La plateforme de prêt de livres numériques e-bibliomedia

Laurent Voisard, Directeur de Bibliomedia Suisse, Lausanne

 La plateforme de prêt de livres numériques e-bibliomedia

Bibliomedia est une fondation de droit public active dans le développement des bibliothèques et la promotion de la lecture. Elle est en quelque sorte la « bibliothèque des bibliothèques », le nœud central du réseau des bibliothèques de lecture publique suisses. Elle travaille aussi avec les bibliothèques scolaires ou directement avec les classes.  Elle s'active également dans des projets de promotion de la lecture. Les trois bibliocentres de Lausanne, Soleure et Biasca proposent un large fonds de livres actuels pour tous les âges, dans toutes les langues nationales et dans plusieurs langues étrangères et un fonds d'autres médias (CD musicaux, DVD, livres audio).

Genèse

Profitant de la volonté - et des subsides -  de l’Office fédéral de la culture de favoriser l'accès à la littéralité au travers de la culture numérique, la fondation Bibliomedia Suisse a contribué dès 2013 à la mise en réseau de plateformes de prêt de livres numériques. En Suisse alémanique d’abord, grâce à DIVIBIB, puis en Suisse romande par l’intermédiaire de PNB-Dilicom et la plateforme canadienne Cantook.

Les bibliothèques publiques de Suisse romande ont longtemps été éloignées du prêt de ebooks puisqu’aucune solution ne leur était proposée. La solution Numilog, choisie par quelques bibliothèques, dont la pionnière Médiathèque Valais, a été fermée à la Suisse à la fin 2013 pour des questions de droits internationaux et de géo-territorialité.

Questionné au sujet des spécificités de la territorialité pour la Suisse, Hadrieur Gardeur, PDG de Feedbooks, un serveur commercial de livres numériques situé en France, répond : « C'est un sujet très compliqué, il y a différents paramètres qui rentrent en compte:

  • le fait que pour les diffuseurs papier, la Suisse est un territoire distinct alors que la France et la Belgique sont considérées comme un seul et même territoire.
  • du coup, ils peuvent confier à un autre diffuseur l'activité en Suisse
  • dans les flux de métadonnées, l'Europe est de plus en plus régulièrement traitée comme un seul marché (prix et disponibilité pour toute l'Europe) mais la Suisse est souvent oubliée
  • certaines grosses plateformes (Amazon, Apple etc.) opèrent aussi des plateformes par pays et ont tendance à avoir des particularités vis à vis de la Suisse (pas de gestion du CHF par exemple) qui compliquent les choses
    La TVA n'est pas vraiment un problème, la Suisse est traitée comme un territoire où on vend des livres en HT au lieu de le faire en TTC (le cas est beaucoup plus complexe en Europe depuis qu'on a basculé au 1er Janvier sur une facturation selon le pays de l'acheteur).

    Du fait de ces raisons, il en découle que les usagers et consommateurs en Suisse ont souvent accès à des catalogues plus limités
    .

Ce n’est qu’à l’automne 2014, et face à notre insistance, que PNB-Dilicom (PNB, Prêt Numérique en Bibliothèque / Dilicom, société française d'agrégation et de distribution de livres numériques), s’est enfin ouverte à la Suisse romande. e-bibliomedia, la bibliothèque numérique des bibliothèques publiques romandes, a ainsi pu être lancée en compagnie d’une quinzaine de bibliothèques avec l’objectif de desservir toutes les bibliothèques publiques et scolaires qui le souhaiteraient.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Avec ses 40 bibliothèques affiliées à la plateforme, et ses 1'785 usagers actifs, e-bibliomedia, dont le fonds de livres numériques se monte à ce jour 2'115 titres, a comptabilisé depuis son ouverture plus de 10'000 prêts. Un groupe de travail issu des bibliothèques affiliées s’est réuni dernièrement afin de définir les grandes lignes de la politique d’acquisition. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un consortium étant donné que les frais de fonctionnement ne sont pas répartis entre les bibliothèques affiliées mais pris en charge par Bibliomedia. Les bibliothèques romandes bénéficient de l’infrastructure de la fondation et le montant de leur abonnement annuel est versé dans un pot commun qui sert de socle aux acquisitions. Bibliomedia complète ce fonds financier par un apport annuel substantiel d’environ 20'000 francs.

Politique d’acquisition

Au premier rang des acquisitions figurent inévitablement les fictions adultes, et en particulier les romans grand public. Utilisés en complémentarité des livres papier, les livres numériques doivent servir de solution de repli pour le lecteur en mal de disponibilité de bestsellers. Les institutions pourront d’ailleurs profiter de cette bouffée d’oxygène offerte par le numérique pour acquérir moins d’exemplaires des peu durables blockbusters, et équilibrer et diversifier leurs fonds de manière plus sereine. Parmi les genres fictionnels figurent également les bandes dessinées, dont les premiers volumes issus des fonds Casterman et Fluide glacial viennent d’arriver sur la plateforme. Précisons que ces médias en format PDF sont lisibles de préférence sur une tablette.

A la demande de certaines bibliothèques affiliées, des romans en anglais ont été acquis. Il apparaît maintenant que les ouvrages en langues étrangères sont des incontournables du prêt numérique. Il est donc question, en plus d’agrandir le fonds anglo-saxon, d’acquérir des titres dans d’autres langues, dont au moins l’allemand et l’italien. Toutes les réflexions au sujet du choix des titres sont en cours et aucun genre n’est a priori exclu.

Dans les recommandations du groupe de travail figure également la ligne à tenir concernant les ouvrages autres que les romans. Il faut acquérir des documentaires sur l’actualité brûlante,  mais bien entendu aussi  les genres qui fonctionnent bien, comme le développement personnel, les guides de voyage, les biographies, etc…

Un fonds jeunesse, orienté plutôt en direction des adolescents, a également fait son apparition et représente fin 2015 environ 250 titres.

Où et comment acheter des livres numériques ?

Pour prêter des livres numériques, il est nécessaire de disposer d’une plateforme dédiée à cet usage. PNB propose celle développée par l'entreprise canadienne "De Marque" et baptisée Cantook. C’est celle choisie par Bibliomedia. Il existe des solutions mises au point par des développeurs de système intégré de gestion de bibliothèque (SIGB) comme par exemple BibliOnDemand  soutenu et promu par Archimed qui utilisent également l’interface de PNB-Dilicom. Mais la concurrence existe également.  Outre Numilog déjà citée, nous pouvons signaler Immatériel, Bibliovox-by-Cyberlibris, Storyplayr (littérature de jeunesse), E-Fraction Diffusion et Knowledge Unlatched. On pourra lire à ce sujet l’article de SavoirCom1 dont le lien se situe au bas de cet article.

Quels lecteurs ?

Les lecteurs de la plateforme e-bibliomedia sont recrutés par les bibliothèques affiliées. Leur nombre n’est pas limité et peut donc énormément varier selon leur provenance. Actuellement et sans surprise, ce sont les plus grandes bibliothèques qui inscrivent le plus de lecteurs : Lausanne, Bienne et La Chaux-de-Fonds tiennent la corde mais les lecteurs d’Yverdon-les-Bains sont bien représentés également. En décembre 2015, sur le Canton de Genève, seule la bibliothèque municipale de Meyrin fait appel à e-bibliomedia. Charlotte Benzi, la responsable du développement de la plateforme e-bibliomedia, indique que la majorité des lecteurs se recrutent parmi les femmes de plus de 50 ans,  et que la catégorie la moins représentée est celle des jeunes de 15 à 30 ans, alors que nous aurions pu attendre des « digital natives » un intérêt instinctif pour ce média en ligne. Pour la petite histoire, le doyen de la plateforme est un Chaux-de-Fonnier de 89 ans ; comme quoi les clichés sont vite dépassés.  

Comment lire et à quelles conditions

L’avantage offert par PNB-Dilicom est incontestablement la possibilité pour le lecteur de pouvoir télécharger le livre numérique sélectionné sur la plateforme et le lire à l’endroit de son choix, et sur le terminal de son choix également (ordinateur, tablette, liseuse, etc). Actuellement il n’est obligé de passer par sa bibliothèque que pour son enregistrement initial. Les livres mis à disposition sur e-bibliomedia sont prêtés pour 21 jours. Chaque lecteur peut emprunter 5 ouvrages à la fois. Il a la possibilité d’effectuer un retour anticipé, ce qui lui permet de réemprunter d’autres ouvrages si son compteur était déjà parvenu à 5 titres empruntés.

Et quelles difficultés ?

Lire en numérique implique quelques manipulations pour le téléchargement que les tablettes rendent plus faciles, une fois passé l’écueil de l’identifiant "Adobe Digital Edition" (ADE). Mais les liseuses offrent un confort de lecture supérieur grâce à leur écran à encre électronique dont le rendu visuel se rapproche fortement de celui du livre papier. 

Les principaux problèmes rencontrés, gérés soit au travers de l’aide en ligne e-bibliomedia  ou par les responsables dans les bibliothèques affiliées, sont pratiquement tous liés au téléchargement. La version d’ADE et le modèle de liseuse y jouent un rôle crucial.

Graphique du nombre de prêts par mois

Du côté des éditeurs

Portée à bout de bras par Gallimard, l’offre des éditeurs francophones reste encore actuellement un peu décharnée, même si la situation s’est améliorée dernièrement  avec l’arrivée d’éditeurs tels qu’Actes Sud, Robert Laffont ou Flammarion, car la question de la territorialité prive encore les bibliothèques de certaines ressources. De plus, un nombre important d’éditeurs ne souhaitent pas offrir l’accès numérique à leurs titres pour le prêt en bibliothèque. Ce qui explique que seuls 10’000 titres sont actuellement disponibles pour les bibliothèques suisses. L’avenir est heureusement plus séduisant puisque l’on nous annonce pas moins de 25'000 titres pour début 2016. Ce sera alors vraiment Noël pour les lecteurs romands.

La polémique est vive en France au sujet de la politique de vente de PNB-Dilicom aux bibliothèques. On critique notamment la chronodégradabilité du fonds. En effet, la majorité des titres achetés ont une durée d’emprunt de 6 ans, 3 pour Actes Sud par exemple, et après 30 prêts, l’accès à la licence doit être racheté.

Avenir pour les bibliothèques affiliées…

Dès le mois de janvier 2016, les bibliothèques affiliées à e-bibliomedia devront s’acquitter d’un abonnement annuel calculé sur la base de 2% de leur crédit d’acquisition, selon le modèle pratiqué dans les réseaux alémaniques tels que DIVIBIB (Digitale Ausleihportale für Bibliotheken) qui demandent quant à eux 5%. A noter encore que les montants récoltés serviront, dans leur intégralité, à alimenter le budget d’acquisition des livres numériques.

Et ensuite ?

Outre l’élargissement progressif du fonds avec des groupes importants d’éditeurs tels que Hachette et Immatériel, l’ajout de langues étrangères et de titres pour les jeunes publics, l’avenir passera manifestement par une valorisation et une médiation de l’outil auprès des lecteurs traditionnels de la bibliothèque. Nous souhaitons aussi toucher les non-usagers des institutions publiques qu’une telle offre, atteignable depuis leur domicile, pourrait indubitablement convaincre.

Un enjeu de taille pour les bibliothèques et e-bibliomedia, mais le succès n’arrive jamais sans effort ni créativité.  

 

Le lecteur curieux pourra se renseigner plus en détail au sujet de la polémique française autour de PNB en consultant les liens ci-dessous :

http://www.lexpress.fr/culture/livre/pret-numerique-en-bibliotheque-a-peine-acte-deja-critique_1633556.html

http://www.bibliobsession.net/2015/10/13/pret-numerique-en-bibliotheque-critique-constructive-dun-modele-inadapte/?utm_source=feedburner&utm_medium=email&utm_campaign=Feed%3A+bibliobsession%2FTKHz+%28Bibliobsession%29

http://www.reseaucarel.org/page/le-point-du-pnb-fevrier-2015

http://www.savoirscom1.info/2015/10/cinq-modeles-alternatifs-a-pnb/?utm_source=feedburner&utm_medium=feed&utm_campaign=Feed%3A+Savoirscom1+%28SavoirsCom1%29 

Au sujet du HUB Dilicom et de PNB :

http://alire.asso.fr/docs/schemaHUBetPNB.pdf