La médiation : un concept pour les sciences de l’information et de la communication – Jacqueline Deschamps, 2018

Elise Pelletier, Haute Ecole de Gestion, Genève

La médiation : un concept pour les sciences de l’information et de la communication – Jacqueline Deschamps, 2018

Avec cet ouvrage, Jacqueline Deschamps inaugure la série « Des concepts pour penser la société » aux éditions ISTE. Dirigée par Valérie Larroche de l’ENSSIB, cette série a pour objectif de donner un cadre théorique à des concepts régulièrement utilisés en Sciences de l’information et de la communication (SIC) en montrant leur transversalité avec d’autres disciplines. À « la médiation » se sont désormais ajoutés « le pouvoir » d’Olivier Dupont, « le dispositif » de Valérie Larroche et « le discours » de Jean-Paul Metzger. En tout, douze ouvrages devraient constituer cette série.

Enseignante à la Haute école de gestion de Genève jusqu’en 2009, Jacqueline Deschamps s’est notamment intéressée aux questions d’identité professionnelle des spécialistes de l’information. Dans cette lignée, il est assez cohérent que la thématique de la médiation vienne accroître ses publications. En effet, le rôle de médiateur des bibliothécaires et/ou archivistes est traditionnellement vu comme une évidence, de par leur rôle d’intermédiaire entre les collections et les usagers. Néanmoins, la réalité de ce concept disparaît parfois derrière une image floue qui englobe aussi bien l’animation que la communication. De plus, ce rôle d’intermédiaire est plus difficile à circonscrire dans un environnement numérique où les questions de médiations peuvent sembler assez désuètes. Ce livre re-pose donc de manière très utile les bases de la médiation en SIC.

Deux parties composent cet ouvrage. La première est consacrée aux « fondements épistémologiques » en s’appuyant sur les apports d’autres disciplines. La seconde partie replace la médiation et ses implications au sein des SIC.

L’auteure souligne dans l’introduction de la première partie, que le concept de « médiation » dépasse largement le cadre des SIC et est utilisé dans d’autres disciplines. Il a également envahi notre société et s’affiche dans l’espace public « comme une sorte de remède miracle pour régler des conflits de toute nature et à tous niveaux. » (Deschamps 2018, p.7). En réalité, la médiation a une « définition rigoureuse » basée sur une structure ternaire précise autour de ces éléments : « un tiers », « une relation » et « des sujets ». Ces trois éléments sont indispensables et c’est l’équilibre entre eux qui va garantir l’acte de médiation. L’auteure vient ensuite définir précisément ces éléments constitutifs. Elle explique, par exemple, que le positionnement neutre du tiers est central. S’il vient imposer aux sujets un choix moral, juridique ou autre…, alors on se trouve plutôt dans un cadre de conciliation, d’arbitrage ou même d’enseignement. Le tiers n’a aucun pouvoir de décision et n’est pas forcément une personne physique. Il peut prendre différentes formes: humaine, institutionnelle, symbolique. Le langage, par exemple, est une forme de tiers dans la médiation « c’est lui qui organise les relations entre les hommes et leur permet de représenter symboliquement le réel qu’ils perçoivent » (ibid., p. 23). La « relation », deuxième élément de la médiation, est à appréhender comme un processus. Dans cette perspective, la médiation peut intervenir à tout moment de la création à la rupture de la relation (ibid. p.25). Le troisième élément constitutif « les sujets » est beaucoup plus complexe à définir. Jacqueline Deschamps s’appuie dans cette partie sur plusieurs approches en philosophie, mais aussi bien évidemment en psychanalyse. Comme elle le souligne elle-même, l’exercice reste compliqué tant les approches sont complexes et parfois controversées. Contrairement, à l’élément tiers, « le sujet est celui qui n’est pas objet, qui ne peut se saisir comme un objet » (ibid. p.31).

Après avoir redéfini les trois éléments constitutifs de la médiation, l’auteure évoque ses caractéristiques du point de vue de son organisation et de sa temporalité. Elle insiste sur l’importance du cadre spatio-temporel, car la médiation, par essence, ne peut pas s’inscrire dans l’immédiateté. C’est sur cette importante question du « temps de la médiation » que se termine la première partie du livre. L’approche proposée dans cette première partie est volontairement conceptuelle et emprunte à plusieurs disciplines pour pouvoir, dans un second temps, repositionner la médiation dans le cadre plus restreint des SIC.

La deuxième partie intitulée « Mobilisation du concept de médiation en SIC » s’organise autour de cinq types : les médiations communicationnelles, informationnelles, culturelles, organisationnelles et sociétales. Même si le concept de médiation n’est pas réservé uniquement au SIC, il y a rapidement pris une place prépondérante. Pour preuve, Jacqueline Deschamps s’amuse à égrainer les nombreux laboratoires de recherche qui ont intégré le terme « médiation » dans leur nom (ibid. p.53).

Les médiations communicationnelles qui inaugurent cette partie rappellent que l’approche française de la discipline réunit les sciences de l’information et celles de la communication (SIC). Jacqueline Deschamps note que la communication permet un « transport dans l’espace » ce qui la rapproche de la notion de « transmission » qui permet un « transport dans le temps » (ibid.). Le parallèle avec les institutions emblématiques des SIC que sont les bibliothèques et les services d’archives est assez évident, car ce sont traditionnellement des lieux de transmission. Ils intègrent par conséquent cette médiation communicationnelle asynchrone. C’est également dans cette partie que l’auteure aborde les médiations numériques qui interrogent la notion d’accessibilité de l’information. Elle met en exergue l’importance actuelle de « l’individualisation des usages » (c’est-à-dire des interfaces d’accessibilité construites sur l’analyse des besoins des individus) qui déstabilise une approche de l’information documentaire qui s’est traditionnellement orientée vers une « visée collective » (ibid. p.53). La médiation informationnelle couvre un plus large spectre de professionnels de l’information et englobe aussi bien le documentaliste(1) que le chargé de veille. L’auteure précise notamment que l’intelligence économique est un « processus de médiation d’information spécialisée » (ibid, p.74). La partie sur les médiations culturelles permet de revenir sur deux conceptions antagonistes de la médiation. L’une « verticale » est traditionnellement présente dans les institutions culturelles dans lesquelles le médiateur est présent pour offrir la culture « qu’il détient » au plus grand nombre. L’autre « circulaire » déconstruit cet accès parfois élitiste et le rôle du médiateur est plutôt de « promouvoir d’autres types de relation à la culture » (ibid., p.77). On peut citer pour illustration le développement des réflexions sur les bibliothèques participatives. Pour les deux derniers types, Jacqueline Deschamps rappelle que la médiation est « au centre de la construction du social ». Elle s’interroge donc sur la place des médiations organisationnelles et sur celles des médiations sociétales qui abordent les questions politiques, écologiques, etc. La médiation est ici perçue sous l’aspect de l’établissement de la relation entre l’individu et le collectif au sens sociétal.

En conclusion, l’auteure rappelle que « la médiation remplit une fonction fondamentale de rétablissement de la communication » (ibid., p.101). Effectivement, dans le contexte des bibliothèques et des services d’archives, cette relation entre les usagers et les collections est parfois restreinte, voire inexistante. Le rôle du professionnel de l’information est de créer et maintenir cette relation sans l’influencer par un jugement moral ou autre. Paradoxalement, avec le développement des données numériques, la relation préexiste avant l’intervention du professionnel. L’acte de médiation intervient alors plus tard dans le processus de relation et le rôle du professionnel se concentre sur l’amélioration de cette relation.  

Le grand intérêt de cet ouvrage est de proposer une approche conceptuelle complète. Comme plusieurs fois souligné, l’acte de médiation est souvent abordé de manière approximative dans la littérature professionnelle ce qui met en péril sa crédibilité au sein des SIC. D’ailleurs, un des bémols du livre, que l’auteure relève elle-même, est le manque de références scientifiques récentes dans la bibliographie. Cela fait écho à un autre problème soulevé : l’aspect polymorphe de la médiation qui rend sa conceptualisation assez complexe. Il n’est effectivement pas aisé de circonscrire l’ensemble des concepts et notions abordées dans cet ouvrage. Néanmoins, sa construction permet des entrées par éléments constitutifs et/ou par types de médiation, ce qui lui confère un statut d’ouvrage de référence sur le sujet. 

Notes

(1)Au sens français du terme, c’est-à-dire le bibliothécaire en milieu académique.

Bibliographie

DESCHAMPS, Jacqueline, 2018. La médiation: Un concept pour les sciences de l’information et de la communication (Vol. 1). ISTE Group. ISBN : 9781784054830