N°4 octobre 2006

Sommaire - N°4, Octobre 2006

Etudes et recherches :

 Comptes-rendus d'expériences :

  Evénements :

Ouvrages parus en Science de l'information :

Editorial n°4

Editorial n°4

Voici la seconde livraison de l’année 2006. Fidèle aux buts qu’elle s’est fixés, notre Revue électronique suisse de science de l’information – RESSI – se veut une chambre d’écho aux travaux menés dans notre discipline.

Bien que la science de l’information reste discrète en Suisse, elle bénéficie de conditions favorables à son développement et à sa visibilité parmi les disciplines établies de longue date. Tout en ayant une forte dimension pratique – qui d’ailleurs se donne à voir dans cette livraison - elle assure pleinement sa fonction de traiter de manière théorique des questions documentaires soulevées dans la communauté professionnelle. Elle permet à ceux qui sont engagés dans l’action de transformer ces analyses en solutions aux problèmes qu’ils se posent, problèmes qui, à leur tour, peuvent être érigés en légitimes questions scientifiques.

Sous la rubrique Etudes et recherches, Céline Tissot nous montre l’intérêt d’évaluer un système de Records management. Ses réflexions constituent des pistes fort utiles pour mener à bien un tel projet. Les personnes qui s’interrogent sur la mise en place d’un programme de gestion de l’information au sein d’une institution, publique ou privée, liront cet article avec intérêt. Ensuite, Florent Dufaux se penche sur la problématique de la musique en ligne et nous propose une étude très fouillée sur un univers complexe. Secteur stratégique des bibliothèques de lecture publique, la musique se trouve au cœur de la « révolution numérique » et comme le souligne Florent Dufaux, reste à savoir la position que défendront les bibliothèques face aux offres de musique en ligne ?

Sous la rubrique Compte rendu d’expériences nous vous proposons la contribution de deux collègues du Maroc, Hanan Erhif et Lamyaa Belmekki. Travaillant pour l’Institut marocain de l’information scientifique et technique à Rabat, dans le service d’intelligence économique et d’aide à l’innovation, les deux auteurs nous relatent comment elles ont mis en œuvre un service de veille technologique destiné à servir les PMI/PME marocaines.

Sous la rubrique Evénements il est encore question d’intelligence économique avec une contribution collective de François Courvoisier, Jacqueline Deschamps et Françoise Simonot qui nous font un compte rendu de la 3ème Journée en Intelligence économique et veille stratégique qui a eu lieu le 15 juin 2006 à Besançon. Cette rencontre a rassemblé des professionnels, chefs d’entreprise et enseignants pour débattre de « L’information au service de l’innovation ». Comment, grâce à une veille stratégique, une entreprise peut innover, prendre en compte les attentes du marché ou encore choisir de bons canaux de distribution ? L’alternance d’exposés théoriques avec des témoignages de professionnels relatant des expériences de terrain, montrent la présence bien réelle d’une réflexion sur la veille stratégique au service de l’entreprise.

Sous la rubrique Ouvrages parus en science de l’information, Daniel Ducharme nous propose une recension de l’ouvrage présentant Troisième journée des archives.

Nous remercions les auteurs qui ont contribué à la parution de ce numéro. Nous remercions également les membres du Comité de lecture et la Haute école de gestion de Genève, qui soutient notre entreprise. Nous comptons sur vous, lecteurs, pour les prochaines parutions et attendons vos articles.

Le Comité de rédaction

L'intérêt d'évaluer tout système de Records management: enseignement de la pratique dans un département de l'Etat de Genève

L'intérêt d'évaluer tout système de Records management: enseignement de la pratique dans un département de l'Etat de Genève.

Introduction

Je ne reviendrai pas ici sur les avantages que peut retirer une organisation, quelle qu'elle soit, à instaurer un programme de Records management pour gérer ses documents. Nombre d'ouvrages et d'articles ont développé cet aspect en détail.

Malgré les bénéfices qu'il peut apporter, la mise en place d'un tel programme ne va cependant pas de soi: cela implique généralement le bouleversement des pratiques en place, l'introduction de nouvelles procédures de travail, voire d'une nouvelle culture au sein de l'institution concernée.

Tout comme l'acceptation de tels changements n'est possible qu'en accompagnant de façon soutenue les utilisateurs, le maintien et la pérennité du système nécessite la planification d'évaluations, d'audits réguliers.

Cette étape est d’ailleurs clairement mentionnée dans la norme ISO 15 4 89 Records management, qui préconise de "procéder régulièrement à un contrôle de conformité, pour s'assurer que la mise en œuvre des méthodes et procédures du système d'archivage respecte les politiques et les contraintes de l'organisme et que les résultats correspondent aux attentes. Il convient que de tels contrôles prennent en compte la performance du système et la satisfaction des utilisateurs". En bref, pas de système de Records management pertinent et efficient sans contrôle périodique.

En tant qu’archiviste de l’ex Département de l’action sociale et de la santé du Canton de Genève, ou DASS (je suis aujourd’hui archiviste du nouveau département de l’économie et de la santé, le DES), j'ai eu l'occasion de définir une politique départementale de gestion des documents, de mettre en place un système de Records management, et d'aller jusqu'à cette étape capitale qu'est l'évaluation. Je souhaite ici partager cette expérience en expliquant dans quel contexte cela a été possible, les raisons qui ont motivé ce projet et enfin le plan d'action défini pour mener à bien ma mission.

1.Quel contexte pour quelle évaluation?

a) Contexte législatif genevois

A Genève, l’activité des archivistes de département s’inscrit dans le cadre d’une série de législations cantonales. La principale référence est la loi sur les archives publiques (LArch B 2 15) du 1er décembre 2000, complétée par son règlement d’application du 21 août 2001. Ces textes, issus d’une refonte complète de dispositions antérieures (1), devenues au fil du temps et des remaniements partiels obsolètes, incomplètes ou franchement disparates, s’appliquent à l’ensemble des archives publiques genevoises; celles-ci sont formées des fonds d’archives et collections réunis aux Archives d’État (AEG), et des archives des institutions publiques, qu’il s’agisse des institutions dépendant de l’ancienne République de Genève, des autorités législatives, exécutives et judiciaires, des autorités communales, de leurs administrations et commissions respectives ou des établissements et corporations de droit public cantonaux et communaux. Outre la définition classique de concepts archivistiques empruntée à la littérature professionnelle, le législateur (le Grand Conseil) et son pouvoir exécutif (le Conseil d’État) ont choisi de faire figurer dans les différents articles un ensemble de dispositions relatives à l’organisation de l’archivage, au traitement des dossiers et à leur diffusion.

Une nouvelle loi dédiée à l’information du public et à l’accès aux documents (LIPAD A 2 08) est par ailleurs entrée en vigueur le 1er mars 2002. Désormais, ce n’est plus le secret qui est la règle, mais bien la publicité de l’information, " dans toute la mesure compatible avec les droits découlant de la protection de la sphère privée, en particulier des données personnelles, et les limites d’accès aux procédures judiciaires et administratives " comme le stipule d’emblée l’article 1. Cette législation présente la particularité d’obliger explicitement, dans son article 17, " les institutions publiques à adopter des systèmes adéquats de classement des informations qu’elles diffusent ainsi que des documents qu’elles détiennent, afin d’en faciliter la recherche et l’accès ". Au moment de son entrée en vigueur, les dispositions transitoires de l’article 41 leur octroyaient " un délai de deux ans ?…? pour adopter et mettre en oeuvre des systèmes de classement de l’information et des documents qu’elles détiennent qui soient adaptés aux exigences de la présente loi ".

Ces injonctions ont eu pour effet bénéfique la création de plusieurs postes d’archivistes de département dont la mission fondamentale, une fois accomplie la mise en place de ces systèmes, s’inscrit dans le cadre plus général de la législation sur les archives publiques.

b) Politique de gestion documentaire du DASS

Début 2003, le Département de l’action sociale et de la santé a engagé une démarche d'organisation de sa gestion documentaire dans le but de répondre aux besoins de ses collaborateurs en adoptant un système clair, rationnel et efficace. Cette démarche s'inscrit en outre, comme cela vient d’être précisé, dans un mouvement général amorcé au niveau de l'Etat: l'entrée en vigueur de la LIPAD a engendré la nomination d'un archiviste responsable au sein de chaque département pour assurer une bonne gestion des documents, conformément aux besoins exprimés par les collaborateurs et aux principes édictés par les Archives d'Etat.

J'ai ainsi été mandatée pour conduire l'analyse des besoins du département en la matière, avec comme objectif de proposer une politique de gestion des documents conforme à la fois aux besoins du département, aux dispositions légales cantonales et aux normes de Records management. Ce travail s'est fondé sur l'étude des activités et missions du département, sur la nature des dossiers qui en découlent, sur l'évaluation des systèmes de classement existants ainsi que sur les conditions de stockage et de conservation des archives.

Plusieurs constats se sont imposés suite à cette analyse:

  • Tout d'abord l'existence d'une grande disparité au sein du DASS en matière de gestion des archives. Certains services avaient en effet instauré des politiques de gestion des documents s'accordant avec les recommandations légales ; d'autres avaient mis en place des plans de classement thématiques qui répondaient aux besoins du service, mais dont l'organisation générale devait être revue ; d'autres encore ne disposaient d'aucun système cohérent.
  • Ensuite la gestion des archives intermédiaires n'était pas organisée, ce qui provoquait des problèmes de repérage, voire de perte de l'information à moyen et long terme, ainsi que de sérieux problèmes de stockage. Un important arriéré d'archives existait dans la majorité des services, qu'il a été nécessaire de traiter rapidement afin de pouvoir procéder à des éliminations et à des versements d'archives aux Archives d'Etat. Cette étape a été essentielle pour pouvoir repérer et préserver les documents importants qui étaient jusqu'alors conservés dans des conditions inadaptées, et libérer des espaces de stockage.

A partir de ce premier état des lieux, les besoins du département ont pu être clarifiés et précisés. En voici la liste:

  1. unifier le processus de traitement et de classement des documents
  2. repérer rapidement l'information recherchée
  3. avoir une vision globale des documents produits ou reçus au sein du département
  4. limiter la masse de papier et éviter les doublons entre services
  5. assurer une meilleure circulation de l'information au sein du département
  6. assurer une bonne gestion du cycle de vie des documents pour éviter toute accumulation de documents devenus inutiles
  7. définir des responsabilités vis-à-vis des documents
  8. répondre aux exigences légales fixées (citées plus haut)
  9. s'inscrire dans une dynamique transversale commune aux départements de L'Etat en définissant des principes communs de Records management.

Parallèlement à l'analyse des besoins, l'étude organisationnelle du département a permis de relever les caractéristiques suivantes:

  • une bonne répartition des niveaux de responsabilités décisionnelles entre les directions, la présidence et le secrétariat général
  • une grande disparité entre les activités des différents services opérationnels et peu de points communs dans leur fonctionnement
  • .

  • un éclatement géographique du département (7 sites différents).

L’élaboration de la politique de gestion documentaire devait nécessairement prendre ces facteurs en considération. Il est en effet important de s’adapter à la réalité de l’institution pour laquelle on travaille, afin de lui fournir un système qui soit applicable et appliqué. Il n’y a pas de système unique que l’on peut instaurer de façon systématique, il s’agit au contraire de trouver la bonne combinaison de procédures archivistiques qui correspondent à l’organisation de l’institution et qui répondent à ses besoins. Des changements organisationnels peuvent cependant être proposés s’ils permettent d’améliorer la gestion des documents de façon significative. Dans ce cas de figure, une analyse approfondie doit être faite pour définir les avantages que l’on en retirera ainsi que des ressources que cela implique.

Quatre axes ont été suivis durant cette année et demie écoulée afin de mettre en œuvre la politique définie.

1er axe - Gestion des archives courantes

Le travail entrepris a consisté, d’une part, à recenser et évaluer l’ensemble des dossiers traités au sein de chaque service afin d’avoir une cartographie complète de la production documentaire du département, et, d’autre part, à unifier le système de classement en définissant un cadre de classement départemental, appliqué dans tous les services. Ceci a abouti à:

  • l'application d'un plan de classement normalisé au sein de chaque service pour les dossiers papiers.
  • la mise en place d'une gestion cohérente des documents bureautiques: des arborescences de référence ont été développées au sein de chaque service, conformément au plan de classement défini. La même logique de classement est donc adoptée pour les dossiers papier et informatique, ce qui facilite les recherches des utilisateurs. Ceci permet en outre d'éviter la multiplication des doublons et des versions de documents: un document n'est classé qu'une seule fois et disponible pour tous, son état (document de travail, version validée,…) est précisé clairement soit dans son titre, soit dans ses propriétés.

2ème axe – Gestion des archives intermédiaires

Deux actions ont été menées en parallèle:

  • le traitement de l’arriéré d’archives des différents services. Ces documents ont été localisés, recensés, analysés puis évalués. Des propositions de destruction ou de conservation ont ensuite été soumises aux Archives d'Etat pour validation. Des destructions et des versements aux Archives d'Etat ont été planifiés et organisés. Ces opérations ont permis d'une part de dégager de l'espace de rangement dans les bureaux, de l'espace de stockage dans les locaux d'archivage, et, d'autre part, de libérer des locaux qui ont pu être réaménagés en bureaux.
  • la définition et la mise en œuvre d’un système de gestion approprié des archives intermédiaires. Une directive très précise a été établie afin de définir le processus d'archivage des dossiers. Tous les dossiers archivés sont dorénavant conditionnés en boites archives et enregistrés dans une base de données, administrée par l'archiviste de département. Cet outil permet de gérer les espaces de stockage, de rechercher rapidement les dossiers archivés, et de gérer les destructions et versements aux Archives d’Etat.

3ème axe – Relations avec les institutions publiques dépendant du DASS

Une enquête a été lancée en mars 2004 auprès des institutions et des services placés sous la surveillance du DASS et soumis à la LIPAD, afin d’établir un état de la situation de la gestion des documents en leur sein.

Au vu de l’importance des résultats attendus, ce travail a été repris en interne suite à l’abandon du projet initial lancé par la Chancellerie en 2002, qui devait concerner l’ensemble des institutions publiques du Canton. L’analyse des besoins en matière de gestion des documents des institutions publiques autres que celles dépendant du DASS reste encore à faire aujourd’hui.

L’analyse des résultats a rendu possible la diffusion de recommandations personnalisées en matière de gestion des documents aux établissements s’engageant dans un travail d’organisation de leurs archives. Elle a également conduit à organiser des séances de coordination régulières entre les archivistes de la FSASD, de l’Hospice général, des Hôpitaux Universitaires de Genève et de l’archiviste de département afin d’harmoniser les politiques de gestion documentaire développées et de travailler ensemble sur des problématiques communes, comme la gestion électronique des documents par exemple.

4ème axe – Les relations interdépartementales

Des échanges réguliers ont été développés tant avec les Archives d’Etat qu’avec les autres archivistes de département, permettant de mener une action commune et coordonnée. Cette collaboration a notamment abouti à la définition d'un calendrier de conservation de référence pour les dossiers de gestion des administrations publiques genevoises.

En complément à ces quatre axes de travail, des directives ont été émises pour fixer et décrire les processus à suivre à chaque étape de la politique de gestion documentaire départementale, à savoir:

  • la capture des documents dans le système et leur classement: classement des dossiers papiers, classement et description des documents numériques, gestion des mails
  • leur transfert, c'est-à-dire leur passage de l'état d'archives courantes à celui d'archives intermédiaires (utilisation du calendrier de conservation, conditionnement des documents…)
  • la communication des archives
  • le sort final, à savoir la destruction ou le versement des documents aux Archives d'Etat.

Ces directives et procédures d’archivage sont valables pour l’ensemble des services, et doivent y être appliquées de la même façon. Cependant, chaque service est considéré comme une entité productrice et gestionnaire de documents, devant avoir son propre plan de classement. L’ensemble des plans de classement des services sont construits selon la même structure mais adaptés aux besoins spécifiques de chacun. Le tout forme le plan de classement du département, et reflète l’ensemble des activités qu’il dirige.

Le système ainsi défini est un système d’archivage décentralisé, qui correspond au mieux à l’organisation du département identifiée lors de l’analyse des besoins, et décrite plus haut.

Ce qui le caractérise est qu’il n’y a pas de service d’archives à proprement parler, organisé avec plusieurs collaborateurs. Je travaille avec un réseau de correspondants-archives. Un correspondant-archives a été désigné au sein de chaque service par ses supérieurs et moi-même sur des critères de bonne connaissance de son service et des documents qu'il produit. Son rôle est d'être en contact direct avec l'archiviste de département pour participer à l'élaboration et à la mise en œuvre de la politique de gestion des archives au niveau de son service. Il doit être le principal intermédiaire entre l'archiviste et ses collaborateurs.

Ce fonctionnement correspond à la philosophie du département qui veut que les responsabilités soient déléguées au maximum au niveau des services. Je suis donc responsable de la politique de gestion des documents, les correspondants-archives sont responsables de sa bonne application au sein des services. De même, ils gèrent avec moi les archives intermédiaires de leur service, qui sont stockées dans leurs locaux et non dans un dépôt centralisé pour l’ensemble des archives intermédiaires du département. Les correspondants-archives gèrent les demandes de consultation des archives intermédiaires, et veillent à leur intégrité.

Ce choix a été fait en raison de la dispersion géographique des services, pour faciliter la consultation d’archives intermédiaires. Ces correspondants sont le plus souvent des assistantes de direction, qui ont une bonne connaissance de l’ensemble des dossiers traités, et qui ont en outre l’autorité suffisante pour faire appliquer les procédures en interne. L’avantage d’un tel réseau est qu’il est très souple, et que je travaille directement avec les utilisateurs, ce qui permet d’être plus réactif et de mieux comprendre leurs attentes. Le bon fonctionnement d’un tel système suppose de définir clairement les rôles et responsabilités de chacun afin de lever toute ambiguïté. Cela nécessite également d’organiser des séances de coordination régulières avec l’ensemble des correspondants-archives du département, pour les informer des changements ou projets en cours mais surtout pour leur permettre d’échanger sur leurs expériences.

La mise en place d’un tel système représente une réelle démarche de progrès, impliquant une nouvelle perception des ressources informationnelles du département : les documents sont en effet d’autant plus perçus comme des outils d’information, devant être identifiables, contrôlés et accessibles tout au long de leur cycle de vie.

L'accompagnement des collaborateurs est capital dans cette mise en œuvre. J’ai pour cela organisé des séances d'information ainsi que des formations aux personnes plus directement concernées.

Une politique d’archivage est un outil à la fois contraignant et évolutif, dont le bon fonctionnement nécessite un suivi régulier ; c’est pourquoi il est indispensable de dresser un premier bilan des actions engagées, en organisant régulièrement des évaluations du système instauré.

2. Evaluer: pourquoi ?

L'organisation d'une évaluation du système instauré depuis une année et demie nous a semblé une évidence en interne. L'intérêt pour nous était multiple.

Nous souhaitions tout d’abord nous assurer que les procédures définies étaient véritablement comprises et appliquées, qu’elles fonctionnaient et correspondaient donc aux besoins des collaborateurs.

Nous voulions ensuite vérifier que la formation qui a été dispensée aux utilisateurs était pertinente et adaptée, que les actions demandées étaient bien comprises.

Il s’agissait également de prouver que l'ensemble des moyens et outils mis en œuvre garantit l'authenticité et la fiabilité des documents produits.

Enfin, cela permettait de faire le bilan du système, d’en mesurer la performance et les acquis, d’en corriger les dysfonctionnements pour le faire progresser. Ce bilan permet d’éviter l’inadaptation progressive du système et de justifier son existence auprès des instances décisionnelles.

Une évaluation de ce type permet également de mettre en lumière le travail accompli et de communiquer auprès de tous les collaborateurs (cadres et non cadres) sur les avantages attendus.

3. Évaluer, oui, mais comment ? a-Les bons interlocuteurs: identifier clairement les personnes auprès desquelles sera menée l'enquête

Avant toute chose, il est essentiel de bénéficier du soutien de la direction pour mener cette évaluation. A défaut, les cadres ou chefs de service ne comprendront pas l'importance de l'exercice et auront des réticences à octroyer du temps à leurs collaborateurs pour leur permettre de vous aider. Pour gagner leur soutien, il est nécessaire de leur démontrer les avantages qu’il est possible de retirer de cette évaluation, tels que le gain d'espace, de temps, la mise à jour de procédures, la conformité avec la réglementation…

Le soutien de la direction, seul, ne suffit pas: tout le personnel doit coopérer. C'est essentiel parce que c'est justement le personnel qui n'exerce pas de fonctions directoriales qui vous aidera dans l'audit. Il s’agit donc de trouver ce qu'ils ont à y gagner et de le faire valoir auprès d’eux. Nous avons ainsi mis en avant le fait que les résultats permettraient d’ajuster le système à leurs besoins. Il est important de sélectionner des personnes qui soient à des niveaux hiérarchiques variés. Cela donne une vision plus large et permet d’enrichir la réflexion: un cadre n’aura pas la même perception du système que sa secrétaire qui l’utilise quotidiennement.

Pendant tout le processus, la communication est capitale. J’ai donc organisé des séances d’information avec les correspondants-archives des services à chaque étape de l’évaluation:

  • Lors du démarrage pour leur présenter la démarche adoptée et les outils utilisés dans ce cadre,
  • Après la récolte d’informations pour analyser les réponses faites avec eux, et leur permettre de s’exprimer et d’échanger entre eux,
  • Lors de la présentation du rapport final pour leur exposer les mesures d’améliorations envisagées.

A chaque étape, ces correspondants ont transmis les informations données au sein de leur service, assurant ainsi une communication claire auprès de l’ensemble des collaborateurs concernés.

b-Quelles données recueillir? Identifier clairement les points que vous souhaitez auditer

Les données qu’il est important de recueillir sont définies par la finalité ou les objectifs de l'audit. Quelles sont les données nécessaires pour atteindre ces objectifs? Il faut éviter de recueillir des données qui seront inutiles. La préparation des questions demande une réflexion particulière: il faut en effet prendre en compte plusieurs paramètres:

  • cerner précisément ses objectifs afin de rédiger des questions qui soient le plus précises possible
  • élaborer des questions claires, sans ambiguïté
  • alterner les questions fermées et les questions ouvertes, pour permettre aux personnes de s’exprimer librement, mais sans leur prendre trop de temps (il est beaucoup plus rapide de cocher une case que de rédiger une réponse)
  • limiter le nombre de questions pour que les collaborateurs ne passent pas plus d’une demie heure à répondre. Dans le cas contraire, peu de personnes iront jusqu’au bout et le taux de réponse sera faible.

Sur cette base, j’ai organisé les questions en fonction des grandes thématiques de la politique de records management, afin de couvrir l’ensemble du système en place. Ces thématiques sont les suivantes:

  • le plan de classement : savoir s’il est appliqué pour les dossiers papiers, s’il répond aux besoins, si les répertoires informatiques sont organisés selon ce plan, s’il permet de gagner du temps dans le travail quotidien, de limiter les doublons et s’il facilite les recherches
  • l’archivage et la communication des archives intermédiaires : savoir si le service dispose d’un local d’archives adapté aux normes, si les dossiers sont archivés selon la procédure en vigueur, si les délais de communication des dossiers archivés et les résultats des recherches sont satisfaisants.
  • l’élimination : savoir si la procédure d’élimination est appliquée et si la traçabilité des dossiers archivés est assurée.
  • la formation des utilisateurs : savoir si les formations dispensées sont satisfaisantes et suffisamment fréquentes et s’il y a des suggestions de thèmes à aborder à l’avenir.
  • la performance du système : savoir si ce système facilite les suppléances entre collaborateurs, réduit le temps de recherche, assure la fiabilité de l’information traitée.

26 questions au total ont été posées (en moyenne 4 par grande thématique).

c-Les outils de collecte des données: bien choisir le moyen par lequel sera récoltée l'information

Il existe deux méthodes principales d'enquête ou d'audit: vous pouvez recueillir les données par le biais d’un questionnaire, ou par celui d’un entretien.

J’ai pour ma part utilisé les deux outils, à des étapes différentes.

Les questionnaires

Les questionnaires sont les principaux outils de collecte de données. Mais ils ne sont efficaces que s'il existe une forte implication des collaborateurs. Autrement ils risquent de ne pas prendre le temps de les remplir et de les retourner. Même dans le cas où cette implication existe, il est nécessaire de rédiger le questionnaire avec le plus grand soin pour faire en sorte que les données recueillies soient aussi exactes que possible, comme cela a été expliqué plus haut.

Je me suis servie du questionnaire pour toucher le plus de monde possible. Toutes les secrétaires des services en ont reçu un exemplaire par mail, ainsi que quelques cadres. Il n’a pas été jugé pertinent de l’envoyer systématiquement aux cadres: certains délèguent totalement ces tâches à leur secrétaire, d’autres n’ont pas le temps de remplir le formulaire. Il s’agit donc là aussi de bien réfléchir aux personnes concernées, en prenant en compte les habitudes de travail de chacun et l’organisation des services. 34 personnes ont été interrogées, 6 cadres et 28 secrétaires.

Il est également très important de préciser une date de retour des réponses dans le mail d’accompagnement, sans quoi ce questionnaire sera oublié.

L'entretien

Cette méthode est jugée en général plus efficace que les questionnaires. En rencontrant directement les personnes concernées, vous pouvez effectivement clarifier les données au fur et à mesure, aller plus loin dans les renseignements demandés, consulter les documents concernés, et également soulever des questions qui ne vous étaient pas venues à l’esprit en préparant le questionnaire. Rien ne vaut le contact direct avec les utilisateurs. Cela leur permet de vous connaître et vous permet d’avoir une bonne connaissance de leurs pratiques de travail, des documents qu’ils traitent et des paramètres pratiques à prendre en compte (manque de place dans les bureaux,…). L’inconvénient de l’entretien est qu’il prend beaucoup de temps (compter deux heures pour une personne ou un groupe).

J’ai donc privilégié les entretiens avec les correspondants-archives des services uniquement, qui se sont faits en quelque sorte les porte parole des collaborateurs. Il m’a semblé également plus pertinent d’organiser des entretiens en groupe et non pas individuels, pour leur permettre d’échanger entre eux sur des problématiques communes, de connaître ce qui se fait dans les autres services, et de bénéficier de la dynamique de groupe pour récolter le maximum d’informations. Ces entretiens ont été très appréciés et riches d’enseignement pour moi. Cela permet également à ces personnes de se sentir plus concernées par le projet et de s’impliquer beaucoup plus: elles se sont en effet chargées de rassembler les différentes questions des collaborateurs de leur service, et de leur transmettre les conclusions de nos entretiens. L’évaluation est alors perçue comme un partenariat et non pas comme un jugement de leur travail.

d-La conduite de l’audit

Là encore il est important que les collaborateurs ne se sentent pas jugés mais qu’ils participent au contraire à ce travail afin d’améliorer et de faire évoluer le système en place en fonction de leurs besoins. Ceci suppose de communiquer activement et clairement sur le projet et sa finalité. Les moyens de diffuser l’information peuvent être divers : mails, téléphones informels, réunions avec les correspondants-archives…La encore il s’agit de choisir le moyen le plus adapté à la situation.

e-L'analyse des données

Les données recueillies doivent être analysées aussitôt après l’audit. J’ai pour cela procédé en deux temps :

  • j’ai tout d’abord étudié la situation de chaque service, afin de dresser un bilan personnalisé pour chacun.
  • j’ai ensuite analysé ces bilans en détail afin d’identifier les problématiques qui se posent de façon identique à tous les services, et celles qui, en revanche, sont propres à certains.

Cette analyse croisée m’a permis de définir les points forts de la politique de gestion documentaire en place, les points restant à améliorer, et d’envisager des solutions à moyen terme pour faire évoluer ce système.

Pour donner un rapide aperçu de ce que peut représenter la mise en place d’un tel système au sein d’une organisation, je vous livre les conclusions auxquelles a abouti cette évaluation :

De façon générale, le système répond très bien aux attentes des utilisateurs. Les avancées significatives concernent principalement le gain de temps dans les recherches grâce à une meilleure identification et localisation des dossiers, le gain de place tant dans les bureaux que dans les locaux d’archivage, une plus grande facilité à assurer des suppléances entre collaborateurs.

Bien que la mise en place et la tenue à jour soient jugées lourdes, les apports sont significatifs et satisfaisants.

La collaboration développée avec les autres archivistes de département ainsi qu’avec les Archives d’Etat est également très fructueuse et permet de mener des réflexions plus larges, notamment sur la gestion électronique des documents.

La constitution de la cellule correspondant-archives est un réel succès. Elle présente deux avantages:

  • Dans les relations avec chaque service: la présence du correspondant permet de centraliser les demandes et remarques des utilisateurs avant d’en parler avec l’archiviste. Il diffuse d’autre part les informations relatives au système d’archivage et s’assure qu’elles sont comprises et suivies. Il est également sur place et peut donc intervenir directement pour régler des questions rapidement.
  • Au niveau transversal: les séances de coordination réunissant l’ensemble des correspondants-archives et l’archiviste de département sont l’occasion d’ouvrir des débats autour de points précis concernant l’ensemble des services. La confrontation des différents points de vue et situations permet d’enrichir la réflexion et de renforcer la cohérence du système.

Les améliorations à apporter au système doivent se concentrer sur quatre axes:

  • Renforcer la diffusion d’information concernant l’archivage au sein des services.
  • La mise en place d’une gestion électronique des documents. Cette problématique doit être étudiée de façon coordonnée au niveau de l’Etat afin d’assurer une gestion plus cohérente et efficace des documents et de l’information institutionnelle.
  • Cette gestion électronique des documents doit s’accompagner d’un contrôle sur la qualité, la validité, la crédibilité et la pérennité de l'information produite. L’intervention de l’archiviste dès la création des documents doit donc être mise en place pour définir les éléments utiles à l’identification et à la gestion dans le temps de ces documents.
  • Faciliter la circulation et le partage de l’information en interne, notamment par la mise en place d’outils de groupware.

Cette évaluation a donc révélé que ce système fonctionne bien tel qu’il est appliqué actuellement, mais qu’il doit être déployé davantage afin de répondre totalement aux besoins des utilisateurs. Ce déploiement concerne les outils informatiques, qui viendront s’interfacer entre le système de gestion documentaire et les utilisateurs pour faciliter leur travail.

f- Récapitulation des constats et pérennité du système

Ces constats et propositions d’améliorations doivent être présentés aux services concernés ainsi qu’à la direction, qui a apporté son soutien à l’audit. Il s’agit là aussi de choisir le moyen le plus adapté. Dans tous les cas de figure, il est recommandé de rédiger un rapport, dans lequel il faut:

  • être bref et pertinent
  • résumer les conclusions principales et mettre en avant les points les plus importants
  • énumérer les différentes recommandations préconisées
  • établir les priorités
  • inclure un plan d’action pour les tâches à mener: prévision d’un planning, des ressources nécessaires…

Nous avons là encore procédé de deux façons différentes pour diffuser ce rapport :

  • une copie papier a été transmise aux directeurs de service
  • une séance a été organisée avec les correspondants-archives pour leur remettre ce rapport et leur présenter oralement les conclusions. Là encore l’objectif était de susciter la discussion avec eux.

Il aurait été souhaitable d’organiser également une présentation orale pour les directeurs et cadres, mais les restructurations départementales de la fin d’année 2005 ne nous en ont pas laissé le temps. Le DASS est ainsi devenu le DES (Département de l’économie et de la santé), ce qui a engendré l’intégration de nouveaux services, et l’abandon d’autres, rattachés dorénavant à d’autres départements. En ce sens, l’évaluation menée a fait figure de bilan du système à une étape cruciale de la vie du département.

Ces bouleversements organisationnels ont évidemment eu des répercussions sur le système de gestion documentaire en place, qu’il faut réajuster en fonction.

Mais ils représentent également un très bon test d'évaluation de la politique d’archivage; cela permet immédiatement de savoir si ce système peut évoluer et répondre aux nouveaux besoins organisationnels, ou bien s'il devient complètement inadapté et caduque. Nous avons ainsi pu constater que les principes définis permettent d’évoluer pour répondre aux nouveaux besoins. Nous avons surtout pu constater que l’existence d’un tel système était un atout majeur dans le cadre de restructurations comme celles-ci. Il facilite en effet le transfert de dossiers entre service, assure la traçabilité et la fiabilité de l’information quoi qu’il arrive et évite les destructions sauvages de documents. Sans une politique de gestion des documents sérieusement appliquée, ce type de situation peut engendrer des pertes d’informations capitales pour le suivi des affaires.

4. En guise de conclusion

Souvent négligée, l’évaluation d’un système de Records management est pourtant un élément capital et nécessaire à son maintien au sein d’une institution.

Les conclusions auxquelles on aboutit permettent en effet de justifier les actions menées auprès des instances décisionnelles, et donc de légitimer l'existence du programme.

L'évaluation sert de plus à identifier les nouveaux besoins afin de faire évoluer le système et d'éviter son décalage progressif avec la réalité vécue par les utilisateurs.

Je tiens à souligner enfin que les Records managers doivent s'inscrire dans une démarche générale de qualité pour assurer le succès de leurs actions. Il est capital de soigner sa communication pour être au service des utilisateurs, recueillir et analyser leurs besoins. Pour qu'un système soit pérenne, il doit bien évidemment répondre à des normes archivistiques reconnues, mais il doit également s'aligner sur les objectifs et les finalités de l'organisation au sein de laquelle il est mis en œuvre.

Notes

(1) La première loi sur les archives publiques genevoises datait du 2 décembre 1925 et ses règlements d’application successifs des 26 juin 1928, 3 décembre 1979 et 1er juillet 1987.

Bibliographie

DOUHET, G, KESLASSY, G, MORINEAU, E (2000). Records management: mode d'emploi. Paris. ADBS éditions. ISBN 2-84365-040-2

HARE, Catherine, McLEOD, Julie (2003). Mettre en place le Records management dans son organisation. Nouvelle édition. Paris. IDP-Archimag. Guides pratiques. ISBN 209510477-0-3

ARCHIMAG. Records management et archivage. 2ème édition. Paris. IDP-Archimag. Guides pratiques.ISSN 1242 - 1367

Groupe métiers AAF - ADBS Records management (2005). Comprendre et pratiquer le records management. Analyse de la norme ISO 15 4 89 au regard des pratiques archivistiques françaises. Version 2. In site de l'Association des Archivistes Français [en ligne]. Paris (France), [consulté le 8 décembre 2005]. http://90plan.ovh.net/~archivis/article.php3?id_article=227

Musique en ligne : la discothèque publique face à la médiathèque universelle?

Florent Dufaux, Bibliothèque de la Cité, Genève

Musique en ligne : la discothèque publique face à la médiathèque universelle?

1. Introduction

La musique possède une place privilégiée dans les médiathèques de lecture publique. Les travaux des discothécaires en ont fait l’un des premiers champs d’une approche multi-support.

Comme les autres domaines du savoir et de la culture, la musique vit depuis la fin des années nonante sa dématérialisation et l’apparition de modes de diffusion en ligne. Celui-ci représentera probablement l’un des principaux vecteurs de la « révolution numérique » des bibliothèques de lecture publique.

Les bibliothèques universitaires et scientifiques ont vécu cette révolution, il y a quelques années déjà, avec les périodiques. Des interrogations prégnantes restent, mais le document numérique est déjà parti intégrante des collections de ces bibliothèques.

Ce n’est pas le cas pour les bibliothèques de lecture publique. Si celles-ci peuvent s’appuyer sur les avancées de leurs consoeurs scientifiques sur les plans techniques et juridiques, il faut noter une différence de taille que représente le marché. Dans le domaine qui nous intéresse, celui des documents audiovisuels édités, les bibliothèques ne constituent pas un débouché important pour la grande majorité des éditeurs (les « majors » de la musique et du film).

La problématique de la musique en ligne se révèle complexe. Les technologies ont déjà quelques années, mais ce n’est que depuis deux ans environ que de véritables applications commerciales se développent.

La presse, généraliste ou spécialisée, se fait régulièrement l’écho des nouveaux services de musique en ligne lancés à grand renfort de marketing. Une vision d’ensemble y est par contre rare. Des comparatifs utiles existent, mais ils se limitent aux grandes plates-formes de vente (Mabon & Genoud, 2005). Nous avons trouvé assez peu de documents offrant un aperçu global de la problématique. On peut toutefois relever un excellent numéro de l’émission de la TSR « A bon entendeur » (Mariot, 2006).

Nous nous proposons donc d'effectuer ici un état de la question.

Nous ne ferons qu’évoquer ici les problèmes liés au téléchargement dit illégal. Cette question constitue certes la toile de fonds de nombre de débat autour de cette problématique, mais les bibliothèques ne peuvent bien entendu que se positionner du côté des offres légales. Nous verrons toutefois que ce phénomène influe sur les usages.

Nous commencerons donc par décrire l’émergence de ce marché légal, et verrons par la suite que « légal » ne signifie pas forcément payant.

Nous donnerons ensuite un aperçu des principaux formats informatiques. Nous nous pencherons sur les systèmes de gestion des droits mis en place pour contrôler les utilisations des fichiers et qui se révèlent finalement plus important que le format informatique de compression.

Nous examinerons les différentes applications qui découlent de ces technologies, en décrivant les systèmes de diffusion de musique en ligne dont nous avons connaissance, esquissant ainsi une typologie des sites. Force est d’admettre que celle-ci s’avérera forcément incomplète, puis rapidement obsolète, tant ce domaine semble évoluer rapidement.

A l’issue de ce tour d’horizon, il restera difficile de répondre à la question qui nous préoccupe, à savoir quelle peut être la place des médiathèques publiques dans cet univers. Nous tenterons d’examiner les différentes solutions existantes dans la perspective d’une bibliothèque publique, notamment par la grille de lecture qu’offre le concept de concurrence défini par D. Lahary (2005).

2. Apparition d’un marché de la musique en ligne

Le développement de l’échange de fichiers musicaux sur Internet, devenu un phénomène massif dès le début des années 2000, a été identifié par l’industrie musicale comme un facteur aggravant de la crise qu’elle traversait. Ses premières réactions ont été de combattre ce nouveau mode de diffusion, illégal en regard du droit d’auteur, sans toutefois proposer d’alternative.

Les solutions légales ont été longues à apparaître. Elles se développent fortement depuis 2004. Cela est dû à des facteurs concomitants :

  • L'explosion de la vente d'appareils de lecture dédiés aux fichiers multimédia : baladeurs, lecteur CD/DVD capable de lire les formats compressés, orientation de l’ordinateur familial comme « multimédia center » relié à la télévision et à la chaîne hi-fi. On constate une très forte croissance de la vente de baladeurs : 10 Mio d’iPods (Apple) vendus dans le monde en 2005, dont 6 Mio en 2004 ! (Seydtaghia, 2005).
  • L'augmentation des accès à Internet à « haut débit » et donc la « nécessité » d’offrir des contenus.
  • Un positionnement fort de l’industrie musicale pour la création d’un marché légal (payant) de la musique en ligne (IFPI, 2005 ; Nicolas, 2005 ; Nicolas & Conradsson, 2005)

Il ne s'agit pas ici pas de chanter la mort du disque. La vente en ligne pèse encore peu dans l’économie de la musique. Selon l’OCDE (Wunsch-Vincent & Vickery, 2005), ce marché représentait en 2004 entre 1 et 2 % des revenus de l’industrie musicale. Il pourrait évoluer entre 5 et 10 % d’ici 2008 selon différentes projections. Il faut noter que la Fédération internationale de l’industrie se montre particulièrement optimiste dans son rapport 2006 sur la musique en ligne (IFPI, 2006). Elle y estime que la vente en ligne représente maintenant en France 6% du marché. 2004 et 2005 constituent deux années charnières. Les grandes maisons d’éditions commencent à entrevoir tout le potentiel financier de ce mode de distribution.

L’influence réelle des échanges illégaux de fichiers musicaux par le biais des fameux réseaux « peer-to-peer (1) » sur la chute globale des ventes de disques est largement discutée, ce n’est toutefois pas notre propos. La crise du disque est réelle, en France, les ventes ont connu une chute impressionnante depuis deux ans : - 31 % en valeur (Nicolas, 2005b), l’IFPI annonce des chiffres similaires pour la Suisse.

Un autre facteur influe sur ce marché, et donc sur nos politiques documentaires. Il s’agit de la forte concentration que connaît ce secteur : 4.4% des références représentaient 90% des ventes en 2004 (Nicolas, 2005a). Ce phénomène tend à s’amplifier en un cercle vicieux : les majors en crise concentrent leurs moyens de production et de marketing sur les artistes les plus « rentables ». De plus, lorsque l’on sait qu’en France toujours, la moitié des ventes s’effectue dans des grandes surfaces, qui privilégient en général la rentabilité du mètre linéaire, on peut se faire quelques soucis.

Que ce soit pour le marché physique ou le commerce de fichiers musicaux numériques, Internet peut s'avérer porteur. Il peut être considéré comme un espace d'échange, libéré des contraintes matérielles. Ce concept est particulièrement développé par Chris Anderson (2005). Traduit en français par « longue traîne » son concept peut se résumer ainsi. Internet permet de passer outre les contraintes du magasin physique. Un disquaire en ligne peut ainsi proposer un choix quasi illimité, ce qu'une échoppe aux rayons forcément restreints ne peut se permettre. Il peut ainsi proposer des références extrêmement pointues et atteindre facilement la « niche » constituée des amateurs du genre le plus spécifique, répartis sur toute la planète, ce qui est impossible pour un disquaire « physique » dont l'audience se limite en général à une ville. De plus les sites marchands mettent en place des systèmes de recommandations : « si vous avez aimé... vous aimerez... » pouvant conduire les utilisateurs vers de nouvelles découvertes. Issus des données récoltées lors des transactions de l'ensemble des clients, ces systèmes de conseils s'avèrent particulièrement efficaces. L'intérêt d'Internet réside donc dans le fait qu'il peut permettre la diffusion plus grande de toutes les productions situées dans la longue traîne : des oeuvres qui se vendent peu, mais dont le cumul représente, finalement, peut-être plus de ventes potentielles que les hit-parades et les best-sellers.

Il s'agit bien entendu d'une vision utopiste de la diffusion des produits culturels sur Internet. Il n'est pas certain qu'à terme les échanges en ligne favorisent réellement la longue traîne.

Ajoutons à cette brève analyse que ce sont les sonneries de téléphones mobiles qui représentent à l'heure actuelle le marché le plus prometteur pour la musique en ligne. L'industrie musicale retrouve là une source de revenus important, par le biais d'un public qui n'est pas réellement composé de mélomanes.

Comme dans le marché physique du disque un même enregistrement peut être diffusé et vendu en ligne par des intermédiaires différents, avec des conditions différentes. Ce sont surtout les conditions d’utilisation qui peuvent varier.

2.1. Chaîne de diffusion

La chaîne de distribution de la musique en ligne peut se schématiser de la façon suivante. Le chemin noir étant le plus commun.

chaîne de distribution musique en ligne

L'apparition de la distribution de musique en ligne à la fin des années nonante avait fait naître l’utopie de la distribution directe de musique, sans l’intermédiaire du label (circuit grisé). A l’heure actuelle, les carrières, même modestes, bâties sur ce modèle restent l’exception (Wunsch-Vincent & Vickery, 2005).

Les notions d’agrégateur et de plate-forme sont spécifiques au mode de distribution. Il convient donc de les définir plus précisément.

2.2. Agrégateurs de contenus

En règle générale, les catalogues d'oeuvres numérisées sont constitués par des agrégateurs de contenus de type B2B (business to business). L’agrégateur prend en charge le traitement des aspects légaux et techniques. Il vend ensuite son catalogue aux sites de vente aux particuliers. « On demande distribution » http://www.ondemanddistribution.com/FR/company.asp (OD2), leader sur le marché européen fournit ainsi la plupart des grands sites de vente à l’exception d’iTunes.
Notons que certains agrégateurs sont spécialisés dans les catalogues indépendants. Ioda http://www.iodalliance.com par exemple fournit le site Bleep http://www.bleep.com, spécialisé dans les labels de musique électronique, mais aussi iTunes et… OD2.
Les imbrications s’avèrent complexes. Il n'est pas toujours facile de déterminer quel agrégateur se « cache » derrière une plate-forme, mais il ressort que la plupart des sites proposent en gros le catalogue OD2. Voilà qui ne va pas forcément dans le sens d'une plus grande diversité des contenus dans le domaine numérique.

2.3. Plates-formes de vente

Nous retrouvons certes les intervenants qui pèsent dans le marché physique du disque. Les grandes surfaces culturelles d'abord comme la Fnac http://www.fnacmusic.com par exemple et leurs équivalents dans la distribution par Internet comme Alapage http://www.alapage.com par exemple. Les grandes surfaces alimentaires elles aussi bien présentes sur le marché du disque prennent position avec la musique en ligne, comme par exemple Migros http://www.exlibris.ch/downloadm.aspx en Suisse.

De nouveaux acteurs plus ou moins attendus, semblent appelés à jouer un rôle important dans ce contexte.
Il s'agit tout d'abord des deux grands concurrents du monde de l'informatique. Apple exploite iTunes http://www.apple.com/fr/itunes/overview, tandis que Microsoft vend de la musique sur son portail MSN http://fr.ch.msn.com, où nous retrouvons le fameux catalogue OD2. Les motivations des constructeurs d'informatique apparaissent relativement claires. Il s'agit de promouvoir leurs logiciels, lecteurs multimédia et solutions de gestion des droits numériques.
Pour Apple s'ajoute une préoccupation de constructeur d'électronique, puisque sa plate-forme lui sert aussi à promouvoir son fameux baladeur iPod.

Nous rencontrons aussi dans le monde de la musique en ligne un fort investissement des fournisseurs d'accès Internet. Wanadoo en France par exemple http://www.wanadoo.fr. Pour ceux-ci, il apparaît clairement que la musique constitue un excellent moyen d'attirer ou de fidéliser des clients pour leurs offres haut débit.

La musique semble constituer un très bon moyen de générer du trafic et donc des revenus publicitaires pour les sites de type portail. Yahoo investit fortement dans le contenu musical, comme on le verra plus loin.
Des portails spécialisés, comme le portail d'informatique 01net http://musique.01net.com utilisent aussi la musique comme produit d'appel.

Finalement, la musique en ligne semble être considérée comme un excellent produit marketing. Certaines grandes marques l'utilisent pour leur image. C'est par exemple le cas de Coca-cola http://www.mycokemusic.ch.
Bien entendu, cette utilisation publicitaire de la musique n'est pas nouvelle. Toutefois, si l'on repense en terme de concurrence, comment notre médiathèque publique rivalisera-t-elle avec les millions de titres proposés par les marchands de limonades?

3. Nouveaux usages

Certains auteurs relèvent des évolutions marquées dans les pratiques et usages liées à l'écoute avec le développement de la musique en ligne (Bogucki Duncan & Fox, 2005).
La musique devient de plus en plus « portable », on peut l’écouter partout, tout le temps. Un baladeur à disque dur de taille moyenne peut stocker 10'000 titres.
Le disque en tant que tel semble perdre de son importance. En effet, avec l’échange puis la vente en ligne, on se dirige vers un marché de la chanson et non plus de l’album. L’utilisateur compose sa propre compilation. (Davet, 2005 ; Wunsch-Vuncent & Vickery, 2005)
Enfin, une offre plus riche en terme de contenu documentaire semble pouvoir se développer. L’éditeur ou l’artiste n’est plus limité par le livret du CD, tous les contenus additionnels peuvent être imaginés. (Anderies, 2005). Les possibilités de recherche augmentent grâce aux méta-données.

Le sociologue Jean-Samuel Beuscart (Guillaud, 2005) a étudié les usages et pratiques des internautes utilisant le peer-to-peer. Pour lui, la modification des comportements liés à la musique s'amorce dans les années 60. Depuis cette date, il apparaît que les générations successives écoutent toujours plus de musique. Le public devient en outre de plus en plus éclectique dans ses goûts. Les genres musicaux jouent un rôle important dans la construction identitaire.
Il identifie deux grands profils d'usagers du peer-to-peer. Le « collectionneur » qui accumule un maximum d'enregistrements et le « sampler » qui va tester des nouveautés grâce à cet accès gratuit et ensuite acheter les disques qu'il juge intéressants.
Ces usages nous semblent assez similaire à ceux, qu'empiriquement, nous pouvons observer dans nos discothèques de prêt. Notre question de départ ne paraît donc pas tout à fait inutile, comment pourrons-nous jouer notre rôle de médiateurs face à la concurrence de réseaux peer-to-peer, puis des offres légales?

Krstulovic et Martin (2005) relèvent eux un déplacement de valeurs. Ce n'est plus tellement la bonne musique que recherche le public mais la bonne expérience musicale. Ce sont donc plutôt les échanges liés à la musique qui se trouvent valorisés. Les concerts, mais aussi toutes les formes de dialogue plus ou moins direct avec les artistes et entre amateurs que permet Internet. Là aussi, nos pratiques de médiathécaires ne paraissent pas tout à fait hors champs. Médiations et animations consacrées au disque représentent bien une valorisation de l'échange. Reste la question de savoir comment nous les transposerons « en ligne ».

4. Formats de compression et mesures techniques de protection

Le fameux acronyme mp3 est fréquemment utilisé pour évoquer la musique sur Internet ou les baladeurs numériques. Or, il ne s'agit que d'un format de compression parmi d'autres. Il reste certes le plus courant, mais s'avère en fait le moins utilisé dans le cadre de la musique légale. En effet, ce format n'inclut pas de système de gestion des droit numériques (en anglais : digital rights management, DRM) et ce n'est donc pas le format utilisé par la plupart des plates-formes de vente. Ce sont donc plutôt ces DRM qui se trouvent au coeur de la problématique.

4.1. Formats de compression

Il existe d'innombrables sites discutant des qualités respectives des différents formats. Nous n'entrerons pas ici dans ce débat.
Nous nous limiterons à signaler que, techniquement, ils se répartissent en deux grandes familles que l'on retrouve d'ailleurs pour tous les types de formats de compression, à savoir si le format est destructif ou non. Les formats couramment utilisés sont destructifs, car cette technique permet un meilleur gain de place pour un temps de calcul moindre.
D'une manière très simplifiée, un format audio destructif va supprimer certaines données considérées comme inaudibles. Bien entendu cette soustraction aura tout de même une influence sur le résultat.
Les formats non destructifs sont encore relativement peu utilisés, signalons dans cette catégorie les formats FLAC et Monkeyaudio. Apple propose aussi un format sans perte nommé Apple loseless. Ces formats peuvent réduire les tailles des fichiers en opérant uniquement à des calculs, ils sont donc plus « gourmands » en puissance informatique.

Le second niveau de description s'attache au statut légal du format. Là aussi il s'agit d'une constante de tous les types de formats informatiques. Ils sont propriétaires ou non, c'est-à-dire rattachés à une marque ou non. Ils peuvent être ouverts ou fermés. Un format ouvert voit son mode de codage des données publié et n'est pas protégé par un brevet ou un copyright. Un format est dit fermé s'il contredit l'une de ces conditions.
Paradoxalement, le mp3 n'est pas un format ouvert, il est protégé par un brevet. Son ancienneté sur le marché l'a toutefois rendu incontournable. On notera qu'Apple utilise un format fermé, mais dont il n'est pas propriétaire nommé AAC, tandis que Microsoft développe un format propriétaire : WMA.
Sony utilise aussi son propre format propriétaire ATRAC3.
Bien entendu, la multiplication des formats fermés propriétaires pose des problèmes d'interopérabilité entre les logiciels de lectures ainsi qu'entre les baladeurs numériques.
En réaction se sont créés des formats ouverts, principalement le format destructif Ogg Vorbis et les formats non destructifs FLAC et Monkeyaudio.

4.2. DRM

Les DRM désignent les techniques cryptographiques permettant de contrôler l’usage qui peut être fait d’un fichier. Il s'agit d'un verrou informatique reflétant la licence d'utilisation accordée. Ils gèrent notamment :

  • la vente définitive d’un fichier, utilisable uniquement sur un nombre défini d’ordinateurs,
  • la location d’un fichier (« chronodégradable », il devient inutilisable après une période donnée),
  • l'écoute gratuite mais limitée en nombre de lecture,
  • le contrôle du nombre de copie sur CD-R,
  • le contrôle du nombre de transfert sur un appareil mobile,
  • l'utilisation sur un appareil mobile de fichiers loués,
  • la récolte d’information sur les utilisations du fichier (nombre d’écoute, durée…)

La solution DRM la plus présente sur le marché est celle de Microsoft (WMA DRM ou « Janus »). Elle est utilisée par la plupart des sites de vente. Elle est compatible avec la majorité des baladeurs – à l'exception de l'iPod d'Apple. Elle est bien entendu liée au format de Microsoft, le WMA. Elle implique l'utilisation de Windows et son logiciel de lecture « Media player ». Les autres systèmes d'exploitation sont de ce fait exclus.

Cette solution est en concurrence directe avec celle d’Apple (Fairplay) qui est couplée au format AAC et protège les titres vendus sur la plate-forme iTunes. Ce format DRM ne peut être décodé que par le baladeur maison, le iPod.
Il existe aussi d’autres solutions plus marginales. Sony notamment qui utilise sa propre solution DRM pour son site de vente et ses baladeurs.
Real http://www.real.com/musicstore avec sa technologie baptisée « Harmony » est l'un des seuls intervenants à jouer le jeu de l'interopérabilité. Cela lui avait d'ailleurs attiré les foudres d'Apple (Dumout, 2004). Cette couche logicielle permet d'assurer la compatibilité des morceaux vendus par Real avec son propre système DRM « Helix » ainsi qu'avec ceux de Microsoft et Apple.

Les solutions DRM, dans leurs applications actuelles, se trouvent au coeur d’un vaste débat. Les DRM pourraient constituer une solution à la gestion des droits d’auteurs et droits voisins pour les média en ligne. Ils pourraient ainsi servir pour les médiathèques à gérer le prêt en ligne de fichiers audiovisuels.
Il faut toutefois noter qu’ils représentent surtout à l’heure actuelle une réponse très rigoriste, voire paranoïaque pour certains, des majors au problème du téléchargement illégal.
Certaines associations de consommateurs s’élèvent actuellement contre l’application qui est faite des DRM, en ce sens qu’elle restreint de manière trop importante les droits de l’acheteur et pourraient mettre en danger le respect de la sphère privée (par la collecte d’information).
Le projet danois Netmusik, mettant à disposition de la musique en ligne pour les usagers de bibliothèques au format de Microsoft s’était à ce titre attiré les foudres du Conseil de la consommation de ce pays (Westh Nielsen, 2004).

5. Typologie des sites de musique en ligne

5.1. Modes de diffusion principaux

Deux principaux modes de diffusion semblent se dessiner, la vente à l'unité ou l'abonnement. Tous les sites ne proposent pas de formule d’abonnement. Les sites qui proposent des abonnements semblent proposer aussi la vente à l’unité à prix préférentiel.

5.1.1. Vente à l'unité

En ce qui concerne la vente au titre, le prix d’environ 1,50 Francs suisses semble être devenu la norme (0.99$ puis 0.99€ établis par les premiers sites de vente).
Ce prix peut être jugé comme relativement élevé, notamment compte tenu des restrictions d’usage importantes. Notons ainsi que la plupart des grandes plates-formes de ventes ne font que louer les fichiers, il deviennent inutilisables après 12 mois (Mariot, 2006). Paradoxalement, il semble que ce mode de vente se révèle peu rentable pour les plates-formes de vente en ligne (Krstulovic, 2005). Celles-ci ne touchent en effet qu'une part très faible de ce prix de vente. La plus grande partie étant absorbée par les frais de licences, versés aux agrégateurs puis aux maisons de disques.

5.1.2. Abonnement

Les abonnements mensuels sont proposés entre 5 $ et 15 $ selon les fournisseurs et surtout les options disponibles liées aux DRM. Durant la période de validité de sa souscription, le client a accès à l'ensemble des titres du catalogue et peut les télécharger, mais pas les graver sur un CD. Dès qu'il ne paye plus par contre, il n'a plus rien.
Les abonnements les plus chers permettent d’écouter les titres sur un appareil mobile sans qu’il soit connecté à Internet (par exemple « Rhapsody to go » http://www.real.com/rhapsody ou « Napster to go » http://www.napster.com . La validité de la licence – liée à la durée de l'abonnement – est vérifiée sur la base de l'horloge interne du baladeur.
Pour la petite histoire, Napster était il y a quelques années la bête noire des majors du disque, puisqu'il s'agissait de l'un des premiers réseaux peer-to-peer ayant conquis une très large audience, notamment dans les universités américaines. Actuellement, en plus de s'être « légalisé » (il ne fonctionne plus avec la technologie peer-to-peer, Napster propose ses services aux universités qui peuvent s'y abonner pour offrir du contenu musical sur leurs réseaux.

Yahoo propose un service similaire intitulé Yahoo music unlimited, lui aussi décliné en version écoute sur PC uniquement ou aussi sur baladeur http://music.yahoo.com/unlimited. A l'heure actuelle, il n'est accessible qu'aux États-Unis. Sur le marché européen, Yahoo propose aussi une section musique, mais elle se limite à des offres gratuites – des clips vidéo et des radios en ligne http://fr.launch.yahoo.com. Tim Roback, directeur de Yahoo music, cité par ZDNet (Dumout, 2006) estime que le marché francophone n'est pas encore prêt pour les offres payantes sur abonnement.
Les formules d'abonnements restent donc surtout développées sur le marché anglo-saxon. Notons que Napster a lancé depuis peu son service en Allemagne http://www.napster.de.
La société française MusicMe http://www.musicme.com semble se positionner en France sur ce type d'offre sur abonnement http://www.musicme.com/illimite.php.
Il ne faut toutefois pas s'y tromper. A l'heure actuelle, le service proposé reste très éloigné de ce qu'offrent Napster et consorts. Il s'agit en fait uniquement d'écoute en ligne (streaming (3) ) sur un catalogue relativement restreint (Champeau, 2006). L'abonnement permettant le téléchargement était annoncé pour mars 2006 (Dumout, 2006), mais il n'est pas arrivé. A l'heure actuelle, MusicMe reste surtout un moteur de recherche musical renvoyant sur les grandes plates-formes pour l'achat de téléchargement ou... de disques.

5.2. Modèles alternatifs

Les modèles décrits plus haut restent principalement les canaux de diffusion des productions des grandes majors du disque. La production indépendante y est encore peu présente (Nicolas & Conradsson, 2005 : p. 40-41). Il n'est pas du tout certain que la concentration du marché physique ne se retrouve pas en ligne.

Nous observons toutefois le développement de modèles alternatifs particulièrement intéressants. Ils sont le fait de deux courants : l'édition indépendante et une certaine frange de la communauté des internautes préoccupés par la diffusion démocratique des contenus. Si nous nous référons à nouveau à notre schéma de la « chaîne de diffusion», il s'agira des chemins grisés.

5.2.1 Vente sans DRM

Certains labels qui ne se trouvent pas dans le giron des grandes majors offrent une approche plus souple de la musique en ligne.
Si les fichiers musicaux de leurs catalogues sont aussi vendus – à des prix souvent proches de ceux proposés par les grandes plates-formes – ils ne comportent pas de DRM.
Il ne s’agit pas d’un choix technique, mais bien d’une politique. Le vendeur offre au client les mêmes possibilités qu’avec un CD qu’il aurait acheté : la copie privée sur support (CD-ROM gravé), un transfert libre sur des appareils mobiles sans contraintes de marques, la lecture sur plusieurs ordinateurs. Bien évidemment, si le client a une notion quelque peu biaisée de la notion de « copie privée », il serait à même d’offrir le fichier acquis sur un réseau illégal.
Certains grands labels de musique électronique se sont logiquement positionnés sur ce marché. Le label anglais Warp a ainsi lancé la plate-forme Bleep http://www.bleep.com sur laquelle sont vendues ses propres productions, mais aussi celles d'autres labels.

Certains sites se positionnent comme plate-forme pour les musiciens autoproduits. C'est ainsi le cas du site suisse Europamp3 http://www.europamp3.org. Là aussi, les fichiers musicaux ne comportent pas de DRM, il est en outre possible d'écouter entièrement les morceaux en streaming avant de les acheter.

Ces plates-formes mettent en avant leurs contenus « libre de DRM », mais finalement, elles restent dans leur modèle économique proche des grandes plates-formes décrites plus haut.

5.2.2. DRM alternatif

Il existe un modèle alternatif basé sur les DRM, il s'agit de la technologie Weed. On en trouvera description sur le site Weedfrance http://www.weedfrance.com.
Le modèle s'avère assez curieux. Il garantit une rémunération constante à l'artiste, de 50% du prix de vente pour chaque transaction, tout en versant aussi une commission à chaque vendeur. C'est à dire qu'un internaute qui revend un fichier touche 10% du prix de vente. Il s'agit de créer une chaîne de diffusion répartie. Un utilisateur peut ainsi tout à fait placer un morceau acquis sur un réseau peer-to-peer. Si d'autres utilisateurs l'achètent, il touchera une commission. À la vue du catalogue disponible, ce système reste encore très marginal.

5.2.3. Le peer-to-peer légal

Comme nous l’avons vu, Napster s’est « légalisé » en abandonnant la technologie peer-to-peer.
Certaines entreprises tentent, toujours outre Atlantique, de rentabiliser des réseaux de ce type, fonctionnant avec l’accord des ayants droits (Rauline, 2006). Les modèles économiques ne semblent pas encore très clairs. La plupart fonctionnent tout de même avec l’abonnement ou le téléchargement payant au titre. Il semblerait, toujours selon Rauline (op. cit.), qu’une société projette un réseau rémunérant les ayants droits grâce à la publicité.
Il n’est de loin pas certain que ce type d’offres commerciales « convertisse » les adeptes du peer-to-peer illégal, car à l’heure actuelle ces modèles restent relativement restrictifs (Champeau, 2005). La donne pourrait probablement changer si des modèles basés sur la publicité se développaient réellement. Ceux-ci deviendraient de redoutables concurrents dans le monde de la musique en ligne.

5.2.4. Vers le Web 2.0

Le Web 2.0 est une étiquette placée sur les technologies les plus innovantes du Web, notamment celles qui favorisent les échanges entre internautes et celles sur lesquelles s'appuient les sites de services. Il s'agit d'un concept assez vaste, pour ne pas dire flou. Tim O'Reilly, considéré comme l'un des inventeurs du concept en a donné sa définition dans un article traduit par InternetActu (O'Reilly, 2006)

La musique représente un domaine où les potentialités du Web 2.0 s'avèrent particulièrement parlantes.
Ainsi le peer-to-peer. Selon la logique Web 2.0, il s'agit d'une technologie visant à répartir les coûts en bande passante entre les utilisateurs. C'est aussi un outil qui peut amener des échanges entre ces utilisateurs, même si l'on peut estimer que ces pratiques restent minoritaires (Guillaud, 2005).

Le phénomène des blog peut aussi s'étiqueter Web 2.0. Les blogs musicaux sont devenu en peu de temps des sources incroyablement riches pour l'information musicale. Tout un chacun peut publier au jour le jour ses critiques accompagnées des morceaux concernés. Nous retrouvons ainsi un élément de la longue traîne : la multiplication de sources très spécialisées dans des courants musicaux pointus, améliorant la visibilité et éventuellement la disponibilité des enregistrements correspondants.
Les ayants-droits ne sont que rarement rémunérés et cette pratique reste donc souvent illégale. Toutefois les objectifs de la diffusion par les blogs étant très différents de celle des réseaux peer-to-peer, la plupart des blogs musicaux semblent à l’heure actuelle tolérés. De plus du fait qu’ils se situent en général dans des « niches » restreintes et peu commerciales, certains sont même considérés par les petits labels comme des moyens de promotion tout à fait intéressants. (Alden, 2005)
Napster, qui avait déjà « légalisé » le peer-to-peer, semble s'attaquer maintenant au phénomène blog. Son site américain propose maintenant le streaming gratuit des morceaux, limité à 5 écoutes. Le blogueur est invité à créer des liens sur son site grâce à Napster.links http://www.napster.com/napsterlinks. Son visiteur pourra ainsi écouter le morceau concerné – 5 fois – via Napster... puis l'acheter ou s'abonner à Napster.
Les clients (ou futurs clients!) de Napster sont aussi encouragés à participer, N-archive propose à tout un chacun de rédiger des rédactionnels sur son groupe, son courant musical favori et à illustrer ceci par les liens Napster.links. La boucle est bouclée.

Napster se positionne ainsi à notre avis comme l'un des futurs grands acteurs de la musique en ligne et comme un sérieux concurrent pour les médiathèques.

Myspace http://music.myspace.com représente aussi un cas intéressant. Il s'agit de l'un des plus vastes réseaux sociaux (Blecher, 2005), revendiquant plus de 40 millions de membres inscrits. Il offre à tout un chacun de créer sa page Internet. Orienté dès le départ sur la musique, il permet aux artistes de déposer leurs morceaux sur leurs pages, en streaming et d'en autoriser ou non le téléchargement. Les musiciens présents sur Myspace vont maintenant du petit groupe espérant ainsi se faire connaître aux grandes stars.

Le concept de radio en ligne évolue aussi dans la perspective du Web 2.0. Ainsi la radio gratuite proposée par Yahoo France http://fr.launch.yahoo.com, outre des stations thématiques, propose une radio personnalisable. Après avoir défini ses genres et artistes favoris, l'utilisateur se voit suggérer des titres par le système. L'auditeur peut noter les morceaux qui lui sont diffusés et ainsi influencer le « comportement » de la radio. L'ensemble des notations permet de définir des similitudes. Il est aussi possible de partager sa station avec des amis (inscrits à Yahoo...)
La radio en ligne Last.fm http://www.last.fm est aussi personnalisable. Elle pousse encore plus loin l’interaction avec l’utilisateur. Celui-ci dispose d’un profil évoluant selon ses écoutes. Il peut en plus attribuer des mots-clefs, des « tags », aux morceaux écoutés, selon le principe de « folksonomy (4) ». On découvre ainsi une classification tout à fait surprenante – à faire frémir d'horreur un bibliothécaire – mais qui, pourquoi pas, pourrait nous conduire à de nouvelles découvertes.
Les auditeurs peuvent aussi participer à la rédaction d’articles consacrés aux artistes, découvrir d’autres utilisateurs ayant des goûts musicaux proches et interagir avec eux.

5.2.5 Podcasting

… ou « baladodiffusion », terme francophone retenu officiellement par les québécois.
Le néologisme « Podcasting » est une contraction de la marque de baladeurs iPod et du mot anglais broadcasting.
Il s’agit de l’application aux contenus audio de la technique de diffusion d’informations RSS. Le RSS permet à l’utilisateur de souscrire un flux d’informations diffusé par un site web au format xml. Ce flux permet à un logiciel lecteur RSS d’afficher en permanence un sommaire mis à jour du site. Le flux RSS est particulièrement adapté aux blogs.
Étendue au domaine audio, cette technique permet de mettre à disposition des émissions. Le lecteur podcast installé sur l’ordinateur client permet de s’abonner à différents « flux », de télécharger automatiquement les nouveaux fichiers, et de synchroniser ceux-ci avec un baladeur. Contrairement à ce que le nom podcasting pourrait laisser entendre, les fichiers peuvent aussi être lus sur l’ordinateur.
De plus en plus de radio diffusent des émissions par ce biais, mais comme le blog, le podcast n'est pas avant tout un outil de professionnel.

5.3. Contenus libres

Les modèles alternatifs de musique en ligne les plus prometteurs sont à notre avis à rechercher du côté des contenus libres.
En réaction au verrouillage des oeuvres par l'industrie culturelle se développent de multiples mouvements recherchant d'autres moyens de diffuser la culture sur Internet. Ils s'inspirent du mouvement des logiciels libres et de la « Licence publique générale » (GNU).
Bien que les contenus libres soient souvent associés à la gratuité, ce n'est pas forcément l'aspect fondamental. Il s'agit avant tout de garantir les possibilités de diffusion des oeuvres et des idées sur Internet. Selon cette philosophie, les artistes y trouveront leur compte, profitant d'Internet comme d'un outil de promotion et de diffusion d'idées et gagnant leur vie grâce à la vente de disques, d'entrées aux concerts, des droits de diffusion dans les média et aux dons des internautes.

De nombreuses licences libres existent. L'une des plus « dynamiques » à l'heure actuelle semble être « Creative Commons », abrégée « CC ». Il faut d'ailleurs préciser qu'il s'agit d'un ensemble de licences qui regroupent la plupart des caractéristiques des différentes approches. Un vaste réseau promeut l'usage de ces licences http://creativecommons.org. Des juristes s'emploient notamment à les adapter aux différentes législations. Ce travail est en cours pour la Suisse http://creativecommons.org/worldwide/ch.
Les Creative Commons se déclinent en 6 licences qui combinent différentes restrictions d'utilisation. Les licences possèdent des conditions communes notamment l'autorisation de diffuser gratuitement des copies de l'oeuvre.
Dans les restrictions des différentes licences notons l'interdiction d'une utilisation commerciale sans autorisation et l'interdiction de produire des oeuvres dérivées.

Les licences Creative Commons sont aussi très sérieusement développées sur le plan technique. Les différentes façons de les inclure dans les méta-données sont bien documentées.

De nombreux sites reflètent la créativité de cette mouvance. Nous citerons notamment Musiclibre.org http://www.musique-libre.org, portail associatif visant à promouvoir la musique libre.
Le site Rezal404 référence un nombre considérable de sites diffusant de la musique libre http://rezal404.org/wikini/wakka.php?wiki=PagePrincipale.

Nous décrirons finalement deux sites dédiés à la musique libre particulièrement intéressants, en ce sens qu'ils utilisent des technologies Web 2.0 de manière assez poussée.

5.3.1. Jamendo

Jamendo http://www.jamendo.com utilise le concept de « folksonomy ».
Les artistes décrivent le genre qu'ils jugent approprié pour leur musique, mais les utilisateurs vont ensuite pouvoir renseigner leurs propres mots-clés, pour les albums qu'ils apprécient.
Les utilisateurs sont aussi invités à poster leurs critiques et à interagir sur des forums. Ils ont aussi la possibilité de soutenir les artistes qui leur plaisent par des dons.
Les morceaux peuvent être écoutés en ligne, ou téléchargés sur des réseaux peer-to-peer.

5.3.2. BNflower

Bnflower http://www.bnflower.com/indexFR.htm repose sur un concept particulièrement simple et s'estampille lui-même « résolument Web 2.0 ».
Ce site, par le biais de son forum, souhaite faire le lien entre musiciens indépendants et internautes disposés à les promouvoir. Le musicien, nommé « fleur » met la musique libre à disposition, l'internaute qui maîtrise les technologies de diffusion, nommé « abeille » va l'aider à se faire connaître. Il s'agit d'un bel exemple de réseau social. Le site souhaite aussi promouvoir l'économie du don.

6. Offres destinées aux bibliothèques

Après ce tour d'horizon de la musique sur Internet nous décrirons quelques offres spécifiquement destinées aux bibliothèques.

6.1. Bases de données d'écoute

Il existe des bases de données musicales permettant l'écoute en ligne, en streaming. Leur intérêt reposera sur le contenu documentaire qui peut être associé aux oeuvres.
Le label classique Naxos http://www.naxosmusiclibrary.com en propose une, ainsi que l’éditeur américain Alexander Street Press http://alexanderstreet.com/products/disc.htm#music. Ces bases de données peuvent être offertes à la consultation sur place, dans les locaux de la bibliothèque, mais aussi, selon les licences payées, fournies aux usagers en accès à distance.

6.2. Prêt de fichiers musicaux

Les bibliothèques danoises ont mis en place un système de prêt en ligne de musique : Netmusik https://www.bibliotekernesnetmusik.dk (Westh Nielsen, 2004).
Il permet aux usagers d'emprunter des fichiers musicaux pour une durée d'un à sept jours. Il utilise les DRM Microsoft. Le catalogue contient environ 100'000 titres, de production locale, mais aussi internationale, négociés pour ce mode de diffusion.

La société américaine Overdrive propose aux bibliothèques une plate-forme gérant le prêt de document en ligne appelée Digital library reserve http://www.dlrinc.com. Elle a débuté avec le texte (ebooks), continué avec les livres audio et, depuis cette année, gère aussi des contenus musicaux et vidéo. Ici aussi, pour les fichiers audiovisuels ce sont les DRM de Microsoft qui sont appliqués. Ce service semble particulièrement bien implanté aux États-Unis.

La Médiathèque de l'agglomération Troyenne fait figure de pionnière en France et développe une solution originale de prêt qui semble ne pas devoir reposer sur des DRM propriétaires. Baptisée Ithèque http://www.mediatheque-agglo-troyes.fr/bmtroyes/_/itheque/itheque.htm, elle devrait permettre le téléchargement de fichier chronodégradables. Cette solution est gérée par la société canadienne Tonality http://www.tonality.ca.

7. Conclusion

Même si les services de musique en ligne restent encore rares dans les bibliothèques publiques, deux conclusions nous paraissent évidentes.
Premièrement, il semble important pour les bibliothèques de se positionner dans le domaine, du fait des nouveaux usages que la musique en ligne induit dans leur public. Deuxièmement, les offres de musique en ligne destinées spécifiquement aux bibliothèques semblent à nos portes.

Reste à savoir quelle attitude nous allons adopter face à ces nouveaux modes de diffusion, pour ne pas dire, quelle position allons-nous défendre.
L'exemple scandinave montre qu'il est possible de développer des services de musique en ligne plus ou moins sur mesure, basés sur un catalogue principalement national. Mais ce type de plate-forme s'avère coûteux : la création de Netmusik était financée par le ministère danois de la culture à hauteur de 550'000 Euros (Westh Nielsen, 2004).

Des services « clés en mains » vont se développer sur le modèle de Digital library reserve. Ces services auront aussi un certain prix – ce qui est normal, mais leur usabilité s'avérera-t-elle satisfaisante pour nos usagers ? En d'autres termes, lorsqu'ils les mettront en concurrence avec les plates-formes commerciales, y trouveront-il un avantage?
Ces catalogues en ligne pour bibliothèques resteront probablement très en deçà de ce qu'offriront les plates-formes payantes en nombre de titres. L'accessibilité des titres laissera à désirer (« ce titre est déjà emprunté, désolé, revenez plus tard! »). Les DRM seront perçus comme particulièrement restrictifs (c'est d'ailleurs déjà le cas, nous semble-t-il, avec la plate-forme danoise). Ces systèmes cherchent à transposer dans le numérique la bibliothèque physique, avec ses contraintes : la durée de prêt limitée, le nombre d’exemplaires restreint.

Enfin, débat déjà familier à nos collègues des bibliothèques scientifiques avec les périodiques, nous nous trouverons pieds et poings liés aux éditeurs et aux technologies informatiques propriétaires.

Les bibliothèques publiques ont peut-être finalement un plus grand rôle à jouer du côté de la musique libre. Que l'on nous permette pour conclure de défendre une approche militante (utopiste?) de la musique en ligne pour les bibliothèques.
Il ne s'agit pas de profiter d'une gratuité, mais de défendre une certaine idée de la diffusion de la culture qui est probablement la plus proche de la nôtre : la plus simple d'accès, ouverte à tous et visant à nourrir le débat et la créativité du plus grand nombre.
Sur le plan des technologies du Web, nous avons en outre pu constater que se trouvait dans ce domaine de fort belles réalisations.
Les bibliothèques souhaitent jouer leur rôle dans la société de l'information, en offrant des accès à Internet, en sélectionnant des ressources de qualité, en guidant les usagers dans ce paysage informationnel complexe.
La promotion de la musique libre constituera peut-être une pierre supplémentaire à cet édifice. Elle pourra peut-être aussi représenter une participation du monde des bibliothèques à ces réseaux sociaux qui se dessinent actuellement avec le Web 2.0.

Notes

 (1) En deux mots, le « peer-to-peer » est un modèle de réseau dans lequel les différents intervenants jouent à la fois le rôle de client et de serveur. Il peut être utilisé pour toutes sortes d’applications : répartition du travail de calcul entre plusieurs ordinateurs ou, comme dans le cas qui nous intéresse, échange de fichiers. Les échanges sont répartis entre tous les nœuds du réseau. Les applications peer-to-peer sont donc très difficiles à contrôler (pour le respect des droits d’auteurs par exemple). Il n’est pas possible de simplement fermer quelques serveurs centraux pour arrêter un réseau de ce type. L’expression est très fréquemment abrégée « P2P ». Les tentatives de traduction française sont « point à point », « poste à poste », « pair à pair », « égal à égal ». Nous conserverons dans cet article l’expression anglaise.
(Source Wikipédia http://fr.wikipedia.org/wiki/Peer_to_peer)
 (2) Les motivations des différents intervenants sont détaillées par Wunsch-Vincent et Vickery (2005 : p. 10-11)
 (3) On parle de « streaming » lorsque le fichier audiovisuel joué n’est pas téléchargé sur le poste client mais lu au fur et à mesure sur le serveur. Le client ne peut donc normalement pas enregistrer directement le fichier.
Le streaming possède de nombreuses applications :
- Radio en ligne
- Extraits musicaux sur les sites de vente de CD
- Extraits musicaux sur les sites de vente de fichiers
- Illustration sonore pour un site
- Bases de données musicales en ligne.
 (4) Néologisme désignant un système de classification spontané, non structuré, tout en étant centralisé.
(Source Wikipédia http://fr.wikipedia.org/wiki/Folksonomie)

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Stratégie de veille technologique : l’Institut marocain de l’information scientifique et technique au service de l’industrie marocaine

Stratégie de veille technologique : l’Institut marocain de l’information scientifique et technique au service de l’industrie marocaine(1)

Introduction

Avec la libéralisation de l’économie internationale, le Maroc a pris plusieurs mesures afin d’intégrer son économie dans le marché mondial, entre autres l’adhésion du Maroc en 1987 aux accords du GATT et en 1994 à « l’Organisation Mondiale du Commerce ». La création de la zone de libre échange avec l’Union Européenne en Novembre 1996 (Benmir, 2001) et la signature de l’accord du libre échange avec les Etats-Unis en 2004 dénotent également de la volonté du Maroc à s’intégrer dans le marché mondial.

Cependant, l’intégration de l’économie marocaine dans le marché mondial signifie la réduction des coûts d’accès des producteurs issus d’autres pays au marché marocain, et ce à cause du démantèlement tarifaire. Ces facteurs exposent les entreprises marocaines non compétitives et particulièrement les PME/PMI au danger de leur disparition du marché (Benmir, 2001).

Par ailleurs, les PMI marocaines qui représentent 93 % du total des entreprises industrielles du Maroc (Ministère de l’industrie, du commerce, de l’énergie et des mines, 2001) dont 19 % sont exportatrices, souffrent d’un certain nombre de problèmes qui handicapent leur développement et leur compétitivité.

Les obstacles afférents aux développement de la PME et qui ont un fort impact sur leur compétitivité concernent, selon la Confédération Générale des Entreprises Marocaines (CGEM), six aspects : l’information, la formation, le conseil, l’innovation, la qualité et les pratiques de gestion.

Afin de pallier ces insuffisances, la mise à niveau des PMI marocaines, et plus spécialement de la PMI exportatrice qui est le plus en contact avec le marché mondial, est impérative. La mise à niveau de la PMI exportatrice n’est, en effet, plus un choix, c’est une contrainte qui s’impose à toute industrie exportatrice soucieuse d’accroître sa compétitivité et de conquérir de nouveaux marchés internationaux.

Cette politique implique différents acteurs nationaux : les départements ministériels, les associations professionnelles, les centres de documentation et d’information, la CGEM, les Chambres de Commerce, d’Industrie et de Services (CCIS), etc.

En plus des mesures de soutien d’ordre financier, fiscal, logistique et technologique, la mise à niveau s’intéresse aussi au volet informationnel au sein de la PMI exportatrice marocaine. Il s’agit, entre autres mesures, de l’intégration de la notion de « l’information scientifique, technique et technologique : ressource porteuse d’avantages concurrentiels» dans la logique de gestion de l’entreprise marocaine et de toute la nébuleuse des nouvelles techniques de management (à titre d’exemple la veille technologique et le management de la technologie) qui sous-tendent et appuient le passage des PMI exportatrices marocaines au nouveau contexte international.

C’est dans ce sens que le Centre National pour la Recherche Scientifique et Technique (CNRST) a créé l’Institut Marocain de l’Information Scientifique et Technique (IMIST). Ce dernier a pour missions de soutenir et encourager l’innovation technologique, de diffuser l’information scientifique, technique et technologique (ISTT) aux acteurs nationaux et d’assurer des prestations de veille technologique au profit de ces acteurs.

Méthodologie de travail

La proposition d’une stratégie de veille technologique à l’IMIST pour servir les PMI en question a nécessité :

  1. l’étude de la pratique de la veille technologique dans les PMI exportatrices des IAA et des ITHC situées dans la région du Grand Casablanca ;
  2. l’étude de leurs besoins en information scientifique, technique et technologique (ISTT) ;
  3. la proposition à l’IMIST d’une stratégie de veille technologique pour servir les PMI étudiées.

Pour atteindre ces objectifs, nous nous sommes basées sur la technique de l’enquête sur le terrain. L’instrument de recherche qui a été utilisé pour la collecte des données sur la pratique de la veille technologique et sur les besoins en ISTT était le questionnaire administré directement aux industriels des deux secteurs étudiés.

Des discussions avec ces industriels et l’observation directe de leurs comportements informationnels (dans certaines PMI) nous ont permis d’approfondir les données collectées.

En plus des visites aux PMI, nous avons mené des entretiens avec des acteurs professionnels oeuvrant pour le compte des secteurs étudiés. Il s’agit du Ministère du Commerce et de l’Industrie (MCI), du Centre Technique du Textile et de l'Habillement (CTTH), du Centre Technique des Industries Agro-alimentaires (CETIA), de la Fédération Nationale de l’Agro-alimentaire (FENAGRI) et de l’Association Marocaine des Industries du Textile et de l’Habillement (AMITH). Ces entretiens avaient pour but d’approfondir et de recouper les données collectées sur le terrain ainsi que de s’informer sur l’activité de veille technologique que mènent ces organismes.

En outre, un questionnaire a été envoyé à des organismes étrangers de renommée en gestion de l’ISTT et en veille technologique. Il s’agit notamment du Centre de Recherche Industrielle du Québec (CRIQ) au Canada, et en France des Agences Régionales de l’Information Scientifique et Technique (ARIST), de l’Agence de Diffusion de l’Information Technologique (ADIT) et de l’Institut de l’Information Scientifique et Technique (INIST).

Dans le même sens, des visites ont été effectuées à l’ADIT et à l’INIST dans l’objectif de s’inspirer de leurs expériences. Les formations qui nous ont été assurées par ces organismes nous ont permis de compléter notre étude sur leur expérience en veille technologique.

Les petites et moyennes industries...une population à cibler

Pour ce qui est de la population cible, nous avons choisi les PMI exportatrices appartenant aux secteurs des IAA et des ITHC et situées dans la région du Grand Casablanca.

Les PMI exportatrices des IAA et des ITHC occupent le premier rang dans la classification des PMI exportatrices marocaines. Ceci en se basant sur les différentes grandeurs économiques notamment le chiffre d’affaires et la participation à la production globale (Ministère de l’industrie, du commerce, de l’énergie et des mines, 2001). En outre, les PMI représentent 93 % du tissu industriel marocain et les deux secteurs étudiés sont des secteurs piliers de l’industrie marocaine.

Dans la région du grand Casablanca, il existe 32 PMI exportatrices dans le secteur des IAA et 332 PMI exportatrices dans le secteur des ITHC. Pour notre étude, nous avons opté pour l’enquête de la totalité des PMI exportatrices des IAA, soit 32 PMI. Pour les PMI exportatrices des ITHC, nous avons procédé à un échantillonnage aléatoire qui représente 20 % de la population totale, soit 66 PMI à enquêter.

Parmi les 66 PMI des ITHC, nous avons administré le questionnaire à 59 PMI des ITHC, soit un taux de réponse de 89,39 % et à 29 PMI des IAA parmi la population totale de 32, soit un taux de réponse de 90,6 %.

L’enquête menée auprès des PMI des deux secteurs a porté sur :

  • leur degré de compétitivité et leur capacité à innover ;
  • les infrastructures informationnelles dont elles disposent ;
  • les moyens technologiques, matériels, logiciels et financiers qu’elles mobilisent pour la gestion de l’ISTT et pour la veille technologique ;
  • leurs besoins en ISTT et en veille technologique ;
  • leurs problèmes conjoncturels, structurels et informationnels ;
  • leurs attentes en matière d’ISTT et de veille technologique.

Les PMI et la veille technologique…résultats saillants

Pour les deux secteurs étudiés, l’enquête a révélé que la PMI exportatrice étudiée souffre de problèmes conjoncturels et structurels qui entravent son développement et affectent sa compétitivité. Bien que la PMI soit consciente de la nécessité d’innover, elle affirme manquer d’encouragement et d’assistance de l’Etat pour passer à l’économie libérale. Ceci est accentué, selon la PMI étudiée, par le manque de communication et de coopération entre les organismes nationaux producteurs d’ISTT. Dans cette optique, la PMI procède peu à des actions stratégiques qui comportent un risque et qui entraînent un changement radical dans sa structure et son activité.

Même si la PMI affirme que la veille technologique est une notion inconnue pour elle, elle la pratique « sans le savoir ». En effet, elle veille à ce qu’elle reste à l’affût des changements qui s’opèrent dans son environnement.

D’autre part, la PMI ne voit pas encore l’importance de bien gérer l’ISTT pour en faire une ressource porteuse de richesse. Ceci est apparent dans l’absence du profil du spécialiste de l’information dans toutes les PMI enquêtées et dans le manque de structuration de la fonction information en leur sein.

En outre, la PMI ne calcule pas la part du budget qu’elle consacre aux activités informationnelles et aux activités de R&D.

En ce qui concerne les sources d’ISTT utilisées, la PMI affirme manquer d’information sur l’existence et l’intérêt de ces sources. Ceci justifie le manque d’exploitation des sources d’ISTT par les deux secteurs étudiés. Dans le même cadre, elle affirme être bien informée en nouveautés relatives aux matières premières et aux équipements et ce grâce aux visites des fournisseurs et à sa participation aux manifestations (salons, foires, etc.).

La principale révélation relative aux sources utilisées par les PMI étudiées demeure la non utilisation du brevet. En effet, elles n’utilisent pas, sinon sous-exploitent le brevet et ne traduisent pas les informations techniques qu’il contient en des actions d’innovation.

En ce qui concerne les moyens technologiques et matériels de la PMI étudiée, l’enquête a révélé que bien qu’elle dispose d’équipements technologiques et matériels, ces derniers ne sont pas utilisés à des fins de recherche de l’information. Internet est souvent utilisé pour communiquer avec le client à l’étranger.

Toutes les PMI s’accordent sur le besoin ardent et pressant de recevoir l’information pertinente et fiable à temps pour prendre des décisions fondées.

En étudiant les données issues de l’enquête, la revue de littérature et les expériences nationales et étrangères en matière de veille technologique, nous avons élaboré pour l’IMIST une stratégie de veille technologique pour servir en ISTT et en veille technologique les PMI exportatrices des deux secteurs étudiés.

Une stratégie de veille technologique pour servir les PMI

La stratégie proposée à l’IMIST est balisée par cinq éléments à savoir :

  • les objectifs de l’activité de veille technologique que l’IMIST doit se fixer pour servir les PMI ;
  • les prestations de veille technologique que l’IMIST doit élaborer pour servir les PMI ;
  • les moyens humains, technologiques, matériels et financiers à mobiliser ;
  • la démarche de veille technologique à suivre ;
  • la structure de veille technologique à mettre en place.

La stratégie de veille technologique que nous proposons à l’IMIST pour servir les PMI des deux secteurs étudiés constitue un modèle à suivre pour élaborer d’autres stratégies permettant de servir les autres catégories d’usagers de l’IMIST.

L’activité de veille technologique que l’IMIST mènera au profit des PMI doit avoir pour objectifs de permettre à l’entreprise de cerner les changements rapides de son environnement et s’y adapter, de résoudre ses problèmes opérationnels, de préparer sa prise de décision, d’alimenter sa réflexion prospective et de résoudre ses problèmes liés à la communication. La veille technologique destinée pour les deux secteurs peut être de différents types suivant la nature du demandeur (une entreprise / un groupement d’entreprises), la nature de l’information à diffuser (fraîche / d’une durée de vie plus ou moins longue) et la portée de la décision qui en découle (stratégique / tactique / opérationnelle).

Pour atteindre ses objectifs, l’IMIST est appelé à fournir aux PMI des prestations qui tiennent compte de leurs besoins et attentes, à savoir :

  • la fourniture de l’ISTT pertinente et fiable à temps ;
  • la formation en méthodologie de recherche et de traitement de l’information et en démarche de mise en place d’un système de veille technologique ;
  • l’assistance dans le processus d’innovation.

Les prestations de l’IMIST seraient aussi bien mono-clients que multi-clients. Les prestations mono-clients sont destinées à une entreprise donnée dans le but de résoudre un problème ponctuel qu’elle a exprimé. Il s’agit notamment d’étude de marchés, de la mise en relation avec des experts, de l’alerte sur un axe relatif à l’activité de la PMI et de formations et/ ou de conseils en une technologie.

Les prestations multi-clients ont pour objectif de servir les PMI ayant des préoccupations communes. Il s’agit notamment de produits d’alerte et des études destinées à répondre aux besoins de chacun des secteurs étudiés.

En ce qui concerne la tarification des prestations de veille technologique que l’IMIST fournira aux PMI, nous proposons la gratuité des prestations si l’Etat prend en compte la difficulté de la conjoncture actuelle du secteur industriel et couvre les charges de production des prestations. Dans le cas contraire, nous proposons que l’IMIST fasse payer ses prestations par les PMI et ce de manière progressive en tenant compte de la conjoncture actuelle.

Dans le même sens, l’IMIST est appelé à chiffrer les coûts de réalisation de ses prestations. Les coûts peuvent être déterminés en mesurant le temps consacré à leur réalisation ainsi que les charges de réalisation de chaque prestation.

Pour ce qui est des moyens à mobiliser pour mener à bien l’activité de veille technologique au profit des secteurs étudiés, l’IMIST est appelé à renforcer ses équipements, à impliquer différents profils dans son activité de veille technologique et à mobiliser des moyens financiers qui correspondent à l’envergure de ses missions.

Les moyens technologiques à mobiliser consistent essentiellement en un parc informatique et bureautique performants, des logiciels de veille technologique, des abonnements aux revues électroniques et aux bases de données.

L’équipe de veille technologique de l’IMIST doit être composée de spécialistes de l’information, de spécialistes en agro-alimentaire et en textile ainsi que de compétences dans d’autres disciplines tels le juriste, le marketer, l’infographiste, l’informaticien, l’économiste et l’assistante de direction.

La démarche de veille technologique que nous proposons à l’IMIST pour servir les PMI comprend quatre étapes énoncées par la littérature, à savoir : l’identification des besoins en ISTT des PMI étudiées, la recherche et la collecte de l’ISTT, son traitement et son analyse, et sa diffusion.

A ce processus, nous ajoutons deux autres étapes à savoir la capitalisation des informations collectées et diffusées et l’évaluation de la stratégie de veille technologique adoptée. Ces deux étapes permettront à l’IMIST de passer de la veille technologique à l’intelligence économique.

La veille technologique est une affaire de groupe. Dans cette optique, la structure de veille technologique à mettre en place doit faciliter la gestion des tâches et garantir l’efficacité et la rapidité dans la prise de décision. Cette structure doit permettre de gérer la diversité des profils impliqués et la complexité des projets à réaliser. Ainsi, nous proposons à l’IMIST d’adopter pour son service de veille technologique la structure par projet car elle répond le mieux aux spécificités de son activité.

Conclusion

Pour mieux servir les PMI, l’IMIST est appelé à évaluer continuellement sa stratégie de veille technologique et ce en tenant compte de l’évolution des besoins en ISTT des PMI étudiées. L’évaluation de cette stratégie peut se faire par le lancement d’autres études de besoins en ISTT et par la réalisation d’enquêtes de satisfaction auprès des PMI étudiées.

Notre étude constitue un modèle à suivre pour servir les autres secteurs industriels, les autres catégories d’entreprises (les grandes entreprises), les autres régions économiques du Maroc ainsi que les autres catégories d’usagers de l’IMIST (chercheurs, collectivités locales, institutions gouvernementales et non gouvernementales).

Cette étude propose de nouvelles pistes de recherche pour résoudre les problèmes qui entravent le développement de la PMI marocaine. Il s’agit notamment de l’étude de l’utilisation du brevet par l’entreprise marocaine et de l’étude de la relation entre la gestion des connaissances (knowledge management) et l’innovation dans l’entreprise marocaine.

Notes

(1) Cet article retrace les étapes et les résultats du mémoire de 3ème cycle de l'Ecole des sciences de l'information de Rabat intitulé "Eléments d'une stratégie de veille technologique pour l'Institut marocain de l'information scientifique et technique : cas des PMI exportatrices du secteur des industries agro-alimentaires et du secteur des industries du textile, de l'habillement et du cuir situées dans la région du Grand Casablanca".
Le mémoire a été encadré par M. Mohammed Idsaleh et M. Mohammed Essadaoui

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L’information au service de l’innovation » : Compte-rendu de la 3ème journée franco-suisse en intelligence économique et veille stratégique

François Courvoisier, Haute Ecole de Gestion, Arc de Neuchâtel

Françoise Simonot, IUT de Besançon, Université de Franche-Comté, France

« L’information au service de l’innovation » :Compte-rendu de la 3ème journée franco-suisse en intelligence économique et veille stratégique

Le 15 juin 2006 s’est tenue à l’IUT de Besançon la troisième journée franco-suisse en intelligence économique et veille stratégique organisée en collaboration avec la Haute école de gestion Arc de Neuchâtel, la Haute école de gestion de Genève et l’Université de Franche-Comté. Cette journée a fait suite aux deux précédentes éditions tenues à Neuchâtel en 2004 sur le thème « Comment anticiper, comment surveiller la concurrence ? » puis en 2005 sur le thème « Intelligence économique et réseaux ». Cette manifestation a pu avoir lieu grâce à une collaboration académique initiée en 2003 autour du lancement en Suisse d’études postgrades en intelligence économique et veille stratégique. En ouverture de ce colloque, présidé par Mme Françoise Simonot, professeur et chef du département Information-Communication, le directeur de l’IUT M. Joël-Pierre Eugène adresse une cordiale bienvenue aux participants. Madame Simonot rappelle que cette journée a pour but un échange d’expériences sur l’intelligence économique et la veille stratégique entre universités, consultants et entreprises.

Exposé de M. Jean Michel

Le premier exposé de la journée est réalisé par Jean Michel, consultant et formateur, qui a notamment accompagné la constitution du pôle régional des microtechniques en Franche-Comté. Pour innover, affirme Jean Michel, il ne suffit pas d’avoir un coup de génie : la méthode est prépondérante ! Il de faut pas perdre de vue le marché derrière l’innovation, c’est-à-dire les acheteurs potentiels. Pour le conférencier, l’innovation est un décalage, un déplacement pour avoir une autre représentation mentale de l’existant. Adepte de néologismes et de concepts porteurs de sens, Jean Michel suggère aussi des combinaisons nouvelles entre l’information et l’innovation : « infonovation » et « innoformation », qu’il illustre par un tableau croisé entre ces deux variables :

  Innovation (-) Innovation (+)
Information (-) Déclin assuré « Concours Lépine » (produits miracles)
Information (+) Suivisme, reproduction de l’existant C’est gagné ! $, £, €, CHF !

La méthode à adopter est une intelligente combinaison pour « in-nover » et « in-former » (mettre du neuf dans une forme), donc « trans-former ». L’innovation est un processus de déconstruction-reconstruction pour déplacer les représentations mentales, tout en veillant à neutraliser les phénomènes de blocage. Afin d’innover, il faut naturellement disposer au bon moment d’informations pertinentes selon les besoins du marché (market pull) ou selon les résultats de la recherche et du développement technique et scientifique (technology push). Chaque entreprise développera et maintiendra donc son propre système de gestion d’informations. L’information est un regard porté sur le monde, en toute subjectivité. Elle est source de progrès lorsqu’elle s’échange, c’est ce qui fait la puissance de l’internet et des « blogs », mais déstabilise ceux et celles qui ne veulent pas la partager ! La connaissance est une prise de recul par rapport à l’information brute : on la modélise pour comprendre le monde et agir. Les construits cognitifs conduisent au knowledge management, ou gestion des connaissances qui peuvent se matérialiser ou non dans des documents partagés. Selon Jean Michel, nous sommes à l’âge de pierre de la gestion de l’information ! Il nous faut établir des règles de gestion de cette dernière et du partage des savoirs. La « transversalité » devient un besoin impérieux, car nous sommes mal préparés à l’émergence de la « soupe numérique » face à la liquéfaction info-documentaire. En conclusion, Jean Michel suggère les approches suivantes pour favoriser l’innovation en entreprise : procéder par analyse fonctionnelle, par analyse systémique et par management par projets.

Exposé de M. Jean-Claude Jeune

Directeur de l’ARIST de Franche-Comté, Jean-Claude Jeune développe ensuite le thème de la « créativité encadrée ». Cette dernière est souvent bridée par des contraintes techniques, des normes, des habitudes, etc. L’innovation viable possède un marché réel, elle est exploitable librement (donc pas protégée) et elle procure un avantage concurrentiel notable. L’exploitation de l’innovation engendre un certain nombre de risques : un risque commercial (des méventes, l’action de la concurrence), un risque technologique (une fiabilité déficiente), un risque juridique (des brevets antérieurs et des droits des tiers). Aujourd’hui, le temps de développement d’une innovation est bien supérieur au cycle de vie du produit sur le marché : il faut donc la rentabiliser très vite. On peut naturellement sous-traiter le développement et s’approcher de pôles de compétences technologiques. Les grandes questions que l’innovateur doit se poser sont : « faut-il breveter ou non ? » et « quand protéger » ? Selon Jean-Claude Jeune, ce ne doit être ni trop tôt, si les solutions techniques ne sont pas stabilisées, ni trop tard après la commercialisation. Les réponses apportées par l’orateur à la question « pourquoi ne pas protéger ? » sont les suivantes : tout d’abord, s’il est impossible de défendre son droit (par exemple parce que cela coûterait trop cher), ensuite, si la durée de vie d’un produit est courte, puis si l’invention est dans le savoir-faire plus que dans la technologie ou le procédé et, finalement, si d’autres solutions existent au même coût.

Au cas où l’innovation de l’entreprise ne se situe pas dans son métier de base, mieux vaut trouver des preneurs de licence, procéder par cession, transfert ou partenariat. Si elle se situe dans le cœur de métier, on peut alors procéder par « endogénéisation ». Il ne faut pas perdre de vue qu’innover demande de toute façon des ressources importantes, financières et humaines. L’entreprise doit se méfier des innovations de rupture qui bouleversent un secteur d’activités : Jean-Claude Jeune cite par exemple le spiral qui a tué l’horloge franc-comtoise, car dès lors on a pu transporter l’heure !

Exposé de M. Pierre Gandel

Le métier de la société de Pierre Gandel, directeur de Moving Magnet Technologies SA (MMT) à Besançon, est le licensing, soit la cession de licences de composants automobiles (moteurs, actionneurs, capteurs) dans le monde entier. Pour la recherche d’information, il s’appuie sur des partenaires comme l’ARIST et l’ARIE, ainsi que sur des sources incontournables comme Delphon.com, les salons professionnels et les contacts avec les clients. MMT dispose d’une cellule de veille technologique efficace : des collecteurs établissent des fiches de collecte, ils procèdent à des tris puis des analyses, établissent des rapports de synthèse qui alimentent un tableau de bord de l’innovation stocké sur support informatique. Ces rapports de synthèse se font par business unit à court, moyen et long terme. La direction de MMT réagit à ces informations pour prendre des décisions appropriées. Une personne est responsable de l’intelligence économique, 15 collaborateurs et 3 animateurs sont continuellement impliqués dans la cellule de veille. Il s’agit d’optimaliser la gestion du temps, de faire circuler rapidement l’information et de faire preuve de réactivité, le cas échéant.

Chez MMT, la culture de l’innovation est nourrie par la connaissance des applications et des besoins du marché. Elle s’appuie sur un marketing fort, en contact avec le client, anticipant les applications dont ce dernier aura besoin. La veille technologique est fondamentale, de même que la protection efficace des idées par des brevets. Il est nécessaire de bien connaître la concurrence tout en ayant conscience de la qualité de son idée, tout en ayant procédé par recherche d’antériorité. En 15 ans, MMT a déposé plus de 100 brevets et cédé près de 70 licences d’exploitation. MMT a fait son business model du concept « l’information au service de l’innovation ». Les collaborateurs, d’une grande stabilité professionnelle, sont motivés à récolter de l’information, stimulés notamment par le challenge du meilleur veilleur. La chaîne de valeur de MMT peut être schématisée ainsi :

Information > Innovation > Protection > Revenus

Sur le marché de l’innovation, MMT est en concurrence directe avec les centres de R&D des grands équipementiers automobiles.

Exposé de M. Marc Schuler

Dixi Polytool SA, située au Locle, a un tout autre métier que MMT : la fabrication d’outillages industriels en tungstène et carbure monobloc. Ses clients sont des entreprises horlogères, médicales, des secteurs de l’automobile et de l’aéronautique. Son directeur, Marc Schuler, explique comment Dixi Polytool a passé d’une « approche produit », il y a 5 ans encore, à une « approche marché ». Le changement de culture a été assez important, même si le marché reste à peu près le même. Les départements de vente et de marketing sont devenus les moteurs de la société, même dans des niches très techniques. La démarche de type marché est double, et son aspect communicationnel fondamental : dans le sens marché > Dixi, Marc Schuler relève les flux d’information classiques suivants : les demandes des clients, les informations sur les concurrents, les informations émanant de la vente, la presse spécialisée, les foires et expositions, les recherches universitaires et sur les nouveaux matériaux. Dans le sens inverse Dixi > marché, les flux les plus importants sont : les activités de vente, les conseils techniques sur projets par les ingénieurs d’applications, les catalogues et flyers, les activités de rédaction technique, les foires où Dixi expose, la publicité, les conférences, le sponsoring et les events (comme par exemple l’invitation de clients à un match de hockey).

Suite à un diagnostic d’entreprise, il a été relevé que Dixi était faible pour récolter et structurer l’information provenant du marché : cette dernière n’était ni formalisée, ni partagée. Il a donc été décidé de créer une cellule de veille, avec les besoins en information suivants : les spécificités des concurrents, leurs prix, leurs technologies, les produits de substitution et toutes autres informations marketing des concurrents. Dans le cadre de son travail de diplôme, une étudiante de la Haute école de gestion Arc de Neuchâtel a analysé les besoins, déterminé les éléments clés de la veille et contribué à l’implémentation de cette dernière. Elle a notamment mis le doigt sur le fait que l’information disponible est abondante, mais non formalisée, ainsi que sur le manque de connaissance des outils de recherche sur internet par les collaborateurs de Dixi Polytool.

Les étapes de la méthodologie de veille ont été les suivantes : sensibiliser les collaborateurs (étape fondamentale), impliquer la direction de l’entreprise, définir exactement les éléments à intégrer dans la veille, mettre en place cette dernière, procéder à une séance de lancement de la veille, puis assurer le suivi de la direction pour garantir la viabilité et la pérennisation du système. Ce processus s’appuie sur le cycle bien connu du renseignement : collecter > analyser > interpréter > diffuser. La base de la prise d’informations est la « feuille de veille », les sources les plus importantes sont les clients, les fournisseurs, la presse spécialisée, les foires-expositions, les sites internet des concurrents, les agents internationaux, les centres de recherche et les associations faîtières.

Ensuite, le traitement et l’analyse de l’information se font par une synthèse des fiches dans Excel et un chargement sur l’intranet de Dixi Polytool. En outre, la direction commerciale extrait des informations hebdomadaires des rapports de visites qui n’auraient pas fait l’objet d’une fiche. L’information est ensuite partagée avec le département R&D.

Jusqu’au début de 2006, la diffusion de l’information se faisait par simples discussions informelles. Depuis la fin du premier trimestre de cette année, l’information structurée selon la méthodologie décrite ci-dessus est réinjectée dans les réunions de vente et les réunions techniques. Les outils de veille mis en place sont les fiches d’information, le système de classement, les alertes Google et l’introduction de la veille concurrentielle, qui est dorénavant inscrite dans le Manuel Qualité de la société.

De cette expérience de mise en place d’un processus de veille, Marc Schuler tire les leçons suivantes : tout d’abord, le management doit profondément s’investir pour changer les méthodes de travail ; ensuite, un suivi régulier doit être assuré avec les vendeurs ; puis il faut être strict, avec soi-même et ses collaborateurs pour ancrer le système dans les habitudes de travail ; finalement, l’information doit être diffusée et partagée pour crédibiliser le système.

Exposé de M. Laurent Sage

Directeur de l’information auprès de la Chambre de Commerce du Doubs, Laurent Sage indique que cette dernière bénéficie d’une nouvelle organisation depuis 2002. En effet, elle a désormais une orientation plus prospective pour déceler les enjeux clés et se trouver plus à l’écoute des entreprises-membres. La veille permet de voir comment l’environnement évolue, notamment au travers d’une revue de presse régulière, d’une veille internet et de l’activité de groupes de travail. Le système d’information permet une écoute des partenaires et une mise en relation de ceux-ci. Un centre appelé « I2E » permet de construire une recherche et une veille sur internet mutualisée. Des veilleurs par thème peuvent capter l’information au moyen d’outils avancés et la mettre sur une plateforme. L’information est ensuite diffusée aux partenaires et entreprises de la CCI du Doubs. Les préoccupations de ces derniers sont largement orientées vers les effets de la mondialisation sur leurs affaires, notamment en ce qui concerne l’embauche et le licenciement du personnel.

Exposé de M. Stéphane Koch

Stéphane Koch, directeur d’Intelligentzia à Genève, parle ensuite des sources ouvertes de l’information : il s’agit de sécuriser la structure de l’entreprise qui innove. Ces sources ouvertes sont nombreuses : tout d’abord le téléphone, l’e-mail et le contact humain ; ensuite le web visible et invisible, les newsgroups, les forums de discussion, les archives web « off line » et les métadonnées (documents MS Office). Les accès sont multiples, notamment par les moteurs Google, Yahoo et MSN, mais parfois fragmentés : par exemple, on n’obtient pas les mêmes occurrences, ou les mêmes dates de deux documents, en tapant deux suffixes de pays différents à ces deux moteurs. Le site http://www.jux2.com permet de comparer ce que l’on trouve ou non au moyen de ces trois moteurs. Selon Stéphane Koch, le web s’oriente de plus en plus vers les services comme les blogs et les tags.

Pour organiser sa recherche d’informations sur internet, il faut configurer sa machine et ses extensions, notamment avec le navigateur Firefox. Des outils de réseaux de compétences humains comme LikedIn, Plaxo et Viaduc peuvent être utiles. Les éléments trouvés peuvent être mis en veille pour donner du sens à la démarche. Le site http://www.technorati.com permet actuellement d’indexer plus de 44 millions de blogs ! Le logiciel gratuit http://www.websitewatcher.com permet d’être averti de changements sur des sites web surveillés au moyen de mots clés. Le logiciel http://www.netnewstracker.com recherche quotidiennement des phrases sélectionnées dans les news groups, et les envoie par e-mail au requérant. Stéphane Koch suggère également de veiller sur les statistiques de fréquentation de son propre site.

Exposé de Vincent Guyod

Vincent Guyod est directeur marketing d’Oxibis, à Morbier. Son entreprise développe, fabrique et vend une quinzaine de lignes de lunettes (plus de 300 références) de moyenne gamme. En outre, la Société gère la marque Exalto, de plus haut de gamme, qui compte 10 lignes et plus de 200 références. Oxibis a récemment lancé Dilem, une marque de lunettes « accessoires de mode » à branches interchangeables.

Oxibis procède à plusieurs types de veille et d’études : en premier lieu, la veille concurrentielle d’Oxibis se base sur une analyse des besoins, la recherche d’informations sur tous les supports disponibles (presse professionnelle, bilans de sociétés, internet), le traitement de l’information puis sa diffusion à l’interne. En deuxième lieu, la « veille tendances » est similaire à la veille concurrentielle, mais sur tous types de supports plus les salons, conférences, workshops (design, mobilier, mode, etc.), l’observation de vitrines et du look des gens. Cela aboutit à la création de « cahiers de tendances ». Troisièmement, la réalisation d’études qualitatives et quantitatives ad hoc permet de mieux cerner la demande et segmenter les gammes, comme une étude faite auprès de 200 opticiens. D’autre part, des études socio-marketing sont aussi entreprises pour dégager les tendances de fond de la société : le lancement de Dilem s’est notamment appuyé sur une telle étude. Finalement, la protection des innovations est réalisée après avoir recouru à une « veille brevets », et tous les modèles Oxibis sont désormais brevetés suite à des problèmes de contrefaçon que l’entreprise a subis.

La lunetterie étant un secteur très concurrentiel, l’innovation et la protection de cette dernière font partie intégrante de la culture de l’entreprise, comme les formes de veille et de recherche évoquées ci-dessus.

Exposé de M. Karim Benzineb

Linguiste-traducteur de formation, Directeur de Metaread à Genève, Karim Benzineb a fondé son entreprise en 2001 et développé des outils d’aide à la traduction, puis des outils de recherche de documents similaires autres que les mots : des contenus de textes et des textes complets. Il fabrique des « meta-données » à partir de textes complets pour procéder à des recherches sémantiques dans plusieurs langues. Chez Metaread, l’innovation est déclenchée de manière exogène : elle crée le marché ! Souvent, il n’est pas possible de la gérer en interne, dans la petite équipe de cinq personnes, et Metaread s’appuie fréquemment sur des travaux académiques existants, puis les améliore.

L’innovation est nécessaire à la survie de Metaread : chaque collaborateur a accès aux mêmes sources de données innovantes. S’il ne trouve pas de solution, un autre fournisseur de données sera choisi, ce n’est qu’une question de temps ! Les sources d’information pour innover sont en grande majorité internet (deux tiers des sources, mais pas toujours fiables, avec risque de partir sur de fausses pistes), les chercheurs universitaires (sources généralement fiables) et les livres et publications. Innover, pour Metaread, c’est écouter le client, comprendre ce qu’il demande, faire le point sur les solutions existantes (technologies, avantages, prix). Ensuite, il faut aller très vite et faire mieux que l’existant dans l’ingénierie des logiciels, soit optimiser les technologies existantes en prenant l’approche client la plus pertinente.

En guise de conclusion, Jean Michel dégage trois facteurs clés de succès dans la mise en place de systèmes d’information au service de l’innovation :

  • le succès dépend plus du savoir des hommes et de l’organisation interne basée sur une culture d’entreprise orientée vers l’innovation que d’une solution technologique ;
  • ce n’est pas parce que l’on collecte de l’information que l’on est gagnant, il faut ensuite la structurer et modifier la culture de l’organisation ;
  • pour « tenir la distance », il faut crédibiliser le système en le pérennisant.

Août 2006
Dr. François Courvoisier – Professeur, HEG Arc de Neuchâtel
Dr. Jacqueline Deschamps – Professeur, HEG de Genève
Mme Françoise Simonot – Professeur, Chef du département Information-Communication, IUT de Besançon, Université de Franche-Comté

Les archives électroniques : Quels défis pour l’avenir? Actes de la Troisième journée des archives organisée les 8 et 9 mai 2003 par les Archives de l’Université catholique de Louvain

Daniel Ducharme

Fillieux, Véronique et Évelyne Vandevoorde (éd.). Les archives électroniques : Quels défis pour l’avenir? Actes de la Troisième journée des archives organisée les 8 et 9 mai 2003 par les Archives de l’Université catholique de Louvain. Louvain-la-Neuve : Bruylant-Academia, 2004 (Publications des Archives de l’Université catholique de Louvain ; 8) ISBN 2872097570

Depuis 2001 les Archives de l’Université catholique de Louvain ont pris l’heureuse habitude d’organiser une Journée des archives à laquelle participent des archivistes en provenance de Belgique, certes, mais aussi d’ailleurs dans le monde. Ce sont les actes de cette Troisième journée des archives que nous vous présentons ici. Ils comprennent les textes des onze communications qui ont été faites au printemps 2003 dans le cadre de ce symposium annuel

François Burgy, archiviste adjoint à la ville de Genève, débute ce symposium en posant la question : « Les documents électroniques vont-ils avoir raison des archivistes? » (p. 8-21). Après avoir brossé un portrait succinct des relations entre archivistes et informaticiens depuis la fin des années 1960, il décrit en sept points les problématique des documents numériques eu égard à la discipline archivistique : la préservation à long terme, la remise en cause des principes archivistiques, la diplomatique, l’archivistique intégrée, les outils informatiques, la formation et les réseaux de coopération. Puis il prend acte de l’évolution de la profession d’informaticien en raison de problèmes communs tels que la préservation à long terme et la gestion électronique des documents. Enfin, il dresse un bilan provisoire de l’appropriation des documents électroniques par les archivistes, prédisant même avec grand optimisme que l’apport de ces derniers à la gestion des documents électroniques risque d’accroître la reconnaissance sociale de la profession d’archiviste en Suisse, voire dans le monde, à la condition toutefois qu’elle préserve son autonomie professionnelle et qu’elle dote ses membres d’une formation de qualité.

Jean-Marie Yante, pour sa part, revient sur « La problématique de base des archives électroniques » (p. 23-36). Après avoir apporté des précisions terminologiques sur le triptyque « électroniques », « informatiques » et « numériques » qui qualifie les documents d’archives, il résume les avantages, en matière de collecte, de stockage et de diffusion, que procure l’environnement numérique à l’archivistique contemporaine, soulignant au passage le fait que l’archiviste n’hérite plus des archives, mais devient plutôt un acteur dans la constitution du patrimoine archivistique de demain (p. 25). Puis l’auteur décrit les problèmes soulevés par les documents numériques tels que les banques de données (écrasement des données), les sites web (fluidité), le forum en ligne (structuration des informations) et les courriels (gestion technique). Ensuite il aborde le problème des dépendances de l’information numérique par rapport au support, aux logiciels et aux matériels, problème dont la solution consisterait en l’adoption d’un format « canonique » qui permettrait d’archiver le message indépendamment du logiciel et de l’environnement informatique choisis lors de la création (p. 29). Plus loin, Yante énumère les contraintes et défis posés par la gestion des archives électroniques, mettant en relief les normes en tant qu’élément stabilisateur de ces dernières. Il s’attarde alors à la dématérialisation de l’information qui, en dissociant celle-ci de son support, en atténue la qualité de preuve. Il s’arrête aussi à la signature électronique, un moyen d’assurer l’intégrité des documents qui résiste mal à la migration des données. Enfin il met à jour le défi de la description des archives électroniques qui oblige les archivistes à préciser, par le moyen des métadonnées, leur provenance, leur finalité, leur fiabilité et leur contexte de création. En dépit de ces contraintes et défis, l’auteur soutient que des permanences demeurent, notamment le principe de provenance ou de respect des fonds qui, loin d’être obsolète, s’en trouve renforcé par l’environnement numérique (p. 33). L’auteur termine sa communication en résumant deux expériences de numérisation, celles des Archives nationales du Québec et des Archives générales des Indes à Séville. Évoquant le coût des opérations, l’incertitude relative à la stabilité des supports et l’obsolescence des appareils de lecture, il convie les archivistes à la prudence en matière d’utilisation de la numérisation à grande échelle pour la conservation du patrimoine archivistique. En conclusion, Yante estime que, même si le numérique est rempli de promesses pour la profession et la discipline archivistiques, « trop d’incertitudes demeurent, trop de défis restent à relever » (p. 36).

Avec la communication intitulée « Développer un système de gestion globale des archives – le projet DISSCO et les aspects humains » (p. 37-49) de Frank Schellings, nous quittons la voie de la théorie pour la pratique. En effet, cet auteur décrit les conditions conceptuelles et humaines nécessaires au succès de la mise en œuvre d’un système de gestion électronique de documents (GED). Pour ce faire, il s’appuie sur un projet qui a pour but de doter les institutions scientifiques de Belgique d’un système documentaire automatisé tenant compte du records continuum. Après avoir distingué les notions de document, records et knowledge management et le rôle respectif de chacun des intervenants dans le projet, il décrit la diversité organisationnelle des institutions, se demandant s’il est possible d’envisager une application unique. Puis Schellings aborde la méthodologie de l’analyse de l’existant en tenant compte de sa triple dimension : fonctionnelle, politique ou relationnelle, et culturelle. Enfin l’auteur termine son article par l’énumération de quelques normes (MoReq, UK Pro, ISO 15489, etc.) susceptibles de constituer un noyau d’exigences fonctionnelles pour le futur système.

Dans « La collecte des archives électroniques aux Archives de Paris » (p. 51-69), Louis Faivre D’Arcier résume les interventions des archivistes relatives au transfert et au versement des documents numériques aux Archives de Paris, « un des plus importants services d’archives français ». Après avoir décrit le contexte administratif et bureautique de cette administration, l’auteur décrit plusieurs cas de figure dont les critères d’évaluation des documents issus d’applications bureautiques. Ensuite, il énumère les « difficultés particulières à la collecte de données issues d’applications déjà en service », plus précisément des documents issus de bases de données dont le contenu n’est pas « historisé ». Enfin, Faivre D’Arcier décrit les projets en cours, soit l’élaboration d’un module d’archivage du logiciel unique de gestion du courrier et l’archivage « à la source » des informations contenues dans l’intranet de la ville de Paris. En conclusion, l’auteur souligne que, si la gestion des archives électroniques permet de prendre en compte dès l’origine l’archivage dans la production documentaire, les tâches reliées à cette fonction ne sont pas faciles à mener à bien. La reconnaissance de la gestion des archives dans l’administration a encore des progrès à faire.

Sous le titre de « Préserver la mémoire et transmettre des documents dans la culture électronique » (p. 71-79), Yolande Juste et Ferdinand Poswick relatent l’expérience du collectif Informatique et Bible en la matière. Après avoir rappelé l’urgence d’une prise de conscience du devoir de mémoire, les auteurs résument l’approche technique de ce collectif qui comprend cinq phases : formulation des objectifs, description des données à traiter, proposition de traitement, estimation du temps de réalisation et élaboration d’un contrat de réalisation. Des remarques complètent l’énumération de chacune de ces phases dont l’objectif ultime est de faciliter le passage de la culture de l’écrit alphabétique – celle du livre imprimé et de la bibliothèque – à la culture de l’écriture électronique et de la communication planétaire.

Filip Boudrez et Carole Van Camp s’intéressent quant à eux à la préservation des messages électroniques vie une application XML (p. 81-96). Pour ce faire, ils décrivent la politique adoptée par la ville d’Anvers (Antwerpen, en néerlandais) qu’ils illustrent à travers le David Project (Digitale Archivering in Vlaamse Instellingen en Diensten). Après avoir énuméré les étapes préliminaires à la mise en œuvre d’une politique de gestion du courrier électronique, ils décrivent en détail les procédures préconisées par le David Project. En conclusion, ils rappellent que la préservation des messages électroniques doit s’inscrire dans une politique globale de gestion des documents électroniques dans l’organisation.

Dans « L’authenticité : un défi » (p. 97-108), Lucie Verachten examine avec minutie la notion d’authenticité des archives et décrit les moyens susceptibles de la garantir lors des étapes de création, de transfert, d’évaluation, de conservation et de diffusion des documents. En conclusion, elle rappelle que la préoccupation majeure des archivistes « n’est plus la sauvegarde des supports, mais bien celle de l’information après une migration, une conversion ou une émulation du hardware et du software » (p. 108).

Pour sa part, Hannelore Dekeyser s’intéresse aux « conditions d’accès et d’utilisation par rapport aux droits des individus concernés » (p. 109-119). Après avoir décrit le phénomène de l’ombre électronique (ces traces que laisse l’utilisation de l’ordinateur), il aborde la problématique de la protection de la vie privée, de la propriété intellectuelle et du droit à l’information, refusant d’envisager une solution globale au conflit d’intérêts entre les archives, dont l’importance dans la vie démocratique de la société ne peut être mise en doute, et les individus.

Comme son titre l’indique, Michel Dorban se livre à une « analyse bibliométrique de quelques concepts en relation avec la valorisation des archives électroniques » (p. 121-149). Après avoir défini la notion de « valorisation » et explicité la méthode de l’analyse bibliométrique qu’il a utilisée, l’auteur résume les résultats des recherches effectuées à partir des concepts de records management, computerized records et electronic document, résultats qu’il présente sous la forme de multiples tableaux. En conclusion, Michel Dorban met en évidence les difficultés rencontrées dans l’utilisation de ces concepts, notamment les résultats assez peu homogènes en raison de la « dispersion des articles dans un grand nombre de revues ».

La dernière communication faite à cette Troisième journée des archives est de Francesca Klein et porte sur le « Imago Project » (p. 151-159), un projet de numérisation du fonds Diplomatico de Florence, un fonds qui compte notamment 85 000 parchemins florentins du VIIIe au XIVe siècles. L’auteure décrit les caractéristiques du projet, de l’acquisition du matériel de numérisation au mode de consultation retenu en passant par la mise en ligne des résultats sur Internet.

Enfin, François Burgy et Paul Servais nous invitent à poursuivre la réflexion (p. 161-165) sur les archives électroniques. Après avoir résumé les grandes lignes de cette Troisième journée des archives, ils constatent que « la gestion des archives électroniques donne davantage de poids à la fonction d’évaluation et de sélection parmi les fonctions archivistiques », ce qui met en évidence « la valeur permanente des méthodes archivistiques » (p. 163). Cette conclusion a le mérite d’être rassurante pour la discipline et la profession archivistiques, tout en ne minimisant pas les défis techniques, juridiques et politiques que pose la gestion des archives dans la société de l’information.

Une bibliographie de plus de 200 titres complète avantageusement cet ouvrage au contenu d’une richesse incontestable. En effet, si cette Troisième journée des archives réunit un grand nombre de comptes rendus d’expériences pratiques, elle ne néglige pas pour autant les réflexions théoriques et méthodologiques qui doivent accompagner toutes actions destinées à relever les défis de la gestion des archives au seuil du XXIème siècle. Le lecteur y trouvera donc l’expression d’une pratique aussi variée que la gestion des messages électroniques ou la numérisation de fonds anciens que le rappel des problèmes théoriques, techniques et juridiques que continue de poser la gestion des archives sous forme électronique. Pour terminer, je me permets toutefois d’exprimer un souhait : le jour où l’on cessera d’affubler les archives du qualificatif « électroniques », un grand pas aura été franchi puisque, depuis la deuxième révolution technologique des années 1990, il n’y a plus d’archives autrement que numériques, et j’aurais aimé qu’on franchisse ce pas lors de ce symposium.