Un container mobile pour le sauvetage de collections sinistrées : la BERCE PBC Ville de Genève

Nelly Cauliez, Conservatrice responsable Unité Régie, Bibliothèque de Genève

Un container mobile pour le sauvetage de collections sinistrées : la berce pbc Ville de Genève

Les institutions patrimoniales ont pour mission première d’assurer la bonne conservation du patrimoine collectif. C’est là la condition sine qua non pour permettre aux institutions d’assurer leurs missions d’étude, de recherche et de diffusion des collections auprès de tous les publics. La collectivité a donc le devoir d’en assurer la pérennité pour les générations futures, ainsi que le Conseil international des musées (ICOM) le préconise : « Les musées sont responsables vis-à-vis du patrimoine naturel et culturel, matériel et immatériel. Les autorités de tutelle et tous ceux concernés par l’orientation stratégique et la supervision des musées ont pour obligation première de protéger et de promouvoir ce patrimoine, ainsi que les ressources humaines, physiques et financières rendues disponibles à cette fin [1]». Aussi, lorsqu’un bâtiment de conservation est soudain la proie  de phénomènes imprévus qui peuvent détruire des collections, des locaux, et menacer la vie du personnel et du public, l’urgence se mesure en minutes. Les responsables des institutions patrimoniales ont donc le devoir de réagir rapidement et efficacement. Cela implique d’être sérieusement préparé à la manière de faire face aux événements et de se doter des moyens matériels et humains nécessaires. C’est la Protection des Biens Culturels (PBC).

L’incendie historique de la Bibliothèque d’Alexandrie est entré dans la mémoire collective. Sur le plan helvétique les tragédies de Brigue (1993) ou de Gondo (2000) et les inondations en Suisse centrale (Brienz, Sarnen, Reichenbach et Lucerne en 2005) ont démontré la nécessité de mettre rapidement en place une organisation efficace pour la protection des personnes, mais aussi des biens culturels. Sur le plan genevois, les incendies du Grand Théâtre (1951), du Victoria Hall (1984), du Palais Wilson (1987), des combles du Palais Eynard (2001) ou encore de l’ancienne école de chimie au boulevard des Philosophes (2008) furent particulièrement marquants. C’est précisément ce dernier évènement où les flammes et l’eau touchèrent près de 70 000 livres qui a entrainé le triste constat que, sans planification des opérations, sans structure de décision opérationnelle mais aussi sans matériel adéquat et disponible immédiatement, la probabilité de sauver et de traiter en urgence une grande quantité d’objets culturels sinistrés était largement compromise.

L’idée de créer alors une réserve d’équipements uniquement dévolue aux collections sinistrées est née au sein du Comité de pilotage PBC de la Ville de Genève [2]. Soucieux d’assurer la meilleure protection possible des biens culturels de la Ville de Genève, ce Comité présidé par la direction du Département de la culture et du sport est constitué des directions des musées et institutions patrimoniales de la Ville et de leurs responsables en charge des bâtiments, de la sécurité, de la conservation des collections, mais aussi de membres du Service d’incendie et de secours (SIS) et de la Protection civile (PCi) de la Ville et du Canton. Depuis 2009, il développe une série de projets comme la rédaction d’outils de prévention (plan d’urgence), la mise en place de modules de formations interinstitutionnelles sur toutes les typologies de biens patrimoniaux et enfin l’organisation d’exercices grandeur nature.

En 2013, il a alors été confié à un groupe de travail du Comité PBC de faire l’acquisition de moyens d'intervention adéquats assurant à tous les partenaires un sauvetage efficace. Ce projet, nommé BERCE PBC de la Ville de Genève, alliait la recherche de matériels spécifiques aux traitements d’urgence sur les collections à la conception puis à la fabrication d’un mode de stockage mobile permettant de ranger, acheminer et utiliser rapidement ces équipements spécialisés. Largement inspirée d’une première BERCE PBC créée par le Service d’incendie et de secours de la Ville quelques années auparavant, ce container institutionnel a pu s’améliorer et compléter les équipements déjà existants. La BERCE PBC de la Ville de Genève est donc un container qui peut être mobilisé dès lors qu’il existe un risque hypothétique ou avéré de dommages sur des collections patrimoniales de la Ville de Genève résultant d’un sinistre en cours ou en prévision (mobilisation préventive) qu’il soit mineur ou majeur. Il peut s’agir de dégradations d’objets culturels liées à un dégât des eaux, un incendie, une crise sanitaire (microbiologique), un évènement géologique (tremblement de terre, effondrement), mais aussi dans le cas d’actes de vandalisme, de malveillance, de pillage, de terrorisme, ou toutes autres causes pouvant engendrer des dommages sur des biens patrimoniaux. Tout son intérêt réside dans sa mobilité assurée par le Service d’incendie et de Secours de la Ville de Genève qui, grâce à un véhicule d’intervention rapide peut la déplacer de sa zone de stationnement en plein Genève (donc à proximité de toutes les institutions) vers le sinistre. La BERCE est alors chargée sur une remorque en moins de trois minutes puis transportée.

Elle est affectée prioritairement aux institutions de la Ville (Bibliothèque de Genève, Musée d’art et d’Histoire, Musée d’ethnographie, Fonds municipal d’art contemporain, Conservatoire et jardin botaniques de Genève, Musée d’histoire naturelle, Musée de l’Ariana, Archives de la Ville). En cas de zones sinistrées multiples, il revient à la Direction du Département de la Culture et du Sport de la Ville de Genève de définir l’institution prioritaire en fonction de l’importance et le type de dommages et des moyens à disposition pour y remédier. Bien qu’elle soit d’abord réservée aux institutions de la Ville, des autorisations extraordinaires d'accès à son matériel peuvent être accordées dans le cas de demandes de dérogations exceptionnelles. La Direction du Département de la Culture et du Sport de la Ville de Genève peut alors décider de la mobiliser pour toutes autres institutions ou collectivités qu’elles jugeraient en difficulté et pour lesquelles elle accepte d’apporter une aide substantielle. Dans ce cas, il convient de définir en amont le cadre de l’octroi (durée de la mobilisation, transport, assurance, remplacement du matériel utilisé, etc.).

Pensée comme une boîte modulaire fabriquée par un sandwich de panneaux d’aluminium, la BERCE PBC de la Ville de Genève mesure 16m2 et est scindée en deux espaces distincts (stockage et bureau). On y trouve tout autant des équipements permettant de stabiliser une zone sinistrée limitant alors la propagation du sinistre et réduisant l’ampleur des dégâts (déshumidificateur de chantier, bâches, bacs de rétention, etc.) que du matériels pour l’évacuation, l’emballage et le transport de petites ou grandes pièces patrimoniales (caisses, chariots, diables, couvertures en feutre, polyester de protection, étiquettes de traçabilité, etc.). Ce container contient aussi de quoi dépoussiérer par exemple des pièces d’orfèvrerie, aspirer un tableau ou encore gommer un livre recouvert de suie ou de gravats (pinceaux doux en poils de chèvre, aspirateurs à filtre HEPA munis de variateurs, gommes smokesponge, etc.). Tout un équipement est dévolu à la préparation à la congélation des œuvres touchées. Ce procédé est un des traitements possibles lors d’une inondation de masse. La congélation n’a pas d’action curative ou réparatrice mais permet de figer, instantanément toutes les dégradations des documents, pour un temps qui peut être très long (10 ans sans effet nocif). La congélation doit être très rapide, donc effectuée à très basse température (-30°) afin que les cristaux de glace qui se forment à l’intérieur des objets culturels soient les plus petits possible et n’endommagent pas les fibres des matériaux ; ensuite, la température peut remonter vers -18° environ. Par la suite, les objets peuvent être décongelés progressivement, en petites quantités, et séchés manuellement, ou lyophilisés s’ils sont trop nombreux (toutes les typologies ne la supportent pas, il convient aux spécialistes du sauvetage de faire le tri). Enfin, les équipes d’intervention peuvent y trouver du matériel de protection pour les personnes puisqu’une zone sinistrée est généralement un espace aux variations thermohygrométriques importantes (froid ou chaleur, humidité ou assèchement), souvent sombre et hostile. Quant à son espace bureau, il est chauffé, ventilé à l’énergie solaire, et offre une zone de travail confortable où peuvent s’opérer des prises de décisions sur le mode opératoire du sauvetage ou encore pour assurer l’inventaire et le suivi des stocks (matériel extrait en urgence).

Parmi ses caractéristiques, il faut noter que l’ensemble des surfaces (murs, plafonds) est aimanté permettant ainsi la fixation de documentation de sécurité (plans, organigrammes, listes diverses). Ces surfaces peuvent également être utilisées comme un grand tableau blanc sur lequel il est possible d’écrire au feutre effaçable. Les revêtements au sol sont en linoleum lavable ou encore en aluminium cranté pour éviter toutes chutes dans l’empressement. Enfin, elle est munie d’un éclairage Led mais aussi de prises électriques pour y connecter par exemple un ordinateur portable.

Fort heureusement, depuis sa création, la BERCE PBC de la Ville de Genève n’a eu à être utilisée que dans le cas d’exercices grandeur nature ainsi que lors de modules de formation. Elle sera prochainement présentée lors des Journées européennes des Métiers d’art à la Bibliothèque de Genève (20 et 21 avril 2018).

Son caractère innovant et sa conception interinstitutionnelle fait d’elle un projet moteur pour la protection des biens culturels et unique au monde. Elle a d’ailleurs attiré plusieurs organisations internationales ou représentants de groupes de travail dévolus aux sauvetages de collections (Bouclier Bleu, ICOMOS, Groupe de travail pour la protection des biens culturels en Syrie et en Irak,  Fondation des monuments du monde en Afrique Sub-saharienne)  et sert aujourd’hui de modèles pour des projets similaires en étude en France ou au Japon.

Figure 1 : berce pbc 

Figure 2 : berce pbc

Figure 3 : intérieur berce pbc

Figure 4 : croquis de montage


Notes

[1] Le Code de déontologie de l’ICOM a été adopté à l’unanimité par la 15e Assemblée générale de l’ICOM, réunie à Buenos-Aires (Argentine) le 4 novembre 1986, modifié par la 20e Assemblée générale en Barcelone (Espagne) le 6 juillet 2001 sous le titre Code de déontologie de l’ICOM pour les musées et révisé par la 21e Assemblée générale à Séoul (République de Corée) le 8 octobre 2004.

[2] http://www.ville-geneve.ch/actualites/detail/article/1444638433-berce-proteger-oeuvres-objets-art/