Forum annuel des bibliothèques HES-SO, 22 août 2019 : les données de la recherche « un marché à occuper »

Elise Pelletier, Haute Ecole de Gestion, Genève

Forum annuel des bibliothèques HES-SO, 22 août 2019 : les données de la recherche « un marché à occuper »

Le 22 août 2019, l’ECAL accueillait le douzième forum annuel des bibliothèques de la HES-SO, consacré à une thématique actuelle : « La gestion des données de la recherche et les bibliothécaires de la HES-SO : de la vision stratégique aux dispositifs opérationnels ». Cette journée était organisée par le Groupe de répondant-e-s Bibliothèques de la HES-SO, en partenariat avec la filière information documentaire (ID) de la Haute Ecole de Gestion de Genève (HEG-Genève).

A l’heure de la transition vers l’Open Data et l’Open science, quels rôles ont à jouer les bibliothèques académiques pour soutenir les chercheurs et quelles compétences peuvent-elles faire valoir dans la gestion de leurs données ? La question est récurrente et les bibliothèques de la HES-SO n’y dérogent pas.

Dans son introduction à la journée, Michel Gorin, expert-métier en ressources documentaires de la HES-SO, donnait le ton en parlant des données comme d’un « marché à occuper ». D’un côté, les enjeux stratégiques et financiers liés à la gestion des données de la recherche ne sont pas négligeables avec, par exemple, l’obligation pour les chercheurs de produire un Data management plan (DMP) pour toute demande auprès du Fonds national suisse (FNS). De l’autre côté, la transition vers le numérique a eu tendance à questionner la légitimité des bibliothèques des hautes écoles encore souvent identifiées aux collections papier. La « vision stratégique » pourrait sembler évidente car comme le souligne René Schneider, responsable de la filière Information documentaire de la HEG-Genève, dans un entretien accordé à la revue Hémisphères, les bibliothèques et services d’archives ont un rôle à jouer dans la gestion des données de la recherche (GDR). Néanmoins, « les dispositifs opérationnels » nécessaires sont multiples et les bibliothèques doivent pouvoir y accorder les ressources adéquates pour en assumer l’intégralité.

Pour poser le cadre et comprendre les enjeux liés aux données de la recherche, Christine Pirinoli, vice-rectrice Recherche et Innovation est tout d’abord revenue sur la Stratégie Open HES-SO. Validée en décembre 2018, cette stratégie accompagne institutionnellement les profondes transformations actuelles de la recherche. Avec l’Open science, la HES-SO vise :

« un décloisonnement des connaissances, un échange de savoirs entre les chercheuses et chercheurs ainsi qu’une visibilité et une mise à disposition accrues des données et des résultats dans le but que la connaissance puisse être diffusée, réutilisée, partagée pour le bénéfice de la communauté scientifique et plus largement de la société » (la Stratégie Open HES-SO, p.2)

Au-delà d’une nouvelle stratégie, c’est un « changement de paradigme » pour tous les acteurs de la recherche, souligne Christine Pirinoli. Pour cette raison, il est essentiel que cette mutation soit la mieux accompagnée possible. Outre la « Première journée Open science », la HES-SO a mis en place un plan d’action avec trois axes. Le premier « Communication, sensibilisation et formation de la communauté HES-SO aux notions et aux enjeux Open Science » a notamment abouti à la mise en place d’un site dédié Open HES-SO. Le deuxième axe « Transition vers l’Open Access et l’Open Data» est marqué par la signature en mars 2019 de la Déclaration de San Franscisco sur l’évaluation de la recherche, DORA. Le déploiement d’ArODES, archive institutionnelle de la HES-SO, est aussi un élément phare de cet axe particulièrement en adéquation avec la thématique de la journée, puisque c’est l’Infothèque de la HEG-Genève qui en est propriétaire métier. Enfin, le troisième axe « Mise en place, gestion et mutualisation des infrastructures » apporte un soutien organisationnel avec, par exemple, l’adhésion à ORCID. Ainsi, à compter de janvier 2020, des identifiants pérennes de type DOI, pourront être attribués par le biais de la HES-SO. Même si la HES-SO ne prévoit pas pour l’instant d’infrastructure de dépôt de données, ce premier pas s’inscrit clairement dans la volonté de respecter les principes du FAIR (findable, accessible, interoperable, reusable). A travers cette présentation, Christine Pirinoli a ouvert tout un champ des possibles pour les bibliothèques de la HES-SO, du moins pour celles qui ont les ressources à disposition pour relever le défi.

Suite à cette première présentation, Cynthia A. Germond et Jonathan Donzallaz, des étudiants du Master en sciences de l’information de la HEG-Genève sont venus présenter les premiers résultats de leur projet de recherche sur les Stratégies Open Access. A l’instar de la HES-SO, de nombreuses universités modifient leur stratégie vers une vision « Open » de la recherche. Un des premiers pas vers cette ouverture est la question de l’Open Access (OA). De manière synthétique, cela correspond à rendre accessible les résultats des chercheurs notamment par le biais de leur publication. Une des premières constatations présentées par les étudiants est liée aux difficultés d’implémentation de ces nouvelles stratégies OA. Même si le concept de « Open » s’affiche sur le fronton de nombreuses institutions, les chercheurs, premiers concernés, restent parfois frileux vis-à-vis de l’OA. Cynthia A. Germond et Jonathan Donzallaz ont repéré chez les chercheurs quatre freins redondants : risque de porter atteinte à leur liberté académique, charge de travail supplémentaire, défense du droit d’auteur et rejet par les éditeurs des auteurs qui publient en OA. Toutes ces interrogations soulignent l’importance de « créer une culture OA dans l’institution ». Le changement de paradigme doit être généralisé et intégrer l’ensemble des acteurs de la recherche, comme les bibliothèques des hautes écoles. Dans la suite de la présentation, les exemples de stratégie étaient majoritairement issus de grandes bibliothèques dont les ressources permettent d’en faire des acteurs très actifs dans le domaine (Harvard Library, University of Southampton, Rice Fondren Library…). Malheureusement, les bibliothèques plus modestes ne sont généralement pas vues par les chercheurs comme des acteurs de la recherche. C’est en tout cas, un constat fort qui est ressorti des différentes interventions des bibliothécaires de la HES-SO présents à la journée.

Si, visiblement, les chercheurs méconnaissent les services offerts par les bibliothèques, à l’inverse, les bibliothécaires ont souvent une connaissance partielle du processus de recherche, ce qui limite par conséquent leur possibilité d’interaction. Basma Makhlouf Shabou, professeure dans la filière Information documentaire de la HEG-Genève, a pris le temps d’expliquer en quoi consistait réellement la GDR. Pour elle, la GDR « est la prise en charge de ces [données] durant la totalité de leur cycle de vie depuis la création et la capture jusqu’à la réutilisation, en passant par le traitement et la pérennisation ». En la décrivant comme un processus avec plusieurs étapes, Basma Makhlouf Shabou met en exergue que la GDR demande à chacune des étapes des compétences opérationnelles spécifiques. Par conséquent, elle est le lot de plusieurs professionnels, records manager, archivistes, curateurs de données et … bibliothécaires. De plus, ce processus a des particularités liées aux différents domaines d’études et également aux milieux académiques. Les objectifs des bibliothécaires sont donc d’identifier les potentiels partenaires et de comprendre les besoins spécifiques des chercheurs de leur institution. En ce qui concerne les HES, les principales caractéristiques de la recherche au sein de ces institutions sont liées à leurs particularités intrinsèques. Tout d’abord, ce sont des acteurs récents et ils s’orientent majoritairement vers une visée pratique des résultats de leur recherche. Ces deux éléments ont pour conséquence un positionnement parfois difficile vis-à-vis des bailleurs de fonds, habitués à des acteurs plus classiques de la recherche (universités, écoles polytechniques…). Cette récence et la diversité des cultures institutionnelles entre HES ont également pour conséquence un manque de coordination de l’ensemble des services, des projets et infrastructures proposés aux chercheurs. A ces caractéristiques s’ajoutent des lois cantonales différentes et « une grande hétérogénéité dans les domaines académiques couverts, ce qui impact[e] directement la typologie des données ». Face à ces défis, tous les acteurs de la recherche sont mobilisés et les bibliothécaires ne sont pas exempts de cette réflexion, même si le périmètre de leur intervention reste encore à bien circonscrire. De même que les activités au sein du cycle de la GDR sont multimodales, les compétences attendues chez les bibliothécaires sont variées. Dans un premier temps, les bibliothécaires ont un rôle à jouer pour accompagner ce changement de paradigme amorcé par la transition vers l’Open Science. Leur capacité d’analyse des besoins et leurs compétences en matière de médiation sont des atouts dans cette première phase. Ensuite, il est possible d’envisager le développement de nouveaux services spécifiques pour la GDR comme l’aide à la réalisation du Data Management Plan (DMP) ou la promotion de vocabulaires standardisés pour les métadonnées. Une fois les services de GDR stabilisés, d’autres compétences peuvent être valorisées : veille, mise en réseau, formations… Dans tous les cas, le premier palier vers l’implication des bibliothèques de la HES-SO dans la GDR et plus largement dans l’Open Science est un rapprochement entre les bibliothécaires et l’ensemble des acteurs de la recherche. Cette simple marche reste haute à franchir, car les bibliothèques de la HES-SO restent majoritairement vues comme des outils uniquement au service de l’enseignement et donc des étudiants. Difficile pour ces structures de modifier cette perception sans s’appuyer sur des partenaires mieux reconnus pour leur action dans l’accompagnement des chercheurs et, comme le conclut Basma Makhlouf Shabou, sans aller chercher des compétences techniques dans tous les corps de métier des sciences de l’information.

La dernière partie des présentations a été consacrée aux « services, ressources et facilités à disposition des bibliothécaires HES-SO pour la gestion des données de la recherche ». Pour débuter cet inventaire, Silas Krug, assistant HES, a présenté le projet Data Life Cycle Management (DLCM) dans lequel Basma Makhlouf Shabou et lui-même sont parties prenantes. Soutenu par le Programme « information scientifique » de swissuniversities, DLCM est un projet commun de l’Université de Genève, la HES-SO, la HEG-Genève et la Haute école spécialisée des sciences appliquées de Zurich - ZHAW. Ce projet vise à aider les chercheurs à gérer leurs données de recherche, de leur création à leur archivage. Dans ce cadre, DLCM propose des ressources (modèle de DMP, research data policy…) et services (formations, comparatifs d’Electronic Lab Notebooks, ELNs…) aux chercheurs. Un dépôt pour les données de la recherche « OLOS » va prochainement venir enrichir les services offerts par le DLCM. L’objectif est également de devenir un service de référence sur toutes les questions qui concernent la GDR, notamment par le biais d’un « Coordination Desk » qu’il est possible de contacter via l’adresse : dlcm@hes-so.ch. Cette possibilité de poser directement des questions à des experts du domaine a été visiblement très bien reçue par les bibliothécaires présents. D’autres ressources issues du programme « Information scientifique » de swissuniversities ont été successivement présentées : Train2Dacar (modules de formation à la GDR), CCdigitallaw (Base de connaissances sur les questions juridiques en lien avec les données de la recherche), EnhanceR (Conseils et outils pour l’analyse des données), etc. Tous les services et projets mis en place par le programme sont visibles sur le site de swissuniversities. Un autre acteur incontournable a été mentionné, le FNS, qui précise logiquement sur son site ses directives sur le sujet et diffuse des informations sur l’importance du respect des principes FAIR. Il indique également des solutions de dépôt pour les données de la recherche. La recherche suisse n’est pas la seule à évoluer vers l’Open Science et c’est logiquement que de nombreuses ressources et sites de référence sont disponibles à l’international : DCC (Digital Curation Center), le programme européen Horizon 2020…

Le développement de tous ces services et ressources montre à quel point l’Open Science vient bouleverser les modèles de recherche bien établis. A l’image de nombreuses bibliothèques des hautes écoles, les bibliothèques de la HES-SO semblent parfois démunies et pas tout à fait prêtes à assumer le rôle qu’on attend d’elles. Cette journée - avec notamment les ateliers de l’après-midi - était assez révélatrice de cette dichotomie. En effet, suite aux présentations de la matinée, l’assemblée a été invitée à participer à deux ateliers sur des thématiques pratiques : la création d’un service de GDR et le support au chercheur tout au long du cycle de vie des données. Ces ateliers ont été l’occasion de revenir plus concrètement sur certaines thématiques abordées durant les différentes présentations. Un des points intéressants à observer était le fossé qui séparait les participants, entre ceux, majoritaires, qui n’avaient aucune connaissance sur la GDR et les autres, qui avaient suivi des formations ou, pour quelques-uns, se trouvaient être d’actuels ou d’anciens chercheurs. Pour les premiers, la journée était porteuse d’un constat non négligeable sur l’obligation de déployer des formations conséquentes sur la GDR, afin d’envisager un réel engagement de leur bibliothèque auprès d’autres acteurs de la recherche. Pour l’instant, hormis le Master en sciences de l’information de la HEG-Genève, peu de formations de base en Suisse romande intègrent ces questions dans leur plan d’études. Le Bachelor ID devrait logiquement intégrer prochainement la GDR dans ses cours, sous une forme et dans une ampleur qui restent à définir. Cependant, si l’on revient au public de cette journée d’étude, ce sont majoritairement des questions de formation continue qui se posent. La HES-SO, par l’intermédiaire de son expert-métier en ressources documentaires, a raison de mettre en place ce type de journée d’étude. Elle marque le début d’un accompagnement à construire pour garantir que le réseau de bibliothèques de la HES-SO soit un acteur incontournable dans le déploiement de l’Open Science.

Aujourd’hui, les bibliothèques des hautes écoles ont tout intérêt à « occuper le marché » des données de la recherche. Tout d’abord, car elles ont des compétences en matière de gestion, d’analyse et de médiation à faire valoir, même si elles les ont développées sur d’autres supports que les données. De plus, leur proximité avec d’autres spécialistes de la gestion de l’information, comme les archivistes, leur permet d’assurer un dialogue constructif pour l’accompagnement des chercheurs tout au long du cycle de vie des données de la recherche. Enfin, lieux de convergence de nombreux acteurs au sein des HES, elles ont un positionnement idéal pour permettre une « ouverture » de la recherche à un public élargi dans l’esprit du Citizen Science.