N°8 décembre 2008

Sommaire - N°8, Décembre 2008

Comptes-rendus d'expériences :

Evénements :

Editorial no.8

Editorial no.8

RESSI existe maintenant depuis quatre années. L’heure est venue de faire un bilan. Afin d’avoir un regard neuf – objectif, mais aussi neuf par rapport à notre discipline – nous avons choisi de confier le travail à un groupe d’étudiants de 2ème année du Département Information documentaire de la Haute école de gestion de Genève. Marylène Goulet, Cédric Pella et Maurizio Velletri vont faire ce bilan et envisager des développements possibles; au Comité de rédaction ensuite de juger l’application des recommandations émises. Nous espérons pouvoir vous proposer un nouveau concept en 2009, une revue électronique partiellement ou entièrement rénovée.

Dans ce numéro 8 vous pouvez lire un article proposé par Jocelyne Jerdelet et Sandrine Reyes, toutes deux au Service de l’Information Scientifique à l’Organisation Européenne pour la Recherche Nucléaire intitulé La théorie sur la « voie verte » de l’Open Access. Les auteurs nous relatent comment le CERN, depuis de longues années sensibilisé à la mise à disposition de la littérature grise, notamment dans le domaine de la physique des particules, conserve, stocke et diffuse la littérature grise en se positionnant dans le courant de la voie verte de l’Open access.
Giovanni Gregoletto et Didier Grange, des Archives de la Ville de Genève, ont revu et adapté le texte d’Alfred Garcia i Puig, Un exemple de coopération et de solidarité : les 10 ans d’ « Archivistes sans frontières ». Dans le cadre d’une conférence donnée lors du Forum des Archivistes, en novembre 2007, à Genève, le vice-président de l’association a présenté quelques actions mises en oeuvre pour protéger, conserver et défendre le patrimoine documentaire en danger de disparition ou de dommage irréversible.
Vous pouvez lire ensuite un compte-rendu de Jacqueline Deschamps, François Courvoisier et Françoise Simonot, organisateurs de la 5ème journée franco-suisse en intelligence économique et veille stratégique : Intelligence économique et gestion des risques : mieux maîtriser l’incertitude. Ce rendez-vous du mois de juin montre l’intérêt des entreprises et des institutions pour le domaine.
Vous trouverez également un article de Florence Muet, de la Haute école de gestion, Quels services d’information documentaire aujourd’hui ? qui nous présente quelques piste de réflexion sur la nouvelle vision des services d’information documentaire et leur mode d’intervention.

Fidèles à nos deux livraisons annuelles, même si ce numéro 8 n’est pas aussi riche de contributions que nous le souhaitions, l’année 2009 s’annonce pleine de promesses, mais il reste évident qu’une revue ne peut vivre sans la participation des auteurs qui lui apportent sa matière première.

La Théorie sur la "voie verte" de l’Open Access

Jocelyne Jerdelet, CERN, Genève

Sandrine Reyes, CERN, Genève

La theorie sur la «voie verte» de l'Open Access

1. Le libre accès – Open Access (OA)

Le mouvement du libre accès désigne l’ensemble des initiatives prises pour une mise à disposition des résultats de la recherche au plus grand nombre, sans restriction d’accès (libre et gratuit) pour les lecteurs, que ce soit par l’auto-archivage ou par la création de revues en libre accès.

  • L’auto-archivage sur un serveur institutionnel ou sur une page personnelle, communément appelé “la voie verte”, consiste à déposer par les auteurs une copie de leur article publié dans des archives électroniques en libre accès, avec l’accord de l’éditeur.
  • La publication dans des revues scientifiques en libre accès communément appelée “la voie or”, doit satisfaire à des exigences qualité, garanties par un comité de lecture. Son mode de financement permet une diffusion sans restriction d’accès et d’utilisation.

Le développement d’Internet, l’arrivée du World Wide Web (WWW), l’explosion des documents électroniques, l’augmentation du prix des abonnements des périodiques et le besoin d’accéder plus facilement et plus rapidement à l’information, sont les principaux facteurs qui ont contribué au développement de l’Open Access (OA).

Ce mouvement prend son essor en décembre 2001 à Budapest, lors d’une rencontre restreinte parrainée par l’Institut pour la Société Ouverte (Open Society Institute, OSI) [1], qui vise à harmoniser les différentes initiatives jusque là disparates.

Par la suite d’autres rencontres ont eu lieu, donnant naissance à trois textes fondateurs appelés "3B".

  • « Budapest Open Access Initiative (BOAI) » [2] - Février 2002 L’initiative de Budapest recommande deux stratégies pour le libre accès : La « voie verte » et la « voie or ».
  • « Bethesda Statement on Open Access Publishing (OAP) » [3] – avril 2003 La déclaration de Bethesda définit provisoirement la publication en libre accès.
  • « Berlin Declaration Open Access to knowledge in the Sciences and Humanities » [4] – octobre 2003 La déclaration de Berlin sur le libre accès à la connaissance en sciences exactes, en sciences de la vie, sciences humaines et sociales s’engage à promouvoir et à soutenir la diffusion gratuite de la connaissance via Internet. Cette déclaration est alors signée par le CERN.

2. Open Access au CERN (1) 

Depuis sa création, le CERN a toujours activement soutenu les principes de l'Open Access. Sa Convention, adoptée le 1er juillet 1953 par 12 Etats Membres (2) , stipule que « les résultats de ses travaux expérimentaux et théoriques [de l’Organisation] sont publiés ou de toute autre façon rendus généralement accessibles » [5].

En 1989, Tim-Berners Lee, scientifique au CERN, invente le World Wide Web [6] qui popularise l’Internet et ouvre la voie verte de l’Open Access.

En 1991, Paul Ginsparg, physicien à Los Alamos, met en place le premier serveur de documents électroniques, nommé hep-th (High-Energy Physics – Theory), première archive en libre accès connue aujourd’hui sous le nom d’arXiv (3)  ou encore le serveur de Cornell car maintenu par l’Université de Cornell.

En 1993, suivant le même exemple, le CERN ouvre son propre serveur de documents électroniques en libre accès (CDS (4)  - dépôt institutionnel) adapté aux besoins des chercheurs et des documentalistes. Les notices bibliographiques sont consultables via Internet sur ce catalogue en ligne, ainsi que le document accessible grâce à un lien hypertexte.

En 2005, le Comité de Direction du CERN adopte une nouvelle politique de libre accès concernant tous les résultats du Laboratoire, définie dans le document « Continuing CERN action on Open Access » [7]. Les auteurs sont encouragés à publier leurs travaux dans des revues scientifiques en libre accès.

En novembre 2006, les représentants des principales agences de financement européennes pour la Physique des Particules, de consortiums de bibliothèques et de la communauté scientifique se réunissent au CERN pour le lancement du projet SCOAP3 (5)  (Sponsoring Consortium for Open Access Publishing in Particle Physics). Son but est de changer le mode de financement des futures publications en Physique des Particules. L’accès libre à ces futurs articles serait financé, non plus par les abonnements aux journaux souscrits annuellement par chaque bibliothèque mais par un fond commun constitué grâce au transfert de ces fonds. Déjà soutenu par plusieurs bibliothèques et agences de financement européennes, SCOAP3 s’organise maintenant à un niveau mondial.

3. Le Service d’Information Scientifique (SIS) du CERN et l’Open Access

Le Service d’Information Scientifique du CERN, créé en 1955, a pour mission principale d’acquérir et de gérer l’information concernant les travaux du CERN et de la diffuser à la communauté scientifique, selon la « Circulaire Opérationnelle N°6 » [8].

En 1982, le SIS informatise son catalogue par la mise en place d’un système de gestion des données bibliographiques appelé ISIS (6)  fourni par l’UNESCO (7) .

En 1989, ISIS est remplacé par le logiciel ALEPH (8)  [ExLibris, Israel]. Ce système intégré, plus adapté aux besoins de la bibliothèque du CERN, propose différents modules utiles pour traiter tous types de documents (Catalogage, Gestion des copies, Prêt, Circulation, Acquisition, ...).

L’arrivée du Web, la démocratisation d’Internet et les avancées technologiques telles que la numérisation de documents et la mise en place de serveurs de documents électroniques en libre accès ont bouleversé les milieux scientifiques et bibliothéconomiques.

Le SIS reçoit régulièrement, via des listes de diffusion, des documents papier, rédigés par des scientifiques du CERN et d’autres Instituts de recherches. Ces pré-tirages sont catalogués puis numérisés. Plus tard, la soumission électronique par l’auteur se substitue au catalogage de la bibliothèque. Très vite, le support papier disparaît au profit d’un document électronique. C’est alors que débute l’ère de la bibliothèque numérique.

Le SIS s’adapte et développe un programme d’importation de notices bibliographiques provenant de bases de données des Instituts collaborant avec le CERN (SLAC (9) , DESY (10) ...), de serveurs de pré-tirages (arXiv) et de pages Web (autres instituts) pour remplacer les listes de diffusions et pour offrir aux chercheurs un accès quasi unique à l’information. Ainsi les résultats de recherche du CERN et d’autres instituts sont mis à la disposition de la communauté scientifique sur l’interface CDS à travers de nombreuses notices bibliographiques accompagnées de leurs fichiers électroniques.

En 2006, le Service d’Information Scientifique s’investit d’avantage dans la “voie verte de l’Open Access” en mettant en ligne la série complète des documents consacrés à la physique théorique (TH) du Laboratoire.

4. Choix de la Série Théorie

Le choix s’est porté sur les pré-tirages de la division Théorie car cette collection est la plus ancienne (juillet 1953 à décembre 2006) et la plus prolifique du CERN, avec un total d’environ 12000 documents.

Début 2006, à la demande de la Section Gestion des Documents du SIS, ces pré-tirages sont versés par le Secrétariat de la Théorie aux Archives Historiques et Scientifiques.

Depuis 1958, cette documentation fut répertoriée manuellement par liste dans des registres tenus par le Secrétariat TH et identifiée par un numéro de rapport unique.

5. Historique du catalogage de la série TH

Ces pré-tirages sous forme papier ne furent catalogués qu’à partir de 1982. Les données furent ensuite converties en format ISBD(M) (11)  dans le système de gestion informatique de données ALEPH. La numérisation, quant à elle, débute en 1990 pour les nouveaux documents.

Dès 1991, les auteurs de la théorie prennent l’habitude de soumettre leurs documents sur le serveur arXiv. A partir de 1994, pour rendre disponible cette documentation à travers le serveur du CERN, le SIS importe les métadonnées d’arXiv. Simultanément, l’institut KEK (12)  au Japon réalise un travail considérable de numérisation de pré-tirages en physique dont certains du CERN. Le SIS obtient alors l’autorisation de KEK de lier leurs numérisations aux notices bibliographiques du Serveur de Documents du CERN (CDS).

6. L’objectif du projet « voie verte de l’Open Access »

Après l’analyse historique du catalogage de la collection TH, les objectifs du projet sont définis selon les critères de la voie verte de l’Open Access, et aussi selon les besoins des services du SIS et des Archives Historiques et Scientifiques :

  • Pré-tirage catalogué
  • Recherche de la référence de publication et mise à jour de la notice bibliographique
  • Texte intégral en accès libre sur CDS
  • Copie papier conservée aux Archives

7. Tâches et difficultés rencontrées

  • Catalogage : après une première analyse de la collection, 9457 notices sont déjà répertoriées dans la base de données du SIS mais beaucoup restent à traiter, notamment les 2000 premiers documents. La perte de certaines données (telles que les numéros de rapports) suite aux diverses conversions informatiques, implique, avant tout catalogage de nouvelle notice, une recherche bibliographique par titre pour tous les numéros de rapports manquants. De plus avec l’évolution des normes bibliographiques (depuis ISBD(M) jusqu’au format MARC21 (13)  ), l’homogénéité et la qualité du catalogage restent à vérifier sur l’ensemble des notices. Le système manuel de numérotation jusqu’en 2004 a rendu le travail du SIS plus fastidieux, car dépendant d’une recherche également manuelle.
  • Numérisation : après la finalisation du catalogage des nouvelles notices, une analyse met en évidence qu’environ 50% de la collection possède un lien vers un texte intégral provenant du CERN, du serveur d’ArXiv, de KEK ou autres... Avant toute numérisation de document, une recherche dans la base de données de KEK permet une nouvelle fois l’importation de documents numérisés. Cette tache achevée, 2527 documents restants doivent être équipés d’un code-barres, code unique d’identification sur le serveur du CERN, en vue d’être scannés.
  • Standardisation et extraction de données : pour plus d’efficacité, les liens vers les fichiers des documents à numériser par le SIS sont ajoutés globalement dans les notices grâce à une extraction de données.
  • Vérification des liens URL : une fois la numérisation terminée, un contrôle final de tous les liens URL est effectué sur l’ensemble de la collection pour détecter d’éventuels fichiers corrompus.
  • Recherche de Références de Publication : afin d’enrichir le catalogue, des recherches sont entreprises dans différentes sources, bases de données ou moteurs de recherche tels que INSPEC (14)  , SPIRES (15)  , GOOGLE (16)  pour enrichir au maximum les notices bibliographiques avec les références de publication (journaux, comptes-rendus de conférences).
  • Enquête auprès des auteurs : à la fin de l’exercice, 267 références de pré-tirages ne sont pas disponibles en Open Access car ces documents n’ont jamais été versés au Secrétariat TH. Une enquête auprès des auteurs est menée en vue d’obtenir un exemplaire papier, un fichier électronique ou une référence de publication. Sur 167 courriers électroniques envoyés, 29 auteurs ont répondu positivement.

La difficulté résulte essentiellement au fait que beaucoup de ces pré-tirages datent des premières années du CERN et qu’il n’est pas aisé de rentrer en contact avec ces auteurs.

8. Evaluation finale de l’analyse

Depuis le début du CERN, la production de pré-tirages de la division Théorie a été en constante augmentation. Aujourd’hui, cette collection représente 11780 notices disponibles sur CDS, parmi lesquelles :

  • 9457 Notices initialement existantes et vérifiées
  • 928 Nouvelles notices cataloguées
  • 1395 Notices recherchées et identifiées comme série TH

Une grande majorité de ces documents, soit 10145, sont des articles publiés dans des journaux scientifiques ou dans des comptes-rendus de conférences, 1579 n’ont jamais été publiés et le reste étant des documents tels que des rapports, des livres, des comptes-rendus de conférences et des thèses.

Actuellement, suite aux différentes recherches, enquêtes et numérisations effectuées, 98% de la collection Théorie est disponible sur CDS en Open Access : http://cdsweb.cern.ch/collection/CERN-TH

L’analyse complète de la collection Théorie a nécessité 3520 heures de temps d’étude, soit 2 Equivalents Plein Temps (EPT) et 250 heures de numérisation (2527 documents), soit 0.15 Equivalent Plein Temps (EPT).

9. Conclusion

La diffusion des résultats de recherche scientifique, d’abord effectuée par des Sociétés Savantes, est aujourd’hui diffusée, généralement, par des journaux à la publication parfois tardive et aux abonnements onéreux. Elle reste donc réservée à un ensemble de chercheurs privilégiés. Le choix du SIS, de favoriser l’accès libre aux prépublications scientifiques, résulte d’une volonté de transmettre par un moyen efficace et économique la connaissance et l’évolution des progrès de la science. Cette mise à disposition gratuite et plusieurs mois avant la publication de ces pré-tirages, représente un intérêt particulier, notamment en Physique des Particules.

Commencé en 2006, ce projet de mise en ligne dans CDS et de conservation des documents aux Archives Historiques et Scientifiques du CERN doit s’appliquer à la totalité des collections de pré-tirages du CERN (rétrospectives et courantes). Ainsi ces prépublications pourront être réutilisées, copiées, téléchargées, imprimées, archivées, consultées à distance, offrant aux utilisateurs rapidité, fiabilité, facilité d’utilisation et gratuité de l’information.

Le développement et la généralisation de la voie verte de l’Open Access au sein des dépôts institutionnels permettraient d’assurer, préserver et pérenniser l’accès à la totalité des résultats scientifiques, sans limitation d’utilisation, sous l’unique contrôle des instituts et ceci dans un esprit d’économie non négligeable.

10. Notes

 (1)  CERN : Organisation Européenne pour la Recherche Nucléaire - http://cern.ch
 (2)  12 Etats Membres en 1953 : Belgique, Danemark, France, Grèce, Italie, Norvège, Pays-Bas, République Fédérale Allemande, Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord, Suède, Suisse, Yougoslavie.
 (3)  Serveur arXiv - http://arxiv.org/
 (4)  CDS : CERN Document Server - http://cdsweb.cern.ch/
 (5)  SCOAP3 - http://www.scoap3.org/
 (6)  ISIS : "Integrated Set for Information" est un système de gestion de catalogage.
 (7)  UNESCO : United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization - Organisation des Nations Unies pour l'Education, la Science et la Culture.
 (8)  ALEPH : "Automated Library Expandable Program" est un logiciel de gestion intégré des bibliothèques, développé par l’université de Jérusalem et produit par la société Ex-libris.
 (9)  SLAC : Stanford Linear Accelerator Center, Université de Stanford, Californie, USA.
 (10)  DESY : Deutsches Elektronen-Synchrotron, Hamburg, Allemagne.
 (11)  ISBD(M) : International Standard Bibliographic Description (description bibliographique internationale normalisée). (Il s'agit d'un ensemble de normes internationales de description de catalogage définies par l'IFLA, Fédération Internationale des Associations de Bibliothécaires et d'Institutions).
 (12)  KEK : High Energy Accelerator Research Organization, Tsukuba, Japan.
 (13)  MARC21 : « Machine – Readable Cataloguing » Format standard pour le stockage et l’échange de notices bibliographiques maintenu par « The Library of Congress » - Washington DC.
 (14)  INSPEC - http://www.theiet.org/publishing/inspec/
 (15)  SPIRES - http://www.slac.stanford.edu/spires/
 (16)  GOOGLE - http://www.google.ch/

11. Bibliographie

[1] Open Society Institue (OSI) & Soros Foundation Network - http://www.soros.org/about
[2] Budapest Open Access Initiative (BOAI), février 2002 - http://www.soros.org/openaccess/fr/read.shtml
[3] Bethesda Statement on Open Access Publishing (OAP), avril 2003 - http://www.earlham.edu/~peters/fos/bethesda.htm
[4] Berlin Declaration Open Access to knowledge in the Sciences and Humanities - http://oa.mpg.de/openaccess-berlin/berlindeclaration.html
[5] La Convention pour l’établissement d’une Organisation Européenne pour la Recherche Nucléaire (CERN), adoptée le 1er juillet 1953 par 12 Etats Membres - http://cdsweb.cern.ch/record/330625
[6] Histoire du World Wide Web - http://info.cern.ch/default-fr.html
[7] « Continuing CERN action on Open Access » CERN-OPEN-2005-006 – Altarelli, Guido - http://cdsweb.cern.ch/record/828991
[8] Circulaire Opérationnelle N°6 - http://open-access.web.cern.ch/Open-Access/oc-06.pdf

Un exemple de coopération et de solidarité: les 10 ans d’« Archivistes sans Frontières »

Alfred Garcia i Puig, Vice-Président d’Archivistes sans Frontières

Un exemple de coopération et de solidarité : les 10 ans d’« Archivistes sans Frontières »

1. Les archives, mémoire des peuples

Comme le disait le poète catalan Salvador Espriu: «Qui perd ses origines perd son identité». Pour maintenir leur identité, tous les peuples doivent tenter de conserver et de protéger leur patrimoine culturel. Les agressions que peuvent subir le patrimoine culturel en général, et le patrimoine documentaire en particulier, sont nombreuses et peuvent conduire à sa destruction. Mais c'est curieusement l'homme, qui produit le patrimoine, qui le détruit le plus, soit par omission (manque de ressources, abandon...) soit par des actions de natures variées (conflits armés et élimination planifiée de documents). De multiples cas de destruction massive de la mémoire de l'humanité ont eu lieu tout au long de l'histoire. Des tablettes d'Uruk, à la Grèce et Rome, en passant par l'Inquisition, le stalinisme, l'Allemagne nazie, ou encore les dictatures militaires d'Amérique latine, il existe une multitude d'exemples de cette barbarie destinée à éliminer le passé des êtres humains. Récemment, pendant la guerre de Bosnie-Herzégovine et celle du Kosovo, on a pu observer avec quelle obsession on a tenté d'effacer le passé des personnes. En expulsant les populations civiles de leurs maisons et en s'emparant de leurs documents, on est ainsi parvenu à détruire leurs registres de propriété. A travers cet exemple, on s'aperçoit que les génocides ont toujours été très consciemment menés, en s'efforçant de liquider le passé des victimes, leurs origines et en définitive leur identité.
ace à cette situation, la communauté archivistique a commencé à entreprendre de timides actions. Au début, essentiellement par le biais de déclarations des conférences générales de l'Unesco (1972, 1978, 1980, 2003), des réunions du Congrès International des Archives (2004) ou encore de la Conférence Internationale de la Table Ronde des Archives (CITRA) (Abu Dhabi, 2005). Le Conseil International des Archives participe également au programme « Mémoire du Monde » de l'Unesco, coopère avec le Comité international du Bouclier Bleu (ICBS) et collabore à un projet baptisé « Archivistes Solidaires », mené par la Section d'Associations Professionnelles de Records Managers et d'Archivistes (ICA/SPA). Par ailleurs, moins connues mais non moins importantes, une multitude de collaborations entre archivistes de différents pays ont été réalisées. Il s'agit le plus souvent d'actions ponctuelles menées à titre individuel, en profitant de contacts ou d'amitiés, et reposant davantage sur la volonté que sur les moyens.

2. Les origines d'ASF

Atitre d'exemple, les Archives municipales de Barcelone ont participé, en 1997, à un projet de réorganisation des fonds documentaires de la Municipalité de Malabo, en Guinée Equatoriale, une ancienne colonie espagnole d'Afrique. Suite à cette coopération, un groupe d'archivistes a perçu la nécessité de créer une organisation qui accueille tous les professionnels croyant aux valeurs, en matière archivistique, de solidarité et de coopération internationale. Ces archivistes ont compris qu'il fallait s'organiser et faire preuve de solidarité, afin de collaborer et d'aider les pays en situation de précarité politique, économique, sociale ou matérielle (désastres naturels, conflits guerriers, difficultés endémiques).
Dans ce but, le 1er mai 1998, s'est constituée à Barcelone, l'organisation non gouvernementale d'intérêt général « Archivistes sans frontières » (ci-après ASF). Il s'agit d'une organisation internationale de volontaires, à but non lucratif. Elle est orientée en priorité vers les pays qui conservent un patrimoine en danger, ainsi que vers des pays en situation de guerre ou de violence généralisée, affectés par des catastrophes naturelles ou d'autres natures. Ces priorités sont soulignées dans l'article 1 des statuts d'ASF.
Selon l'article 3 des statuts, les objectifs d'ASF sont de :
  • Protéger, conserver, organiser et défendre le patrimoine documentaire en danger de disparition ou de dommage irréversible, par le moyen de coordination, de développement et de diffusion de plans, de programmes et de projets, incluant ces actions dans la sauvegarde et la récupération du patrimoine documentaire lié à la garantie des droits humains, individuels et collectifs des citoyens.
  • Sensibiliser la société quant à l'intérêt de la conservation de ses archives afin de garantir le respect de ses droits et le contrôle de ses administrations.
  • Offrir une aide aux projets de récupération, d'organisation, de divulgation de la fonction archivistique en accord avec les politiques archivistiques de chaque pays, tenant en compte tous les types de supports documentaires.
  • Etudier, définir et diffuser les techniques de restauration les plus adéquates par rapport à chaque type de support documentaire.
  • Promouvoir la culture archivistique au moyen de la formation technique dans le domaine des archives afin de pouvoir donner des conseils dans ce domaine.
  • Renforcer les relations sociales, humaines et de solidarité entre les archivistes de différents pays, en vue de la protection et le respect des droits humains et des droits des peuples.
  • Promouvoir une vision et un travail interdisciplinaires dans l'intervention et l'étude du patrimoine documentaire, en collaboration avec des professions propres au champ d'intervention d'ASF.
  • Proposer et mener à terme toutes les actions qui sont considérées comme opportunes, similaires à celles qui avaient été menées jusque-là.

Les lignes de travail d'ASF sont:

  • Promouvoir les actions au sein des archives lors des transitions politiques. Favoriser la restitution des droits collectifs et individuels, plus spécialement dans les pays qui protègent les droits des peuples et des nations, et dans ceux qui cherchent leur propre transition politique, élément qui est conditionné par l'existence de documents et de leur libre accès. En ce sens, le but est de donner ou de préserver le droit à l'intégrité de la mémoire écrite des peuples, le droit à la vérité et le droit à connaître les responsables des crimes contre l'humanité.
  • Protéger les droits humains suivants: droit des familles de disparus pendant des périodes de répression, droit à la connaissance des données existantes relatives à n'importe quelle personne ; droit à l'investigation historique et scientifique ; droit à l'amnistie pour les prisonniers et les opposants politiques ; droit à la compensation et à la réparation des dommages endurés par les victimes de la répression et, enfin, droit à la restitution des biens confisqués.
  • Proposer l'élaboration et l'exécution de projets de coopération internationale en matière de gestion d'archives et collaborer avec d'autres entités qui ont des compétences dans le domaine des archives, afin de trouver des solutions pour une protection adéquate des archives et du patrimoine.
  • Etablir des mesures de prévention et de conservation du conditionnement physique des différents supports documentaires et proposer toutes les actions qui sont considérées comme nécessaires pour apporter à terme une amélioration dans la prévention, la reproduction, la restauration et la préservation de tous les types de supports documentaires (documentation graphique, audiovisuelle...), ceci afin d'assurer la conservation et garantir les systèmes de sécurité des bâtiments d'archives.

3. Réalisations et Projets

Initialement très réduit, le groupe d'archivistes s'est étoffé et ses actions ont pris de l'ampleur ces dix dernières années. Il faut saluer ici l'effort et le dévouement d'un groupe réduit de personnes, sans qui, tout ceci n'aurait pu être mené à terme. En effet, les premiers projets et études de prospection ont été réalisés, pour la plupart, grâce à l'apport personnel des coopérants; il n'y avait pas de financement pour les voyages et tout était à leurs frais.
La première action a été l'organisation de cinq centres d'archives municipales en République de Guinée Equatoriale, ancienne colonie espagnole: Baney, Luba, Malabo, Rebola et Rabia (1998-2001). Dans un deuxième temps, ont été créées deux salles informatiques dans les villes de Malabo et Bata (2003-2004).
Puis, toujours en profitant des contacts de la Municipalité de Barcelone, un séminaire de formation archivistique basique, destiné à des personnes de quelques centres d'archives de Sarajevo, a eu lieu en 2001, dans le but de former un personnel qualifié dans les centres d'archives que la guerre avait mis à mal.
Un des projets les plus importants a été pour nous, en tant que catalans, le microfilmage et la numérisation des fonds documentaires produits par l'Evêque de São Felix de Araguaia, dans la région du Mato Grosso (Brésil), le père catalan Casaldaliga. L'évêque est une personnalité qui s'est beaucoup impliquée pour la cause des pauvres et des indigènes, et qui a gardé des relations avec des personnalités très influentes de la théologie de la Libération, des mouvements sociaux et révolutionnaires d'Amérique Latine (Fidel Castro, Monseigneur Romero, le mouvement sandiniste du Nicaragua)...
Cette documentation était menacée de disparaître, et c'est pour cette raison que l'Evêque s'est mis en contact avec ASF. Ce projet a été l'un des plus ambitieux; il a coûté 100'000 Euros, financés par la propre prélature ainsi que par la Generalitat de Catalogne. Durant deux ans, ont ainsi été numérisés et microfilmés plus de 250'000 documents, qui ont été convertis en 18 DVD et 65 bobines de microfilms. Au mois d'octobre 2006, une donation d'un jeu de copies a été faite aux Archives nationales de Catalogne.
Mentionnons également qu'en 2005 un cours d'archivistique de base a été organisé à Quito (Equateur) et l'année suivante, une étude de prospection d'archives a été menée sur l'île d'Ibo, au Mozambique.
Des projets sont actuellement en cours ; parmi ceux-ci, mentionnons les suivants:
  • Le projet d'organisation des archives municipales de la Commune urbaine de Fès (Maroc, 2004-2010), qui est mené par un groupe de 24 coopérants, archivistes professionnels et étudiants du Diplôme Supérieur d'Archivistique et de Gestion des documents de l'Université Autonome de Barcelone (ESAGED). Ceux-ci ont déjà traité plus de 3,5 kml de documentation qui se trouvaient dans de mauvaises conditions de conservation, sans organisation.
  • Le projet de récupération des fonds documentaires et des archives des dictatures militaires latino-américaines (2005-2008), constitue lui aussi un projet très ambitieux. L'objectif est de localiser, identifier et organiser la documentation produite par les gouvernements impliqués dans l'Opération Condor et par les entités liées à la lutte pour la connaissance de la vérité. En facilitant la localisation de documents, il devrait permettre d'identifier et de localiser les disparus et les victimes de ces régimes répressifs. Le projet vise enfin à faciliter la formation du personnel impliqué, afin de garantir la description et l'accès à cette documentation.
  • Parallèlement à cette vaste entreprise, Archivistes sans frontières a convoqué à Montevideo (Uruguay) en novembre 2006, une rencontre de tous les responsables du projet de récupération du fonds documentaire et archivistique des dictatures latino-américaines. Ceci a permis d'organiser une journée consacrée aux archives et aux droits humains, organisée par ASF et les Archives de la Nation, les 4 et 5 décembre 2006, en présence de plus de 100 personnes.
  • Un autre projet mené par ASF est celui de la récupération de l'histoire catalane en exil, comprenant la numérisation et l'organisation des archives des communautés catalanes à l'étranger (2006-2010). Une première étude de prospection a été faite dans cinq centres culturels catalans (Montevideo, Buenos Aires, Rosario, Mexico et La Havane), où l'on présume qu'existait préalablement une documentation plus ancienne, conséquence de l'exil provoqué par la Guerre civile espagnole.
  • ASF a également participé à l'organisation des Archives nationales du peuple sahraoui (2006-2008) et donné un cours de théorie et de pratique dans les campements sahraouis de Tindouf (Algérie), avec la participation de 4 archivistes coopérants.
  • Notre association a également participé au Conseil Consultatif International de support au projet de Récupération des archives historiques de la Police Nationale du Guatemala (2007). Tous ceux qui travaillent sur ce projet sont considérés par les militaires retraités comme des ennemis. De plus, il faut tenir compte que lors des dernières élections, cet été, plus de 50 personnes ont été tuées parmi les politiques et les parents d'hommes politiques. Ces documents ont une grande valeur. Ce projet est financé actuellement par: le gouvernement suisse, le gouvernement catalan et, plus récemment, le gouvernement basque. Une copie numérisée devrait être conservée à terme aux Archives fédérales suisses.
  • Enfin, mentionnons encore le projet de catalogage, numérisation et restauration de 750 affiches de la fondation Salvador Allende, en collaboration avec le Ministère espagnol de la Culture.

4. Fonctionnement

Nous avons mentionné ci-dessus les principaux projets en cours d'ASF. Dans chaque cas, ils suivent un cheminement particulier. En effet, le processus pour commencer un projet est variable selon les propositions: des contacts personnels entre archivistes de différentes origines, des relations entre des institutions, par l'intermédiaire des organismes de coopération espagnols ou catalans et autres ONG. Souvent, un projet en amène un autre. De ces contacts émerge alors une proposition qui sera ultérieurement validée par le comité de direction. Celle-ci peut être approuvée si elle correspond aux principes directeurs de l'ONG, ou peut au contraire être refusée, notamment dans des cas où un organisme demande des fonds mais n'accepte pas de se soumettre au moindre contrôle de la part d'ASF, lorsqu'il s'agit de centres de documentation ou de bibliothèques et non d'archives, ou encore lorsque notre infrastructure ne peut pas répondre aux demandes adressées.
La première étape consiste à envoyer le plus souvent un ou deux coopérants pour réaliser une étude de prospection de la qualité des installations et de la valeur que peut contenir le fonds. Habituellement, l'ONG paie le voyage des coopérants et les hôtes se chargent des frais de logement et de réception.
L'étude de prospection est complétée d'une proposition d'action qui évalue si le projet est viable ou non, notamment en ce qui concerne son financement. Actuellement, celui-ci est à la charge de la Municipalité de Barcelone, (auprès de son bureau « Barcelone Solidaire »), du gouvernement autonome de Catalogne, (auprès des ministères de la Présidence ou de la Culture- Sous-direction générale des archives-, ainsi qu'auprès de l'Agence catalane de coopération au développement) et du Gouvernement espagnol, dont la propre Sous-direction générale des archives de l'Etat dispose d'un programme d'aide spécifique pour les archives. Enfin, l'action est également financée par l'Agence espagnole de coopération internationale.
Ces trois grands fonds de financement de projets (étatique, autonome et municipal), sont complétés par d'autres fonds plus modestes, grâce à des participations de mairies plus petites, des collaborations avec d'autres ONG ou encore des contributions d'entreprises.
Comme on l'a souligné plus haut, les deux grands champs d'action sont l'aide à l'organisation des archives des pays du tiers-monde (classification, tri, numérisation, microfilmage) et la formation de professionnels, à travers l'organisation de cours destinés aux archivistes. Ces deux activités constituent l'axe majeur des activités qui jusqu'à présent ont été menées à terme.Les autres types d'activité qui sont menées sont :
  • La diffusion des activités de l'ONG dans les rencontres d'archivistes ;
  • La coopération avec d'autres ONG lors des salons et d'autres événements publics (« foires de rue ») ;
  • La participation à des journées organisées par d'autres organisations ;
  • L'accueil de collègues en formation ;
  • de matériel didactique, plus spécialement pour la formation à distance.

Naturellement, il serait injuste d'oublier qu'une grande partie de l'action est due au travail des coopérants. De ceux qui paient simplement leur cotisation à ceux qui dédient une part de leurs vacances à la coopération internationale, il existe un éventail de professionnels qui travaillent d'une façon désintéressée pour d'autres collègues, moins favorisés, qui doivent parcourir de grandes distances pour pouvoir assister à un cours. Tout cela encourage à poursuivre dans cette direction.
Dans ces actions, est impliqué un nombre important d'archivistes, que ce soit des professionnels reconnus, qui vont suivre des formations ou des étudiants, comme par exemple ceux du diplôme supérieur d'archivistique et de gestion des documents (ESAGED/Barcelone), qui ont travaillé sur le fonds des archives d'urbanisme de la commune urbaine de Fès, comme déjà mentionné plus haut.

5. Activités

La petite unité qui a été créée en 1998, s'est développée avec le temps et, aujourd'hui, « Archivistes sans frontières » est une organisation solidement constituée, comptant près de dix ans d'expérience et comptant plus de 300 membres à travers le monde. Sa structure est bâtie autour d'une Assemblée générale et d'un Comité directeur qui gère les projets. Elle est formée par les membres numéraires, les membres institutionnels et les membres honoraires.
es sections plus ou moins importantes ont été établies en Argentine, en France, en Bolivie, en Colombie, en Equateur, au Mexique, au Pérou et en Uruguay. Avec des moyens divers, ces sections ont développé leurs propres activités. Cette structure a dû cependant être réorganisée en sections pour des questions de droit international. Outre la révision des statuts, lors de l'Assemblée générale extraordinaire célébrée en juin 2007, ASF s'est constituée comme une organisation uniquement espagnole. Sa vocation est cependant internationale, l'objectif étant de créer une fédération d'ASF des différents pays qui partagent les mêmes principes communs.
Durant ces dernières années, l'organisation a publié 14 bulletins (en espagnol et en catalan) et a organisé 4 rencontres internationales.
La première, dédiée à « La protection du patrimoine documentaire dans le domaine de la coopération internationale », a eu lieu les 26 et 27 octobre 2001, dans la salle de réunion du Musée maritime de Barcelone. Tous les deux ans, ces journées sont organisées avec la vocation de devenir un lieu de rencontres de professionnels des archives sensibilisés au monde de la coopération et un espace de dialogue et de participation, afin d'examiner la problématique et la situation actuelle de la coopération internationale, dans le cadre du patrimoine documentaire (1).
Les 22 et 23 février 2003, ont été célébrées au Musée Historique de Catalogne, les deuxièmes journées, dédiées, à cette occasion, à la relation entre « Archives et droits démocratiques ».
Les journées ont été un succès, tant par le nombre de participants, presque une centaine, que par l'intérêt des interventions présentées. Celles-ci ont traité des enfants et des femmes victimes de représailles sous le Franquisme, après la Guerre Civile, travail qui a servi à la réalisation d'un reportage documentaire à la télévision catalane. On a également abordé, lors de ces journées, les actions et méthodologies du travail d'Amnesty International, de même qu'une réflexion a été portée sur le travail de documentation et de recherche d'information, étape cruciale pour initier n'importe quelle action. Une explication de la politique d'accès aux fonds documentaires (2) a suivi, ainsi qu'un exposé sur les origines et le développement de l'actuel conflit palestinien, illustré par des preuves concrètes (des documents, photographies et cartes) qui témoignent de l'importance de la mémoire et de la documentation, afin de maintenir vive l'espérance de liberté du peuple palestinien. Des questions concernant le délai juridique de l'accès à la documentation, avec en complément les exemples d'accès à quelques procès de la Guerre Civile, ont également été abordées. Enfin, deux membres d'ASF ont offert une vision des archives de la répression organisée par divers régimes militaires sud-américains contre ses opposants de gauche, connu sous le nom de « Plan Condor ».
Les troisièmes journées internationales d' « Archivistes sans frontières », consacrées au thème « Archives et développement », se sont déroulées à Madrid, les 25 et 26 février 2005.
Il a été question de l'importance que tiennent les archives, comme institution publique, dans la configuration de notre Etat de droit, posant l'existence des archives comme essentielle pour construire un réseau nécessaire pour un développement durable dans les pays du tiers-monde. Ainsi, nous prétendons apporter aux diverses initiatives menées par des organismes internationaux, par les nations elles-mêmes et par des organisations non gouvernementales, comme la nôtre, une impulsion pour le développement des archives publiques dans divers pays d'Amérique latine, d'Afrique et d'Asie avec la prétention de les valoriser avec un esprit critique. Aussi, une session a été consacrée à l'étude des archives produites par les institutions d'aide au développement, principalement la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.
Conjointement et parallèlement à ces journées avait lieu une conférence internationale sur le thème « Israël et Palestine : archives pour une coexistence », réalisée à partir de la présentation de fonds documentaires, d'archives et autres témoignages d'une histoire commune, ceci pour pouvoir aborder, dans la perspective d'une mémoire historique différente pour chacun de ces deux peuples, un futur de coexistence pacifique.
Plus récemment, les 9 et 10 novembre 2007, les IVèmes journées d'ASF, qui se sont déroulées encore une fois à Barcelone, ont été consacrées cette fois-ci à la fonction du coopérant dans la coopération. Le titre était « Les coopérants : l'axe de la coopération ».
Les interventions, menées par un membre de « Juristes sans frontières », ont porté sur le point de vue juridique du nouveau statut de coopérant ainsi que sur le projet de récupération des Archives nationales de la Police Nationale du Guatemala. Elles ont été suivies d'une table ronde sur la figure du coopérant avec des membres d'Intermonde-Oxfam, d'Education sans frontières, du collège officiel des médecins de Gérone et d'Archivistes sans frontières. Enfin, un juriste a présenté une intervention sur les fonds publics et la transparence des ONG.
Archivistes sans frontières est également membre du Conseil International des Archives (catégorie B) et participe au groupe des droits humains et au groupe de travail d'Archivistes solidaires (Archival Solidarity) mené par la Section des associations professionnelles de Records Management et d'archivistes du Conseil International des Archives (ICA/SPA). Il faut ajouter qu'Archivistes sans frontières a participé activement à la constitution de ce groupe de travail. La première réunion, d'où sont issus le nom et les principes directeurs, s'est tenue à Barcelone en 2001 et a été formée par Margaret Turner, présidente du CIA/SPA, Benny Haspel, qui avait mené à terme des activités de formation dans le projet « Rücksack », Nancy Marelli, comme coordinatrice, Mariona Corominas et moi-même, comme représentants d'ASF.
Ayant partagé nos propres expériences, nous avons décidé, d'un commun accord que l'objectif devait être de faciliter les contacts et de recueillir des informations sur les actions qui sont menées au niveau international, afin de les partager entre les archivistes.
L'expérience acquise par ASF a également permis d'élaborer des documents de travail tels que : le Modèle de questionnaire de prospection d'un fonds, le Formulaire du coopérant, le Manuel de gestion de projets de coopération et le Plan d'action Global 2004-2007. Ceux-ci s'avèrent nécessaires pour une meilleure coordination des personnes qui participent aux projets.
En ce qui concerne le coopérant, celui-ci est soumis à un certain nombre d'obligations :
  • Le coopérant doit respecter les buts pour lesquels a été créée l'ONG.
  • Le coopérant doit mener à bien le travail pour lequel il a été engagé.
  • Le coopérant doit communiquer au comité de direction sur toute action ou initiative qu'il a menée à terme.
  • Le coopérant doit respecter la culture, les idées politiques et religieuses et les coutumes des autochtones, même s'il ne les partage pas.
  • Le coopérant doit informer de sa présence l'ambassade ou le consulat du pays où il se trouve.
  • Le coopérant doit élaborer un rapport écrit sur le développement du projet mené à terme. De plus, il doit remettre ce rapport à l'institution qui a financé le projet avec le bilan économique et le matériel qui ont été générés.

ASF doit prendre à sa charge les frais de voyage, les frais sur place et l'assurance du coopérant, ainsi que s'occuper de la documentation nécessaire avant le départ de celui-ci (visa, gestion de l'hébergement....).
L'expérience est fondamentale pour corriger les erreurs, et il est certain que nous en avons commises, notamment lors des actions menées sur le terrain.
Aujourd'hui, grâce à ces enseignements, ASF peut poursuivre son action avec plus de sérénité et de sagesse, en gardant à l'esprit cette pensée de Winston Churchill : « une nation qui oublie son passé n'a pas de futur ».
Pour plus d'informations, vous pouvez consulter le site web de l'association : www.arxivers.org

Notes

(1) Les interventions ont traité des archives de sécurité de l'Etat dans les régimes répressifs où l'on compte énormément de disparus (Antonio Gonzalez Quintana), de l'histoire orale et la récupération de la mémoire historique (Merce Vilanova, UB), et sur la fonction archivistique du Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (UNHCR). Puis, les coopérants ont commenté les projets alors en cours et, finalement, Monsieur Acardi Oliveres, vice-président de Justice et Paix, une des organisations dédiées à la coopération et à la solidarité en Catalogne et Espagne, a fait une analyse des problèmes que comporte le modèle de globalisation actuel.]
(2) Les archives d'Amnesty International sont remarquables tant par la diversité de thématiques que par la rigueur et la fiabilité des données recueillies, l'objectif étant qu'une multitude de personnes et d'institutions puisse les consulter.

Intelligence économique et gestion des risques : mieux maîtriser l’incertitude.

Jacqueline Deschamps, Haute Ecole de Gestion, Genève

François Courvoisier, Professeur, Haute école de gestion Arc, Neuchâtel

Françoise Simonot, Chef du département Information-Communication, IUT de Besançon

Intelligence économique et gestion des risques : mieux maîtriser l’incertitude.

L’intelligence des risques, par Bernard Besson

Chargé de mission auprès du haut Responsable à l’Intelligence économique à Paris, co-auteur avec Jean-Claude Possin de l’ouvrage L’intelligence des risques, Bernard Besson présente la notion de risque sous ses différents aspects. Le risque, à ne pas confondre avec une menace, est à concevoir comme une information que l’on a ou que l’on n’a pas. L’intelligence des risques fait parler des risques différents et cela a même donné lieu à un métier, le risk manager. Le risque n’est pas que statistique, il est aussi lié à des émotions.

Selon Bernard Besson, nous sommes dans le temps des risques : Bhopal, Seveso, le tsunami, la grippe aviaire, la crise des subprimes, etc., qui génèrent des angoisses pour l’avenir et des activités de prévention. On observe une évolution des mentalités : aujourd’hui on désigne les coupables. Il y a une pression forte avec le principe de précaution, l’opinion publique est solidaire des victimes. Il y a une évolution du droit et de la jurisprudence. Le risque est une réalité quotidienne. Par exemple, tout propriétaire doit produire plusieurs diagnostics pour la vente d’une maison. Le citoyen est amené à faire de « l’intelligence des risques ». Aucune petite entreprise ne peut assurer seule son intelligence des risques, mais elle peut compter sur le soutien de réseaux.

L’apport de l’intelligence économique dans la prévention des risques consiste à proposer une nouvelle conception du risque. Le danger incite à regarder différemment. L’inquiétude est un aiguillon de ce que l’on ne voit plus. La valeur d’une entreprise, c’est aussi son image, son aspect immatériel. Il y a aussi la maîtrise de la peur : les USA ont été traumatisés par le 11 septembre 2001. Depuis, il y a la norme ISO 28000 pour se préoccuper de la logistique et de la sécurité : c’est devenu un marché, avec un risque d’inflation législative.

Le risque est ce qui altère la performance de l’entreprise. Si on parle de risque, on a résolu 50% de la peur. La prévention du risque n’est pas une lourdeur supplémentaire. Il existe donc une nouvelle vision globale de l’intelligence des risques, qui se compose de quatre éléments interdépendants : la sécurité (safety), relative aux accidents et défaillances techniques ; la sûreté (security), qui relève de la malveillance ; l’environnement, englobant la pollution, les inondations, etc. ; le management, lié aux attitudes et comportements dysfonctionnels, comme par exemple une rupture d’approvisionnement.

D’après Bernard Besson, c’est l’ignorance qui est moteur de l’intelligence économique, ce n’est pas l’information. En France, il y a des associations professionnelles comme AMRAE qui a fait le référentiel pour les risk managers et leur indique en quoi l’intelligence économique les aide à pratiquer leur métier.

Pour commencer une démarche d’intelligence économique, il faut se poser les questions suivantes : « quels dangers courons-nous ? » ; « quels sont nos moyens de protection ? » ; « disposons-nous des meilleurs systèmes ? » ; « quelle est la fiabilité de nos partenariats ? ». Une entreprise qui protège ses membres, ses clients et ses partenaires renforce sa cohésion, son image et augmente sa capacité d’influence. L’intelligence des risques permet de devancer des concurrents moins avancés en la matière.

Pour bien commencer un processus d’intelligence des risques, il faut recenser et analyser tous les incidents et accidents rattachables à la sécurité, à la sûreté, à l’environnement et au management, évaluer les coûts humains et économiques liés à l’occurrence de ces risques et mettre en rapport les budgets dédiés à la protection et les préjudices subis ou évités. Il faut ensuite organiser une réunion de tous les cadres et personnels concernés à un titre ou à un autre. L’intelligence des risques passe par la prévention ou l’occurrence des risques recensés et évalués.

La France et la Suisse, notamment, sont des pays d’ingénieurs de grande qualité cindynique (science du danger). Les travaux de cindynique de l’Ecole polytechnique de Paris ont mis en évidence un processus : avant la catastrophe, il y a une chaîne de l’information et toute catastrophe s’explique par une rupture dans le traitement et l’utilisation de l’information. Les ruptures récurrentes que l’on peut identifier sont dues aux quatre types de problèmes évoqués plus haut : la sécurité, la malveillance, l’environnement ou le management. Toute catastrophe s’explique par ces quatre regards et le risque sécuritaire global est constitué par la somme de ces quatre regards.

Lors d’une catastrophe, on constate souvent que tout le monde a bien fait son métier, mais ce qui a manqué, c’est une vision globale. Dans une PME, c’est le chef d’entreprise qui doit avoir la vision globale, mais il doit être secondé par un réseau d’intelligence collective.

Bernard Besson clôt son exposé en se posant la question : est-ce que le fait de chercher à prévoir les risques peut tuer l’innovation… ?

Perception du risque et méthodes informationnelles, par Clotilde Aubertin

Clotilde Aubertin, Competitive Intelligence Analyst au Nestlé Research Center à Lausanne, présente les résultats d’une recherche sur la perception du risque par les consommateurs avec l’exemple des TFAS : les acides gras « trans ». Internet pourrait être un reflet de l’intérêt des consommateurs et permettrait d’établir une typologie des utilisateurs. Deux sujets clés sont analysés : le e-commerce par Internet et l’alimentation. Le comportement du consommateur est passé en revue, comme sa perception et la sécurité à l’égard du risque. Qu’est-ce qui a été produit sur le plan scientifique ? Quelle est la perception du risque sur une communauté académique ?

Les acides gras trans (Trans Fatty Acids) sont un procédé breveté par Procter & Gamble qui transforme l’huile en solide pour améliorer le goût. Dès 1998, la communauté scientifique émet des hypothèses sur les effets des acides gras transsur le cœur et, en 2000, le risque alimentaire est confirmé. Le Canada et les USA mettent alors en place des mesures restrictives et les restaurants informent des risques cardio-vasculaires. Les associations de consommateurs font du lobbying et sont des relais de l’industrie au consommateur final. La communauté scientifique produit des publications. Dans le processus de diffusion, les chercheurs publient, la presse et les médias relaient les scientifiques. Les consommateurs sont actifs avec le web 2.0 et cela crée une émulation. Lors des recherches en ligne, les outils choisis pour analyser les sources sont les web watchers, les alerts search engines et le text mining. Google trendsest complémentaire de la base de données Factiva. Quelques outils sont utilisés pour voir l’articulation des blogs de consommateurs les uns avec les autres. Ixxo permet de voir l’évolution du sujet à travers la blogosphère, notamment en cartographiant les blogs et leurs interactions. Des experts formulent des recommandations managériales, mais le sujet est trop scientifique et a une faible représentation sur Internet. L’analyse des blogs montre que seuls 0.05% des consommateurs se préoccupent des acides gras trans : le grand public n’a pas encore intériorisé le risque.

En conclusion, les différents types de communautés qui abordent ce sujet sont plutôt des experts, des scientifiques, des diététiciens ou des blogs plus personnels. Le web devient un outil très réactif avec l’accélération du temps, il est le reflet de la perception des consommateurs. On peut donc se poser la question de savoir comment mieux communiquer par l’intelligence économique pour réduire la perception du risque du consommateur. La réponse est peut-être dans l’amélioration de la médiation entre outils et expertise scientifique.

Evaluation des risques et système de contrôle interne (SCI) : quelles nouvelles responsabilités pour les organes de la SA ?, par Benjamin Chapuis et Bertrand Perrin

Benjamin Chapuis et Bertrand Perrin, tous deux professeurs à la Haute école de gestion Arc à Neuchâtel, introduisent leur exposé par l’aspect juridique, le droit ayant une dimension préventive qui s’impose quand il y a problème. La réglementation pour la société anonyme nécessite d’anticiper. Les administrateurs ont des responsabilités et des devoirs dont celui d’exercer personnellement leur mandat ainsi que le devoir de diligence, le devoir de fidélité et celui de respecter l’égalité de traitement entre les actionnaires. Il y a un lien de causalité entre la violation du devoir et le préjudice causé, donc il y a obligation d’exercer les attributions avec la diligence nécessaire. L’annexe aux comptes annuels doit contenir des indications sur la réalisation d’une évaluation du risque. L’évaluation du risque, selon le minimum légal, est celui que fait le conseil d’administration.

Il est important d’adapter son approche à l’exposition de l’entreprise aux risques. Le contrôle interne est un dispositif qui vise à assurer la conformité aux lois et règlements. Diverses lois, en 2002, 2003 et 2008, formalisent le contrôle interne. Le cadre conceptuel comprend diverses notions comme l’évaluation du risque, les activités de contrôle, l’information et la communication, la surveillance, la stratégie et le reporting. Benjamin Chapuis et Bertrand Perrin terminent leur exposé par quelques conseils pratiques pour la mise en place d’un SCI.

Le système de contrôle interne (SCI) et la surveillance des risques : la situation en Suisse romande, par Pierre-Alain Cardinaux

Pierre-Alain Cardinaux, responsable du siège de Lausanne de la société Ernst & Young, présente un état des lieux du système de contrôle interne en Romandie et de son rôle dans la surveillance des risques. Le conférencier nous rappelle que le SCI existe dans la loi suisse. Ainsi, il est indiqué dans cette dernière qu’une annexe aux comptes doit être partie intégrante du rapport. Elle doit indiquer la surveillance des risques dans l’entreprise, car l’organe de contrôle doit appréhender l’environnement de l’entreprise. Un guide de surveillance des risques et de contrôle interne a été édité en 2008. Les PME s’y mettent, de même que le secteur public.

Pierre-Alain Cardinaux fait part des résultats d’une enquête romande menée par Ernst & Young sur la présence des systèmes de contrôle interne dans les entreprises. Cette enquête a été effectuée en mars 2008 auprès des membres du CFO On Board. On a enregistré 60 réponses sur 120 entreprises, dont beaucoup de grandes entreprises, comme Edipresse, Implenia, Kudelski et Pargesa. 81 % des entreprises ont déjà un SCI, ou alors il est en cours d’implantation. 62 % font une évaluation du risque (ER), 55% font le minimum.

Il ressort de l’enquête que les entreprises qui possèdent un SCI suivent certaines règles : il y a intégration avec les objectifs du groupe, avec l’audit interne, avec les normes (ISO, etc.), avec la stratégie. Généralement, le soutien du Conseil d’administration est faible, le CEO est jugé bon. Au niveau de l’efficacité des contrôles, 73% des entreprises répondantes se prononcent pour un oui avec modération. 62% connaissent la nouvelle norme NAS890, contre 38% qui l’ignorent.

Les difficultés majeures rencontrées sont le fait de savoir rester pragmatique : jusqu’où aller dans la connaissance du niveau de détail ? Ou encore, quels sont les bénéfices retirés du SCI ? La mise à jour des directives constitue une difficulté, mais, dans l’ensemble, le SCI permet d’améliorer la prise de conscience des risques, de dialoguer avec les différents départements, d’avoir plus de rigueur et de visibilité, donc globalement une meilleure connaissance et évaluation des risques.

Pierre-Alain Cardinaux conclut en présentant quelques voies d’amélioration qui ont été identifiées : le tableau de bord, le suivi des risques, l’implication des cadres, le développement d’une culture d’entreprise par rapport au métier. Les trois variantes de la commission d’audit de la Chambre fiduciaire sont la description du processus, la description des risques en relation avec les comptes et la description de tous les risques pertinents. Le défi est de produire une documentation raisonnable.

Intelligence économique et risques pays, par Michel-Henry Bouchet

Michel-Henry Bouchet, directeur du Global Finance Center au CERAM à Nice, aborde l’intelligence économique et les risques pays, notamment dans le contexte de la globalisation des marchés, en tenant compte des analyses et des prévisions.

Les principaux composants des risques pays sont les risques sociopolitiques, financiers, le risque de contamination régionale et le risque systémique. Le risque économique est le plus important et l’on voit des risques nouveaux émerger, comme la volatilité et la rumeur. Ni les agences de classement, ni les primes de taux ou les décotes de dette ne sont de bons indicateurs d’imminence de crise ou du type de risque. Les classements du risque pays ont des avantages : simplicité, comparaisons entre pays et à travers le temps, condensé du consensus du marché, par exemple par les agences Moody’s et Standard & Poors.

Les agences de rating n’ont pas vu venir les crises, comme celle des subprimes. Ainsi, les crises financières émergent sans avoir été annoncées. Ces agences font parfois preuve de myopie ou de surévaluation du risque en cas de crise.

En conclusion, Michel-Henry Bouchet affirme que l’utilisation de l’intelligence économique est la clé pour transformer l’information en outil de décision stratégique, afin d’évaluer risques et opportunités et de mesurer la qualité de gouvernance des agents privés et publics. Il faut savoir croiser l’information selon différentes sources.

Par exemple, la Banque mondiale examine la gouvernance de différents pays sous les angles suivants : qualité de la gestion, perception de la corruption (avec Transparency International), indice de liberté économique, indice global de compétitivité (avec le World Economic Forum).

Le risque réputation et le risque social, par Stéphane Koch

Stéphane Koch, président de l’Internet Society à Genève, commence par dire que nous sommes tous des « cyclons » ! Sur le web, il y a du mimétisme, du clonage digital. La protection de la marque et de l’entreprise est plus que jamais d’actualité, car la valeur de l’entreprise, c’est son savoir dans l’entreprise 2.0 orientée services. Dans ce cadre, l’intelligence économique signifie anticiper, s’adapter au changement, être proactif dans la détection des risques. Il faut prendre en compte le facteur humain dans la réputation de l’entreprise.

La diffusion de l’information repose sur l’émotion suscitée chez le lecteur. C’est l’employé 0.0 à l’ère de l’entreprise 2.0. L’humain répond à la pyramide de Maslow : amour, doute, incertitude, trahison ; le web 2.0 est au service de l’individu. Le web viral peut transmettre toutes sortes d’informations. Le temps de traitement de l’information diminue avec une information qui augmente en volume. La société est constituée de blogs et d’hommes : toutes les formes de savoirs sont mobiles et dématérialisées. La blogosphère offre une grande caisse de résonnance. Le social engineering permet de réfléchir sur le sens de l’information : sur Facebook, par exemple, les amis d’aujourd’hui ne sont pas forcément ceux de demain.

Il y a une opposition entre l’entreprise fermée et la société ouverte : les modèles d’auto- organisation spontanée sans leaders se font en fonction d’objectifs, par l’opposition entre le perçu et la réalité, entre le périmètre informationnel et le périmètre stratégique. Il vaut mieux réfléchir par l’information plutôt que par les structures, et déterminer les points d’accès aux savoirs tacites et stratégiques de l’entreprise.

Pour Stéphane Koch, les moyens pour collecter de l’information sont nombreux : détective, pirate, web mercenaire, infrastructures extérieures à l’entreprise, Ethernet… Traçabilité est le maître mot. Risques en cascade et cascades de risques impliquent pour tout un chacun de s’imprégner de la culture digitale. Il faut déterminer et sécuriser les points d’accès stratégiques à l’information de l’entreprise : personnes, documents, logiciels, hardware, réseaux sans fil, clés USB, etc. ; puis évaluer les risques en fonction de la valeur de l’information traitée. Le bon réflexe, quand on sort de l’entreprise, est de n’emporter que l’information utile.

Le benchmarking pour réduire les risques, par Pierre Achard

Pierre Achard, de la Société Lifemap à Bourg-la-Reine, présente le processus du benchmarking pour réduire le risque. A tout moment, une technologie nouvelle peut faire irruption dans l’activité de l’entreprise et la surprendre. Le risque en lui-même n’est pas négatif. L’adaptation doit être permanente. Il peut être d’apparition brusque, inattendue prévisible ou non. Le risque se définit par sa probabilité de survenue. Au tipping point (le point d’inflexion), tout bascule. Le veilleur en entreprise doit maîtriser cela en termes stratégiques. Le risque peut se révéler au cours du projet : il impose une réaction d’adaptation pour retrouver l’équilibre menacé ou perdu. La règle des 4 A est la pratique de l’intelligence économique tournée vers l’ouverture : Analyser, Adopter, Adapter, Avancer.

Selon Pierre Achard, le risque maîtrisé, c’est la résolution de problème, saisie des opportunités, anticipation, avancement, progrès. Le benchmarking, c’est un input et un output avec un processus qualitatif à améliorer : identifier le meilleur de la classe et ses meilleures pratiques. Le benchmarking des risques n’est plus seulement un processus, mais l’identification de tous les risques et de leurs conséquences. Il devient alors le benchsetting, qui est quantitatif, global et tient compte de probabilités d’occurrence des risques à formuler pratiquement : Comment / pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Quelles sont les options possibles ? Que fait-on ?

La gestion des risques concurrentiels en B2B, par Fabien Noir

Fabien Noir, marketing manager chez Sonceboz SA à Sonceboz, avance que le principe de base est la détermination des facteurs de risques : c’est un processus holistique (valeur, philosophie, mode de management), un processus technique (organisation de la surveillance des concurrents) et un processus tactique, selon Michael Porter (agir contre ses concurrents). Dans une matrice stratégique, il faut croiser ses domaines d’activités avec ses savoir-faire de base, ses avantages concurrentiels, ses concurrents, les opportunités et les menaces du marché. A certaines intersections, on trouve des thèmes clés de surveillance, associés à des risques.

Par exemple, dans le cas d’une organisation humaine, on se trouve devant le choix d’une organisation centralisée ou décentralisée. Le processus passe par la définition des rôles de collecteur – analyste – animateur, mais aussi le training des personnes ressources et une révision selon une fréquence propre à l’organisation. Dans le cas d’une organisation technique, le processus passe par l’identification et la qualification des sources d’information internes et externes. Le cycle du renseignement reste le fil conducteur, et pour cela, la mise en place d’outils de collecte et d’analyse automatisée est privilégiée (sans négliger l’analyse humaine).

Fabien Noir relate que la mise sous surveillance d’un site web fournisseur de Sonceboz a fait apparaître une alliance stratégique critique. L’analyse des demandes d’offres de prix a mis en lumière une demande spéciale d’un client. La veille brevet donne des indications concurrentielles (qui ? quoi ?). La stratégie d’entreprise doit être définie et communiquée dans l’organisation. L’intelligence économique est un outil d’acquisition des ventes et de défense du patrimoine : elle doit donc être partie intégrante de la culture d’entreprise. Il faut une animation soutenue du processus par le marketing. L’étape du feedback est cruciale pour les outputs décisionnels.

Conclusion de la journée, par François Courvoisier

Les travaux se terminent par des remerciements à l’équipe organisatrice, ainsi qu’à Fabienne Courvoisier, adjointe scientifique, et à Antonia Jaquet, assistante de recherche, toutes deux à la Haute école de gestion Arc, qui ont chacune œuvré dans les coulisses et contribué au bon déroulement de la journée.

On peut trouver les présentations des intervenants, au format powerpoint, sur le site web de la Haute école de gestion Arc en suivant le lien http://www.he-arc.ch/hearc/fr/idma/Prestations_Services/Prestations_Services/compterenduscolloques.html.

Le 6ème colloque franco-suisse en intelligence économique et veille stratégique aura lieu à l’IUT de Besançon, l’Université de Franche-Comté, le jeudi 18 juin 2009, sur le thème :

« Intelligence économique et développement à l’international »

Quels services d’information documentaire aujourd’hui ? Pistes de réflexion issues d’une Journée d’étude organisée récemment par le département Information documentaire de la HEG Genève

Florence Muet, Haute Ecole de Gestion, Genève

Quels services d’information documentaire aujourd’hui ? Pistes de reflexion issues d’une Journee d’etude organisee recemment par le departement Information documentaire de la HEG Geneve

Comment évoluent les services d’information aujourd’hui, dans un environnement complètement renouvelé ? C’est à cette question majeure que le département Information documentaire de la Haute Ecole de Gestion de Genève a tenté de chercher des réponses en organisant le 25 septembre dernier à Lausanne une journée d’étude professionnelle intitulée « Services d’information documentaire : adaptations, innovations, nouveaux concepts ». L’objectif était de recueillir le témoignage de responsables de bibliothèques et de services documentaires représentatifs de nouvelles approches de la fonction documentaire, et ce dans trois domaines : la lecture publique, les bibliothèques académiques et les services documentation professionnels 1 . La présente contribution propose, en guise de synthèse des témoignages et des débats de la journée d’étude, quelques pistes de réflexion pour tenter de comprendre dans quel sens se déploie cette nouvelle vision des services d’information documentaire et de leur mode d’intervention.

On ne fera qu’évoquer ici les mutations qui rendent nécessaires ces nouvelles approches, tant elles sont déjà vécues par chaque professionnel de l’information, quel que soit son univers de travail. Force est de constater que les services d’information documentaire sont aujourd’hui pris entre trois pressions face auxquelles ils doivent se situer. Les utilisateurs, parce qu’ils ont le choix, montrent un niveau d’exigence de plus en plus élevé, à la fois sur la pertinence des services qui leur sont proposés et sur la qualité de la mise à disposition de ces services. L’avènement de la documentation numérique a fait apparaître de nouveaux opérateurs de l’accès à l’information et au savoir, dont certains sont dotés d’une force de production et de commercialisation qui tend à en faire les leaders du secteur (Google est ainsi devenu en seulement quelques années le standard de la recherche d’information). Enfin, les institutions elles-mêmes (et les collectivités qu’elles représentent), parce qu’elles financent leurs infrastructures documentaires, attendent encore plus qu’avant une contribution effective et directe de ces services à leur activité, ainsi que la preuve de cette contribution. Dans ce contexte, les services d’information documentaire sont amenés à « repositionner leurs valeurs ajoutées » pour reprendre l’expression de Ghislaine Chartron, directrice de l’Institut National des Techniques Documentaires à Paris 2 , dans son allocution d’ouverture.

Un postulat avait présidé à la préparation de cette journée d’étude : la réponse que doivent donner les services d’information documentaire à cette nécessité de confirmer leur place dans le nouvel ordre documentaire est celle de l’innovation dans les prestations proposées et du développement de nouveaux concepts de services. A l’écoute attentive des différentes contributions, l’impression générale qui ressort est qu’en fait, il ne s’agit pas toujours forcément d’innovation au sens de création de services qui n’existaient pas avant, mais plus globalement d’une vision totalement renouvelée de la fonction documentaire, qui amène à mettre en œuvre différemment des services assurés depuis finalement longtemps pour certains. Les Ideas Stores 3  continuent de faciliter l’usage de ressources documentaires pour le grand public, comme toute bibliothèque de lecture publique ; mais autrement. Les Learning Centres 4  assurent, comme les bibliothèques universitaires traditionnelles, l’accès au savoir scientifique et à la méthodologie documentaire ; mais avec de nouvelles modalités. Les services documentation professionnels ont depuis bien longtemps développé des prestations de diffusion d’information ; leur action n’est cependant plus forcément pensée de la même façon aujourd’hui.

Bien sûr, l’offre des services d’information documentaire en direction de leurs publics évolue nettement. Une première tendance est de diversifier les ressources mises à disposition. Le cas de la lecture publique est emblématique. Ainsi, le succès de la DOK Library Concept Center de Delft en Hollande 5  est fondé en bonne partie sur une multiplication des types de supports mis à la disposition des publics : des livres bien sûr, mais aussi et surtout des e-books, des supports audiovisuels (films, musique, vidéo), des jeux vidéo, etc. L’idée globale est de proposer au public des expériences plurielles d’accès au savoir ou au loisir. Les bibliothèques scientifiques diversifient également depuis longtemps leurs collections, avec une part de plus en plus importante accordée aux ressources numériques, mais aussi à des outils logiciels, des tutoriels, etc. Dans les Learning Centres, par exemple, l’objectif est de combiner un ensemble de ressources et d’outils pour que chaque étudiant puisse trouver ce qui convient à son style d’apprentissage. Un autre credo est celui de la primauté donnée aux flux d’information. Une bibliothèque n’est plus un réservoir mais un nœud de circulation du savoir. Le nom du projet de modernisation des bibliothèques de l’ONU 6  est révélateur à ce propos : il s’agit de passer « des collections aux connexions ». Le rôle du professionnel de l’information est avant tout de faciliter l’accès à l’information et ce de façon dynamique. L’exemple du centre d’information et de documentation du Comité International de la Croix-Rouge à Genève 7  illustre cette logique. A côté d’un service standard de mise à disposition de ressources documentaires pour les publics internes et externes (bibliothèque de 25 000 ouvrages, médiathèque de 120 000 photos), ce centre a fondé son développement sur la mise en place de prestations de recherches et de veille documentaire pour l’interne. Une bonne partie de l’équipe travaille ainsi à la réalisation régulière de dossiers de synthèse, de bulletins de veille thématique, de produits de surveillance à partir des bases de données médias et d’Internet, etc.

Enfin, les maîtres mots pour les services d’information documentaire aujourd’hui sont ceux de l’interactivité, du service et de la médiation. Tout est fait pour que la bibliothèque vive au rythme de l’usager et cultive en quelque sorte l’empathie avec lui. Un premier principe est celui de la simplicité : de la consultation du catalogue, des accès aux ressources, des modalités d’utilisation. Les bibliothèques sont désormais « plug and play ». Une autre clé est celle de la proximité avec l’usager. Les Ideas Stores se sont implantés à proximité des lieux de passage de leur public cible. Les études préalables à leur conception ont en effet montré que les usagers souhaitaient se rendre à la bibliothèque à l’occasion de leurs déplacements de vie quotidienne, autrement dit en même temps qu’ils font leurs courses. Les Learning Centres se définissent comme des centres de vie au sein des campus, avec des espaces modulables pour accueillir différents types d’activités et une accessibilité garantie par des horaires d’ouverture élargis. Les services d’information spécialisés garantissent une présence régulière auprès de leurs usagers, adoptant leur rythme de travail. Une autre tendance est l’adoption des modes de fonctionnement des usagers. La bibliothèque n’est plus un lieu à part, doté de règles différentes auxquels les usagers devraient se conformer. Elle adopte les modes de fonctionnement qui ont cours aujourd’hui, notamment avec les jeunes générations. Ce qui paraissait iconoclaste il y a encore peu tend à devenir la norme : intégration de cafétérias et de cafés Internet, autorisation du téléphone portable et du bruit dans certains espaces, choix de couleurs vives et de mobilier design, etc. Enfin, l’accent est mis sur la communication avec l’usager. Les services d’information documentaires s’organisent pour que les personnels soient véritablement disponibles et à l’aise avec les usagers. Dans les bibliothèques publiques, les postes de renseignement sont allégés mais mieux répartis au sein des espaces. Dans les Learning Centres, les bibliothécaires assurent une prise en charge individualisée des étudiants, notamment sous forme de tutorat documentaire. Et les équipes des services documentation spécialisés sont intégrées dans des groupes de travail avec leurs utilisateurs. Dans tous les cas, les compétences en termes de communication et de relation interpersonnelles sont favorisées et développées pour les personnels en contact avec le public.

Les évolutions sont donc nettes dans la façon de concevoir les services rendus aux publics. Mais l’apport le plus intéressant de la journée d’étude nous semble résider dans le constat d’une évolution radicale de la posture des professionnels de l’information vis-à-vis de leur activité. Au-delà de la modernisation des services rendus aux utilisateurs, c’est en fait une conception rénovée de la fonction documentaire qui se fait jour.

D’abord, les différentes évolutions dans l’offre des services d’information documentaire que nous venons de citer sont toutes liées, explicitement ou non, à une philosophie très forte du centrage premier sur l’utilisateur. C’est peut-être en bonne partie là que se situe la transformation de fonds des services d’information documentaire. La bibliothèque traditionnelle était centrée sur sa collection, qui fondait sa légitimité et organisait son fonctionnement, autour du modèle du circuit du livre. Son rôle premier était de préserver et de valoriser le savoir. La bibliothèque d’aujourd’hui fonctionne à partir de son public, part de ses attentes et de ses comportements. Il est ainsi avéré que le cœur du service d’information documentaire n’est plus la gestion de la ressource documentaire (dont par ailleurs les modalités changent radicalement, avec la documentation numérique qui tend à devenir dominante dans de nombreuses bibliothèques) mais la gestion de l’utilisateur. Une autre façon de dire ce changement radical est de considérer que le cœur de métier du professionnel de l’information n’est plus l’indexation mais la médiation. Le rôle premier du service d’information documentaire est ainsi d’animer un ensemble de dispositifs d’accès et de circulation du savoir, en adaptant ses modalités de fonctionnement aux pratiques, aux envies et aux contraintes des utilisateurs. Certes, cette logique existe déjà depuis plusieurs années, notamment avec l’adoption bien comprise de méthodologies de marketing pour penser l’offre de services aux utilisateurs. On réalise aujourd’hui qu’il ne s’agit pas d’une option mais bien d’une logique de comportement première pour n’importe quel service d’information documentaire. L’écoute des publics, l’analyse de leurs besoins, l’observation de leurs pratiques et l’évaluation de leur satisfaction deviennent alors des facteurs de réussite incontournables.

Une deuxième évolution fondamentale, extrêmement présente dans les discours de tous les intervenants de la journée d’étude, réside dans le fait que les services d’information documentaire entendent se positionner comme de véritables acteurs au sein de leur communauté (une municipalité pour une bibliothèque de lecture publique, la communauté académique pour une bibliothèque scientifique ou encore l’entreprise pour un service documentation interne) et non pas comme de simples fournisseurs. Le maître mot est alors celui de la contribution effective de ces services d’information à l’activité et au développement de leur communauté. Au-delà de la fonction documentaire, c’est ainsi le rôle social ou institutionnel du service d’information documentaire qui est mis en avant et qui dicte les règles de son activité et de son fonctionnement. Ainsi, les Ideas Stores participent très clairement à un projet global d’intégration sociale de populations culturellement défavorisées (ils sont situés dans les quartiers les plus pauvres de Londres) par l’accès au savoir et à la formation. Les Learning Centres sont conçus pour être un des outils du développement de la compétence individuelle et, au-delà, de l’intelligence collective, facteur premier de compétitivité des territoires, dans une économie de l’information. Et les deux exemples de services spécialisés présentés lors de la journée montrent bien comment leur intervention est conçue pour être plus qu’un simple appui puisqu’ils participent directement à l’activité en apportant leur compétence là où elle est utile (le service information-documentation du CICR est par exemple une des différentes structures internes actionnées dans le processus de préparation d’une mission d’intervention ; la bibliothèque de l’ONU à New York a quand à elle évolué fortement vers une mission d’apprentissage informationnel des agents de l’organisation). Une nécessité impérative pour les responsables et les concepteurs de services d’information documentaire est alors de disposer d’une véritable vision stratégique (et de s’en donner les moyens !), permettant de repérer et de comprendre la dynamique et les enjeux auxquels leur service doit répondre. Une autre conséquence réside dans le fait d’être sur un comportement très réactif. Les professionnels de l’information sont ainsi amenés à identifier là où leurs compétences peuvent être utiles et à engager eux-mêmes des propositions de service, dans une véritable logique d’acteur.

Une dernière dimension de cette nouvelle vision du service d’information documentaire, qui découle en bonne partie des précédentes, est celle d’une approche élargie et ouverte de la fonction documentaire. On parle aujourd’hui de nouveaux concepts pour les bibliothèques aussi parce que ces services vont sur des terrains où ils n’étaient pas présents auparavant, plus précisément s’articulent étroitement avec d’autres activités ou fonctions, avec l’idée globale de proposer à l’usager une porte unique d’accès à un ensemble intégré d’activités et de ressources. Pour les bibliothèques publiques et académiques, le lien est nettement fait entre information et formation, des alliances intimes de services étant proposées aux usagers autour de ces deux approches complémentaires. Les Ideas Stores proposent à leur public un ensemble complet de services reliés entre eux, allant de l’accès à des ressources documentaires à l’organisation de formations dans tous les domaines, de l’aromathérapie à la comptabilité, des arts du jardin à la création de pages web. Des salles de cours sont implantées au cœur des Learning Centres, mais aussi des cellules d’édition numérique pour les étudiants, des salles multimédia, etc. La diversification touche aussi les publics. Ainsi, l’Infothèque de l’Université Léonard de Vinci 8  située à Paris cible non seulement le public naturel des étudiants de l’institution mais étend aussi ses prestations documentaires et de formation à l’information à un public professionnel, notamment de chercheurs d’emploi. Les services documentation d’entreprise sortent également de leur mission traditionnelle de gestion des publications externes pour devenir les animateurs des dispositifs de capitalisation des connaissances, de records management et de gestion individuelle de l‘information (une des prestations mises en place par la bibliothèque de l’ONU à New York est par exemple d’apprendre aux agents à mieux gérer leur messagerie électronique).

On voit donc bien aujourd’hui que ce n’est pas (ou plus) la logique documentaire qui prime pour la conception des services d’information documentaire, mais bien la double perspective des usagers (diversité des ressources, simplicité d’accès et d’utilisation, animation et commodités, interaction et personnalisation du service) et de la collectivité (intégration sociale par le savoir et la culture pour la lecture publique ; enjeu des compétences pour les bibliothèques universitaires ; contraintes d’efficacité opérationnelle pour les entreprises ) qu’ils servent. Au final, un service d’information documentaire se définit aujourd’hui comme un dispositif catalyseur de ressources, de services et d’expertise. Sa valeur ajoutée provient de la combinaison de cet ensemble de prestations complémentaires et de relations de services multiples. Et c’est bien cette logique d’intégration qui semble fonder la place, le rôle et l’action des services d’information documentaire dans une économie de l’attention.

10. Notes

 1  On trouvera un compte rendu de cette journée d’étude dans l’article : C. Bize, K. Pasquier. Services d’information documentaires. Adaptations, innovations, nouveaux concepts. Documentaliste-Sciences de l’information, vol 45, n°4, novembre 2008, pp 20-21

 2  http://intd.cnam.fr

 3  http://www.ideastore.co.uk

 4  Voir celui de l’Université de Kingston, présenté lors de la journée d’étude. http://www.kingston.ac.uk

 5  http://www.dok.info

 6  http://www.un.org/Depts/dhl/dhlf/index.html

 7  http://www.icrc.org

 8  http://www.devinci.fr/infotheque