De la veille classique au social listening : compte rendu de la 16ème journée franco-suisse sur la veille stratégique et l’intelligence économique, 20 juin 2019, Genève

Hélène Madinier, Haute Ecole de Gestion, Genève

De la veille classique au social listening : compte rendu de la 16ème journée franco-suisse sur la veille stratégique et l’intelligence économique, 20 juin 2019, Genève

La 16ème journée franco-suisse en veille et intelligence économique s’est tenue jeudi 20 juin 2019 à la Haute école de gestion de Genève sur le thème du social listening.

Intitulée « De la veille classique au social listening : expérimenter et comparer les outils et les méthodes », elle a rassemblé environ une quarantaine de personnes, et comportait à la fois des conférences et des témoignages de praticiens, ainsi que des démonstrations d’outils de social listening, en l’occurrence Digimind social et Brandwatch.

Après quelques mots de bienvenue des représentants de la Ville de Carouge et de la HEG-Genève, c’est Christophe Thil, consultant, gérant de l’agence Blueboat à Mulhouse, qui assurait la conférence d’ouverture intitulée  «Social listening, veille «traditionnelle», même combat ?»

Après avoir donné plusieurs définitions du social listening, (activité de veille et d’analyse des messages publiés sur les médias sociaux et des forums/sites d’avis de consommateurs pour un sujet donné, écoute et analyse des propos concernant principalement une marque) Christophe Thil proposait de revenir aux définitions de base : la veille implique de rester éveillé, à l’affût, et l’intelligence économique, de savoir établir des liens entre les informations, savoir leur donner du sens. Il distingue 4 grands flux d’information :

  • Les informations anticipatives
  • Les informations fragmentaires
  • Les informations incertaines – à remettre en question-
  • Les informations qualitatives

À Présence Suisse, la veille sert clairement à la décision et à l’action.

Ce qui est fondamental, c’est de comprendre les besoins du client en termes d’utilisation, notamment en ayant recours à la méthode « QQOQCP » (qui, quoi où, quand, comment, pourquoi) , et de comprendre que le parcours du client est désormais transformé : quand il rencontre le commercial, il en sait quasiment autant que lui, car il s’est renseigné sur le produit ou le service, grâce aux moteurs, à la collecte d’avis, de vidéos etc…

Par ailleurs, il faut savoir que la veille est difficile sur les réseaux sociaux fermés (comme LinkedIN ou Facebook) et que le social listening ne doit pas se limiter aux réseaux sociaux, mais doit inclure la consultation des Webs visible et invisible. Et la veille elle-même n’est pas une finalité. On ne fait pas de la veille pour faire de la veille, mais pour un objectif précis : ce qui compte c’est d’avoir des objectifs clairs, et que l’information trouvée et analysée réponde de manière adéquate à un besoin, quel que soit le canal ou le mode de veille. Finalement, malgré la nécessaire utilisation d’outils performants, il ne faut pas négliger l’importance de l’analyse humaine des informations, qui permet de contextualiser et de donner un sens à celles-ci.

Ensuite, Laurent Berthelot, consultant en stratégie marketing et publicité proposait un témoignage sur l’industrie du luxe, à savoir ”Social listening et veille classique : une nécessaire complémentarité pour l’identification d’audiences dans l’industrie du luxe

Une des tendances du luxe est de vendre de plus petites pièces, moins cher. Dans ce domaine, il faut d’abord savoir où regarder pour identifier et analyser l’audience à atteindre ; la cible-clients : mettre en place des persona permettant d’identifier et de catégoriser ce que recherche la cible-clients, ensuite analyser les secteurs similaires, puis analyser les industries sur le même marché. Il faut savoir que la communication s’adapte au comportement des clients : elle devient aujourd’hui « omnicanale », c’est-à-dire présente sur tout type de dispositif (mobile ou non), d’applications (site, réseaux sociaux), ce qui multiplie les points de contact avec les clients – clients qui sont aussi « slashers », terme signifiant qu’ils ont plusieurs activités et ont une durée d’attention assez courte.

Ce social listening pratiqué avec des outils de monitoring dédiés, qui vient ici compléter une veille concurrentielle, une veille marché et une veille technologique, permet d’avoir une idée de la perception de la marque, d’identifier des ambassadeurs possibles, d’observer les changements de comportements, et de prendre part aux conversations. Donc d’être mieux informé, plus précis, plus efficace. Mais ces différents moyens de veille impliquent un flux de données considérable et nécessitent d’une part de choisir les bons indicateurs, et d’instaurer un partage de connaissances en interne, qui ne peut qu’être profitable pour une entreprise, car permettant de casser les silos, et de co-créer de nouveaux produits, via l’expérimentation et le design thinking.

Le témoignage suivant concernait Présence Suisse, organisme dépendant du Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) et responsable de l’image de la Suisse à l’étranger. Il était présenté par Renée Bäni, responsable des réseaux sociaux pour Présence Suisse, et avait pour titre : Au-delà des montres des montagnes et du chocolat : l’image de la Suisse à travers le social listening

La surveillance de l’image de la Suisse à l’étranger se fait d’abord à travers les médias classiques, les médias sociaux dans 20 pays, et à travers des enquêtes. L’objectif est de suivre et d’ajuster la communication en fonction des informations recueillies et synthétisées. Les outils de collecte utilisés sont Adwired, Meltwater et Factiva et les outils dédiés au suivi et à l’analyse des médias sociaux sont BuzzSumo et Brandwatch. Buzzsumo permet de trouver les contenus les plus partagés sur Internet, et Brandwatch envoie des alertes dès qu’un influenceur (un utilisateur de Twitter avec plus de 500 000 abonnés) poste un message sur la Suisse. Pour le social listening, un bilan est effectué chaque semaine et si un thème remonte particulièrement, il est mis sous surveillance et une action de communication est entreprise.

Certaines difficultés ont été explicitées. D’une part, il est difficile de faire du monitoring sur Facebook et Instagram ; de l’autre, les outils d’analyse ont aussi leurs limites –l’ironie peut être considérée comme positive alors que le contenu est négatif – et l’analyse humaine garde ici toute son utilité. Par ailleurs, si Présence Suisse est convaincue de la nécessité de suivre les médias sociaux pour surveiller l’image de la Suisse, l’organisme est également conscient que tout le monde n’est pas sur Twitter et que ces contenus ne sont pas forcément représentatifs de l’opinion publique. Il faut donc relativiser l’importance donnée aux informations identifiées, et notamment aux fake news. 

L’intervention suivante, intitulée Exploitation de la donnée d’opinion dans la veille et les études,   était présentée par Emeline Charles, chargée d’études et de veille sociale au Cabinet Boléro à Lyon, entreprise de conseil en stratégie digitale et influence. Son travail de prestataire de veille l’amène à offrir deux types de livrables : de la veille et des études.  Pour la veille, les outils de collecte utilisés sont des outils de veille et de suivi de médias sociaux (Talkwaker, Brandwatch, Linkfluence etc…), des outils de collecte de données sur le parcours et le comportement des internautes (Google analytics, Adwords etc...) ; les sources de données sont des données ouvertes (open data) d’actualités, d’études et également des enquêtes. Emeline Charles illustrait sa méthode en donnant l’exemple d’une veille sur le secteur de la bière : une marque souhaitait lancer un nouveau produit correspondant aux attentes des internautes. Il fallait alors identifier les types de consommateurs, les modes et les occasions de consommation, en partant des médias spécialisés puis en suivant les principaux influenceurs, les forums pertinents, et également s’intéresser au volume annuel des retombées, aux volumes de recherche Google. Vu la volumétrie, un échantillonnage est ici nécessaire.

Le dernier témoignage, présenté par Véronique Malan, directrice Canaux Marketing & Vente à l’Ecole hôtelière de Lausanne (EHL) portait sur l’utilisation du social listening dans le secteur de l’enseignement supérieur. Intitulé Le Secteur de l’Education : Nirvana ou Cauchemar pour le Social Listening? , il présentait la pratique originale du Social Media Listening à l’Ecole Hôtelière de Lausanne (EHL).

La restauration et l’hôtellerie, domaines d’enseignement de l’EHL, sont des secteurs dans lesquels les réseaux sociaux sont particulièrement utilisés. Or, s’il faut deux heures à une personne pour donner son appréciation sur un restaurant, deux jours pour une nuit d’hôtel, il faut quatre ans pour former des étudiants à l’EHL, donc pour que des anciens étudiants puissent donner leur avis sur l’école.

Mais il n’y a pas que les anciens étudiants et les nouveaux diplômés qui sont à écouter avec le social media listening (SML), il y a aussi les futurs étudiants : le réseau social est le premier point de contact avec des candidats, futurs étudiants. C’est au travers des réseaux sociaux que l’école se fait connaître.

Donc, l’écoute des réseaux sociaux a plusieurs fonctions : recruter de nouveaux candidats, développer les compétences sociales des étudiants en interagissant avec eux, et prévenir les étudiants contre le mobbing et le harcèlement.

L’EHL n’utilise pas de plateformes de social media listening, considérées comme trop chères et inadaptées, mais utilise des groupes privés et sécurisés, Facebook Transparency pour la publicité, et interroge régulièrement son audience à l’aide de sondages/boîtes à idées. Elle a également recours à des ambassadeurs, qui font partie des communautés privées. De manière générale, l’école recherche l’interaction (l’engagement) avec les étudiants, et entreprend des actions de sensibilisation à l’utilisation des réseaux sociaux.

Finalement, deux démonstrations de plateformes de veille sociale ont complété ce panel de témoignages : Digimind social (http://www.jveille.ch/wp-content/uploads/2019/06/DS-June-2019-CHIHUAILAF.pdf) et Brandwatch (http://www.jveille.ch/wp-content/uploads/2019/06/Brandwatch_Journee-franco-suisse_Geneva-20-June-2019.pdf )

À la fin de la journée, Frédéric Martinet, consultant, fondateur et gérant d’Actulligence Consulting, a synthétisé très clairement chacune des interventions en y ajoutant un point de vue de praticien, et en mettant en garde contre certains des aspects liés à l’écoute des médias sociaux, comme par exemple la difficulté à trier ou masquer les influenceurs qui sont surreprésentés, et l’importance de privilégier l’idée et l’information sur la représentativité.