Les archives électroniques : Quels défis pour l’avenir? Actes de la Troisième journée des archives organisée les 8 et 9 mai 2003 par les Archives de l’Université catholique de Louvain

Daniel Ducharme

Fillieux, Véronique et Évelyne Vandevoorde (éd.). Les archives électroniques : Quels défis pour l’avenir? Actes de la Troisième journée des archives organisée les 8 et 9 mai 2003 par les Archives de l’Université catholique de Louvain. Louvain-la-Neuve : Bruylant-Academia, 2004 (Publications des Archives de l’Université catholique de Louvain ; 8) ISBN 2872097570

Depuis 2001 les Archives de l’Université catholique de Louvain ont pris l’heureuse habitude d’organiser une Journée des archives à laquelle participent des archivistes en provenance de Belgique, certes, mais aussi d’ailleurs dans le monde. Ce sont les actes de cette Troisième journée des archives que nous vous présentons ici. Ils comprennent les textes des onze communications qui ont été faites au printemps 2003 dans le cadre de ce symposium annuel

François Burgy, archiviste adjoint à la ville de Genève, débute ce symposium en posant la question : « Les documents électroniques vont-ils avoir raison des archivistes? » (p. 8-21). Après avoir brossé un portrait succinct des relations entre archivistes et informaticiens depuis la fin des années 1960, il décrit en sept points les problématique des documents numériques eu égard à la discipline archivistique : la préservation à long terme, la remise en cause des principes archivistiques, la diplomatique, l’archivistique intégrée, les outils informatiques, la formation et les réseaux de coopération. Puis il prend acte de l’évolution de la profession d’informaticien en raison de problèmes communs tels que la préservation à long terme et la gestion électronique des documents. Enfin, il dresse un bilan provisoire de l’appropriation des documents électroniques par les archivistes, prédisant même avec grand optimisme que l’apport de ces derniers à la gestion des documents électroniques risque d’accroître la reconnaissance sociale de la profession d’archiviste en Suisse, voire dans le monde, à la condition toutefois qu’elle préserve son autonomie professionnelle et qu’elle dote ses membres d’une formation de qualité.

Jean-Marie Yante, pour sa part, revient sur « La problématique de base des archives électroniques » (p. 23-36). Après avoir apporté des précisions terminologiques sur le triptyque « électroniques », « informatiques » et « numériques » qui qualifie les documents d’archives, il résume les avantages, en matière de collecte, de stockage et de diffusion, que procure l’environnement numérique à l’archivistique contemporaine, soulignant au passage le fait que l’archiviste n’hérite plus des archives, mais devient plutôt un acteur dans la constitution du patrimoine archivistique de demain (p. 25). Puis l’auteur décrit les problèmes soulevés par les documents numériques tels que les banques de données (écrasement des données), les sites web (fluidité), le forum en ligne (structuration des informations) et les courriels (gestion technique). Ensuite il aborde le problème des dépendances de l’information numérique par rapport au support, aux logiciels et aux matériels, problème dont la solution consisterait en l’adoption d’un format « canonique » qui permettrait d’archiver le message indépendamment du logiciel et de l’environnement informatique choisis lors de la création (p. 29). Plus loin, Yante énumère les contraintes et défis posés par la gestion des archives électroniques, mettant en relief les normes en tant qu’élément stabilisateur de ces dernières. Il s’attarde alors à la dématérialisation de l’information qui, en dissociant celle-ci de son support, en atténue la qualité de preuve. Il s’arrête aussi à la signature électronique, un moyen d’assurer l’intégrité des documents qui résiste mal à la migration des données. Enfin il met à jour le défi de la description des archives électroniques qui oblige les archivistes à préciser, par le moyen des métadonnées, leur provenance, leur finalité, leur fiabilité et leur contexte de création. En dépit de ces contraintes et défis, l’auteur soutient que des permanences demeurent, notamment le principe de provenance ou de respect des fonds qui, loin d’être obsolète, s’en trouve renforcé par l’environnement numérique (p. 33). L’auteur termine sa communication en résumant deux expériences de numérisation, celles des Archives nationales du Québec et des Archives générales des Indes à Séville. Évoquant le coût des opérations, l’incertitude relative à la stabilité des supports et l’obsolescence des appareils de lecture, il convie les archivistes à la prudence en matière d’utilisation de la numérisation à grande échelle pour la conservation du patrimoine archivistique. En conclusion, Yante estime que, même si le numérique est rempli de promesses pour la profession et la discipline archivistiques, « trop d’incertitudes demeurent, trop de défis restent à relever » (p. 36).

Avec la communication intitulée « Développer un système de gestion globale des archives – le projet DISSCO et les aspects humains » (p. 37-49) de Frank Schellings, nous quittons la voie de la théorie pour la pratique. En effet, cet auteur décrit les conditions conceptuelles et humaines nécessaires au succès de la mise en œuvre d’un système de gestion électronique de documents (GED). Pour ce faire, il s’appuie sur un projet qui a pour but de doter les institutions scientifiques de Belgique d’un système documentaire automatisé tenant compte du records continuum. Après avoir distingué les notions de document, records et knowledge management et le rôle respectif de chacun des intervenants dans le projet, il décrit la diversité organisationnelle des institutions, se demandant s’il est possible d’envisager une application unique. Puis Schellings aborde la méthodologie de l’analyse de l’existant en tenant compte de sa triple dimension : fonctionnelle, politique ou relationnelle, et culturelle. Enfin l’auteur termine son article par l’énumération de quelques normes (MoReq, UK Pro, ISO 15489, etc.) susceptibles de constituer un noyau d’exigences fonctionnelles pour le futur système.

Dans « La collecte des archives électroniques aux Archives de Paris » (p. 51-69), Louis Faivre D’Arcier résume les interventions des archivistes relatives au transfert et au versement des documents numériques aux Archives de Paris, « un des plus importants services d’archives français ». Après avoir décrit le contexte administratif et bureautique de cette administration, l’auteur décrit plusieurs cas de figure dont les critères d’évaluation des documents issus d’applications bureautiques. Ensuite, il énumère les « difficultés particulières à la collecte de données issues d’applications déjà en service », plus précisément des documents issus de bases de données dont le contenu n’est pas « historisé ». Enfin, Faivre D’Arcier décrit les projets en cours, soit l’élaboration d’un module d’archivage du logiciel unique de gestion du courrier et l’archivage « à la source » des informations contenues dans l’intranet de la ville de Paris. En conclusion, l’auteur souligne que, si la gestion des archives électroniques permet de prendre en compte dès l’origine l’archivage dans la production documentaire, les tâches reliées à cette fonction ne sont pas faciles à mener à bien. La reconnaissance de la gestion des archives dans l’administration a encore des progrès à faire.

Sous le titre de « Préserver la mémoire et transmettre des documents dans la culture électronique » (p. 71-79), Yolande Juste et Ferdinand Poswick relatent l’expérience du collectif Informatique et Bible en la matière. Après avoir rappelé l’urgence d’une prise de conscience du devoir de mémoire, les auteurs résument l’approche technique de ce collectif qui comprend cinq phases : formulation des objectifs, description des données à traiter, proposition de traitement, estimation du temps de réalisation et élaboration d’un contrat de réalisation. Des remarques complètent l’énumération de chacune de ces phases dont l’objectif ultime est de faciliter le passage de la culture de l’écrit alphabétique – celle du livre imprimé et de la bibliothèque – à la culture de l’écriture électronique et de la communication planétaire.

Filip Boudrez et Carole Van Camp s’intéressent quant à eux à la préservation des messages électroniques vie une application XML (p. 81-96). Pour ce faire, ils décrivent la politique adoptée par la ville d’Anvers (Antwerpen, en néerlandais) qu’ils illustrent à travers le David Project (Digitale Archivering in Vlaamse Instellingen en Diensten). Après avoir énuméré les étapes préliminaires à la mise en œuvre d’une politique de gestion du courrier électronique, ils décrivent en détail les procédures préconisées par le David Project. En conclusion, ils rappellent que la préservation des messages électroniques doit s’inscrire dans une politique globale de gestion des documents électroniques dans l’organisation.

Dans « L’authenticité : un défi » (p. 97-108), Lucie Verachten examine avec minutie la notion d’authenticité des archives et décrit les moyens susceptibles de la garantir lors des étapes de création, de transfert, d’évaluation, de conservation et de diffusion des documents. En conclusion, elle rappelle que la préoccupation majeure des archivistes « n’est plus la sauvegarde des supports, mais bien celle de l’information après une migration, une conversion ou une émulation du hardware et du software » (p. 108).

Pour sa part, Hannelore Dekeyser s’intéresse aux « conditions d’accès et d’utilisation par rapport aux droits des individus concernés » (p. 109-119). Après avoir décrit le phénomène de l’ombre électronique (ces traces que laisse l’utilisation de l’ordinateur), il aborde la problématique de la protection de la vie privée, de la propriété intellectuelle et du droit à l’information, refusant d’envisager une solution globale au conflit d’intérêts entre les archives, dont l’importance dans la vie démocratique de la société ne peut être mise en doute, et les individus.

Comme son titre l’indique, Michel Dorban se livre à une « analyse bibliométrique de quelques concepts en relation avec la valorisation des archives électroniques » (p. 121-149). Après avoir défini la notion de « valorisation » et explicité la méthode de l’analyse bibliométrique qu’il a utilisée, l’auteur résume les résultats des recherches effectuées à partir des concepts de records management, computerized records et electronic document, résultats qu’il présente sous la forme de multiples tableaux. En conclusion, Michel Dorban met en évidence les difficultés rencontrées dans l’utilisation de ces concepts, notamment les résultats assez peu homogènes en raison de la « dispersion des articles dans un grand nombre de revues ».

La dernière communication faite à cette Troisième journée des archives est de Francesca Klein et porte sur le « Imago Project » (p. 151-159), un projet de numérisation du fonds Diplomatico de Florence, un fonds qui compte notamment 85 000 parchemins florentins du VIIIe au XIVe siècles. L’auteure décrit les caractéristiques du projet, de l’acquisition du matériel de numérisation au mode de consultation retenu en passant par la mise en ligne des résultats sur Internet.

Enfin, François Burgy et Paul Servais nous invitent à poursuivre la réflexion (p. 161-165) sur les archives électroniques. Après avoir résumé les grandes lignes de cette Troisième journée des archives, ils constatent que « la gestion des archives électroniques donne davantage de poids à la fonction d’évaluation et de sélection parmi les fonctions archivistiques », ce qui met en évidence « la valeur permanente des méthodes archivistiques » (p. 163). Cette conclusion a le mérite d’être rassurante pour la discipline et la profession archivistiques, tout en ne minimisant pas les défis techniques, juridiques et politiques que pose la gestion des archives dans la société de l’information.

Une bibliographie de plus de 200 titres complète avantageusement cet ouvrage au contenu d’une richesse incontestable. En effet, si cette Troisième journée des archives réunit un grand nombre de comptes rendus d’expériences pratiques, elle ne néglige pas pour autant les réflexions théoriques et méthodologiques qui doivent accompagner toutes actions destinées à relever les défis de la gestion des archives au seuil du XXIème siècle. Le lecteur y trouvera donc l’expression d’une pratique aussi variée que la gestion des messages électroniques ou la numérisation de fonds anciens que le rappel des problèmes théoriques, techniques et juridiques que continue de poser la gestion des archives sous forme électronique. Pour terminer, je me permets toutefois d’exprimer un souhait : le jour où l’on cessera d’affubler les archives du qualificatif « électroniques », un grand pas aura été franchi puisque, depuis la deuxième révolution technologique des années 1990, il n’y a plus d’archives autrement que numériques, et j’aurais aimé qu’on franchisse ce pas lors de ce symposium.