Le rôle de la BN au niveau international

Genevieve Clavel-Merrin, bibliothèque nationale suisse

Le rôle de la BN au niveau international

Introduction

Fondée en 1895, la Bibliothèque nationale suisse (BN <http://www.nb.admin.ch>) a pour mission de collectionner, répertorier, conserver et mettre à la disposition du public les informations, imprimées ou numériques, ayant un lien avec la Suisse.

La Loi sur la Bibliothèque nationale suisse (LBNS) constitue sa base légale, et c’est là, ainsi que dans l’ordonnance, que l’on trouve les premiers éléments concernant son rôle au niveau international :

LBNS, du 18 décembre 1992 (état 1er août 2008)
Art. 10 collaboration et coordination
1 Dans l’accomplissement de ses tâches, la Bibliothèque nationale travaille en collaboration avec d’autres institutions, suisses ou étrangères, qui exercent une activité similaire; ce faisant, elle tient tout particulièrement compte des institutions qui sont actives dans les domaines de l’audiovisuel et des autres nouveaux supports d’information.

2 Elle s’efforce d’instaurer une répartition des tâches.
3 En étroite collaboration avec d’autres grandes bibliothèques publiques, elle assure des tâches de coordination, en particulier dans le domaine de l’automatisation des bibliothèques.

OBNS du 14.1.1998 (état 8 février 2000)
Art. 21 Coopération internationale

1 Des accords selon l'article 10 LBNS sont conclus par l'Office fédéral de la culture (Office).
2 La Bibliothèque nationale développe les relations avec des institutions étrangères ayant un mandat comparable au sien, en particulier avec les bibliothèques nationales européennes

Dans sa stratégie 2007-2011, la BN précise :

Dans l’exécution de ses tâches, la Bibliothèque nationale suisse s’appuie sur la collaboration avec d’autres institutions nationales et internationales : la Bibliothèque nationale suisse participe activement à différents organismes et projets qui sont en rapport avec l’avenir de la société de l’information.

Concrètement, cela signifie que la BN poursuit des activités dans divers domaines couvrant l’acquisition et l’échange de documents, le partage du travail sur les normes, l’échange d’expériences par des partenariats bilatéraux à long terme et des accords, ainsi que la participation active à des associations professionnelles comme l’IFLA (International Federation of Library Associations and Institutions, <www.ifla.org>), la CENL (Conference of European National Librarians, <www.cenl.org>) et LIBER (Ligue des Bibliothèques européennes de recherche, <www.kb.dk/liber/>). Depuis plus de dix ans, elle participe également à des projets européens. Tous les secteurs de la BN peuvent être appelés à travailler au niveau international de façon ponctuelle ou à plus long terme y compris par des contacts avec les ambassades et consulats, avec les auteurs suisses à travers le monde ou dans le cadre de foires internationales du livre pour compléter ses collections. Les collaborateurs et collaboratrices participent à des conférences, y présentant la BN et certains de ses projets, ou à des activités internationales (par exemple International Internet Preservation Consortium IIPC <http://www.netpreserve.org>, ou le centre ISSN dont elle est membre depuis 1978). Mais plutôt d’en faire la liste exhaustive on se concentrera sur les activités liées à la CENL et aux projets européens qui illustrent la variété des domaines concernés. Tout d’abord cependant, nous allons présenter brièvement quelques activités entreprises avec les pays voisins, où nous profitons de la proximité linguistique et culturelle, ce qui a un effet sur l’intensité de notre collaboration, et évoquer également les domaines où il nous faudrait renforcer nos activités.

Collaboration avec pays voisins

L’intensité de la collaboration avec les pays voisins reflète de près la composition linguistique de la Suisse : des liens très étroits existent entre la BN, la Deutsche Nationalbibliothek et la Österreichische Nationalbibliothek concrétisés par des accords de coopération permettant une collaboration à plusieurs niveaux. La BN travaille avec ces institutions sur les questions de formats de données, normes de catalogage, autorités et matières, mais aussi dans le cadre des publications électroniques et la gestion des URNs (Universal Resource Name, format employé pour l’identification et la gestion des ressources électroniques). La BN participe à la Deutsche Internetbibliothek <http://dib1.bsz-bw.de/dib1/> ; seule partenaire de ce dernier en Suisse, elle permet de faire un lien de coordination avec tous les partenaires suisses de SwissInfo Desk, permettant ainsi à tous d’en profiter. Dans le même état d’esprit, la BN participe à Si@de (Services d'information à la demande <http://www.bnf.fr/pages/zNavigat/frame/accedocu.htm?ancre=siade.htm>), le réseau francophone de services de questions-réponses lancé par la Bibliothèque nationale de France. En tant que membre fondateur du Réseau francophone numérique <http://www.rfnum.org/>, la BN travaille avec la France, la Belgique et le Luxembourg (mais aussi avec les pays francophones du monde entier) sur la mise à disposition des données numérisées francophones, offrant par ce biais un autre accès à ses journaux numérisés.

En revanche, il n’y a pas de coopération formelle avec l’Italie, sauf dans le cadre du groupe d’utilisateurs Dewey (EDUG < http://www.slainte.org.uk/edug/index.htm >) dont la BN est membre fondatrice et principale instigatrice. Cette lacune dans nos contacts est sans soute un reflet des compétences linguistiques, mais aussi de traditions de collaboration et mérite d’être revue.

Conference of European National Librarians CENL

C’est au sein de la Conference of European National Librarians (CENL) que se passe la plus grande partie de la collaboration de la BN au niveau européen. Créée en 1987, la CENL est depuis 2000 une fondation selon la loi néerlandaise. Ce statut lui permet de dialoguer avec les instances européennes et de participer à des projets financés par la Commission européenne. Cependant, sa composition dépasse les 27 pays membres de l'Union européenne. En fait, ce sont les directeurs et directrices des bibliothèques nationales des pays membres du Conseil de l'Europe qui en sont membres, plus le Vatican, au total 47 pays. La CENL a pour objectif de soutenir les bibliothèques nationales dans leurs rôles de :

  • Donner accès à chacun, de manière rapide, complète, multilingue et à long terme aux collections et informations, et si possible sans coûts
  • Construire la Bibliothèque numérique européenne
  • Sauvegarder le patrimoine culturel national
  • Améliorer les services aux usagers des bibliothèques nationales par la recherche et le développement
  • Promouvoir la diversité culturelle et le multilinguisme comme base des valeurs de la culture européenne
  • Coopérer avec d’autres institutions patrimoniales européennes, universités, éditeurs et services d’accès à l’information au plan européen et plus global

Dans ce contexte, le multilinguisme est donc un facteur clé pour l’Europe et touche évidemment la Suisse et la BN également.

La Bibliothèque nationale suisse et la CENL : The European Library et MACS

Depuis plus de dix ans, la BN est active dans la gestion de la CENL, lance et participe à des projets, dont certains sont en partie financés par la Commission européenne, comme The European Library <http://www.theeuropeanalibrary.org> et d'autres par les bibliothèques nationales elles-mêmes, comme le projet MACS (Multilingual access to Subjets) <http://macs.cenl.org> dont la BN est cheffe de projet. Elle fait de la recherche financière active auprès de la DDC - Direction du développement et de la coopération <http://www.deza.admin.ch/> - pour aider certaines bibliothèques nationales à participer plus activement à la CENL ou The European Library. Bien qu’il n’existe pas de programme spécifique à la DDC pour aider les bibliothèques, leur attitude est ouverte aux propositions. Pendant la période 2006-2010 elle a ainsi soutenu la participation à la CENL des bibliothèques nationales de l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie et la Moldavie. Dans le cadre du projet TEL-ME-MOR <http://www.telmemor.net/> la DDC a fourni un financement aux bibliothèques nationales des dix nouveaux états membres de l’Union européenne. Enfin, de 2008 à 2010, la DDC finance un projet qui permet d’ouvrir The European Library aux bibliothèques nationales de la Macédoine, l’Ukraine, la Moldavie, l’Albanie, la Géorgie, l’Arménie, la Bosnie et l’Azerbaïdjan.
<http://www.theeuropeanlibrary.org/portal/organisation/cooperation/fumagaba/>
Ces activités cherchent à renforcer The European Library. Projet initialement financé par la Commission européenne et géré par la British Library, The European Library est un portail d’accès aux collections des bibliothèques membres, comportant des options de recherches simultanées dans les catalogues des bibliothèques participantes, des expositions virtuelles (dont une prévue pour fin 2010 Reading Europe : European culture through the book), les adresses et données de contact pour toutes les bibliothèques de la CENL. Placé sous l’égide de la CENL, The European Library est financée par les souscriptions des bibliothèques membres. Depuis son démarrage officiel en mars 2005, avec les 7 membres fondateurs (Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Portugal, Slovénie et Suisse) elle a progressivement incorporé les collections de toutes les bibliothèques nationales membres de la CENL pour atteindre en 2010 un total de 47 membres. En plus de sa recherche de financement, la BN est active à tous les niveaux de la CENL et de The European Library, y compris le CENL Board; le TEL Management Committee ainsi que les groupes de coordination, communication et technique. Elle a fourni des images numérisés de la Collection Dürrenmatt, et a ouvert à la recherche ses catalogues Helveticat et Affiches. Dans le cadre du projet Reading Europe, la BN a fourni une soixantaine de documents numérisés mettant en valeur la Suisse, sa culture et son histoire. Pour des raisons de droits d’auteur seuls des documents publiés avant 1900 seront présentés. Cette restriction, qui frappe toutes les bibliothèques nationales, représente un frein pour The European Library, ainsi que pour le projet Europeana <http://www.europeana.eu/portal/> présenté plus bas.

Dans le cadre de la CENL et de The European Library, la BN fournit un effort spécial dans le multilinguisme via le projet MACS, dont l’objectif est de développer un système d’accès multilingue par sujet aux catalogues bibliographiques en utilisant des langages d’indexation existants, initialement RAMEAU (pour le français), LCSH (pour l’anglais), et SWD (pour l’allemand). Le projet a été lancé en 1997, en réponse à une demande de la CENL, par la BN, la Bibliothèque nationale de France, la Deutsche Nationalbibliothek et la British Library. Grâce à des équivalences établies entre les trois langages d’indexation utilisés par les quatre bibliothèques impliquées dans le projet, le système devra permettre aux usagers de rechercher dans les catalogues (ou dans The European Library) dans la langue de leur choix. Une extension à d’autres langages d’indexation est également à l’étude. Cependant, ce projet, autofinancé par les bibliothèques partenaires, a pris beaucoup de temps pour passer du stade de la discussion à la réalisation et la production d’un prototype, et son intégration dans The European Library ne se fera qu’en 2011. En parallèle, les données déjà créées (environ 70'000 liens) ont été reprises et testées dans le cadre d’autres projets, notamment afin de comparer l’efficacité de l’approche manuelle (travail intensif et long mais donnant une bonne précision de résultats) et l’approche automatique (moins chère mais également moins précise). L’expérience de MACS montre d’une part la difficulté pour tout projet de passer du stade prototype à celui de la production : au niveau européen, mis à part The European Library (et, espère-t-on, Europeana) il est rare de voir des projets devenir des services. Ceci tient en partie au système de financement de la Commission, qui soutient les projets mais demande aux pays de soutenir les services en production. Dans le cadre de The European Library, les pays membres de la CENL ont réussi à mettre en place une structure de financement pérenne, mais c’est une exception. L’intégration de MACS dans The European Library devra assurer son soutien à long terme, ainsi que son intégration dans Europeana.

La BN et les projets européens : Europeana

Non-membre de l’Union européenne, la Suisse – et donc la BN - a eu différents niveaux de participation aux projets de recherche. Observatrice à l’époque où aucun financement n’était encore possible pour la Suisse (projet CANAL, Telematics for Libraries 1995-1997), la BN a ensuite entrepris de participer activement à des projets et mesures d'accompagnement de la Commission européenne, une fois que la participation aux Programmes-cadre de recherche et de développement (PCRD) a été possible, d’abord grâce au financement par le Secrétariat d’État à l’éducation et la recherche (SER) et ensuite dans le cadre d’accords avec l’UE. C’est ainsi qu’elle a successivement pris part aux 4e PCRD (NEDLIB, Malvine, CoBRA+) et 5e PCRD (LEAF, TEL – The European Library), avant de s’impliquer dans le 6e PCRD avec le projet TEL-ME-MOR. Cependant, depuis que les projets de numérisation se font dans le cadre d’un autre programme (eContentPlus), la BN devrait financer elle-même sa participation à des projets de recherche dans ce domaine, par exemple Europeana, ce qui représente un frein. Dans ce contexte, la participation active de la BN à la CENL et donc à The European Library est précieuse car les objets numérisés accessibles dans The European Library sont repris et rendu accessibles par Europeana. Ainsi les tableaux numérisés de Dürrenmatt, les livres numérisés dans le cadre de Reading Europe, et dans un proche avenir, la collection d’affiches numérisées feront partie de la grande vitrine d’Europeana, appelée à devenir le point d’accès commun aux collections des bibliothèques européennes, des archives et des musées dans toute l'Europe. A terme, livres, journaux, films, cartes, photos, musique, etc. seront mis à la disposition du public, pour consultation et pour utilisation. Le projet Europeana a été initié par la Commission européenne en réponse à un appel fait en 2005 par six chefs d’état européens qui souhaitaient la création d’une bibliothèque numérique européenne. Inscrit comme objectif stratégique dans l’initiative i2010 de la Société de l’information en Europe <http://ec.europa.eu/information_society/eeurope/i2010/index_en.htm>, <http://ec.europa.eu/information_society/tl/activities/index_fr.htm>, Europeana a d’abord été lancée sous forme de prototype avec 2 millions d’objets numérisés. L’intérêt qu’un tel service suscite auprès des usagers peut être mesuré par la prise d’assaut des internautes le jour du lancement en novembre 2008, qui a provoqué la chute du système en quelques heures, Renforcé, tant au niveau de ses serveurs mais aussi du contenu, Europeana est appelé à devenir un service pleinement opérationnel à fin 2010 et contient déjà plus de 10 millions de documents numériques provenant de 2000 institutions dans le domaine des bibliothèques, des musées et de l’audiovisuel de tous les pays de l’Union européenne mais également des partenaires de la CENL, dont la Suisse.

L’apport de l’ouverture internationale

Pour une petite bibliothèque nationale d’un état non membre de l’Union européenne, la participation à de tels projets est essentielle. Ils permettent l’échange de connaissances et d’expériences, d’éviter la duplication d’efforts, mais aussi de participer activement à la définition de normes, à des tests d’interopérabilité entre les systèmes et à la recherche de solutions communes en matière de multilinguisme, de numérisation et d’accès. Une grande partie des standards choisis par la BN (métadonnées, URN, web harvester) a été soit développée par des membres des organisations avec lesquelles elle travaille, soit présentée lors des conférences. Le développement d’autres outils pour l’archivage de publications électroniques avance surtout dans le cadre d’IIPC, aux travaux duquel la BN participe. Les expériences acquises et partagées dans ce cadre aident également dans la collaboration sur le plan national, surtout dans les domaines de la numérisation et du multilinguisme. Même si, par certains aspects, le portail de The European Library reste encore à améliorer et à développer, l’incorporation des catalogues de la BN permet de mieux faire connaître ses collections et donc de promouvoir le patrimoine documentaire helvétique. A terme, on peut espérer également créer des synergies dans le domaine de la recherche et d’offrir une vitrine sur l’Europe élargie à travers des expositions virtuelles rassemblant des objets numériques de plusieurs sources. Grâce à sa participation à la CENL, la BN est régulièrement sollicitée pour donner son avis sur l’évolution de questions telles que le droit d’auteur, la numérisation, l’avenir d’Europeana. Grâce à la CENL, les bibliothèques nationales en Europe ont désormais leur place à la table des discussions sur l’avenir numérique et la société de l’information.
Dans un autre registre, on a pu voir que par leur travail de collaboration, les bibliothèques (de tout type) sont renforcées : les travaux de l’IFLA dans le domaine du lobbying ou dans le cadre du Sommet mondial de la société de l’information démontrent l’efficacité des efforts groupés pour mettre en évidence le rôle et l’apport des bibliothèques.
Le travail au niveau international ne se fait pas toujours sans difficultés : comme dans toute collaboration, chaque partenaire doit savoir respecter le point de vue des autres et faire des compromis, parfois au niveau des délais, parfois au niveau des choix techniques retenus ou des orientations de développement prises. Dans les projets européens, la langue de travail est presque toujours l’anglais, que chacun maîtrise plus ou moins bien : lors de séances et de rencontres, il est impératif de laisser chacun s’exprimer indépendamment de son niveau de compétence linguistique. Dans certains pays, le respect de la hiérarchie réelle ou présumée peut empêcher la prise de position en séance : on doit donc également laisser aux participants la possibilité de s’exprimer par écrit en dehors des séances. Cette approche peut sembler ralentir le débat, mais elle est essentielle si l’on souhaite que chaque pays participant adhère à la solution retenue. La patience et le respect des différences sont primordiaux.Dans un monde où le contact et l’échange se font de manière de plus en plus virtuelle, la collaboration internationale se fait aussi par le biais de l’Internet et les discussions en ligne. Les restrictions budgétaires encouragent également cette approche. Là aussi, il faut veiller à ce que tout le monde puisse s’exprimer tout en étant conscient que par téléphone ou par vidéoconférence il n’est pas possible à tous de s’exprimer avec la même facilité et que l’on ne remarque pas toujours les gestes non-verbaux qui indiquent un désir d’intervenir – ou un désaccord profond. Le travail dans les projets comporte idéalement un mélange de rencontres ‘réelles’, surtout au début afin de renforcer l’esprit d’équipe, et de travaux ‘virtuels’. Le contact direct a encore largement son rôle à jouer pour créer les liens qui peuvent ensuite permettent la collaboration renforcée qui aboutit à une bibliothèque virtuelle, qu’elle soit francophone, européenne ou mondiale.