Interroge : le service de référence en ligne des bibliothèques de la Ville de Genève

Susana Cameàn, bibliothécaire chargée de secteur, coordinatrice Interroge

Jürgen Haepers,  bibliothécaire chargé de secteur, coordinateur Interroge

Florent Dufaux, adjoint de direction, responsable d'Interroge

Bibliothèques de la Ville de Genève

Interroge : le service de référence en ligne des bibliothèques de la Ville de Genève

Introduction

Lancé en septembre 2013, le service de questions-réponses en ligne généraliste Interroge a répondu à ce jour à plus de 8500 questions. A l’occasion de son sixième anniversaire, revenons sur sa genèse et plongeons notre regard sur les projets à venir. Si la France a vu, dès 2004, plusieurs créations de ce type de service à vocation encyclopédique par des bibliothèques de lecture publique, en Suisse, Interroge http://interroge.ch/ est alors le premier service de référence en ligne encyclopédique. Les autres services de référence suisses, tels que SwissInfoDesk https://www.nb.admin.ch/snl/fr/home/services/conseils/recherchedienst.html, de la Bibliothèque nationale suisse, ou encore Le Valais en questions https://www.valais-en-questions.ch/, proposé par la Médiathèque Valais, ont une approche plus thématique. Interroge repose sur la collaboration de l’ensemble des bibliothèques de la Ville de Genève qui, pour la première fois, proposent une prestation commune à la population. Ce réseau permet de rassembler des domaines particulièrement variés réunissant ainsi des collections patrimoniales, scientifiques et généralistes.

À ce jour, Interroge reste la seule prestation transversale d'ampleur proposée par l'ensemble des bibliothèques de la Ville de Genève. A ce titre, il a bénéficié d'un soutien important du Département de la culture et du sport (DCS). Ce service s'inscrivait dans les objectifs stratégiques de la législature 2011-2015 pour, d'une part, favoriser les partenariats et les passerelles et d'autre part, développer la culture hors les murs. Il a aussi été porté par les directions des bibliothèques et musées qui composent ce réseau, puis, par les professionnels qui s'y engagent au quotidien pour répondre aux demandes du public. Il représente aussi un guichet unique pour les citoyennes et citoyens genevois qui, dans la complexité des sites administratifs, y trouvent un interlocuteur privilégié. Pendant six ans, la somme des réponses publiées a permis de constituer une base documentaire importante, correspondant aujourd'hui à une part non négligeable de l'utilisation du service et un enjeu important en termes de valorisation.

Historique

Un premier projet transversal pour les bibliothèques de la Ville de Genève

Lancée sous l’impulsion des Bibliothèques municipales (BM) de la Ville de Genève et de la Bibliothèque de Genève (BGE), une réflexion a été amorcée en 2010. Dans un premier temps les BM ont mandaté un travail de bachelor de la filière Information documentaire de la HEG-Genève (Rattazzi, 2010) pour mieux cerner le concept de service de référence en ligne dans leur contexte, partant du fait que ce réseau de lecture publique, contrairement à la BGE ou à la Bibliothèque d'art et d'archéologie (BAA), ne pouvait pas s'appuyer sur l'expérience d'un service de référence en présentiel. Dans un second temps, un mandat pour l'accompagnement du projet a été confié à la Haute école de gestion (HEG) de Genève. En 2011, le rapport final de cette étude (Rezzonico, 2011) a permis de démontrer la faisabilité du projet et de préciser les étapes de sa mise en oeuvre. Un groupe de travail constitué de représentants des différentes bibliothèques et piloté par la Commission des bibliothèques - un organe représentatif des différentes institutions du DCS - a ensuite pris le relais pour affiner et préciser les éléments du projet. Sur la base du rapport de la HEG,  ce groupe s'est notamment appliqué à préciser les éléments suivants :

  • Gouvernance du réseau
  • Organisation des répondants
  • Cahier des charges du système de gestion et de publication
  • Formation des intervenants
  • Promotion au lancement et par la suite
  • Positionnement de la prestation sur les sites web
  • Charte du service

En ce qui concerne le choix du système de gestion, le rapport HEG avait émis une recommandation pour  le système de gestion des références virtuelles QuestionPoint https://www.questionpoint.org, développé par OCLC (Online Computer Library Center), et utilisé par des milliers de bibliothèques dans le monde. En plus des aspects techniques, ce système avait aussi l'avantage de permettre l'accès à la "base de connaissances globale" constituée de l'ensemble des réponses publiées par les bibliothèques clientes, ainsi qu'à un réseau virtuel de réponses 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. 

Un réseau de professionnels

Outre l’équipe de coordination, composée de deux bibliothécaires et d'un bibliothécaire auxiliaire, les réponses sont fournies par une quarantaine de bibliothécaires répartis dans les institutions suivantes :

  • Bibliothèque d'art et d'archéologie (BAA)
  • Bibliothèque de Genève (BGE)
  • Bibliothèque des Conservatoire et Jardin botaniques (CJB)
  • Bibliothèque du Musée Ariana
  • Bibliothèque du Musée d’ethnographie de Genève (MEG)
  • Bibliothèque du Musée d’histoire des sciences (MHS)
  • Bibliothèque du Muséum d'histoire naturelle (MHN)
  • Bibliothèque musicale de la Ville de Genève
  • Bibliothèques municipales de la Ville de Genève (BM)
  • Centre d'iconographie genevoise (CIG)
  • Institut et Musée Voltaire (IMV)

Pour des questions plus pointues, ce réseau permet de faire appel à des conservateurs de musées qui peuvent parfois apporter leur expertise. Nous sommes également heureux de collaborer avec Alliance Sud InfoDoc, à Lausanne, pour les questions relatives à l’actualité du développement et de la mondialisation.

Les objectifs d'Interroge déclarés à son lancement consistaient à :

  • Etre disponibles en ligne pour nos usagers et toucher de nouveaux publics par un accès unique aux bibliothèques
  • Mettre en valeur les compétences des bibliothécaires et partager les contenus et connaissances
  • Mettre en valeur les collections et le patrimoine des bibliothèques genevoises
  • Proposer des contenus personnalisés et à forte valeur ajoutée sur le web

Les larges collections des bibliothèques scientifiques et patrimoniales des bibliothèques de la Ville de Genève, associées à la grande audience des BM, avait été identifié comme une force pour ce réseau, permettant de couvrir potentiellement l'ensemble des demandes. Nous avions aussi estimé que la part des questions "grand public" avec un niveau de complexité modéré serait plus importante en quantité. Dès lors, il a été convenu non seulement d'orienter le service dans cette direction - notamment pour la communication - mais aussi d'en confier la coordination aux BM. C'est donc ce service qui a demandé deux postes de bibliothécaires pour la coordination et a mis en place une structure en les plaçant sous l'autorité de la bibliothécaire responsable du catalogage, qui partagerait désormais son temps entre ces deux activités. Dans le contexte des BM, qui devaient donc s'attendre au principal flux de questions, il a en outre été décidé de constituer un réseau de répondantes et répondants volontaires parmi les bibliothécaires en activité. Depuis 2013, ce réseau se compose d'une douzaine de personnes, sur environ 80 bibliothécaires, qui consacrent 10% de leur temps d'activité à Interroge pour rédiger des réponses.

À la BGE, Interroge a pu s'appuyer sur l'équipe du service de référence en présentiel qui lui préexistait, tandis que dans les autres bibliothèques gérées par des équipes plus restreintes, l'ensemble des bibliothécaires pouvait être appelé à répondre.

La coordinatrice et le coordinateur, de leur côté, sont chargés des tâches suivantes :

  • Assurer la coordination du réseau
  • Garantir la qualité des réponses (relecture, corrections et harmonisation)
  • Gérer l’archivage (indexation) et la publication des réponses
  • Développer le service
  • Administrer le logiciel utilisé
  • Assurer la formation continue des participant-e-s au réseau

Lancement

Quel positionnement

Bien que l’option d'un site indépendant - interroge.ch – ait été privilégiée assez naturellement au début du projet, et constitue l'une des recommandations du rapport de la HEG (Rezzonico, 2011), il a semblé plus pertinent au service en charge des publics et de la promotion du DCS que le site soit hébergé sur les pages de la Ville de Genève, afin de répondre à l'objectif de mettre en valeur le patrimoine de la commune. Il s'agit là d'une grande question dans ce domaine : faut-il privilégier le rattachement institutionnel, au risque de contraindre le développement d'une "marque" de nouveau service web, ou justement affirmer cet ancrage qui peut constituer un facteur important de confiance pour le public ? Certainement influencés par les exemples d'Eurêkoi (Bibliothèque publique d'information, Paris) https://www.eurekoi.org/  et du Guichet du savoir (Bibliothèques municipales de Lyon) http://www.guichetdusavoir.org/, nous devons admettre que nous étions partisans du site indépendant. Néanmoins, après quelques années d'exploitation, force est de constater que cette présence sur le site de l'administration municipale a clairement contribué à la visibilité d'Interroge sur le web. Les archives de questions-réponses disponibles sur le site et alimentées par plusieurs questions par jour depuis 2013 sont ainsi particulièrement bien référencées dans les moteurs de recherche, notamment Google, et comme nous le verrons par ailleurs, cet aspect est aujourd'hui loin d'être négligeable.

L’atout de la communication

Pour lancer cette nouvelle prestation, il ne faisait pas de doute qu'une campagne de communication serait nécessaire. Promouvoir un service qui n'était alors qu'une promesse, répondre à n'importe quelle question en 72 heures, n'était toutefois pas chose aisée. L'agence de graphisme mandatée par les BM a alors eu l'idée pertinente de s'adjoindre un rédacteur pour concevoir de "fausses" questions qui pourraient à la fois susciter la curiosité du public et indiquer l'orientation du service, encyclopédique, grand public et de proximité. Bien entendu, ces fausses questions renvoyaient à des réponses rédigées par les bibliothécaires qui se sont ainsi confrontés à leur expérience de "répondant-e". Bien que le nom d'Interroge ait été imaginé et proposé par une bibliothécaire assez tôt dans le projet, son slogan, "la réponse est humaine", a été apporté dans cette phase également, par le rédacteur de l'agence de graphisme. Et sa simple comparaison avec les slogans utilisés lors des phases antérieures de présentation du projet comme "Interroge" : les bibliothèques genevoises répondent à vos questions", suffit à démontrer  tout l’intérêt de professionnels de la communication. 

Le lancement du service a été accompagné d'une grande campagne de promotion avec un affichage dans la rue, des sacs en toile, des affiches et signets dans divers lieux culturels de la ville. Au cours des premières années, plusieurs articles de journaux ont été publiés et nous avons pu constater l'efficacité incontestable de la presse pour la promotion de ce type de services. Un reportage dans l'émission "Nouvo" de la Radio télévision suisse (RTS) http://youtube.com/watch?v=3gQxtbjf5jY ainsi qu'un autre sur la chaîne régionale Léman Bleu a permis de mettre en image notre service. Chaque article dans la presse généraliste a généré un afflux de questions.

Aujourd'hui, les outils promotionnels à disposition sont les affiches placées dans les bibliothèques du réseau ainsi que la présentation du service que les bibliothécaires font directement auprès de leur public. L'équipe de coordination maintient une présence hebdomadaire sur la page Facebook des BM en proposant la lecture de réponses soigneusement choisies. Certaines bibliothèques du réseau (CJB et MEG) publient également sur leur propre page FB les réponses apportées par leurs institutions. En outre, une petite vidéo promotionnelle créée par le réalisateur multimédia des BM est transmise sur les écrans de diffusion des bibliothèques des BM http://youtube.com/watch?v=RxnHGceuJ7E

D'autre part, il semble qu'aujourd'hui la satisfaction des usagers ainsi que le bouche à oreille aient réussi tant à acquérir un nouveau public qu’à le fidéliser. Enfin, comme nous le développerons plus loin, il est évident que le référencement naturel, mais également les réseaux sociaux, représentent des alliés très intéressants pour un tel service.

Fonctionnement

Un élément central : la protection des données personnelles

Bien que l'étude HEG ait pointé cet élément comme important à faire figurer dans la charte du service, l'aspect contraignant de la Loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles (LIPAD) n'avait pas été perçu. C'est le service informatique de la Ville de Genève, la Direction des systèmes d'information et de communication (DSIC) qui a soulevé cette problématique. En effet, s'agissant d'un service en cloud, la localisation des données revêt une importance particulière. Au-delà de l'aspect contraignant, la réflexion induite par la LIPAD nous a incités à proposer un formulaire simplifié, nécessitant de ne communiquer qu’un minimum d’informations personnelles. Cela offre en outre l'avantage de réduire les barrières d'accès afin de ne pas décourager les personnes intéressées à faire appel à notre service. La conformité de la conservation des données dans QuestionPoint et ses conditions contractuelles ont été soigneusement examinées par le juriste de la DSIC. Les serveurs d'OCLC étant situés aux Etats-Unis, l'un des points importants consistait à ce que les données personnelles, principalement l'email de la personne, soient anonymisées après un délai relativement court de 3 mois. Une fois ces éléments précisés, le projet a été soumis au Préposé cantonal à la protection des données pour un agrément qui a été octroyé (PPDT, 2013).

Le chemin de la question

L'usager se rend sur le site d'Interroge où un formulaire est à disposition. Celui-ci permet de poser une question et d'apporter des précisions quant au profil de l'usager (seuls les mineurs peuvent préciser leur âge) et le but de sa recherche (personnel, professionnel, étude avec possibilité de préciser le niveau d'étude). Il a également la possibilité de choisir s'il veut sa réponse en français ou en anglais, tandis que la question peut être posée également en allemand, en espagnol ou en italien.

L’équipe de coordination est chargée de réceptionner les questions et de les assigner selon leur contenu à la bibliothèque la plus à même d’y répondre. Elle assure la relecture, la mise en forme et l’envoi de toutes les réponses dans un délai de 72 heures maximum.

Les réponses sont ensuite archivées dans une base de connaissances et indexées à l'aide du répertoire d'autorité-matière RAMEAU, pour être ensuite publiées dans les archives en ligne d'Interroge. Cela permet ainsi à d'autres usagers d'y avoir accès et de s'y référer avant de poser leur propre question ou par simple curiosité.

Fournir une référence ou répondre : la formation des bibliothécaires et les compétences à développer

Dès la phase de projet et notamment lors de la rédaction de la charte, des discussions soutenues ont eu lieu quant au type de réponses à apporter. Bien que les participants se rejoignent sur les objectifs cités plus haut, deux visions de la prestation du service de référence ont émergé. Certains pensaient qu'un tel service devait se contenter de fournir des références bibliographiques, tandis que d'autres préconisaient d'apporter une réponse plus complète aux questions posées. Il faut relever que les deux tendances se rejoignaient sur le rôle d'aide à la recherche.

La lecture des réponses publiées dans les archives en ligne confirme aisément que l'option de la réponse complète a finalement été retenue. Si la fourniture de références bibliographiques peut se justifier pour un service de référence en présentiel, il nous a semblé plus pertinent dans le contexte d'un service en ligne de fournir une réponse plus développée.

Aujourd'hui, cette question est encore régulièrement soulevée et la motivation des bibliothécaires pour collaborer à Interroge dépend certainement beaucoup de leur adhésion à cette vision du service.  

Ce nouveau service a entraîné l'utilisation de compétences en lien avec le "savoir répondre" et donc une nouvelle manière de transmettre l'information au public, ceci d'autant plus qu'elle se fait à distance. L'équipe de coordination a dû former les bibliothécaires à l'utilisation de l'outil QuestionPoint ainsi qu'aux procédures lors de la réception de l'assignation jusqu'à l'envoi de la réponse aux coordinateurs.

Des documents d'aide à la réponse ont été élaborés par les coordinateurs. Ces documents peuvent être modifiés et augmentés à tout moment,  au fur et à mesure de l'évolution du service. Par ailleurs, des entretiens individuels ainsi que des réunions de mise à jour sont effectués autant que possible afin de maintenir la qualité et la cohérence du service.

L'accent a surtout été mis sur le développement ainsi que l'exploitation de compétences propres à ce type de service. En effet, la référence virtuelle oblige à transposer, à dépasser des impossibilités, à trouver d’autres voies. C’est pourquoi la ou le répondant-e doit mettre en œuvre les capacités professionnelles et humaines suivantes :

  • Comprendre rapidement, voire immédiatement
  • Accepter la question elliptique, confuse ou mal formulée
  • Faire preuve d’une curiosité permanente
  • Développer une capacité à intégrer des nouveautés et des évolutions
  • Accepter l’imprévu
  • Avoir une capacité d’empathie, de bienveillance et de neutralité
  • Avoir de très bonnes capacités de rédaction et de synthèse

La particularité de ce service est d'être virtuel et, contrairement au présentiel, la ou le répondant-e n'a pas la possibilité d'échanger avec l'usager. Cela implique pour le-la bibliothécaire de faire encore plus preuve d'empathie et de bienveillance envers l'usager et sa question.

Il est important de relever qu’Interroge offre toujours une réponse ou des pistes d’orientation et de recherches si la question s’avère trop spécialisée ou si elle ne relève pas de son champ d’action. A ce sujet, le service s'appuie sur sa charte, outil indispensable pour clarifier ce qu'il ne fournit pas, tel que des prises de positions ou des expertises juridiques, par exemple.

S'il est vrai que la formation et l'expérience jouent un rôle dans l'acquisition de l'ensemble de ces compétences, il semble important de signaler qu'être répondant-e est une tâche exigeante et qu'elle n'est pas faite pour tout le monde. Ainsi, le "volontariat", et donc une grande motivation, semble être la meilleure formule pour s'engager dans cette voie.

Le travail de coordination et de répondant-e au sein d'un service de référence en ligne pourrait sembler relativement simple au premier abord, notamment si on le compare aux exigences demandées par les services en présentiel. Il présente cependant des contraintes propres qui ne sont pas sans générer parfois des tensions, tant en termes de délai, que de la responsabilité de la publication de contenus sur des sites institutionnels. Les multiples compétences évoquées plus haut impliquent un degré d'engagement et d'attention élevés. De plus, du point de vue de la ou du répondant-e, le triple regard du coordinateur qui relira la réponse, de l'usager et enfin, de la publication dans la base de connaissances, constituent une pression supplémentaire.
Enfin, le travail de relecture de l'équipe de coordination constitue une étape sensible tant à l'égard des répondants, qu'en termes de publication de contenus.

Un rythme de croisière

Après 6 ans d'existence, le service Interroge s'est fait une place tant auprès de ses utilisatrices et utilisateurs que sur le web. Néanmoins, il reste toujours très difficile, voire impossible, de prévoir les baisses et hausses quotidiennes dans l'arrivage des questions mais la moyenne de cent questions mensuelles reste stable.
Relevons encore que, hormis la période de fin d'année pendant laquelle le formulaire est exceptionnellement fermé, il reste accessible 24h/24h pendant le reste de l'année.

Animer un tel service et s'assurer de la réponse à une centaine de questions par mois reste un défi dans une organisation en réseau comme celle d'Interroge. Le rôle de l'équipe de coordination est central pour assurer une bonne dynamique d'une part. En outre, le traitement d'une part non négligeable des réponses, soit 60% de réponses traitées directement par les coordinateurs en 2018, est à prendre en compte. Néanmoins, ils ne sauraient se passer des répondant-e-s des bibliothèques du réseau qui constituent le lien indispensable avec une expertise et des collections spécialisées ainsi qu'avec les scientifiques et conservateurs-trices de leurs institutions. Enfin, il est important de relever qu'il n'est parfois pas évident pour les répondant-e-s de maintenir un niveau de pratique permettant de conserver une aisance et une efficacité dans ce travail exigeant. Entretenir cet équilibre, tout autant que la motivation, représente probablement l'un des défis actuels les plus importants d'Interroge.

L'utilisation

Le public d'Interroge

Comme nous l'avons mentionné, le formulaire limite volontairement les données personnelles afin de respecter la LIPAD. Il est donc difficile de cerner le profil d'un-e utilisateur-trice, ce qui peut parfois représenter une contrainte avec des questions sur lesquelles le contexte personnel pourrait avoir une influence. Toutefois, ce respect de l'anonymat reste primordial afin de garantir le libre accès au service.

Dans une dimension plus globale, il apparaît toutefois important de cerner le public d'Interroge, notamment pour vérifier si l'objectif "toucher un nouveau public" est atteint. S'agissant d'une prestation publique il est aussi important de s'assurer qu'elle répond aux besoins de la population genevoise. La plateforme QuestionPoint propose un lien vers un sondage à la fin de chaque réponse envoyée, mais sa mauvaise visibilité génère un taux de réponse trop faible (4% en 2018).

Fin 2016, l'enquête « Profil et satisfaction des utilisateurs » d’Interroge a ainsi été réalisée en collaboration avec un institut de sondage. Pour cela, une invitation a été envoyée par courrier électronique aux 2'639 utilisatrices et utilisateurs ayant eu recourt au service depuis 2013 jusqu’à fin 2016. Le taux de réponse de 22% a été très satisfaisant pour une enquête de ce type et un échantillon valable de 548 réponses nous a ainsi permis d’obtenir des données inconnues jusqu'alors. Nous avons pu constater que le public d'Interroge est légèrement différent de celui des BM. Par exemple, la répartition hommes-femmes est plus égale pour le service de référence en ligne, (cf. graphiques ci-après) alors que dans la répartition des âges, nous trouvons plus d'adultes "actifs" parmi les utilisateurs-trices d'Interroge, que d'enfants.

En ce qui concerne le lieu de résidence, l’enquête a montré qu’un gros tiers (35%) des utilisateurs et utilisatrices d’Interroge habite la ville de Genève et qu’un petit tiers habite le reste du canton (31%). Sur le tiers restant, environ 8% habitent dans le Grand Genève (communes vaudoises proches, Ain et Haute-Savoie), près de 20% dans le reste de la Suisse (surtout romande), et moins de 5% dans le reste du monde. Nous pouvons donc affirmer que, de manière peut-être contre-intuitive, un service en ligne de ce type conserve un ancrage très local et demeure une prestation de proximité.

En ce qui concerne la diversification des publics, il nous importait aussi de déterminer si les personnes qui posaient des questions étaient inscrites dans nos bibliothèques. Un champ "inscrit/non inscrit" a d'ailleurs été ajouté depuis au formulaire, jugeant qu'il était suffisamment important et qu'il ne représentait ni une barrière d'accès, ni un problème en termes de données personnelles. Ainsi, dans l'enquête de 2016, 32% des personnes répondaient ne pas être inscrites dans les bibliothèques genevoises. En 2018 cependant, sur la base des réponses données dans le formulaire de question, cette proportion change de manière importante avec 58% des questions posées par des personnes non inscrites. Ce changement conséquent mériterait d'ailleurs une investigation. La question systématique change-t-elle "naturellement" cette proportion par rapport au public qui avait choisi de répondre à notre enquête, ou le public a-t-il évolué depuis les 3 premières années d'activité ? Un élément peut nous orienter vers cette dernière hypothèse. Alors que dans les premières années d'activité la presse jouait un rôle prépondérant dans la connaissance de la prestation, on a constaté depuis une évolution marquée de la navigation sur le web comme source de connaissance d'Interroge. Nous interprétons cette réponse comme découlant de l'importance croissante de la base de connaissancess.

La satisfaction des usagers

Cette dimension a aussi été examinée lors de l'enquête de 2016 et est testée en permanence dans le sondage accompagnant chacune des réponses envoyées par Interroge. D'une manière générale la satisfaction par rapport au service est excellente et l'enquête de 2016 a démontré que 95% des répondants étaient satisfaits de la réponse apportée.

Réponse à la question "êtes-vous satisfait-e des réponses qui vous ont été données ?"

Les commentaires des personnes "non" ou "plutôt non satisfaites" ont en outre pu nous apporter des pistes d'amélioration ou nous conforter dans l'option choisie d'apporter une réponse la plus directe possible. En effet, nous relevons comme motif d'insatisfaction des réponses parfois trop longues ou le renvoi à de trop nombreuses références bibliographiques non directement accessibles en ligne.

La perception du délai de réponse nous semblait aussi représenter un point intéressant à investiguer. Dans un environnement comme le web où tout semble être basé sur l'immédiateté, notre réponse en trois jours apparaît-elle comme incongrue ? Les réponses données semblent confirmer que le public est prêt à attendre ces quelques heures pour obtenir une réponse de qualité et adaptée à ses besoins. Ainsi, 97% se disent satisfaits du délai de réponse.

Réponses à la question "êtes-vous statistait-e du délai de réponse ?"

Les sondages joints aux réponses d'Interroge et envoyés suite à des réponses entre 2017 et octobre 2019 montrent les mêmes tendances. Sur 243 répondants, 87% se déclarent satisfaits et 5% non satisfaits. Les 7% restants ne répondent pas ou se déclarent "neutres".

Les raisons d'utilisation et la plus-value apportée

Pourquoi faire appel à des bibliothécaires "alors que l'on trouve tout sur Internet" ? La question mérite d'être posée, surtout que cette remarque a été largement entendue dans le cadre de ce genre de service. Au-delà du succès rencontré en termes de nombre de questions posées, il nous a semblé intéressant, toujours dans l'enquête conduite fin 2016, de déterminer plus précisément pourquoi les gens pouvaient faire appel à Interroge. Bien entendu, les réponses étaient cadrées, mais l'écart d'adhésion aux différentes propositions nous donne des indications précieuses sur la confiance et la légitimité accordées aux bibliothécaires.

Au-delà de la satisfaction déclarée, les personnes recourant à Interroge semblent en outre y trouver une véritable valeur ajoutée. Sur les résultats des sondages envoyés entre janvier 2017 et octobre 2019, 86% des répondants déclarent avoir obtenu de meilleurs résultats que dans leur recherche personnelle (n = 243). Cela montre bien que le recours au service de référence en ligne ne représente pas une simple facilité d'usage. Interroge offre une aide à la recherche dans les multiples ressources du web et met surtout l'usager en relation avec les très riches contenus conservés dans les bibliothèques genevoises. 

Typologie des questions

Dès son lancement, Interroge s’est profilé comme un service généraliste. Nous n'avions par ailleurs aucune idée de l'usage que le public ferait de cette nouvelle offre. Si on pouvait imaginer, voire craindre, que les questions de recherches bibliographiques « à l’ancienne » domineraient, nous avons très vite pu constater que les usagers utilisaient Interroge pour poser des questions nécessitant une réponse documentée.

Nous avons également, et ceci dès le début du service, pu voir apparaître de nombreuses questions en lien avec Genève, avec son histoire, ses traditions, ou encore ses particularités régionales. Petit à petit, des questions d'ordre administratif ont commencé à arriver en nombre également. L'explication à cela réside sans aucun doute dans le fait que le service Interroge est hébergé sur le site officiel de la Ville de Genève. Celui-ci est très largement consulté par les citoyen-ne-s pour trouver des informations et démarches administratives et Interroge a été rapidement assimilé à un guichet virtuel de l’administration municipale. De plus, la confusion vraisemblable entre les prérogatives du canton et de la ville par les Genevois génère également de nombreuses questions en lien avec l’administration cantonale.

Bien qu’Interroge se soit toujours profilé comme un service proposé par les bibliothèques, avec des réponses fournies par des bibliothécaires, cela n’a donc pas empêché les citoyens en quête d’aide dans leurs démarches de nous solliciter. Cette situation a ainsi soulevé des interrogations parmi certains collègues, sans pour autant jamais poser de problème majeur. A l’instar de ce qui se fait dans les bibliothèques anglo-saxonnes, il est même considéré comme une évolution normale des usages que la bibliothèque exerce, en tant que service public, un lien naturel entre la ville et sa population.

Mis à part ces deux types de questions, genevoises et administratives, nous trouvons encore les questions de type « vie pratique ». Les internautes font par ailleurs également appel à nous pour démêler le vrai du faux comme dans le cas des « Fake news » par exemple. Ce dernier point est réjouissant car il démontre que les bibliothèques restent une référence en termes de fiabilité et de neutralité pour un grand nombre de personnes.

Pourcentages des questions en fonction des thématiques entre 2014 et 2018

Les partenariats

Malgré le large réseau de compétences constitué par les bibliothèques de la Ville de Genève, il a toujours semblé pertinent de renforcer ce réseau grâce à des partenariats, notamment dans des domaines peu couverts.

En ce sens, la volonté de participer manifestée dès la phase de projet par le Centre de documentation en santé (CDS) de l'Université de Genève a représenté un apport précieux dans un domaine sensible. Le CDS a ainsi pris en charge les questions sur la santé pendant plusieurs années avant de quitter Interroge pour des raisons de réorientation de ses prestations.
Le centre de documentation d'Alliance Sud InfoDoc à Lausanne, https://www.alliancesud.ch/fr/infodoc, a spontanément proposé sa collaboration début 2014 et apporte une précieuse contribution dans ses domaines d'expertise.

Il peut sembler dommage que les partenariats de ce type ne soient pas plus nombreux. Certaines bibliothèques spécialisées ont été approchées et bien que l'enthousiasme soit souvent au rendez-vous, force est de constater que cette nouvelle tâche de bibliothèque répondante se heurte aux contraintes du quotidien et aux projets en cours dans ces institutions.

Des petites actions ont également vu le jour, comme celle avec la Direction de la mensuration officielle du Canton de Genève. Ainsi, depuis 2016, un bouton "Interroge" pointant sur notre site figure sur les pages des "Noms géographiques du canton de Genève" http://ge.ch/noms-geographiques.

Le service Interroge est toujours en recherche de collaborations avec d'autres bibliothèques de Genève ou d'ailleurs.

Questions et migrations

L’archivage des réponses

Lors des débuts d'Interroge nous avons considéré la publication des réponses comme une archive. Il nous semblait important de publier les réponses potentiellement intéressantes pour d'autres personnes ou permettant de donner une vision du type de prestations fournies par notre service. A l'époque, nous ne mesurions pas l'importance que pourrait prendre cette collection. En effet, au fil du temps, le suivi des statistiques de consultation des pages nous a montré que les réponses constituaient une base documentaire très vivante. En 2018, les pages Interroge, alors hébergées sur le site de la Ville de Genève ont cumulé près de 500'000 vues uniques.

La mise en regard des questions reçues et des pages vues nous montre le développement d'une relation directe entre la consultation des archives et le nombre de questions posées. Si au début, hors variations saisonnières, les fluctuations du nombre de questions reçues pouvaient être imputées aux campagnes de communication et à la presse, l'augmentation de la fréquentation des archives semble avoir une influence plus directe.

Nombre de vues mensuelles sur les pages du site superposées aux questions reçues

Depuis le milieu de l'année 2017, on observe que la fluctuation des questions reçues suit assez directement celles des consultations du site. Ce phénomène s'est en outre vérifié - malheureusement - avec la migration intervenue en avril 2019 du site de la Ville vers le site des BM pour des raisons techniques. Le référencement moins favorable du site des BM - sur Google principalement - a provoqué une baisse de la visibilité des archives et par conséquent du nombre de questions reçues. Nous pouvons donc affirmer que la meilleure communication pour un service de référence en ligne repose sur le référencement naturel de ses archives.

Ces aspect nous a amené à conduire une réflexion sur le positionnement d'Interroge, tant dans ce contexte de changement de site que face à l'obsolescence constatée de QuestionPoint. Il nous paraît ainsi judicieux, en termes de positionnement, de retourner dès que possible sur le site de la Ville, mais aussi d'opter pour un nouveau système de gestion. Ce dernier devrait nous permettre une description plus structurée de nos réponses, leur enrichissement avec des documents et des contenus multimédias, ainsi qu'une diffusion de cette création de contenus sur d'autres sites, dans les catalogues, ou encore sur les réseaux sociaux.

L'analyse des réponses consultées nous ouvre aussi d'autres pistes de réflexions et, à l'instar de services de référence en ligne comme Eurêkoi ou le Guichet du savoir, nous permettrait de proposer des dossiers thématiques. Les thèmes choisis pourraient se baser sur la récurrence des questions reçues mais également sur la fréquentation des réponses consultées. 

Quelle place sur les réseaux sociaux ?

Anticipant cela, nous avons déjà entrepris une réflexion et quelques actions autour des réseaux sociaux. Certains services de référence en ligne comme Eurêkoi ont tenté l'expérience de répondre directement sur Facebook mais il semble que l'expérience n'ait pas été concluante. De notre point de vue, il nous semble que les interactions sur les réseaux sociaux sont très différentes de ce que nous avons essayé de mettre en place avec Interroge : l'anonymat des publications n'y est pas possible, le flux continu de l'information ne semble pas propice à un traitement de qualité.

De fait, nous avons pour l'instant opté pour une publication hebdomadaire d'une réponse déjà existante sur la page Facebook des BM. Ceci nous permet d'offrir une visibilité à Interroge tout en diversifiant les contenus de la page des BM.

Conclusion

Après 6 ans d’existence, nous pouvons affirmer qu'Interroge représente un succès et surtout une prestation appréciée et répondant à un réel besoin de la population de Genève et de sa région. En faisant le lien entre les besoins d'information du public, les ressources numériques, les collections des institutions et les compétences des professionnels, Interroge est un projet abouti de médiation documentaire.

En tant que bibliothécaires directement impliqués dans le fonctionnement de ce service, il nous apparaît aujourd'hui comme une prestation de bibliothèque évidente et indispensable et faisant appel aux compétences intrinsèques des professionnels. Toutefois, la difficulté à nouer de nouveaux partenariats et le peu de légitimité que rencontre parfois Interroge au sein même du réseau professionnel démontre que la reconnaissance de ce type de prestations n’est pas encore acquise.

Le travail du service de référence en ligne demande de développer en permanence de solides compétences en recherche, synthèse et rédaction. Clarifier la place de ces activités dans nos institutions et la manière dont les équipes y participent reste aujourd'hui un enjeu majeur. 

Le succès de la base d'archives alimentée par les questions du public et constituant une véritable collection, confirme la véritable valeur apportée par la création de contenus originaux réalisés à l'aide des collections et des sources présentes dans les bibliothèques. De plus, les moteurs de recherche ne s'y trompent pas, et semblent donner un réel poids en termes de référencement. Ainsi, développer, mieux structurer et diffuser ces contenus représente un véritable enjeu pour les années à venir.
Cette base de connaissancess doit également être mieux valorisée. Émanant des besoins d'information directement exprimés par les citoyennes et citoyens, ses contenus doivent nous permettre d'améliorer et d'enrichir les sites institutionnels. Une première expérience a été réalisée en proposant des liens sur les réponses pertinentes depuis les pages "Découvrir Genève" du site de la Ville de Genève, comme par exemple sur la page consacrée au jet d'eau https://www.ville-geneve.ch/faire-geneve/decouvrir-geneve-quartiers/patrimoine-monuments/jet-eau-jardin-anglais/

L'arrivée des technologies d'apprentissage profond et d'intelligence artificielle dans la recherche ne devraient pas réduire la pertinence d'un tel service, tant ces outils seront friands de données structurées et de qualité. Toutefois, les nouvelles compétences nécessaires devront être présentes en bibliothèque pour positionner des services comme Interroge. Cela nécessitera donc, en plus des compétences déjà mentionnées, de développer de nouvelles aptitudes pour l'analyse des données et la mise en œuvre de stratégies de valorisation.

Non seulement le service de référence en ligne constitue une évolution logique des bibliothèques dans l'environnement du web, mais il y représente, à sa modeste mesure, une ressource importante pour le public en termes de qualité et de fiabilité de l'information.

Bibliographie

Bureau des Préposé-e-s à la protection des données et à la transparence (PPDT) (2013). Agrément du 12 mars 2013 : service de référence en ligne pour les bibliothèques de la Ville de Genève. Genève, République et Canton de Genève. Disponible en ligne https://www.ge.ch/ppdt/doc/documentation/agrement_2013_03.pdf, consulté le 16 octobre 2019.

Loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles (LIPAD) https://www.ge.ch/legislation/rsg/f/s/rsg_a2_08.html

Rattazzi, Rossana ; Rezzonico, Ariane (Dir.), (2010). Un service de référence virtuel en lecture publique : réflexion pour les Bibliothèques municipales de Genève, Genève, Haute école de gestion. Disponible en ligne https://doc.rero.ch/record/20941, consulté le 16 octobre 2019.

Rezzonico, Ariane ; Pasquier, Karine (collab.) (2011). Accompagnement pour le développement du service de référence en ligne des Bibliothèques de la Ville de Genève : rapport final. Genève, Haute école de gestion.