Lorraine Filippozzi, Haute Ecole de Gestion, Genève
Avec pour objectif de répondre aux deux questions « Comment l’environnement universitaire nourrit-il la pratique archivistique ? » et « Comment le service des archives peut-il enrichir l’image de son université ? », le colloque international organisé par le Service des archives de l’Université de Lausanne a permis aux spécialistes et aux passionnés de partager leurs réflexions et leurs visions à propos des archives universitaires.
Après l’ouverture du Colloque par Dominique Arlettaz, recteur de l’Université de Lausanne (Suisse), c’est Olivier Robert, chef du Service des archives de l’Université de Lausanne et organisateur du Colloque, qui a introduit ces deux journées en présentant le cadre de réflexion et en explicitant les enjeux des deux problématiques soulevées. La première propose d’explorer les manières dont l’environnement académique, principalement constitué d’enseignement et de recherche, peut nourrir la pratique professionnelle et faire évoluer le traitement des archives scientifiques. La seconde ouvre les perspectives du positionnement des services d’archives et de la mise en valeur de leurs fonds pour constituer une plus-value institutionnelle. Représentant diverses institutions et autant de points de vue, les différentes interventions de ce colloque illustrent les propositions de réponses des professionnels vis-à-vis de ces deux questions centrales.
Comment l’environnement universitaire nourrit-il la pratique archivistique ?
En tant que directeur des Archives de l’université de Montréal (Canada), Claude Minotto s’appuie sur son expérience pour engager la réflexion autour de l’actualisation de la mémoire institutionnelle universitaire, à la fois source d’information et d’inspiration. Pour mettre en valeur et diffuser au mieux la richesse et la diversité des archives universitaires, il propose de répondre aux besoins de la gouvernance et de faire face au défi de la gestion électronique des documents administratifs en établissant un programme de records management efficace basé sur des outils qui permettent d’agir : règles de conservation, plan de classement, politique et procédures, logiciel de GED, espaces virtuels, etc. Cette manière de faire ne va pas sans une manière d’être des archivistes, qui doivent créer le rayonnement de leur service et ainsi démontrer de façon tangible et visible leur efficacité à soutenir la mission et les valeurs de l’université dont elle dépendent « hiérarchiquement ».
A ce propos, Christian Gilliéron, Adjoint du directeur des Archives cantonales vaudoises (ACV, Suisse), démontre alors qu’en se professionnalisant et en tissant au fil des ans une relation de confiance avec les ACV, « autorité » dont elles relèvent, les Archives de l’Université de Lausanne sont parvenues à se faire une place dans le paysage des archives vaudois. Plus qu’un soutien, cela leur a donne une large marge de manœuvre dans un environnement légal encore mal défini. Autre lieu, autre cas de figure : après leur indépendance vis-à-vis des Archives nationales françaises, les archives des huit universités de Paris se sont quant à elles fédérées sous l’égide du Rectorat, encore sans politique de collecte raisonnée et de valorisation de l’ensemble des archives. Dans ce contexte, Stéphanie Méchine, archiviste du rectorat de Paris, décrit les objectifs fixés par le groupe de professionnels AURORE, réseau des archivistes des universités, rectorats, organismes de recherche et mouvements étudiants : contribuer à la professionnalisation des archives au moyen de formations, élaborer des outils de travail tels que des tableaux de gestion thématiques, favoriser le dialogue avec les archivistes des autres secteurs et initier des projets de recherche et de coopération avec les chercheurs. La situation des archives universitaires françaises est donc en pleine évolution.
A un niveau plus conceptuel, Didier Devriese (directeur des Archives de l’Université libre de Bruxelles, Belgique) s’interroge « l’archivistique possède-t-elle une véritable dimension scientifique ? » et cette question est particulièrement importante en milieu académique. Plus qu’un « corps de pratiques », il propose de définir l’archivistique comme un « corps de doctrines », et suggère que les archives des universités soient des lieux privilégiés de recherche sur l’archivistique et constituent un « terreau » académique multidisciplinaire propice à faire évoluer la théorie des archives en l’enrichissant.
Ramenant la discussion à un niveau plus pratique, Jean-Marie Yante, professeur et président du Département d’Histoire de l’Université catholique de Louvain (Belgique), expose la problématique de la sélection des archives provenant de la recherche académique. Leur statut juridique ambigu entre archives privées et publiques, leur corpus ainsi que leur contenu souvent hétérogènes relevant parfois même de la muséologie et oscillant entre enseignement, recherche et gestion des connaissances, rendent complexe l’élagage de ces fonds. Le Professeur Yante recommande de procéder prudemment et dans un souci de complémentarité des fonds, ces archives palliant souvent les lacunes de mémoires institutionnelles ou privées. Dans sa communication intitulée « Quel patrimoine pour l’enseignement et la recherche ? », Nicole Meystre-Schaeren (archiviste aux Archives de Montreux, Suisse) souligne l’importance d’archiver non seulement les documents émanant de l’administration universitaire, mais aussi ceux de l’enseignement et de la recherche, activités touchant au cœur de la mission des universités. Au sein d’une politique patrimoniale universitaire élargie, ces archives issues de laboratoires, de professeurs-chercheurs, d’étudiants ou encore de partenaires externes, permettraient de documenter et de représenter de manière complémentaire les différentes activités des universités. L’archiviste Agnese Blasina-Puy évoque à ce propos le projet de normalisation de la conservation de la littérature grise mis en place à l’Université de Lausanne. Il s’agissait surtout d’établir une politique cadrant la sélection, la collecte, le classement et l’archivage de la littérature grise. Sous cette appellation sont compris des types de documents très variables : imprimés sériels ou occasionnels non archivés par d’autres procédures mais véhiculant une information de valeur à long terme ou illustrant la vie de la communauté universitaire, « du flyer oublié au monde en 3W ».
Pour clore cette première journée, Philippe Delvit et Delphine Floreck, respectivement vice-président en charge des archives et archiviste, se penchent sur la question des archives électroniques et présentent le cas de l’Université de Toulouse (France). GED, administration électronique, plateformes pédagogiques et autres procédures dématérialisées mettent l’université en danger de perte de mémoire si on ne garantit pas la sécurité et la pérennité des données traitées. Souhaitant émettre un signal d’alarme pour sensibiliser et responsabiliser les administrations universitaires, les intervenants proposent d’établir une politique d’archivage électronique globale dans les universités sans trop attendre et en collaboration avec le groupe de travail AURORE (voir plus haut). L’Université de Toulouse a pris les devants en mettant actuellement en place à l’interne un processus d’archivage de l’application de gestion des étudiants et des boîtes aux lettres électroniques. Suivront les sites Internet et Intranet ainsi que le logiciel de gestion immobilière, éléments essentiels d’un environnement universitaire qui, au même titre que la pratique archivistique, nourrissent les projets d’archivage électronique.
Comment le service des archives peut-il enrichir l’image de son université ?
Pour ouvrir cette seconde journée, Paul Servais, professeur à l’Université catholique de Louvain, retrace les grandes étapes de l’évolution des services d’archives universitaires et des professionnels qui y œuvrent. Ces services se sont formalisés, se sont intégrés à leur environnement et sont à présent proactifs et « orientés-services ». Les archivistes qui les gèrent sont à présent des professionnels spécialisés, à la fois historiens, gestionnaires, conservateurs et acteurs de la culture de leur université. Les archives universitaires sont ainsi à même de se faire connaître - et reconnaître – au sein et même au-delà de leur institution si l’on considère les possibilités de partenariats et de synergies.
Sous le titre « Fonds spéciaux et communication : luxe ou nécessité ? », Gabriel Dorthe (archiviste à l’Université de Lausanne) aborde ensuite la problématique des collections non régies par des dispositions légales mais souvent légitimes en tant qu’objets archivistiques. Qu’elles soient iconographiques, audio-visuelles, muséales ou d’autre nature, les possibilités de diffusion et de valorisation de ces collections sont nombreuses. Gabriel Dorthe propose donc de créer une offre pour susciter une demande en offrant au public des Archives de l’Université de Lausanne des images d’archives dans le journal interne, des expositions virtuelles ainsi que des documents audiovisuels sur le site web institutionnel. Cela permet de promouvoir les archives, le service qui les gère et l’institution qui les a produites.
Les fonds spéciaux peuvent aussi faire l’objet de partenariats, comme le soulignent dans leur intervention Jean-Claude Genoud, conservateur du département d’iconographie du Musée historique de Lausanne, et Eloi Contesse, documentaliste au département des collections photographiques du même musée. La valorisation du patrimoine n’étant plus l’apanage des seuls musées, les différents acteurs de la conservation se doivent aujourd’hui de collaborer dans une dynamique de convergence. Cela a été entrepris à Lausanne, où un projet de système d’information global composé de plusieurs bases coordonnées a été mis en place dans le but de mutualiser la gestion et la diffusion des documents numérisés de différentes institutions sur une même plateforme accessible au public. Cela a nécessité un gros effort de normalisation, mais les résultats, l’application MUSERIS et les collaborations amorcées entre institutions, sont prometteurs. Eloi Contesse insiste sur la nécessaire normalisation documentaire qui permet la réalisation de ce type de projets en favorisant les échanges interinstitutionnels. Les standards favorisés dans ce cas ont été le Conceptual Reference Model (CRM, ISO 21127) comme ontologie de référence et Open Archives Initiative - Protocol for Metadata Harvesting (OAI-PMH) comme norme descriptive prévue pour les échanges.
Après ces deux exemples concrets de valorisation, Frédéric Sardet (archiviste de la Ville de Lausanne) pose la question « Comment penser la valorisation ? ». Peu discutée, la problématique de la mise en valeur et celle, plus large, des relations publiques des services d’archives, soulèvent d’importants enjeux liés à la constitution d’une offre cohérente avec les missions du service et l’offre culturelle environnante ainsi qu’à la réflexion sur la mémopolitique. Une valorisation « en mode collaboratif » avec d’autres institutions permet, en plus d’un enrichissement réciproque, l’établissement de nouveaux liens avec le public. Après Frédéric Sardet, Françoise Hiraux (archiviste aux Archives de l’Université catholique de Louvain) propose que les archives universitaires participent au devenir de leur institution en mettant en avant leur expertise et leur offre de service. La mission de « patrimonialisation » du savoir s’opère en instituant une culture de la durée et en organisant le patrimoine universitaire. A ce titre, les archives de l’Université catholique de Louvain ont mis en place un projet de création de documents audiovisuels pour illustrer l’évolution des acteurs et de l’environnement universitaire sous forme de reportages d’histoire immédiate et d’entretiens. La mission de communication nécessite de puiser de nouvelles sources d’inspiration et de prendre des initiatives en terme de valorisation et d’action culturelle, par exemple par des collaborations interinstitutionnelles.
Pour clore ces deux journées de colloque, Claude Minotto (directeur des Archives de l’université de Montréal) résume les différents types d’archives universitaires passés en revue et relève la diversité et la richesse des discussions abordées. Il expose ensuite trois pistes potentielles d’enrichissement réciproque du milieu universitaire et de ses archives : conscientisation, collaboration et émulation. La conscientisation d’abord, ou comment sensibiliser les universités sur les enjeux liés à la gestion de leurs archives. La collaboration vient ensuite, car elle est nécessaire pour convaincre et accomplir. Se concerter pour mieux servir constitue la clé de réussite de nombreux projets exposés lors de ce colloque. Enfin, l’émulation, ou comment partager les expériences et progresser. C’est précisément lors de tels colloques qu’est offerte la possibilité de capitaliser les connaissances et que naissent de nouvelles impulsions propice à dynamiser les archives.