« C'était en été dans une petite et ancienne ville de France, traversée par une rivière large et puissante. Je suis resté longtemps sur le seul pont de la cité à la contempler, fasciné par la beauté et la complexité du mouvement de l'eau. (...) (1) ».
L'image de la rivière, avec ses flux et reflux, sa palette de couleurs chatoyant, ses jeux de lumière et ses scintillements constitue sans doute une étrange entrée en matière pour introduire la présence d'attracteurs dans les systèmes informationnels. Pourtant un système d'information (SI) forme aussi un spectacle vivant, naturellement et profondément différent de la somme des éléments qui le constituent. Un SI naît, évolue, disparaît tout comme d'ailleurs les organisations ou entreprises auxquelles il est intimement lié. Ils sont différents de la somme de leurs composants. Un SI mérite d'être vu dans sa globalité, comme un paysage. Nous allons en parcourir quelques aspects remarquables.
Nous expliquerons d'abord les raisons qui ont présidé à cette réflexion et nous soulignerons l'importance de ce que nous avons appelé les « grappes informationnelles ». A travers la dynamique des processus de transformation de la matière informationnelle, nous verrons que l'entreprise peut être considérée en elle même comme un système d'information et qu'il s'agit d'un système complexe dans lequel une tension existe entre information formelle et informelle. Nous déboucherons alors sur l'attracteur informationnel, notion empruntée à la théorie du chaos, en l'illustrant par des exemples et en montrant son rôle dans la création de connaissances pour enfin conclure.
L'information est un domaine qui nous a toujours passionné. La banque fut notre environnement professionnel durant de nombreuses années. L'information y revêt une importance majeure vu les risques liés à l'exercice du métier. Notre passion nous a conduit à exercer des fonctions qui se situaient fréquemment dans le « no man's land » qui sépare les utilisateurs des producteurs d'information, essentiellement les départements de l'IT (Information Technology). Il s'agissait de faire comprendre aux uns et aux autres leurs besoins réciproques et leurs points de vue différents sur l'information.
Notre pratique de l'information, dans la banque puis comme conseil, les observations que nous avons effectuées, les projets que nous avons menés, les nombreuses participations à des séminaires, des séances de formation et des groupes de travail, les échanges multiples et variés avec de nombreux consultants et fournisseurs d'IT (le secteur bancaire en consomme beaucoup!), nos diverses lectures constituent autant de sources auxquelles s'alimente notre réflexion. Dans le même temps, nous avons toujours cherché à comprendre les raisons de 3 phénomènes auxquels nous avons été confronté et dont la permanence nous a frappé.
En règle générale, nous avons pu constater, dans bien des domaines, que la plupart des décisions sont basées pratiquement sur 1/5 de l'information existante et que, bien souvent, il fallait retrouver et reconstituer ces 20% d'informations qui, quoique bien présentes, n'étaient pas disponibles et que, de plus, elles n'étaient pas toujours pertinentes. Le second phénomène a trait aux échecs répétés des grands projets centralisateurs de toutes les informations disponibles sur un sujet donné tels les portraits clients et produits (type data base marketing), crédits, les recueils de compétence, ... Le troisième enfin concerne l'efflorescence des projets informatiques « pirates ». Nous entendons par là les noyaux informatiques constitués par divers services au sein de l'entreprise en dehors du contrôle du département responsable de l'IT, nés de la nécessité de maîtriser et traiter eux-mêmes l'information qu'ils jugent nécessaires à leur activité. Ces phénomènes n'étaient pas propres à une organisation mais on les retrouvaient peu ou prou dans diverses institutions. Les fournisseurs de matériel, de logiciels, les consultants en parlaient dans leurs exposés sans pour autant apporter de solutions convaincantes. Leur persistance était d'autant plus significative que les ressources technologiques des départements IT étaient abondantes.
C'est sur ce substrat que nous avons été amené à développer notre approche concernant la présence d'un « attracteur étrange » dans les systèmes d'information.
Notre pratique de l'information a nourri l'intuition que l'approche habituelle ne tenait pas compte de la nature réelle des systèmes d'information et qu'il devait exister une autre manière de les aborder, plus globale, basée sur ce qu'ils sont dans leur diversité et leur complexité.
La gestion de l'information et des connaissances est le plus souvent envisagée par le biais de projets qui visent à provoquer un effet de levier dans l'utilisation efficiente des ressources dont l'entreprise dispose. L'habitude est mettre directement en avant les technologies d'information et de communication (TIC) qui permettront de gérer les contenus, de maîtriser les cycles de vie de l'information, de classer, d'archiver, de créer des recueils de compétences, des bases de données,de se doter d'outils de recherche, de distribuer et donner accès à tout cet appareil, sans oublier la sécurité, ... . Il faudra définir la nature et les types des documents, les décrire au moyen des méta données et des mots clés, sauver et conserver les connaissances qui risquent de disparaître. L'accent sera mis sur l'explicitation des informations et des connaissances détenues et acquises par chacun, sur la définition et la mise en place des processus et méthodes de transfert des connaissances et sur la mise en réseau de tous les acteurs.
Force est cependant de constater que l'engouement pour les projets de « management » des connaissances a eu tendance à s'éroder pour différentes raisons. Tout d'abord les investissements consentis n'ont pas toujours produit les résultats attendus. Ensuite les « fonctions » créées et les politiques mises en œuvre n'ont pas toujours permis d'améliorer le partage de connaissances au sein des entreprises, ce qui fait naître le découragement (2). Par ailleurs, il n'existe pas de « solutions toutes faites » et « universelles » en matière de systèmes d'information et de management des connaissances car on sous-estime souvent la nature complexe du phénomène information et les réalités des interactions entre les hommes, les technologies et les structures, et entre les multiples dimensions interdépendantes, de nature technologique, organisationnelle, cognitive et comportementale. Enfin les projets et systèmes mis en oeuvre ont l'ambition d'expliciter les 100% des informations et savoirs. Or, ce faisant, ils se limitent au traitement et à la transformation d'informations qui sont par nature exprimables et qui peuvent être codifiées. Le champ des connaissances implicites en est exclu.
De plus l'entreprise n'est pas ce modèle rationnel, ordonné, efficace, qu'on se plaît à décrire et mettre en avant dans les grandes écoles de management. Comme toute communauté humaine, l'entreprise est un lieu où prennent place des luttes de pouvoirs et des combats idéologiques, personnels et collectifs. Les résultats de ces batailles ne contribuent pas toujours, loin de là, aux prises de décisions les plus saines ou au fonctionnement le meilleur. Et même si les comportements de nombreux acteurs restent « rationnels », leur somme ne l'est pas nécessairement. Les « lois de Parkinson » ou « le principe de Peter » (3) paraissent souvent plus pertinents et pragmatiques pour expliquer et comprendre une organisation que nombre de théories du management scientifique. La critique de ces deux auteurs impertinents est d'ailleurs trop souvent évacuée sous prétexte que « bien évidemment, elle ne nous est pas applicable »!
Bien souvent la boutade qui veut « qu'au bord du précipice, ils firent un grand pas en avant » se révèle appropriée. Pourtant le précipice est connu, visible, décrit et d'une dangerosité certaine: comment comprendre, expliquer ce grand pas en avant? Jupiter aveugle ceux qu'il veut perdre! Il existe des oeillères qui forcent le regard, des filtres, au travers desquels une personne, un groupe, une société, une entreprise, ... appréhendent leur environnement. Nous les avons appelées les « grappes informationnelles ». Elles sont formées de trois ensembles: les concepts manipulés, les contextes d'utilisation et les informations qui les accompagnent. Les grappes mélangent des éléments intuitifs, sous-jacents, et des éléments explicites, clairement définis et précisés. Elles représentent finalement l'ensemble des théories, opinions, pré-jugés, clichés, les expériences personnelles et collectives, l'éducation, l'histoire, ... qu'une personne, un groupe, une entreprise, véhiculent avec eux et dont ils se servent, consciemment ou non, pour comprendre la réalité qui les entoure et agir. Elles varient au cours du temps avec les effets de mode, les remises en question, les expériences et le degré de connaissance que nous avons de nous-mêmes comme personne ou collectivité. Elles conditionnent notre vision de la société. Elles peuvent être ouvertes, basées sur l'incertitude, le questionnement, la remise en question, et alors l'évolution et l'innovation sont possibles, ou fermées, fondées sur des certitudes, des croyances et font dès lors obstacle aux changements nécessaires et conduisent droit au précipice.
L'entreprise constitue finalement une entité complexe, vivante qui ne se réduit pas à la somme de ses parties. Les grappes informationnelles y jouent un rôle majeur, tant dans les comportements individuels que collectifs, quant à la manière de voir l'information et son utilisation. Tantôt elles poussent à l'exploration, à l'élargissement du champs informationnel et tantôt à son rétrécissement en n'en retenant que les éléments qui confortent les préjugés. Une approche différente des systèmes d'information demande de prendre conscience de leur existence et de reconnaître leur influence.
La matière informationnelle est très particulière. Elle est expansive et occupe tout l'espace disponible. Elle ne disparaît pas à l'usage alors que le réservoir d'une voiture se vide en roulant. Elle se partage et ne s'échange pas, comme on peut le faire avec des pommes contre des poires. Grâce aux réseaux, on peut la distribuer très rapidement partout dans le monde. C'est aussi , et c'est très important, une matière en évolution permanente, résultat d'une suite d'échanges réciproques et multiples qui, à son tour, évoluera et en produira d'autres.
Ses composantes sont les données, l'information et la connaissance. Une donnée est tout symbole, signe ou mesure qui se trouve dans une forme telle qu'elle peut être capturée directement par une personne ou une machine. C'est la matière brute avec laquelle il est possible de fabriquer information et connaissance.
Il est difficile de s'accorder sur une définition de l'information. Nous la définissons « comme une ou plusieurs données qui, transformées, acquièrent du sens, signifient quelque chose pour une personne, un groupe ou une organisation et deviennent de ce fait utilisables par cette personne, ce groupe ou cette organisation. » (5). L'information est donc directement liée au sens qu'elle possède pour un acteur et aux possibilités d'action.
Comme l'information, la connaissance a trait aux significations, elle est contextuelle et relationnelle. Mais contrairement à l'information, la connaissance concerne les croyances et les engagements et a trait à l'action. La connaissance est l'ensemble des informations qui permet d'agir. Elle émerge avec et par l'action. Elle est en construction permanente et comme, telle elle ne se gère pas.
Ces définitions seraient toutefois incomplètes sans préciser les 2 domaines de la matière informationnelle, l'implicite (ou tacite) et l'explicite.
L'information implicite est hautement personnelle et difficile à formuler. Il n'est pas facile de la communiquer ou de la partager avec les autres. Elle est profondément enracinée dans les actions et les expériences individuelles aussi bien que dans les idéaux, valeurs ou émotions que nous embrassons. Elle réside dans une dimension cognitive globale de l'esprit et du corps humain. Elle forme en fait le substrat des grappes informationnelles.
L'information explicite est codifiée. Elle peut être transmise dans un langage formel et systématique. Elle est individuellement distincte ou digitale. Elle est saisie dans les enregistrements du passé tels que les bibliothèques, les archives et les bases de données. On y accède sur une base séquentielle. Elle peut être exprimée en mots et chiffres et partagée sous la forme de données, formules scientifiques, spécifications, manuels, etc. ... (5)
La notion de transformation est capitale dans la définition des composants de la matière informationnelle. Prenons un exemple. Nous avons deux feuilles de papier, l'une avec une liste de noms et prénoms et l'autre avec des adresses. Chacun peut y voir ce qu'il veut, s'intéresser aux noms, à leur origine, s'interroger sur la dispersion des adresses, ne rien faire du tout. Bref il s'agit de données. Effectuons une transformation en collant les deux feuilles de telle sorte qu'à chaque nom corresponde une adresse et appelons le résultat « liste des prospects ». Les données ont maintenant acquis du sens, par exemple, pour un directeur des ventes. Il peut les utiliser pour mesurer son taux de pénétration dans ce marché. Transformons à nouveau les informations en intégrant des données socio-économiques et comportementales: revenu, profil de consommation, niveau d'études, type de voiture, de maison ... En y ajoutant ses connaissances personnelles et son expérience du marché (qui constituent des informations implicites), le responsable du marketing peut lancer une campagne segmentée de promotion. En tirant les leçons de son action, il va enrichir ses connaissances ce qui lui donnera de nouvelles informations qu'il peut partager avec ses collègues.
Cet exemple nous apprend également que données, information et connaissances sont relatives à leur contexte d'usage. La personne qui encode les données de base valide des données brutes. Grâce à la validation, les noms et adresses sont normalisés, structurés, les doublons éliminés, ... bref les données de base sont enrichies. A son niveau, elle deviennent de l'information. Pour le directeur des ventes, la liste validée représentent des données. Elles ne deviennent de l'information qu'après rapprochement avec les informations relatives à sa clientèle qui lui permettront de mesurer son taux de pénétration. A son tour, le directeur marketing ne s'intéressera qu'aux résultats de la campagne et non aux détails. Ce qui est donnée pour l'un est information pour un autre ou connaissances pour un troisième. C'est toujours de l'information mais ce n'est jamais la même. On remarquera aussi que la transformation met en jeu le domaine de l'implicite avec le savoir faire, l'expérience des acteurs, les leçons qu'ils retirent des actions entreprises. Elle permet ainsi d'opérer des passages réciproques entre les deux domaines de la matière, l'implicite et l'explicite. La transformation elle même peut également n'être qu'implicite. Pour un sculpteur, un morceau de marbre est autre chose que de la matière brute: il y voit déjà la statue qu'il se propose de sculpter.
Chacun possède donc sa vision de l'information, retient ce qui est utile en fonction de son travail et du rôle qu'il exerce, sans oublier les grappes informationnelles, ce qui confère à l'information un caractère éminemment subjectif. C'est la subjectivité d'usage. La production d'information est donc différenciée aux yeux des utilisateurs. La transformation - données information connaissance (6) - est ainsi continue et diffuse dans tout le système d'information. L'approche habituelle, technologique, ne prend en général pas en compte cette dynamique de transformation. La production est brute, indifférenciée ce qui contribue à faire naître et entretenir les informatiques pirates et obère la réalisation des projets centralisateurs mentionnées précédemment.
Le processus général de gestion de toute organisation se résume à trois grands processus génériques dont dépendent les autres (Fig 1). Il faut acquérir les ressources nécessaires, humaines, matérielles, financières techniques et informationnelles, puis les transformer (appliquer un savoir) pour fabriquer produits et /ou services et enfin les vendre, les distribuer aux clients. Ces processus drainent avec eux des masses d'informations tant implicites qu'explicites. On n'acquiert pas seulement des ressources mais toute l'information et le savoir qui les accompagnent: les caractéristiques et les prix des matières premières et des équipements, les descriptions et les comparaisons entre les fournisseurs, les manuels d'entretien des machines, les contrats, les résumés des personnes, ... La transformation entraîne également son cortège d'information: les descriptions des processus, le contrôle de qualité, les règles relatives à la sécurité, à l'environnement, les statistiques de production, l'expérience et le savoir faire des opérateurs ... .
Il en va de même de la distribution avec les études de marché, la description de la clientèle, de la concurrence ou de l'environnement, les intuitions et l'expérience des responsables, ... . Toutes ces informations sont constamment soumises à des transformations. Bref l'entreprise ne peut vivre sans le bain d'information dans lequel elle est plongée. Ce bain est parcouru de multiples boucles de rétroactions: une augmentation des prix oblige à changer de fournisseurs, à rationaliser la production, une nouvelle technologie entraîne des changements dans la fabrication, la pression de la concurrence provoque une autre manière d'approcher les clients, l'apparition de nouveaux produits ou services, ... . On pourrait multiplier les exemples. Ce bain d'information est une véritable soupe de transformations rétroactives, multiples et variées.
Les cuisiniers de la soupe informationnelle, les acteurs ou agents (7) des transformations, sont les « triangles opérateurs ». Ils se composent de trois éléments en interaction: les hommes, les machines (technologies) et les structures (Fig 2). Par exemple, le bureau d'accueil d'une entreprise constitue un triangle: hôtesses et hôtes d'accueil, leurs postes de travail, la place de l'accueil dans l'organisation de l'entreprise. Les triangles sont donc multiples dans une organisation des plus simples (accueil) aux plus complexes (le comité de direction). Ils sont à la fois utilisateurs et producteurs d'information.
Les triangles opérateurs sont responsables des transformations de données en informations et en connaissances ainsi que des passages réciproques entre les champs de l'implicite et de l'explicite. Leur responsabilité est directe ou indirecte. Nous voulons dire par là que si tous les triangles « travaillent » l'information, seuls certains d'entre eux s'y consacrent spécifiquement. Ils opèrent au moyen d'une ou plusieurs de 4 opérations de base: saisie (ou capture des informations), validation (ou vérification de forme et de fonds), agrégation (ou création d'ensembles cohérents) et distribution (ou accès).
Les interactions, c'est-à-dire les importances relatives, à un moment donné, de chacun des membres de cette relation triangulaire, sont fonction du temps, de la masse des données, de la technologie et de la complexité des problèmes traités. Le facteur humain est plus important dans le cas d'un comité de gestion ou d'un artisan et dominant dans son interaction avec les technologies et les structures. La machine est prépondérante dans la salle de contrôle d'un réseau de distribution d'électricité et domine l'interaction avec les autres éléments. L'apparition du PC, la technologie des réseaux ont profondément transformé notre manière de travailler en interaction avec les hommes et les structures et ouvert quantités de nouvelles potentialités dans tous les domaines.
La technologie a d'ailleurs bouleversé notre façon de gérer le processus global de l'entreprise. Avant, il fallait capturer l'information dont les ressources et les processus étaient porteurs pour la traiter et pouvoir agir, maintenant ils sont capables de communiquer directement au système l'information qu'ils contiennent et le système est en mesure de réagir immédiatement sur l'information reçue. Le temps de réaction est singulièrement raccourci et le rôle des intermédiaires remis en question. Pour prendre un exemple, le simple passage de la carte de paiement aux caisses du supermarché déclenche non seulement les écritures de débit et de crédit, mais aussi la mise à jour du profil client, celle des stocks du magasin avec les ré-approvisionnement éventuels voire celle des commandes de fabrication. C'est en gérant désormais directement l'information encapsulée dans les ressources et les processus qu'il est possible d'améliorer leur efficience et, par conséquent, celle de l'entreprise et du business lui-même.
Mais la technologie contient aussi sa propre Némésis. La rigueur apparente d'une base de données, d'un tableur, d'un processus automatisé cachent bien souvent des hypothèses cachées, des suppositions. Déchets à l'entrée, évangile à la sortie! L'ordinateur n'a-t-il pas toujours raison? Par ailleurs la technologie rassure le management. Elle permet de modéliser l'entreprise et de lui en présenter une image compréhensible, rationnelle, bref un bel objet dont il possède la maîtrise. Les non dits, le complexe, l'incertitude pourtant bien présents dans l'entreprise, sont exclus. « Les systèmes d'information sont des outils pour simplifier le complexe,( ... )(qui) masquent la nature dynamique, chaotique de l'organisation (8) ». En plus de cette vision réductrice, elle favorise également une efflorescence informationnelle qui a pour conséquence un entropie de l'information: essentiel et accessoire finissent par se confondre, d'où la non pertinence relative des 20% utilisés dans les processus décisionnels.
La technologie est indispensable et réussit très bien pour tout ce qui concerne les opérations de masse, simples, standardisées structurées, répétitives (par exemple les systèmes de paiement nationaux et internationaux, les traitements en masse des adresses). Mais comme telle, elle échoue bien souvent dès que la complexité apparaît: les systèmes d'information restent alors en reconstruction permanente. Le cas des projets centralisateurs est éclairant à cet égard. Leur nature transversale met en jeu bien d'autres éléments que la technologie, interactions humaines, structures, ... Finalement, il existe entre nous et les technologies une relation ambiguë « ... nous ne pouvons pas vivre sans elles mais nous luttons pour vivre avec elles dans un environnement harmonieux (9) ».
L'entreprise forme donc en elle-même un système d'information. Nous le définissons comme une suite de transformations (10) multiples, interactives et rétroactives, effectuées par des triangles opérateurs à l'aide d'une série de quatre opérations qui s'appliquent indifféremment à des données, des informations ou des connaissances. Ces transformations génèrent des passages entre les champs implicites et explicites de la matière informationnelle et leur suite forme un processus. Un système est composé d'un ensemble de sous systèmes génériques et générés, selon la taille de l'organisation.
De plus, « l'entreprise/SI » « ... est un système adaptatif complexe (11). Il comporte de très nombreux agents passifs et actifs(les triangles opérateurs), liés dans un réseau qui produisent, utilisent, communiquent et transmettent données, informations et connaissances. Le contrôle est dispersé, car on ne peut pas isoler un centre de contrôle particulier, un peu à l'image d' Internet. Les agents servent de blocs de construction à l'organisation du système et sont en réorganisation constante, le long de transformations (données en informations et en connaissances) et d'opérations interactives (saisie, validation, agrégation et distribution). Ils anticipent, par exemple, la demande, l'acceptation ou le refus d'un changement induit par la concurrence, par une nouvelle technologie... Enfin, il se forme des niches dans le système que les agents occupent directement. Tel est le cas avec la création et l'occupation de circuits informationnels informels nécessités par la défaillance ou l'insuffisance des canaux de communication existants ou la formation et le développement de systèmes informatiques dits « pirates » parce qu'ils se situent « en dehors » des structures autorisées et sont créés à leur insu. ». De tels systèmes sont difficilement décomposables car « négliger une partie du système détruit des aspects essentiels de son comportement et de sa structure » (12).
Telle est la réalité, beaucoup plus difficile à saisir, qui se cache derrière la façade lisse, rationnelle, ordonnée et stable que se donnent volontiers les organisations.
En questionnant l'approche habituelle des systèmes d'information, nous sommes arrivés à voir l'entreprise comme un SI et à le situer résolument à la frontière de l'ordre et du chaos, dans le champs de la complexité. Les grappes informationnelles, les transformations, les triangles opérateurs, les domaines implicites et explicite de la matière informationnelle ne suffisent pas seuls à expliquer le fonctionnement global du SI.
Lorsqu'on contemple une rivière ou lorsqu'on « regarde » la soupe informationnelle bouillonnante, chaotique d'un SI, des comportements, des formes similaires finissent par émerger. On les dirait attirés par quelque chose, comme si, derrière le désordre, il existait une force attirant le mouvement, un « attracteur ». Un SI possède un « attracteur informationnel », notion empruntée à la théorie du chaos, « moteur » des séquences de transformations à l'œuvre en son sein. En quelle que sorte, il agit en « attirant » dans la masse grouillante des informations, celles qui passent à sa portée, pour leur donner un sens déterminé, permettre l'action et engendrer de la connaissance. L'attracteur rend compte du comportement du SI.
Pour mieux comprendre, faisons un bref détour par la théorie du chaos (13). Voyons d'abord un système simple formé par un pendule. Celui-ci perd son énergie par frottement et finit par s'immobiliser. En représentant les mouvements du système sur un graphe (Fig. 3), nous voyons les trajectoires converger en spiralant vers un point. C'est l'attracteur du pendule, il « attire » vers lui le mouvement du système.
Prenons maintenant un système complexe, non linéaire, tels la météo ou un certain type de roue hydraulique (14) étudiés par Edward Lorenz (15). Ce sont des système apériodiques qui tendent à se reproduire sans jamais y parvenir. En visualisant leur comportement, on obtient une courbe qui, pour citer James Gleick à propos de l'attracteur de Lorenz (16) (Fig. 4), est « d'une complexité infinie. Elle restait contenue dans certaines limites sans déborder de la page ni repasser sur elle-même. Elle décrivait une forme étrange, très particulière, une sorte de double spirale à trois dimensions, comme les ailes d'un papillon. Cette forme signalait la présence d'un désordre à l'état pur: aucun point ou groupe de points n'y paraissaient deux fois. Pourtant elle signalait également la présence d'un ordre insoupçonné ». Un tel système forme un « attracteur étrange », comme une face de hibou, objet bizarre, entrelacé à l'infini.
"Fig 4 Attracteur de Lorenz
Tel que nous l'avons défini, un système d'information est semblable à un système complexe, non linéaire et l'attracteur de Lorenz convient bien pour le représenter. En effet un SI tourne autour de deux domaines ou points d'ancrage, l'implicite et l'explicite. Chacun forme un « bassin d'attraction » et les transformations provoquent des passages continuels de l'un vers l'autre. En se combinant les deux attractions forment l'attracteur informationnel qui engendre l'orientation générale du système d'information.
L'ancrage implicite prend en compte l'importance du non dit, les visions, les souhaits, les demandes des différents agents de l'organisation, leurs échanges informels au sein de groupes de travail, leurs capacités de réaction et leurs possibilités d'initiative face à l'environnement, c'est-à-dire celles d'amorcer des boucles de rétroaction. L'ancrage implicite se rapproche de la créativité, de l'innovation.
L'ancrage explicite concerne l'information codifiée, celle qui peut être transmise dans un langage formel et systématique. L'ancrage explicite exprime le degré de formalisation et d'explicitation de l'information atteint par l'entreprise. L'ancrage explicite englobe l'ensemble des technologies mises en oeuvre par l'organisation, la stratégie explicite, le contrôle, la gestion quotidienne et opérationnelle, la description des processus, les procédures, la communication structurée.
Les étendues et les forces des bassins d'attraction vont générer des passages, des zones de tension et de partage entre les deux attractions. Elles se « répondent » l'une à l'autre comme un écho. Ainsi les besoins implicites des agents vont provoquer un appel vers la composante explicite pour obtenir de nouveaux moyens de travail via le développement de technologies existantes ou l'acquisition de nouvelles technologies. La demande va générer un supplément d'explicitation dans le système informationnel avec l'analyse et la mise en place d'un projet destiné à la satisfaire. Il y a passage, en quelque sorte, d'un bassin à l'autre. Mais il y aura aussi apparition de tensions au cas ou la réponse donnée est trop limitée, insatisfaisante, ou s'il en résulte la domination d'une attraction sur l'autre. Tel serait ainsi le cas d'agents qui refusent d'accepter de réelles contraintes technologiques ou, à l'inverse, qui imposent une forme de technologie au détriment des besoins.
L'analyse des attractions va permettre de connaître l'attracteur informationnel du SI et d'en montrer le comportement. Pour ce faire, nous utilisons cinq variables interdépendantes qui caractérisent les bassins d'attraction et rendent compte de leurs interactions. Dans chaque domaine, elles varient entre deux pôles ou valeurs extrêmes propre au domaine considéré.
Le tableau ci après donne la synthèse des variables.
Tableau 1 : synthèse des variables
variables | dimensions | implicite | explicite | ||
---|---|---|---|---|---|
pôles | pôles | ||||
temps | temporelle | court terme | long terme | réel | différé |
espace | spatiale | limité | non limité | limité | non limité |
focntion | prise de décision | vertical | horizontal | exécution | conception |
usage | information nécessaire et suffisante | analyse | synthèse | exhaustivité | synthèse |
contexte | culturelle | individuel (requin) | collectif (dauphin) | opérationnel | communication intégration |
La force ou la faiblesse des variables par rapport aux pôles se marque par des séries de + ou de - selon la convention suivante:
Force | Faiblesse | |
---|---|---|
Faible | + | - |
Moyenne | ++ | -- |
Forte | +++ | --- |
Très forte | ++++ | ---- |
Pour illustrer le mécanisme du tableau, prenons l'exemple de la variable fonction d'un SI dans lequel les tâches à accomplir sont bien définies et connues des agents et où il s'agit avant tout de suivre les processus existant. On aura
Tableau 2 : fonctionnement
variable | dimensions | implicite | explicite | ||
---|---|---|---|---|---|
pôles | pôles | ||||
fonction | prise de décision | vertical | horizontal | exécution | conception |
variation |
++++ | -- | +++ | - |
Chaque variable peut par ailleurs être représentée sur un axe (Fig. 5). Les pôles sont situés à égale distance du centre de l'axe. Le milieu de l'axe traduit le passage d'un pôle de variation à l'autre. Chaque variable prendra donc deux valeurs, une de chaque côté du milieu de l'axe, dont la combinaison traduit son influence, dans l'exemple choisi, l'importance de l'exécution sur la conception. Chaque variable représente ainsi une « tension » entre les pôles.
On peut donc « visualiser » un attracteur informationnel, ses deux attractions, leurs variables et les pôles entre lesquels elles oscillent. Il y aura deux groupes de cinq axes chacun, l'un pour l'attraction implicite et l'autre pour l'attraction explicite. Ils se croisent chacun en leur centre. Sur chacun des axes, nous reportons les valeurs attribuées aux variables. En rejoignant les points obtenus pour les valeurs des variables, l'attracteur émerge formé de deux polygones, un pour chaque bassin d'attraction. La figure 6 (voir plus loin) montre un exemple d'attracteur.
La valeur des variables dans un SI donné n'est pas le résultat de mesures précises. C'est la traduction d'une croyance vraie et justifiée quant à l'importance de la variable sur une échelle allant d'un pôle à l'autre: du temps réel au temps différé, de l'exécution à la conception, du vertical à l'horizontal, etc. Ce travail, essentiellement qualitatif, repose d'abord sur de nombreux débats avec les acteurs clés de l'entreprise et sur la lecture des chartes et documents de base de manière à bien comprendre la stratégie, la manière dont elle est élaborée et mise en pratique. Il faudra revenir souvent vers eux afin de valider constamment les résultats des observations et les hypothèses formulées. Il s'agit aussi d'acquérir une bonne compréhension des processus de décision, des activités exercées par l'entreprise et des technologies employées pour produire et utiliser les informations. Il existe incontestablement une part de subjectivité dans les valeurs attribuées aux variables d'un SI.
Nous avons appliqué le concept d'attracteur à l'analyse des systèmes informationnels de plusieurs entreprises. Les exemples que nous présentons sont construits à partir des résultats d'observations et d'expériences effectuées au cours de nombreuses incursions dans divers systèmes d'information. Ils s'inspirent d'entreprises précises mais n'en reflètent pas nécessairement la réalité actuelle, surtout pour les exemples de tension et de rupture. Ils ne préjugent en rien de l'efficacité des entreprises concernées. L'objectif est de concrétiser l'attracteur en montrant qu'il permet de penser autrement les systèmes informationnels, d'en percevoir la nature profonde et de différencier plusieurs types d'attracteurs informationnels.
Le partage
Le premier exemple concerne l'attracteur du système d'information d'une organisation non gouvernementale internationale. La synthèse des observations montre que l'information y joue un rôle indispensable pour la réalisation de ses missions. Pour répondre aux urgences, elle doit connaître précisément les contextes dans lesquels elle opère, anticiper et identifier ses domaines d'intervention, en préciser le périmètre et réutiliser constamment les résultats des expériences vécues. Elle utilise l'information pour informer et sensibiliser l'opinion, faire pression sur les pouvoirs public, motiver les donateurs pour ses campagnes de collectes de moyens financiers et documenter ses appels aux bailleurs de fonds institutionnels. L'organisation produit donc en abondance des informations de qualité. Malgré cette quantité d'information, elle se sentait fréquemment dans la situation de devoir « réinventer » ce qu'elle connaissait déjà, sans pouvoir tenir compte des expériences vécues. De plus, les technologies utilisées (courrier, disques partagés, système de gestion des documents) contribuaient à nourrir un certain chaos informationnel. Il fallait remédier à cette situation.
La culture de l'entreprise est très forte caractérisée par la motivation et la personnalité des acteurs, leur sens d'une communauté d'action et leur aisance à bien se situer dans le court terme et dans la durée. Les échanges d'information s'effectuent facilement et les capacités de rétroaction sont très élevées. Le débat est fréquent et s'exprime au travers de documents largement diffusés et commentés. Le non dit, l'implicite de l'organisation est particulièrement développé. Chaque document important est la résultante d'une somme de discussions, de savoir-faire et d'expériences. Les technologies utilisées sont simples et maîtrisées et, malgré l'effet pervers mentionné plus haut, elles favorisent l'échange et la communication. La structure de l'organisation est matricielle et assez bien intégrée.
L'observation des variables du SI confirme l'analyse globale.
Tableau 3 : partage - temps et espace
variable | pôle | implicite | explicite | pôle |
---|---|---|---|---|
variations | ||||
temps | court terme | +++ | +++ | réel |
long terme | +++ | +++ | différé | |
correspondance |
||||
espace | limité | +++ | +++ | limité |
non limité | +++ | +++ | non limité | |
correspondance |
Les variables « espace » et « temps » sont équilibrées autour des points d'ancrage. Dans l'implicite, toute action à court terme se situe naturellement dans une perspective à long terme et l'entreprise intègre bien les différences culturelles. Dans l'explicite, les réseaux de communication et les systèmes de rapport mis en œuvre par l'organisation, de même que le rythme d'utilisation lui permettent d'obtenir et d'échanger les données et les informations nécessaires, là et quand il le faut. Il y a correspondance entre les 2 domaines.
Tableau 4 : partage - fonction
variable | pôle | implicite | explicite | pôle |
---|---|---|---|---|
variations | ||||
fonction | vertical | + | +++ | exécution |
horizontal | +++ | + | conception | |
correspondance faible |
La variable « fonction » est marquée dans l'implicite par l'esprit d'initiative et une grande capacité à intégrer l'incertitude ce qui est conforme à la culture de l'entreprise. La valeur de l'« horizontal » est donc élevée. L'attraction explicite montre que les outils nécessaires sont disponibles pour l'accomplissement du travail (valeur de l'« exécution » de la variable « fonction ») mais leur potentiel conceptuel reste faible par rapport à la forte demande qui résulte du niveau élevé atteint par la valeur « horizontal » dans l'attraction implicite. Il y a correspondance entre les domaines mais elle est plus faible.
Tableau 5 : partage - usage
variable | pôle | implicite | explicite | pôle |
---|---|---|---|---|
variations | ||||
usage | analyse | +++ | +++ | exhaustivité |
synthèse | +++ | + | synthèse | |
correspondance |
Les fortes capacités d'analyse et de synthèse des acteurs caractérisent le domaine implicite dans la variable « usage ». Elles peuvent certes s'appuyer sur l'importance de l'« exhaustivité » dans l'attraction explicite, mais les systèmes utilisés manquent de moyens pour synthétiser (faiblesse de la valeur « synthèse »). Et quand la production d'informations explicites est très abondante et indifférenciée, l'exhaustivité peut devenir envahissante. Il y a cependant correspondance entre les 2 domaines.
Tableau 6 : partage - contexte
variable | pôle | implicite | explicite | pôle |
---|---|---|---|---|
variations | ||||
contexte | individuel (requin) | - | +++ | opérationnel |
collectif (dauphin) | +++ | - | communication intégration | |
correspondance faible |
Dans l'attraction implicite, la variable « contexte » est très nettement marquée par la culture de l'organisation. La communication entre les agents, à tout niveaux, est naturelle et facilitée par la structure de l'entreprise. La valeur « dauphin (collective) » est élevé et contribue à rendre harmonieux le fonctionnement d'un rassemblement de fortes personnalités. Dans l'attraction explicite, le poids de l'intégration est trop faible en regard de l'appel provoqué par le niveau atteint par la valeur collective de la variable « contexte » dans l'attraction implicite. Le pôle opérationnel qui permet quant à lui la production et le partage d'informations est très fort. Il y a correspondance entre les domaines mais elle est plus faible.
En conclusion, l'intelligence collective existe bien dans l'entreprise mais elle reste dans la part implicite du système informationnel. Elle n'apparaît pas explicitement car elle n'est pas modélisée, synthétisée vu la faiblesse de la valeur « intégration » de la variable « contexte » dans l'attraction explicite et le déficit d'outils de synthèse (variable « usage ») et de conception (variable « fonction »). L'organisation doit souvent reconstruire à partir des données existantes et de nombreuses discussions une information par ailleurs potentiellement disponible mais « cachée », c'est-à-dire consacrer du temps et des efforts à rechercher, collecter et synthétiser. Les correspondances entre les variations des dimensions des variables dans les deux ancrages sont cohérentes et le passage de l'un à l'autre se fait facilement: il existe un bon écho entre les deux. Les bassins d'attraction occupent des surfaces similaires et le recouvrement de leurs bassins respectifs marque la présence d'une zone de partage entre les deux domaines.
La figure suivante représente l'attracteur informationnel de l'organisation, obtenu en reportant sur les axes les valeurs des variables. On remarquera le creux dans l'attraction explicite (faiblesse de l'intégration dans la variable « contexte ») ainsi que la faible valeur de la synthèse dans la variable « usage » et de la conception dans la variable « fonction ».
Cette analyse a eu des conséquences pratiques. En effet, la première réaction eût été de se procurer et mettre en place la technologie manquante pour pallier le manque d'outils de conception et d'intégration et de se lancer dans une démarche d'explicitation de toute l'information. Mais avec l'attracteur présent à l'esprit, la solution consista dans l'amélioration de la valeur « intégration » de la variable « contexte », point faible du SI, empêchant l'expression de l'intelligence collective, en travaillant à la fois les domaines culturels, organisationnels et techniques et en réfléchissant à la nature de l'information, à son utilisation et à sa signification pour l'entreprise. L'investissement technologique fut insignifiant: l'organisation a réussi « à faire plus avec moins ».
La tension
Le second exemple d'attracteur est une reconstruction. Il concerne l'attracteur d'un sous système d'information dépendant du système global assurant la gestion opérationnelle et comptable d'une institution financière de grande taille, tel qu'il avait été construit aux débuts de l'informatisation des services bancaires, fin des années 60 du siècle dernier. Avec le développement des activités internationales dans la décennie qui a suivi, et notamment celles de la salle des marchés, les besoins en matière de contrôle de gestion se sont faits de plus en plus pressants et exigeants.
Le sous système d'information dont il est question servait à ce moment des départements aux responsabilités différentes, les uns concernés par la gestion globale et les autres par les activités internationales dont une branche très particulière et spécifique, la salle des marchés.
Le tableau 7 donne la synthèse des observations sur les variables du système.
Tableau 7 : attracteur de tension - synthèse des variables
variable | pôle | implicite | explicite | pôle |
---|---|---|---|---|
variations | ||||
temps | court terme | +++ | --- | réel |
long terme | +++ | +++ | différé | |
opposition |
||||
espace | limité | + | +++ | limité |
non limité | +++ | --- | non limité | |
opposition |
||||
fonction | vertical | - | +++ | exécution |
horizontal | +++ | -- | conception | |
opposition |
||||
usage | analyse | ++ | +++ | exhaustivité |
synthèse | +++ | ++ | synthèse | |
correspondance | ||||
contexte | individuel (requin) | ++ | +++ | opérationnel |
collectif (dauphin) | +++ | -- | communication intégration | |
opposition faible |
Dans l'ancrage implicite, l'accent sur le « long terme » et le « non limité » des variables « temps » et « espace », ainsi que le poids des valeurs « collective » et « synthèse » dans les variables « contexte » et « usage », traduisent la volonté de maîtrise spatio-temporelle et globale de la rentabilité dont le contrôle de gestion est le gardien. Le poids du « court terme » traduit le fait que le marché bouge tout le temps. L'importance relative de « l'horizontalité » dans la variable « fonction », reflète l'insécurité liés aux activités de marché.
L'attraction explicite est entièrement dominée par le système opérationnel et comptable, travaillant en temps différé, dans un espace national et donc limité. Il y a opposition, car les valeurs atteintes par ces mêmes variables dans l'implicite auraient exigé du temps réel et un espace non limité. Les variables « fonctions », « usage » et « contexte » vont toutes dans le sens de l'exécution, de l'exhaustivité et de la gestion opérationnelle. Là encore, l'attraction implicite aurait demandé pour ces variables, un meilleur répondant explicite, avec des valeurs plus marquées en « conception », en « synthèse » et en « intégration ». La figure 7 représente l'attracteur du système.
Les ancrages implicite et explicite sont déséquilibrés. L'ancrage explicite est dominé par un système informatique bien conçu et efficace pour traiter des besoins strictement opérationnels et comptables. Pour ses utilisateurs, ce système détient, en quelque sorte, l'unique vérité de l'entreprise. C'est un facteur psychologique important. L'ancrage implicite est faible, axé sur de nouvelles activités et marqué par deux tendances opposées dans le management. Les uns veulent démontrer la rentabilité des nouvelles activités, mais aussi couvrir leurs responsabilités vis à vis de l'institution. Les autres, au contraire, s'efforcent de prouver que la rentabilité est exagérée, incertaine, et qu'elle ne couvre pas les risques pris. Enfin beaucoup de responsables éprouvaient des difficultés à comprendre la nature même des opérations de la salle des marchés.
Il existe une zone commune entre les bassins d'attraction. Elle tient au fait que, malgré l'inadéquation du système explicite aux besoins, il restait la seule source d'informations officiellement reconnue par la comptabilité, les commissaires et réviseurs aux comptes et les autorités de contrôle prudentiel. Il fallait donc partir de ces informations, les analyser et les ré-interpréter dans une optique « salle de marché ». Cet effort se traduit par les poids de la synthèse et de l'exhaustivité de la variable « usage » dans les domaines implicites et explicites. Les deux attractions ne se correspondent que sur ce plan et s'opposent sur le reste. Les surfaces des bassins d'attraction sont différentes. L'attraction explicite est plus étendue, plus forte et domine l'attraction implicite.
Il existe une tension entre les deux bassins d'attraction: même s'ils possèdent une zone de recouvrement, le partage ne se fait pas réellement. L'attraction explicite domine.
Historiquement, cette tension dans l'attracteur explique que les responsables (gestion et salle des marchés) aient développé séparément des systèmes propres, conçus comme des excroissances du système comptable. Mais la dominance de l'attraction explicite les a entraînés à vouloir que les informations sorties des trois systèmes (comptable, gestion, salle) soient identiques. Malgré la dépense en temps et ressources, les résultats n'ont jamais donné satisfaction. Ce type d'attracteur explique la persistance des trois phénomènes qui ont présidé à notre réflexion.
Les différences entre l'attraction réelle explicite et l'attraction explicite, telle qu'elle eût été souhaitée en fonction de l'attraction implicite, étaient trop grandes. L'attracteur, dominé par l'attraction explicite, « attirait » constamment le système la gestion opérationnelle et comptable. Il n'était pas possible de changer l'attraction et rapprocher les domaines en conservant les mêmes hypothèses de base. Il eût fallu construire un autre système, complémentaire, en partant d'hypothèses différentes tout en gardant la cohérence finale des informations avec le système comptable.
La rupture
Le troisième exemple analyse l'attracteur informationnel d'une entreprise, issue d'un institut de recherche, travaillant dans le génie logiciel et développant les services qui les accompagnent. Les deux secteurs d'activité appartenaient à deux entités distinctes. Avec le temps, l'évolution des marchés et des besoins des clients, la production de logiciels et les services ont fini par se spécialiser chacun de leur côté. Ils se sont mis à diverger d'autant plus qu'une volonté de croissance a poussé l'entreprise à en racheter d'autres dont les activités étaient plus ou moins similaires à la sienne.
Du fait de ses origines historiques, la culture de l'entreprise est restée relativement forte, caractérisée par un esprit pionnier. L'attraction implicite en témoigne, avec les valeurs « synthèse », « horizontale » et «collective » des variables « usage », « fonction » et « contexte ». (Voir le tableau 8 pour la synthèse des observations)
Cependant, en raison de l'évolution de l'entreprise et de son type de croissance par acquisitions successives, l'attraction implicite fut progressivement dominée par une orientation très marquée par le court terme, engendrée par la recherche du résultat immédiat et par un style de management très individuel. Les changements de management et les modifications de structure sont d'ailleurs nombreuses. Les valeurs « court terme » et « individuel » des variables « temps » et « contexte » ont fini par déterminer le caractère de l'attraction implicite.
Tableau 8 : attracteur de rupture - synthèse des variables
variable | pôle | implicite | explicite | pôle |
---|---|---|---|---|
variations | ||||
temps | court terme | ++++ | indéterminé | réel |
long terme | -- | indéterminé | différé | |
opposition |
||||
espace | limité | +++ | indéterminé | limité |
non limité | +++ | indéterminé | non limité | |
opposition |
||||
fonction | vertical | +++ | ++++ | exécution |
horizontal | (++) | ---- | conception | |
opposition |
||||
usage | analyse | ++ | ++++ | exhaustivité |
synthèse | + | ---- | synthèse | |
opposition |
||||
contexte | individuel (requin) | ++++ | ++++ | opérationnel |
collectif (dauphin) | (++) | -- | communication intégration | |
opposition |
L'attraction explicite est orientée vers la production et le développement des logiciels fournis par l'entreprise. C'est dans cette optique que doivent être considérés les poids des variables explicites « contexte », « fonction » et « usage », marqués par les valeurs élevées de l' « opérationnel », de l'« exécution » et de l'« exhaustivité ».
Pour le reste, il existe des systèmes et outils de travail et de communication individuels que chaque agent utilise au gré de ses envies et de ses besoins: le système informationnel est « a-structuré ». L'intelligence collective existe sous différentes formes dans l'implicite mais elle est très fragmentée selon les cultures d'origine et les activités des personnes.
Dans l'attracteur du système (voir figure 8), les attractions ne se répondent pas et restent dans leurs bassins respectifs. Les centres des systèmes d'axes sont éloignés. Ils ne possèdent qu'un point de tangence qui marque simplement le fait que l'attraction explicite prend la main lorsqu'il s'agit de fournir à un client un des produits ou service de l'entreprise, et que l'attraction implicite domine, quant à elle, la gestion de l'organisation. L'attracteur bascule d'un bassin à l'autre selon le problème à résoudre. Pour « visualiser » l'attracteur, il faut regarder sa représentation comme si les surfaces d'attraction passaient constamment de l'avant à l'arrière plan. Avec ce type d'attracteur, la matière informationnelle reste dans un état de quasi-déshérence.
Il faut toutefois souligner que cette situation du système informationnel n'empêchait pas l'entreprise d'être efficace et de réaliser de très bons résultats. L'information mal ou non gérée n'empêche pas une entreprise d'être efficace.
Les différents exemples montrent différents archétypes d'attracteurs informationnels. Il en existe 3 selon qui différentient les situations d'attraction: le partage, la tension et la rupture.
L'attracteur de partage (Fig 9) (18) est celui où les bassins d'attraction sont globalement équilibrés et dans lequel les processus de transformation convergent vers la zone de partage des bassins d'attraction. Avec un attracteur de partage, lorsqu'un besoin est exprimé, il trouve directement sa traduction dans la mise en place de nouveaux outils, dans l'amélioration de processus existant, ... qui ont un effet de levier sur les potentialités de l'organisation. La créativité peut dès lors se traduire en projets concrets. Il y a cohérence et adéquation entre la culture de l'organisation, les besoins, les informations et les outils disponibles. Le SI de l'entreprise est géré et cette gestion tend à faire évoluer l'attracteur vers un partage optimal. Comme on l'a vu dans l'exemple de l'ONG, les problèmes informationnels trouvent plus facilement une solution.
Dans les attracteurs de tension (Fig 10), l'une des deux attractions est dominante. Les processus de transformation divergent et la zone commune des bassins d'attraction est l'enjeu d'une lutte. Lorsque l'attraction implicite domine, il n'y a pas de lieu pour l'apprentissage et le retour d'expérience. L'entreprise ne parvient pas à valoriser son potentiel de créativité, les projets ne décollent pas. Dans le cas inverse, la domination de l'attraction explicite étouffe les facultés d'innovation et laisse les besoins réels de l'entreprise sans réponse. On a vu dans l'exemple de la banque qu'il fut pratiquement impossible d'obtenir une réponse satisfaisante quant à la rentabilité des activités internationales. Dans les deux cas, technologies et procédures ne répondent pas de manière adéquate aux besoins. La gestion du SI de l'entreprise est dispersée entre les agents avec le plus souvent une trop grande prégnance de la technologie. L'évolution du SI passe par une remise en question des hypothèses sur lesquelles il est construit.
Le troisième type d'attracteur (Fig 11) concerne les attracteurs de rupture. Il n'existe ni cohérence ni adéquation entre les domaines implicites et explicites. Cela se marque essentiellement dans l'inadéquation du SI à la prise de décision et à l'exécution des tâches ainsi que dans une culture très individualiste. L'information est en complète déshérence et l'efficience du SI est nulle si pas négative. Les ressources informationnelles ne sont pas gérées. Il faudra des changements progressifs, systématiques et constants dans les deux attractions pour se diriger vers plus de partage ce qui suppose un changement de culture dans l'organisation.
Une remarque importante s'impose. Cette typologie ne préjuge en rien de l'efficacité des organisations. En effet nombre d'entreprises dégagent de très bons résultats alors que leur information ou d'autres ressources sont très mal gérées. Ces organisations sont efficaces mais inefficientes. L'efficacité mesure le résultat tandis que l'efficience mesure le rapport entre les moyens consacrés et les résultats obtenus. On peut donc être très efficace sans être efficient. Les résultats pourraient être cependant supérieurs avec un meilleure gestion des ressources informationnelles.
L'attracteur donne une vue globale d'un système ou sous système d'information et en décrit le comportement. Il donne ainsi la possibilité d'agir sur le SI afin d'arriver à une meilleure utilisation des ressources informationnelles.
La présence d'un attracteur de partage est la situation optimale. Elle permet de distinguer les zones de faiblesse du SI et de voir ce qu'il faut faire pour les renforcer. Comme on le verra plus loin, ce type d'attracteur est le seul qui facilite l'émergence d'une spirale de connaissance. Avec les attracteurs de tension, l'amélioration du SI passe d'abord par le changement des hypothèses de base qui ont présidé à son élaboration. Cette démarche n'est pas facile à faire admettre et accepter par les acteurs concernés. Les attracteurs de rupture, à notre avis les plus nombreux, présentent pour le SI un défi considérable car il s'agit d'opérer un changement dans la culture de l'organisation.
Améliorer un SI en présence d'attracteurs de tension ou de rupture se heurte donc à des barrières psychologiques considérables. Outre la résistance au changement, la plupart des managers veulent obtenir, en matière d'information, des résultats immédiats et ne retiennent que les produits technologiques « clés sur porte ». Or l'approche par les attracteurs nécessite une réflexion de fonds sur l'information.
Comme nous l'avons déjà mentionné, les valeurs attribuées aux 5 variables d'un SI sont le résultat d'une croyance vraie et justifiée dans l'importance donnée à la variable. Elles résultent du travail d'observation que nous avons esquissé en décrivant les variables. Ce travail s'apparente à une maïeutique informationnelle. Il s'agit d'amener l'entreprise elle-même à « accoucher » du système informationnel dont elle est porteuse. Il a pour objectif de cerner domaines, transformations et passage et de faire émerger l'attracteur. Pour ce faire, il s'appuie sur une cartographie du SI qui démontre sa sensibilité aux cinq variables. Il peut être individuel ou collectif. Dans le premier cas, l'observateur utilise l'attracteur comme outil d'analyse afin de trouver la solution à un problème (l'exemple de l'attracteur de partage). L'autre approche consiste à former un petit groupe de personnes motivées, connaissant bien l'entreprise et de dresser ensemble les cartes du SI.
Il existe bien sur bien des nuances entre ces deux extrêmes. Des contraintes sont cependant à respecter. Dès l'abord, il faut toujours conserver la vision d'ensemble. L'échelle des cartes ne sera ni trop grande, pour ne pas se perdre dans les détails, ni trop petite pour conserver les points de repère significatifs. Ensuite il est indispensable de valider en permanence les hypothèses et les résultats. Enfin il faut éviter de tomber dans trois pièges: détourner le travail pour entreprendre soit un travail de ré-ingénierie du SI , soit un projet de gestion des connaissances, c'est-à-dire faire expliciter par les acteurs la part tacite de leur savoir, soit se livrer à un choix de technologies.
Nous mentionnons brièvement les trois jeux de cartes utilisés dans la cartographie (19). Le premier est celui qui permet de parcourir les processus génériques de l'entreprise et certains processus générés, spécifiques et essentiels, sans lesquels elle serait incapable de fonctionner. Le second jeu est celui des usages informationnels qui associe à chaque carte du premier jeu les informations, implicites et/ou explicites, que le processus utilise et produit lors de son exécution. C'est un agrandissement des cartes des processus vues sous l'angle informationnel. Le troisième jeu de cartes montre les suites de transformations de données en informations, leurs agrégations et les différentes vues des triangles opérateurs sur les informations. Les trois jeux de cartes sont complétés les technologies avec leurs historiques, les objectifs de départ et la description de l'utilisation réelle qui en est faite.
Nous avons vu que dans un système informationnel les champs de l'implicite et de l'explicite sont liés. Il existe dans l'attracteur un lieu commun- quelle que soit par ailleurs sa « surface »- dans lequel les forces d'attraction entrent en compétition. Ce mélange des attractions caractérise l'attracteur et lui donne sa force. Cet espace est un lieu de partage, de tension ou de rupture.
Considérons maintenant le modèle (20) SECI (Fig. 8) de Nonaka et Takeushi (21) qui décrit la création d'une spirale de connaissance par les passages de la connaissance implicite vers la connaissance explicite. Très brièvement, les échanges informels devant « la machine à café » (connaissance sympathique) se transforment progressivement en concepts (connaissance conceptuelle). Ceux ci sont combinés pour former un système (connaissance systémique) qui est alors opéré, intériorisé- c'est le retour vers l'implicite (connaissance organisationnelle)- et on se retrouve finalement devant la machine à café. Mais c'est une nouvelle machine et le café est meilleur. La boucle recommence et la spirale de connaissance est amorcée. Chaque cadrant forme un « ba », concept que Nonaka et Konno (22) ont introduit en poursuivant leur réflexion sur la formation de connaissances dans l'entreprise et mieux l'expliquer. Le « ba » pourrait se traduire grossièrement en français par « lieu » ou « espace », un espace partagé pour des relations émergentes.
Nous avons défini la connaissance comme l'ensemble des informations qui permettent d'agir. Elle émerge donc du SI qui constitue la source où la spirale prend naissance. L'attracteur informationnel est alors la force qui déclenche et entretient le mouvement de la spirale.
L'espace commun partagé des bassins d'attraction forme un « ba », un lieu virtuel d'échanges entre les deux attractions de l'attracteur. Le passage d'une étape de la connaissance à l'autre ne peut se faire harmonieusement que si l'attracteur du système d'information est du type partagé. Dans ce cas, la partie commune des bassins d'attraction forme comme un « ba de synthèse », ou « ba d'intégration », un espace à partir duquel le processus dynamique de création de connaissances peut se déployer et amorcer sa spirale créative. Cette dernière exerce une rétroaction sur l'attracteur informationnel par le biais des changements résultant d'une accumulation de nouvelles informations via l'intériorisation.
Les autres types d'attracteur auraient comme effet de déséquilibrer la création de connaissances soit en donnant trop d'importance à certains processus de transformation (attracteur de tension) soit en les dissociant complètement (attracteur de rupture) et en empêchant par-là les passages de l'implicite à l'explicite. Autrement dit, la spirale ne « couvrirait » pas les passages d'un domaine à l'autre mais se diviserait, une pour chaque domaine.
On admet volontiers que l'information est une ressource et qu'elle exerce un effet de levier important sur toutes les autres ressources de l'organisation. Notre pratique nous montre qu'en général l'information n'est pas gérée au même niveau de responsabilité et d'importance que les ressources financières, humaines, technologiques, ...
Optimaliser l'information demande une bonne connaissance du SI qui constitue un système complexe adaptatif. Mais il y a un refus de cette réalité. Trop souvent le système est décomposé et géré par morceaux ce qui, nous l'avons vu, détruit des aspects essentiels de son comportement et de sa structure. La technologie exerce également son emprise trop prégnante qui rassure les managers mais génère une vision réductrice du système. On confond également connaissance et information, sans bien réaliser que la connaissance est issue du SI et qu'il ne sert à rien de tout vouloir expliciter. Le domaine de l'information implicite reste toujours présent et résistera à toutes les tentatives pour le faire disparaître tout simplement parce qu'il constitue une part intime de l'expérience tant individuelle que collective des acteurs de toute société ou organisation.
Il faut saisir un système informationnel dans son ensemble pour pouvoir en comprendre le comportement, rendre compte de l'entrelacs des passages, des transformations et des rétroactions entre les composants et domaines de la matière informationnelle et mesurer sa sensibilité aux cinq variables dont il dépend.
C'est ici qu'intervient l'attracteur informationnel. Il explique le SI. En caractérisant l'attraction du système, il donne les raisons pour lesquelles telle ou telle évolution est possible ou non. Son analyse indique les motifs et la nature des changements à effectuer et leur direction. C'est par la connaissance de l'attracteur qu'on peut valoriser au mieux les ressources informationnelles. C'est une autre approche, différente, qui exige une réflexion de fonds sur l'information.
Notre dernière conclusion aura trait à l'importance du facteur humain dans les systèmes d'information. C'est l'acteur essentiel, irréductible à la technologie. Le savoir, la connaissance résident toujours en dernier ressort chez les femmes et les hommes. Seuls ils possèdent la capacité de les faire émerger.
Notes
0) Alain Tihon est consultant en stratégie d'information et gestion des connaissances et en ré-ingénierie des processus. Il est diplômé en économie appliquée (ICHEC Bruxelles). Il possède une longue expérience dans le management de l'information dans le secteur bancaire où il a exercé de nombreuses fonctions de management dans des secteurs variés. Il a crée Spin out en 1997 pour conseiller les entreprises et les ONG dans leurs choix stratégiques en matière de systèmes d'information et de connaissances. Il a publié différents articles: « L’intelligence économique dans la PME : visions éparses, paradoxes et manifestations », Coordonné par Alice Guilhon, L’Harmattan 2004 (En collaboration avec Marc Ingham, professeur IUM), « L’attracteur informationnel » Cahier de la Documentation 2005/1, Mars, « A different approach to information and knowledge management » publié sur :« http://www.knowledgeboard.com/lib/3493 » Il est l'auteur du livre, « Les attracteurs informationnels » publié par les éditions Descartes & Cie, Paris, 2005.
1) Les attracteurs informationnels, Alain Tihon, Descartes & Cie, Paris, Collection Interface-économie 2005
2) Byosiere P., Ingham, M. « Création de connaissances et innovations », Revue française de gestion, mars-avril-mai 2001
3) La loi de Parkinson énonce que «Une tâche nécessite toujours tout le temps dont on dispose pour l'effectuer». Si un manager dispose de 10 personnes pour effectuer une tâche qui en demande normalement 5 pendant un mois, il réussira toujours à occuper les 10 à cette même tâche pendant un mois ». In « 1 = 2 ou les règles d'or de Mr. Parkinson », Parkinson C. Northcote, Robert Laffont, Paris, 1957. Le principe de Peter: « Dans une hiérarchie, chaque employé tend à s'élever jusqu'à son niveau d'incompétence » et certains le pulvérisent, ajoutent les mauvaises langues. In « The Peter Principle » Dr Laurence J. Peter and Raymond Hull, Pan Books 1970.
4) « Les attracteurs informationnels » op cit. Nous suivons l'explication donnée par Rafael Capurro dans « ON THE GENEALOGY OF INFORMATION » , papier publié pour la première fois dans: K. Kornwachs K. Jacoby Eds. « Information. New Questions to a Multidisciplinary Concept », Akademie Verlag Berlin 1996, p. 259-270.
5) Tiré de Ikujiro Nonaka, Noboru Konno, The Concept of "Ba’: Building Foundation for Knowledge Creation. California Management Review, Vol 40, No.3 Spring 1998.
6) Dans la suite, le terme information couvre en fait le triplet donnée, information, connaissance.
7) Par agent, nous entendons soit une personne, soit un ou plusieurs groupes, formels, par exemple un groupe de travail pour un projet, ou informels, soit un morceau de la structure ou d'un système de l'organisation.
8) Neil McBride in « Chaos Theory and Information Systems », Department of Information Systems, Faculty of Computing Sciences and Engineering, De Montfort University, Leicester, GB.
9) In « Chaos Theory and Information Systems ». Op cit.
10) Une transformation est une fonction d'opérateurs et d'opérations.
11) « Les attracteurs informationnels » pp 80, op cit. Voir “Complexity , The Emerging Science at the Edge of Order and Chaos”, le chapitre consacré à John H. Holland pp 144 et suivantes.
12) In « Management et complexité: Concepts et théorie » R.A. Thiétart, Cahier n°282 Avril 2000 CENTRE DE RECHERCHE DMSP, Dauphine Marketing Stratégie et Perspectives.
13) Ces exemples sont tirés de « La théorie du chaos. Vers une nouvelle science » , James Gleick, Albin Michel 1989
14) Des seaux percés sont accrochés à la jante de la roue. L'eau se déverse en haut de celle-ci. A un certain niveau de débit, la roue se met à tourner car le poids du seau supérieur déclenche un mouvement régulier. En augmentant progressivement le débit, il arrive un moment où le mouvement devient chaotique. Il n'est plus possible de prévoir le sens de la rotation.
15) Edward Lorenz est un mathématicien et météorologue américain qui a travaillé au Massachussets Institute of Technology d ans les années 60. C'est en travaillant sur la météo qu'il a découvert l'attracteur.
16) L'attracteur de Lorenz, « La théorie du chaos. Vers une nouvelle science » p 50, op cit.
17) Les comportements « dauphin » et « requin » caractérisent les dimensions collectives et individuelles de la variable. Ils sont expliqués dans « La Stratégie du Dauphin », Dudley Smith et Paul Kordes, les Editions de l'Homme, 1994.
18) Les polygones donnent une vue « statique » de l'attracteur d'un SI. En fait l'attracteur est un objet complexe et dynamique. Il faut l'imaginer dans l'espace. Les ellipses donnent , mutatis mutandis, une représentation générale plus conforme à l'attracteur de Lorenz.
19) Voir « Les attracteurs informationnels » op cit, pp 127 et suivantes.
20) S= socialisation, E = externalisation, C = combinaison et I = intériorisation.
21) In Nonaka I. Takeuchi H. ( avec des contributions de M. Ingham). « La connaissance créatrice : la dynamique de l’organisation apprenante », De Boeck, Collection management, Bruxelles, 1997
22) Voir Ikujiro Nonaka, Noboru Konno, op. cit.
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