La veille et l’intelligence économique dans le marché de l’emploi en Suisse romande

Raphaël Rey, Haute Ecole de Gestion, Genève


Nombre de mots: 
4401

La veille et l’intelligence économique dans le marché de l’emploi en Suisse romande

1 Introduction

En Suisse romande, une part importante des dirigeants de PME (Petites et Moyennes Entreprises) affirment avoir mis en place une démarche d’intelligence économique (IE) comme en témoigne une enquête de 2014 menée par Alexandre Racine et Amanda Morina(1). Les résultats ont montré qu’un peu moins de 60% des CEO (Chief Executive Officer) interrogés se disent déjà engagés sur cette voie et que près des trois quarts des entreprises pratiquent la veille, ne serait-ce que de manière informelle.

Dirigeants des PME affirmant avoir mis en place une démarche IE

Selon ces chiffres, une majorité d’entre elles consacreraient donc des ressources à cette question, ce qui devrait logiquement se répercuter au niveau du cahier des charges affichés dans les offres d’emploi.

Du côté des grandes multinationales, ces pratiques sont souvent anciennes et bien implantées dans la mesure où leur taille et leur zone d’activité rendent évidente l’impossibilité d’appréhender un environnement si vaste et si complexe sans y consacrer des ressources et adopter une méthode structurée. A ceci s’ajoute souvent l’influence de la culture de gestion anglo-saxonne qui a acquis depuis longtemps une sensibilité dans le domaine.

2 Objectifs

Si une majorité des entreprises en Suisse romande consacrent des ressources à l’IE et à la veille, les offres d’emploi devraient logiquement en constituer un bon indicateur avec la mention claire de tâches associées à ces domaines. Cette étude a pour principal objectif de vérifier ce fait et de proposer un panorama général du marché de l’emploi centré sur cette problématique. Il s’agira notamment de déterminer :

  • les secteurs économiques qui recrutent le plus
    1. avec la veille ou l’IE en tâche annexe,
    2. avec la veille ou l’IE en tâche principale ;
  • les types de veille pratiqués ainsi que la terminologie utilisée pour la désigner ;
  • le rattachement au sein de l’entreprise (communication, marketing, direction générale, etc.) ;
  • les profils et formations recherchées.

Ces données sont particulièrement utiles pour les acteurs de l’intelligence économique en Suisse. Elles rendent manifestes les secteurs, voire les entreprises les plus actives dans ce domaine. Elles constituent également une ressource précieuse pour le positionnement et la promotion de formations en IE afin de répondre aux besoins du marché.

Un objectif annexe à cette étude est de mettre en place un dispositif simple avec un minimum de traitement nécessaire pour relayer sur le site JVeille les annonces parues dans le domaine de l’IE : http://www.jveille.ch(2) .

3 Méthodologie

3.1 Périmètre de l’étude

Dès le début de cette étude, nous avons pris le parti de ne pas rechercher d’annonces spécifiques à l’influence (lobbying) ou à la sécurité. Outre le souci de restreindre le périmètre de récolte de données, nous voulions aussi préserver une certaine unité. En effet, la quasi-totalité des annonces observées concernant la sécurité s’adresse à des informaticiens spécialisés dans ce domaine et non à des personnes qui auraient suivi un cursus en IE. Pour le domaine de l’influence, les annonces sont peu nombreuses et difficile à distinguer des postes de relations publiques et de communication. Nous avons donc renoncé à tenter de les cibler spécifiquement.

3.2 Une recherche en trois phases

La recherche d’annonce d’emplois pour la veille et l’intelligence économique s’est déroulée en trois phases. La première avait pour but de faire différents tests de mots-clés et de sources (sites d’offres d’emplois) en vue de la mise en place d’un dispositif de surveillance permettant de détecter un maximum d’annonces en Suisse romande. Nous ciblions toutes les annonces du moment qu’elles mentionnaient des tâches même annexes en lien avec l’IE.

La seconde phase a consisté à exploiter le système mis en place et donc à récolter puis traiter les annonces détectées. Dans la dernière, nous avons davantage ciblé notre surveillance sur les offres dont la plus grande partie des tâches mentionnées relevaient directement de l’IE. Ce sont finalement surtout ces annonces-là qui permettent d’évaluer l’implantation de l’IE dans les entreprises.

Processus en trois phases

3.3. Sélection des mots-clés et des sources (phases 1 et 2)

La sélection de ces derniers a été l’objet d’un choix difficile. Le terme « veille » est évidemment important, mais il désigne également l’action de « faire en sorte que » assez fréquente dans les annonces. On aurait donc pu associer ce mot-clé à des adjectifs comme « stratégique », « technologique » ou « concurrentielle », mais une exploration préliminaire nous a permis de constater que les expressions utilisées sont peu prévisibles et nous avons donc pris le parti d’accepter passablement de bruit et d’effectuer un tri manuel.

Le terme « intelligence » soulève des problèmes similaires. Fort heureusement, il n’apparaît que rarement pour désigner une caractéristique de la personne. Que ce soit dans les annonces francophones ou anglophones, il se retrouve majoritairement associé à « business » (« business intelligence »). Cette expression peut se rapporter à un champ d’activité proche de l’IE, mais dans la grande majorité des cas, il s’agit d’informatique décisionnelle. Par ailleurs, à côté d’expressions consacrées comme « competitive intelligence » tout à fait pertinentes pour notre étude, on trouve également des expressions moins caractéristiques comme « provide intelligence ». Au vu de cette diversité dans les usages nous avons donc décidé de suivre le terme « intelligence » quel que soit son contexte et de réaliser un tri par la suite.

A ces deux mots-clés, nous avons encore joint deux expressions anglophones que nous avons rencontrées à quelques reprises : « market insight » et « business insight ».

Au niveau des sources, en raison de l’abondance du bruit engendré par ces requêtes (environ 30%), nous ne pouvions naturellement pas viser l’exhaustivité. A défaut, nous avons multiplié les canaux : une agence de placement (Addeco), deux métamoteurs (Option carrière et Indeed), un réseau social (LinkedIn) et deux portails (JobUp et Monster).

Concernant le mode de récolte des données, nous avons naturellement dû nous adapter aux possibilités offertes par les différentes sources. Nous avons privilégié les flux RSS  quand cela était possible, sinon nous avons recouru à des surveillances de pages de résultats en fonction de requêtes et à des alertes par email. Voici un tableau récapitulatif des surveillances :

Mots-clés sélectionnés

3.4 Recentrage des surveillances (phase 3)

Après une période de surveillance où nous avons ratissé large et pu observer la diversité des annonces comportant une part d’activité en lien avec l’intelligence économique, il nous a paru pertinent de suivre sur une plus longue durée les offres beaucoup moins nombreuses avec majoritairement des tâches en lien avec l’IE.

Pour limiter le bruit et le temps de traitement, nous n’avons suivi qu’une seule source, la plus prolifique de la phase 2 : Indeed. Nous avons également pris des mesures pour réduire le bruit au risque d’un certain silence. Voici l’équation que nous avons appliqué à chaque canton romand (ou partiellement romand) :

(veille or intelligence or "market insight" or "business insight") -"business intelligence" -"veille technologique" -"veille à" -"veiller à" -"veille au" -"veiller au"

Parmi les points notables, nous avons par exemple rejeté l’expression « business intelligence ». En effet, la première phase de récolte a révélé que l’immense majorité des annonces comprenant cette expression n’étaient pas pertinentes par rapport à l’IE. Plus discutable peut-être, nous avons pris la décision de rejeter la veille technologique. En effet, cette tâche est mentionnée dans de très nombreuses annonces pour des postes d’ingénieurs ou d’informaticiens. Ce ne sont pas des spécialistes de la veille, mais cela fait partie de leur métier de se tenir informés sur les innovations de leur domaine. De plus, cela ne représente qu’une part très limitée de leur temps de travail.

3.5 Outils de veille utilisés

L’ensemble du dispositif a été mis en place sur le logiciel français de veille stratégique Digimind. Cet outil s’est révélé pratique pour son tableau de bord qui permettait de vérifier l’ensemble des sources de manière systématique, ainsi que pour les possibilités de capitalisation des annonces en leur associant des mots-clés en fonction de listes : formation, type de veille, secteur économique, etc.

 

Pour la phase 3 et la seconde collecte, nous avons également recouru à Inoreader qui permet d’exporter des flux RSS avec un paramétrage fin ainsi que des codes html pour intégrer les résultats sur un site web. Cette dernière fonctionnalité nous a permis de rediffuser les offres pertinentes sur le site JVeille.

4 Résultats

4.1 Représentation de la veille et de l’IE dans les offres d’emploi

Nous commençons l’exposition des résultats avec une rapide analyse de la présence de la veille et de l’IE dans les offres d’emploi. Pour ce faire, nous avons effectué un pointage sur toutes offres ouvertes le 10 septembre à l’aide du métamoteur Indeed et de l’équation suivante :

(veille or intelligence or "market insight" or "business insight") -"business intelligence" -"veille à" -"veiller à" -"veille au" -"veiller au"

Il s’agit de la même requête que celle présentée dans la section précédente à l’exception que nous n’excluons plus la veille technologique. Par commodité, nous désignerons dans les diagrammes cette équation par le sigle /veille/.

Sur l’ensemble des cantons romands à l’exclusion de Berne qui est majoritairement alémanique, nous obtenons les chiffres suivants :

Part des emplois avec une composante IE par canton

On constate donc qu’en moyenne moins de 2% des offres mentionnent une activité en lien avec l’IE et cette proportion varie drastiquement selon les régions et semble diminuer à mesure que l’on s’éloigne de Genève et de l’Arc lémanique. En France, la même requête révèle qu’un peu plus de 5% des offres comportent des tâches de veille.

A titre de comparaison avec d’autres types de responsabilités ou fonctions, nous avons tenté les requêtes suivantes sur le canton de Genève :

La veille dans Indeed au 10 septembre 2015

Il ressort de ces chiffres que l’on manage à Genève au moins 8 fois plus que l’on ne fait de la veille. Une activité aussi transversale est moins demandée que des responsabilités en lien avec les ressources humaines ou la comptabilité. Quant aux ingénieurs, il n’y en a finalement qu’une partie assez faible dont l’annonce mentionne des activités de veille (9 sur 99).

Naturellement, les collaborateurs peuvent se voir confier des tâches de cet ordre, même si celles-ci ne sont pas annoncées dans l’offre. Toutefois ces chiffres semblent confirmer l’idée que les compétences en IE ne constituent que très rarement une priorité chez les recruteurs.

Ces résultats présentent une certaine stabilité dans le temps comme en témoignent deux autres sondages que nous avons effectués sur Indeed avec la même requête sur Genève (14 octobre et 4 décembre 2015).

La veille dans Indeed - canton de Genève

Dans les sections suivantes, nous allons analyser plus en détail les offres repérées qui présentent tâches en lien avec l’IE.

4.2 Analyse globale des offres (juillet-août)

Sur les mois de juillet et août, nous avons retenu 277 offres comme comportant des tâches en lien avec l’IE : 24 où celles-ci occupent une place essentielle et 253 où elles sont annexes.

Importance de l'IE dans les offres d'emploi

En plus de ces 24 offres repérées, on trouve également plusieurs stages avec des tâches relevant de l’IE prédominantes : 17 annonces dont la moitié pour des activités en lien avec le marketing. Si on cumule les chiffres pour les emplois et les stages, on constate que sur les 41 offres au total dans le domaine, 40% sont en réalité des activités non ou très peu rémunérés. Ces résultats soulèvent des questions quant à la reconnaissances des compétences propres à l’IE, si des stagiaires suffisent à couvrir une part si importante des besoins. Nous reviendrons plus loin sur ce point.

Part des stages dans les offres comportant majoritairement des tâches d'IE

Concernant la terminologie utilisée dans les annonces pour désigner la veille, celui-ci dépend naturellement des requêtes utilisées. Néanmoins, nos équations étaient suffisamment larges pour laisser de l’intérêt à ce type d’analyse en mettant en évidence, par exemple, les termes les plus souvent associés à celui de « veille » :

Terminologie de la veille - français

En plus d’observer une grande diversité dans les domaines couverts par la veille, on ne peut que constater l’écrasante domination de la veille technologique. En effet, les offres pour des ingénieurs ou des informaticiens comportent régulièrement des tâches de veille. Celles-ci ne représentent toutefois presque jamais l’essentiel des postes.

Parmi les faits remarquables, on notera la faible représentation de la « veille stratégique » alors qu’il existe une affinité évidente entre stratégie et veille et que cette expression est très largement utilisée dans la littérature. Ces résultats tendent à montrer que la recherche d’information sert d’abord à répondre à des besoins très opérationnels.

Si on considère l’e-réputation, il n’y a que trois offres qui mentionnent cette spécialisation de l’IE (et essentiellement des entreprises françaises). Si la demande est bien marquée en France, on constate qu’elle peine à s’imposer en Suisse. Cela ne signifie pas que les organisations de ce pays ne se soucient pas de leur réputation en ligne, simplement cette tâche n’y est que rarement reconnue comme un métier en soi ou alors est désignée autrement : « analyste médias », par exemple.

En anglais, on constate une plus grande variété dans les expressions utilisées :

Terminologie de la veille - anglais

On observe que dans les annonces anglophones, la veille est beaucoup plus orientée sur les problématiques liées à la concurrence et à l’analyse de marché. L’influence des requêtes utilisées pour repérer les annonces est certaine, mais ne suffit pas à expliquer le fait.

A noter que « monitor(ing) » peut renvoyer à n’importe quel type de surveillance potentiellement sans aucun rapport avec de la veille (d’autres termes comme « analyse » ou « research » sont fréquents, mais non caractéristiques du type d’annonces recherchées). Les occurrences du terme « insight » sont, en revanche, très souvent pertinentes. Toutefois, il n’y a pas de combinaisons récurrentes. On trouve, par exemple, plusieurs fois des expressions comme « provide insights ».

Parmi les profils et métiers recherchés, la diversité est très importante, ce qui n’est guère surprenant dans la mesure où des besoins en veille et en IE peuvent se ressentir dans les organisations à tous les niveaux. Le diagramme suivant montre de manière sommaire pour toutes les annonces comportant des tâches de veille (prioritaires ou non) la répartition entre les différents métiers :L'IE en fonction des métiers et des fonctions dans les organisations

Premièrement, ce schéma montre la rareté des postes s’adressant spécifiquement aux spécialistes de l’information et de l’IE en Suisse romande. Nous reviendrons sur ce point par la suite.

Dans « marketing, communication, commerciaux », nous trouvons également les spécialistes des achats et les responsables de la stratégie commerciale. Ces métiers et ces fonctions n’appartiennent pas toujours à des postes différents, surtout dans les PME. Au niveau de la veille, l’ensemble de ces personnes pratique essentiellement la veille concurrentielle.

Concernant les informaticiens, une pratique de la veille est souvent attendue d’eux, mais ce n’est que très exceptionnellement que cette activité devient prioritaire par rapport au reste. Manifestement, on souhaite qu’ils mettent à jour leurs connaissances, mais cela se fait probablement le plus souvent de manière assez informelle et personnelle.

La situation est un peu différente dans les domaines commerciaux où la veille prend davantage d’importance. Toutefois elle semble également le plus souvent personnelle dans la mesure où elle sert directement les tâches que remplit le collaborateur. Par exemple, un responsable des achats va faire une veille fournisseurs.

Nous n’avons rangé parmi les « cadres dirigeants » que des directeurs généraux ou du moins des responsables de succursales. Les autres postes de cadre ont été rangés dans la catégorie correspondante à leur métier : « ressources humaines » pour un directeur des resources humaines.

Dans la catégorie « autres », nous trouvons une série de métiers comme des chefs de projet, des statisticiens, des responsables qualité, des employés administratifs, etc. Les cadres intermédiaires y sont particulièrement bien représentés.

Parmi les secteurs qui propose de plus d’emplois comportant des tâches de veille, on trouve en tête le milieu bancaire couplé à celui de la finance, ainsi que tout ce qui relève du domaine IT.

Secteurs proposant le plus d'emplois avec des tâches liées à la veille

La forte présence du secteur bancaire et de la finance s’explique par le fait que ces sociétés ont un besoin important de veille à plusieurs niveaux. Ils utilisent beaucoup d’informatique et se doivent d’être absolument sécurisés à ce niveau, ce qui implique une veille technologique régulière.

D’autre part, la gestion de patrimoine représente des enjeux fiscaux et légaux importants, d’où le besoin pour une veille réglementaire. Par ailleurs, il y a aussi toute la question liée à la due diligence (devoir de vérification raisonnable) qui amène les intermédiaires financiers à enquêter sur leurs clients. Finalement, cet univers est concurrentiel comme les autres et ne peut donc pas s’épargner une veille marché.

Le deuxième secteur le plus représenté est l’IT. La veille y est surtout technologique et on la retrouve indifféremment dans de nombreux domaines d’activité : sécurité informatique, développement d’applications, solutions cloud, webdesign, gestion de systèmes d’information, etc.

On remarquera également la part importante des autres secteurs qui montre à quel point la veille, bien que rare (2% des offres environ), se retrouve dans la plupart des types d’activité.

 4.3 Analyse des offres centrées sur l’IE (juillet-octobre)

Afin d’avoir davantage de données, nous avons étendu à quatre mois la période de récolte des offres qui comportent une part importante de tâches en lien avec de l’intelligence économique ou à de la veille. Dans cette partie, nous présentons donc des données datant de juillet à octobre 2015.

Nous avons retenu au total 70 offres où la part des tâches en relation directe avec l’IE nous semblait particulièrement importante. Parmi elles, la répartition des langues entre anglais et français est assez équilibrée avec un avantage pour la seconde.

Langue des annonces

La forte présence de l’anglais s’explique par la proportion significative des offres émanant de multinationales étrangères, mais pas uniquement.

Localisation des organisations

Dans la section suivante, nous verrons que plusieurs secteurs d’entreprises dont le siège et l’essentiel des activités sont en Suisse proposent également des postes avec des besoins marqués en compétences IE.

Le diagramme suivant donne la répartition des offres par secteur sur les mois de juillet à octobre 2015 :

Secteurs économiques proposant des emplois avec des tâches de veille ou d'IE comme activité essentielle

Nous pouvons tout d’abord constater une grande diversité. Après tout, le plus grand groupe est « autres secteurs » avec presque un tiers des offres. Il est toutefois intéressant de noter quelques différences avec la répartition que nous avions présentée plus haut quand nous analysions l’ensemble des annonces comportant des tâches d’IE :

  • Le domaine IT a pour ainsi dire disparu ;
  • Les secteurs medtech / pharma et banque / finance arrivent en tête, en particulier à cause du besoin massif de veille réglementaire ;
  • La présence de cabinets de conseil que ce soit en IE, en marketing, en recrutement ou en technologie n’a rien d’étonnant dans la mesure où ce type de services requiert une recherche d’information souvent importante et actualisée ;
  • Les ONG (Organisation Non-Gouvernementales) sont également bien représentées avec des tâches d'IE très diversifiées : veille médias et veille stratégique ;
  • On retrouve également cette diversité dans l’horlogerie avec une dominance pour les problématiques liées au marketing.

On notera également une certaine fluctuation dans le rythme de publication des annonces. En effet, sur juillet et août, nous n’avions repéré dans le domaine de l’horlogerie aucune offre relevant majoritairement de l’IE, alors que pendant les deux mois suivants 6 paraissaient. Les autres secteurs affichent des répartitions un peu plus harmonieuses, mais le marché reste sujet à des fluctuations assez fortes.

Le diagramme suivant présente les domaines d’activité des 70 annonces retenues :

Domaines d'activité des collaborateurs actifs dans la veille / IE

Le marketing et la conformité canalisent l’essentiel du marché de l’emploi. Ces résultats ne surprennent pas dans la mesure où le marketing est incontournable quel que soit le secteur d’activité. Quant à la conformité, elle est indispensable dans de nombreux secteurs bien représentés en Suisse romande comme les milieux bancaires ou pharmaceutiques.

La catégorie « prestation de veille » regroupe les emplois où la personne engagée n’effectue pas de la veille pour ses propres besoins ou un service donné dont elle fait partie (comme le marketing par exemple). Elle remplit au contraire un rôle de prestataire de services pour divers clients internes ou externes à l’organisation. Ces postes constituent des cibles particulièrement intéressantes pour celles et ceux qui souhaitent travailler activement dans la veille. Voici la liste des intitulés des dix annonces repérées :

Liste d'offres pour des emplois emplois consistant à réaliser des prestations de veille

A noter que pour seulement 4 de ces annonces, une formation dans le domaine de l’information est attendue (en orange dans le tableau). Quant à trois de ces offres, elles se contentent de rechercher des profils universitaires sans aucune formation spécifique à l’IE ou à la veille.

Si on ajoute encore une offre (absente de ce tableau) pour un poste à l’ONU dans le secteur des ressources humaines : JPO, HR Evaluation, Operational and Financial Analytics, il n’y a au total que 5 offres sur les 70 retenues qui expriment des attentes par rapport à une telle formation.

Comment interpréter cette situation ? On peut en déduire une certaine méconnaissance en Suisse pour les écoles et les filières qui intègrent la veille dans leur programme comme la HEG de Genève qui propose notamment un bachelor et un master en information documentaire ainsi qu’un DAS (Diploma of Advanced Studies) en intelligence économique et veille stratégique.

Toutefois, cette méconnaissance est probablement aussi le symptôme d’un manque de reconnaissance pour ce type de compétences. Parmi les emplois où la part de veille / IE est prédominante, nous avons aussi pu constater l’abondance des offres pour des stages avec près de la moitié des annonces. En particulier dans le domaine du marketing, la recherche d’information et la surveillance des médias sociaux apparaissent souvent comme des activités qu’on peut déléguer à des personnes peu formées ou du moins novices.

Pour aller au-delà de suppositions, la réalisation d’une enquête serait nécessaire. Toutefois, il est évident que pour une grande partie des travailleurs, la recherche d’information constitue une tâche quotidienne. Cette banalisation ainsi que la facilité d’accès et l’abondance de l’information masque probablement le besoin d’experts pour répondre à ces besoins. Et pourtant ceux-ci sont précieux pour coordonner les efforts d’une équipe et définir une véritable stratégie d’acquisition et de gestion de l’information. Aujourd’hui l’enjeu n’est plus tellement de trouver de l’information, mais de la trier et de cibler celle qui est véritablement utile.

5 Conclusion

Cette étude a mis en évidence un réel besoin du marché pour la veille. Avec environ 2% des offres mentionnant des tâches de ce type, il est évident que la question de l’information, de la mise à jour des connaissances est prise en compte par les recruteurs.

La plupart des secteurs d’activité sont représentés et parmi les plus demandeurs on trouve les banques, les medtechs et l'industrie pharmaceutique, puis dans une moindre mesure les ONG et l’horlogerie.

Toutefois, dans la majorité des cas, la veille ne constitue qu’une tâche annexe qui, dans les annonces, apparaît en général tout à la fin de la liste des responsabilités. Ceci est particulièrement fréquent pour les ingénieurs et les informaticiens qui comptabilisent à eux seuls un peu plus de 40% des offres repérées (112 sur 277 pour la période de juillet à août), mais uniquement dans 5 de ces offres, la veille occupe une place prédominante.

Parmi les types de veille pratiqués, l’analyse de la terminologie nous a montré qu’en français la veille technologique ou technique était très largement majoritaire (88 offres sur 277 en juillet et août), ce qui s’explique en partie par la forte proportion des annonces pour des postes d’ingénieurs ou d’informaticiens. Arrivent ensuite, la veille concurrentielle (26 sur 277) et la veille réglementaire (15 sur 277). Quant à l’e-réputation, elle n’a pas percé en Suisse malgré sa relative forte représentation en France (3 mentions dans les offres).

En anglais, la répartition est plus homogène et on trouve en tête competitive intelligence (20 sur 277) et market intelligence (12 sur 277). On ne trouve donc pas d’équivalent direct pour la veille technologique.

La présence récurrente de la veille dans les annonces constitue un premier pas, même si 2% des offres ne constitue qu’une proportion relativement faible si on la met en parallèle avec les trois quarts de dirigeants de PME qui prétendent qu’une pratique de veille existe au sein de leur entreprise (voir notre introduction).

Si une prise de conscience a eu lieu à propos de la nécessité de la veille, il s’agirait à l’avenir de généraliser et de professionnaliser sa pratique en rendant manifeste le fait que cela demande des compétences spécifiques et donc une formation.

En effet, cette étude met également en évidence un niveau d’attente très faible pour des formations en intelligence économique ou en sciences de l’information, même s’il ne fait pas de doute que des diplômes dans ces disciplines constituent un réel atout pour prétendre à des postes tels que ceux que nous avons identifiés comme comportant une part significative de tâches liées à l’IE.

Dans ce contexte, une formation telle que le DAS en intelligence économique et veille stratégique de la HEG de Genève fait particulièrement sens lorsqu’elle vient compléter un cursus dans des disciplines comme le droit, le marketing, la communication ou d’autres encore.

Néanmoins, il reste un long travail d’évangélisation à effectuer auprès des entreprises pour faire évoluer la reconnaissance des compétences d'IE et mettre en évidence l’importance d’une gestion professionnelle de l’information qui constitue aujourd’hui avec les ressources humaines, les biens les plus précieux des organisations.


Notes

(1) MORINA, Amanda., RACINE, Alexandre, 2014. Pratiques et besoins de veille dans les PME de Suisse romande. [En ligne]. Travail de bachelor. Genève : Haute école de gestion de Genève. [Consulté le 14 décembre 2015]. Disponible à l’adresse : https://doc.rero.ch/record/232941

(2) Site en lien avec l’organisation des journées franco-suisses de la veille en partenariat avec la HEG de Genève, la HE-Arc de Neuchâtel et l’Université de Franche-Comté.