'ambition suisse pour le développement de l'Open Access vise un passage de la totalité des publications en Open Access à l'horizon 2024, soit après l'échéance prévue au niveau de l’Union européenne en 2020.

Du point de vue financier, la présentation de M. Michael Hengartner, Président de swissuniversities et Recteur de l'Université de Zurich, s'appuyait en partie sur l'étude Financial Flows in Swiss Publishing produite en 2016 pour le FNS. Il en a présenté quelques données et notamment le coût total d'accès à l'information en Suisse, soit approximativement 109 millions de francs suisses. Ce montant se répartit de la façon suivante : 70 millions pour les abonnements à des revues, 31 millions pour l'achat de monographies, 6 millions pour les APC (Articles Processing Charges, financement amont par le chercheur ou son institution pour rendre son article disponible en Open Access sans embargo) et 2 millions pour les infrastructures.

Les enjeux financiers relevés dans cette étude rejoignent les interrogations de Mme Nouria Hernandez qui s'inquiète de la capacité des institutions comme la sienne de supporter le triple coût de la publication académique de ses chercheurs aujourd’hui pour lesquels elles doivent assurer à la fois le prix des abonnements, celui des APC et enfin le coût de développement et de maintenance des infrastructures nécessaires à la mise en place des dépôts institutionnels.

A ces coûts il convient enfin d'ajouter les efforts de pédagogie et d'acculturation portés par les institutions scientifiques à destination des chercheurs et qui apparaissent prioritaires dans l'étude annuelle sur l'Open Access réalisée par l'EUA (European University Association). En effet, les trois actions prioritaires d'après cette enquête sont, par ordre d'importance, la sensibilisation des chercheurs, la mise en place d'incitations supplémentaires à destination des chercheurs et enfin la mise en place de politiques nationales de soutien à l'Open Access.

Cette enquête européenne présentée par M. Jean-Pierre Finance, Président de l'Open Science Experts Group, au sein de European University Association, a permis d'apporter d'autres éléments financiers à la réflexion. En effet, l'enquête chiffre à plus de 421 millions d'euros les dépenses annuelles pour les périodiques, les bases de données et les livres numériques, dont plus de 383 millions d'euros pour les seuls périodiques.

Plusieurs intervenants ont enfin balayé plusieurs enjeux politiques relatifs à l'Open Access. Le premier de ces enjeux a été la nécessité d'une organisation cohérente et unifiée des différents acteurs. C'est dans cette logique que devrait se mettre en place d'ici le premier trimestre 2019 une Open Access Alliance pilotée par swissuniversities (programme P-5) et regroupant l'ensemble des parties prenantes : Académies, éditeurs suisses, CSS (Conseil suisse de la science), etc. mais également des membres de projets comme Sliner, le FNS ou la délégation recherche de swissuniversities.

La place des HES dans les modèles Open Access a également été soulignée avec notamment la nécessité de concevoir des solutions qui permettent de prendre en compte les partenaires économiques impliqués dans l'activité de recherche appliquée des HES et pour lesquels l'ouverture des résultats doit se construire de façon cohérente avec leurs enjeux économiques et commerciaux.

La journée s'est terminée sur une intervention rafraichissante de M. Jacques Dubochet, prix Nobel de Chimie en 2017, qui a replacé, à travers son expérience de chercheur, "la connaissance comme un bien commun pour le bénéfice de tous".

Quelle veille pour les start-ups ? compte rendu de la 15ème journée franco-suisse sur la veille stratégique et l’intelligence économique, 14 juin 2018, Besançon

Hélène Madinier, Haute Ecole de Gestion, Genève

Quelle veille pour les start-ups ? compte rendu de la 15ème journée franco-suisse sur la veille stratégique et l’intelligence économique, 14 juin 2018, Besançon

La 15ème journée franco-suisse en veille et intelligence économique s’est tenue jeudi 14 juin 2018 à Besançon à la Communauté d’universités Bourgogne-Franche-Comté (COMUE) sur le thème de «Quelle veille pour les start-ups ? ».

Cette journée, qui a rassemblé environ 60 personnes, était subventionnée par la Communauté du savoir, réseau de l’Arc jurassien franco-suisse, visant à «renforcer, valoriser et stimuler les collaborations franco-suisses en matière de recherche, d’enseignement et d'innovation ». [1]

Après des mots de bienvenue des représentants de cette communauté et de celle de l’Université de Bourgogne-Franche-Comté, Pascale Brenet, maître de conférences à l’IAE de Besançon, directrice de PEPITE BFC (et membre du comité des journées franco-suisses), exposait les objectifs et enjeux du thème de la journée dans l’intervention d’ouverture intitulée  Quelle veille pour les start-up : les besoins d’information associés au processus entrepreneurial .

Un startuppeur est confronté à 2 écueils : la difficulté de trouver l’information pour un produit ou un service qui n’existe pas et la menace de la surinformation si la recherche est trop large, d’où la nécessité de structurer ses questionnements.

Le futur entrepreneur a une idée précise, une intention, une envie d’entreprendre. Le processus entrepreneurial résulte d’une co-construction sur l’opportunité d’entreprendre avec les parties prenantes, de séquences et d’itération, puis de décisions et d’actions spécifiques. La veille doit aider à identifier s’il y a opportunité d’entreprendre.

L’idée est de s’inspirer de la lean start-up : fabriquer et vendre rapidement pour tester et mesurer le marché et adapter son offre en conséquence, plutôt que de faire une étude de marché.

Comme il existe une échelle de Technology Readyness Level, Pascale Brenet propose une échelle de Market Readyness Level avec 9 niveaux :

  1. Définition du concept

  2. Identification de l’OE (opportunité d’entreprendre) par données secondaires

  3. Etalonnage concurrentiel

  4. Définition de la proposition de valeur orientée utilisateur

  5. Etude qualitative du marché (test hors marché)

  6. Identification d’une liste de prospects

  7. Lancement test / MVP (minimum viable product)

  8. Lancement commercial sur un segment de marché

  9. Développement du marché.

La veille et la recherche d’information vont aider à étudier l’environnement stratégique, la dynamique de marché, l’étalonnage de la concurrence et les comportements et attentes des utilisateurs. Le startuppeur devra décider s’il procède lui-même à la recherche et à la veille ou s’il sous-traite, et il lui faudra être attentif à la fiabilité des sources, au coût et à l’actualité des informations identifiées, et enfin à analyser et sélectionner les données actionnables.

Ensuite, Frédéric Martinet, fondateur et gérant de Actulligence Consulting, consultant en systèmes de veille a proposé une méthode de veille en 10 minutes chaque jour et introduit l’atelier de l’après-midi: « Veillez en 10 mn par jour » : préparation de l’atelier de l’après-midi.

La vie d’un entrepreneur de start-up consiste à prendre des décisions. Il n’a en général pas le temps de faire de la veille, mais doit se tenir informé. Les responsables de start-up disent connaître leur domaine, mais ne savent pas toujours bien chercher l’information en fonction de leurs besoins et ne connaissent pas les outils. F. Martinet propose la méthode suivante : il s’agit de comprendre le besoin, d’identifier les acteurs-clés, demander leurs sources d’information incontournables, définir le champ lexical autour de leur activité (différent du lexique utilisé pour le marketing), en s’alignant sur le processus décisionnel et en faisant des priorités. Il demande alors au public des exemples de thématiques. Les 3 suivantes sont proposées :

  1. Le confort acoustique dans un avion-réducteur de bruit dynamique
  2. Un outil de liaison micromécanique pour les mouvements de rotation- pour l’horlogerie- l’énergie-
  3. L’immunothérapie pour soigner les tumeurs solides des cancers

La troisième intervention de la journée était assurée par Ali Yacin El Ayouch, chercheur postdoctoral, Institut FEMTO-ST, et Youssef Tejda, ingénieur de recherche, Institut FEMTO-ST. Ils ont présenté le projet innovant «Métabsorber» et leur démarche de recherche d’information.

La pollution sonore, avec les maladies qu’elle occasionne, coûte plus de 57 milliards d’euros par an. En ville, elle provient à 60% des transports. Les deux chercheurs proposent une technologie de rupture sur les méta-matériaux, c’est-à-dire faire qu’un méta-matériau soit ultra-réflecteur et ultra-absorbeur. Il faut pouvoir travailler sur du verre, du bois et des métaux.

Les marchés possibles sont l’ameublement, les transports, et l’industrie. Ils travaillent sur le mobilier acoustique, et la recherche d’information effectuée les a amenés à l’idée de structurer d’emblée le mobilier et non pas devoir ajouter des éléments anti-bruit.

Finalement, Sandy Wetzel, CEO de l’incubateur Neode, ancien directeur de Y-Parc à Yverdon-les-Bains, et Dr. Khalid Zahouily, fondateur et CEO de Horlovia Chemicals, ont conclu cette matinée.

Sandy Wetzel présentait : Quels outils et quels soutiens pour la veille des start-up technologiques à Neuchâtel ? Neode est l’incubateur du canton de Neuchâtel qui met en relation les start-ups avec des experts des industries concernées, qui les guide sur le terrain (dans des salons), leur permet d’avoir accès à des prestataires (comme Centredoc) et accompagne la collaboration entre startups et PME établies.

Il s’agit d’aider les start-ups à définir leur marché ; ces start-up ne doivent pas s’éparpiller mais bien veiller à rester sur leur «core business».

Il y a plusieurs dispositifs de soutien de la veille à Neuchâtel : quatre plateformes sectorielles, des missions économiques, une antenne à San Francisco (Neuchâtel innohub@san francisco), ainsi que des aides financières directes du canton.

Ensuite, Dr Khalid Zahouily, CEO de Horlovia Chemicals, a d’abord présenté sa société, qui a développé des matériaux polymères innovants pour l’horlogerie et l’industrie du luxe : elle propose des revêtements temporaires de protection des montres. Il a montré comment la veille effectuée sur la protection temporaire des montres l’avait aidé aussi bien à identifier des marchés, à affiner ses produits pour qu’ils correspondent à ce qui est recherché, à fixer ses prix qu’à trouver des informations technologiques lui permettant de trouver plusieurs méthodes d’application de son film protecteur. Les informations recherchées étaient notamment les solutions existantes, les volumes des marchés horlogers, les prix des protections concurrentes etc… Outre Google, ses sources ont été les manufactures horlogères, les sous-traitants, les fournisseurs de consommables, les foires et salons (comme EPHJ) ainsi que les clients.

En début d’après-midi, David Borel, directeur du développement à  Centredoc, a présenté les prestations proposées aux start-ups par son organisation Centredoc, société coopérative qui offre des prestations dans les domaines de la veille technologique, concurrentielle et stratégique ainsi que dans la recherche d’information brevets, techniques et économiques, et qui existe depuis plus de 50 ans (voir Quelles prestations pour les start-up clientes de Centredoc ?)

Centredoc se définit comme un opticien pour entrepreneurs, leur permettant de mieux anticiper. Il apparaît en effet que la plupart des responsables de start-up ne connaissent pas les sources d’information de brevets, et se reposent sur Google, ce qui est très insuffisant vu les quelques 12 millions de demandes de dépôt de brevets, d’enregistrement de marques et modèles par an ; cela revient à 5% de visibilité. Or le circuit est miné car des brevets peuvent exister sur ce que les start-ups proposent : à défaut de recherches ciblées et suffisantes, les entreprises peuvent être accusées de copie involontaire de brevet.

Centredoc accompagne les start-up avec une méthode en 3 étapes : idéation, business plan et financement.

L’étape d’idéation permet d’aider la start-up à faire sa recherche de brevets, et de démarrer une veille technologique plus large (y compris normes et publications scientifiques) sur le produit/service projeté. L’étape du business plan doit permettre d’aider à transformer l’idée en opportunité d’affaires : identification et segmentation des clients et partenaires, précision des marchés possibles ; et l’étape de financement permet de rassembler des preuves, de mettre en œuvre une veille brevet permanente pour rassurer les investisseurs.

Centredoc anime également des formations permettant d’apprendre à lire des brevets.

Finalement, pour illustrer son atelier de veille en 10 minutes par jour, Frédéric Martinet a traité un des exemples proposés le matin : l’isolation acoustique en aéronautique. Il s’agit tout d’abord d’arriver à formaliser un champ lexical, pour faire des requêtes complètes. Pour ce faire, il recherche cette expression en français et en anglais (Aeronautics acoustic insulation) sur Google, ce qui lui permet d’identifier des sources d’information et de trouver des synonymes ou des termes associés (comme vibration, par exemple), et cela lui permet de trouver des noms de sociétés, d’associations professionnelles, de fabricants comme Aerospace, Hutchinson, Dunmore, 3M ; il va ensuite sur les sites des fabricants pour voir leurs produits, leurs partenaires (laboratoires de recherche), ce qui donne des acteurs-clés. Il identifie des sources d’information comme des revues spécialisées (Journal of the acoustical society of America par exemple), des bases de données spécialisées et crée ensuite des alertes sur les sources pertinentes –attention à Google alerts, qui passe à côté de trop de choses, et filtre la langue et le pays qui correspondent au compte Google.
Il préconise de les agréger dans Inoreader et d’y adjoindre des filtres. Il suggère ensuite d’utiliser soit son Intranet ou Sharepoint ou alors Slack pour diffuser les résultats de sa veille.

Après cette brillante démonstration, François Courvoisier a synthétisé les points-clés de cette journée franco-suisse très instructive, riche en témoignages et en échanges.

Notes

[1]Voir l’article sur les bibliothèques de la communauté du savoir, dans ce même numéro

Les 100 ans de la filière Information documentaire de la HEG-Genève : numéro spécial de RESSI à paraître

Hélène Madinier, Haute Ecole de Gestion, Geneve

Les 100 ans de la filière Information documentaire de la HEG-Genève : numéro spécial de RESSI à paraître

En juin 2018, la filière Information documentaire de la Haute Ecole de Gestion de Genève fêtait ses 100 ans d’existence.

Durant cinq jours de conférences, d’ateliers, de témoignages, de visites, et même de suivi d’un escape game, des professionnels de toute la Suisse et de la francophonie ont échangé sur l’évolution des nombreux métiers du domaine de la gestion de l’information.

Chaque professeur de la filière Information documentaire a consacré une demi-journée du jubilé à sa spécialité, en donnant la parole à des intervenants représentatifs des divers profils liés à la filière.

Parmi les interventions à relever, celle de Mathilde Servet sur la bibliothèque 3ème lieu, l’archivage du web à la BnF présenté par Marie Chouleur, les différents métiers des Data, dont le focus de Martin Grandjean, Data Historian, qui a présenté les réseaux de connaissance informels à la société des Nations comme exemple de la « mise en données » de l’histoire. Mais aussi les nouvelles compétences des veilleurs expliquées par Véronique Mesguich, le support aux chercheurs dans la gestion des données de la recherche à l’Université de Genève présenté par Pierre-Yves Burgi, la visite guidée à la Fondation Bodmer et les différentes présentations sur les outils permettant l’accès à l’information. 

Cette semaine tournée à la fois sur l’avenir des métiers de l’information et sur le passé de la formation, mis en avant par une exposition réalisée par les étudiants, a permis de réunir plus de 400 professionnels et étudiants.

Ce jubilé a été organisé avec l'aide d’une trentaine d’étudiants de 2ème année de bachelor de la filière Information documentaire.

Un numéro spécial de RESSI, à paraître début 2019, sera justement consacré à cet événement : il reviendra sur les évolutions de la filière à travers une chronologie commentée, des interviews et le développement de l’informatique documentaire, et il rendra compte des différentes interventions de chaque demi-journée.

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Cinquante ans de numérique en bibliothèque

Alexis Rivier, Conservateur Ressources numériques et périodiques, BGE

Cinquante ans de numérique en bibliothèque

Dans l’essai d’Yves Desrichard, conservateur des bibliothèques et ancien rédacteur en chef du Bulletin des bibliothèques de France, les professionnels actifs depuis une vingtaine d’années ou davantage reconnaîtront des personnes, des sigles, des événements politiques qui ont façonné le destin numérique des bibliothèques françaises.

En France, l’histoire est une discipline prestigieuse et valorisée. Nombre d’historiens ont occupé de hautes fonctions à la Bibliothèque nationale, comme Jean-Noël Jeanneney, président de la BnF de 2002 et 2007 et préfacier de l’ouvrage. Pour autant le parcours rétrospectif sur ce facteur fondamental de transformation des bibliothèques qu’a représenté l’arrivée de l’informatique a été plutôt négligé, ou cantonné à l’intérieur d’ouvrages au périmètre plus large .

Cinquante ans de numérique en bibliothèque s’articule en cinq « temps », couvrant chacun approximativement une décennie. Suivre les faits et les avancées dans ce continuum chronologique s’avère efficace et très parlant.

Le premier temps est celui des pionniers, qui mettent au point les premiers formats de catalogage. Peu après, les premières politiques d’ «automatisation» des bibliothèques voient le jour.

S’ensuit le temps des découvreurs qui consolident les acquis, développent les fonctionnalités et s’emparent de technologies qui semblaient prometteuses : Minitel, CD-Rom, vidéodisque.

Le temps des bâtisseurs concrétise les chantiers d’informatisation de la BnF, la rétroconversion des catalogues, les réseaux informatisés.

Le temps des expérimentateurs suggère une nouvelle étape de tâtonnements. La montée en puissance des ressources numériques entraîne des stratégies de rassemblement autour des consortiums, puis une mobilisation en faveur de l’open access. Des services d’Internet affichent une croissance surprenante, les bibliothèques s’y adaptent : Web 2.0, archivage du numérique, grands programmes de numérisation.

Le dernier temps appartient aux médiateurs : la mise en concurrence des bibliothèques les oblige à repenser leurs fondamentaux, principalement dans la mise en relation des usagers avec des sources et des contenus d’information. Un certain renversement de perspective s’opère : l’usager devient prioritaire et non plus la collection, dont le statut doit être revisité. On ne peut s’empêcher de voir dans ce titre un hommage au dernier opus d’un grand nom de la bibliothéconomie française, disparu prématurément : Les bibliothèques et la médiation des connaissances de Bertrand Calenge. 

Chaque partie relate de façon très complète les initiatives, les structures institutionnelles et les personnages qui ont forgé cette histoire, générant une floraison de sigles dont peu ont subsisté jusqu’à nos jours. La concision du livre (132 pages) en fait une excellente synthèse. Non sans modestie, Yves Desrichard estime cependant qu’une histoire complète de l’informatisation des bibliothèques reste à écrire…

Une fois posé à gros traits les étapes, quels sont les principaux enseignements de cette rétrospective ? Nous en proposons quelques-uns.

  1. A ses débuts, l’informatisation des bibliothèques apparaît presque simultanément dans les pays développés. Mais l’avance des Etats-Unis est réelle. C’est à la Bibliothèque du Congrès que le format Marc, pierre angulaire de l’informatique en bibliothèque, a été défini en 1966. Le prétendu retard français est cependant minime : cette même année, Henri-Jean Martin travaille à la Bibliothèque municipale de Lyon sur un format de catalogage pour le livre ancien et en 1968 Marc Chauveinc conçoit le format Monocle à Grenoble. C’est également dans ces années-là que l’aventure commence en Grande-Bretagne , mais aussi en Suisse avec les projets Sibil à Lausanne et Ethics à Zurich. Il y a là une remarquable convergence, tant il apparut très tôt que l’informatique était un outil essentiel pour les bibliothèques.

  2. On s’en doute, l’informatisation n’est pas une route paisible. Les réussites y côtoient les échecs. Ce n’est pas le moindre mérite de ce livre d’y faire place. Certaines idées viennent trop tôt, d’autres fois la réalisation est laborieuse. Enfin certaines technologies n’ont pas été confirmées. Parfois les bibliothèques sont confrontées à des temporalités qui les dépassent, le volontarisme ne suffit pas toujours. "Ceux qui ont réussi ne savaient pas qu'ils allaient réussir; ceux qui ont échoué ne savaient pas qu'ils allaient échouer." (p. 11). Deux cas sont symptomatiques. Le système centralisé Libra, voulu et conçu par le Ministère de la culture entre 1982 et 1989 pour combler le retard des bibliothèques centrales de prêt  n’a jamais fonctionné correctement, et les lois de décentralisation ont précipité son abandon. Le projet d’informatisation de la BnF, aussi ambitieux dans son genre que celui de la construction du nouveau bâtiment sur le site de Tolbiac, a été émaillé de difficultés qui ont beaucoup ému la profession. Le système n’a été véritablement opérationnel qu’en 2002, soit 4 ans après les prévisions. Plus récemment le projet Relire, complexe montage technico-juridique au bénéfice d’une noble idée : la remise à disposition du public d’œuvres protégées par le droit d’auteur mais plus commercialisées, n’a pas eu l’effet désiré. Le dispositif a été décrié par les auteurs et invalidé par l’Union européenne.

  3. Se pencherait-on sur le passé parce que le présent et surtout le futur inquiètent ? Yves Desrichard se défend de se prêter au jeu de la prophétie, mais sait que l’on attend de lui qu’il dise ce que l’examen du passé lui inspire pour l’avenir des bibliothèques. Le numérique a pris partout une telle place qu’il n’est plus perçu comme aussi désirable qu’au temps des pionniers.

A ses débuts l’informatisation est un facteur de modernisation accueilli avec enthousiasme. C’est un moyen de gérer un « monde physique » qui ne remet aucunement en cause la position de la bibliothèque, ni même son fonctionnement, ses instruments. L’informatique aide d’abord à mettre sur pied des outils de travail comme les catalogues sur fiches ou des bibliographies. Dans les années 1970, le groupe Gibus (Groupe informatiste de bibliothèques universitaires et spécialisées) prône un accès direct par les usagers aux données informatisées, mais c’est bien plus tard que le catalogue sera mis à disposition en ligne via les Opac.

La véritable fracture, et nous suivons l’auteur sur ce point, survient avec le développement de l’information primaire – les contenus – sous forme numérique. Les bibliothèques ont gardé le monopole de l’information imprimée mais ne maîtrisent qu’une petite partie des ressources numériques, celle de la numérisation de leurs fonds.  Les ressources sont pour l’essentiel commercialisées et difficiles à acquérir par les bibliothèques. En témoigne la délicate mise en place de la plate-forme Prêt numérique en bibliothèques (PNB) permettant de prêter des ebooks. Malgré tout, cela stimule aussi les capacités d’adaptation des institutions, à l’instar de la création des consortiums Couperin et Carel, respectivement pour les bibliothèques universitaires et pour les bibliothèques de lecture publique. « La profession a toujours été aux avant-postes de l'expérimentation et de l'appropriation des outils informatiques et numériques » (p. 12). Elle a investi Internet avec enthousiasme et continue de le faire, dans la bataille pour l’open access et des contenus gratuits de qualité. Mais le public est capté par d’autres acteurs, puissants et très performants sur le plan des technologies, qui mettent en suspicion l’utilité des bibliothèques, même au niveau politique. J.-N. Jeanneney souligne dans sa préface « l’inquiétude » des professionnels et n’hésite pas à qualifier cette mutation de leur métier comme « la plus violente, en somme, depuis l’invention de l’imprimerie » (p. 10). A cela s’ajoutent des tendances contradictoires qui rendent peu lisibles l’évolution numérique. Le cas le plus typique est celui du livre électronique, dont Desrichard rappelle que « plus de 15 ans après sa première apparition », en 2000, il « continue à provoquer questionnements, enthousiasmes, critiques et incertitudes » (p. 84). C’est donc sur un optimisme prudent qu’il clôt son ouvrage.

Au fil de ce parcours de Cinquante ans de numérique en bibliothèque, on prend la mesure des conditions spécifiques liées au développement informatique de ce secteur en France : influence déterminante de l’Etat central et des ministères concernés, poids de la Bibliothèque nationale, volontarisme technologique. Mais au final, en raison de la globalisation des technologies, la situation des bibliothèques françaises n’est pas si différente de celle d’autres pays.  Yves Desrichard a tracé une voie prometteuse.

Bibliographie

Yves Desrichard. Cinquante ans de numérique en bibliothèque. Paris: Electre-Ed. du Cercle de la Librairie, 2017 (collection Bibliothèques)

Rechercher l’information stratégique sur le web : sourcing, veille et analyse à l’heure de la révolution numérique

Claire Wuillemin, Haute Ecole de Gestion, Genève

Rechercher l’information stratégique sur le web : sourcing, veille et analyse à l’heure de la révolution numérique

À la suite de la co-direction d’un cabinet spécialisé en veille technologique et de plusieurs années à l’Infothèque du pôle universitaire Léonard de Vinci, Véronique Mesguich est depuis 2012 consultante et formatrice freelance pour les domaines de la maitrise de l’information, de la veille stratégique et de l’intelligence économique. Ce dernier livre constitue une mise à jour bienvenue des différentes éditions de Net Recherche (rédigées alors en collaboration avec Armelle Thomas), le dernier datant de 2013. Elle propose ici théorie, méthodes, outils et études de cas sur la recherche d’information sur le web et la mise en place d’une veille efficace. Bien que ce sujet ait déjà fait l’objet de nombreux ouvrages de qualité, ce livre va plus loin en remettant la recherche d’information et la veille dans le contexte actuel du numérique –Big data, internet des objets, intelligence artificielle et nouveaux supports comme les smartphones – et actualise les outils, sources et compétences nécessaires pour sa mise en œuvre.

Publié en 2018, Rechercher l’information stratégique sur le web : sourcing, veille et analyse à l’heure de la révolution numérique s’inscrit dans la préoccupation très actuelle de développer les compétences informationnelles afin que tout un chacun puisse développer une véritable littératie numérique et évoluer en homo numericus. Comme l’indique son titre, ce livre s’attache à des questions de recherche d’information et de veille, et cherche en particulier à fournir des réponses aux questions suivantes :

  • Comment optimiser la recherche d’information afin de minimiser la redondance et la perte d’information ?

  • Comment et où collecter de l’information stratégique ?

  • Comment juger la qualité de l’information recueillie ?

À cette fin, le lecteur est accompagné à travers un cheminement logique sur les vastes thèmes de la recherche d’information et la veille à l’aide d’une structure solide de cinq chapitres qui s’enchainent avec cohérence. Son livre s’ouvre ainsi sur un chapitre qui pose de manière étendue le paysage du web en 2018 c’est-à-dire les enjeux qui se posent aujourd’hui pour les utilisateurs et les professionnels de l’information mais définit également tous les aspects techniques qui y sont liés ainsi que les principales tendances qui se profilent pour ses usages et ses évolutions.

Quelles sont donc ces forces qui agitent le web ? Pour commencer, on notera l’avènement du mobile first au sein de Google, qui dans un avenir proche privilégiera la version mobile des pages web pour son indexation. Ce tournant est le témoin d’une utilisation du web de plus en plus nomade. Les veilleurs et autres professionnels de l’information devront également prendre en compte les nouveaux usagers des réseaux sociaux. Apparus il y a une quinzaine d’années, ces derniers sont devenus incontournables dans la panoplie des sources d’informations. Les questions politiques et économiques s’introduisent également dans le paysage du web : neutralité du web, contenus ouverts, gratuits ou payants, le droit à l’oubli numérique et le fameux RGPD (règlement général européen sur la protection des données personnelles). L’auteure n’entre pas forcément dans le détail de ces diverses actualités, choisissant parfois de les développer dans des chapitres ultérieurs ou de laisser le soin au lecteur de trouver davantage de réponses par lui-même. La force de cette partie est indéniablement la pertinence et la quasi-exhaustivité des thématiques qui y sont abordées, qui permettent au lecteur d’entrer dans le sujet de l’ouvrage avec la connaissance des forces et des tendances qui s’y exercent. On saluera finalement la présence d’un lexique sur le jargon et les grands concepts du web, fort utile pour déchiffrer les nombreux acronymes courants.

Véronique Mesguich se lance ensuite dans le vif du sujet à travers un chapitre conséquent qui se propose d’explorer le vaste sujet qu’est la recherche d’information. À l’instar de la partie précédente, l’auteure commence par un point de théorie en présentant les typologies et le fonctionnement de la recherche d’information ainsi que les différents outils mobilisés par celle-ci, en particulier les moteurs de recherche. Il est appréciable que le fonctionnement et les attributs de ces derniers soient expliqués en détail, car si un grand nombre d’internautes suit la devise du « je Google donc je sais », une minorité est au courant des subtilités du page ranking et autres algorithmes et des biais que ceux-ci peuvent amener dans les résultats. Une liste d’alternatives à Google plus respectueuses de la vie privée est d’ailleurs proposée. La seconde grande section de ce chapitre décrit en détail les subtilités du choix des mots-clés de recherche et de la construction de requêtes, notamment à l’aide d’opérateurs et des fonctions de recherche avancée additionnés aux techniques d’optimisation de la recherche. Là encore, un certain nombre d’opérateurs et d’astuces sont proposés pour les recherches sur Google, mais également sur Qwant, Facebook, Twitter, Linkedin, ResearchGate et Academia. Un tableau récapitulatif permet d’obtenir en un coup d’œil les principaux opérateurs, étayés d’une définition ainsi qu’une liste des différents outils qui les utilisent. Le chapitre s’achève avec une brève typologie des sources d’information, des outils de bookmarking et d’une synthèse sur la méthodologie générale de la recherche d’information.

Suite à cette présentation des méthodes, sources et outils pour satisfaire un besoin d’information ponctuel, le lecteur est ensuite invité à se plonger dans la veille proprement dite. Tout d’abord, il est question de définir la veille, c’est-à-dire sa typologie et son fonctionnement. Puis, il est brièvement question du plan de veille, de son rôle et de son utilité. On regrette que cette section ne soit pas allée un peu plus loin pour présenter cet outil, ni n’en n’ait fourni un exemple, qui se serait avéré utile pour illustrer le propos et donner une idée au néophyte de la forme que peut avoir ce tableau de bord essentiel de la veille.

Cette partie se poursuit avec l’automatisation de la collecte d’information. Sont bien évidemment mentionnés les flux RSS, les agrégateurs et générateurs de flux, les alertes dans les bases de données (pour douze bases de données différentes) sans oublier les agents d’alerte et de surveillance. Un précieux tableau proposé en fin de chapitre résume l’ensemble de ces outils en listant leur intérêt pour la veille, leurs avantages et inconvénients et leur coût. Un focus est ensuite fait sur la veille des réseaux sociaux. En effet, ceux-ci sont des sources relativement nouvelles dans la panoplie des veilleurs et l’hétérogénéité de leurs fonctionnements appelle à des outils et approches spécifiques pour en tirer les pépites informationnelles qu’elles contiennent. Dans cette idée, l’auteure propose des conseils et des ressources pour surveiller Twitter, Facebook, Linkedin, Instagram, Pinterest et Youtube.

L’avènement des réseaux sociaux n’a néanmoins pas que des avantages, car les fake news rôdent. Comment s’assurer de la qualité et l’authenticité de l’information dans ces conditions ? La masse de l’information, appelée parfois infobésité ajoute une seconde difficulté à cet effort. L’analyse de l’information n’est pas toujours naturellement évoquée dans la veille, pourtant il s’agit d’une étape importante de ce processus. Véronique Mesguich passe en revue les ressources et les méthodes manuelles et automatiques à disposition pour évaluer l’information. Une fois l’information validée, le travail n’est pas encore terminé : il faut encore faire parler les données afin de rendre leur essence intelligible pour une audience sans pour autant y apporter de modifications. À cet effet, un rapide panorama de la data-visualisation est proposé et illustré à l’aide d’un tableau qui fait correspondre à des types de représentation les outils existants pour les créer.

L’ultime chapitre de cet ouvrage est un ensemble d’études de cas. À travers dix exemples communs de besoin d’information, l’auteure guide le lecteur à travers enjeux, ingrédients et étapes nécessaires pour y répondre. Ces besoins vont de l’étude documentaire pour une étude de marché, à la navigation anonyme, la surveillance de la concurrence en passant par la recherche de contenus académiques pour la rédaction d’une bibliographie. Évidemment, tous les besoins informationnels ne seront pas couverts par ces exemples, mais leur diversité devrait répondre aux attentes les plus courantes. Cela est par ailleurs une bonne façon de passer en revue et de mettre en pratique l’ensemble des approches, méthodes et outils vus dans les chapitres précédents.

En guise de conclusion, Véronique Mesguich catalogue une fois encore les tendances pour le web et la recherche d’information observables au premier trimestre 2018 et s’interroge sur la révolution numérique et les paradoxes que celle-ci a engendrés : l’explosion de la quantité d’informations disponibles versus sa qualité, la mémoire du web ou comment sauvegarder ses contenus dans ce contexte de big data et de revendication croissante du droit à l’oubli numérique ? L’auteure clôt son livre avec un plaidoyer pour la littératie numérique, soulignant l’importance pour tout un chacun de développer ses compétences, et espère que les nouvelles générations de digitial natives sauront prendre ce virage et montrer le chemin à suivre.

Critique

Le livre de Véronique Mesguich tient les promesses de son titre. On soulignera la richesse indéniable des thématiques abordées et le fait que le propos ne se limite pas à des méthodes et des outils, mais donne une place méritée au contexte et à ses tendances. On saluera aussi l’équilibre entre les différentes thématiques et la manière logique dont les propos s’enchaînent. Le lecteur n’est jamais laissé à lui-même, mais bien accompagné au long du cheminement du livre.

On peut se demander quel sont les publics cibles de cet ouvrage. En effet, si le paysage est vastement posé en termes d’hétérogénéité complémentaire des thématiques abordées, l’auteur ne rentre pas toujours suffisamment dans les détails pour permettre aux néophytes de comprendre les enjeux profonds de certains sujets. En ce sens, le livre semble s’adresser davantage à un public d’étudiant en sciences de l’information ou à des amateurs éclairés. De leur côté, les professionnels ne seront peut-être pas (toujours) surpris par les contenus abordés, car un certain nombre de connaissances leur seront déjà acquises, ou ils pourraient être laissés sur leur faim vis-à-vis de certaines thématiques pour lesquelles on aurait pu espérer une prise de position de l’auteur. Toutefois, l’intérêt du livre réside dans la réelle et consciencieuse mise à jour des savoirs, des connaissances et des outils, qui sera toujours utile pour les professionnels de la veille et de la recherche d’information, mais également dans le fait que celle-ci se fait de manière neutre, mais critique. De plus, la qualité synthétique des contenus, ses nombreuses astuces et ses tableaux récapitulatifs en fait un excellent support de cours dans le cadre d’une formation en sciences de l’information.

Le seul point noir de cet ouvrage est à imputer à l’éditeur : l’impression en noir et blanc des pages altère la qualité des captures d’écran et des illustrations contenues dans le livre et surtout en freine la compréhension par le lecteur.

Rechercher l’information stratégique sur le web : sourcing, veille et analyse à l’heure de la révolution numérique est un ouvrage à mettre entre les mains de toutes les personnes qui cherchent à parfaire leurs compétences de recherche d’information et/ou de veille, ou qui souhaitent mettre à jour leurs connaissances sur ces sujets. On en encouragera également la lecture par les étudiants, quel que soit leur domaine, afin de les sensibiliser aux écueils du net à l’heure de la toute-puissance des GAFAM et de leur donner les armes nécessaires pour les éviter.

Bibliographie

MESGUICH, Véronique, 2018. Rechercher l’information stratégique sur le web : sourcing, veille et analyse à l’heure de la révolution numérique. Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur. Information & stratégie. ISBN 978-2-8073-1578-5.

Consommer l’information : de la gestion à la médiation documentaire

Siham Alaoui, M.S.I., Étudiante au doctorat en archivistique, Département des sciences historiques, Université Laval, Québec (QC), Canada

Consommer l’information : de la gestion à la médiation documentaire

Les développements technologiques ont changé les rapports entre les archivistes, les archives et le grand public. La fonction des archives se modifie dans la société, d’autant plus que l’archiviste, ce gardien de la mémoire, jouit désormais de nouveaux rôles socioculturels dans la médiation documentaire. Les usagers changent de positionnement : autrefois des simples récepteurs passifs de l’information documentaire, ils deviennent des sujets numériques qui participent activement à la chaîne archivistique. Une telle participation oriente l’archivistique vers une nouvelle posture épistémologique, celle de la collaboration et de l’ouverture. Elle dicte la révision des mécanismes de la diffusion des archives et les modalités de leur exploitation. Cet ouvrage est un recueil des réflexions d’un ensemble de spécialistes, issues des présentations faites sur la thématique abordée au 45ème congrès de l’Association des archivistes du Québec (AAQ), tenu le 13, 14 et 15 juin 2017 sous le thème : Consommer l’information, de la gestion à la médiation documentaire. Il est édité par Martine Cardin et Anne Klein, respectivement professeures titulaire et agrégée en archivistique au département des sciences historiques de l’Université Laval. L’ouvrage est structuré en deux grandes parties : la première, plus courte, aborde les postures épistémologiques et éthiques de l’archivistique collaborative, tandis que la deuxième traite de la médiation documentaire entre les institutions, les archivistes, les archives et les usagers.

Martine Cardin et Christian Desîlets, en exposant le cas des archives de la publicité, abordent une nouvelle perspective de l’archivistique à l’ère du numérique, soit celle de l’archivistique ouverte. Cette nouvelle approche retrouve ses bases dans les fondements du marketing ouvert. Elle est issue d’un besoin de valorisation des archives, intervention qui nécessite désormais l’implication de l’usager et qui induit une médiation documentaire multidirectionnelle entre les parties prenantes d’un système d’exploitation des archives. Didier Devriese s’attarde sur la valeur du document d’archive et considère qu’elle n’est pas jugée seulement par le producteur de celui-ci, mais aussi par son usager. Il rappelle que les métadonnées documentant le contexte de création des documents d’archives favorisent leur réexploitation et leur restitution par les usagers actuels et potentiels. Il conclut que l’archiviste n’est pas le seul acteur à intervenir dans la médiation documentaire, puisque c’est aussi à l’usager qu’incombent la responsabilité de l’évaluation des archives et l’interprétation de leur signification. Jean-Philippe Legois rejoint la même conception de médiation collaborative, mais se positionne plutôt dans la sphère des témoignages oraux. Il se sert de l’exemple de la Cité des mémoires pour illustrer les particularités de la mémoire collective estudiantine en France et les enjeux liés à sa préservation. Dans ce sens, il évoque l’expression de l’archivistique intégrale pour mettre en avant le rôle de l’archiviste dans la constitution et la préservation de la mémoire sociétale à travers la collecte d’archives privées en lien avec les activités des institutions publiques. Toutefois, l’archiviste n’y est pas un intervenant unique puisque la gestion et la sauvegarde de la mémoire collective orale fait également appel à d’autres intervenants, dont les producteurs et les usagers.

Guillaume Boutard examine la médiation documentaire sous la loupe de la conservation collaborative et distribuée des œuvres musicales numériques. L’auteur souligne le principal défi lié à la conservation des œuvres musicales numériques : d’être en mesure d’étudier et de réinterpréter une œuvre, et non seulement de conserver une performance unique à travers la captation d’un événement. L’auteur explique la tension entre l’œuvre artistique et le cycle de vie de sa conservation, et souligne l’importance d’une médiation documentaire adaptée à la nature de telles œuvres. Après l’exposé d’une étude de cas, il met l’accent sur la collaboration dans les pratiques de la conservation des œuvres musicales numériques, et ce, dans un contexte de médiations technologiques.

Sylvain Senécal aborde une autre facette de la médiation documentaire, celle de la tension entre la préservation et l’oubli. Il postule que la mémoire revêt des aspects sociaux qui soutiennent les processus de la réinvention des connaissances. Elle constitue aussi un fruit de la transaction entre l’individu et la société. Son intelligibilité et sa valeur sont déterminées non seulement par l’archiviste, mais aussi par les créateurs/producteurs des archives. Ainsi importe-t-il d’établir une chaîne de médiation documentaire continue entre ces divers acteurs.

À l’ère du numérique, la médiation documentaire collaborative fait naître de nouvelles responsabilités pour les institutions culturelles et les archivistes à l’égard des usagers. C’est dans ce contexte que Paul Servais s’interroge sur l’avenir de la profession de l’archiviste et la relation de celui-ci avec les usagers. Les réflexions de l’auteur mobilisent les constats tirés d’un projet nommé : Archives et archivistes dans 15 ans. Selon lui, l’archiviste n’est plus perçu comme un simple gardien du trésor des archives : ses missions vont au-delà du périmètre des institutions publiques pour englober patrimoine et mémoire au service de la société. Il endosse un rôle plus actif dans la médiation documentaire avec les usagers, et ce, dans la diversité de leurs profils.

Stéphan La Roche fait le portrait de l’expérience du Musée de la civilisation dans la médiation documentaire/culturelle à l’ère du numérique. Il s’attarde sur les enjeux du numérique dans le milieu de la culture et du patrimoine, et met l’emphase sur la réingénierie culturelle des rôles et fonctions associés à la conservation de la mémoire publique. Il postule que la mise en ligne des œuvres ne garantit pas leur intelligibilité : c’est le point sur lequel les musées sont appelés à redéfinir leurs rôles. Le numérique autorise une dimension supplémentaire : il ouvre les portes au grand public pour s’impliquer dans le processus de l’établissement des interactions entre les contenus et les contextes. L’auteur expose ensuite l’expérience du Musée de la civilisation et ses interventions dans le cadre de la transition vers le numérique et la redéfinition des responsabilités qu’il implique pour les archivistes et les conservateurs du patrimoine.

Laure Amélie Guitard, en présentant les résultats de sa recherche doctorale, définit la médiation culturelle dans un contexte différent, celui de l’entrevue de référence entre l’archiviste et l’usager. Inspirée de la conception muséologique, l’auteure voit la référence comme un acte de communication. Elle liste et décrit les étapes et l’entrevue de référence et les concrétise par des exemples pertinents. Elle démontre que, finalement, l’archiviste est à la fois un agent de médiation culturelle (i.e. transmission des archives) et sémantique (i.e. transmission du sens en décortiquant la portée du besoin informationnel de l’usager et en lui suggérant les sources d’archives qui répondent le mieux à ses attentes).

Annaëlle Winand discute de l’exploitation des archives audiovisuelles numériques par les artistes dans le cadre du cinéma de réemploi, et plus précisément dans l’optique de la production des films expérimentaux. Elle projette un regard archivistique sur le travail du cinéaste Bill Morrison. Elle analyse l’œuvre Decasia sous quatre facettes, soit la matérialité, le contexte, le dispositif et le rôle assigné au public. Sa réflexion débouche sur le constat selon lequel la dimension affective de l’archive intervient dans le processus de la médiation documentaire, et ce, dans la mesure où elle incite le spectateur à devenir une partie intégrante de l’œuvre artistique.

Anne Klein et Yvon Lemay s’intéressent à la question de la diffusion et de l’exploitation des archives. Ils mettent tout d’abord le point sur l’évolution de l’archivistique, de la conception classique à la vision postmoderne. Cette transition redéfinit les missions de l’archiviste dans un vecteur sociétal plutôt qu’institutionnel. Les auteurs présentent le projet Archives et création (de 2013 à 2016) visant à étudier l’exploitation des archives numériques comme un levier à la construction de l’espace de médiation à créer entre l’archiviste et l’usager. Afin de valoriser l’exploitation dans la chaîne archivistique, ils proposent une révision du modèle australien de la gestion documentaire, soit le Records Continuum, en ajoutant cette fonction (i.e. exploitation) aux quatre autres dimensions comme dimension dialectique.

Le sujet de l’ouvrage s’inscrit dans la continuité de la polémique sur le repositionnement de l’archiviste dans une perspective de transition entre les sphères institutionnelle et sociétale, de même que sur le numérique et l’essor des pratiques culturelles. Aussi, il devient de plus en plus crucial de se focaliser sur l’usager qui est désormais perçu comme un acteur numérique actif dans la médiation documentaire. La diversité des perspectives adoptées par les auteurs constitue la richesse de l’ouvrage: les contributeurs se positionnent tantôt dans la perspective des sciences historiques, tantôt dans celle des sciences de l’information, de la muséologie, voire même des sciences sociales connexes, telles que la communication, les études cinématographiques et la musique. Toutefois, tous se rejoignent dans la même idée : percevoir l’usager au centre de la médiation documentaire, valoriser le rôle de l’archiviste dans la société et encourager l’esprit de collaboration archivistique. La variété des approches épistémologiques justifie bien à quel point l’archivistique est une discipline souple qui s’insère dans l’interdisciplinarité avec les autres sciences humaines et sociales.

L’aspect novateur de cet ouvrage réside dans la nouvelle approche de l’archivistique, soit celle de l’archivistique ouverte. Elle résulte de l’interdisciplinarité entre l’archivistique et le marketing ouvert. Cette nouvelle conception axée sur la collaboration, témoigne de la nécessité de la concertation des interventions archivistiques d’un ensemble d’acteurs, et non seulement l’archiviste. Aussi, elle implique le sens multidirectionnel selon lequel la médiation documentaire se réalise, où le consensuel en devient la pierre angulaire. Cet ouvrage est ainsi une référence incontournable pour la communauté archivistique – scientifique et professionnelle – qui s’intéresse aux mutations archivistiques actuelles, notamment dans une perspective sociétale.

Bibliographie

Cardin, Martine et Anne Klein. 2018. Consommer l’information : de la gestion à la médiation documentaire. Québec : Presses de l’Université Laval, 181p. ISBN : 139782763739243

Service Science and the Information Professional

Tullio Basaglia, Chef de section, Bibliothèque du CERN

Service Science and the Information Professional

Yvonne de Grandbois a été coordinatrice de la Bibliothèque des Library and Information Networks for Knowledge (LINK) de l’Organisation Mondiale de la Santé. Ensuite, elle a enseigné au sein des programmes de Bachelor et de Master de la filière Information documentaire de la Haute Ecole de Gestion de Genève et elle a été responsable du programme de Master en Sciences de l’Information, qui était alors commun à la HEG-Genève en Suisse et à l’Université de Montréal au Canada (EBSI).

Il est important de souligner, comme le fait l’auteure au début du livre, que la science des services ne traite pas seulement de la gestion des services d’Information.

La science des services est plutôt l’étude des services, des systèmes de services et des « propositions de valeur », c’est-à-dire des promesses de la valeur que vous allez délivrer à vos utilisateurs. La proposition de valeur représente la raison pour laquelle les utilisateurs devraient utiliser vos services. Ses origines sont récentes, car on peut en situer la naissance en 2006 ; IBM a contribué d’une manière décisive à la naissance cette discipline, IBM qui a vécu l’évolution généralisée vers l’informatisation des services dans les années 90.

Ce livre propose une synthèse de l’état des études dans la science des services appliquée au contexte des sciences de l’information, et il s’articule en cinq parties: la première vise à fournir une délimitation du concept de science des services, la deuxième dresse un historique succinct de cette discipline, qui a connu un développement important surtout à partir des années 70 du siècle passé, avec le passage d’un modèle économique dominé par l’industrie manufacturière à une société dominée par l’ « économie de la connaissance ».

La science des services est de par sa nature interdisciplinaire, car elle analyse les quatre éléments qui forment un système de services, les personnes, la technologie, les organisations et l’information, qui sont respectivement étudiés par les sciences sociales, l’informatique et l’ingénierie, la gestion des organisations et  la science de l’information.

Le troisième chapitre examine les rapports entre la science des services et la science de l’information. Etant donné que le service est la raison d’être de chaque bibliothèque et service de documentation, les rapports entre les deux disciplines sont évidents et étroits. En tant que professionnel de l’information, nous appliquons déjà certains principes de la science des services. Toutefois celle-ci peut aider le professionnel de l’information à concevoir d’une manière plus efficace des systèmes pour l’évaluation des services, la mesure de l’impact et l’analyse des besoins. En un mot, elle peut stimuler l’innovation dans les services de documentation.

Evidemment, les parcours de formation des futurs professionnels de l’information et documentation doivent être adaptés aux besoins de la société de l’information.

Dans le quatrième chapitre, l’auteure souligne l’importance de la science des services dans le contexte d’une société et d’une planète qui est de plus en plus interconnectée, grâce à l’Internet des objets, au big data et à l’informatique «cloud». De nouvelles opportunités s’ouvrent pour montrer la valeur sociale du travail des spécialistes de l’information.

Le  livre offre un aperçu succinct mais complet de la discipline, et il a le mérite de souligner l’importance de la science des services pour les professionnels de l’information, dont la plupart n’est même pas au courant de l’existence de ce domaine d’études.  En plus, l’autrice met justement en évidence le fait que la science des services souvent n’est pas enseignée au sein des facultés universitaires des Sciences de l’Information.

Le livre est très focalisé sur les études et les expériences aux Etats Unis. Plus d’attention aurait pu être consacrée au contexte européen.

Le chapitre final est consacré aux réseaux professionnels, aux associations et aux écoles  spécialisées dans l’enseignement de la science des services. Les références bibliographiques et la webographie de cette section sont très exhaustives.

Bibliographie

Yvonne de Grandbois. Service Science and the Information Professional. Cambridge, MA, United States : Elsevier, Chandos Publishing, 2016 ; 117 p., (Chandos Information Professional Series) ISBN 978-1-84334-649-4